LE MOYEN-ÂGE ET LA RENAISSANCE

TROISIÈME PARTIE. — BEAUX-ARTS

 

GRAVURE.

 

 

DEUX importantes découvertes eurent lieu presque simultanément au milieu du quinzième siècle. L'une est l'art de composer des livres en caractères mobiles : elle fut faite à Strasbourg, par Gutenberg, vers 1435. L'autre est l'art de tirer épreuve d'une gravure en creux sur métal : elle est due à Maso Finiguerra, qui la fit à Florence en 1452.

La plupart des auteurs qui se sont occupés de l'histoire de la Gravure ont prétendu que la Gravure sur métal provenait naturellement de la Gravure sur bois, qu'ils regardaient comme une invention faite en-Allemagne dans le commencement du quinzième siècle. D'autres ont fait venir cette précieuse invention, de la Chine, où elle était en usage dès l'an 1000 de Jésus-Christ. D'autres enfin affirment que l'art d'imprimer des planches de bois sur des étoffes, était exercé dans différentes parties de l'Asie, avant qu'on s'en occupât en Europe. En admettant ces hypothèses, il faudrait alors chercher à qui l'on doit l'importation de cet art vers le commencement du quinzième siècle, puisque c'est seulement à cette époque qu'on trouve des épreuves de gravures faites en Allemagne et en France.

La plus ancienne épreuve connue d'une estampe gravée sur bois, avec date, est un Saint - Christophe, sans marque et sans nom, portant une inscription latine et l'année millesimo CCCC XXe tertio. Cette pièce est si grossièrement gravée, elle est d'un dessin si défectueux, qu'il est naturel de penser qu'elle doit être un des premiers essais de la Gravure sur bois ; cependant nous croyons qu'on doit regarder comme antérieure encore une figure de la Vierge debout tenant l'enfant Jésus assis dans ses bras, et dont nous donnons ici une copie : le fond de la niche est une espèce de mosaïque, formée de quadrilatères en pointes de diamant ; les auréoles et les ornements de la niche sont coloriés en jaune un peu brun.

Une singularité de cette épreuve en prouve, d'ailleurs, la grande ancienneté : elle est tirée sur papier de coton, non collé, de sorte que l'impression traverse tellement, qu'on la voit presque aussi bien à l'envers qu'à l'endroit. La dimension de cette estampe est : haut., 0,21e ; larg., 0,09e.

C'est à M. Henin, savant collecteur d'estampes historiques, que nous devons la possession de cette pièce unique, conservée à la Bibliothèque Nationale ; c'est lui, aussi, qui a découvert à Lyon le fragment d'une feuille contenant plusieurs figures de cartes à jouer : cette feuille était collée dans la couverture d'un manuscrit in-4° sans aucune valeur, dont il fit l'acquisition ; ayant ensuite échangé sa trouvaille avec M. Colnaghi, marchand d'estampes à Londres, celui-ci l'a cédée, en 1833, à la Bibliothèque Nationale de Paris.

Ces cartes sont certainement de fabrique française, puisque les inscriptions qu'elles portent et les noms des figures sont tous écrits en français ; les figures sont gravées sur bois, imprimées avec une encre pâle un peu bistrée, puis coloriées au patron, ainsi que c'est encore l'usage aujourd'hui pour les cartes à jouer ; les couronnes des rois sont formées de fleurs de lis, et les costumes sont ceux du règne de Charles VII, qui monta sur le trône en 1422. Ces costumes, la couleur de l'encre et le caractère du dessin nous donnent presque la certitude qu'elles ont été exécutées dans la première partie du quinzième siècle. Elles se trouvent donc être un des plus curieux monuments de la xylographie. (Voyez le chapitre CARTES A JOUER, dans cet ouvrage.) Nous avons à signaler maintenant une suite de figures des douze Apôtres, que M. Henin nous a cédées, il y a déjà quelques années. Ces figures, rangées trois par trois sur quatre feuilles, sont de la même époque que les cartes dont nous venons de parler : toutes les figures sont debout, vêtues d'une tunique longue, recouverte d'un grand manteau ; l'encre est bistrée ; les manteaux sont coloriés en rouge ou en vert alternativement ; les auréoles en jaune, ainsi que les inscriptions imprimées au bas de chaque figure. Les apôtres portent les emblèmes qui les caractérisent, et ils sont entourés d'une longue banderole, sur laquelle est écrite en latin la phrase du Credo attribuée à chacun d'eux. Au-dessous de chaque figure, est écrit, aussi en latin, le nom de l'apôtre ; mais, ce qui mérite surtout notre attention, ce sont les commandements de Dieu écrits en vers français anciens, avec quelques abréviations, suivant l'usage adopté dans les manuscrits du quinzième siècle.

Ces pièces, que je crois uniques, n'ont jamais été décrites, et nous pensons être agréable à nos lecteurs en rapportant ici les noms latins des apôtres et les vers français qui sont au-dessous. Les phrases du Credo dont nous avons parlé ne laissent aucune incertitude sur l'ordre à suivre dans le placement des quatre feuilles. La copie des inscriptions, placées sous les apôtres, donnera une idée de l'ancienneté de ces gravures :

Aux première, septième et douzième figures, il manque des lettres que nous avons cru pouvoir suppléer par des italiques. Quant à la huitième légende, nous n'avons pu en rétablir le sens. Plusieurs expressions de ces légendes appartiennent au vieux dialecte picard.

D'autres gravures du milieu du quinzième siècle nous font connaître que, dès cette époque, les arts n'étaient pas étrangers à la France, et que par conséquent, parmi les pièces anonymes, il en est quelques-unes que l'on pourrait lui restituer, sans faire tort à l'Allemagne, si riche en monuments de ce genre. Nous citerons particulièrement six pièces de Bernard Milnet : une Vierge avec l'enfant Jésus ; la Flagellation de Jésus-Christ ; une pièce où sont réunis Saint Jean, Saint Paul et Sainte Véronique ; une Sainte Catherine à genoux ; Saint George et Saint Bernard debout. La manière extraordinaire employée par le graveur dans ces six pièces ne peut laisser douter un instant qu'elles ne soient toutes de la même main. Il n'y a ni traits, ni hachures ; le fond de la gravure est noir ; les lumières sont formées par une infinité de points blancs, plus ou moins multipliés et d'une dimension plus ou moins grande, suivant le besoin et le goût de l'artiste. Ce graveur ne paraît pas avoir eu d'imitateur, et l'on doit penser, en effet, qu'un tel travail présentait une grande difficulté d'exécution.

La figure de la Vierge porte le nom du graveur Bernard Milnet, et le Saint Bernard donne la date de 1454. La première de ces deux pièces a été trouvée par M. Hill, de Manchester ; l'autre avait été découverte dans les environs de Mayence, en 1800, par Maugerard, alors commissaire du gouvernement dans les départements au-delà du Rhin. La Sainte Catherine fut rapportée d'Allemagne, en 1816, par M. Dibdin, et en 1824 j'ai rencontré le Saint George, à Londres, dans le cabinet d'un amateur qui l'avait reçu de France quelques années auparavant. Nous ne savons où est main- tenant la figure de la Vierge. La Flagellation et le Saint Jean sont à Berlin ; les trois dernières pièces se trouvent à la Bibliothèque Nationale de France. Je ne connais pas d'autres gravures de ce maître.

Ces anciennes images sont maintenant fort rares, et pourtant elles étaient fort répandues à l'époque où elles ont été faites ; M. Michiels, dans son Histoire de la peinture en Flandres nous en fait comprendre les motifs, en rappelant que, dans ce pays, aux jours gras, selon nos anciens usages, les Lazaristes et les autres religieux qui soignaient les malades promenaient dans les rues un grand cierge orné de moulures, de verroteries, et distribuaient aux enfants des gravures sur bois, enluminées de brillantes couleurs, représentant des sujets saints ; il était donc nécessaire qu'ils en eussent une multitude.

