TROP souvent dans le langage de la
conversation trop souvent même dans les écrits des auteurs sérieux, le mot
fresque est synonyme de Peinture murale. Cette confusion de mots a fait
tomber parfois dans les erreurs les plus graves. L'étymologie même du mot fresque
est la meilleure définition de la chose : les Italiens appellent peintures a fresco ou in fresco, à frais ou sur le frais, les
peintures exécutées sur un enduit encore humide, que la couleur pénètre à une
certaine profondeur. Les anciens auteurs français, tels que Félibien et
Bernard Dupuy des Grez, conservant la différence qui existe entre l'italien fresco et le français frais, écrivaient fraisque ; aujourd'hui l'orthographe italienne a prévalu, et, pour nous,
ce mot a maintenant plus de rapport avec son étymologie qu'avec sa
signification réelle. La
durée de la Peinture à fresque dépend de la qualité de l'enduit et de la
nature des couleurs employées. Les premières conditions pour que l'enduit
soit solide sont la bonne construction du mur même sur lequel il est
appliqué, et sa disposition à le recevoir. Les matériaux étant différents
suivant les pays, il faut faire en sorte que ceux de ces matériaux qui, par
eux-mêmes, seraient moins propres à recevoir l'enduit, le deviennent par les
préparations qu'on leur fait subir. La brique n'a besoin d'aucun secours pour
se lier à l'enduit aussi parfaitement qu'on peut le désirer ; aussi, est-elle
toujours préférable dans la composition d'un mur destiné à être peint à
fresque. Si on emploie des pierres raboteuses et poreuses, leurs aspérités
peuvent suffire pour retenir l'enduit ; mais, si la muraille est formée de
pierres de taille, il faut en rendre la surface inégale en y faisant des
trous et en y plantant des clous et des chevilles. L'enduit
est généralement double : le premier, qui touche la pierre y doit être fait
de gros sable de rivière et de chaux ; quelquefois, au lieu de sable, on
emploie la brique écrasée ; il doit être bien dressé, mais raboteux, afin de
pouvoir adhérer fortement à la seconde couche qu'il doit recevoir lorsqu'il
est parfaitement séché. Celle-ci, sur laquelle le peintre aura à opérer, et
que les Italiens nomment intonaco, est formée de chaux et de
sable fin de rivière, d'un grain bien égal ; elle doit être parfaitement
unie. Il est très-rare que cet enduit bien fait se détache de la muraille ;
il devient bientôt d'une dureté égale à celle de la pierre, et est bien
préférable au plâtre, qui finit toujours par se lézarder et tomber par
morceaux. Le
choix de la chaux n'est pas indifférent ; il est surtout très-important
qu'elle soit complétement éteinte et depuis longtemps, un an si la chaux est
forte, six mois au moins si elle est douce. Il est aussi certaines pierres
qui produisent une chaux dont l'emploi pourrait être funeste, et tous les
artistes n'auraient pas, comme Michel-Ange, le bonheur de voir évanouir leurs
craintes. Buonarotti travaillait à la chapelle Sixtine ; déjà fort avancé, il
s'aperçut qu'en quelques endroits, surtout du côté du nord, la fresque
contractait un peu de moisissure. L'architecte Julien da San-Gallo, qu'il
consulta, lui apprit que cet accident avait pour cause la nature de la chaux
de Rome, qui, faite avec le travertin, séchait lentement et produisait cet
effet, tant qu'il restait quelque humidité, mais que le mal disparaîtrait
bientôt ; prédiction qui ne tarda pas à se réaliser. La
fresque n'admet aucune des couleurs que la chaux peut altérer, telles que le
blanc de plomb, le minium, l'orpin, toutes les laques, le noir d'ivoire, le
vert-de-gris, et, en général, tous les verts, excepté ceux que fournissent
les terres naturellement colorées, tels que le vert de Vérone. On doit
éviter, et surtout au grand air, l'emploi du cinabre et du jaune de Naples.
