LES négociations diplomatiques que
Louis XII avait crues nécessaires pour faciliter et assurer la conquête du
Milanais touchaient à leur terme, et ses droits de famille, qu'il s'apprêtait
à faire valoir sur la plus belle duché du
monde, avaient
été habilement exposés en plusieurs mémoires d'Etat et dénoncés toutes les
cours de l'Europe. Voici comment à la question était résumée dans un document
officiel. Louis,
duc d'Orléans, fils de Charles V, avait épousé, en 1399, Valentine de Milan,
fille de Jean-Galéas Visconti, premier duc de Milan, et d'Isabelle de France.
Après Jean-Galéas, qui avait vécu en grand
honneur et réputation,
ses deux fils, Jean-Marie et Philippe-Marie, devinrent successivement ducs de
Milan et moururent sans enfants légitimes. La succession de Valentine, unique
héritière de ses deux frères, revenait donc de droit à Charles d'Orléans,
fils aîné de Louis, qui avait péri, en 1409, assassiné, dans la
Vieille-Rue-du-Temple, par Jean sans Peur, duc de Bourgogne ; mais Charles
d'Orléans, resté vingt ans prisonnier en Angleterre, venait à peine de
recouvrer sa liberté, lorsque son cousin, le dernier duc de Milan, décédé en
1447, lui laissa ce magnifique héritage à recueillir du fait de sa mère. A
cette époque, la maison d'Orléans était bien déchue de sa puissance, et le
roi Charles VII, qui se reposait de ses guerres continuelles avec les
Anglais, sous la garantie d'une trêve expirante, ne pouvait envoyer en Italie
une partie de ses troupes pour soutenir les droits de son parent sur le duché
de Milan, tandis que la France, environnée d'ennemis, hésitait à verser
encore bien du sang pour reconquérir ses provinces de la Normandie et de
Guyenne. Le duc d'Orléans, qui avait conservé son comté d'Asti en Piémont,
réunit cependant quelques troupes, avec l'intention de revendiquer la
succession de sa mère ; mais voyant que ses rivaux et compétiteurs étaient
déjà en armes et en intrigues, il résolut d'attendre des circonstances plus
favorables à ses intérêts ; il ne posséda donc jamais que le vain titre de
duc de Milan. Le fils
d'un aventurier nommé Sforza Arendolo avait usurpé le duché de Milan.
Francisque Sforza, qui, par son courage de soldat, s'était fait connétable du
royaume de Naples et gonfalonier de l'Église romaine, l'emporta sur le duc de
Savoie, le roi de Naples et les Vénitiens, qui lui disputaient cette belle
principauté, à laquelle il prétendait au nom de sa femme, Blanche-Marie,
fille naturelle du dernier Visconti ; Francisque Sforza, devenu possesseur du
duché de Milan, fit prospérer le duché sous un bon gouvernement et le
maintint dans sa famille par de grandes alliances politiques : il pouvait
compter sur l'appui de Louis XI, qu'il avait puissamment aidé, lorsque ce
prince, encore dauphin, fuyait la disgrâce de son père et ne savait où
trouver des amis ; aussi, Louis XI n'avait-il jamais oublié les services de
Francisque Sforza, avec lequel il fut toujours en étroite amitié ; tellement
qu'il maria Bonne de Savoie, sœur de sa propre femme, avec Galéas-Marie, fils
aîné du duc de Milan, qu'il avait fait venir à la cour de France, en vue de
reconnaître l'assistance que Francisque Sforza lui avait prêtée dans la
guerre du Bien public (1464-65). Pendant
le règne de Louis XI, la Maison d'Orléans eût été malvenue à élever des
prétentions contre la Maison de Sforza : Charles d'Orléans, plus occupé de
poésie que de batailles, était mort en 1462 ; son fils Louis, orphelin en bas
âge sous la tutelle de sa mère, ne devait rien espérer du roi, qui ne l'avait
choisi pour gendre que dans le but de le tenir de plus près en surveillance. Lorsque
Charles VIII monta sur le trône, Louis d'Orléans eut assez d'affaires sur les
bras, dans les disputes relatives à la régence et dans la guerre civile de
Bretagne, sans se créer encore des embarras au-delà des monts ; néanmoins, en
sa qualité de plus proche héritier de la couronne, qui lui valait le titre de
Monseigneur, il avait toujours eu les yeux ouverts sur ce qui se passait à
Milan, qu'il n'eût pas manqué de revendiquer si les projets de Charles VIII
sur l'Italie se fussent réalisés. Quant à Galéas-Marie Sforza, qui devait à
la protection de Louis XI d'avoir succédé à son père comme duc de Milan, il
brava le mépris et la haine de ses sujets, jusqu'à ce qu'il fût tué au pied
de l'autel, dans l'église de Saint-Etienne. Il laissait un fils, nommé
Jean-Galéas, à peine sorti de l'enfance, confié à sa tutrice naturelle, Bonne
de Savoie ; mais les deux frères du duc défunt, Ludovic-Marie, dit le More,
et le cardinal Ascaigne, s'emparèrent de leur neveu, pour gouverner sous son
nom. Le jeune duc étant mort, en 1489, empoisonné, dans le château de Pavie
où il était renfermé, Ludovic le More, qui avait déjà le pouvoir ducal entre
les mains, le retint avec le titre de duc de Milan, que Louis d'Orléans
continua de porter concurremment, comme une déclaration de guerre permanente.
Ludovic le More, meurtrier de son neveu, consolida son usurpation par sa
politique. Ses deux sœurs étaient mariées, l'une à Guillaume, marquis de
Montferrat, l'autre à Alfonse, fils aîné de Ferdinand Ier, roi de Naples et
de Sicile. Son père, Francisque Sforza, s'étant fait investir du Milanais par
le pape Pie II, qui n'avait pas le droit de donner cette investiture
appartenant à l'Empire, il voulut la recevoir une seconde fois de Maximilien,
qui n'était pas encore couronné empereur ; puis, apprenant que le duc
d'Orléans avait dit dans Asti : Voici le
temps de faire valoir les droits de Valentine Visconti, mon aïeule ! il entra dans la ligue contre
le roi Charles VIII, qu'il avait pratiqué de venir en Italie à conquérir le
royaume de Naples. L'avènement de Louis XII au trône de France lui annonça qu'il aurait affaire à un plus roide et moins ployable
ennemi, et ne
lui permit pas même d'espérer quelques années de répit. Louis
XII avait si bien préparé les événements que son armée était prête à passer
les monts, au mois de juillet 1499, pour entrer dans le Milanais, tandis que
Ludovic, qui manquait de troupes, malgré les ressources de ce riche duché,
invoquait les promesses de son allié l'empereur Maximilien, et se voyait
incapable de soutenir la guerre contre le roi de France et en même temps
contre les États voisins, qui le haïssaient. La conduite perfide du More, dans l’embrasement de Pise, qu'il avoit suscité et nourri entre les Florentins et les
Vénitiens qui convoitaient la possession de cette ville, lui avait surtout
mérité une haine incroyable de la part des deux républiques de Venise et de
Florence, impatientes de se venger de ses embûches, de son ingratitude et de
ses grosses injures. Le traité que Venise avait fait avec Louis XII étant
tenu secret, Ludovic, qui 11 en connut les clauses que plusieurs mois après
sa conclusion, essayait encore de faire mouvoir le parti qu'il avait dans le sénat
vénitien, où Melchior Trevisano prodigua en vain son éloquence pour démontrer
que l'intérêt de la république n'était pas d'avoir
un roi de France seigneur de l'État de Milan. Aussitôt qu'il eut perdu tout
espoir du côté de Venise, il se tourna du côté des Florentins, auxquels il
demanda un secours de trois cents hommes d'armes, en s'engageant à seconder
de tout son pouvoir leur expédition contre Pise ; mais les Florentins, qui
étaient en pourparlers avec le roi de France, résolurent de garder la
neutralité, et de tenir en espérance le duc de Milan. Ludovic savait combien
peu compter sur l'aide de Maximilien, tant
par son naturel variable, que pour l'empêchement de sa guerre avec les
Suisses ; et,
en effet, Maximilien, qu'il entretenoit
toujours de nouveaux deniers, venait de prolonger la trêve avec la France, pour tout le mois
d'août. Certain de n'être pas secouru du roi des Romains, si cette guerre ne
finissait par victoire ou par accord, Ludovic envoya le comte de Gaiazzo en
ambassade auprès de l'assemblée des Ligues, à Lucerne, afin de négocier la
paix qu'il voulait conclure, pour l'amour
des Ligues,
nonobstant le traité que Louis XII avait signé avec les Suisses ; il fit
solliciter plus vivement cette paix par un archevêque, qui n'épargnait argent
ni autre chose nécessaire au succès de sa mission, laquelle échoua contre la
loyauté brutale des descendants de Guillaume Tell. Ludovic
eût réclamé la protection du pape si Alexandre VI n'avait pas appelé si haut
l'arrivée des Français en Italie : il s'adressa d'abord à son beau-père,
Hercule d'Est, duc de Ferrare, qui s'excusa de le secourir, en disant que les
terres des Vénitiens étoient si proches
des portes de Ferrare, que c'étoit force qu'il entendît à la garde de sa
propre maison.