Nous voici arrivés au seizième siècle ; la Gravure sur bois prit alors un immense développement, et les graveurs de cette époque eurent une grande supériorité sur ceux qui les avaient précédés. Nous devons même répéter ici ce qu'on a ignoré longtemps, c'est que les peintres ont souvent dessiné de leurs propres mains leurs compositions à la plume, sur la planche de bois elle-même ; ils y mettaient, dans ce cas, leur monogramme, et c'est ce qui fait qu'on a si souvent répété qu'Albert Dürer, Lucas de Leyde, Lucas Cranach et d'autres peintres avaient gravé sur bois ; c'est une erreur. Bartsch, dans son Peintre-graveur (t. VII, p. 12 à 22 et 235 à 239), a très-bien démontré que ces peintres habiles ont seulement dessiné leurs compositions, qui ont été gravées par des ouvriers auxquels on donnait le nom de formschneider, graveur de forme, c'est-à-dire de planches de bois.

Quoique la plupart des graveurs sur bois soient restés anonymes ou ne se soient souvent désignés que par des monogrammes, on peut cependant citer les noms de Jérôme-André et Wolfgang Resch ; Jean, Barthélemy et Corneille de Bonn ; Hans Frank ; Guillaume et Corneille Léefrenck ; Alexis Lindt, Josse de Negher, Vincent Pfarkecher, Jacques Rupp, Hans Scheufelein, Hans et Guillaume Taberith, JeanBaudoin Grun, que l'on nomme souvent Baldung, Jean-Ulric Pilgrim, George Erlinger et Nicolas Meldemann, cartier à Nuremberg ; puis, un peu plus tard, Christophe Jegher, qui a gravé d'après Rubens.

La Gravure sur bois avec des hachures a été fort peu exercée en Italie ; mais, dans le commencement du seizième siècle, des artistes habiles ont fait des gravures en camaïeu, à trois ou quatre planches, produisant, avec des teintes plates d'un ton plus ou moins intense, des estampes d'un effet fort remarquable et imitant les dessins au pinceau.

Les graveurs qui se sont le plus distingués dans cette manière sont : Hugues de Carpi, travaillant à Modène en 1518 ; Antoine de Trente, ou Antoine Fantuzzi, élève de François Parmesan, lequel travaillait à Bologne en 1530, et depuis à Fontainebleau avec le Primalice ; Jean-Nicolas Vicentini de Trente, né à Mantoue vers 1540, qui travaillait aussi chez le Parmesan concurremment avec Antoine Fantuzzi ; André Andréani ; et enfin, cent ans plus tard, Barthélemy Coriolano, qui travaillait à Bologne. Ce serait le dernier artiste italien qui se fût exercé dans ce genre, si on ne trouvait, plus tard encore, Antoine-Marie Zanetti, célèbre amateur vénitien. Jean Ulrich Pilgrim, dans le seizième siècle, et Louis Buzing, dans le dix-septième, ont gravé en Allemagne quelques gravures sur bois, mais à deux planches seulement : l'une donnant le dessin du sujet avec les contours et les hachures imprimés en noir ; l'autre imprimée avec une couleur ordinairement bistrée, sur laquelle on avait enlevé toutes les lumières, de manière à laisser paraître en blanc le fond du papier. Ces pièces imitent un dessin à la plume, rehaussé au pinceau, sur papier de couleur.

Revenant maintenant à la Gravure sur métal, nous allons repartir du quinzième siècle et de l'année 1452 ; car, ainsi que nous l'avons déjà dit, il ne reste plus maintenant d'incertitude sur l'époque à laquelle eut lieu, non l'invention de la Gravure sur métal, mais bien l'art d'imprimer ces estampes.

La première pièce à désigner et la plus importante est donc l'épreuve de la Paix, gravée sur argent, en 1452, pour l'église de Saint-Jean de Florence, qui la paya au graveur-orfèvre, Maso Finiguerra, soixante-six florins d'or (environ deux mille deux cents francs), y compris le poids du métal et celui des ornements qui entouraient la planche. La planche gravée originale est maintenant conservée au musée de Florence : elle représente l'Assomption de la Vierge. Jésus-Christ, assis sur un très-grand trône et coiffé d'un bonnet semblable à celui des doges, pose à deux mains une couronne sur la tête de la Vierge, qui est assise sur le même trône et qui s'incline vers lui, les mains croisées sur la poitrine ; saint Augustin et saint Ambroise sont à genoux ; au milieu du bas, à droite, sont debout plusieurs saintes, parmi lesquelles on distingue sainte Catherine et sainte Agnès ; à gauche, à la suite de saint Augustin, on voit saint Jean-Baptiste et d'autres saints ; des deux côtés du trône, plusieurs anges sonnent de la trompette, et dans le haut, d'autres soutiennent une banderole sur laquelle on lit : ASSVMPTA. EST. MARIA. IN. CELVM. AVE. EXERCITVS. ANGELORVM.

Cette précieuse épreuve faisait partie de la collection de Marolles, acquise par le roi en 1667 ; elle provenait, sans aucun doute, de celle de Claude Maugis, abbé de Saint-Ambroise, qui, ainsi que nous l'avons dit ailleurs, avait été aumônier de la reine Louise de Vaudemont, femme de Henri III, et qui fut envoyé à Florence pour accompagner la jeune reine Marie de Médicis. Son séjour à Florence et ses liaisons avec les Florentins que celle reine amena en France lui procurèrent, pour sa collection d'estampes, des ressources d'autant plus considérables, qu'à cette époque il n'avait presque aucun concurrent ; aussi, le cabinet des Estampes de la Bibliothèque Nationale de Paris, dans laquelle est entrée la collection de Claude Maugis avec celle de Marolles, est-il plus riche qu'aucune autre collection publique, dans la partie des anciens maîtres italiens. Longtemps oubliée parmi les anciennes estampes anonymes, l'abbé Zani de Parme la reconnut en 1797 comme une épreuve tirée sur la Paix d'argent de Saint Jean de Florence. C'est la seule pièce que l'on puisse attribuer d'une manière authentique à Thomas Finiguerra. Elle a été longtemps considérée comme unique ; mais, le 15 juin 1841, M. Robert Dumesnil en découvrit une seconde épreuve à la Bibliothèque de l'Arsenal : elle est collée à la page 109 d'un volume in-8° oblong relié en veau brun, reliure de la fin du dix-septième siècle, lequel, entre autres pièces, contenait des estampes de Jacques Callot et de Sébastien Leclerc. Il est à remarquer qu'on a enlevé de ce volume les pages 103 à 108 ; le voleur ignorant s'est arrêté à point : mais que contenait les pages enlevées ?... on ne le sait pas. L'épreuve de la Bibliothèque de l'Arsenal est sur un papier de mauvaise qualité ; mais elle est mieux conservée que celle de la Bibliothèque Nationale et elle a une marge de deux centimètres environ ; elle est aussi en encre grise, mais moins bien imprimée que l'autre : je la crois tirée, avant que la gravure fût entièrement terminée.

