L'ART de fabriquer le verre et de le
colorer fut en usage chez tous les peuples civilisés de l'antiquité. Si on
étudie les divers fragments de cette matière si fragile qui ont pu arriver
jusqu'à nous, si on tient compte des ornements si variés dont ils sont chargés,
même des figures humaines que quelques-uns d'entre eux représentent, il
paraîtra, ce nous semble, difficile de ne pas admettre que les anciens ont
également connu les moyens de marier le verre avec la peinture. N'oublions
pas surtout que, s'ils n'ont pas produit ce qu'on appelle de nos jours des
vitraux, c'est par la très-bonne raison que les anciens n'avaient pas
toujours eu l'usage de clore les fenêtres de leurs habitations, avec le
verre. On en a cependant retrouvé, aux fenêtres des maisons exhumées à
Pompéi. Nous nous contenterons de rappeler encore que, parmi les verreries
anciennes qui ont eu le plus de réputation, il faut compter celles d'Égypte ;
nos musées en conservent de nombreux et beaux fragments. L'Egypte, qui fit de
très-beaux émaux et des mosaïques, imita les pierres précieuses avec un grand
succès, notamment dans la fabrication des célèbres vases murrhins. La ville
d'Alexandrie a conservé sa réputation pour les produits de ce genre, durant
la domination des Arabes jusqu'à une époque presque moderne. Probablement,
elle transmit cet art à l'Europe ; car on voit, par les ouvrages de
l'encyclopédiste Pline, que la Gaule et l'Espagne pratiquaient déjà de son
temps la verrerie et avaient même acquis une certaine renommée pour la
fabrication du verre. On l'employait surtout alors à faire de la Mosaïque ;
car il ne paraît pas que l'usage de clore les fenêtres des habitations, des
temples ou des églises, avec cette matière transparente, soit antérieur au
milieu du troisième siècle. Les textes des ouvrages du Juif Philon et du poète
Lactance ne parlent point encore de verre ainsi employé ; il faut arriver aux
temps de saint Jean Chrysostome et de saint Jérôme (quatrième
siècle), pour
constater d'une manière bien positive l'usage des vitres dans les édifices. Mais,
au sixième siècle, Grégoire de Tours raconte, avec toute la naïveté du
chroniqueur, l'histoire d'un soldat qui brisa la fenêtre vitrée de l'église
Saint-Julien de Brioude, pour s'y introduire clandestinement et y commettre
divers sacrilèges. Lorsque ce saint évêque entreprit la reconstruction de
l'église Saint Martin de Tours, il eut soin d'enclore les fenêtres avec du
verre de couleurs variées. Vers le même temps, Fortunat, évêque de Poitiers,
célébrait en termes pompeux l'éclat de la verrière de l'église de Paris.
D'après une note de Lacurne de Sainte Palaye, insérée dans son Glossaire
manuscrit des antiquités françaises, au mot VITRES, et d'après les savantes
recherches de Foncemagne sur les rois de France de la première race, on voit
que l'église bâtie par Childebert en l'honneur de la sainte Croix et de saint
Vincent, à Paris, était fermée avec des vitres, et qu'il en était de même des
églises de Lyon et de Saint-Sulpice de Bourges. Enfin, la basilique de
Sainte-Sophie, reconstruite par l'empereur Justinien, avait aussi des
fenêtres fermées par des verres de couleur ; c'est Ducange qui nous l'apprend
dans son ouvrage De Constantinopoli christiana ; et Paul le
Silentiaire ne trouve pas d'assez belles expressions pour rendre l'effet
merveilleux des premiers rayons du soleil sur cet assemblage de verres si
diversement colorés. Nous
serions assez disposé à croire aussi que l'Orient donna toujours au verre des
teintes plus brillantes, plus pures et plus vives que celles que l'on pouvait
produire, aux mêmes époques, en Europe. Cela résulterait pour nous de
l'examen des fragments de verres teints, provenant de celle dernière origine,
comparés avec la belle coupe assanide en or, incrustée de petits disques de
verres colorés sertis d'or et de cristaux taillés, dont on fixe l'antiquité
au sixième siècle et qui est conservée au Cabinet des antiques de la
Bibliothèque Nationale de Paris, après avoir autrefois fait partie du trésor
de l'abbaye Saint-Denis. En
l'année 655, le cloître de Jumièges fut vitré, par ordre de saint Philibert.
Le vénérable Bède nous apprend aussi qu'en 680 l'abbé de Wearmouth vint
chercher des ouvriers verriers en France, parce que la verrerie était encore
inconnue en Angleterre, et Foncemagne nous donne de savants détails sur
l'introduction de cet art, par des Français, sur le sol britannique ; mais le
verre était encore peu répandu chez nos voisins à la fin du septième siècle,
puisque Wilfrid, évêque d'York, parle de fenêtres d'église, les unes garnies
avec des lames de pierres transparentes, les autres avec du verre. Au
huitième siècle, la basilique de Saint-Jean de Latran et l'église de Saint-Pierre
à Rome, au dire d'Anastase le Bibliothécaire, avaient des verrières de
couleur dignes de remarque. Charlemagne ne négligea pas ce genre d'ornements
dans le temple chrétien qu'il fit ériger à Aix la-Chapelle. Dès ce temps-là,
le verre, comme clôture de fenêtres, devint d'un usage presque général. Nous
l'avons vu passer de l'Orient en Europe, pénétrer en Auvergne, en Touraine, à
Paris, en Normandie, s'introduire en Angleterre et en Italie. Ce fut aussi
vers le milieu du neuvième siècle, que les apôtres chrétiens de la Suède et
du Danemark (saint Anchaire et saint Rembert) le portèrent dans le nord de l'Europe. On ne
savait cependant encore fabriquer que de petites pièces, habituellement
rondes et désignées sous le nom de cives, dont l'assemblage, au moyen de
réseaux de plâtre, de châssis en bois, ou de lames de plomb, servait à fermer
les fenêtres des édifices. Cette matière étant alors fort chère, les riches
constructions pouvaient seules être closes ainsi. Aucun
des écrivains chrétiens cités précédemment, aucun historien n'ayant parlé de
vitraux, représentant, soit des ornements, soit des personnages, soit des
objets quelconques pris dans la nature, on a voulu établir deux catégories de
vitraux, savoir : ceux qui ne sont que teints d'une manière uniforme, et ceux
sur lesquels, à une époque plus récente, on aurait peint des sujets variés à
l'aide de couleurs métalliques qui s'incorporaient au verre par l'action du
feu. Il nous paraît, toutefois, que, si l'on a pour argument en faveur des
verres teints l'absence des ornements ou des sujets, à une époque si reculée,
un tel argument ne peut être invoqué pour une époque postérieure. Dans le
chapitre MINIATURES
DES
MANUSCRITS, nous
avons indiqué, en effet, qu'avant le règne de Charlemagne, la peinture avait
tellement dégénéré, que l'on ne pouvait retrouver que quelques ornements
employés dans les lettres majuscules, et encore devait-on plutôt les
attribuer à des calligraphes qu'à des artistes peintres, car il est
impossible de voir un dessin plus incorrect, plus lourd et plus disgracieux.
A la fin du huitième siècle, le progrès de la peinture n'était pas encore
très-sensible. Qu'avait
produit jusqu'alors la peinture murale du Moyen Age ? Paul Diacre nous dit
bien que, dès le sixième siècle, la reine Teudebinde avait fait peindre les
prouesses des premiers rois lombards sur les murs de la basilique qu'elle
avait élevée à Monza ; mais nous ignorons quel était le degré de décadence où
se trouvait cet art et si ces peintures ressemblaient tant soit peu à celles
du Virgile manuscrit du Vatican, exécutées un siècle auparavant. On doit
reconnaître que les artistes peintres devaient être alors aussi inhabiles que
peu nombreux. Ajoutez à cet état de choses les ravages que causèrent, dans
les contrées où restaient encore quelques traditions de la civilisation
ancienne, les Goths, les Vandales, et l'apparition de la secte des
iconoclastes, si fatale aux beaux-arts, et il sera difficile de ne pas croire
que, dans ces temps de barbarie, les artistes peintres devaient être en petit
nombre, peu encouragés et peu habiles. Si la peinture murale continua de se
produire par quelques monuments qui existent encore aujourd'hui dans l'église
Sainte-Cécile à Rome et à Santa-Maria della Scala à Milan, par exemple, c'est
que l'on eut recours, en ces temps-là (817), à des architectes étrangers et
que l'on appela ceux que la Grèce possédait encore : aussi, composèrent-ils
des figures longues, roides comme des colonnes, isolées ou placées
symétriquement ; on n'y voit ni groupes, ni composition, ni perspective ;
c'est la grandeur matérielle qui rend l'idée de la supériorité d'un
personnage ; ce sont tous les caractères qui annoncent enfin un état
d'enfance ou de décadence complète. (Voyez le chapitre PEINTURE MURALE.) Si la peinture murale, si les
miniatures des manuscrits ne contiennent que des ornements et des peintures
grossières, œuvres d'artistes grecs, il n'est pas étonnant que le verre, dont
on se servait très-peu dans les usages habituels de la vie, ne fût pas encore
décoré de figures ou d'ornements peints. Quant à
la Mosaïque, soit en marbre, soit en verre de couleur, Martial, Lucrèce et
d'autres écrivains célèbres la mentionnent dans leurs ouvrages, et il serait
facile de remonter, même par les monuments encore existants dans les musées,
à une plus haute antiquité. On attribue, en effet, à la Grèce ancienne, le
premier usage d'orner de Mosaïque en verre de couleur les pavés des temples ;
mais on a trouvé des débris semblables plus anciens, en Egypte. Les Romains,
à diverses époques, se servirent du verre pour décorer les voûtes et les
pavés de leurs édifices ; ils en revêtirent aussi les colonnes et les murs.
On cite, entre autres, un verre noir de jais, du plus bel effet pour ce
dernier genre de décoration. Enfin, la peinture en Mosaïque atteignit dans
l'antiquité tout le perfectionnement que l'on pouvait espérer de cet art.
