DEUX importantes découvertes eurent
lieu presque simultanément au milieu du quinzième siècle. L'une est l'art de
composer des livres en caractères mobiles : elle fut faite à Strasbourg, par Gutenberg,
vers 1435. L'autre est l'art de tirer épreuve d'une gravure en creux sur
métal : elle est due à Maso Finiguerra, qui la fit à Florence en 1452. La
plupart des auteurs qui se sont occupés de l'histoire de la Gravure ont
prétendu que la Gravure sur métal provenait naturellement de la Gravure sur
bois, qu'ils regardaient comme une invention faite en-Allemagne dans le
commencement du quinzième siècle. D'autres ont fait venir cette précieuse
invention, de la Chine, où elle était en usage dès l'an 1000 de Jésus-Christ.
D'autres enfin affirment que l'art d'imprimer des planches de bois sur des
étoffes, était exercé dans différentes parties de l'Asie, avant qu'on s'en
occupât en Europe. En admettant ces hypothèses, il faudrait alors chercher à
qui l'on doit l'importation de cet art vers le commencement du quinzième
siècle, puisque c'est seulement à cette époque qu'on trouve des épreuves de
gravures faites en Allemagne et en France. La plus
ancienne épreuve connue d'une estampe gravée sur bois, avec date, est un
Saint - Christophe, sans marque et sans nom, portant une inscription latine
et l'année millesimo CCCC XXe
tertio. Cette
pièce est si grossièrement gravée, elle est d'un dessin si défectueux, qu'il
est naturel de penser qu'elle doit être un des premiers essais de la Gravure
sur bois ; cependant nous croyons qu'on doit regarder comme antérieure encore
une figure de la Vierge debout tenant l'enfant Jésus assis dans ses bras, et
dont nous donnons ici une copie : le fond de la niche est une espèce de
mosaïque, formée de quadrilatères en pointes de diamant ; les auréoles et les
ornements de la niche sont coloriés en jaune un peu brun. Une
singularité de cette épreuve en prouve, d'ailleurs, la grande ancienneté :
elle est tirée sur papier de coton, non collé, de sorte que l'impression
traverse tellement, qu'on la voit presque aussi bien à l'envers qu'à
l'endroit. La dimension de cette estampe est : haut., 0,21e ; larg., 0,09e. C'est à
M. Henin, savant collecteur d'estampes historiques, que nous devons la
possession de cette pièce unique, conservée à la Bibliothèque Nationale ;
c'est lui, aussi, qui a découvert à Lyon le fragment d'une feuille contenant
plusieurs figures de cartes à jouer : cette feuille était collée dans la
couverture d'un manuscrit in-4° sans aucune valeur, dont il fit l'acquisition
; ayant ensuite échangé sa trouvaille avec M. Colnaghi, marchand d'estampes à
Londres, celui-ci l'a cédée, en 1833, à la Bibliothèque Nationale de Paris. Ces
cartes sont certainement de fabrique française, puisque les inscriptions
qu'elles portent et les noms des figures sont tous écrits en français ; les
figures sont gravées sur bois, imprimées avec une encre pâle un peu bistrée,
puis coloriées au patron, ainsi que c'est encore l'usage aujourd'hui pour les
cartes à jouer ; les couronnes des rois sont formées de fleurs de lis, et les
costumes sont ceux du règne de Charles VII, qui monta sur le trône en 1422.
Ces costumes, la couleur de l'encre et le caractère du dessin nous donnent
presque la certitude qu'elles ont été exécutées dans la première partie du
quinzième siècle. Elles se trouvent donc être un des plus curieux monuments
de la xylographie. (Voyez le chapitre CARTES A JOUER, dans cet ouvrage.) Nous
avons à signaler maintenant une suite de figures des douze Apôtres, que M.
Henin nous a cédées, il y a déjà quelques années. Ces figures, rangées trois
par trois sur quatre feuilles, sont de la même époque que les cartes dont
nous venons de parler : toutes les figures sont debout, vêtues d'une tunique
longue, recouverte d'un grand manteau ; l'encre est bistrée ; les manteaux
sont coloriés en rouge ou en vert alternativement ; les auréoles en jaune,
ainsi que les inscriptions imprimées au bas de chaque figure. Les apôtres
portent les emblèmes qui les caractérisent, et ils sont entourés d'une longue
banderole, sur laquelle est écrite en latin la phrase du Credo attribuée à
chacun d'eux. Au-dessous de chaque figure, est écrit, aussi en latin, le nom
de l'apôtre ; mais, ce qui mérite surtout notre attention, ce sont les
commandements de Dieu écrits en vers français anciens, avec quelques
abréviations, suivant l'usage adopté dans les manuscrits du quinzième siècle. Ces
pièces, que je crois uniques, n'ont jamais été décrites, et nous pensons être
agréable à nos lecteurs en rapportant ici les noms latins des apôtres et les
vers français qui sont au-dessous. Les phrases du Credo dont nous avons parlé
ne laissent aucune incertitude sur l'ordre à suivre dans le placement des
quatre feuilles. La copie des inscriptions, placées sous les apôtres, donnera
une idée de l'ancienneté de ces gravures : Aux
première, septième et douzième figures, il manque des lettres que nous avons
cru pouvoir suppléer par des italiques. Quant à la huitième légende, nous
n'avons pu en rétablir le sens. Plusieurs expressions de ces légendes
appartiennent au vieux dialecte picard. D'autres
gravures du milieu du quinzième siècle nous font connaître que, dès cette
époque, les arts n'étaient pas étrangers à la France, et que par conséquent,
parmi les pièces anonymes, il en est quelques-unes que l'on pourrait lui
restituer, sans faire tort à l'Allemagne, si riche en monuments de ce genre.
Nous citerons particulièrement six pièces de Bernard Milnet : une Vierge
avec l'enfant Jésus ; la Flagellation de Jésus-Christ ; une pièce
où sont réunis Saint Jean, Saint Paul et Sainte Véronique ; une Sainte
Catherine à genoux ; Saint George et Saint Bernard debout.
La manière extraordinaire employée par le graveur dans ces six pièces ne peut
laisser douter un instant qu'elles ne soient toutes de la même main. Il n'y a
ni traits, ni hachures ; le fond de la gravure est noir ; les lumières sont
formées par une infinité de points blancs, plus ou moins multipliés et d'une
dimension plus ou moins grande, suivant le besoin et le goût de l'artiste. Ce
graveur ne paraît pas avoir eu d'imitateur, et l'on doit penser, en effet,
qu'un tel travail présentait une grande difficulté d'exécution. La
figure de la Vierge porte le nom du graveur Bernard Milnet, et le
Saint Bernard donne la date de 1454. La première de ces deux pièces a été
trouvée par M. Hill, de Manchester ; l'autre avait été découverte dans les
environs de Mayence, en 1800, par Maugerard, alors commissaire du
gouvernement dans les départements au-delà du Rhin. La Sainte Catherine fut
rapportée d'Allemagne, en 1816, par M. Dibdin, et en 1824 j'ai rencontré le
Saint George, à Londres, dans le cabinet d'un amateur qui l'avait reçu de France
quelques années auparavant. Nous ne savons où est main- tenant la figure de
la Vierge. La Flagellation et le Saint Jean sont à Berlin ; les trois
dernières pièces se trouvent à la Bibliothèque Nationale de France. Je ne
connais pas d'autres gravures de ce maître. Ces
anciennes images sont maintenant fort rares, et pourtant elles étaient fort répandues
à l'époque où elles ont été faites ; M. Michiels, dans son Histoire de la
peinture en Flandres nous en fait comprendre les motifs, en rappelant
que, dans ce pays, aux jours gras, selon nos
anciens usages, les Lazaristes et les autres religieux qui soignaient les
malades promenaient dans les rues un grand cierge orné de moulures, de
verroteries, et distribuaient aux enfants des gravures sur bois, enluminées
de brillantes couleurs, représentant des sujets saints ; il était donc
nécessaire qu'ils en eussent une multitude. Nous
voici arrivés au seizième siècle ; la Gravure sur bois prit alors un immense
développement, et les graveurs de cette époque eurent une grande supériorité
sur ceux qui les avaient précédés. Nous devons même répéter ici ce qu'on a
ignoré longtemps, c'est que les peintres ont souvent dessiné de leurs propres
mains leurs compositions à la plume, sur la planche de bois elle-même ; ils y
mettaient, dans ce cas, leur monogramme, et c'est ce qui fait qu'on a si
souvent répété qu'Albert Dürer, Lucas de Leyde, Lucas Cranach et d'autres
peintres avaient gravé sur bois ; c'est une erreur. Bartsch, dans son Peintre-graveur
(t.