Il ne se fiait pas davantage à la bonne volonté de Frédéric, roi de Naples,
qui lui avait promis quatre cents hommes d'armes et mille cinq cents hommes
de pied commandés par Pierre Colonna ; mais l'impuissance et la longuerie de
ce faible allié eussent empêché, dans tous les cas, l'effet d'une si belle
promesse. Ainsi abandonné de tous, Ludovic tenta de se jeter dans les bras du
sultan des Turcs, Bazajet II, qui faisait de lui-même de très grands
appareils contre Venise. Ce sultan détestait le nom français depuis la
conquête de l'Italie par Charles VIII, car il avait alors grandement
appréhendé que la Grèce ne fût envahie par ce roi victorieux. Ludovic raviva
les mêmes craintes dans l'esprit crédule de Bajazet, auquel il fit croire que
l'expédition de Louis XII n'était qu'une croisade pour chasser les Turcs de
l'Europe. Le sultan agréa donc les propositions d'un prince chrétien, qui
l'appelait aux armes contre des chrétiens, et il hâta l'équipement de la
flotte ottomane. Louis
XII venait de faire adhérer le pape à son traité avec les Vénitiens, en
s'engageant à guerroyer contre les vicaires de l'Eglise et à conquérir les
villes d'Imola, Pesaro, Forli et Faenza pour en faire le domaine de César
Borgia. Ferdinand, roi d'Aragon, consentit dès lors à un partage secret du
royaume de Naples avec le roi de France, qui n'avait pas pris sans dessein
les titres de roi de Naples, de Jérusalem et de Sicile, dans tous les actes
de sa chancellerie ; car, le n décembre 1498, il avait écrit à la Chambre des
comptes, pour demander copie des testaments de René de Sicile et de Charles
d'Anjou, ainsi que certaines pièces concernant les droits de la maison
d'Anjou sur les royaumes de Naples ct de Sicile. Le roi, — qui haïssoit merveilleusement Ludovic Sforza, à cause des
injures qu'il avait reçues de lui pendant le siège de Novare, suivit avec
empressement le conseil de l'ambassadeur du canton d'Uri, qui l'invitait à commencer la guerre plus tôt que faire se pourrait, car,
ce faisant, toutes les entreprises de Ludovic tourneront à néant. Il partit pour Lyon, avec le
duc de Valentinois, qui s'intitulait César
de France, le
cardinal de la Rovère, le cardinal d'Amboise et ses autres familiers ; en
passant à Romorantin, il alla voir la reine, qui s'y était retirée depuis que
la peste (on nommait ainsi toute maladie épidémique) avait gagné la ville de
Blois. Mais bientôt le mal se déclara dans Romorantin même, et beaucoup
d'officiers de la maison royale en furent atteints, sans que la reine essayât
de fuir le danger qui marchait aussi vite qu'elle. Anne de
Bretagne était enceinte, et cette grossesse comblait de joie Louis XII, qui
était bien aise de justifier ainsi son divorce avec une épouse stérile.
Cependant il ne témoignait pas moins d'amitié à son neveu, le petit duc
François d'Angoulême, âgé de cinq ans, qu'on devait appeler Monseigneur
jusqu'à la naissance d'un dauphin ; il n'aurait pas tenu plus grand compte de cet enfant et de sa sœur aînée Marguerite, âgée
de six ans, s'il eût été leur propre père, car le fils et la fille du feu duc
d'Angoulême avaient été élevés de si bonne sorte par leur mère, Madame Louise
de Savoie, que leur éducation faisait beaucoup d'honneur à cette sage veuve :
ils étaient très accomplis, plaisants et
agréables à ceux qui les regardoient, et le roi, qui les avait fait venir, l'année
précédente, à Chinon, avec la comtesse d'Angoulême, qu'il recueillit
doucement et amiablement, les retrouvait avec le même plaisir, à Romorantin :
François, déjà s'échauffant aux récits de beaux faits d'armes ; Marguerite,
déjà curieuse de s'instruire dans l'art de bien dire ; François, précoce
chevalier, et Marguerite, rêveuse et spirituelle dame. Le roi
avait reçu avis que l'archiduc d'Autriche, Philippe, comte de Flandre et de
Bourgogne, fils de l'empereur Maximilien, allait lui faire hommage, entre les
mains du chancelier de France, pour les comtés- de Flandre, Artois et
Charolais ; cérémonie toute féodale, qui était étrange au commencement du XVIe
siècle, et qui ne se répéta plus, du moins avec cette fidélité des
traditions. Pendant que Maximilien, roi des Romains, attendait à la tête de
son armée allemande les Français en Italie, son fils Philippe, dit le Beau,
cohéritier de la couronne d'Espagne, venait en personne s'humilier, comme
feudataire du roi Louis XII, devant un grand officier de la couronne de
France. Guy de
Rochefort, accompagné des seigneurs de Ravestein et de la Gruthuse, de
plusieurs maîtres des requêtes de l'Hôtel, de plusieurs conseillers et
procureurs du Parlement, sortit de Doullens, dans l'après-dînée du 29 juin,
afin de se rendre en la ville d'Arras, où l'archiduc devait se trouver, ainsi
qu'il était convenu, après avoir levé tous les obstacles qui s'opposaient à
l'exécution des arrêts du Parlement de Paris en Flandre, spécifié les délits
dont la connaissance appartenait à la justice du roi, et promis de ne jamais
refuser assistance aux officiers de son suzerain. Le chancelier et son
cortège étaient à cheval ; devant lui, le chauffe-cire, portant le scel sur
son dos, marchait entre les rois d'armes Montjoie et Normandie, vêtus de
leurs casaques armoriées ; l'huissier du Grand Conseil, tenant sa masse
découverte, les précédait. L'évêque de Cambray, Thomas de Plèvres, chancelier
de l'archiduc ; le comte de Nassau, le seigneur de Fiennes, et autres
gentilshommes de sa cour et de son conseil vinrent à la rencontre du
chancelier, représentant le roi, et lui firent grandes révérences et grand
accueil ; messire Thomas de Plèvres dit, de la part de son maître, aux
seigneurs de France, qu'ils fussent très
bien venus, et autres belles, bonnes et douces paroles. Le chancelier les remercia moult honorablement, et ils continuèrent à cheminer ensemble. L'archiduc,
monté sur une belle mule d'Espagne, attendait, à l'entrée des faubourgs
d'Arras, la venue des seigneurs de France : il était parti de l'abbaye de
Saint-Waast, avec une magnifique escorte de chevaliers et d'écuyers, qui se
rangèrent en double haie pour faire place au chancelier et à sa suite.
L'archiduc ôta son bonnet, et ayant poussé sa mule vers Guy de Rochefort,
l'embrassa en disant : Comment se porte
monsieur le roi ? —
Très bien, grâces à Dieu ! répondit le chancelier, qui
s'était découvert à l'exemple de l'archiduc. Après avoir salué gracieusement
messires de Ravestein et de La Gruthuse, ainsi que les sieurs des Requêtes et
gens du Conseil du roi, l'archiduc, qui avait remis son bonnet sur sa tête en
exigeant que Guy de Rochefort se couvrît également, fit placer à sa droite le
chancelier, qu'il honorait à l'égal du roi lui-même, et ils entrèrent côte à
côte dans Arras, dont la population grossissait sur leur passage. L'archiduc
mettait la main à son bonnet toutes les fois qu'il adressait la parole au
chancelier, jusqu'au cloître de la grande église, et là ils se séparèrent,
l'archiduc pour retourner à l'abbaye de Saint-Waast, le chancelier pour loger
à la maison épiscopale, où le comte de Nassau avait ordre de le conduire. Le 5
juillet, à dix heures du matin, le chancelier de France, qui était dans sa
chambre avec ses assesseurs, fut averti que l'archiduc arrivait ; il n'alla
pas au-devant de lui. Deux fois les chambellans et secrétaires de l'archiduc
vinrent lui annoncer que le prince entrait dans l'Évêché ; le chancelier,
pour ce, ne se mût ; enfin, lorsqu'on lui affirma que l'archiduc était dans
la grande salle tapissée et appareillée pour la cérémonie, il quitta sa
chambre, vêtu d'une robe de velours cramoisi, le chapeau sur la tête,
l'huissier du Grand Conseil, sa masse haute, écartant la foule qui était si
épaisse qu'à peine se pouvoit-on tourner, et criant à trois ou quatre
reprises : Devant, devant ! faites place ! Les hérauts d'armes, les
maîtres des requêtes et les notaires du roi faisaient escorte au chancelier,
qui commanda à l'un de ses secrétaires, nommé Jean Amys, de rédiger le
procès-verbal de cette mémorable séance. Le
chancelier s'approcha d'une chaire parée, couverte de fleurs de lis, et
élevée de deux marches ; l'archiduc, qui l'attendait au bas de l'estrade, ôta
son bonnet respectueusement et dit : Monsieur,
Dieu vous doint le bon jour ! Le chancelier, sans dire mot, porta la main à son chapeau et s'assit.