Millin, dans ses savantes dissertations et notamment dans la Description
de la Mosaïque scénique du musée Pio-Clémentin, à Rome, nous donne de
curieux détails sur les anciens monuments de ce genre. M. le comte de
Laborde, dans la description d'un pavé mosaïque trouvé près de Séville, et
après lui, Artaud, conservateur du musée de Lyon, Fougerou de Bondaron et
Leviel ont aussi décrit des monuments analogues ; mais il n'en est pas moins
établi que les mosaïques anciennes, représentant des sujets empruntés au
culte chrétien, sont peu nombreuses et appartiennent, en général, à des
époques relativement peu anciennes. Pline nous dit cependant que les Goths
connurent et pratiquèrent la Mosaïque en verre, nécessairement à l'imitation
des Romains. On a
attribué l'usage d'employer le verre teint dans les mosaïques, à la rareté
des marbres de couleur ; car on réduisait alors ce verre à de petites pièces
de rapport, taillées en cube, que l'on incrustait sur un fond de ciment,
après avoir combiné un dessin de fantaisie et avoir ménagé les jours, les
ombres et les demi-teintes, qui devaient lui faire produire tout son effet.
Ne pourrait-on pas croire aussi que la double agrégation du marbre et du
verre fut le résultat d'un perfectionnement dans l'art de faire les mosaïques
; car enfin le verre, que l'on pouvait soumettre par des mélanges métalliques
à une grande variété de couleurs diversement nuancées, se prêtait bien plus
facilement à des combinaisons artistiques, que le marbre, dont les teintes,
étant le résultat des caprices de la nature, ne produisaient pas toutes les
nuances dont on pouvait avoir besoin. Aussi, en décrivant la mosaïque
découverte il y a quelques années dans le département du Bas-Rhin, M. Hugo,
archiviste de ce département et antiquaire aussi habile que zélé,
remarque-t-il que le verre de couleur y est employé pour terminer certaines
portions du dessin qui demandent des gradations successives ou des nuances
que le marbre ne pouvait pas donner, les yeux, par exemple, etc. On croit
pouvoir faire remonter ce monument jusqu'au troisième siècle de notre ère. On
connaît, en fait de mosaïques de l'art chrétien, des croix, des reliquaires,
des tables d'autel et même des mitres d'évêque ; mais il est difficile, sinon
impossible, de fixer l'époque de l'exécution de ces monuments, et cela tient
surtout au procédé de fabrication ; leur travail est, du reste, assez barbare
: il a l'apparence d'une incrustation de pierres, assemblées pour former des
ornements plutôt que dans l'intention de composer un sujet figuré. La
décadence de cet art avait donc fait de rapides progrès depuis le temps où Sénèque
se plaignait que de son temps l'on ne pouvait marcher que sur des pierres
précieuses. Mais, si certains sujets du culte chrétien sont représentés par
des peintures en mosaïque, on les trouve habituellement mélangés avec des
emblèmes du paganisme. Tel est le pavé découvert à Reims et décrit par Spon (Recherches
d'antiquités),
où l'on trouve figurés les douze signes du zodiaque, les saisons de l'année
et le sacrifice d'Abraham. Une autre mosaïque représente le labyrinthe,
Thésée, David et Goliath, avec leurs noms. Enfin, il existe un Neptune, avec
monogramme chrétien, découvert en Angleterre. Quand des vers accompagnent ces
peintures, il faut en regarder le travail comme appartenant aux premiers
siècles de l'ère chrétienne. Il
existait des portraits en mosaïque, au cinquième siècle, entre autres celui
du roi Théodoric, dans le Forum de Naples, et ce portrait fut l'objet de la
vénération des Goths, sujets de Théodoric. Ce roi avait fait représenter, par
le même procédé, le baptême de Jésus-Christ, dans une chapelle de l'église de
Ravenne. Sidoine Apollinaire, décrivant le luxe excessif de Consentius à
Narbonne, parle de portes dorées, de voûtes et de pavements garnis en
mosaïque. Les
planches de notre ouvrage donnent une exacte idée des mosaïques qu'on voit
encore, à Rome, dans les églises Saint-Laurent, Saint-Clément, Saint-Jean de
Latran, San-Georgio-in-Velabro et Ara-Cœli. On sait que le pape Sixte III fit
exécuter dans l'église Saint-André une mosaïque représentant le Christ assis
sur un trône d'or, couvert de pierreries et entouré d'anges, de prophètes,
d'apôtres et des quatre évangélistes. Paul Diacre nous a conservé les vers
latins figurés sur une mosaïque qui était au portail du palais de Liutprand.
Enfin, Charlemagne employa aussi ce genre d'ornement dans divers temples
chrétiens construits par ses ordres et sous son règne. Si, à
cette époque, la peinture des manuscrits, quoique facile, commode et
habituelle, représente rarement des personnages et des ornements variés, à
plus forte raison la peinture murale et la Mosaïque devaient-elles offrir peu
d'exemples de ces représentations figurées. Il n'est donc pas étonnant
qu'avant le neuvième siècle le verre, qui n'était pas encore très-commun,
n'ait point été employé pour représenter des sujets à personnages. L'idée de
se servir des vitres d'un édifice pour éblouir les yeux et frapper
l'imagination, en y peignant des sujets qui rappelaient la consécration
spéciale d'un monument, n'a pu venir qu'après un usage prolongé du verre pour
les fenêtres : or, nous avons vu que cet usage ne commença réellement que
vers le quatrième siècle ; et encore, les pierres translucides, le talc et la
corne, étaient-ils simultanément employés avec le verre. De l'absence d'un
monument du huitième siècle, sur lequel le verre se trouverait orné de
véritables peintures exécutées avec des couleurs vitrifiables, il ne faudrait
pourtant pas conclure que ce procédé était inconnu, mais plutôt qu'on n'avait
pas encore senti l'utilité de l'employer. On se servait seulement de verre
teint, divisé en petites plaques de couleurs variées, dont la réunion
composait la clôture des fenêtres basses, étroites, et qui représentaient
ainsi des dessins plus ou moins harmonieux. N'oublions pas non plus que,
jusqu'au douzième siècle, on est obligé d'étudier la Peinture sur verre, non
pas d'après des fragments existants, mais simplement dans des textes
quelquefois fort obscurs, et plus souvent encore d'après des descriptions
accidentelles de l'emploi du verre pendant les premiers siècles du Moyen Age. Toutefois,
l'examen de tous ces textes a été fait il y a quelques années, et avec une
remarquable critique, par M. Eugène Bareste, dans une rapide histoire de la
Peinture sur verre. (Voyez L’Artiste, année 1837, tom. XIII.) M. Bareste ne s'est pas
contenté de se servir des passages des anciens auteurs, cités, soit dans
l'ouvrage de P. Leviel, l'Art de peindre sur verre, soit dans les Essais
de Langlois ou dans la Dissertation de Béneton de Morange de Peyrins,
sur le même sujet ; il a recouru, soit au texte original, soit aux meilleures
versions de ces citations et à leurs plus habiles interprètes ; il en a tiré
des données plus exactes et plus précises, dont nous nous sommes servi dans
notre travail. On est
plus heureux pour l'étude des Émaux, que pour la Mosaïque et pour la Peinture
sur verre. Nos musées possèdent des produits de cet art que l'on peut faire
remonter aux époques gallo-romaines, et qui sont absolument semblables aux
descriptions que les auteurs latins nous en ont données. Les Émaux ayant été
d'un usage commun dans l'antiquité, laissons de côté leur histoire
originelle, pour ne nous occuper que de ses produits au Moyen Age. On les
trouve tantôt sous forme de pâte de verre enchâssée, qu'on nomme
ordinairement émail cloisonné, tantôt sous celui de terre enduite d'une
couverte tenant plus ou moins de l'émail (voyez le chap. CÉRAMIQUE) ; d'autres fois, ce sont des plaques en métal, dont la surface,
creusée à une certaine profondeur, a reçu, par l'action du feu, une couche de
matière vitreuse et opaque ; alors ils prennent le nom d'émaux à champlevé.
Il y a eu aussi des émaux translucides et des émaux peints ; nous indiquerons
successivement les plus importants monuments en ces divers genres et les
caractères qui les distinguent. Remarquons seulement que les collections
d'Émaux, formées de nos jours, n'ont pas offert un ensemble assez
satisfaisant pour produire une classification bien méthodique de ces œuvres
d'art ; aussi, considérerons-nous les Émaux plutôt selon leur ordre
chronologique, que suivant un mode absolu de classification, auquel on
pourrait à chaque instant trouver de nombreuses exceptions. Les
plus anciens Émaux que l'on puisse citer, sans trop sortir du cadre de notre
ouvrage, ont une origine gallo-romaine. Ce sont : 1° des fibules ou boutons
de vêtement, en bronze émaillé de rouge, de blanc et de bleu, disposés en
échiquier ; ils furent trouvés dans des tombeaux ; 2° une plaque, conservée
au musée de Poitiers, est en cuivre doré, incrustée d'émaux : ils sont tous
absolument semblables, pour le travail, à la description de ceux que l'on
fabriquait dans la Gaule septentrionale, au dire de Philostrate, écrivain de
la fin du règne de Septime-Sévère (deuxième siècle). Le tombeau de Childéric, à
Tournay, nous a conservé une monture d'épée, des abeilles et une plaque de
manteau, objets qui présentent des émaux ; mais ils ont aussi tous les
caractères de la barbarie des arts au cinquième siècle, et l'émail rouge s'y
fait surtout remarquer. Ces premiers monuments de l'art gallo-romain sont
conservés au Cabinet des antiques de la Bibliothèque Nationale, ainsi qu'un
plateau en or enrichi d'une bordure et d'une croix en émail, que l'on estime
de la même antiquité : elle est semblable pour le travail aux émaux de
Childéric. Diverses
reliures de manuscrits sont ornées d'émaux dont on peut faire remonter l'âge
au septième siècle ; notamment, à la Bibliothèque Nationale de Paris, l'émail
du volume latin numéro 1118, dont nous avons publié la description (voyez le chap.