En général, il n'y a que les terres colorées et les couleurs qui ont passé
par le feu qui puissent être employées avec succès ; il en est de même des
pierres et des marbres pilés. Les couleurs les plus usitées sont donc : le
blanc de chaux, le vitriol-brûlé, qui donne une sorte de laque ; la terre
rouge, la terre d'ombre, les ocres, les noirs de Venise, de Rome et de
charbon, enfin, l'outremer naturel. Ces couleurs sont détrempées à l'eau pure
au moment même de leur emploi. Il est important d'en préparer une quantité
suffisante ; car il serait souvent difficile de retrouver exactement le ton
dont on viendrait à manquer. L'artiste ne doit pas les épargner, car de leur
empâtement dépend en grande partie la solidité de la fresque ; en effet, plus
la couleur est déposée abondamment sur l'enduit, plus elle y pénètre et s'y
incorpore. N'ayant
à sa disposition qu'un nombre limité de couleurs, la fresque ne peut, comme
la peinture à l'huile, aspirer à rendre les nuances infinies de la nature ;
l'essence même des couleurs qu'elle emploie, la manière rapide dont elles
doivent être appliquées, sans pouvoir être fondues l'une dans l'autre,
l'exclusion des couleurs végétales, les plus tendres de toutes, donnent à la
fresque un coloris dur, criard, heurté, qu'il est bien difficile d'éviter
entièrement, et auquel le vulgaire ne parvient que difficilement à
s'habituer. Le coloris de la fresque s'est cependant amélioré par le
perfectionnement des procédés ; et quelque admirables que soient les Stanze,
les plus beaux ouvrages de Raphaël en ce genre, elles sont bien loin, pour la
couleur, de la Galerie Farnèse, peinte par les Carrache, dans le siècle
suivant. L'exécution
de la fresque présente d'immenses difficultés. Il faut que l'artiste se garde
bien d'oublier que toutes les couleurs, à l'exception du rouge-violet, des
noirs et de l'ocre-brûlé, s'éclaircissent à mesure que l'humidité disparaît,
et que son coloris doit être outré pour arriver au ton convenable après sa
complète dessiccation. Il peut faire d'avance l'essai de ses teintes sur des
briques neuves, qui absorbent rapidement toute l'humidité. Comme
les couleurs sont de suite absorbées, on ne peut ni corriger ni effacer ; il
faut, en outre, que le peintre couvre dans sa journée toute la superficie que
le matin on a fait revêtir de l'enduit par le maçon. Cet enduit ne peut donc
être placé qu'au fur et à mesure, et en commençant par le haut, sous peine de
détruire ce qui serait déjà fait au-dessous. Cette opération demande beaucoup
d'adresse et de promptitude ; l'ouvrier doit avoir soin de polir l'enduit en
plaçant une feuille de papier entre la truelle et le mortier, et en enlevant
à la pointe les grains de sable qui pourraient faire saillie. On ne doit
commencer à peindre, que quand l'enduit a acquis assez de dureté pour
résister au doigt ; s'il était encore mou, les couleurs s'étendraient comme
sur un papier non collé, et il serait impossible d'obtenir des contours nets
et purs. La
composition ne peut être tracée d'avance sur le mur inégal ; il a donc fallu
qu'elle pût être arrêtée et dessinée à la grandeur de l'exécution, et, en
même temps, que chacune de ces parties pût être transportée sur la muraille
au fur et à mesure du travail. Telle est la destination de ces vastes dessins
appelés cartons, nom tiré de l'italien cartone, augmentatif de carta, papier, et qui, par
conséquent, signifie grand papier, et non ce que, dans le langage ordinaire,
nous désignons par le mot carton. Quelquefois cependant ces dessins sont
réellement en carton, et chaque figure est découpée pour pouvoir être posée
séparément sur l'enduit frais, et en suivre les contours avec une pointe de
fer, un style qui les trace légèrement. Le plus souvent, les cartons,
composés de quelques feuilles de papier collées les unes sur les autres, sont
une reproduction complète du tableau, qu'on transporte par parties à l'aide
de poncis. Les cartons sont à la fresque
ce que les modèles en terre sont à la sculpture. Quelquefois,
pour éviter de s'égarer dans le choix des couleurs, les artistes coloriaient
d'avance les cartons mêmes : tels sont les fameux cartons de Raphaël, passés
en Angleterre et connus sous le nom de cartons
d'Hamptoncourt.