L'importance de cette pièce, la première estampe, a dû nous entraîner à en parler avec détail. Nous ne donnerons la description d'aucun autre nielle. Tous les nielles connus se trouvent décrits dans l'ouvrage que nous avons publié (Essai sur les nielles, gravures des orfèvres florentins du quinzième siècle, Paris, 1824, in-8°), au nombre de plus de quatre cents ; ces nielles tous très-rares, puisqu'il n'y en a que trente-neuf dont on connaisse deux épreuves, onze dont on connaisse trois épreuves, et huit seulement dont on connaisse quatre épreuves ; mais il est naturel de rappeler ici les principaux orfévres nielleurs, dont les noms nous sont parvenus : quelques-uns d'entre eux ont été aussi graveurs. Parmi les Florentins, on connaît Amerighi, Michel-Ange Bandinelli et Philippe Brunelleschi ; puis, Forzore Spinelli, d'Arezzo, qui travailla aussi à Florence ; François Furnio, Bartholomé Gesso, Geminiano Rossi et François Raibolini, le maître de Marc-Antoine, connu sous le nom de Francia, tous quatre de Bologne ; Teucreo et Jean Turino de Sienne, Caradosso et Daniel Arcioni de Milan, Ambroise Froppa de Pavie, Jacques Tagliacarne de Gênes ; Nicolas Rosa ou Rosex, dit Nicoletto, de Modène, dont on connaît trois nielles et qui a gravé plus de soixante estampes ; enfin Antoine Pollajuolo, qui a gravé aussi plusieurs estampes, dont une, dite la Bataille aux coutelas, représente dix hommes nus se battant ; Danti, Antonio ; Pierre Dini, dit Arcolano ; Gavardino, Léon-Jean-Baptiste Alberti, et Matthieu, fils de Jean Dei. En terminant cette liste, nous devons mentionner d'une manière particulière S. Peregrini de Cesène, dont le nom n'avait été cité par personne, lorsque nous l'avons fait connaître en 1819 : c'est, après Finiguerra, le plus habile des orfèvres-ciseleurs, et soixante-six nielles portent son nom et sa marque.

Parmi les graveurs de la fin du quinzième siècle, on trouve Barthélémy Baldini, ordinairement désigné sous le nom de Baccio ; c'est à lui qu'on doit une suite de vingt-quatre grands Prophètes, celles des douze Sibylles, des Planètes 3 et vingt vignettes pour la Divina Commedia du Dante, édition de Florence, 1481, in-folio ; Jérôme Mozzeto, dont on connaît dix gravures, toutes fort rares ; André Mantegna, habile peintre qui a gravé plusieurs de ses compositions, la plupart rares et recherchées ; Jean-Antoine de Brescia, dont on connaît plus de trente planches ; Benoît Montagna, Jules Campagnola et Robetta, un des derniers graveurs italiens du quinzième siècle.

Revenant à l'Allemagne, au milieu du quinzième siècle, nous aurons à parler d'abord d'un graveur, qui a souvent marqué, sur ses gravures, l'année 1466, avec les lettres E S, et auquel on a quelquefois, sans autres motifs que ces initiales, donné le nom d'Edouard Schœn, ou bien celui de Stern, à cause des étoiles qu'il a fréquemment employées dans la bordure des vêtements de ses figures. Le caractère de son dessin et de sa gravure ne permet pas de le confondre avec aucun autre graveur de la même époque. On le désigne ordinairement sous le nom du Maître de 1466. Bien certainement, il est Allemand. Barstch est tenté de le croire né en Suisse, parce qu'il a gravé deux fois le célèbre Pèlerinage de Marie de Einsilden. Deux autres motifs me font penser qu'il était Bavarois, car on a de lui une Figure de femme tenant de la main droite une bannière et soutenant de la gauche un écu écartelé aux armes de Bavière ; en outre, on voit dans la cathédrale de Munich un ancien tableau peint à l'huile, représentant un Calvaire : une des figures de soldat tient un guidon sur lequel sont tracées les lettres E S.

Ce graveur a fait près de trois cents pièces, la plupart de petite dimension, fort rares, et parmi lesquelles, indépendamment de diverses compositions très-curieuses, on doit faire remarquer deux suites importantes, savoir : un Alphabet composé de figures grotesques, et un Jeu de cartes numérales. L'Alphabet est complet dans le Cabinet de Munich : il n'y a que vingt-deux lettres à la Bibliothèque Nationale de Paris ; cinq dans la Bibliothèque impériale de Vienne ; seize dans celle de Dresde ; six dans celle de Berlin ; quinze dans la collection qu'avait M. Douce à Kensington, et quatorze, je crois, dans celle qu'avait formée M. Wilson à Londres. Quant au Jeu de cartes, il est bien plus rare encore ; on n'en rencontre que quatre ou cinq pièces ou des fragments dans quelques cabinets ; cependant M. Wilson avait réuni vingt-neuf cartes entières, qui ont été acquises depuis par la Bibliothèque Nationale de Paris. Ce jeu est composé maintenant de trente-sept cartes gravées ; il y en a onze dessinées d'après les originaux ; il en manque encore quatre, qui sont inconnues, pour que le jeu soit complet.

Le jeu est formé de quatre couleurs, ayant chacune quatre figures : roi, dame, chevalier et varlet, avec neuf cartes pour les points. Les couleurs sont remplacées par des figures humaines grotesques : des lions et des ours, des cerfs et des daims, puis des oiseaux de différentes espèces. La couleur sur les figures est spécifiée par un des animaux, placé indifféremment dans un des angles. Cent quatre-vingt-seize points auraient paru nécessaires ; mais le graveur n'en a fait que soixante-deux, sur de petites planches de formes et de grandeurs inégales et irrégulières, et ces points, lors de l'impression, ont été répétés suivant le besoin. Nous ne pouvons affirmer l'exactitude de ce dernier nombre, et nous devons faire connaître que six de ces cartes, le huit et le neuf des cerfs, le trois, le quatre, le huit et le neuf des oiseaux, sont des copies fort anciennes, sans aucun doute, mais dans lesquelles les points sont gravés sur une seule planche, au lieu d'être chacun sur une petite planche séparée, comme dans les cartes originales. L'œuvre de ce maître, que possède la Bibliothèque Nationale de Paris, est le plus nombreux et le plus riche qui ait jamais été rassemblé ; il contient deux cent cinquante pièces.

Nous avons à citer maintenant deux autres graveurs anonymes de la même époque, auxquels Bartsch n'a pas accordé d'articles séparés, quoique cependant ils eussent bien mérité cette distinction. L'un est certainement Hollandais, et j'ai vu l'année 1480, écrite à la main, il est vrai, sur une de ses pièces. Je l'ai donc désigné depuis longtemps sous la dénomination du Maître de 1480. Il n'a jamais employé ni initiales ni monogrammes. Le caractère de son dessin et celui de sa gravure lui sont tout à fait particuliers. On ne voit que rarement quelques pièces de ce maitre : le cabinet d'Amsterdam en possède pourtant soixante-seize. Il n'y en a que deux dans la Bibliothèque impériale de Vienne, cinq dans le cabinet de l'archiduc Charles, une seule à Berlin ; il n'y en avait qu'une seule à Londres en 1824, et deux chez le duc de Buckingham ; la Bibliothèque Nationale de Paris en possède six, savoir : Samson endormi sur les genoux de Dalila ; une Vierge debout sur un croissant et tenant l'enfant Jésus sur son bras gauche ; Saint George à pied, perçant avec son épée la gorge du dragon qui menaçait la vie de la reine de Lydie ; Deux amants assis l'un près de l'autre, pièce copiée par Israël van Mecken ; enfin, une Tête d'homme, sans barbe, la tête couverte d'un turban.

L'autre maître, également anonyme, a bien moins de mérite sous le rapport du dessin, qui est roide, et de la gravure, qui est fine, serrée et d'un médiocre effet. Ses compositions sont assez grandes et contiennent plusieurs personnages ; presque tous ont autour d'eux ou portent à la main de longues banderoles, sur lesquelles sont écrites en caractères gothiques des inscriptions ou sentences ayant rapport au sujet représenté.

Nous avons à parler maintenant des graveurs qui ont vécu jusqu'au commencement du seizième siècle, tels que François de Bocholt, Martin Schongauer, Israël van Mecken, Winceslas d'Olmutz ; puis, nous arriverons à une époque où brilleront à la fois, en Italie Marc-Antoine Baimondi, en Allemagne Albert Dürer, et en Hollande Lucas de Leyde. François de Bocholt, probablement né ou travaillant à Bocholt, dans l'évêché de Munster, a gravé une quarantaine de pièces, d'un dessin gothique et d'un burin maigre. Ce n'est pas le mérite de ses gravures, qui les fait rechercher, mais leur rareté et leur ancienneté ; elles sont souvent marquées F V B.