MANUSCRITS), et dans lequel on trouve employés le blanc
opaque, le bleu clair et le vert semi-translucide. Le
neuvième siècle nous a laissé des monuments plus importants, sur lesquels, du
reste, l'artiste émailleur a pu développer toutes les ressources de son art.
Ce sont : 1° la couronne de Charlemagne, conservée à Vienne (Autriche), qui, quoique remaniée à
plusieurs époques, présente encore des figures émaillées du temps de cet
empereur — celle couronne a été souvent décrite et reproduite par la gravure,
notamment dans les Monuments français de Willemin — ; 2° l'épée du
même monarque, 3° celle de saint Maurice ; 4° en France, la couverture du
livre de prières de Charles-le-Chauve, où l'on remarque d'assez élégants
émaux ; 5° un boulon de calice, avec des ornements et l'inscription suivante,
incrustée : Benedicat nos D S (Deus), en caractères qui ont tout à fait la forme de
l'écriture au temps du roi de France Eudes. Ce bouton de calice est une
acquisition nouvelle faite par le Cabinet des antiques de la Bibliothèque
Nationale. L'Angleterre n'a rien à nous envier en ce genre. L'anneau de
l'évêque Ethel Walf, mort en 857, et les bijoux en or avec inscriptions, qui
sont conservés dans le musée Ahsmolean, à Oxford, et dont on fixe
l'ancienneté à l'année 878, sont de précieux monuments ; on y trouve l'émail
cloisonné et l'émail champlevé ; mais ils sont tous opaques, et l'on prétend
que les émaux champlevés doivent être regardés comme les plus anciens. Parmi
les émaux du dixième siècle, nous ne pouvons citer que la couverture d'un
évangéliaire, manuscrit latin de la Bibliothèque de Munich, numéro 37, à
médaillons émaillés assez finement exécutés ; une croix de la collection de
Debruge-Duménil, numéro 661, émaillée sur deux faces et portant une
inscription grecque ; enfin, le magnifique Saint George, sur cuivre émaillé,
appartenant à M. le comte Pourtalès : les détériorations de ce beau monument
profitent même à l'étude des moyens employés par les émailleurs, et les
inscriptions grecques, dont il est revêtu, en complètent l'importance. On a
voulu contester l'antiquité et l'authenticité d'une crosse de l'évêque de
Chartres, Rugenfroi, mort en 960. Les réseaux, d'un très-bon goût, et les
scènes de la vie de David, qui y sont représentées, avaient servi de texte
aux observations de ceux qui voulaient rajeunir l'époque de sa fabrication ;
mais les curieux rapprochements que M. de Longperrier a fait de la forme des
costumes guerriers et du travail de la crosse avec la tapisserie de Bayeux,
rapprochements qu'il nous a fait connaître dans un bon travail sur les Émaux (Cabinet de
l'amateur),
laissent peu de doute sur l'âge de cet émail, qu'il faut attribuer à un
artiste français, resté tout à fait étranger à l'influence de l'art byzantin,
et qui, du reste, a inscrit son nom, ainsi qu'il suit : Frater Willelmus me fecit. Le Musée du Louvre possède
également un très-bel émail du dixième siècle ; c'est un travail flamand, au
dire de M. Longperrier : il représente saint Levin ; les couleurs verte,
blanche et bleue sont les seules qui le composent. L'art
grec, encore assez beau dans les peintures des manuscrits, aurait-il produit
les deux médaillons émaillés, d'une très - médiocre exécution, qui sont aussi
conservés au Louvre, et sur lesquels M. de Longperrier aurait cru reconnaître
deux évangélistes : l'un à épaisse chevelure, à barbe de forme orientale,
tenant sofi pallium de la main droite et un livre de la main gauche ;
l'autre, jeune, imberbe, la main droite ouverte et portant un volumen dans la
gauche ? Nous remarquerons, toutefois, que ce dernier personnage est tout à
fait semblable aux représentations du Christ, que l'on retrouve sur plusieurs
ivoires ou dans quelques miniatures de la Bibliothèque Nationale, et qu'il
nous paraît difficile de reconnaître l'un des quatre évangélistes dans la
figure jeune de ce personnage, ainsi que le voudrait M. de Longperrier. Dès
l'année 863, une charte de Charles-le-Chauve nous a conservé deux noms de
verriers ; ce sont les plus anciens qui soient arrivés jusqu'à nous : Ragenut
et Balderic commencent donc la liste des artistes français en l'art de la
verrerie. La charte dont il est ici question contient une donation en faveur
de Saint-Amand-en-Pevèle, et elle a été publiée par Dom Martène dans l'Amplissima
collectio. Après cette date, l'usage de la Peinture sur verre dut être
fréquent, car l'on sait, par le récit de l'historien du Saint Bénigne de
Dijon, qu'il existait, de son temps (année 1052), dans cette église, un
très-ancien vitrail, représentant sainte Paschasie, que l'on disait provenir
de l'ancienne église ; qui avait été restaurée, en effet, par
Charles-le-Chauve. L'abbé Didier, moine du Mont-Cassin, nous apprend
cependant que, dans la Pouille, on était moins avancé, puisqu'il était obligé
d'aller chercher à Constantinople des verriers pour les employer à décorer la
salle capitulaire de son abbaye. A-t-il introduit cet art dans la Sicile au
Moyen Age, ou contribué seulement à son perfectionnement, en l'envoyant
étudier à Constantinople par des hommes qu'il y entretenait à ses frais ?
C'est ce qui n'est pas bien établi par les chroniques du temps. L'année 1066,
Léon d'Ostie, abbé du Mont-Cassin et un des successeurs de Didier,
reconstruisit l'église Saint-Benoît ; or, les fenêtres de cette basilique,
qui avaient dix coudées de haut, étaient fermées par des tables de verre,
retenues par des plombs et reliées par des traverses en fer. En
France, dès le dixième siècle, les verriers avaient acquis une grande
importance ; les ducs souverains de Normandie créèrent déjà des privilèges en
leur faveur, et, comme tout privilège se rattachait alors à la caste
nobiliaire, ils imaginèrent de les donner à des familles nobles, dont la
position de fortune était des plus précaires : de là les gentilshommes
verriers. Quatre familles de Normandie obtinrent cette distinction, dès l'origine
de sa création, et la conservèrent jusqu'à nos jours ; ce sont les Brossard,
les Coqueres, les Vaillant et les Bongard. On les nommait messieurs. Ils ne
dérogèrent pas par cette industrie ; leurs privilèges ne conféraient pas la
noblesse, et, conformément au proverbe déjà bien ancien, pour faire un
gentilhomme verrier, il fallait d'abord prendre un gentilhomme. L'exemple
donné par le duc de Normandie fut imité dans d'autres provinces : en Anjou,
tout marchand verrier passant près du château du sire de Pocé était obligé de
lui offrir la plus belle vitre qu'il possédât, en échange d'un pot de vin, et
la confiscation des marchandises menaçait tout homme qui aurait voulu se
soustraire à ce droit du seigneur verrier. Voilà
donc la Peinture sur verre en pleine activité, mais s'exerçant aussi d'une
autre manière que par l'application au pinceau d'une couleur vitrifiable,
procédé réel de la Peinture sur verre. On possède, en effet, d'assez grandes
cives coulées sur verre blanc, où l'artiste a peint des empereurs, des
impératrices, en grand costume, ou de simples particuliers ; mais, comme la
couleur n'était pas destinée à pénétrer dans le verre par l'action du feu et
qu'il fallait en assurer la conservation, une seconde cive translucide, mais
épaisse, était appliquée sur la peinture ; puis, on les soudait toutes deux
par l'action du feu. On voit encore un de ces curieux monuments, dans une
montre du Cabinet des antiques (n° 169) de la Bibliothèque Nationale de
Paris, et le costume des personnages ne permet pas de lui assigner une plus
haute antiquité que le cinquième siècle ; on y lit l'inscription suivante : Jucunde curace zezes. Nous pouvons encore citer un second exemple, d'un
travail analogue, appartenant au même Cabinet (n° 171), et qui représente une
très-belle tête de pape, avec cette légende : Calistus Pont. Dès le
dixième siècle, en France, la peinture était dans une période de décadence. Elle
conservait bien encore quelque habileté dans l'ornementation ; mais
l'exécution des personnages, leurs costumes et leurs poses font ressortir
l'inhabileté des dessinateurs et des coloristes. Les artistes anglo-saxons,
les Visigoths n'étaient pas plus habiles, L'Allemagne faisait seule
exception, privilège qu'elle devait à l'asile qu'y avaient trouvé les
artistes de Constantinople et de la Grèce, comme le témoigne une très-belle
page de l'Évangéliaire de l'empereur Othon III, appartenant aux Bollandistes
de Bruxelles : la composition des groupes des lettres IN ne manque pas
d'élégance, et la bordure qui les encadre est assez gracieuse ; comme le
témoigne encore un autre Évangéliaire du trésor de la cathédrale d'Aix :
c'est ce que les artistes allemands ont fait de plus beau dans ce genre. La
Mosaïque avait encore bien plus dégénéré ; l'on s'en servait comme ornement,
encore moins que de tout autre objet de luxe. On connaît très-peu de
mosaïques exécutées aux dixième et onzième siècles. L'ancienne cathédrale de
Lescar en possède une sous le dallage du chœur, exécutée par les ordres de
Guido, un de ses évêques, c'est-à-dire au onzième siècle, et sur laquelle on
lit encore : Lascurensis episcopus ; mais on a voulu contester
l'époque de son exécution. Il en est de même de celle que l'on vient de
trouver tout récemment à Pont-d'Oli, dans le département des Basses-Pyrénées.