VII, p. 12 à 22 et 235 à 239), a très-bien démontré que ces peintres habiles ont seulement
dessiné leurs compositions, qui ont été gravées par des ouvriers auxquels on
donnait le nom de formschneider, graveur de forme, c'est-à-dire
de planches de bois. Quoique
la plupart des graveurs sur bois soient restés anonymes ou ne se soient
souvent désignés que par des monogrammes, on peut cependant citer les noms de
Jérôme-André et Wolfgang Resch ; Jean, Barthélemy et Corneille de Bonn ; Hans
Frank ; Guillaume et Corneille Léefrenck ; Alexis Lindt, Josse de Negher,
Vincent Pfarkecher, Jacques Rupp, Hans Scheufelein, Hans et Guillaume
Taberith, JeanBaudoin Grun, que l'on nomme souvent Baldung, Jean-Ulric
Pilgrim, George Erlinger et Nicolas Meldemann, cartier à Nuremberg ; puis, un
peu plus tard, Christophe Jegher, qui a gravé d'après Rubens. La
Gravure sur bois avec des hachures a été fort peu exercée en Italie ; mais,
dans le commencement du seizième siècle, des artistes habiles ont fait des
gravures en camaïeu, à trois ou quatre planches, produisant, avec des teintes
plates d'un ton plus ou moins intense, des estampes d'un effet fort
remarquable et imitant les dessins au pinceau. Les
graveurs qui se sont le plus distingués dans cette manière sont : Hugues de
Carpi, travaillant à Modène en 1518 ; Antoine de Trente, ou Antoine Fantuzzi,
élève de François Parmesan, lequel travaillait à Bologne en 1530, et depuis à
Fontainebleau avec le Primalice ; Jean-Nicolas Vicentini de Trente, né à
Mantoue vers 1540, qui travaillait aussi chez le Parmesan concurremment avec
Antoine Fantuzzi ; André Andréani ; et enfin, cent ans plus tard, Barthélemy
Coriolano, qui travaillait à Bologne. Ce serait le dernier artiste italien
qui se fût exercé dans ce genre, si on ne trouvait, plus tard encore,
Antoine-Marie Zanetti, célèbre amateur vénitien. Jean Ulrich Pilgrim, dans le
seizième siècle, et Louis Buzing, dans le dix-septième, ont gravé en
Allemagne quelques gravures sur bois, mais à deux planches seulement : l'une
donnant le dessin du sujet avec les contours et les hachures imprimés en noir
; l'autre imprimée avec une couleur ordinairement bistrée, sur laquelle on
avait enlevé toutes les lumières, de manière à laisser paraître en blanc le
fond du papier. Ces pièces imitent un dessin à la plume, rehaussé au pinceau,
sur papier de couleur. Revenant
maintenant à la Gravure sur métal, nous allons repartir du quinzième siècle
et de l'année 1452 ; car, ainsi que nous l'avons déjà dit, il ne reste plus
maintenant d'incertitude sur l'époque à laquelle eut lieu, non l'invention de
la Gravure sur métal, mais bien l'art d'imprimer ces estampes. La
première pièce à désigner et la plus importante est donc l'épreuve de la
Paix, gravée sur argent, en 1452, pour l'église de Saint-Jean de Florence,
qui la paya au graveur-orfèvre, Maso Finiguerra, soixante-six florins d'or
(environ deux mille deux cents francs), y compris le poids du métal et celui
des ornements qui entouraient la planche. La planche gravée originale est
maintenant conservée au musée de Florence : elle représente l'Assomption de
la Vierge. Jésus-Christ, assis sur un très-grand trône et coiffé d'un bonnet
semblable à celui des doges, pose à deux mains une couronne sur la tête de la
Vierge, qui est assise sur le même trône et qui s'incline vers lui, les mains
croisées sur la poitrine ; saint Augustin et saint Ambroise sont à genoux ;
au milieu du bas, à droite, sont debout plusieurs saintes, parmi lesquelles
on distingue sainte Catherine et sainte Agnès ; à gauche, à la suite de saint
Augustin, on voit saint Jean-Baptiste et d'autres saints ; des deux côtés du
trône, plusieurs anges sonnent de la trompette, et dans le haut, d'autres
soutiennent une banderole sur laquelle on lit : ASSVMPTA.
EST. MARIA. IN. CELVM. AVE. EXERCITVS. ANGELORVM. Cette
précieuse épreuve faisait partie de la collection de Marolles, acquise par le
roi en 1667 ; elle provenait, sans aucun doute, de celle de Claude Maugis,
abbé de Saint-Ambroise, qui, ainsi que nous l'avons dit ailleurs, avait été
aumônier de la reine Louise de Vaudemont, femme de Henri III, et qui fut
envoyé à Florence pour accompagner la jeune reine Marie de Médicis. Son
séjour à Florence et ses liaisons avec les Florentins que celle reine amena
en France lui procurèrent, pour sa collection d'estampes, des ressources
d'autant plus considérables, qu'à cette époque il n'avait presque aucun
concurrent ; aussi, le cabinet des Estampes de la Bibliothèque Nationale de
Paris, dans laquelle est entrée la collection de Claude Maugis avec celle de
Marolles, est-il plus riche qu'aucune autre collection publique, dans la
partie des anciens maîtres italiens. Longtemps oubliée parmi les anciennes
estampes anonymes, l'abbé Zani de Parme la reconnut en 1797 comme une épreuve
tirée sur la Paix d'argent de Saint Jean de Florence. C'est la seule
pièce que l'on puisse attribuer d'une manière authentique à Thomas
Finiguerra. Elle a été longtemps considérée comme unique ; mais, le 15 juin
1841, M. Robert Dumesnil en découvrit une seconde épreuve à la Bibliothèque
de l'Arsenal : elle est collée à la page 109 d'un volume in-8° oblong relié
en veau brun, reliure de la fin du dix-septième siècle, lequel, entre autres
pièces, contenait des estampes de Jacques Callot et de Sébastien Leclerc. Il
est à remarquer qu'on a enlevé de ce volume les pages 103 à 108 ; le voleur
ignorant s'est arrêté à point : mais que contenait les pages enlevées ?... on
ne le sait pas. L'épreuve de la Bibliothèque de l'Arsenal est sur un papier
de mauvaise qualité ; mais elle est mieux conservée que celle de la
Bibliothèque Nationale et elle a une marge de deux centimètres environ ; elle
est aussi en encre grise, mais moins bien imprimée que l'autre : je la crois
tirée, avant que la gravure fût entièrement terminée. L'importance
de cette pièce, la première estampe, a dû nous entraîner à en parler avec
détail. Nous ne donnerons la description d'aucun autre nielle. Tous les
nielles connus se trouvent décrits dans l'ouvrage que nous avons publié (Essai sur
les nielles, gravures des orfèvres florentins du quinzième siècle, Paris,
1824, in-8°), au
nombre de plus de quatre cents ; ces nielles tous très-rares, puisqu'il n'y
en a que trente-neuf dont on connaisse deux épreuves, onze dont on connaisse
trois épreuves, et huit seulement dont on connaisse quatre épreuves ; mais il
est naturel de rappeler ici les principaux orfévres nielleurs, dont les noms
nous sont parvenus : quelques-uns d'entre eux ont été aussi graveurs. Parmi
les Florentins, on connaît Amerighi, Michel-Ange Bandinelli et Philippe
Brunelleschi ; puis, Forzore Spinelli, d'Arezzo, qui travailla aussi à
Florence ; François Furnio, Bartholomé Gesso, Geminiano Rossi et François Raibolini,
le maître de Marc-Antoine, connu sous le nom de Francia, tous quatre de
Bologne ; Teucreo et Jean Turino de Sienne, Caradosso et Daniel Arcioni de
Milan, Ambroise Froppa de Pavie, Jacques Tagliacarne de Gênes ; Nicolas Rosa
ou Rosex, dit Nicoletto, de Modène, dont on connaît trois nielles et qui a
gravé plus de soixante estampes ; enfin Antoine Pollajuolo, qui a gravé aussi
plusieurs estampes, dont une, dite la Bataille aux coutelas, représente dix
hommes nus se battant ; Danti, Antonio ; Pierre Dini, dit Arcolano ;
Gavardino, Léon-Jean-Baptiste Alberti, et Matthieu, fils de Jean Dei. En
terminant cette liste, nous devons mentionner d'une manière particulière S.