Martin Schongauer, longtemps désigné sous le nom de Martin Schoen, né à Colmar le 2 février 1499, était d'une famille patricienne d'Augsbourg. Il fut bon peintre et habile graveur. On connaît de lui plus de cent vingt pièces gravées sur cuivre, parmi lesquelles on doit citer, comme très-remarquables : le Portement de croix et une Bataille des chrétiens, conduits par l'apôtre saint Jacques contre les infidèles, grandes compositions en largeur, très-rares ; la Passion de Jésus-Christ, suite de douze pièces en hauteur, et la Mort de la Vierge, pièce d'un très bel effet ; puis, une pièce, aussi en hauteur, où l'on voit Saint Antoine tourmenté par les démons : Vasari rapporte que Michel-Ange possédait une épreuve de cette planche et qu'il l'avait coloriée, ce qui doit paraître singulier ; les Cinq vierges sages et les Cinq vierges folles, suite de dix petites figures debout ; enfin, deux pièces d'orfèvrerie : une crosse, de petite dimension, dans l'enroulement de laquelle est une figure de la Vierge assise tenant l'enfant Jésus dans ses bras, et enfin, un encensoir3 d'un très-beau travail et du meilleur goût.

Israël van Mecken fut peut-être élève de François de Bocholt, car 11 travaillait à Bocholt, avant 1500 ; on le croit mort en 1523. C'est, de tous les graveurs allemands, celui dont les travaux sont le plus répandus ; ses estampes passent le nombre de deux cent cinquante ; quarante sont copiées d'après celles de Schongauer. Il n'est pas probable qu'il ait été peintre ; mais il a gravé habituellement ses propres compositions, et il est inférieur à Martin Schongauer, tant sous le rapport de l'invention que sous celui du dessin et de la gravure. Cependant, parmi ses nombreux travaux, on doit signaler Jci son portrait, avec une grande barbe, et celui d'un autre Israël, sans barbe, ayant sa femme près de lui, probablement son père et sa mère ; Judith mettant la tête d'Holopherne dans le sac que tient sa servante, et la Danse d’Hérodiade., médiocres compositions en largeur, remarquables seulement à cause de leurs dimensions ; la Passion de Jésus-Christ, suite de douze estampes en hauteur ; le grand Portement de croix, copié d'après Schongauer ; deux Descentes de croix, en hauteur ; la Vie de la Vierge, suite de douze estampes en hauteur, sur l'une desquelles on voit l'année ; quatorze figures de la Vie de Jésus-Christ, seize de la Vie de la Vierge, d'après Schongauer ; trois suites des Apôtres, dont une de quinze pièces : les figures sont debout dans des niches ; l'autre, de douze pièces : petites figures sans fond ; et la troisième, de six pièces : les figures sont à mi-corps et réunies deux par deux ; Saint Grégoire apercevant l'Homme de douleur, au moment de la messe : il est à genoux devant le Saint-Sacrement ; cette composition, souvent répétée par les vieux maîtres, est gravée ici sur deux planches, qui réunies ont cinquante centimètres de haut — le motif de cette division en deux planches ne peut être causé que par la difficulté qu'il y avait alors en Allemagne à fabriquer des cuivres de cette dimension, car nous trouvons en Italie plusieurs planches beaucoup plus grandes — ; Saint Antoine tourmenté par les démons, copié d'après Schongauer ; Saint Luc faisant le portrait de la Vierge : on pense que, dans ce sujet, Israël van Mecken a représenté son père ; Sainte Odilie délivrant du purgatoire l'âme d'un roi ; enfin, un grand nombre d'autres figures de saints et de saintes ; différents sujets pieux ; une assez grande composition en hauteur : Lucrèce se donnant la mort en présence de Collatin et de plusieurs autres personnes ; ce sujet est le seul qu'Israël van Mecken ait tiré de l'histoire profane, car on ne doit pas classer dans cette catégorie un groupe de quatre femmes nues, copiées d'après Albert Dürer, dans lesquelles on a cru reconnaître les trois Grâces, ou plutôt les trois déesses, Junon, Pallas et Vénus, accompagnées de la Discorde et prêtes à paraître devant Paris, tandis que ce sujet représente : Trois femmes au sabbat chez une sorcière. Israël van Mecken a gravé aussi des rinceaux d'ornements, d'assez bon goût, et des lettres initiales destinées à servir de modèles aux scribes pour leurs rubriques.

Nous terminerons nos observations sur cet ancien maître, en citant deux pièces que je crois uniques. L'une est au Cabinet des Estampes de la Bibliothèque Nationale de Paris : c'est une crosse, de grandeur naturelle, gravée en deux planches ; les ornements de cette pièce sont dans le goût gothique ; l'enroulement du haut est vide ; au-dessous est une statue de la Vierge portant sur son bras gauche l'enfant Jésus, dont elle tient un des pieds dans sa main droite ; en bas, est la marque Israël. V. M.

L'autre pièce est à Londres, au Musée britannique : c'est une grande flèche gothique, sans doute la représentation de quelque reliquaire célèbre, qui aura été fondu pendant les guerres religieuses du seizième siècle. Elle est aussi gravée sur deux planches ; une troisième planche donne le plan de ce monument, gravé seulement au trait. Bartsch n'a jamais vu la première de ces pièces ; quant à celle-ci, il la croit, à tort, gravée par Wolgemut. Les trois planches réunies ont soixante-sept centimètres de hauteur sur une largeur de vingt-huit centimètres.

L'œuvre d'Israël van Mecken., à la Bibliothèque Nationale de Paris, se compose de trois volumes, contenant deux cent vingt-huit pièces, remarquables par la beauté et la conservation des épreuves. Il est convenable de rappeler ici que, si l'on trouve dans la collection de Paris un nombre, plus considérable que partout ailleurs, de belles épreuves, cela tient à ce que l'origine de cette collection remonte, ainsi que nous l'avons déjà dit, à l'année 1576, cent ans environ après la découverte de l'impression des estampes sur cuivre, lorsqu'il n'existait encore que deux collecteurs iconophiles, Paul de Praun, à Nuremberg, et, à Paris, Claude Maugis, abbé de Saint-Ambroise de Bourges.

Si nous citons Winceslas d'Olmutz, qui a gravé dans les années 1481 à 1497, ce n'est pas qu'on puisse le considérer comme un des plus habiles graveurs ; mais son nom ne se trouve que sur une seule pièce, et ses autres estampes sont marquées seulement de l'initiale W, que pendant longtemps on a crue être la marque de Michel Wolgemut, peintre habile, maître d'Albert Dürer, mais auquel on ne saurait raisonnablement attribuer ces pièces, la plupart étant copiées d'après des gravures de ses contemporains : Martin Schongauer, Israël van Mecken et Albert Dürer. Nous avons aussi à faire remarquer une pièce très-singulière de ce vieux maître. Elle représente la figure monstrueuse d'une femme entièrement nue, vue de profil et tournée vers la gauche, le corps couvert d'écaillés, avec la tête et la crinière d'un âne ; la jambe droite terminée par un pied fourchu, et la gauche par une patte d'oiseau ; le bras droit terminé par une patte de lion, et le gauche par une main de femme. Le derrière de ce monstre, couvert d'un masque barbu, offre, en guise de queue, le cou d'une chimère ayant une tête bizarre avec une langue de serpent. Dans le haut, est écrit : ROMA CAPUT MUNDI. A gauche est une tour à trois étages, sur laquelle flotte un drapeau orné des clefs de saint Pierre en sautoir. Sur le château, on lit : CASTESAGNO ; en avant, est une rivière où se trouve écrit : TEVERE ; plus bas, Je mot IANVARII ; au-dessous, l'année 1496. A droite, dans le fond, est une tour carrée sur laquelle est écrit : TORE DI NONA ; du même côté, sur le devant, est un vase à deux anses, et au milieu du bas, la lettre W.