Enfin, les artistes en Mosaïque disparurent presque entièrement de l'Europe ;
du moins, en Italie, il n'en existait plus au treizième siècle, puisque la
tradition, accréditée par Millin, Alex. de Laborde et autres savants
antiquaires, veut qu'André Tafi, vers la fin du treizième siècle, apprit à
travailler la Mosaïque, d'un Grec, nommé Apollonius, que l'on avait fait
venir pour décorer de mosaïques l'église Saint-Marc de Venise. Encore, les
travaux exécutés à cette époque présentaient-ils, sous le rapport du dessin,
la plus grande incorrection ; ils manquaient aussi entièrement de goût et de
coloris. Tous
les arts prennent un essor nouveau dès le douzième siècle, et sortent enfin
de cet état semi-barbare où la crainte de la Fin du monde les avait alors
retenus. La foi, ravivée par les prédications d'illustres religieux,
réchauffe partout le zèle des chrétiens. Le clergé, déjà enrichi par
d'immenses donations faites d'autant plus libéralement que ses donateurs
croyaient leur dernier jour plus près d'arriver, trouve encore moyen
cependant de faire contribuer les seigneurs à la construction des magnifiques
cathédrales, dont les voûtes imposantes s'élèvent à des hauteurs immenses.
L'arc -à plein cintre, quoique lourd, sévère et muet, convenait seul à ces
masses architecturales, dont les formes, empruntées aux monuments de divers
siècles et de divers peuples, furent appropriées aux usages religieux et aux
besoins de la grande famille chrétienne, devenue si fervente et si nombreuse
au douzième siècle. L'architecture romane appela donc à son secours l'art du
verrier, pour compléter l'ensemble de décoration des édifices religieux ;
mais l'architecte soumit alors absolument le verrier au plan général de son
édifice. Il voulut que la Peinture sur verre contribuât à augmenter l'effet
triste el mystérieux de ces constructions sévères ; que la lumière,
habilement distribuée, n'arrivât que faible et diaphane aux regards des
fidèles qui venaient s'y recueillir ; enfin, que les sujets représentés dans
les vitraux rappelassent les glorieuses souffrances des martyrs de la foi. Dans
les vitraux des premières années du douzième siècle, on admire moins les
personnages qui y sont figurés, que les effets du dessin et la savante
combinaison des couleurs dans les rosaces. Les figures sont ordinairement
dessinées par des traits roides et grossiers, sur des verres d'une couleur
sombre qui absorbe toute l'expression des têtes. L'ensemble du costume est
lourdement drapé ; il écrase par son ampleur le personnage représenté, comme
pour l'enfermer dans une longue gaine. C'est là, du reste, le caractère
général des monuments de cette époque. En sculpture, voyez la tombe de
Clovis, exécutée au douzième siècle, autrefois conservée dans l'abbaye
Sainte-Geneviève, et les colonnes de la cathédrale du Mans : exemples
frappants du style que l'on retrouve aussi dans la Peinture des manuscrits et
des vitraux. Revenons
maintenant aux fragments d'anciens vitraux, qui subsistent encore de nos
jours, pour y retrouver l'emploi des mêmes teintes, du même genre
d'ornementation, du même caractère de lourdeur, que dans les peintures des
manuscrits. Les plus importants monuments de l'art du peintre verrier au
douzième siècle sont devenus l'objet des savantes et consciencieuses
recherches de M. Ferdinand de Lasteyrie, dans son Histoire de la Peinture
sur verre. Aucun ouvrage ne pouvait nous donner des renseignements plus exacts
et plus sûrs ; car l'auteur de ces recherches ne s'est pas contenté
d'accepter les traditions écrites au sujet des fragments existants, il a
voulu les voir et les dessiner lui-même, pour contrôler avec plus de sûreté
les traditions écrites en les rapprochant des monuments originaux. Avant
d'indiquer ceux du douzième siècle qu'on voit dans nos églises, nous
mentionnerons comme détruits à une époque presque récente : 1° le vitrail de
Loroux, en Anjou, représentant les portraits de Foulques V, seigneur de celle
province, et de sa femme : ce vitrail était donc antérieur à l'année 1121 ;
20 les douze verrières de l'abbaye de Saint-Denis, représentant l'histoire de
Charlemagne et celle de la première croisade, etc., faites du temps de Suger,
et reproduites par Montfaucon dans ses Monuments de la monarchie françoise. En
citant dans l'ordre chronologique les monuments de ce genre qui n'ont pas
encore disparu, nous recourrons sans cesse à l'excellent travail de M. de
Lasteyrie. 1°
L'histoire de sainte Catherine et celle de la Vierge sont représentées dans
les vitraux de Saint-Maurice d'Angers, aux troisième, quatrième, cinquième et
neuvième croisées de la nef de cette église, à gauche et à partir du grand
portail ; c'est, en France, le plus ancien monument en verre peint ; la
troisième croisée est dans l'état de conservation le plus satisfaisant ; mais
les couleurs sont, en général, peu harmonieuses. Les martyres de saint
Vincent et de saint Laurent complètent les sujets peints dans ces diverses
croisées. 2°
L'église Saint-Serge et la chapelle de l'hôpital de la même ville possèdent
aussi quelques fragments du douzième siècle, mais ils paraissent
indéchiffrables. 3°
L'abbaye de Fontevrault garde aussi quelques vitraux du douzième siècle. 4° Ceux
de l'église Saint-Pierre de Dreux sont aussi de la même époque : le sujet le
plus important est un portrait d'Anne, duchesse de Bretagne. 5° A
Saint-Denis, on voit encore, en fait de Peinture sur verre de la même époque,
une suite nombreuse et variée de tableaux. On trouve celui de l'abbé Suger,
crossé et mitré, représenté aux pieds de la Vierge. L'arbre de Jessé au
chevet de l'église et le vitrail de la porte principale appartiennent
également au temps de Suger. L'Adoration des mages, l'Annonciation,
l'histoire de Moïse et diverses allégories sont les sujets représentés dans
la chapelle de la Vierge et dans celles de saint Osmanne et de saint Hilaire.
Ce fut l'ouvrage d'un grand nombre d'artistes, que Suger appela de divers
pays, pour réunir dans sa basilique ce que l'art pouvait produire de plus
beau comme Peinture sur verre. L'habileté de ces artistes se montre partout ;
les bordures ne sont pas moins harmonieuses que les tableaux principaux.
C'est le monument le plus important et le plus beau de la Peinture sur verre,
qui nous soit resté du douzième siècle ; mais ces fenêtres n'existent
malheureusement qu'en partie : pendant les temps révolutionnaires, les
vitraux qui n'avaient pas été brisés furent portés au Musée des Monuments fi
ançais ; on les a rétablis, il y a quelques années, à la place que Suger leur
avait assignée, et divers précieux débris furent alors enchâssés dans des
restaurations modernes qui n'ont pas été toujours heureuses. Les trois
rosaces de l'église de Saint-Denis, qui n'avaient pas été déplacées en 1794,
sont les portions les mieux conservées de cet antique vitrail, celles où
l'habileté du dessin et l'harmonie des couleurs se montrent dans tout leur
éclat. 6°
Comme monument de la fin du douzième siècle, nous pouvons indiquer encore
divers fragments de la verrière de l'église de la Trinité, à Vendôme ; ceux,
entre autres, de la deuxième fenêtre de la galerie supérieure, que l'on
dirait copiés sur les verrières de Suger. La Glorification de la Vierge
occupe une des croisées du pourtour du chœur : la Vierge y est représentée
dans une auréole amendaire. M. de Lasteyrie a cru reconnaître une influence
entièrement byzantine dans cette peinture, qui est
d'un caractère remarquable. Il pense aussi qu'on y a figuré une Vierge
moresque, habillée à la grecque ; qu'il y a dans tous ces vitraux une
influence des verriers poitevins ; enfin, que le nimbe amendaire est un
symbole mystérieux, exclusivement réservé à la Mère de Dieu. Celte page d'un
livre ordinairement si judicieux nous paraît laisser quelque chose à désirer
sous le rapport de la critique artistique. Comment pouvoir retrouver, en
effet, dans le même fragment de verre, qui, du reste, est dans un état assez
fruste, l'art byzantin, l'art moresque, l'art grec et l'art poitevin ? Toutes
ces influences réunies sur un morceau de verre, peint au milieu de la France
et au douzième siècle ! Nous ne
saurions rien trouver de moresque dans cette Vierge brune, maigre, drapée
d'un long vêtement blanc. Cette manière de représenter la Mère de Dieu est
fort habituelle dans les peintures des manuscrits ; nous citerons, entre
autres, le volume n° 819, Missale veyus, fol. 17, et le n° 641 du
Supplément latin, tous deux de la Bibliothèque Nationale de Paris, où la
Vierge, drapée d'un long vêtement blanc, a des formes maigres, ainsi que
saint Joseph et sainte Anne, que l'on voit près d'elle. Si le visage de la
Vierge n'est pas aussi brun que dans le vitrail de Vendôme, c'est que, dans
les miniatures, l'usage n'était pas, comme dans les vitraux, de dessiner les
figures sur un fond bistre ; et n'oublions pas, pour ce qui regarde le
costume, que tous les artistes savaient très-bien que la Vierge Marie était
de famille juive. Enfin, dans un manuscrit visigothique du dixième siècle, où
la Vierge est aussi représentée au folio 12 (Adoration des mages), cette peinture n'a aucun des
caractères prétendus sarrasins, signalés par M. de Lasteyrie comme étant sur
le vitrail de Vendôme, ni pour la forme du corps, ni pour les draperies du
costume. Cependant, si l'influence moresque a dû se montrer dans certains
monuments, c'est surtout dans l'œuvre du peintre visigoth du manuscrit n°
1075 du Supplément latin. Quanta
l'auréole amendaire, il est très-possible que ce soit là le seul exemple de
cette forme dans les vitraux, puisqu'on la retrouve fort rarement employée
dans la sculpture religieuse de ces époques ; mais, quand M. de Lasteyrie en
restreint l'emploi aux églises du Poitou qu'il dit avoir été soumises à
l'influence moresque, nous ne pouvons adhérer à son sentiment, ni à l'opinion
qui ferait de cette auréole amendaire un symbole exclusivement réservé à la
Vierge. Cette auréole est d'un usage fort ancien et fort habituel dans les
peintures des manuscrits. Nous en trouvons un très-bel exemple dans un
Évangéliaire du neuvième siècle, ayant appartenu à Lothaire (Biblioth. Nationale,
n° 266, fol. 2), où
une semblable auréole entoure une figure du Christ, du plus beau style. Un
second exemple de cette même auréole amendaire, toujours employée pour le
Christ, existe aussi dans un autre manuscrit, Ancien Fonds latin, n°261 ;
enfin, au dixième siècle encore, dans le volume visigoth n° 1075, Suppl.