Peregrini de Cesène, dont le nom n'avait été cité par personne, lorsque nous
l'avons fait connaître en 1819 : c'est, après Finiguerra, le plus habile des
orfèvres-ciseleurs, et soixante-six nielles portent son nom et sa marque. Parmi
les graveurs de la fin du quinzième siècle, on trouve Barthélémy Baldini,
ordinairement désigné sous le nom de Baccio ; c'est à lui qu'on doit une
suite de vingt-quatre grands Prophètes, celles des douze Sibylles, des
Planètes 3 et vingt vignettes pour la Divina Commedia du Dante,
édition de Florence, 1481, in-folio ; Jérôme Mozzeto, dont on connaît dix
gravures, toutes fort rares ; André Mantegna, habile peintre qui a gravé
plusieurs de ses compositions, la plupart rares et recherchées ; Jean-Antoine
de Brescia, dont on connaît plus de trente planches ; Benoît Montagna, Jules
Campagnola et Robetta, un des derniers graveurs italiens du quinzième siècle. Revenant
à l'Allemagne, au milieu du quinzième siècle, nous aurons à parler d'abord
d'un graveur, qui a souvent marqué, sur ses gravures, l'année 1466, avec les
lettres E S, et auquel on a quelquefois,
sans autres motifs que ces initiales, donné le nom d'Edouard Schœn, ou bien
celui de Stern, à cause des étoiles qu'il a fréquemment employées dans la
bordure des vêtements de ses figures. Le caractère de son dessin et de sa
gravure ne permet pas de le confondre avec aucun autre graveur de la même époque.
On le désigne ordinairement sous le nom du Maître de 1466. Bien certainement,
il est Allemand. Barstch est tenté de le croire né en Suisse, parce qu'il a
gravé deux fois le célèbre Pèlerinage de Marie de Einsilden. Deux autres
motifs me font penser qu'il était Bavarois, car on a de lui une Figure de
femme tenant de la main droite une bannière et soutenant de la gauche un écu
écartelé aux armes de Bavière ; en outre, on voit dans la cathédrale de
Munich un ancien tableau peint à l'huile, représentant un Calvaire : une des
figures de soldat tient un guidon sur lequel sont tracées les lettres E S. Ce
graveur a fait près de trois cents pièces, la plupart de petite dimension,
fort rares, et parmi lesquelles, indépendamment de diverses compositions
très-curieuses, on doit faire remarquer deux suites importantes, savoir : un
Alphabet composé de figures grotesques, et un Jeu de cartes numérales.
L'Alphabet est complet dans le Cabinet de Munich : il n'y a que vingt-deux
lettres à la Bibliothèque Nationale de Paris ; cinq dans la Bibliothèque
impériale de Vienne ; seize dans celle de Dresde ; six dans celle de Berlin ;
quinze dans la collection qu'avait M. Douce à Kensington, et quatorze, je
crois, dans celle qu'avait formée M. Wilson à Londres. Quant au Jeu de
cartes, il est bien plus rare encore ; on n'en rencontre que quatre ou cinq
pièces ou des fragments dans quelques cabinets ; cependant M. Wilson avait
réuni vingt-neuf cartes entières, qui ont été acquises depuis par la
Bibliothèque Nationale de Paris. Ce jeu est composé maintenant de trente-sept
cartes gravées ; il y en a onze dessinées d'après les originaux ; il en
manque encore quatre, qui sont inconnues, pour que le jeu soit complet. Le jeu
est formé de quatre couleurs, ayant chacune quatre figures : roi, dame,
chevalier et varlet, avec neuf cartes pour les points. Les couleurs sont
remplacées par des figures humaines grotesques : des lions et des ours, des
cerfs et des daims, puis des oiseaux de différentes espèces. La couleur sur
les figures est spécifiée par un des animaux, placé indifféremment dans un
des angles. Cent quatre-vingt-seize points auraient paru nécessaires ; mais
le graveur n'en a fait que soixante-deux, sur de petites planches de formes
et de grandeurs inégales et irrégulières, et ces points, lors de
l'impression, ont été répétés suivant le besoin. Nous ne pouvons affirmer
l'exactitude de ce dernier nombre, et nous devons faire connaître que six de
ces cartes, le huit et le neuf des cerfs, le trois, le quatre, le huit et le
neuf des oiseaux, sont des copies fort anciennes, sans aucun doute, mais dans
lesquelles les points sont gravés sur une seule planche, au lieu d'être
chacun sur une petite planche séparée, comme dans les cartes originales.
L'œuvre de ce maître, que possède la Bibliothèque Nationale de Paris, est le
plus nombreux et le plus riche qui ait jamais été rassemblé ; il contient
deux cent cinquante pièces. Nous
avons à citer maintenant deux autres graveurs anonymes de la même époque,
auxquels Bartsch n'a pas accordé d'articles séparés, quoique cependant ils
eussent bien mérité cette distinction. L'un est certainement Hollandais, et
j'ai vu l'année 1480, écrite à la main, il est vrai, sur une de ses pièces.
Je l'ai donc désigné depuis longtemps sous la dénomination du Maître de 1480.
Il n'a jamais employé ni initiales ni monogrammes. Le caractère de son dessin
et celui de sa gravure lui sont tout à fait particuliers. On ne voit que
rarement quelques pièces de ce maitre : le cabinet d'Amsterdam en possède
pourtant soixante-seize. Il n'y en a que deux dans la Bibliothèque impériale
de Vienne, cinq dans le cabinet de l'archiduc Charles, une seule à Berlin ;
il n'y en avait qu'une seule à Londres en 1824, et deux chez le duc de
Buckingham ; la Bibliothèque Nationale de Paris en possède six, savoir :
Samson endormi sur les genoux de Dalila ; une Vierge debout sur un
croissant et tenant l'enfant Jésus sur son bras gauche ; Saint George
à pied, perçant avec son épée la gorge du dragon qui menaçait la vie de la
reine de Lydie ; Deux amants assis l'un près de l'autre, pièce copiée par
Israël van Mecken ; enfin, une Tête d'homme, sans barbe, la tête
couverte d'un turban. L'autre
maître, également anonyme, a bien moins de mérite sous le rapport du dessin,
qui est roide, et de la gravure, qui est fine, serrée et d'un médiocre effet.