Alors un roi d'armes répéta trois fois, à voix haute : Faites paix ! — Monsieur, dit l'archiduc, qui se
présenta tête nue et inclinée, je suis venu
devers vous pour faire hommage que tenu suis de faire à Monsieur le roi,
touchant mes pairie et comtés de Flandre, Artois et Charolais, lesquels tiens
de Monsieur le roi, à cause de sa couronne. Le chancelier, toujours assis et couvert,
s'enquit s'il avoit ceinture, dague ou
autre bâton (arme) ; l'archiduc leva sa robe, qui était sans ceinture, pour prouver qu'il n'avait pas
d'armes, comme il le déclara. Le chancelier lui mit les deux mains entre les
siennes, et ne souffrit pas que l'archiduc s'agenouillât, selon la vieille
coutume. Il suffit de votre bon vouloir, lui dit-il, en le soulevant par les mains qu'il tenoit. Puis il ajouta la formule de
l'hommage, pendant que l'archiduc s'efforçoit de plier les genoux. Vous devenez homme du roi, votre souverain seigneur, et
lui faites foi et hommage lige, pour raison des pairie et comté de Flandre,
et aussi des comtés d'Artois et de Charolais, et aussi de toutes autres
terres que tenez et qui sont mouvans et tenus du roi à cause de sa couronne ;
lui promettez de le servir, jusqu'à la mort exclusivement, envers et contre
tous ceux qui peuvent vivre et mourir, sans nul réserver ; de procurer son
bien et éviter son dommage, et vous conduire et acquitter envers lui comme
envers votre souverain seigneur ? — Par ma foi, ainsi le promets
et ainsi le ferai !
répondit l'archiduc. — Et je vous y reçois,
sauf le droit du roi en autres choses et l'autrui en toutes, répliqua le chancelier en le
baisant à la joue. Ensuite l'archiduc demanda lettres de réception de son
hommage, et le chancelier, ayant ordonné que ces lettres fussent dépêchées aussitôt,
se leva de son siège, ôta son chapeau et même son bonnet (sa calotte de
velours), salua
humblement l'archiduc et lui dit : Monsieur,
je faisais naguère office de roi, représentant sa personne, et de présent je
suis Guy de Rochefort, votre très humble serviteur, toujours prêt de vous
servir, envers le roi mon souverain seigneur et maître, en tout ce qu'il vous
plaira de me commander.
— Je vous remercie, monsieur le chancelier,
répondit l'archiduc, et vous prie qu'en tous mes affaires envers mondit sieur
le roi, vous me veuilliez toujours avoir pour recommandé. Louis
XII fit son entrée à Lyon le 10 juillet, et les habitants de cette ville,
joyeux de posséder le roi dans leurs murs, le reçurent avec beaucoup de
solennité, en s’efforçant de lui signifier
heureuse fortune
au voyage qu'il entreprenait contre les Lombards. Les rues étaient tendues de
fines tapisseries ; les juges, les officiers et le clergé de la cité, accoutrés par honorable état, vinrent au-devant de lui. On
avait préparé sur son passage plusieurs beaux mystères, et l'air retentissait
partout d'harmonieux chants ; on apporta en pompe, du
couvent des Cordeliers, le chef de saint Bonaventure, que la dévotion des
âmes pieuses avait doté d'une châsse d'argent. Le roi n'avait pas encore
l'intention de passer lui-même en Italie, quoique le bruit en courût : il
n'était venu a Lyon que pour voir l'ordre et police de son ost (armée), la
montre et le nombre de ses soudards ; puis il s'en retourna en poste à
Romorantin, sur la fin de juillet, après avoir partagé le commandement de
l'armée entre trois lieutenants généraux : Jean-Jacques Trivulce, Milanais de
naissance, grand capitaine italien,
toutefois très bon François, auquel le roi se fioit fort, tant pour sa
vaillantise et ses mérites, que pour la grande inimitié qu'il portait à
Ludovic ; Louis
de Luxembourg, seigneur de Ligny, ce bon maître du chevalier Bayard, ce
vaillant capitaine, de la nourriture
duquel sont sortis trente vaillans et vertueux capitaines, et le seigneur Stuart
d'Aubigny, écossois, qui fit grand honneur
à sa nation, en
méritant d'être appelé grand chevalier sans reproche, de même que Bayard et
La Trémoille. L'armée, qui réunissait toute la fleur de chevalerie et
noblesse de France en moult triomphant arroi, partit de Lyon avant le roi,
franchit avec l'artillerie la croupe des montagnes, et arriva en moins de
quinze jours à sa destination. Qui, aux rais
du soleil, a dit
Brantôme, eût vu les armes reluire, les
étendards au vent branler, les gros chevaux aux champs bondir et faire
carrière à toutes mains, tant de lances, piques, hallebardes et autres
enseignes de guerre, par chemin ; tant de gendarmes, piétons, artillerie et
charrois en avant marcher, bien eût pu dire sûrement que assez de force y
avait pour conquérir tout le monde ! Les
troupes s'assemblaient autour de la ville d'Asti, et c'était un pas sage
continuel de gens de guerre par le Piémont ; il y eut bientôt cinq mille
Suisses sous l'enseigne de l'ours de Berne, quatre mille Gascons ou
aventuriers, et quatre mille autres recrues de toutes les provinces de
France, qui fournissaient moins de milice que la Gascogne, cette pépinière
d'intrépides soldats. Outre ces différents corps d'infanterie, enrôlés sous
de vaillants chefs, à qui on payait tous les mois le prêt de leurs hommes
qu'ils devaient présenter bien en point dans une montre ou revue, la
gendarmerie du roi, composée de seize cents lances, sous seize capitaines,
selon l'ancienne ordonnance de Charles VII, formait plus de six mille
chevaux, chaque lance fournie étant de -quatre ou cinq personnes, savoir :
l'homme d'armes, presque toujours noble ; deux ou trois archers armes et
montés à la légère pour sa défense ; un coutillier spécialement chargé de porter
la coutille ou dague de son maître, et de
lui tendre une autre lance, nommée bois, dès qu'il avait rompu la sienne,
enfin un gros-varlet ou page, à qui était confié le soin des chevaux. Ludovic
Sforza, qui s'étudioit coutumièrement de
se montrer plus prudent que les autres, avec des inventions dont on ne
s'avisoit pas,
sachant que le secours promis par le roi de Naples serait lent à venir et que
les Français approchaient, essaya de retarder au moins cette guerre qu'il
jugeait inévitable. Il adressa donc à Jean-J acques Trivulce plusieurs
Milanais, parents de ce capitaine, pour le prier d'offrir au roi la
succession du duché de Milan, que lui, Ludovic, conserverait, sa vie durant,
mais que ses enfants, deux ans après sa mort, restitueraient à la couronne,
de France, et, de plus, deux cent mille ducats, pour les frais de l'armée
française qui allait entrer en campagne. Ces propositions, que Louis XII eût
peut-être acceptées par amour de la paix, furent retirées, sur les instances
de Maximilien, qui promettait de venir en l'aide de son allié. Ludovic
employait l'entremise de son beau-père, Hercule, duc de Ferrare, pour se
réconcilier avec les Vénitiens, et réclamait l'appui des Florentins, à qui
les menaces du roi de France avaient imposé une rigoureuse neutralité. Il
s'était privé d'un de ses meilleurs serviteurs, le marquis de Mantoue, en lui
refusant un reste de vieille solde, pour satisfaire la jalousie de Galéas de
Saint-Severin, qu'il avait nommé son lieutenant : il envoya ce dernier au-delà
du Pô, avec seize cents hommes d'armes, cinq cents chevau-légers, dix mille
Italiens et cinq cents Allemands d'infanterie. Ces forces étaient plus
considérables que celles du roi ; mais le comte de Gaiazzo, frère du général
en chef, qui devait arrêter les Vénitiens, du côté de Brescia, ne commandait
qu'une petite compagnie. Enfin, Ludovic avait fortifié soigneusement les
villes de ses frontières, principalement Novare et Alexandrie, les premières
qui fussent exposées à l’insulte des Français. Tout
était prêt, à Asti, pour l'expédition ; mais d'Aubigny se trouvait tant grief et mal de sa personne, que, sans grand hasard
sur sa vie aventurer, ne pouvoit à cheval monter ; il se vit donc forcé de
rester entre les mains des médecins, et il remit son commandement au grand
maître de France Charles d'Amboise, seigneur de Chaumont, neveu du cardinal,
lequel voulut bien se charger du faix de la guerre. C'était un sage, vertueux et avisé seigneur, de grande vigilance et
entendant les affaires.
Le 13 août, à l'aube du jour, les trompettes réveillèrent la ville d'Asti :
l'artillerie et le charroi se mirent en chemin, les étendards furent dépliés,
les gendarmes montés à cheval, et sur le point de huit heures l'armée entra
en campagne, avec cinquante-huit pièces d'artillerie de différents calibres,
la plupart fort longues, comme l'indiquaient leurs noms de coulevrines,
serpentines et basilics, avec lesquelles on employait des pierres de grès plutôt que des boulets de fer : il y avait aussi
des bombardes, gros canons courts, sans affût, qui lançaient leurs
projectiles en ligne courbe pour incendier les villes, ou en ligne droite
pour renverser les murailles ; enfin des faucons ou fauconneaux, petites
pièces d'artillerie légère, au tir rapide et sûr. On
assiégea d'abord la forteresse d'Arrazo ; l'artillerie qui la battait en
brèche eut bientôt découragé les cinq cents hommes de la garnison. Les gens
de pied de l'armée assiégeante se jetèrent à la brèche, tandis qu'on
parlementait avec le gouverneur, et le château fut emporté, pillé et
incendié. Ludovic Sforza, toujours temporiseur, avait cantonné ses troupes
dans les places fortes, sans mettre sur les champs la moindre armée pour
arrêter la marche des Français. La ville d'Anone, par son assiette, aurait pu
soutenir un siège, mais la garnison sortit à la rencontre des envahisseurs et
les attaqua résolument, quoiqu'elle ne fût composée que de nouveaux levés.