lat., folio 116, dont nous avons déjà parlé, nous trouvons de nouveau le
Christ au milieu d'une auréole amendaire, avec l'inscription suivante : Omnipotens Deus sedens in trono. De
nombreuses hypothèses, quelques-unes même très - impures, ont été employées
pour expliquer le mythe symbolique de la forme amendaire. Les Anglais l'ont
nommé Viscica piscis, et les Italiens, Mandorla ; M. de Lasteyrie nous en donne la signification la plus
probable, et nous croyons que l'explication qu'il a adoptée recevra une
nouvelle force, d'une inscription qui se lit dans l'auréole amendaire d'une
figure du manuscrit n° 261 ; en voici le texte : Hæc sedet arce D S (Deus) mundi rex gloria cœli + Quatuor hic rutilunt
uno de fonte fluentes. Enfin,
la plus curieuse représentation de la Vierge dans une auréole amendaire est peut-être
celle que l'on trouve dans le manuscrit du Suppl. lat., n° 641, qui est du
douzième siècle ; les costumes et les poses des personnages, ainsi que les
couleurs des ornements, ne sont pas moins remarquables. Nous
pouvons encore mentionner quelques fragments de vitraux du douzième siècle,
soit à Chartres, soit à Sens, soit à Bourges. Robert, fils de Louis-le-Gros,
s'était fait représenter avec sa femme, dans les verrières de l'église de
Braine-le Comte, qu'il fonda en 1153. On sait qu'il y avait à Braine, près de
Soissons, des vitraux peints, qui furent donnés par la reine d'Angleterre ;
on sait aussi qu'un nommé Roger avait exécuté ceux de l'abbaye Saint-Hubert,
dans les Ardennes ; mais ce genre d'ornements coûtait fort cher, et, vers la
fin de ce même siècle, un capitulaire de l'ordre de Cîteaux en défendit
l'usage dans les églises soumises à la règle de l'ordre, Il est impossible de
ne pas être frappé de l'analogie des ornements en rosace des verrières, avec
ceux que l'on retrouve dans les miniatures des manuscrits ; ce sont les mêmes
figures et les mêmes bizarreries, les mêmes teintes, le même genre d'ornement
pour les bordures, pour les fonds et pour les lisérés de perles. L'émail,
qui était d'un emploi peu facile et d'une application moins générale, nous a
laissé cependant quelques beaux monuments du douzième siècle. Nous
mentionnerons d'abord le très-précieux calice de Saint-Remi de Reims ; à
Munich, une boîte enfermant un Évangéliaire, n° 35 ; à Venise, le fameux
Palla d'Oro de l'église Saint-Marc : c'est le plus grand monument de l'art de
l'émailleur au Moyen Age, et les teintes y sont nombreuses et variées ; à la
Bibliothèque Nationale de Paris, la couverture du manuscrit latin n° 650,
ornée d'émaux translucides, sous lesquels on a étendu une feuille d'or pour
faire mieux ressortir les diverses couleurs ; au Musée de Cluny, une
Adoration des mages ; une crosse épiscopale, décrite et gravée dans l'ouvrage
de Villemin ; enfin, au Musée du Louvre, le fameux reliquaire de Frédéric
Barberousse, de forme oblongue, recouvert de bas-reliefs en argent doré repoussés,
présentant sur chaque face diverses figures, savoir : Conrad II, Frédéric II,
empereur, saint Pierre, saint Michel, Jésus-Christ, Marie, saint Paul, l'ange
Gabriel, Frédéric de Souabe, Béatrix de Bourgogne, impératrice, Louis-le-Débonnaire
et Othon III. Ce reliquaire fut fait pour renfermer le bras de Charlemagne,
que Frédéric prit dans le tombeau d'Aix-la-Chapelle, lorsqu'il le fit ouvrir
en l'année 1165. M. de Longperrier a cru reconnaître là, non pas un travail
allemand, mais bien un des plus beaux produits des artistes émailleurs de
Limoges. Le choix que l'empereur aurait fait d'artistes français pour ce
monument, s'expliquerait, du reste, par la célébrité des ouvrages de Limoges.
Ducange nous apprend, d'après une charte de l'année 1192, qu'on envoyait,
comme cadeaux précieux, aux églises de la Pouille, des plaques de bronze
travaillées à Limoges. Aussi, même avant cette date, désignait-on les Émaux
sous le titre général d'opus de Limoged,
opus lemovicense. Il y a
encore à Aix-la-Chapelle une châsse de Notre-Dame, donnée aussi par Frédéric
Barberousse. Enfin, une des planches de notre ouvrage reproduit un des plus importants
monuments de l'ancienne émaillerie : le tombeau de Geoffroy, dit le Bel,
comte d'Anjou et du Maine, surnommé Plantagenêt. Il était placé autrefois
dans la cathédrale du Mans ; il est aujourd'hui dans le musée de cette ville.
Les ornements, de formes variées, qui encadrent la représentation du
personnage, sont élégants et très-harmonieux de couleur. L'architecture
du treizième siècle, par son ogive plus élancée, plus gracieuse que les
formes massives de l'art roman, vient ouvrir un champ plus vaste et plus
favorable aux artistes verriers. Les colonnes se détachent alors et
s'étendent avec une nouvelle élégance, en même temps que les flèches des
clochers, frêles et délicates, se perdent dans les nues. Les verrières
occupent plus d'espace et semblent aussi s'élancer vers le ciel, gracieuses
et légères. Elles se parent d'ornements symboliques, de griffons et d'animaux
fantastiques ; les feuilles, les rinceaux se croisent, s'entrelacent,
s'épanouissent, et produisent ces rosaces, si riches et si éclatantes, qui
font l'admiration et le désespoir des artistes modernes. Les couleurs y sont
encore plus savamment combinées, mieux fondues ; les draperies mieux
dessinées, mieux éclairées, que dans les vitraux du siècle précédent, et,
quoique les figures manquent quelquefois encore d'expression et offrent
habituellement des formes maigres et allongées, le progrès est immense. Les
monuments qui nous restent de cette époque sont très-nombreux. A
Poitiers, c'est une verrière légendaire, composée de petites rosaces, dont
les plus belles sont à l'une des croisées du milieu de l'église et au
Calvaire du chevet ; à Sens, dans la cathédrale, c'est la légende de saint
Thomas de Canterbury, représentée aussi dans une suite de petites rosaces,
superposées les unes aux autres, dites verrières légendaires ; au Mans, c'est
la verrière des corporations des métiers, que M. de Lasteyrie dit être de la
seconde moitié du treizième siècle. Mais le type le plus beau et le plus
complet des verrières de cette époque, c'est, sans contredit, celle de la
cathédrale de Chartres ; la lumière y est distribuée avec une rare habileté ;
et l'on reconnaît encore que l'artiste verrier avait entièrement soumis son
savoir aux prescriptions de l'architecte, de telle sorte que la lumière,
arrivant plus ou moins vive dans les diverses parties de cet édifice,
produisait un effet magique. Dans cette église on ne compte pas moins de cent
quarante-trois fenêtres, contenant plus de mille trois cent cinquante-sept
sujets non compris les blasons et les ornements. La partie la plus
intéressante dé ces peintures consiste dans trente-deux figures de
personnages contemporains, que l'on reconnaît au milieu des légendes de
saints, des sujets de la Bible, et des panneaux votifs de corps de métiers. La
verrière de la cathédrale de Reims est moins complète que celle de Chartres,
il y a moins d'habileté dans la disposition de la lumière, quoiqu'elle soit
cependant d'accord avec l'unité de la composition architecturale, si riche et
si légère. Les rosaces se font également remarquer par l'harmonie et l'éclat
de leurs couleurs. Il y a aussi des vitraux du treizième siècle, dans les
cathédrales de Bourges, de Tours et d'Angers. Ils sont d'un brillant effet et
s'harmonisent parfaitement avec l'ensemble des décorations de l'architecture,
mais ils n'occupent que le second rang parmi les monuments, encore existants,
de l'art du treizième siècle. Dans l'église Notre-Dame de Paris, la grande
rosace du portail méridional est d'un éclat extraordinaire : elle contient un
grand nombre de petits médaillons ; les couleurs et l'ornementation méritent
une attention spéciale. La rosace septentrionale est la plus complète de
toutes et la mieux conservée ; elle contient quatre-vingt-un sujets, disposés
en cercle, dont tous les détails concourent, avec l'éclat des couleurs, à un
admirable ensemble. Le
grand nombre de peintures sur verre du treizième siècle, que l'on a pu
étudier dans les églises, a inspiré le désir de classer ces divers monuments,
et de les ranger sous des influences d'écoles, que l'on a désignées par les
noms de franco-normande, de germanique, etc. On est même allé plus loin, car
on a voulu reconnaître, dans le style propre aux artistes de l'ancienne
France, un style normand, un style poitevin (ce dernier reconnaissable,
disait-on, au manque d'harmonie dans les couleurs des vitraux), un style
messin, etc. Nous avons de la peine à admettre ces dernières distinctions,
qu'il nous paraît difficile d'établir par des caractères certains ; cependant
on peut remarquer, dans les vitraux de Bourges, que les têtes des personnages
sont rendues avec beaucoup plus d'expression qu'ailleurs, notamment celles
des damnés et des démons. Suivant l'usage assez généralement adopté à cette
époque, ils représentent des personnages importants dans la hiérarchie
sociale, car toutes les têtes portent des couronnes ou des mitres. La
possession de plusieurs provinces par le même seigneur, provinces quelquefois
assez distantes l'une de l'autre, l'Anjou et la Provence par exemple,
motivait le déplacement continuel des artistes, que le seigneur emmenait avec
lui dans ses diverses résidences ; c'en était assez pour faire disparaître
les influences de province, et pour réduire, en définitive, ce qu'on appelle
le style poitevin ou le style normand, ou tout autre style provincial, à une
fabrication plus ou moins habile, à un perfectionnement plus ou moins avancé
dans l'art de peindre sur verre, car une école ne s'est jamais fondée sur
l'inhabileté ou l'ignorance. Suger ne fit-il pas venir, des pays étrangers,
les artistes verriers qui ornèrent de vitraux la basilique de Saint-Denis ? Clément
de Chartres n'exécuta-t-il pas les peintures des vitraux de Rouen ? Cette
même classification, lorsqu'on veut l'appliquer aux manuscrits, n'est pas
moins difficile à justifier, car les livres peints et écrits dans les mêmes
pays, aux mêmes époques, offrent fréquemment de notables dissemblances.