Ses compositions sont assez grandes et contiennent plusieurs personnages ;
presque tous ont autour d'eux ou portent à la main de longues banderoles, sur
lesquelles sont écrites en caractères gothiques des inscriptions ou sentences
ayant rapport au sujet représenté. Nous
avons à parler maintenant des graveurs qui ont vécu jusqu'au commencement du
seizième siècle, tels que François de Bocholt, Martin Schongauer, Israël van
Mecken, Winceslas d'Olmutz ; puis, nous arriverons à une époque où brilleront
à la fois, en Italie Marc-Antoine Baimondi, en Allemagne Albert Dürer, et en
Hollande Lucas de Leyde. François de Bocholt, probablement né ou travaillant
à Bocholt, dans l'évêché de Munster, a gravé une quarantaine de pièces, d'un
dessin gothique et d'un burin maigre. Ce n'est pas le mérite de ses gravures,
qui les fait rechercher, mais leur rareté et leur ancienneté ; elles sont
souvent marquées F V B. Martin
Schongauer, longtemps désigné sous le nom de Martin Schoen, né à Colmar le 2
février 1499, était d'une famille patricienne d'Augsbourg. Il fut bon peintre
et habile graveur. On connaît de lui plus de cent vingt pièces gravées sur
cuivre, parmi lesquelles on doit citer, comme très-remarquables : le Portement
de croix et une Bataille des chrétiens, conduits par l'apôtre
saint Jacques contre les infidèles, grandes compositions en largeur,
très-rares ; la Passion de Jésus-Christ, suite de douze pièces en
hauteur, et la Mort de la Vierge, pièce d'un très bel effet ; puis,
une pièce, aussi en hauteur, où l'on voit Saint Antoine tourmenté par les
démons : Vasari rapporte que Michel-Ange possédait une épreuve de cette
planche et qu'il l'avait coloriée, ce qui doit paraître singulier ; les Cinq
vierges sages et les Cinq vierges folles, suite de dix petites figures debout
; enfin, deux pièces d'orfèvrerie : une crosse, de petite dimension, dans
l'enroulement de laquelle est une figure de la Vierge assise tenant l'enfant
Jésus dans ses bras, et enfin, un encensoir3 d'un très-beau travail et du
meilleur goût. Israël
van Mecken fut peut-être élève de François de Bocholt, car 11 travaillait à
Bocholt, avant 1500 ; on le croit mort en 1523. C'est, de tous les graveurs
allemands, celui dont les travaux sont le plus répandus ; ses estampes
passent le nombre de deux cent cinquante ; quarante sont copiées d'après
celles de Schongauer. Il n'est pas probable qu'il ait été peintre ; mais il a
gravé habituellement ses propres compositions, et il est inférieur à Martin
Schongauer, tant sous le rapport de l'invention que sous celui du dessin et
de la gravure. Cependant, parmi ses nombreux travaux, on doit signaler Jci
son portrait, avec une grande barbe, et celui d'un autre Israël, sans barbe,
ayant sa femme près de lui, probablement son père et sa mère ; Judith
mettant la tête d'Holopherne dans le sac que tient sa servante, et la Danse
d’Hérodiade., médiocres compositions en largeur, remarquables seulement à
cause de leurs dimensions ; la Passion de Jésus-Christ, suite de douze
estampes en hauteur ; le grand Portement de croix, copié d'après
Schongauer ; deux Descentes de croix, en hauteur ; la Vie de la
Vierge, suite de douze estampes en hauteur, sur l'une desquelles on voit
l'année ; quatorze figures de la Vie de Jésus-Christ, seize de la Vie
de la Vierge, d'après Schongauer ; trois suites des Apôtres, dont une de
quinze pièces : les figures sont debout dans des niches ; l'autre, de douze
pièces : petites figures sans fond ; et la troisième, de six pièces : les
figures sont à mi-corps et réunies deux par deux ; Saint Grégoire
apercevant l'Homme de douleur, au moment de la messe : il est à genoux
devant le Saint-Sacrement ; cette composition, souvent répétée par les vieux
maîtres, est gravée ici sur deux planches, qui réunies ont cinquante
centimètres de haut — le motif de cette division en deux planches ne peut
être causé que par la difficulté qu'il y avait alors en Allemagne à fabriquer
des cuivres de cette dimension, car nous trouvons en Italie plusieurs
planches beaucoup plus grandes — ; Saint Antoine tourmenté par les démons,
copié d'après Schongauer ; Saint Luc faisant le portrait de la Vierge
: on pense que, dans ce sujet, Israël van Mecken a représenté son père ; Sainte
Odilie délivrant du purgatoire l'âme d'un roi ; enfin, un grand nombre
d'autres figures de saints et de saintes ; différents sujets pieux ; une
assez grande composition en hauteur : Lucrèce
se donnant la mort en présence de Collatin et de plusieurs autres personnes ; ce sujet est le seul
qu'Israël van Mecken ait tiré de l'histoire profane, car on ne doit pas
classer dans cette catégorie un groupe de quatre femmes nues, copiées d'après
Albert Dürer, dans lesquelles on a cru reconnaître les trois Grâces, ou
plutôt les trois déesses, Junon, Pallas et Vénus, accompagnées de la Discorde
et prêtes à paraître devant Paris, tandis que ce sujet représente : Trois
femmes au sabbat chez une sorcière. Israël van Mecken a gravé aussi des
rinceaux d'ornements, d'assez bon goût, et des lettres initiales destinées à
servir de modèles aux scribes pour leurs rubriques. Nous
terminerons nos observations sur cet ancien maître, en citant deux pièces que
je crois uniques. L'une est au Cabinet des Estampes de la Bibliothèque
Nationale de Paris : c'est une crosse, de grandeur naturelle, gravée en deux
planches ; les ornements de cette pièce sont dans le goût gothique ;
l'enroulement du haut est vide ; au-dessous est une statue de la Vierge
portant sur son bras gauche l'enfant Jésus, dont elle tient un des pieds dans
sa main droite ; en bas, est la marque Israël.
V. M. L'autre
pièce est à Londres, au Musée britannique : c'est une grande flèche gothique,
sans doute la représentation de quelque reliquaire célèbre, qui aura été
fondu pendant les guerres religieuses du seizième siècle. Elle est aussi
gravée sur deux planches ; une troisième planche donne le plan de ce
monument, gravé seulement au trait. Bartsch n'a jamais vu la première de ces
pièces ; quant à celle-ci, il la croit, à tort, gravée par Wolgemut. Les
trois planches réunies ont soixante-sept centimètres de hauteur sur une
largeur de vingt-huit centimètres. L'œuvre
d'Israël van Mecken., à la Bibliothèque Nationale de Paris, se compose de
trois volumes, contenant deux cent vingt-huit pièces, remarquables par la
beauté et la conservation des épreuves. Il est convenable de rappeler ici
que, si l'on trouve dans la collection de Paris un nombre, plus considérable
que partout ailleurs, de belles épreuves, cela tient à ce que l'origine de
cette collection remonte, ainsi que nous l'avons déjà dit, à l'année 1576,
cent ans environ après la découverte de l'impression des estampes sur cuivre,
lorsqu'il n'existait encore que deux collecteurs iconophiles, Paul de Praun,
à Nuremberg, et, à Paris, Claude Maugis, abbé de Saint-Ambroise de Bourges. Si nous
citons Winceslas d'Olmutz, qui a gravé dans les années 1481 à 1497, ce n'est
pas qu'on puisse le considérer comme un des plus habiles graveurs ; mais son
nom ne se trouve que sur une seule pièce, et ses autres estampes sont
marquées seulement de l'initiale W, que pendant longtemps on a crue être la
marque de Michel Wolgemut, peintre habile, maître d'Albert Dürer, mais auquel
on ne saurait raisonnablement attribuer ces pièces, la plupart étant copiées
d'après des gravures de ses contemporains : Martin Schongauer, Israël van
Mecken et Albert Dürer. Nous avons aussi à faire remarquer une pièce
très-singulière de ce vieux maître. Elle représente la figure monstrueuse
d'une femme entièrement nue, vue de profil et tournée vers la gauche, le
corps couvert d'écaillés, avec la tête et la crinière d'un âne ; la jambe
droite terminée par un pied fourchu, et la gauche par une patte d'oiseau ; le
bras droit terminé par une patte de lion, et le gauche par une main de femme.