Les Français, chassant devant eux cette milice mal aguerrie, entrèrent avec
elle dans la ville. Le capitaine Alphonse, qui était Espagnol, crut pouvoir
se défendre dans le château, où l'on ne montait qu'à l'aide d'une corde, seul
à seul, par un chemin étroit et roide comme une muraille. Mais les échéleurs donnèrent l'assaut, et en quelques heures les neuf cents hommes
de la garnison furent découpés et tranchés, sans qu'un seul tout vif en
réchappât, hors le capitaine. Le
seigneur Galéas de Saint-Severin, qui n'avait pu secourir Anone, parée que la
route lui était fermée par les gens de Trivulce, s'enferma dans Alexandrie à
la nouvelle du succès des armes françaises, en disant, que ses gens de pied ne valoient rien, et que les peuples
se montroient peu féables à Ludovic. Trivulce, en effet, avait des intelligences avec
les principaux capitaines du More, et il se dirigea, le long du Pô, sur
Valenza, ville forte, munie de soldats et d'artillerie, que Donato Raffagnino
avait promis de lui livrer. Mais Galéas de Saint-Severin, soupçonnant une
trahison, envoya son frère naturel Octavian, avec quinze cents combattants à
pied et à cheval, pour s'opposer aux mauvais desseins de ce gouverneur, qui,
vingt ans aupavarant, avait déjà trahi le petit duc Jean Galéas, en ouvrant à
Ludovic Sforza une des portes de Tortone. Le jour même anniversaire de sa
première perfidie, Raffagnino introduisit dans la citadelle de Valenza les
Français, qui s'emparèrent de la ville et tuèrent beaucoup de fuyards, qui
jetaient leurs armes en criant merci. Trois capitaines des Italiens furent
renvoyés sans rançon, et cette générosité du vainqueur ne contribua pas moins
que ses armes à la suite de ses victoires. Les Français, courant par le pays
comme un foudre, occupèrent, presque sans coup férir : Bassigriano, Piopera,
Voguera, Castel - Nuovo, et Sala. Le gouverneur de Tortone, Antoine-Marie
Pallavicino, abandonna cette ville forte, qui paraissait mal disposée pour la
cause de Sforza. Trivulce écrivit des lettres très amiables aux habitants,
qui lui envoyèrent les clefs de leur cité : il les louait de la bonne affection et servitude qu'ils portoient au roi
Très-Chrétien,
et annonçait, comme leur nouveau duc, un
seigneur juste, courtois et puissant pour les défendre, qui avoit moyen de
les maintenir, sans avoir affaire de leurs biens ni richesses. Les
Français étant maîtres du Pô et des rivières qui s'y jettent, ainsi que des
villes et de tout le pays autour d'Alexandrie, qu'ils n'assiégeaient pas
encore, Ludovic Sforza perdit non moins le courage que le conseil, et fit une
assemblée de ses seigneurs dans le château de Milan. Les plus influents de
cette assemblée étaient son frère le cardinal Ascaigne, le cardinal Frédéric
de Saint-Severin, frère du comte de Gaiazzo, et Hippolyte d'Est, archevêque
de Milan, qui n'avaient pas jugé prudent de rester à Rome auprès du pape
allié des Français. Tous les seigneurs présents s'engagèrent, corps et biens,
à soutenir la guerre, de concert avec leur souverain, et on signala plusieurs
traîtres, vendus au roi de France ; mais Ludovic, quoique certain de leurs
complots, n'osa pas en faire justice,
comme de gens félons,
et s'abstint d'user de rigueur, dans la crainte de s'aliéner les premières
familles du Milanais. Il ordonna d'enrôler tous les hommes en âge de porter
les armes ; et Bernardin-Baptiste Corio fut chargé d'organiser cette levée en
masse, qui ne s'opéra pas sans difficultés et sans murmures. Alors Ludovic,
qui sentait le besoin de se concilier les esprits, convoqua le peuple de
Milan, qu'il avait tant de fois irrité par d'iniques exactions : il allégea une
partie des tailles, et, pour se justifier publiquement du reproche d'avarice
qu'on lui avait adressé souvent, il protesta que son projet ne fut jamais
d'amasser un trésor, mais de parer aux nécessités de la guerre qui ne cessait
de menacer sa principauté ; il manifesta le désir de rendre la paix à ses
peuples et se félicita de leur avoir donné du moins quelques années de grande
prospérité ; il se vanta d'avoir gouverné sans aucune cruauté, d'avoir écouté
les griefs de tous ses sujets, et d'avoir indifféremment
fait à chacun bonne et brève justice ; il leur remit en mémoire le gouvernement
glorieux et paternel de son père, pour les supplier de repousser la superbe et insolente seigneurie des François, de défendre la patrie, par
horreur des mœurs barbares et inhumaines, contre ces étrangers, de leur naturel plus impétueux à assaillir que constans à
persévérer ;
enfin, les encourageant par la promesse d'un secours efficace que leur
enverraient bientôt le roi de Naples et le roi des Romains, il fonda tout son
espoir sur la foi de son peuple, et porta un défi à la toute-puissance de
France. Ces paroles adroites ne firent pas sortir une seule épée du fourreau
en sa faveur, car dès longtemps son nom
étoit odieux à tous les peuples de la duché de Milan. Cependant
l'armée vénitienne, sous le commandement de Nicolas Petigliano, avait déjà
commencé la guerre, malgré l'approche d'une flotte Ottomane que Bajazet
envoyait sur les côtes de l'Adriatique ; la province de Ghiara d'Adda était
le théâtre de succès aussi prompts et aussi brillants que ceux obtenus par
les Français : les villes et châteaux de Mozanigna, Caravaggio, Treviglio,
Rivoltaseca et Brignano tombèrent coup sur coup au pouvoir de Nicolas
Petigliano, qui vit les troupes de Ludovic se retirer sans combattre ; car
Ludovic, plus inquiet de la marche de l'armée française que des succès
obtenus par les Vénitiens, avait rappelé ses capitaines, François-Bernardin
Visconti et François de Saint-Severin, comte de Gaiazzo, avec ordre de
protéger Pavie et de secourir Galéas de Saint-Severin, qui allait être
assiégé dans Alexandrie ; mais le comte de Gaiazzo avait traité secrètement
avec le roi de France : il ne se pressa pas d'opérer sa jonction avec son
frère Galéas et resta immobile, sous prétexte de faire jeter un pont sur le
Pô. Peu de mois auparavant, les intelligences de plusieurs seigneurs milanais
avec la cour de Louis XII avaient été dénoncées à Ludovic, qui ne voulut pas
croire à tant d'ingratitude de la part de ses
plus familiers
qu'il avait comblés d'honneurs et de biens innumérables,
et se priver, par un soupçon, du service de gens fidèles. Le
siège d'Alexandrie n'avait pas été résolu sans de grands débats entre
Trivulce et le comte de Ligny, qui se disputaient pied à pied le commandement
de l'armée : Trivulce voulait marcher droit à Milan, sans assiéger Alexandrie
; car il voyait, disait-il, les finances diminuer, les vivres enchérir, et la
froide saison approcher. Ligny objectait, au contraire, que, la conquête
ayant été si bien commencée, la cité
d'Alexandrie ne devoit rester en arrière, de peur que cette ville, maîtresse de la route de
France, gardât souvent de dormir ceux qui
bon métier (besoin) en auroient. L'opinion du comte de Ligny
avait toujours la prépondérance dans les conseils ; la nuit même,
l'artillerie fut taudissée, chargée,
assise et affûtée
devant les fossés, à un jet d'arc de la ville, malgré une pluie continuelle
qui avait rempli d'eau les tranchées, et la canonnade commença avec un fracas
si épouvantable qu'il semblait que Vulcain
eût mis en besogne tous les marteaux de sa forge : on ne voyait que du feu et de
la fumée ; tours et créneaux volaient en poudre, et la brèche fut si
largement ouverte que trois cents hommes y
eussent passé de front.
Alors, pour combler les fossés, serviteurs et laquais apportèrent des fagots
et des ramées, sans se soucier des pierres et
des traits, auxquels ils ne répondaient que par des sauts de joie et des
gambades, car ils ne demandaient que le pillage, impatients d'entendre le cri
de l'assaut. Galéas
de Saint-Severin n'avait pas l'espoir de conserver la ville, où la faction
guelfe s'agitait sourdement, depuis que l'artillerie française foudroyait les
remparts ; il recevait des lettres de Ludovic, qui le pressait de sortir
d'Alexandrie, et quoiqu'il excellât à
manier un coursier et courre en tournoi et joute avec grosses lances, il ne possédait aucune des
qualités nécessaires à un général d'armée : on l'avait pourtant préféré à son
frère le comte de Gaiazzo, qui en conçut de la jalousie. A minuit, Galéas
prit la route de Milan, par voies obliques et chemins écartés, avec un petit
nombre d'amis. Le bruit s'étant répandu, le matin, que la garnison n'avait
plus de chefs, aussitôt chacun d'aller aux portes en tumulte. Le désordre et
la terreur se mirent partout ; douze cents hommes d'armes, douze cents
chevau-légers et trois mille hommes de pied se pressaient pêle-mêle, effarés
et désarmés, dans les rues pour se cacher et dans la plaine pour s'enfuir.