N'a-t-on pas déjà assez de peine à déterminer d'une manière précise l'âge et
la nationalité d'un monument, sans songer encore à distribuer cette même
nationalité en provinces ou régions ? Est-il bien évident, par exemple, que
le vitrail de la cathédrale de Bourges, représentant un Jeu de, table, reproduit par M. de Lasteyrie sur sa planche XIV,
soit du treizième siècle ? Les ornements d'architecture qu'on y remarque
n'ont pas le caractère de ceux du treizième siècle, et, M. de Lasteyrie nous
disant (p.
92 de son livre)
que l'on travaillait en 1313 à l'église dont cette verrière fait partie, ne
pourrait-on pas la regarder comme une œuvre du quatorzième siècle ? Dans tout
édifice, la pose de la verrière était nécessairement un des derniers ouvrages
à exécuter. Il en est peut-être de même du Calvaire du chevet de l'église de
Poitiers. La légende de saint Martin, à la cathédrale de Tours, a fait naître
en nous quelques doutes analogues, surtout quand nous nous sommes rappelé que
ces vitraux, commencés au treizième siècle, n'ont été complétés qu'au
quatorzième. Enfin, les guerriers représentés sur les vitraux de la cathédrale
de Strasbourg n'offrent pas moins d'incertitude sur l'époque à laquelle ils
appartiennent et même sur le pays qui les a produits. M. de Lasteyrie, très-
bon juge en pareille matière, classe une partie de ces vitraux parmi les
produits allemands du treizième siècle. Un
genre nouveau dans la Peinture sur verre, et que l'on fait également remonter
à ce même treizième siècle, c'est la grisaille, si usitée surtout dans les
bordures et les ornements des vitraux. Elle fut employée en même temps que la
mosaïque de verre en couleurs variées, qu'on voit dans l'église Saint-Thomas
de Strasbourg, dans la cathédrale de Fribourg en Brisgau et dans plusieurs
églises de Bourges. Les grisailles et les mosaïques sont d'un bel effet et
très - harmonieuses dans leur ensemble. Rappelons encore ici, sans vouloir
toutefois en tirer aucune conséquence applicable aux vitraux, que, dans les
peintures des manuscrits, la grisaille ne remonte pas au-delà du commencement
du quatorzième siècle. Mais, un point de parfaite analogie entre les
verrières et les miniatures, c'est l'usage des peintures légendaires. Nous en
avons signalé plusieurs sur les vitraux et dans les manuscrits. (Voyez notre
chap. MINIATURES.) Nous ajouterons à ces indications le volume
latin, fonds de Saint-Germain, n° 37, qui est un type de ce genre et qui
aurait pu fournir d'utiles modèles aux verrières du temps. Son exécution
artistique le recommande à l'attention sérieuse des amateurs. On y voit le
Christ avec l'auréole amendaire, et l'on y compte seize cent cinquante-six
sujets différents. Quelle mine inestimable pour l'étude de la vie domestique
au treizième siècle ! Dans le
midi de la France, les vitraux peints sont extrêmement rares ; à peine en
trouve-t-on quelques fragments à Béziers, à Carcassonne ; mais beaucoup
d'autres églises principales du nord et de l'ouest, notamment celles de Toul
et de Metz, ne sont pas plus favorisées en ce qui concerne le treizième
siècle. Un fait
qui ne saurait être mis en doute, c'est l'impulsion donnée par saint Louis
aux travaux de la verrerie peinte. Ce pieux monarque, Blanche de Castille, sa
mère, et la reine Marguerite de Provence, sa femme, sont fréquemment
représentés dans les vitraux, dont ils ont enrichi diverses églises ; leurs
blasons se retrouvent sur d'autres. La plus importante de toutes les
verrières qui soient dues aux largesses de Louis IX, est sans contredit celle
de la Sainte-Chapelle de Paris. Elle est légendaire et présente le plus
admirable type de ce que l'art pouvait produire. On ne doit pas s'en étonner
; tous les efforts avaient concouru à l'édification de la Sainte Chapelle, où
devait être déposée la sainte Couronne d'épines, achetée, de l'empereur
Baudouin, par saint Louis, pour une grosse somme d'argent. Si quelques
incorrections de dessin se remarquent dans les figures des vitraux, elles
sont rachetées par la recherche de l'ornementation et par l'harmonie des
couleurs, qui en font un des monuments les plus homogènes et les plus
parfaits de la Peinture sur verre. Nous
devons encore mentionner, parmi les monuments de la Peinture sur verre du
treizième siècle, les églises de Châlons sur-Marne, pour leurs grisailles et
certains vitraux ; Beauvais, pour quelques fragments, du même siècle ;
Auxerre, Soissons, Noyon, Amiens, Troyes, et enfin la cathédrale de Rouen,
qui possède le plus ancien vitrail ayant nom d'auteur : Clément de Chartres,
maître vitrier, fut le premier qui inscrivit son nom sur son œuvre, et cette
signature n'est pas la partie la moins curieuse de la verrière de Rouen. On a
rattaché le développement extraordinaire que prit l'art gothique en France,
pendant le treizième siècle, à l'influence que dut exercer Blanche de
Castille, femme de Louis VIII, roi de France, et à celle des artistes qu'elle
amena peut-être d'Espagne avec elle. Les beaux monuments qu'on a de cette
époque, même en Émaux, décèlent un cachet arabe ; de ce nombre, est le ciboire
du Louvre, en reliefs dorés sur des médaillons fond bleu, rechampis
délicatement de rouge et représentant des anges et des saints. Il a de plus,
pour ornement, des inscriptions arabes tronquées et de larges réseaux d'or
parsemés de points rouges ternes. Il a été très-exactement décrit par M. de Longperrier.
C'est une œuvre de Limoges, ainsi que le prouve l'inscription suivante : + Magiter (sic)
G. Alpais me fecit Lemovicarum. Parmi les monuments les plus importants en Émaux du treizième
siècle, nous mentionnerons encore : 1° un écusson, au Musée du Louvre ; 2° un
coffre de mariage, de la même collection, orné de figures fantastiques, d'oiseaux
bizarres, d'hommes et de femmes, dont les costumes et les armes ne laissent
pas de doute sur l'époque à laquelle cette œuvre fut exécutée ; 3° une crosse
épiscopale, à la Bibliothèque Nationale ; une coupe, reproduite dans
l'ouvrage de Villemin ; 5° la fameuse coupe de Montmajoir ; 6° un médaillon,
de travail italien, portant pour inscription, au-dessus du Christ : INRI, qui faisait partie de la collection Debruge-Duménil et qui a
été décrit par M. Jules Labarte ; enfin, divers autres monuments conservés
dans les collections de MM. les comtes Pourtalès et de Bastard, et qui
représentent des baladins, des chasses, des danses, des musiciens. N'oublions
pas, comme monument français, la tombe de cuivre émaillé, que saint Louis fit
placer sur la sépulture de son frère, mort en 1247. Parmi
les célèbres artistes émailleurs de cette époque, il faut mentionner Johannes Lemovicensis, qui fit, dit-on, le tombeau et l'effigie de
Walter Merton, évêque de Rochester, et l'effigie de Guillaume de Valence,
dans l'église de Westminster (1267-1296) ; Jean et Nicolas de Pise, les maîtres d'Agostino
et d'Agnolo de Sienne, qui eux-mêmes formèrent Pietro et Paolo d'Arezzo et
Forzore ; mais surtout Cimabué, le maître de tous. Les
nombreux monuments de la peinture dans les manuscrits, de la Peinture sur
verre et de l'émaillerie, qui portent encore les armes de Blanche de Castille
(un
château sommé de trois
tours d'or)
réunies à celles du roi saint Louis, ont fait croire à M. de Longperrier que
ce même cartel, dégénéré quant à sa forme héraldique, avait produit un genre
d'ornement, que l'on trouve fréquemment employé dans les fonds quadrillés des
miniatures, sur les émaux et sur les verrières du quatorzième et du quinzième
siècle : ainsi, cet ornement ne serait que la forme hiératique (mot dont on a
singulièrement usé et abusé depuis quelques années) de ce même castel. On
pourrait élever des doutes sur l'origine de l'ornement quadrillé, en
examinant celui qui se trouve dans le fond de l'émail de la tombe de
Geoffroy, duc d'Anjou, et qui est du douzième siècle ; car ce dernier
pourrait parfaitement lui avoir servi de type : il serait alors d'origine
plus ancienne que le treizième siècle, et il ne faudrait pas y voir une
dégénération du cartel des armes de la mère de saint Louis. C'est
donc au treizième siècle que la Peinture sur verre arriva à l'apogée de sa
puissance, comme art s'identifiant parfaitement avec l'architecture, et
contribuant, par de savantes combinaisons de lumière, à faire ressortir les
beautés d'un ensemble de constructions, aux formes bizarres, mais empreintes
d'un esprit religieux, avec lequel elles devaient s'accorder. Au
quatorzième siècle, au contraire, l'artiste verrier se sépare de l'architecte
; il ne veut plus soumettre son art aux prescriptions architecturales.