Le derrière de ce monstre, couvert d'un masque barbu, offre, en guise de
queue, le cou d'une chimère ayant une tête bizarre avec une langue de
serpent. Dans le haut, est écrit : ROMA CAPUT MUNDI. A gauche est une tour à trois
étages, sur laquelle flotte un drapeau orné des clefs de saint Pierre en
sautoir. Sur le château, on lit : CASTESAGNO ; en avant, est une rivière où se trouve écrit : TEVERE ; plus bas, Je mot IANVARII ; au-dessous, l'année 1496. A droite, dans le
fond, est une tour carrée sur laquelle est écrit : TORE DI
NONA ; du même
côté, sur le devant, est un vase à deux anses, et au milieu du bas, la lettre
W. Cette
gravure allégorique a certainement été faite lors des dissentiments religieux
qui commencèrent vers cette époque entre la cour de Rome et quelques princes
d'Allemagne. Sa date lui donne un grand intérêt, puisque, gravée à
l'eau-forte, elle vient changer les idées qui attribuent à Albert Dürer
l'invention de cette manière de graver, plus expéditive que la Gravure au
burin ; car la plus ancienne estampe d'Albert Dürer gravée à l'eau-forte,
portant la date de 1515, est, par conséquent, postérieure de dix-neuf années
à celle de Winceslas d'Olmutz. La seule épreuve que j'ai vue de cette pièce
est au British-Museum, et je ne sache pas que personne en ait parlé, avant
moi, en 1824. La
Gravure est maintenant sortie de l'enfance ; trois artistes recommandables,
ainsi que nous venons de le dire, l'exercent à la fois dans différentes
parties de l'Europe : Albert Dürer, né à Nuremberg en 1471 ; Marc-Antoine
Raimondi, né à Bologne vers 1488, et Lucas de Leyde, né en 1494. Le premier,
peintre habile, se fit également remarquer par son talent dans la Gravure au
burin, car, comme nous l'avons déjà dit, il n'a jamais taillé le bois : il a
seulement dessiné à la plume ses propres compositions. C'est par cette raison
qu'on trouve son monogramme sur plusieurs planches en bois. Il ne peut être
question de parler ici de toutes les gravures qu'il a faites, quoique toutes
mériteraient d'être décrites ; mais nous ne pouvons nous dispenser de citer Adam
et Ève debout près de l’arbre de la science du bien et du mal, petite
pièce très-remarquable par la finesse et la perfection de la gravure ; la Passion de Jésus-Christ, suite de seize pièces ; Jésus-Christ en prière
au jardin des Oliviers, gravé en 1515 à l'eau-forte, méthode nouvelle
alors, qui n'avait pas la douceur du burin, ce qui a fait supposer pendant
longtemps que cette pièce et quelques autres de même nature étaient gravées
sur fer ou sur étain ; plusieurs figures de la Vierge avec l'enfant Jésus,
toutes remarquables par l'expression et la naïveté : en raison des objets qui
les accompagnent, elles ont reçu des sobriquets bizarres, tels que Vierge
aux longs cheveux, Vierge à la poire, Vierge au singe, Vierge au papillon
; l'Enfant prodigue gardant les pourceaux, pièce très-belle, dans
laquelle le peintre s'est représenté lui-même ; Saint Hubert en adoration
devant la croix que porte un cerf, pièce rare et très-belle ; la Mélancolie
; la Fortune ; le Chevalier et sa dame en promenade ; un Cavalier,
pièce dite le Chevalier de la mort, et représentant François de
Siekingen, le plus ferme appui de la réforme de Luther, belle et curieuse
estampe gravée en 1515, que l'on considère comme un chef-d'œuvre. Marc-Antoine
Raimondi fut d'abord élève de François Raibolini et ensuite de Raphaël,
d'après lequel il travailla souvent, et dont il sut conserver l'expression
dans ses têtes et la pureté du dessin dans toutes les parties de ses
compositions. Il ne reste rien de gothique dans l'architecture ; rien de
roide dans les poses et les mouvements des personnages ; rien de cassé ni
d'anguleux dans les draperies ; tout est pur, tout est noble, tout est vrai :
aussi, ses gravures sont-elles très-estimées, très-recherchées, et, quand les
épreuves sont belles et bien conservées, elles se vendent à des prix
excessifs, quelquefois fabuleux. Nous
croyons donc devoir indiquer ici, comme spécimen de l'œuvre de Marc-Antoine
et de sa valeur vénale, un choix de pièces remarquables qui faisaient partie
du riche et célèbre cabinet de M. Debois, vendu à Paris en 1844 : Adam et Eve mangeant le fruit défendu, d'après Raphaël, ainsi que
toutes les pièces suivantes (1.010 fr.) ; Dieu ordonnant à Noé de construire l'arche ; le graveur a rendu avec une
rare perfection la finesse, l'expression et la pureté du dessin du peintre (700 fr.) ; Joseph et la femme de Putiphar (105 fr.) ; David coupant la tête de Goliath (430 fr.) ; Le Massacre des innocents, pièce dite le Chicot (à cause du
sapin que l'on voit dans l'angle du haut, à gauche), très-rare et très-belle (855 fr.) ; d'autres épreuves plus belles
ont été vendues 1.200 fr. ; Le Massacre des innocents, sans le chicot, seconde
planche de Marc-Antoine, plus probablement gravée par Marc Ravignano, d'une
beauté et d'une conservation extraordinaires (1.255 fr.) ; La Pécheresse chez Simon le pharisien, très-belle (750 fr.) ; La Cène, dite la Pièce des pieds (2.900 fr.) ; La Descente de croix (1.100 fr.) ; La Vierge debout pleurant sur le corps de
Jésus-Christ,
première épreuve, où le bras droit de la Vierge est nu (91 fr.) ; La même composition, seconde épreuve, où la Vierge
a le bras droit couvert (75 fr.) ; Saint Paul prêchant à Athènes (2.500 fr.) ; La Vierge montant au temple (365 fr.) ; La Vierge sur des nues, ayant près d'elle l'enfant
Jésus (655 fr.) ; La Vierge assise soutenant l'enfant Jésus, pièce dite la Vierge au
poisson (61 fr.)
; La Vierge assise, dite la Vierge à la longue cuisse (493 fr.) ; Sainte Famille, dite la Vierge au palmier (800 fr.) ; Sainte Famille, dite la Vierge au berceau (396 fr.) ; Le Martyre de saint Laurent, la plus grande estampe de
Marc-Antoine, gravée d'après les dessins du sculpteur Baccio Bandinelli pour
un bas-relief (2.600 fr., première épreuve avec les deux fourches) ; Jésus-Christ assis sur les nuées entre la sainte
Vierge et saint Jean-Baptiste ; au bas, sont saint Paul debout et sainte Catherine à genoux ;
pièce dite les Cinq saints (1.060 fr.) ; Sainte Cécile accompagnée de saint Paul, saint
Augustin et saint Jean l’apôtre, gravée d'après un dessin de Raphaël, différent un
peu du tableau qui est dans l'église de Saint-Jean de Bologne (790 fr.) ; Le Martyre de sainte Félicité (550 fr.) ; Didon debout près d'un bûcher, très-rare (100 fr.) ; Lucrèce debout, une des premières pièces gravées par
Marc-Antoine, lors de son arrivée à Rome (370 fr.) ; Cléopâtre, d'après la statue antique du Belvédère ; rare (201 fr.) ; Alexandre-le-Grand faisant serrer les livres d’Homère, une des plus belles pièces du
graveur (141
fr.) ; Le Triomphe d'un empereur romain, d'après un dessin d'André
Mantegna ; très-rare (240 fr.) ; Danse d'amours et d'enfants, pièce très fine (205 fr.) ; Deux faunes portant un enfant dans un panier, d'après un bas-relief antique,
estampe très-remarquable (340 fr.) ; Jugement de Paris, regardé comme le chef-d'œuvre du graveur (3.350
fr.) ; Le Parnasse ; Apollon est au milieu des Muses (510 fr.) ; Bacchanale, d'après un bas-relief antique ; très-rare (301 fr.) ; Satyre défendant une nymphe couchée à terre, pièce d'une grande finesse (130 fr.) ; Satyre avec un enfant tenant une grappe de raisin ; très-rare (110 fr.) ; Jeunes et vieux bacchants près d'une cuve, très-belle pièce (70 fr.) ; Vénus sortant du bain ; l'Amour est près d'elle (250
Tr.) ; La petite Vendange, pièce très-recherchée (346 fr.) ; Vénus sortant de la mer et tordant ses cheveux, pièce gravée par Marc-Antoine,
dans sa première manière, d'après un anonyme (200 fr.) ; Satyre surprenant une nymphe couchée à terre, pièce gravée par Marc-Antoine,
dans sa première manière ; rare (150 fr.) ; Statue d'Apollon (125 fr.) ; Trois pendentifs de la Farnesine : les Grâces,
Jupiter embrassant l'Amour, Mercure convoquant les dieux (1.620 fr.) ; Les Trois Grâces, d'après un bas-relief antique ; pièce
très-recherchée (201 fr.)