Galéas de Saint-Severin ayant fait rompre le pont derrière lui, le fleuve
arrêtait les fuyards : ceux-ci étaient dévalisés dans les maisons par les
habitants eux-mêmes, ceux-là détroussés et faits prisonniers hors des murs
par les Français. Cependant les Allemands de la garnison obtinrent un
sauf-conduit, et Yves d'Alègre fut chargé d'occuper la ville, tandis que le
vidame de Chartres, Saint-Amadour, et d'autres capitaines garderaient les
portes pour empêcher l'entrée des gens de pied, dont on redoutait les
violences ordinaires ; ces gens-là, voyant que les premiers entrés avoient mis la main aux boutiques, pénétrèrent, à la foule, par l'ouverture des murailles, au nombre de sept à huit
mille, en disant qu'ils auroient du butin. Le comte de Ligny se jeta seul
au-devant d'eux, l'épée à la main, et les chargea à tour de bras, en leur
faisant défense d'aller plus loin, sous peine de la hart ; ses menaces ne
furent pas plus écoutées que celles du seigneur de Saint-Simon, qui, du haut
d'une fenêtre, leur ordonnait de se retirer ; deux ou trois flèches
sifflèrent aux oreilles du comte de Ligny, et les piétons passèrent fièrement
devant lui, arbalètes bandées, piques et hallebardes sur l'épaule. Alors
la licence n'eut plus de frein : on brisait les portes, on enlevait les
meubles et les marchandises : la chose
étoit bien de peu d'estime, pesante ou chaude, qui après eux fut mise en
reste ; si les reliques de leurs prédécesseurs qui en Alexandrie furent occis
eussent été en argent et en châsse, en grand hasard étoient les charniers de
rester vides. Tout ce qu'ils purent par force prendre et emporter leur sembla
de loyal acquit.
Enfin ces soudards ivres, pour mieux célébrer la loi cruelle de guerre, mirent
le feu dans Alexandrie et la désolèrent, comme une ville prise d'assaut, en y
promenant, pendant un jour entier, le meurtre, le pillage et l'incendie,
malgré les efforts que fit Trivulce pour empêcher ces horreurs, qui
réveillèrent la vieille haine des Italiens contre les Français. Cette
affreuse catastrophe ne fut vengée que par le supplice des principaux acteurs
du hutin (mutinerie), que Trivulce fit pendre, pour l'exemple de tous. Le
désastre d'Alexandrie avait jeté une telle panique parmi la garnison, qu'elle
ne profita pas de la capitulation qui lui était promise, et qu'elle se
dispersa de tous côtés. Ces pauvres gens étaient tant éperdus et affolés, qu'ils se laissaient emmener plus doucement que
brebis : tel homme d'armes du parti du roi avait cinq ou six prisonniers ;
tel archer, quatre ou cinq ; tel coutillier ou tel valet, deux ou trois.
L'effroi gagna si rapidement tout le pays d'alentour que le seigneur de
Saint-Vallier, avec vingt-cinq lances, se rendit maître de Vigevano, et le
seigneur d'Aubigny, avec dix lances, de deux autres petites villes des
environs. Pendant
que Trivulce travaillait à détacher Gênes de l'alliance sforjesqite par
l'entremise de Baptistin de Campo-Fregoso et de Jean-Louis de Fiesque,
secrets partisans du roi de France, les Français marchaient sur Pavie, et les
Vénitiens, ayant passé l'Adda sur un pont de bateaux, faisaient des courses
jusque sous les murs de Lodi ; les villes se soulevaient l'une après l'autre
; la confusion et la crainte n'étaient pas moindres dans la capitale : on
accusait hautement le More des malheurs de cette guerre que personne n'avait
à cœur de soutenir. Et lorsqu'il voulut pourvoir
au besoin futur,
en arrachant aux notables de la cité tout
l'emprunt que possible pourroit, il n'obtint d'eux que des promesses tant que ces
otages furent sous sa main dans le château où il les avait attirés ; mais,
quand il les eut relâchés, il ne reçut que des insultes au lieu de l'argent
qu'il attendait, et son trésorier général, Antoine Landriano, qui avoit la ruineuse commission de demander les deniers, fut massacré, en plein midi, dans
la grande rue, par des gentilshommes qui
se disoient francs de tout subside. Ludovic commença à se mélancolier, quoique Milan
fût une des plus belles et fortes places,
garnie de vivres, artillerie et autres choses nécessaires pour la tenir un an
contre une grosse puissance. Il assembla au château ceux auxquels il se fiait le plus et
s'efforça de les rassurer, en leur disant que son allié Maximilien ne pouvait
l'abandonner ; que l'empereur était déjà en marche avec une bonne armée, et
que lui, pour faire honneur à cet allié fidèle, il se proposait d'envoyer ses
enfants à la rencontre des Impériaux. Il fit partir, en effet, pour Côme, ses
deux fils Maximilien et François-Marie, l'un âgé de neuf ans, l'autre de
sept, sous la conduite de son frère Ascaigne, du cardinal de Saint-Severin,
de Perceval Visconti et de Louis Marliano, médecin et gouverneur des jeunes
princes. Il fit aussi partir avec eux son trésor, qui, bien diminué depuis
huit années, chargeait encore plus de trente mulets. Tranquille désormais sur
le sort de ses enfants et de ses richesses, il confia — nonobstant que tous les siens l'en détournassent — à Bernardin de Corte, qu'il avoit nourri d'ancienneté, la garde du château de Milan,
malgré l'offre que son frère, le cardinal Ascaigne, lui avait faite de
s'enfermer avec lui dans cette forteresse, et de s'y défendre jusqu'à la
dernière extrémité. Il désigna les principaux citoyens qui gouverneraient la
ville en son absence, et chercha, par des dons et des bienfaits, à fortifier
la fidélité chancelante de ses courtisans. Il eut l'air de vouloir réparer
avec éclat quelques injustices en rendant, à l'illustre maison des Borromée,
Anghiara, Arona, et d'autres terres sur le lac Majeur, qu'il s'était
appropriées, et en donnant à Isabelle de Naples, veuve du dernier duc Jean
Galéas, les principautés de Bari et de Rossano, quoique cette princesse eût
refusé de livrer son fils François à l'empoisonneur de son mari. On assure
qu'avant de quitter Milan il avait fait assassiner deux de ses neveux,
Galéas, comte de Melzo, et Alexandre Sforza, qu'il craignait de laisser
derrière lui, en abandonnant la couronne ducale à la foi des seigneurs et à
la merci du peuple. Ludovic
sortit de Milan, les yeux pleins de larmes, le 2 septembre, accompagné du
cardinal d'Est, du comte de Gaiazzo et de Saint-Severin, avec une escorte de
quatre mille hommes d'armes et de pied, que commandait Luc Malvezzo. A peine
était-il en route pour Côme, que le comte de Gaiazzo lui déclara, en face,
qu'il renonçait à toutes ses charges et s'estimait dès lors libre de ses
serments, puisque le duché de Milan n'avait plus de duc à qui obéir. Après cet
abandon déloyal, le comte de Gaiazzo passa au service de France, avec la même
compagnie qu'il avait ordonnée à la solde de Ludovic, et se mit aussitôt à la
poursuite de son ancien maître. Ce malheureux prince était arrivé à Côme, où
il ne se trouva pas en sûreté, quoiqu'il y fût reçu par les habitants avec un
reste de déférence ; car, dès qu'il leur eut fait rendre la citadelle, un
chanoine l'avertit qu'on avait dessein de le livrer au comte de Gaiazzo qui
approchait. Cette nouvelle acheva de l'accabler ; comme tourmenté de peines
mentales, à voix désolée et regard éploré, il dit à ceux qui ne l'avaient pas
encore abandonné, que mieux lui venait à gré
par le parti des Français être vaincu et chassé, que par la force des
Vénitiens perdre un seul pied de terre ; que si les gens d'armes de Venise
leur faisaient la guerre, que pour mourir à eux ne se rendissent ; mais
qu'aux Français, sans faire défense, de bon vouloir se rendissent, car la
puissance d'iceux ne pourrait durer. Il monta sur une barque, avec laquelle il
traversa le lac de Côme jusqu'à Bellagio, et longeant les montagnes, toujours
suivi de près par le comte de Misochio,le grand écuyer Châtillon et le
sénéchal d'Armagnac, qui lui donnoient la
chasse, il se
cacha, la nuit, dans une grotte. C'est en arrivant à Insprück, où séjournait
Maximilien, qu'il apprit l'entière conquête de son duché par les Français et
les Vénitiens. Milan
n'avait attendu que le départ de Ludovic pour envoyer une ambassade au camp
français devant Pavie et pour faire mettre
ses clefs aux mains du roi, par les plus suffisans de la cité, qui prêtèrent serment
d'obéissance. C'est alors que Pavie ouvrit ses portes ; mais aucun piéton n'y
entra, pour éviter le renouvellement du sac d'Alexandrie. Trivulce, assisté
du vidame de Chartres et du seigneur d'Aubijoux, était allé en personne prendre
possession de la ville et du château. Le comte de Ligny et les seigneurs
furent logés à la Chartreuse, et l'armée porta son camp dans le parc de
Pavie, où le plus mince goujat put se donner le plaisir de la chasse, que les
ordonnances de Louis XI ne permettaient pas même aux gentilshommes en France
: plus de cinquante bêtes fauves et trousses furent prises, à course de
cheval, en un seul jour. L'armée se remit en marche le lendemain et alla
camper autour de Milan. Le comte de Gaiazzo, le seul traître de sa famille,
et trois cents chevaux, des mieux en point, vinrent à la rencontre des
Français ; ils représentèrent que les marchands,
banquiers et autres riches craignaient que les piétons, composés de gens de toutes nations
et capables de toute espèce de violence, n'entrassent dans la ville, où leur
présence causerait une insurrection populaire. Trivulce promit d'éloigner à
cinq ou six milles la plus grande partie de l'armée ; puis, suivi d'un petit
nombre de gentilshommes et de gens d'armes, il fit son entrée dans Milan, où
ses parents l'accueillirent avec joie, et ses connus, avec honneur. Cependant
le château paraissait vouloir tenir ; c'était une des plus avantageuses places du monde, environnée de larges fossés,
bien munie de tours, boulevards, murs, avant-murs, forts, contreforts, saillies, retraites, contre-mines, poternes et autres défenses ;
approvisionnée de vivres pour deux ans, ayant une garnison de trois mille
hommes et douze cents pièces d'artillerie. On nommait ainsi toutes les armes
à feu, canons à main, Petites coulevrines, grosses haquebuttes, etc. Les
apprêts du siège commencèrent, lorsque les capitaines du château eurent
répondu à la sommation de se rendre : que
bien garderoient la place et que vivant, sans leur merci, n'y entreroit. Douze cents hommes d'armes et
seize mille piétons de l'armée française furent introduits dans la ville, qui
n'eut pourtant à se plaindre d'aucun désordre, tant la discipline de
chevalerie était bien menée. Les assiégés envoyaient quelques décharges de
traits — on désignait par-là toutes sortes de projectiles —, qui ne faisaient
pas grand mal aux taupins ou pionniers occupés à creuser les tranchées et
approches, à construire les taudis pour abriter les archers, et à asseoir
l'artillerie pour battre le fort de la Roquette ; mais, au moment d'entamer
les opérations du siège, Trivulce signa la capitulation, et le château fut,
le jour même (14 septembre),
rendu au seigneur de Ligny, au chevalier de Louvain et au sire de
Poquedenare, qui s'y logèrent avec leurs bandes, en se promettant que trop plus difficile seroit à Ludovic reconquérir cette
forteresse qu'elle n’avoit été aux François facile à prendre, sans tirer une seule volée de
canon. Ce fut grâce à la trahison de Philippin de Fiesque, nourri et élevé
par le duc, qui l'aimait et le traitait comme son propre fils, que ce château
imprenable passa au pouvoir du roi de France. Fiesque avait dissuadé le
gouverneur du château, Bernardin de Corte, de rester fidèle à Ludovic, et
traita lui-même de la reddition de la place, de concert avec Pallavicino,
qui, traître lui-même, travaillait à faire des traîtres. Bernardin de Corte
s'était laissé gagner par la promesse d'une grosse somme de deniers, d'une
compagnie de cent lances, d'une pension perpétuelle et de plusieurs autres
grâces et privilèges ; mais sa déloyauté inspira une telle horreur, même aux
Français qui en profitaient, que, rejeté et fui d'un chacun, comme dangereuse
et abominable bête, moqué partout avec paroles pleines d'opprobre, tourmenté
de la honte et de la conscience, il ne put survivre à son infamie et mourut
bientôt de douleur. Le
château rendu, Milan se mit en fête, soit par haine de Ludovic, soit par
amour des Français, soit plutôt par crainte de perdre ses robes (biens).