L'ensemble du monument est sacrifié, à l'effet des dessins du peintre
verrier, aux belles couleurs et à leur variété, qu'il combine d'une manière
plus savante, et surtout à la richesse des tons. Il faut que ses portraits
aient des poses naturelles ; qu'ils soient gracieux et achevés ; que la
grisaille contribue à ce résultat, si cela est nécessaire ; que la draperie
soit parfaitement agencée ; que le personnage soit accompagné du blason de
ses armes. Peu importe à l'artiste que telle partie de l'église soit trop
éclairée ou pas assez, que la lumière inonde l'abside ou le chœur, au lieu
d'arriver graduellement, comme dans les monuments du treizième siècle. Lui
aussi, il veut ériger, à sa fantaisie, une œuvre, qui le distingue, qui le
recommande, qui même illustre son nom. Les réseaux, les laies, les feuillages
s'enchevêtrent avec moins de roideur, et prennent des formes plus gracieuses
encore, à la fin du quatorzième siècle. Guillaume de Machaut et Eustache
Deschamps célèbrent quelques verrières de leur temps, et donnent même, dans
leurs poésies, des détails sur la manière de les fabriquer. En 1347, une
ordonnance royale est rendue en faveur des verriers lyonnais ; mais déjà
l'usage s'était introduit d'orner de vitraux peints les habitations
seigneuriales. Les artistes composaient eux-mêmes leurs dessins, de telle
sorte que les sujets qu'ils représentaient se rapportaient à l'usage que l'on
faisait, pour la vie privée, de la salle à laquelle leur vitrail était
destiné. Le duc Louis d'Orléans nous a laissé, par les comptes des dépenses
faites dans ses palais, de précieuses indications sur le prix du verre peint,
à cette époque, tel qu'on l'employait dans ses châteaux ; nous les avons
publiées dans notre ouvrage sur les arts au quatorzième et au quinzième
siècle, ayant pour titre : Louis et Charles, ducs d'Orléans ; c'est donc une
erreur de la part de M. Labarte, lorsqu'il dit dans sa curieuse Description
des objets d'art, qui composaient la collection Debruge-Duménil, que le
verre peint ne fut pas en usage dans les habitations privées, avant le
quinzième siècle. Nous
indiquerons à présent les verrières les plus importantes du quatorzième et du
quinzième siècle ; celles qui conservent, en général, dans leur exécution,
les caractères distinctifs que nous avons ci-dessus signalés. L'ouvrage de M.
de Lasteyrie nous servira encore de guide, en y ajoutant toutefois d'autres
précieux renseignements recueillis par M. Alexandre Lenoir dans son Musée
des monuments français, tom. V, spécialement consacré à la Peinture sur
verre. Ce dernier recueil, si curieux sous bien des rapports, ne peut être
cependant consulté avec fruit que pour les verriers du seizième siècle et
pour l'état des vitraux anciens après la Révolution de 89, et encore, M.
Labarte est-il évidemment plus complet et plus curieux que M. Alexandre
Lenoir, pour le seizième siècle. Divers
fragments de vitraux des cathédrales du Mans et de Beauvais méritent la
première mention. Ensuite, viennent, pour les roses et les ornements, le
vitrail de Saint-Thomas de Strasbourg, ceux de Saint-Nazaire à Carcassonne et
ceux de la cathédrale de Narbonne. Les peintures sur verre de Toul présentent
tout le caractère de la gothicité allemande, et sont même d'un style gothique
très-prononcé ; il faut les comparer avec l'admirable vitrail de
Saint-Martial de Limoges, que M. de Lasteyrie regarde comme une œuvre du
quatorzième siècle. Il y a encore, à la cathédrale de Lyon, à Notre-Dame de Semur,
à la chapelle de Saint-Piat de la cathédrale de Chartres, à la cathédrale
d'Aix en Provence, à Bourges et à Metz, des vitraux très-remarquables sous
tous les rapports : exécution, personnages, arts et métiers, ou sujets
variés. D'autres proviennent de donations à l'occasion de joyeux avènements,
et de ce nombre est le vitrail d'Évreux, donné par Guillaume de Cantiers,
évêque de cette ville. Les
monuments de la Peinture sur verre du quinzième siècle commenceront, pour
nous, avec le vitrail de la cathédrale du Mans, qui représente Iolande
d'Aragon et Louis II, roi de Naples et de Sicile, aïeux du bon roi René.
C'est par erreur, ce me semble, que M. de Lasteyrie les a classés parmi les
monuments du quatorzième siècle, puisque Iolande d'Aragon ne fut mariée que
le 2 décembre de l'année 1400 avec le roi Louis, et que l'on voit, par
l'assemblage des armoiries de Jérusalem, d'Anjou et d'Aragon peintes sur ce
vitrail, qu'il n'a pu être exécuté qu'après le mariage de ces deux
personnages. Il y a, de plus, une singularité — que l'on remarque également
dans les miniatures des manuscrits —, c'est que des inscriptions arabes
servent d'ornement au cadre de ce portrait sur verre. Nous mentionnons
ensuite les verrières de la Sainte-Chapelle de Riom, de Saint-Vincent de
Rouen, de la cathédrale de Tours, données par Renaud de Chartres, et celle de
Bourges, représentant le vaisseau de Jacques Cœur. Le style allemand se
retrouve surtout dans les verrières de l'église de Walbourg (Bas-Rhin), exécutées en 1461, et dans
celles d'une partie de la grande nef et de la rose de la cathédrale messine.
Ces derniers vitraux, comme l'a remarqué le premier M. Émile Bégin, dans un
discours prononcé au Congrès scientifique de Metz (Metz, 1838,
in-8°), sont l’œuvre
de maistre Herman ly Vatrier de Munster, en Westphalie, mort
à Metz en 1392. On cite encore les vitraux d'Évreux, contemporains de Louis
XI. Le Musée des Monuments français, créé par Lenoir, avait recueilli ceux
d'un nommé Héron, qui les avait peints, en 1430, pour l'église Saint-Paul à
Paris. Il existait, dans les verrières des Célestins de Paris, une suite de
portraits des princes de la maison d'Orléans-Valois, qui fut complétée au
seizième siècle par les portraits de Louis XII, de François Ier et de Henri
II. Mais
déjà depuis longtemps le verre était employé à divers autres ustensiles en
usage dans la vie domestique, lesquels n'étaient pas ornés avec moins de luxe
ni moins d'art que les vitraux dont nous avons parlé. Les miroirs en verre,
qui remplaçaient les miroirs en métal, sont même mentionnés dans le roman de
Perceforet, qui fut composé au commencement du quinzième siècle. A cette
époque, les ducs de Lorraine renouvelèrent les privilèges des verriers de
leur duché : la charte originale, portant la date de 1469, 15 septembre, et
celle de 1536, se trouve dans le volume 474 de la Collection de Lorraine, à
la Bibliothèque Nationale de Paris. Les émailleurs n'étaient pas restés en
arrière dans ce progrès général des arts ; ils avaient abandonné les Émaux
opaques, comme moins favorables à l'ornementation ; du moins, dès le
quatorzième siècle, ne les trouve-t-on déjà plus employés dans les
reliquaires, les boîtes et les coffrets. Il en est ainsi sur le plus
important monument en émail du quatorzième siècle, le reliquaire, donné par
la reine Jeanne d'Évreux à l'abbaye de Saint-Denis ; ce reliquaire, daté de
1339, se conserve au Musée du Louvre. Il y a aussi une très-belle crosse
épiscopale en cuivre doré, portant la date 1351, dans la collection de M.
Dugué. Nous ne devons pas passer sous silence la monture d'un camée antique,
avec cette inscription : Charles, roy de
France, filz du roy Jehan, donna ce jouyau l’an mil CCCLXVII,
le quart an de son règne ; c'est un Jupiter, que l'on avait pris, au temps du sage roi
Charles, pour un saint Joseph : Citons encore le reliquaire de la cathédrale
d'Aix, analogue à l'architecture de la cathédrale elle-même, qui est un beau
monument de la même époque. Vers ce temps-là, le Florentin Andrea Arditi
s'illustrait par ses travaux émaillés ; mais alors apparurent aussi les Émaux
translucides et les Émaux peints, dont les couleurs étendues par le pinceau
imitèrent tous les effets de la peinture sur bois ou sur toile. Le traité, De
Orificeria, écrit par Benvenuto Cellini, rend compte des procédés et des
résultats obtenus dans ce genre nouveau d'émailler l'orfèvrerie ; dès lors
aussi, l'émailleur et le ciseleur-orfèvre se mêlent et se confondent
complètement. Avec
Cellini, l'art du ciseleur-émailleur, accueilli par les plus puissants
monarques, grandit auprès du trône. Cellini travailla longtemps aux palais de
Fontainebleau et du Louvre, et au château d'Amboise ; tandis que Bernard
Palissy, un des génies les plus vastes, une des imaginations les plus vives
et une des raisons les plus profondes, qui se soient jamais produites en
France chez un artiste, faisait de la science avec les dents, se ruinait pour
les progrès de l'émaillerie : Les Esmaux de
quoy je fais ma besogne,
dit-il dans ses Discours admirables, sont
faits d'estaing, de plomb, de fer, d'acier, d'antimoine, de saphre, de
cuivre, d'arène, de salicort, de cendre gravelée, de litharge et de pierre de
Périgord. Après
trente années, cependant, il atteignit des procédés d'application à l'usage
ordinaire de la vie, et composa des poteries émaillées qui ont fait sa gloire
et sa fortune. Dans le Limousin, l'art de l'émailleur continuait de prospérer
avec la Renaissance, et d'enfanter de célèbres artistes, dont M. l'abbé
Texier a retracé l'histoire avec autant d'exactitude que de talent. Un des
plus illustres de cette phalange s'appelait Léonard. François 1er l'appela
près de lui, le nomma son premier peintre, son valet de chambre, et le
surnomma le Limousin, pour qu'on ne le confondît pas avec Léonard de Vinci.