; Hercule étouffant Anthée, pièce très-remarquable (180 fr.) ; Triomphe de Galathée ; belle et rare (790 fr.) ; Neptune apaisant la tempête, pièce dite le Quos ego (550 fr.) ; Trajan entre la ville de Rome et la Victoire, d'après un bas-relief de Tare
de Constantin ; pièce très-recherchée (250 fr.) ; La Poésie, figure peinte au Vatican par Raphaël (350 fr.) ; Les Sept vertus, suite de figures debout (275 fr.) ; Deux femmes et le Zodiaque (306 fr.) ; La Peste, pièce rare et très-recherchée (399 fr.) ; Portrait en pied de Raphaël dans son atelier, petite pièce rare et
très-recherchée (600 fr.)
; Statue équestre de Marc-Aurèle, d'après le bronze antique
placé au Capitole. Lucas
de Leyde, comme Albert Dürer, aussi habile dans la peinture que dans la
Gravure, a fait environ cent quatre-vingts pièces ; les plus remarquables
sont : David jouant de la harpe devant Saül ; La grande Agar, très-belle pièce, de la plus excessive rareté ; L'Adoration des mages, très-belle pièce ; Le grand Ecce homo, gravé en 1510, lorsque
l'artiste avait seize ans ; Marie-Madeleine livrée aux plaisirs du monde, grande pièce en largeur, dite la
Danse de la Madeleine, pièce très-rare ; Le Moine Sergius tué par Mahomet ; Les Sept vertus ; Un Paysan et une paysanne près d'une vache, pièce dite la Petite
laitière ; très-rare ; Une Famille pauvre en voyage, pièce dite l'Epingle,
sobriquet imité de Uglen Spiegel, miroir de hibou. On ne connaît
que cinq épreuves de cette pièce, qui fut payée seize louis d'or (384 fr.) par l'abbé de Marolles : elle
vaudrait aujourd'hui trois fois davantage. Nous
parlerons ici d'un artiste français, dessinateur et graveur à la fois ; c'est
Jean Duvet, né à Langres en 1488. Il était orfèvre de Henri II, et, si nous
ne pouvons le placer au-dessus des artistes étrangers ses contemporains, nous
devons au moins nous glorifier de voir un Français placé convenablement à
côté d'eux. Il a gravé plusieurs pièces allégoriques sur les amours du roi et
de Diane de Poitiers. Il a fait aussi une suite de vingt-quatre compositions,
dont les sujets sont tirés de l'Apocalypse. A la
même époque, travaillaient, en Italie, Augustin Vénitien, Jacques Caraglio,
Ænéas Vico, Jules Bonasone et les Ghizi ; en Allemagne, George Pencz,
Aldegraver, Barthélemy et Hans Sebald de Beham ; en Hollande, Thiéry van
Slaven. En
avançant dans le seizième siècle, nous trouverons la Gravure à son apogée. Ce
n'est plus ni l'Italie, ni l'Allemagne, qui marchent resplendissantes,
entourées d'une auréole d'artistes d'un haut mérite : c'est la Flandre et la
France, qui voient sortir de leur sein une foule de graveurs d'un talent très
varié et toujours remarquable. Henri
Goltzius, né en 1558, et ses élèves Mathan et Muller, dont le burin vigoureux
rappelle les brillants effets de la couleur sans rien faire perdre à la
pureté du dessin ; Pierre de Jode, né en 1570 ; les deux frères Schelte et
Bœce, plus connus sous le nom de Bolswert, leur ville natale, nés en 1580 et
1586 ; Paul Pontius et Lucas Vorsterman, nés tous deux en 1590, dont les
estampes expriment si bien le clair-obscur et la couleur brillante de Van
Dyck et de Jacques Jordaens. Nous ne pourrions parler de toutes les belles
pièces données par ces habiles burinistes ; Goltzius et ses élèves ont
produit plus de six cents estampes, dont plusieurs sont des chefs-d'œuvre ;
mais nous serions coupable de ne pas citer nominativement le Calvaire, gravé
par Bœce d'après Rubens ; le Couronnement d'épines, par Schelte d'après Van
Dyck ; la Présentation de Jésus-Christ au Temple et le Portrait de Rubens,
par Pontius ; le Roi boit, aussi par Pontius d'après Jordaens ; le Christ
mort, par Vorsterman d'après Van Dyck, et le Portrait de Claude Maugis,
d'après Champaigne ; le nom de ce personnage ne doit pas être oublié dans
l'histoire de la Gravure, puisqu'il est le premier collecteur d'estampes, et
que son riche cabinet, après avoir passé dans les mains de Jean de l'Orme et
de Michel de Marolles, est venu, en 1667, se placer à la Bibliothèque du roi,
pour y devenir le noyau de cette brillante et riche collection. Nous avons à
parler ici de trois graveurs français, Jacques Callot, né à Nancy en 1594,
Michel Lasne, né à Caen en 1596, Étienne Baudet, né à Blois en 1598. Le
premier de ces artistes a gravé à l'eau-forte près de quinze cents pièces,
toutes d'après ses compositions et toutes d'un esprit et d'une finesse
remarquables. On regarde comme des chefs-d'œuvre : la Tentation de saint
Antoine, la Foire de la madone d’Imprunette, la Foire de
Gondreville, le Parterre de Nancy, et la Carrière,
c'est-à-dire la grande rue de cette ville. On recherche également quelques
suites, comme la Petite passion, douze pièces ; les Misères de la
guerre, dix-huit pièces. Michel Lasne a gravé nombre de portraits, et
Baudet, huit grands paysages d'après Poussin. Un Hollandais, Jonas Suyderœf,
né à Leyde en 1600, en alliant l'eau forte, le burin et la pointe sèche, a
donné à ses gravures un aspect tout particulier, d'un effet très-remarquable
: il a gravé plus de deux cents pièces, parmi lesquelles on recherche
principalement le Traité de Munster, d'après Terbugh ; les Bourgmestres
d'Amsterdam recevant la nouvelle de l'arrivée de la reine Marie de Médicis,
d'après Keyser ; les portraits de David van Ruyts et de Madeleine sa femme,
deux pièces très-belles et très-rares. Il est
impossible d'oublier ici trois grands artistes qui ont acquis une égale
renommée par leur pointe et par leur pinceau : Van Dyck, né à Anvers en 1599
; Claude Gelée, dit Claude Lorrain, né à Chamagne en 1600, et Rembrandt, né
près de Leyde en 1606. Le
premier, élève de Rubens, qui a peint tant de tableaux et de si beaux
portraits, en a gravé quelques-uns à l'eau-forte ; il l'a fait avec tant
d'esprit, tant de liberté, que ce sont des modèles à suivre, mais qu'on n'a
pas encore imités. Claude Lorrain, dont les tableaux sont aussi remarquables
par la lumière qui y brille, que par la vapeur qui en tempère l'éclat, a
gravé à l'eau-forte une trentaine de paysages, tous fort recherchés,
quelques-uns fort rares, et le prix en a quelquefois passé 500 francs. On ne
peut parler de Rembrandt, sans être étonné de la force et de la variété de
son talent ; il a fait de grandes compositions historiques, remarquables par
la vérité de la couleur et la science du clair-obscur, des portraits si vrais
par leur pose et d'un coloris si juste qu'on croit voir la nature même, des
paysages simples comme le pays qu'il habitait, et dont le grand mérite est
aussi dans l'imitation la plus vraie de la nature. Voilà le peintre.