Depuis que le duc en était sorti, les armoiries de Sforza avaient été
abattues ou effacées sur le fronton des palais et des églises ; la plupart
des maisons furent décorées des armes de France ; grands et petits se
parèrent de l'enseigne de la croix blanche, en signe de joie et de paix ;
dans les rues et sur les places, chacun criait : France ! France ! et n'y avoit ni Guelfe ni Gibelin qui
pour l'heure ne fût bon François. La prise de Milan avait amené celle de Gênes et
de Crémone. Gênes, que Ludovic espérait du moins conserver sous son autorité,
se révolta contre ses gouverneurs, par les menées des Adornes et de Louis de
Fiesque, qui livrèrent la ville au roi, avec l'assentiment du peuple. Crémone
eût suivi volontiers l'exemple de Gênes et reconnu le roi de France pour
seigneur ; mais cette ville devant appartenir à Venise, qu'elle abhorrait, le
roi ne voulut pas accepter la soumission qu'on lui offrait de plein gré et
enfreindre par là son traité avec les Vénitiens : ceux-ci s'emparèrent donc
de tout le Crémonais jusqu'aux bords de l'Adda. Ainsi fut achevée, dans
l'espace de vingt jours, la conquête du Milanais, tandis que les Florentins,
qui assiégeaient Pise avec toutes leurs forces depuis deux mois, étaient
contraints, par la peste, autant que par la résistance des Pisans, de lever
le siège, et se vengeaient de cet échec en faisant décapiter Paul Vitelli,
leur général. Le roi,
qui avait pris joyeux séjour, avec la reine, à Romorantin, ne fut pas moins
étonné que la France du prompt succès de ses armes : l'expédition de Charles
VIII en Italie n'avait point été plus rapide, et celle de Louis XII semblait
devoir produire des avantages plus durables. Le roi partit donc, vers la fin
du mois d'août, pour prendre possession de son duché de Milan, et voyageant,
selon son habitude, avec grande rapidité, il arriva, huit jours avant la
Saint-Michel, à Novare, qu'il avait défendue naguère en personne contre ce
même Ludovic, maintenant vaincu et fugitif. Il se reposa quelques jours à
Novare, et de Vigevano il alla faire son entrée à Pavie, où l'exercice studieux de toutes les Itales florit : docteurs, régents, écoliers
de l'Université, potestats et gouverneurs de la ville,
avec toute' la commune, le reçurent en accueil
honorable. Ce fut
le dimanche 6 octobre, vers trois heures après midi, qu'il entra dans Milan :
le cardinal-légat de Saint-Pierre-aux-Liens, huit ou dix évêques, tous les
collèges de la cité, le duc de Ferrare, le marquis de Mantoue, les comtes de
Gaiazzo, Bernardin de Corte, les seigneurs de Carpi et de Corese, tous les magnats et principaux gubernateurs, avec toute la noblesse, tout
le clergé et tout le peuple, allèrent à sa rencontre, a un mille hors des
murs, et le ramenèrent processionnellement dans la ville, aux cris de France ! France ! aux sons des gros tabourins, des fifres et des
clairons. Le cortège du roi était magnifique : les cent Allemands de sa
garde, armés de leurs halecrets (corselets d'acier poli), la pique sur l'épaule,
marchaient les premiers, ensuite, les quatre cents archers du roi et ceux de
la reine, avec leurs habillemens de cuivre, étaient conduits par les
seigneurs de Crussol, de La Châtre, Saint-Amadour et Goqueborne ; après eux,
deux cents gentilshommes de la maison du roi et de celle de la reine, sur de
gros chevaux ; puis les vingt-quatre archers du corps. Le roi, vêtu d'une
robe blanche, coiffé d'une toque royale, montant un genet d'Espagne, moult avantageux, était précédé du comte de Guise, sur un coursier
gris ; du comte de Ligny, habillé de velours cramoisi, sur bon roussin bayard, avec houssure pareille ; du duc de Valentinois, en
état moult seigneurieux ; du comte de Dunois, du sire
de La Trémoille, et de Gaston, infant de Foix. Aux côtés du roi et à l'ombre
du poêle blanc semé de fleurs de lis d'or qu'on portait au-dessus de sa tête,
chevauchaient en bel arroi (ordre) le duc de Savoie, le cardinal
d'Amboise, le duc d'Albanie, Philippe de Ravestein, et d'autres grands
seigneurs de la cour. Derrière l'arrière-garde, formée de deux cents
pensionnaires du roi, une Multitude de peuple se pressait confusément, avec
de bruyantes acclamations. L'arc triomphal sous lequel passa le roi était
tout fleurdelisé d'or : l'image de saint Ambroise, patron et défenseur du
pays, le surmontait, et des hommes sauvages et monstrueux soutenaient
l'écusson mi-parti de France et de Bretagne, autour duquel se lisait cette
inscription : Loys, roi des François, duc
de Milan. Les
rues étaient tendues de blanches draperies et ornées d'écussons semés de
fleurs de lis et d'hermines, avec des guirlandes de verdure ; on ne voyait
nulle part la guivre héraldique tenant un enfant rouge dans sa gueule, cette
antique devise qu'un vicomte de Milan, nommé Othon, emprunta, dit-on, dans la
première croisade, à un Sarrazin qu'il avait vaincu ; mais partout le lis verdoyant florissoit. Le plus rare ornement de cette
entrée triomphale et solennelle, c'était une légion de belles et plaisantes
dames, qui des fenêtres jetaient des regards plus luciférens et plus
délectables que les rais du soleil qui à l'heure matutinale resplendit : on
ne se lassait pas d'admirer tant de superbes femmes, remarquables par l'éclat
de leurs yeux, ainsi que par leurs épaisses chevelures artificiellement
éparses sur le visage, par leurs habillements de drap d'or et de soie tout
découpés, par leurs manteaux à riches bordures tissues de couleurs bigarrées,
et par tous les charmants prestiges des modes italiennes. Le roi suivit la
grande rue jusqu'à Notre-Dame du Dôme, il descendit à la cathédrale, pour
faire sa prière, pendant qu'on chantait Te Deum laudamus, et il se
remit en marche, au bruit des instruments de musique. Il fut introduit, par
Trivulce, dans le château, dont l'aspect formidable l'étonna. En voyant ces
six puissantes tours encloses de larges fossés comblés d'eau, cette autre
tour, dite la Roquette, imprenable et invincible, cet arsenal plein
d'armures, suffisantes pour armer deux mille hommes, ces deux mille pièces de
machines de guerre, outre quatre très grosses bombardes, enfin ces amas de
munitions qui avaient été vaines et inutiles, il s'écriait émerveillé : Le diable m'emporte ! ils eussent facilement défendu cette
place l'espace de plusieurs années ! La ville de Milan offrit au roi plusieurs dons
d'acceptable munificence, qui furent présentés, pour entremets, pendant le
souper. D'autres banquets splendides, auxquels Louis XII assista, eurent
lieu, les jours suivants, chez les comtes Borromée et chez Jean-Jacques
Trivulce ; mais le roi, impatient de terminer les affaires d'Italie, et de
revenir en France, où il avait laissé la reine près d'accoucher, ne voulut
pas prêter l'oreille, comme Sardana palus, à convis épulaires et féminins
blandices (invitations de festins et séductions de femmes). Il se conduisit
avec une si chaste réserve, qu'on ne le soupçonna jamais d'avoir violé son
mariage. Les
républiques et les roitelets d'Italie, effrayés du formidable voisinage que
leur avait donné une victoire si prospère et si peu sanguinolente, envoyèrent
des ambassadeurs et des présents au roi, pour lui faire fête et
congratulation de son bonheur. Les Florentins, qui avaient failli embrasser
la cause de Ludovic, ne furent point les derniers à briguer l'alliance du
vainqueur, et, dès le 12 octobre, leurs envoyés s'empressèrent de signer un
projet de traité, qui devait être ratifié à dix jours de là. Dans ce traité,
les Florentins se déclaraient amis du roi
et de ses amis,
à savoir : le pape, les Vénitiens et autres
que le roi nommera dedans un mois ; le roi, de son côté, promettait un secours de
six cents hommes d'armes et quatre mille hommes de pied, pour la tuition et défense de la seigneurie de Florence ; quand il plaira au roi
faire l'emprise du royaume de Naples, les Florentins devaient lui fournir
cinq cents hommes d'armes et payer 30o,ooo écus destinés à solder cinq mille
Suisses ; en outre, ils s'engageaient à à lui restituer tout l'argent que
leur avait prêté Ludovic. Les Florentins se conformaient aux désirs du roi,