Cette gravure allégorique a certainement été faite lors des dissentiments religieux qui commencèrent vers cette époque entre la cour de Rome et quelques princes d'Allemagne. Sa date lui donne un grand intérêt, puisque, gravée à l'eau-forte, elle vient changer les idées qui attribuent à Albert Dürer l'invention de cette manière de graver, plus expéditive que la Gravure au burin ; car la plus ancienne estampe d'Albert Dürer gravée à l'eau-forte, portant la date de 1515, est, par conséquent, postérieure de dix-neuf années à celle de Winceslas d'Olmutz. La seule épreuve que j'ai vue de cette pièce est au British-Museum, et je ne sache pas que personne en ait parlé, avant moi, en 1824.

La Gravure est maintenant sortie de l'enfance ; trois artistes recommandables, ainsi que nous venons de le dire, l'exercent à la fois dans différentes parties de l'Europe : Albert Dürer, né à Nuremberg en 1471 ; Marc-Antoine Raimondi, né à Bologne vers 1488, et Lucas de Leyde, né en 1494. Le premier, peintre habile, se fit également remarquer par son talent dans la Gravure au burin, car, comme nous l'avons déjà dit, il n'a jamais taillé le bois : il a seulement dessiné à la plume ses propres compositions. C'est par cette raison qu'on trouve son monogramme sur plusieurs planches en bois. Il ne peut être question de parler ici de toutes les gravures qu'il a faites, quoique toutes mériteraient d'être décrites ; mais nous ne pouvons nous dispenser de citer Adam et Ève debout près de l’arbre de la science du bien et du mal, petite pièce très-remarquable par la finesse et la perfection de la gravure ; la Passion de Jésus-Christ, suite de seize pièces ; Jésus-Christ en prière au jardin des Oliviers, gravé en 1515 à l'eau-forte, méthode nouvelle alors, qui n'avait pas la douceur du burin, ce qui a fait supposer pendant longtemps que cette pièce et quelques autres de même nature étaient gravées sur fer ou sur étain ; plusieurs figures de la Vierge avec l'enfant Jésus, toutes remarquables par l'expression et la naïveté : en raison des objets qui les accompagnent, elles ont reçu des sobriquets bizarres, tels que Vierge aux longs cheveux, Vierge à la poire, Vierge au singe, Vierge au papillon ; l'Enfant prodigue gardant les pourceaux, pièce très-belle, dans laquelle le peintre s'est représenté lui-même ; Saint Hubert en adoration devant la croix que porte un cerf, pièce rare et très-belle ; la Mélancolie ; la Fortune ; le Chevalier et sa dame en promenade ; un Cavalier, pièce dite le Chevalier de la mort, et représentant François de Siekingen, le plus ferme appui de la réforme de Luther, belle et curieuse estampe gravée en 1515, que l'on considère comme un chef-d'œuvre.

Marc-Antoine Raimondi fut d'abord élève de François Raibolini et ensuite de Raphaël, d'après lequel il travailla souvent, et dont il sut conserver l'expression dans ses têtes et la pureté du dessin dans toutes les parties de ses compositions. Il ne reste rien de gothique dans l'architecture ; rien de roide dans les poses et les mouvements des personnages ; rien de cassé ni d'anguleux dans les draperies ; tout est pur, tout est noble, tout est vrai : aussi, ses gravures sont-elles très-estimées, très-recherchées, et, quand les épreuves sont belles et bien conservées, elles se vendent à des prix excessifs, quelquefois fabuleux.

Nous croyons donc devoir indiquer ici, comme spécimen de l'œuvre de Marc-Antoine et de sa valeur vénale, un choix de pièces remarquables qui faisaient partie du riche et célèbre cabinet de M. Debois, vendu à Paris en 1844 :

Adam et Eve mangeant le fruit défendu, d'après Raphaël, ainsi que toutes les pièces suivantes (1.010 fr.) ;

Dieu ordonnant à Noé de construire l'arche ; le graveur a rendu avec une rare perfection la finesse, l'expression et la pureté du dessin du peintre (700 fr.) ;

Joseph et la femme de Putiphar (105 fr.) ;

David coupant la tête de Goliath (430 fr.) ;

Le Massacre des innocents, pièce dite le Chicot (à cause du sapin que l'on voit dans l'angle du haut, à gauche), très-rare et très-belle (855 fr.) ; d'autres épreuves plus belles ont été vendues 1.200 fr. ;

Le Massacre des innocents, sans le chicot, seconde planche de Marc-Antoine, plus probablement gravée par Marc Ravignano, d'une beauté et d'une conservation extraordinaires (1.255 fr.) ;

La Pécheresse chez Simon le pharisien, très-belle (750 fr.) ;

La Cène, dite la Pièce des pieds (2.900 fr.) ;

La Descente de croix (1.100 fr.) ;

La Vierge debout pleurant sur le corps de Jésus-Christ, première épreuve, où le bras droit de la Vierge est nu (91 fr.) ;

La même composition, seconde épreuve, où la Vierge a le bras droit couvert (75 fr.) ;

Saint Paul prêchant à Athènes (2.500 fr.) ;

La Vierge montant au temple (365 fr.) ;

La Vierge sur des nues, ayant près d'elle l'enfant Jésus (655 fr.) ;

La Vierge assise soutenant l'enfant Jésus, pièce dite la Vierge au poisson (61 fr.) ;

La Vierge assise, dite la Vierge à la longue cuisse (493 fr.) ;

Sainte Famille, dite la Vierge au palmier (800 fr.) ;

Sainte Famille, dite la Vierge au berceau (396 fr.) ;

Le Martyre de saint Laurent, la plus grande estampe de Marc-Antoine, gravée d'après les dessins du sculpteur Baccio Bandinelli pour un bas-relief (2.600 fr., première épreuve avec les deux fourches) ;

Jésus-Christ assis sur les nuées entre la sainte Vierge et saint Jean-Baptiste ; au bas, sont saint Paul debout et sainte Catherine à genoux ; pièce dite les Cinq saints (1.060 fr.) ;

Sainte Cécile accompagnée de saint Paul, saint Augustin et saint Jean l’apôtre, gravée d'après un dessin de Raphaël, différent un peu du tableau qui est dans l'église de Saint-Jean de Bologne (790 fr.) ;

Le Martyre de sainte Félicité (550 fr.) ;

Didon debout près d'un bûcher, très-rare (100 fr.) ;

Lucrèce debout, une des premières pièces gravées par Marc-Antoine, lors de son arrivée à Rome (370 fr.) ;

Cléopâtre, d'après la statue antique du Belvédère ; rare (201 fr.) ;

Alexandre-le-Grand faisant serrer les livres d’Homère, une des plus belles pièces du graveur (141 fr.) ;

Le Triomphe d'un empereur romain, d'après un dessin d'André Mantegna ; très-rare (240 fr.) ;

Danse d'amours et d'enfants, pièce très fine (205 fr.) ;

Deux faunes portant un enfant dans un panier, d'après un bas-relief antique, estampe très-remarquable (340 fr.) ;

Jugement de Paris, regardé comme le chef-d'œuvre du graveur (3.350 fr.) ;

Le Parnasse ; Apollon est au milieu des Muses (510 fr.) ;

Bacchanale, d'après un bas-relief antique ; très-rare (301 fr.) ;

Satyre défendant une nymphe couchée à terre, pièce d'une grande finesse (130 fr.) ;

Satyre avec un enfant tenant une grappe de raisin ; très-rare (110 fr.) ;

Jeunes et vieux bacchants près d'une cuve, très-belle pièce (70 fr.) ;

Vénus sortant du bain ; l'Amour est près d'elle (250 Tr.) ;

La petite Vendange, pièce très-recherchée (346 fr.) ;

Vénus sortant de la mer et tordant ses cheveux, pièce gravée par Marc-Antoine, dans sa première manière, d'après un anonyme (200 fr.) ;

Satyre surprenant une nymphe couchée à terre, pièce gravée par Marc-Antoine, dans sa première manière ; rare (150 fr.) ;

Statue d'Apollon (125 fr.) ;

Trois pendentifs de la Farnesine : les Grâces, Jupiter embrassant l'Amour, Mercure convoquant les dieux (1.620 fr.) ;

Les Trois Grâces, d'après un bas-relief antique ; pièce très-recherchée (201 fr.) ;

Hercule étouffant Anthée, pièce très-remarquable (180 fr.) ;

Triomphe de Galathée ; belle et rare (790 fr.) ;

Neptune apaisant la tempête, pièce dite le Quos ego (550 fr.) ;

Trajan entre la ville de Rome et la Victoire, d'après un bas-relief de Tare de Constantin ; pièce très-recherchée (250 fr.) ;

La Poésie, figure peinte au Vatican par Raphaël (350 fr.) ;

Les Sept vertus, suite de figures debout (275 fr.) ;

Deux femmes et le Zodiaque (306 fr.) ;

La Peste, pièce rare et très-recherchée (399 fr.) ;

Portrait en pied de Raphaël dans son atelier, petite pièce rare et très-recherchée (600 fr.) ;

Statue équestre de Marc-Aurèle, d'après le bronze antique placé au Capitole.