Voulons-nous maintenant considérer le graveur, nous verrons l'artiste
employer alternativement, sans méthode aucune, l'eau-forte, le burin et la
pointe sèche ; nous le verrons retravailler et amener à bien une planche que
d'autres auraient abandonnée, le premier travail étant gâté par un grave
accident ; nous le verrons faire de légères esquisses à l'eau-forte, puis des
gravures très-chargées de noirs ; nous le verrons enfin produire beaucoup,
puisqu'on connaît de lui trois cent soixante-dix-huit pièces dont plusieurs
sont très-recherchées, quelques-unes d'une excessive rareté et beaucoup d'un
prix très-élevé. Ces
illustres artistes, qui ont porté au plus haut degré de perfection la Gravure
à l'eau-forte, appartiennent, il est vrai, par leurs ouvrages, à un siècle
dont nous n'avons pas à nous occuper ; mais ils appartiennent, par la date de
leur naissance du moins, à l'époque qui doit nous servir de limite. Nous
dépasserons un peu cette limite, en ajoutant ici quelques courtes notices sur
les plus habiles graveurs qui ont paru en Europe dans la première moitié du
dix - septième siècle, ce grand siècle de la Gravure. Wenceslas
Hollar, né à Prague en 1607, a gravé des compositions, des portraits, des
paysages, au nombre de plus de deux mille pièces, et l'on peut admirer le
soin et le talent avec lesquels il sut allier l'eau forte, le burin et la
pointe sèche. Parmi les estampes les plus rares, on doit citer la Reine de
Saba venant visiter Salomon, d'après Paul Véronèse, premier état, où le
tableau est placé à terre dans la galerie de l'archiduc à Bruxelles, et où
l'on voit paraître au-dessus du tableau plusieurs des portraits qui
décoraient cette célèbre galerie ; une Vue du portail de la cathédrale
d'Anvers, première épreuve avec une seule ligne d'écriture au bas de la
planche ; un grand calice, d'après le dessin d'Holbein, dessin qui existait
alors dans la collection du comte d'Arundel. Corneille
Visscher, né en Hollande vers 1610, un des plus habiles graveurs au burin,
qui a gravé environ cent pièces. On recherche principalement le Vendeur de
mort aux rats et la Faiseuse de kouck, espèce de crêpes que l'on vendait dans
les rues en Hollande ; les Patineurs, d'après Van Ostade ; le portrait de
André Winius, souvent désigné sous le sobriquet de Deonison, fils de Denis,
et de Vllomme au pistolet (vendu six cents francs, en 1815) ; Guillaume de Ryck, oculiste à
Amsterdam (vendu quatre cents francs, en 1811), et Gelius de Bouma, ministre
du saint Évangile à Zutphen dans la Gueldre (vendu six cents francs, en
1811). Étienne
de la Bella, né à Florence en 1610, graveur à l'eau-forte, qui a presque
toujours travaillé d'après ses propres dessins. La pièce la plus importante
de cet artiste est une grande Vue du Pont-Neuf ; les premières épreuves sont
avant le coq sur le clocher de Saint-Germain-l'Auxerrois. Le
prince Robert, Palatin du Rhin, neveu de Charles 1er, roi d'Angleterre,
naquit en 1619 : il est souvent désigné comme l'inventeur de la mezzo-tinte
ou manière noire ; mais il avait seulement
importé en Angleterre, où il mourut en 1682, les procédés que lui fit
connaître Louis de Siégen, officier au service du landgrave de Hesse-Cassel,
né vers 1620. Ce genre de gravure a été exercé avec succès en Angleterre. Ils
n'ont, l'un et l'autre, gravé que très-peu de pièces. On a du premier une
grande figure à mi-corps, qui représente l'exécuteur de saint Jean-Baptiste,
tenant une épée d'une main et de l'autre la tête du saint, d'après un tableau
de Joseph Ribéra, dit l'Espagnolet ; l'original se voit dans le palais de
Schleissheim, à quatre lieues de Munich. Le second a gravé un portrait de la
princesse Amélie de Hanau, veuve du landgrave Guillaume V. Guillaume
Faithorne, né à Londres en 1620, élève du peintre Péak ; il voulut, ainsi que
son maître défendre les droits du roi Charles Ier et fut fait prisonnier par
les rebelles à Bassing-House ; puis, enfermé à Aldersgate. Il refusa de
prêter serment à Cromwell et obtint la faveur de passer en France. Il y reçut
des conseils de Philippe de Champaigne et de Robert Nanteuil, ainsi que des
encouragements du célèbre amateur et collecteur d'estampes, l'abbé de
Maroltes. Il perfectionna son talent et fit des portraits en miniature et au
crayon ; il en grava aussi de fort remarquables ; plusieurs sont très-estimés.
Parmi ceux-ci, on doit citer les portraits du vicomte de Mordaunt, ardent
partisan de Charles Ier ; de Marguerite Smith, femme d'Edouard Herbert,
ambassadeur en France, et de Françoise Bridges, comtesse d'Exeter. Ces trois
beaux portraits sont gravés d'après Van Dyck. Dans une vente qui eut lieu à
Londres en 1824, le premier fut vendu plus de mille francs ; le second,
treize cent cinquante francs, et le dernier, cinq cent cinquante francs. Israël
Silvestre, né à Nancy en 1621, sans être imitateur de Callot son concitoyen,
a gravé à l'eau-forte, comme lui, un grand nombre de pièces, d'après ses
propres dessins ; ce sont des vues de Paris, de Nancy, de Fontainebleau et
d'autres villes de France ; des vues de Rome, de Naples et de Florence ;
plusieurs grandes pièces représentent, soit des maisons royales, soit des
villes conquises par Louis XIV. Ces vues, au nombre de plus de mille, sont
ornées de petites figures pleines de goût et touchées avec esprit. On cite
comme très-rares une grande vue de Lyon et une vue du Colysée de Rome. François
de Poilly, le plus habile de cette famille, qui a fourni plusieurs graveurs
au burin, naquit à Abbeville en 1622. Il semble avoir eu quelque prédilection
pour Raphaël, dont il a imité la pureté dans son dessin et la grâce dans
l'expression de ses figures. Ses estampes et ses portraits dépassent le
nombre de quatre cents ; on remarque surtout deux Sainte-Famille, d'après
deux petits tableaux de Raphaël, qui sont au Musée du Louvre, et que l'on
désigne sous les noms de la Vierge au voile et de la Sainte Famille au
berceau ; l’Adoration des bergers, d'après Guido Reni ; et parmi
les portraits, Louis XIV jeune, d'après Nocret ; Abraham Fabert, d'après
L.-Ferdinand Helle ; le cardinal Mazarin, d'après Mignard, etc. Jean
Pesne, né à Rouen en 1623, peintre et graveur à l'eau-forte, n'a gravé
d'après ses tableaux que quatre portraits, mais il a gravé quatre-vingt-dix
pièces d'après les tableaux ou les dessins de Poussin, son compatriote. Il a
su rendre avec une grande perfection l'esprit et le caractère de ce maître.