M. Desmarets dit de lui qu'il apportait dans son dessin beaucoup de variété,
mais de la sécheresse dans sa touche. Alex. Lenoir le met au rang des plus
grands maîtres, parce qu'il allia deux choses extrêmement rares, dit-il, une
conception sentimentale à un dessin gracieux, correct et soigné. On a de lui
beaucoup de portraits de gens de cour et quantité de sujets bibliques, dont
les plus remarquables portent différentes dates, depuis 1530 jusqu'en 1562. Il
les signe tantôt de son nom, tantôt d'un monogramme, tantôt d'une devise.
Dans son Jésus au jardin des Olives, placé entre deux médaillons où il a
représenté Henri II et la reine Catherine de Médicis, pièce où il s'est
surpassé, il a signé, mis la date de 1553, et ajouté la devise du roi : Donec totum impleat orbem. Jean et
Pierre Courteys, ou Courtois, qui décorèrent différentes demeures somptueuses
et dont il nous reste les émaux du château de Madrid, conservés au Musée de
Cluny, ainsi que des coupes fort élégantes, étaient parents et émules de
Léonard. Pierre Reimond, ou Raymond, dont l'œuvre s'exécutait à Limoges entre
les années 1554 et 1582, traitait l'ornement et l'arabesque, avec une variété
ravissante. Il existe aussi des compositions fort estimées de Suzanne
Courtois, parente des précédents, d'un Jehan Limosin, et de quantité d'autres
artistes originaires de la même province. Dans l'émaillerie mobilière et
monumentale, la France incontestablement a le pas sur les autres nations de
l'Europe. Malgré
les iconoclastes du seizième siècle, les vitraux de cette époque sont très-nombreux
et très-remarquables. Ne pouvant les citer tous, nous ne sommes
qu'embarrassés du choix, et nous les classerons en trois catégories : la
catégorie française, la catégorie allemande, et la catégorie messine ou
lorraine, genre mixte qui tenait du faire des artistes français et de celui
des artistes d'outre-Rhin. A la
tête de l'école française de verrerie peinte, se place en premier ordre le
célèbre Jean Cousin, qui a décoré la chapelle de Vincennes, qui a fait pour
les Célestins de Paris une représentation du Calvaire, et pour Saint-Gervais,
en 1587, les tableaux du martyre de saint Laurent, de la Samaritaine
conversant avec le Christ, et du Paralytique. C'est de la grande et belle
peinture, où des ajustements de grand style, un dessin correct et vigoureux,
un coloris puissant, reflètent l'école de Raphaël. Des vitraux en grisaille,
faits sur les cartons de Cousin, décoraient aussi le château d'Anet. Un autre
artiste, inférieur à Cousin, mais beaucoup plus fécond, Robert Pinaigrier, a
fait quantité de vitraux pour des églises de Paris, qui n'existent plus pour
la plupart : Saint-Jacques-la-Boucherie, Saint-Étienne-du-Mont, la Madeleine,
Sainte-Croix en la Cité, Saint-Barthélemy, Saint-Merri, Saint-Gervais,
Saint-Victor, Saint-Lazare ; et un pour la cathédrale de Chartres. Ces
derniers panneaux portent les dates 1527 et 1530. L'œuvre dont Pinaigrier
décora les châteaux n'est peut-être pas moins considérable que son œuvre
d'église. On conçoit difficilement une telle fécondité. Il est vrai que ses
fils, Jean, Nicolas et Louis, ainsi que ses élèves, Desaugives, Périer, Vignon
le père, l'ont secondé longtemps, avant de devenir eux-mêmes chefs d'atelier.
On a fait aussi quelques verrières sur des dessins de Raphaël, de Léonard de
Vinci, du Parmésan ; deux patrons de ce dernier, qui représentaient la
nativité du Christ et sa circoncision, ont servi de modèles à notre Bernard
de Palissy pour décorer en grisaille la chapelle du château d'Écouen. Le même
Palissy a exécuté, pour la même résidence, d'après Raphaël, sur les dessins
du Rosso, dit maître Roux, trente tableaux peints sur
verre, représentant l'histoire de Psyché ; c'est une des plus riches
compositions de l'art à cette époque ; mais on ignore absolument ce que sont
devenus ces vitraux, qui avaient été transportés au Musée des Monuments
français. La
vitrerie française devint cosmopolite. Elle s'implanta en Espagne, ainsi
qu'en Belgique, sous la protection de Charles-Quint et du duc d'Albe ; elle
ne craignit même point le soleil d'Italie : un peintre verrier, du nom de
Claude, décorait, en 1512, de magnifiques images, les grandes vitres du
Vatican : Mà la disgrazia del sacco di
Roma porro che fussero infracti (Abecedar. pittor., art. CLAUDE, p. 118).
D'autres peintres, parmi lesquels on cite Guillaume de Marseille, dont nous
parlerons plus bas, étaient appelés à Rome, par Jules II, qui, étant évêque
de Carpentras et d'Avignon, avait reconnu leur mérite. Lorsque
l'art français se répandait ainsi au dehors, l'art étranger s'introduisait en
France. Albert Dürer consacrait son pinceau à vingt croisées de l'église du
vieux Temple à Paris : les couleurs de ces peintures sont chaudes,
vigoureuses ; le dessin en est correct ; le verre en est très-épais, et les
pièces, d'une grandeur remarquable. Albert Dürer ne travaillait pas seul ;
d'autres artistes l'accompagnaient, et, dans une foule d'églises du royaume,
dans beaucoup de châteaux, on retrouve encore, malgré les ravages des
iconoclastes de la Révolution française, la trace de ces maîtres
intelligents, dont les compositions, généralement bien ordonnancées et bien
conçues, sont empreintes d'une naïveté germanique, très-conforme à l'esprit
des sujets pieux. En 1600, Nicolas Pinaigrier transportait sur les vitraux du
château de Briffe sept tableaux grisailles, empruntés à François Floris,
maître flamand né en 1520 ; tandis que les Van Haeck, les Herreyns, les Jean
Dox, les Pelgrin-Rœsen, appartenant tous à l'école d'Anvers, influençaient,
soit directement, soit indirectement, le genre des productions de l'est et du
nord de la France. Une autre école, la provençale, copiste de la manière
italienne, ou plutôt inspirée par le même soleil, le soleil de Michel-Ange,
marchait dans la voie où cheminaient Jean Cousin, Pinaigrier, Palissy. Elle
avait pour maîtres principaux Claude et Guillaume, de Marseille, qui furent
attirés à Rome par le pape Jules II ; Marcel dit le Provençal, et, dans la ville d'Auch, Arnauld de Mole, peintres
verriers fort capables, presque oubliés néanmoins par la biographie. Le frère ou le prieur Guillaume, qui orna de vitraux les
églises de Rome, de Florence, de Pérouse, d'Arezzo, etc., mourut en 1537 et
laissa une école florissante, dans laquelle se distinguèrent, après lui, ses
disciples Benetto Spadari, Battista et Maso Borro, tous trois d'Arezzo ; Michel-Agnolo
Urbani, de Cortone, et surtout le fameux Pastorino, de Sienne. Le Prieur, dit Vasari, mérite des louanges
infinies ; c'est à lui que la Toscane doit l'avantage d'avoir porté l'art de
peindre sur verre au plus haut degré de délicatesse et de perfection où il
semble impossible d'atteindre. Quant à
la catégorie scolaire messine ou lorraine, que nous avons désignée comme
tenant le milieu pour le genre entre la catégorie des artistes français et
celle des artistes allemands, M. Émile Bégin, qui nous l'a fait connaître
dans son Histoire de la cathédrale de Metz, désigne comme le maître le plus
éminent de cette école l'Alsacien Valentin Bousch, élève de Michel-Ange, mort
au mois d'août 1541 dans la ville-de Metz, où il avait exécuté, depuis 1521,
d'immenses travaux. Volcyr de Serouville, dans sa Chronique abrégée des
empereurs, rois et ducs d'Austrasie, qu'il publia en 1530, fait un grand
éloge, quoique malheureusement assez vague, des forges de verre de la
Lorraine : L'on besongne audict pays, dit-il,
en matière de voirres, si ingénieusement et en tant de sortes avec apposition
de couleurs diverses et images, pourtraits, figures et blazons, que bien long
seroit à racompter.
Les verrières des églises Sainte-Barbe, Saint-Nicolas-du-Port, Autrey,
Flavigny-sur-Moselle, etc., sont de la même école, où s'est formé Israël
Henriet, qui devint ultérieurement le chef d'une école exclusivement
lorraine, quand Charles III eut appelé les arts autour du trône ducal.
Thierry Alix, cité par M. Bégin, parle de larges tables en verre de toutes
couleurs, qui, de son temps, s'exécutaient dans les montagnes des Vosges, où
l'on trouvait à propos, dit-il, dans sa Description de la Lorraine, écrite en
1590 et restée inédite, les herbes et aultres
choses nécessaires à cet art. M. Bégin ajoute que les vitraux
sortis alors des ateliers vosgiens, et envoyés sur tous les points de
l'Europe, constituaient une branche commerciale fort active. L'art déclinait néanmoins,
l'art chrétien surtout disparaissait, et déjà c'en était fait de lui, quand
arriva le protestantisme, qui lui porta le dernier coup, comme le témoigne
cette verrière de l'église cathédrale de Berne, où l'artiste Frédéric Walter
ose élever la satire jusqu'au dogme, et ridiculiser la transsubstantiation,
en représentant un pape qui verse avec une pelle les quatre Évangélistes dans
un moulin, duquel sortent quantité d'hosties qu'un évêque reçoit au fond
d'une coupe pour les distribuer au peuple émerveillé. L'édification des
masses par la puissance d'images translucides, intermédiaires placés entre le
ciel et nous, cessa bientôt d'être possible ; et dès lors la vitrerie peinte,
s'éloignant du but de sa création, dut s'endormir avec la ferveur du
christianisme. A. CHAMPOLLION-FIGEAC. |