Lucas de Leyde, comme Albert Dürer, aussi habile dans la peinture que dans la Gravure, a fait environ cent quatre-vingts pièces ; les plus remarquables sont :

David jouant de la harpe devant Saül ;

La grande Agar, très-belle pièce, de la plus excessive rareté ;

L'Adoration des mages, très-belle pièce ;

Le grand Ecce homo, gravé en 1510, lorsque l'artiste avait seize ans ;

Marie-Madeleine livrée aux plaisirs du monde, grande pièce en largeur, dite la Danse de la Madeleine, pièce très-rare ;

Le Moine Sergius tué par Mahomet ;

Les Sept vertus ;

Un Paysan et une paysanne près d'une vache, pièce dite la Petite laitière ; très-rare ;

Une Famille pauvre en voyage, pièce dite l'Epingle, sobriquet imité de Uglen Spiegel, miroir de hibou. On ne connaît que cinq épreuves de cette pièce, qui fut payée seize louis d'or (384 fr.) par l'abbé de Marolles : elle vaudrait aujourd'hui trois fois davantage.

Nous parlerons ici d'un artiste français, dessinateur et graveur à la fois ; c'est Jean Duvet, né à Langres en 1488. Il était orfèvre de Henri II, et, si nous ne pouvons le placer au-dessus des artistes étrangers ses contemporains, nous devons au moins nous glorifier de voir un Français placé convenablement à côté d'eux. Il a gravé plusieurs pièces allégoriques sur les amours du roi et de Diane de Poitiers. Il a fait aussi une suite de vingt-quatre compositions, dont les sujets sont tirés de l'Apocalypse.

A la même époque, travaillaient, en Italie, Augustin Vénitien, Jacques Caraglio, Ænéas Vico, Jules Bonasone et les Ghizi ; en Allemagne, George Pencz, Aldegraver, Barthélemy et Hans Sebald de Beham ; en Hollande, Thiéry van Slaven.

En avançant dans le seizième siècle, nous trouverons la Gravure à son apogée. Ce n'est plus ni l'Italie, ni l'Allemagne, qui marchent resplendissantes, entourées d'une auréole d'artistes d'un haut mérite : c'est la Flandre et la France, qui voient sortir de leur sein une foule de graveurs d'un talent très varié et toujours remarquable.

Henri Goltzius, né en 1558, et ses élèves Mathan et Muller, dont le burin vigoureux rappelle les brillants effets de la couleur sans rien faire perdre à la pureté du dessin ; Pierre de Jode, né en 1570 ; les deux frères Schelte et Bœce, plus connus sous le nom de Bolswert, leur ville natale, nés en 1580 et 1586 ; Paul Pontius et Lucas Vorsterman, nés tous deux en 1590, dont les estampes expriment si bien le clair-obscur et la couleur brillante de Van Dyck et de Jacques Jordaens. Nous ne pourrions parler de toutes les belles pièces données par ces habiles burinistes ; Goltzius et ses élèves ont produit plus de six cents estampes, dont plusieurs sont des chefs-d'œuvre ; mais nous serions coupable de ne pas citer nominativement le Calvaire, gravé par Bœce d'après Rubens ; le Couronnement d'épines, par Schelte d'après Van Dyck ; la Présentation de Jésus-Christ au Temple et le Portrait de Rubens, par Pontius ; le Roi boit, aussi par Pontius d'après Jordaens ; le Christ mort, par Vorsterman d'après Van Dyck, et le Portrait de Claude Maugis, d'après Champaigne ; le nom de ce personnage ne doit pas être oublié dans l'histoire de la Gravure, puisqu'il est le premier collecteur d'estampes, et que son riche cabinet, après avoir passé dans les mains de Jean de l'Orme et de Michel de Marolles, est venu, en 1667, se placer à la Bibliothèque du roi, pour y devenir le noyau de cette brillante et riche collection. Nous avons à parler ici de trois graveurs français, Jacques Callot, né à Nancy en 1594, Michel Lasne, né à Caen en 1596, Étienne Baudet, né à Blois en 1598. Le premier de ces artistes a gravé à l'eau-forte près de quinze cents pièces, toutes d'après ses compositions et toutes d'un esprit et d'une finesse remarquables. On regarde comme des chefs-d'œuvre : la Tentation de saint Antoine, la Foire de la madone d’Imprunette, la Foire de Gondreville, le Parterre de Nancy, et la Carrière, c'est-à-dire la grande rue de cette ville. On recherche également quelques suites, comme la Petite passion, douze pièces ; les Misères de la guerre, dix-huit pièces. Michel Lasne a gravé nombre de portraits, et Baudet, huit grands paysages d'après Poussin. Un Hollandais, Jonas Suyderœf, né à Leyde en 1600, en alliant l'eau forte, le burin et la pointe sèche, a donné à ses gravures un aspect tout particulier, d'un effet très-remarquable : il a gravé plus de deux cents pièces, parmi lesquelles on recherche principalement le Traité de Munster, d'après Terbugh ; les Bourgmestres d'Amsterdam recevant la nouvelle de l'arrivée de la reine Marie de Médicis, d'après Keyser ; les portraits de David van Ruyts et de Madeleine sa femme, deux pièces très-belles et très-rares.

Il est impossible d'oublier ici trois grands artistes qui ont acquis une égale renommée par leur pointe et par leur pinceau : Van Dyck, né à Anvers en 1599 ; Claude Gelée, dit Claude Lorrain, né à Chamagne en 1600, et Rembrandt, né près de Leyde en 1606.

Le premier, élève de Rubens, qui a peint tant de tableaux et de si beaux portraits, en a gravé quelques-uns à l'eau-forte ; il l'a fait avec tant d'esprit, tant de liberté, que ce sont des modèles à suivre, mais qu'on n'a pas encore imités. Claude Lorrain, dont les tableaux sont aussi remarquables par la lumière qui y brille, que par la vapeur qui en tempère l'éclat, a gravé à l'eau-forte une trentaine de paysages, tous fort recherchés, quelques-uns fort rares, et le prix en a quelquefois passé 500 francs.

On ne peut parler de Rembrandt, sans être étonné de la force et de la variété de son talent ; il a fait de grandes compositions historiques, remarquables par la vérité de la couleur et la science du clair-obscur, des portraits si vrais par leur pose et d'un coloris si juste qu'on croit voir la nature même, des paysages simples comme le pays qu'il habitait, et dont le grand mérite est aussi dans l'imitation la plus vraie de la nature. Voilà le peintre. Voulons-nous maintenant considérer le graveur, nous verrons l'artiste employer alternativement, sans méthode aucune, l'eau-forte, le burin et la pointe sèche ; nous le verrons retravailler et amener à bien une planche que d'autres auraient abandonnée, le premier travail étant gâté par un grave accident ; nous le verrons faire de légères esquisses à l'eau-forte, puis des gravures très-chargées de noirs ; nous le verrons enfin produire beaucoup, puisqu'on connaît de lui trois cent soixante-dix-huit pièces dont plusieurs sont très-recherchées, quelques-unes d'une excessive rareté et beaucoup d'un prix très-élevé.