Les Sept Sacrements, que Poussin avait peints pour M. de Chanteloup, sont
gravés de la même grandeur que les tableaux, ce qui a nécessité de les faire
en deux planches. Ces pièces, très-recherchées par les artistes, ont été
tirées à grand nombre, et les cuivres, qui existent encore, font partie de la
Calcographie du Musée du Louvre. D'autres pièces très-estimées, mais qui ne
sont rares qu'avec certaines remarques caractérisant les premières épreuves,
sont : Esther devant Assuérus, le Ravissement de saint Paul, le
Testament d'Eudamidas, le Portrait du Poussin et plusieurs
Sainte-Famille. Nicolas
Berghem et Paul Potier, tous deux habiles peintres d'animaux, tous deux ont
gravé à l'eau-forte et de la manière la plus spirituelle quelques études de
vaches et de moutons. Le premier est né à Harlem en 1624 et a vécu
cinquante-neuf ans ; l'autre, né en 1625, est mort avant trente ans : le
premier, toujours heureux, toujours gai, a produit beaucoup de tableaux,
très- recherchés malgré leur nombre, et cinquante-six eaux-fortes, parmi
lesquelles on remarque la Vache qui s'abreuve, assez grande pièce, et
plusieurs autres études ; le second, toujours languissant et mort jeune, n'a
laissé que peu de tableaux et dix-huit eaux-fortes, représentant des vaches
et des chevaux, et dont les bonnes épreuves se payent des prix très-élevés. Jérémie
Falk, né à Dantzig en 1629, graveur au burin ; il vint à Paris fort jeune et
reçut les conseils de Chauveau, graveur à l'eau- forte, plus remarquable par
le nombre de ses estampes et de ses vignettes que par leur mérite réel. Falk
devint pourtant un habile buriniste, et ses gravures peu nombreuses sont
estimées. Robert
Nanteuil, né à Reims en 1630, est un de ces artistes remarquables par la
variété de ses connaissances et la supériorité de son talent ; à quinze ans,
ses études étaient terminées, et c'est lui qui grava la Sainte Famille, qui,
selon l'usage de ce temps, orna sa Thèse de philosophie. Nanteuil grava au
burin un grand nombre de portraits, la plupart peints ou dessinés par lui,
souvent au pastel, ou bien à la mine de plomb sur vélin et légèrement
rehaussés de quelques couleurs sur les lèvres, les joues et les yeux. Ses
dessins sont devenus rares ; mais les gravures, au nombre de deux cent seize,
dont trente-deux de grandeur naturelle, se rencontrent fréquemment ;
quelques-uns de ses portraits cependant ont été portés à des prix
très-élevés. Nanteuil travaillait sans doute avec facilité ; on pourrait
s'étonner de voir tant de belles planches, toutes au burin, gravées par un
seul homme, mort à quarante-huit ans ; mais il faut dire que, pressé par les
personnes qui désiraient avoir leurs portraits, il s'est fait aider dans les
parties accessoires par Regnesson, son maître et son beau-frère, Nicolas
Pitau, Pierre-Simon et Corneille Vermeulen. On doit encore remarquer qu'il a
fait plusieurs portraits du même personnage : on en connaît dix-sept qu'il a
gravés deux fois ; six, trois fois ; il a gravé quatre fois le portrait de Péréfixe,
archevêque de Paris ; cinq fois l'archevêque de Reims, Charles-Maurice
Letellier ; six fois le grand Colbert, son concitoyen ; dix fois celui du
ministre Michel Letellier ; onze fois Louis XIV et quatorze fois le cardinal
Mazarin. Abraham
Blateling, né à Amsterdam en 1634, graveur au burin et en mezzo-tinte ; parmi
ses portraits gravés à l'eau-forte et au burin, on recherche surtout ceux de
l'amiral Kortenaer, d'après Vander Helft ; de Corneille de Witt, d'après Sorg
; de l'amiral Tromp, d'après Lely ; de l'amiral Ruyter, etc. Le plus rare de
tous est celui de Pierre Schout à cheval, mal à propos désigné sous le nom de
Mœlman, et quelquefois sous celui du Cavalier ; mort à vingt-neuf ans, Pierre
Schout, chanoine d'Utrecht., était sans doute amateur des beaux-arts, puisque
quatre artistes célèbres lui ont consacré leur talent : la figure est peinte
par Pierre Netscher ; le cheval est de Wouwermans ; le paysage est peint par
Wynants, et la gravure est aussi d'un homme habile. Jean
Vischer, né à Amsterdamen 1636, ne s'est pas élevé à la même hauteur que son
frère Corneille ; il a cependant gravé à l'eau-forte de très-beaux paysages
d'après Berghem. Antoine
Masson, né à Orléans en 1636, est un des graveurs français les plus
remarquables. Il s'est servi, avec la même habileté, du burin et de la pointe
sèche, et il a fait plusieurs chefs-d'œuvre, parmi lesquels on remarque les
Pèlerins d'Emmaüs, d'après le tableau du Titien, qui est au Musée de Pavie.
Les belles épreuves de cette estampe se payent deux cents francs. Les
portraits gravés par lui sont nombreux : les plus beaux sont Henri de
Lorraine, comte d'Harcourt, d'après Mignard, dont une belle épreuve a été
payée trois cents francs en 1812 ; le portrait de Guillaume de Brisacier,
secrétaire des commandements de la reine Anne d'Autriche, d'après Mignard,
dont les épreuves avant la lettre se payent plus de deux cents francs. On
recherche aussi les portraits de la duchesse de Guise et du médecin Marin
Cureau de La Chambre, tous deux d'après Mignard ; enfin, celui de Gaspard
Charrier, prévôt des marchands à Lyon en 1664, peint par Blanchet, et dont la
figure est gravée d'une seule taille en spirale commençant par le bout du
nez, ce qui n'ôte pas l'effet ni le mérite de cette gravure. Nous sera-t-il
permis de rapporter ici une particularité relative à la grand'mère de ce
prévôt des marchands de Lyon, Gabrielle Dufour, laquelle, en 1659, était âgée
de quatre-vingt-cinq ans, avait eu dix-neuf enfants du même lit, et s'était
vue aïeule de quatre-vingt-dix enfants, bisaïeule de trente-deux et
trisaïeule de six, sans compter vingt-et-un gendres ou brus, ce qui portait
sa progéniture à cent soixante-huit personnes. Sébastien
Leclerc, né à Metz en 1637, dessinateur et graveur à l'eau forte, n'est pas
un artiste qui ait produit un aussi grand nombre de planches. D'abord
ingénieur et connaissant parfaitement la perspective et l'architecture, il
composait avec une facilité extrême vignettes, fleurons, lettres grises ou
estampes, et les gravait avec un esprit infini. Jombert, dans son Catalogue
des estampes de ce maître, catalogue formant deux volumes in-8°, a décrit
trois mille cent quatre-vingt-dix pièces, sans compter les changements, les
différences et les remarques, ce qui fait monter l'œuvre de Sébastien Leclerc
à trois mille six cent treize pièces. La plus
grande partie de ces pièces se trouve disséminée dans beaucoup d'ouvrages
imprimés, mais il y en a quelques-unes qu'on recherche plus particulièrement,
comme étant des compositions animées d'un grand nombre de figures, telles que
les Funérailles du chancelier Seguier dans l'église de l'Oratoire, en
1672, pièce qui lui servit pour son entrée à l'Académie, à qui elle fut
présentée par le peintre Charles Lebrun ; le Mai des Gobelins en 1683
; l'Apothéose d'Isis, 1693 ; l'Académie des Sciences, et l'Entrée
d'Alexandre dans Babylone. Nous ne
devons pas omettre ici le nom d'Adrien Van Velde, né à Amsterdam en 1639,
habile peintre d'animaux. Ses tableaux sont fort recherchés et d'un grand
prix, parce que, indépendamment de leur mérite, ils sont rares, le peintre
étant mort à trente-trois ans. Comme graveur, nous rapporterons ce qu'en dit
Bartsch, dont le jugement ne peut être infirmé : On ne voit rien à mettre au-dessus, pour la correction du
dessin, la vérité des caractères des animaux, leurs attitudes, la justesse
des muscles et la perfection soignée du plus petit détail. Plusieurs de ses eaux-fortes
sont très-rares. A la vente de M. Rigai, en 1811, deux petites pièces,
inconnues à Bartsch et considérées comme uniques, ont été vendues neuf cent
cinquante francs chacune. Ces deux pièces venaient du cabinet de M. Van
Leyden fils, et ont été acquises pour le cabinet du duc de Saxe-Techen,
appartenant aujourd'hui au prince Charles. Elles représentent une Fileuse
parlant à un paysan et un Cavalier parlant à deux chasseurs. Enfin,
nous ne terminerons pas cette rapide esquisse, sans citer encore deux
graveurs français également célèbres, que l'on doit placer l'un et l'autre au
premier rang, quoiqu'ils aient deux manières bien différentes. Tous deux
travaillèrent à Paris à la même époque, tous deux gravèrent plusieurs des
compositions du célèbre peintre Lebrun, et, si l'un donna plus de couleurs à
ses estampes que n'en avait la peinture originale, l'autre sut améliorer le
dessin du maître en lui donnant plus de grâce et plus de pureté ; tous deux
enfin portaient le nom de Gérard ; nés à un an de distance, leur mort s'est
suivie à deux ans près. Gérard Édelink naquit à Anvers en 1639, et Girard
Audran, à Lyon, en 1640. Édelink eut un frère et un fils, graveurs de
médiocre talent ; Audran, fils et neveu de graveurs estimés, eut plusieurs
neveux et petits-neveux qui se sont distingués comme lui, quoique à un degré
inférieur, dans l'art de la Gravure. A. DUCHESNE, Conservateur du Cabinet des
estampes de la Bibliothèque Nationale de Paris. |