en acceptant pour général le frère du cardinal- de Saint-Pierre aux Liens,
qui avait rédigé lui-même ces conditions d'alliance. Louis XII reçut enfin
sous sa protection le marquis de Mantoue, auquel il donna une compagnie de
cent lances et le collier de Saint-Michel. Hercule d'Est, duc de Ferrare, qui
avait attendu l'issue de la guerre pour se séparer ouvertement de Sforza, son
gendre, ne fût pas si facilement reçu en grâce par le roi, qui lui gardait
rancune d'avoir voulu défendre le château de Gênes. Annibal Bentivoglio, fils
du seigneur de Bologne, acheta fort cher son pardon, après avoir renoncé à
servir la cause perdue de Ludovic. Le collier de Saint-Michel, des pensions
et des compagnies d'armes furent les témoignages de ce royal oubli des
injures, qui fit bientôt chérir et respecter le nom de Louis XII par toute
l'Italie. Après
les seigneurs, vinrent les poètes du pays, qui composèrent plusieurs dits, chansonnettes et joyeux libelles, à la louange et
exaltation du
roi victorieux Louis XII, qui aimait la science, aimait aussi les savants ;
il faisait sa lecture favorite des Commentaires de Jules César et des
Oraisons de Cicéron, car la langue latine lui était si familière qu'en
passant par Pavie il avait désiré assister à une leçon du célèbre
jurisconsulte Jason Maino, auquel il donna en récompense un riche château.
Philippe Decius et François della Corte, autres légistes fameux, n'eurent pas
moins à se louer de sa libéralité et
courtoisie.
Plusieurs hommes distingués, que recommandait leur renommée scientifique ou
poétique, eurent l'honneur de s'asseoir à sa table et de l'entretenir
familièrement. Il distribuait des pensions aux littérateurs et aux artistes,
augmentait les gages des professeurs et enrichissait les collèges.
L'influence du cardinal d'Amboise se fit sentir également sur la terre
classique des lettres et des arts. Ce fut lui qui appela auprès du roi les
écrivains capables de concourir à la gloire de la France par leurs ouvrages,
les architectes par leurs monuments, les peintres et les sculpteurs par leurs
images et leurs tableaux. Un élève de Jason Maino avait illustré une chaire
d'éloquence à Turin ; mais ce jeune gentilhomme, nommé Claude de Seyssel,
mécontent de sa fortune, était rentré dans l'obscurité en échangeant son
bonnet de docteur contre un casque de soldat ; Georges d'Amboise, qui entendit
vanter son savoir et sa gentillesse
d'esprit, le
fit venir et l'attacha au Conseil du roi en qualité de secrétaire. Claude de
Seyssel ne s'était encore occupé que de théologie et de rhétorique ; il
s'adonna dès lors à la politique, et il écrivit bientôt en français aussi
élégamment qu'en latin : la carrière que lui ouvrit son éminent protecteur le
conduisit rapidement aux grandes charges administratives et aux dignités
ecclésiastiques. Ce
n'est pas le cardinal d'Amboise, mais l'évêque de Paris, Étienne Poncher, qui
recommanda au roi l'historien Paolo Emilio, résidant alors à Rome, et cet
historien, tout plein de l'étude de Tite-Live et de Tacite, fut envoyé en
France, avec une pension et un bénéfice, afin d'y rédiger en latin les
annales du royaume, quoique Robert Gaguin eût déjà publié un abrégé (compendium) fort estimé de ces annales ;
mais Robert Gaguin, général de l'Ordre des Mathurins et bibliothécaire du
roi, s'était mis en disgrâce par son zèle à soutenir les privilèges de l'Université,
et d'ailleurs, la bonne latinité n'existant qu'en Italie, Paulus Æmilius,
comme il s'intitulait complaisamment, passait pour l'historien le plus
éloquent, non seulement des modernes, mais même des anciens, qu'il laissoit bien loin derrière lui. La langue latine n'avait pas
encore été détrônée par la langue française, dans la poésie comme dans
l'histoire. Si Charles VIII avait ramené en France Faustus Andrelinus, poète
creux et emphatique, qui devint professeur à l'Université de Paris, Louis XII
voulut transplanter dans sa cour un autre poète non moins célèbre, Geronimo
Pallavicino, évêque de Novare, dont les vers latins étaient préférés dans les
écoles d'Italie à ceux de l'Enéide et de la Pharsale. Louis
XII, qui, en arrivant à Milan, commença
par sa libéralité,
ne pouvait s'empêcher de suivre le penchant de son caractère généreux : au
lieu d'un million six cent huitante-six
mille livres tournois
d'impôts, que le More levait chaque année sur le Milanais, il se contenta de
six cent vingt-deux mille cinquante livres, et supprima le reste des
gabelles. Mais le peuple, démesuré dans
ses désirs,
tint peu compte de cette diminution d'impôts, par l'espérance qu'il avait eue
de ne plus payer aucune dace (taxe à son nouveau duc). Le roi crut aussi, en flattant
l'orgueil des nobles, les attacher à son autorité en abolissant les
ordonnances rigoureuses qui leur défendaient la chasse au vol et à courre.
Autrefois le duc Galéas Visconti, qui possédait de belles meutes de chiens, en divers bourgs et villages où
ils étaient tous nourris aux dépens des paysans, avait été si passionné pour le
déduit de la chasse, qu'il ne permettait pas même aux seigneurs de s'y livrer
dans leurs domaines, et que plus il inventait de nouveaux ébats, tels que des
léopards à cheval derrière des hommes, qui
sailloient et prenoient les lièvres à la course, plus il se montrait jaloux de
son divertissement favori, que personne n'avait le droit de prendre sans son
aveu. Louis XII, qui, malgré sa passion pour la vénerie,
se proposait de réformer en France les terribles édits de Louis XI contre les
délits de chasse, affranchit les nobles Milanais de certaine grande somme de deniers, qu'ils payaient pour obtenir
seulement permission de voler les cailles et perdrix aux éperviers, et il
leur octroya le privilège de nourrir des chiens dans leur chenil, des oiseaux
dans leur fauconnerie. Ensuite,
il s'occupa de récompenser ses bons serviteurs, auxquels il distribua des
seigneuries, des terres, des titres et des pensions : il donna la ville de
Vigevano et plusieurs autres places à Jean-Jacques Trivulce ; le château de
Pozzoli à Yves d'Alègre, qui s'était grandement employé à la conquête de
Milan ; à Geoffroy Carie, la présidence du Parlement qu'il avait créé dans la
capitale du duché, à l'instar des Cours souveraines de France ; à Baptistin
Fregoso, qui avait moyenné la soumission de Gênes, il confia le gouvernement
de cette cité, sous les yeux d'un vice-roi, qui fut Philippe de Ravestein,
son oncle maternel. Il releva plusieurs bonnes et illustres maisons
lombardes, que la haine du More avait fait déchoir de leur rang ; il restitua
les biens confisqués, il rappela les exilés, et s'attacha même, par des
bienfaits, tous les amis de Sforza, excepté deux ou trois mauvais garçons,
qui lui étaient signalés comme ayant la conduite des affaires de Ludovic.
Louis XII se servait des traîtres et les méprisait ; néanmoins il acquitta
tous les engagements secrets contractés en son nom, et il ne contesta aucune
promesse d'argent, de terres ou de charges, faite à ceux qui avaient livré la
plupart des villes du Milanais. Le comte de Gaiazzo, dont la défection fut un
coup mortel pour la cause de Sforza, n'avait demandé que la conservation de
tous ses biens, situés dans le Crémonais : la république de Venise, maîtresse
du territoire de Crémone, essaya de s'approprier les riches domaines du comte
; mais le roi prit à cœur cette affaire, et répondit, en grande colère, aux ambassadeurs vénitiens, qu'il avait donné le
Crémonais à leur république, mais qu'il avait en même temps promis au comte
de Gaiazzo de lui rendre sa possession,
comme il le montrera, car il veut tenir ce qu'il promet. Les ambassadeurs n'osèrent lui
résister. Ce bon
prince savait que les peuples gagnent plus
par la douceur et raison de loi, que par la rigueur et effort des armes : il publia donc des édits très
sévères pour réprimer la licence de ses soldats, qui, sous prétexte de
rechercher les partisans du More, menaçaient la vie et la fortune des habitants,
surtout dans les campagnes ; défense fut faite d'inquiéter en aucune manière
les personnes soupçonnées de tenir à la faction des Gibelins ou des Sforza.