Ces illustres artistes, qui ont porté au plus haut degré de perfection la Gravure à l'eau-forte, appartiennent, il est vrai, par leurs ouvrages, à un siècle dont nous n'avons pas à nous occuper ; mais ils appartiennent, par la date de leur naissance du moins, à l'époque qui doit nous servir de limite. Nous dépasserons un peu cette limite, en ajoutant ici quelques courtes notices sur les plus habiles graveurs qui ont paru en Europe dans la première moitié du dix - septième siècle, ce grand siècle de la Gravure.

Wenceslas Hollar, né à Prague en 1607, a gravé des compositions, des portraits, des paysages, au nombre de plus de deux mille pièces, et l'on peut admirer le soin et le talent avec lesquels il sut allier l'eau forte, le burin et la pointe sèche. Parmi les estampes les plus rares, on doit citer la Reine de Saba venant visiter Salomon, d'après Paul Véronèse, premier état, où le tableau est placé à terre dans la galerie de l'archiduc à Bruxelles, et où l'on voit paraître au-dessus du tableau plusieurs des portraits qui décoraient cette célèbre galerie ; une Vue du portail de la cathédrale d'Anvers, première épreuve avec une seule ligne d'écriture au bas de la planche ; un grand calice, d'après le dessin d'Holbein, dessin qui existait alors dans la collection du comte d'Arundel.

Corneille Visscher, né en Hollande vers 1610, un des plus habiles graveurs au burin, qui a gravé environ cent pièces. On recherche principalement le Vendeur de mort aux rats et la Faiseuse de kouck, espèce de crêpes que l'on vendait dans les rues en Hollande ; les Patineurs, d'après Van Ostade ; le portrait de André Winius, souvent désigné sous le sobriquet de Deonison, fils de Denis, et de Vllomme au pistolet (vendu six cents francs, en 1815) ; Guillaume de Ryck, oculiste à Amsterdam (vendu quatre cents francs, en 1811), et Gelius de Bouma, ministre du saint Évangile à Zutphen dans la Gueldre (vendu six cents francs, en 1811).

Étienne de la Bella, né à Florence en 1610, graveur à l'eau-forte, qui a presque toujours travaillé d'après ses propres dessins. La pièce la plus importante de cet artiste est une grande Vue du Pont-Neuf ; les premières épreuves sont avant le coq sur le clocher de Saint-Germain-l'Auxerrois.

Le prince Robert, Palatin du Rhin, neveu de Charles 1er, roi d'Angleterre, naquit en 1619 : il est souvent désigné comme l'inventeur de la mezzo-tinte ou manière noire ; mais il avait seulement importé en Angleterre, où il mourut en 1682, les procédés que lui fit connaître Louis de Siégen, officier au service du landgrave de Hesse-Cassel, né vers 1620. Ce genre de gravure a été exercé avec succès en Angleterre. Ils n'ont, l'un et l'autre, gravé que très-peu de pièces. On a du premier une grande figure à mi-corps, qui représente l'exécuteur de saint Jean-Baptiste, tenant une épée d'une main et de l'autre la tête du saint, d'après un tableau de Joseph Ribéra, dit l'Espagnolet ; l'original se voit dans le palais de Schleissheim, à quatre lieues de Munich. Le second a gravé un portrait de la princesse Amélie de Hanau, veuve du landgrave Guillaume V.

Guillaume Faithorne, né à Londres en 1620, élève du peintre Péak ; il voulut, ainsi que son maître défendre les droits du roi Charles Ier et fut fait prisonnier par les rebelles à Bassing-House ; puis, enfermé à Aldersgate. Il refusa de prêter serment à Cromwell et obtint la faveur de passer en France. Il y reçut des conseils de Philippe de Champaigne et de Robert Nanteuil, ainsi que des encouragements du célèbre amateur et collecteur d'estampes, l'abbé de Maroltes. Il perfectionna son talent et fit des portraits en miniature et au crayon ; il en grava aussi de fort remarquables ; plusieurs sont très-estimés. Parmi ceux-ci, on doit citer les portraits du vicomte de Mordaunt, ardent partisan de Charles Ier ; de Marguerite Smith, femme d'Edouard Herbert, ambassadeur en France, et de Françoise Bridges, comtesse d'Exeter. Ces trois beaux portraits sont gravés d'après Van Dyck. Dans une vente qui eut lieu à Londres en 1824, le premier fut vendu plus de mille francs ; le second, treize cent cinquante francs, et le dernier, cinq cent cinquante francs.

Israël Silvestre, né à Nancy en 1621, sans être imitateur de Callot son concitoyen, a gravé à l'eau-forte, comme lui, un grand nombre de pièces, d'après ses propres dessins ; ce sont des vues de Paris, de Nancy, de Fontainebleau et d'autres villes de France ; des vues de Rome, de Naples et de Florence ; plusieurs grandes pièces représentent, soit des maisons royales, soit des villes conquises par Louis XIV. Ces vues, au nombre de plus de mille, sont ornées de petites figures pleines de goût et touchées avec esprit. On cite comme très-rares une grande vue de Lyon et une vue du Colysée de Rome.

François de Poilly, le plus habile de cette famille, qui a fourni plusieurs graveurs au burin, naquit à Abbeville en 1622. Il semble avoir eu quelque prédilection pour Raphaël, dont il a imité la pureté dans son dessin et la grâce dans l'expression de ses figures. Ses estampes et ses portraits dépassent le nombre de quatre cents ; on remarque surtout deux Sainte-Famille, d'après deux petits tableaux de Raphaël, qui sont au Musée du Louvre, et que l'on désigne sous les noms de la Vierge au voile et de la Sainte Famille au berceau ; l’Adoration des bergers, d'après Guido Reni ; et parmi les portraits, Louis XIV jeune, d'après Nocret ; Abraham Fabert, d'après L.-Ferdinand Helle ; le cardinal Mazarin, d'après Mignard, etc.

Jean Pesne, né à Rouen en 1623, peintre et graveur à l'eau-forte, n'a gravé d'après ses tableaux que quatre portraits, mais il a gravé quatre-vingt-dix pièces d'après les tableaux ou les dessins de Poussin, son compatriote. Il a su rendre avec une grande perfection l'esprit et le caractère de ce maître. Les Sept Sacrements, que Poussin avait peints pour M. de Chanteloup, sont gravés de la même grandeur que les tableaux, ce qui a nécessité de les faire en deux planches. Ces pièces, très-recherchées par les artistes, ont été tirées à grand nombre, et les cuivres, qui existent encore, font partie de la Calcographie du Musée du Louvre. D'autres pièces très-estimées, mais qui ne sont rares qu'avec certaines remarques caractérisant les premières épreuves, sont : Esther devant Assuérus, le Ravissement de saint Paul, le Testament d'Eudamidas, le Portrait du Poussin et plusieurs Sainte-Famille.

Nicolas Berghem et Paul Potier, tous deux habiles peintres d'animaux, tous deux ont gravé à l'eau-forte et de la manière la plus spirituelle quelques études de vaches et de moutons. Le premier est né à Harlem en 1624 et a vécu cinquante-neuf ans ; l'autre, né en 1625, est mort avant trente ans : le premier, toujours heureux, toujours gai, a produit beaucoup de tableaux, très- recherchés malgré leur nombre, et cinquante-six eaux-fortes, parmi lesquelles on remarque la Vache qui s'abreuve, assez grande pièce, et plusieurs autres études ; le second, toujours languissant et mort jeune, n'a laissé que peu de tableaux et dix-huit eaux-fortes, représentant des vaches et des chevaux, et dont les bonnes épreuves se payent des prix très-élevés.

Jérémie Falk, né à Dantzig en 1629, graveur au burin ; il vint à Paris fort jeune et reçut les conseils de Chauveau, graveur à l'eau- forte, plus remarquable par le nombre de ses estampes et de ses vignettes que par leur mérite réel. Falk devint pourtant un habile buriniste, et ses gravures peu nombreuses sont estimées.

Robert Nanteuil, né à Reims en 1630, est un de ces artistes remarquables par la variété de ses connaissances et la supériorité de son talent ; à quinze ans, ses études étaient terminées, et c'est lui qui grava la Sainte Famille, qui, selon l'usage de ce temps, orna sa Thèse de philosophie. Nanteuil grava au burin un grand nombre de portraits, la plupart peints ou dessinés par lui, souvent au pastel, ou bien à la mine de plomb sur vélin et légèrement rehaussés de quelques couleurs sur les lèvres, les joues et les yeux. Ses dessins sont devenus rares ; mais les gravures, au nombre de deux cent seize, dont trente-deux de grandeur naturelle, se rencontrent fréquemment ; quelques-uns de ses portraits cependant ont été portés à des prix très-élevés. Nanteuil travaillait sans doute avec facilité ; on pourrait s'étonner de voir tant de belles planches, toutes au burin, gravées par un seul homme, mort à quarante-huit ans ; mais il faut dire que, pressé par les personnes qui désiraient avoir leurs portraits, il s'est fait aider dans les parties accessoires par Regnesson, son maître et son beau-frère, Nicolas Pitau, Pierre-Simon et Corneille Vermeulen. On doit encore remarquer qu'il a fait plusieurs portraits du même personnage : on en connaît dix-sept qu'il a gravés deux fois ; six, trois fois ; il a gravé quatre fois le portrait de Péréfixe, archevêque de Paris ; cinq fois l'archevêque de Reims, Charles-Maurice Letellier ; six fois le grand Colbert, son concitoyen ; dix fois celui du ministre Michel Letellier ; onze fois Louis XIV et quatorze fois le cardinal Mazarin.

Abraham Blateling, né à Amsterdam en 1634, graveur au burin et en mezzo-tinte ; parmi ses portraits gravés à l'eau-forte et au burin, on recherche surtout ceux de l'amiral Kortenaer, d'après Vander Helft ; de Corneille de Witt, d'après Sorg ; de l'amiral Tromp, d'après Lely ; de l'amiral Ruyter, etc. Le plus rare de tous est celui de Pierre Schout à cheval, mal à propos désigné sous le nom de Mœlman, et quelquefois sous celui du Cavalier ; mort à vingt-neuf ans, Pierre Schout, chanoine d'Utrecht., était sans doute amateur des beaux-arts, puisque quatre artistes célèbres lui ont consacré leur talent : la figure est peinte par Pierre Netscher ; le cheval est de Wouwermans ; le paysage est peint par Wynants, et la gravure est aussi d'un homme habile.

Jean Vischer, né à Amsterdamen 1636, ne s'est pas élevé à la même hauteur que son frère Corneille ; il a cependant gravé à l'eau-forte de très-beaux paysages d'après Berghem.

Antoine Masson, né à Orléans en 1636, est un des graveurs français les plus remarquables. Il s'est servi, avec la même habileté, du burin et de la pointe sèche, et il a fait plusieurs chefs-d'œuvre, parmi lesquels on remarque les Pèlerins d'Emmaüs, d'après le tableau du Titien, qui est au Musée de Pavie. Les belles épreuves de cette estampe se payent deux cents francs. Les portraits gravés par lui sont nombreux : les plus beaux sont Henri de Lorraine, comte d'Harcourt, d'après Mignard, dont une belle épreuve a été payée trois cents francs en 1812 ; le portrait de Guillaume de Brisacier, secrétaire des commandements de la reine Anne d'Autriche, d'après Mignard, dont les épreuves avant la lettre se payent plus de deux cents francs. On recherche aussi les portraits de la duchesse de Guise et du médecin Marin Cureau de La Chambre, tous deux d'après Mignard ; enfin, celui de Gaspard Charrier, prévôt des marchands à Lyon en 1664, peint par Blanchet, et dont la figure est gravée d'une seule taille en spirale commençant par le bout du nez, ce qui n'ôte pas l'effet ni le mérite de cette gravure. Nous sera-t-il permis de rapporter ici une particularité relative à la grand'mère de ce prévôt des marchands de Lyon, Gabrielle Dufour, laquelle, en 1659, était âgée de quatre-vingt-cinq ans, avait eu dix-neuf enfants du même lit, et s'était vue aïeule de quatre-vingt-dix enfants, bisaïeule de trente-deux et trisaïeule de six, sans compter vingt-et-un gendres ou brus, ce qui portait sa progéniture à cent soixante-huit personnes.

Sébastien Leclerc, né à Metz en 1637, dessinateur et graveur à l'eau forte, n'est pas un artiste qui ait produit un aussi grand nombre de planches. D'abord ingénieur et connaissant parfaitement la perspective et l'architecture, il composait avec une facilité extrême vignettes, fleurons, lettres grises ou estampes, et les gravait avec un esprit infini. Jombert, dans son Catalogue des estampes de ce maître, catalogue formant deux volumes in-8°, a décrit trois mille cent quatre-vingt-dix pièces, sans compter les changements, les différences et les remarques, ce qui fait monter l'œuvre de Sébastien Leclerc à trois mille six cent treize pièces.

La plus grande partie de ces pièces se trouve disséminée dans beaucoup d'ouvrages imprimés, mais il y en a quelques-unes qu'on recherche plus particulièrement, comme étant des compositions animées d'un grand nombre de figures, telles que les Funérailles du chancelier Seguier dans l'église de l'Oratoire, en 1672, pièce qui lui servit pour son entrée à l'Académie, à qui elle fut présentée par le peintre Charles Lebrun ; le Mai des Gobelins en 1683 ; l'Apothéose d'Isis, 1693 ; l'Académie des Sciences, et l'Entrée d'Alexandre dans Babylone.

Nous ne devons pas omettre ici le nom d'Adrien Van Velde, né à Amsterdam en 1639, habile peintre d'animaux. Ses tableaux sont fort recherchés et d'un grand prix, parce que, indépendamment de leur mérite, ils sont rares, le peintre étant mort à trente-trois ans. Comme graveur, nous rapporterons ce qu'en dit Bartsch, dont le jugement ne peut être infirmé : On ne voit rien à mettre au-dessus, pour la correction du dessin, la vérité des caractères des animaux, leurs attitudes, la justesse des muscles et la perfection soignée du plus petit détail. Plusieurs de ses eaux-fortes sont très-rares. A la vente de M. Rigai, en 1811, deux petites pièces, inconnues à Bartsch et considérées comme uniques, ont été vendues neuf cent cinquante francs chacune. Ces deux pièces venaient du cabinet de M. Van Leyden fils, et ont été acquises pour le cabinet du duc de Saxe-Techen, appartenant aujourd'hui au prince Charles. Elles représentent une Fileuse parlant à un paysan et un Cavalier parlant à deux chasseurs.

Enfin, nous ne terminerons pas cette rapide esquisse, sans citer encore deux graveurs français également célèbres, que l'on doit placer l'un et l'autre au premier rang, quoiqu'ils aient deux manières bien différentes. Tous deux travaillèrent à Paris à la même époque, tous deux gravèrent plusieurs des compositions du célèbre peintre Lebrun, et, si l'un donna plus de couleurs à ses estampes que n'en avait la peinture originale, l'autre sut améliorer le dessin du maître en lui donnant plus de grâce et plus de pureté ; tous deux enfin portaient le nom de Gérard ; nés à un an de distance, leur mort s'est suivie à deux ans près. Gérard Édelink naquit à Anvers en 1639, et Girard Audran, à Lyon, en 1640. Édelink eut un frère et un fils, graveurs de médiocre talent ; Audran, fils et neveu de graveurs estimés, eut plusieurs neveux et petits-neveux qui se sont distingués comme lui, quoique à un degré inférieur, dans l'art de la Gravure.

 

A. DUCHESNE,

Conservateur du Cabinet des estampes de la Bibliothèque Nationale de Paris.