Certains gens d'armes français, de moyenne noblesse, coupables de viol,
furent punis de mort, par l'ordre exprès du roi. Anne de
Bretagne, qui résidait toujours à Romorantin avec Louise de Savoie, duchesse
d'Angoulême, accoucha d'une belle fille, dans l'après-midi du 13 octobre. La
naissance de cette fille qu'on nomma Claude, parce que la reine l'avait vouée
à saint Claude, qu'on invoquait à l'article de la mort et dans toute
circonstance périlleuse, n'enleva pas au petit François d'Angoulême le titre
de Monseigneur, ni les droits de plus proche héritier de la couronne. Le roi
reçut cette nouvelle, dans une ville voisine de Milan ; il témoigna une grande joie, parce que, dit-il, c'est un bon espoir d'avoir des fils, depuis qu'on a eu
des filles.
Cependant l'accouchement de la reine, dont toute la France se réjouissait
avec le roi, fut accompagné et suivi de fâcheux présages, que la crédulité
populaire eut bien soin de remarquer. Depuis plusieurs mois, les pluies
continuelles, qui empêchaient la vigne de mûrir, avaient apporté quelque augure et prédiction de malheur à venir. Une épidémie, qui régnait en
plusieurs provinces, s'était déclarée à Paris et y avait fait assez de
ravages, pour que le Parlement, à cause de
la peste dont en divers lieux on se meurt, suspendit toutes les affaires civiles, afin de
besogner continuellement aux prisonniers, qui, entassés dans les geôles,
couraient plus de dangers d'être atteints par la maladie. Mais la chute du
vieux pont Notre-Dame, à Paris, qui eut lieu le 29 octobre, sembla un
événement de mauvaise fortune, plus grave encore que la peste. Louis
XII avait hâte de retourner dans son royaume ; il voyait les Milanais
heureux, en apparence, d'avoir changé de maître, et il fût parti plus tôt,
s'il avait pu, en moins de trois mois, assurer sa conquête au dedans comme au
dehors. Les Turcs, que Sforza avait appelés à son secours pour donner de
l'occupation aux Vénitiens, pénétraient, par les montagnes, dans l'Istrie ;
tandis que leur flotte, battue à Lépante par Antoine Grimani, général de
l'armée vénitienne, continuait d'assaillir les côtes de la Grèce, qui
appartenait à la République de Venise. L'armée ottomane pilla et ravagea le
Frioul jusqu'à Livenza, rasant les villes à fleur de terre, emmenant la
population en esclavage ; mais les Turcs revinrent bientôt sur leurs pas, de
peur de ne pouvoir conserver le butin et les prisonniers qu'ils traînaient
après eux : poursuivis de près par des forces imposantes, en arrivant à
l'embouchure du Tagliamento, ils se débarrassèrent, avec le cimeterre, des
vieillards chrétiens qui gênaient leur marche ; et, ne réservant que les
captifs capables de suivre attachés à la queue des chevaux, ils disparurent
dans les défilés inaccessibles des monts de la Dalmatie. Le doge Antoine
Grimani, accusé de n'avoir pas fait tous ses efforts pour arrêter les courses
des Turcs, qu'il avait vaincus deux fois sur mer, fut exilé à perpétuité dans
l'île d'Ossaro. Louis XII prêta aux Vénitiens un secours de troupes, qui
guerroyèrent contre celles de Bajazet, en Morée, de manière à rendre
redoutable le nom de Francs, que les mahométans appliquaient
à tous les chrétiens, et dès lors on put juger, à l'horreur et à l'effroi
inspirés par le Turc, qu'une croisade de la
chrétienté, non pour la délivrance de Jérusalem, mais pour la destruction du règne de Mahom, pouvait être entreprise par le roi de France, le seul prince que cette nation craint et que les ennemis
de Jésus-Christ attendent par leurs prophéties devoir exterminer leur loi. Ce projet de croisade,
entretenu par les sollicitations d'Aimery d'Amboise, grand prieur de France,
et frère du cardinal, semblait toutefois impossible à réaliser, tant qu'un
pape, allié des Turcs, occuperait le trône pontifical. Le roi,
néanmoins, n'avait pas été mal soutenu, dans l'expédition du Milanais, par
Alexandre VI, qui, sans lui laisser le temps de consolider Sa nouvelle
autorité, réclama l'aide qu'il avait promise au duc de Valentinois, pour
soumettre les vicaires de l'Église. L'institution de ces vicaires remontait à
l'époque où la Cour de Rome, transportée à Avignon, avait perdu les
principales villes de la Romagne, usurpées par des seigneurs, que les papes
reconnurent ensuite pour feudataires, afin de garder un reste de pouvoir sur
les anciennes possessions du Saint-Siège ; mais les petits tyrans
héréditaires qui gouvernaient ces villes n'avaient pas tardé à les détacher
du domaine apostolique, à refuser obéissance à la suzeraineté du pape, à ne
lui payer aucun tribut, et même à porter les armes contre le souverain
pontife qui leur donnait l'investiture. Faenza Forli, Imola et Rimini étaient
les vicariats qu'Alexandre désirait faire rentrer sous sa juridiction, pour
les grouper en une seule principauté et les approprier ainsi à son fils César
Borgia. César
Borgia obtint l'appui militaire que le roi s'était engagé à lui fournir :
trois cents lances, sous les ordres d'Yves d'Alègre, et quatre mille Suisses,
commandés par Antoine de Bessey, bailli de Dijon, entrèrent en campagne, le
12 novembre, et entreprirent d'abord la conquête du comté d'Imola, possédé
par Catherine, sœur bâtarde de Ludovic Sforza, veuve du comte Geronimo. Les
places de ce comté, bien munies de soldats, de vivres et d'artillerie,
n'eussent pas redouté les assauts de l'armée du pape ; mais c'étaient des
Français qui vinrent assiéger Imola, qu'ils prirent de vive force, et ils
marchèrent ensuite sur Forli, qui les reçut à portes ouvertes. Le château de
cette ville, dans lequel s'était réfugiée, avec ses frères, dame Catherine
Sforza, qui sous corps féminin montra masculin courage, fut
défendu avec un acharnement incroyable, jusqu'à ce que les murailles, battues
par une canonnade de dix-huit heures, livrassent passage aux assaillants. Le
duc de Valentinois, voyant les capitaines
et hommes plus estimés des premiers à la charge, ne voulut tant son honneur
laisser écarter, que à l'affaire ne se trouvât : il descendit dans le fossé
comblé de fascines, mais il n'eut pas plutôt fait deux pas en avant, que
l'eau lui vint aux genoux : ce qui le
refroidit moult.
Après cet exploit, la comtesse étant prisonnière, ainsi que ses frères, et la
garnison ayant été abandonnée au tranchant du glaive, il se retira dans une
chambre haute, pour se désarmer et se coucher, pendant qu'au-dessous de lui
une salle basse, pleine de tonneaux de poudre, servait de taverne à trente
lansquenets à moitié ivres qui avaient allumé du feu pour boire et trinquer
plus chaudement ; à peine Borgia, averti du péril, eut-il quitté sa chambre,
que le bâtiment sauta en l'air avec les buveurs. La petite armée du duc de
Valentinois ne se reposa que quinze jours dans Forli, avant de se diriger
vers Pesaro, ville forte sur le chemin de Rome, mais les paysans des environs
incendièrent, pendant la nuit, les blés, les bois, les fourrages et les
maisons, pour affamer l’ost : du haut des montagnes voisines on n'apercevait
que feu et fumée, à plus de quatre mille autour. Louis XII croyait n'avoir rien à craindre des intrigues du More, à la cour de Maximilien, lorsque le roi des Romains eut compris, dans la trêve prolongée jusqu'au mois de mai suivant, le duché de Milan et tout ce que le roi de France posséderait en Italie ; il remit donc ses villes et ses châteaux à la garde de ses capitaines les plus fidèles et les plus vaillants. Jean-Jacques Trivulce, choisi pour lieutenant général du roi, devait résider au palais ducal de Milan, et l'honneur de ce choix tomba de préférence sur lui, tant à cause de sa vaillance et sagesse, que pour la haine qu'il avait vouée à la maison de Sforza et pour l'affection que lui portaient les Milanais ses compatriotes. Un brave Écossais, nommé Quentin, eut le commandement du petit château de Milan, dit la Roquette, avec quatre cents hommes de garnison, moitié Français et moitié Écossais, et le seigneur de L'Espy eut le commandement du grand château, avec quatre cents Français. Yves d'Alègre fut nommé gouverneur de Savone. Jean de Saint-Simon, gouverneur du palais de Gênes, et Guyon Le Roy, vice-amiral de France, s'établit, comme capitaine de mer, au châtelet, qui dominait la ville. Enfin l'armée, distribuée en garnison dans les forteresses, sous les ordres des meilleurs chevaliers de France, paraissait suffisante pour tenir en bride tout le pays, qui était fort paisible. |