Le plus souvent, ils se contentaient d'avoir sous les yeux une simple
esquisse peinte. Trop
souvent, malgré tous ces soins préalables, les artistes se trouvent forcés
d'employer quelques retouches ; elles sont de deux sortes. Lorsqu'une teinte
qui vient d'être appliquée est reconnue trop faible, il faut attendre, poux
la renforcer par une seconde, que la première soit un peu séchée et ait
pénétré l'enduit. Si la correction n'est reconnue nécessaire que lorsque
toute humidité a disparu, on est forcé d'avoir recours aux retouches à sec,
le plus grand défaut matériel d'une peinture à fresque, défaut condamné
sévèrement par Vasari. Lorsque absolument il est impossible de l'éviter, il faut
au moins bien se garder des teintes plates, et n'employer que des hachures,
travail qui, comme j'aurai occasion de le dire plus tard, fut toujours adopté
dans l'antiquité. Si l'impatience de Jules II l'eût permis, Michel-Ange eût
introduit des retouches à sec dans ses peintures de la chapelle Sixtine, et
ses prédécesseurs, Luca Signorelli, Cosimo Rosselli et Pérugin, dans
l'exécution des fresques du bas-côté de cette chapelle, ne s'en seraient pas
fait faute. Quoi qu'il en soit de ces grands exemples, les retouches à sec
doivent toujours être regardées comme une ressource, et non pas comme un
moyen d'exécution. Après
avoir passé rapidement en revue les procédés de la fresque, arrivons
maintenant au sujet principal de ce chapitre, à l'histoire de l'origine et
des progrès de cet art. Pendant
bien longtemps la fresque a été proclamée la plus ancienne des peintures. Era dagli antichi mollo usato il fresco, disait Vasari ; ed i vecchj moderni anchora l’hanno poi seguitato ; et, au commencement de ce
siècle, Millin, dans son Dictionnaire des Beaux-Arts, écrivait que les
grandes peintures du Pœcile d'Athènes et du Lesché de Delphes, par Paninus et
Polygnote, dont parle Pausanias, étaient exécutées par ce procédé. Selon cet
antiquaire, il en était de même des peintures laissées en si grand nombre par
les Égyptiens dans leurs temples et leurs hypogées. C'était,
dit-il, ce que les Romains appelaient in
udo pariete pingere ; ils disaient in cretula pingere, pour
désigner la détrempe sur un fond sec. Jusqu'à
nos jours encore, plus d'un antiquaire s'est obstiné à voir des fresques dans
les peintures d'Herculanum et de Pompéi ; voici pourtant ce que disait déjà
Winckelmann, à ce sujet, à la fin du siècle dernier : Il est encore à remarquer que la plupart de ces tableaux
n'ont pas été peints sur de la chaux humide, mais sur un champ sec ; ce qui
est très-visible à quelques figures qui se sont enlevées par écailles, de
manière qu'on voit distinctement le fond sur lequel elles portaient. Se
fondant sur ce passage de Pline : Nulla
gloria nisi eorum qui tabulas pinxerunt, M. Raoul Rochette, dans ses cours, ainsi que dans
un long mémoire publié en 1833 par le Journal des savants3 et destiné à
réfuter le savant travail de M. Hittorff sur l'architecture polychrome des
anciens, inséré dans les Annales de l'Institut archéologique, t. II,
M. Raoul Rochette, dis-je, a cru pouvoir affirmer que les artistes ne
peignirent jamais sur mur, et que tous leurs ouvrages étaient exécutés sur
des tables de bois, Πινακες. Je ne doute nullement que les
maîtres les plus illustres n'aient peint des tableaux portatifs ; car Pline
parle d'un nombre infini de peintures grecques apportées à Rome ; mais dire
que les peintres d'un talent secondaire peignaient seuls sur mur, mais
affirmer surtout que les immenses peintures du Lesché et du Pœcile étaient
exécutées sur des tables de bois, ce sont des conjectures qui auraient, ce me
semble, besoin de preuves plus concluantes que celles apportées par
l'illustre antiquaire, avec lequel je regrette vivement de ne pouvoir cette
fois me trouver d'accord, malgré tout mon respect pour sa profonde érudition.
Il me paraît certain que d'anciens peintres très-habiles peignirent aussi sur
mur. Vitruve nous apprend que certaines peintures de Sparte, exécutées sur un
mur de briques, furent sciées, resserrées dans des cadres de bois, et apportées
à Rome ; c'est le procédé encore usité aujourd'hui. En réponse au mémoire de
M. Raoul Rochette, M. Letronne a publié les Lettres d'un antiquaire à un
artiste sur la Peinture murale. Jamais peut-être cette importante question
n'avait été traitée d'une manière aussi approfondie. Une seule de ces
lettres, la 24e, a trait à la matière qui nous occupe spécialement ; elle
porte pour titre : Des diverses manières de peindre appliquées à la
décoration des parois. Les anciens n'ont point pratiqué la fresque. M.
Letronne pense qu'il est hors de doute que les procédés techniques de la
Peinture murale étaient les mêmes que ceux qui servaient pour la peinture sur
tables mobiles, de quelque nature qu'elles fussent, et qu'on n'avait rien à
changer, ni dans la préparation ni dans l'emploi des couleurs. Il croit, en
outre, pouvoir affirmer que les anciens n'ont jamais peint à fresque. Avant
lui, M. Hirt, dans les Mémoires de l'Académie de Berlin, 1799-1800, avait
accumulé une quantité de preuves à l'appui de la même opinion. M. Kératry l'a
aussi partagée dans l'Encyclopédie moderne. De l'examen attentif que nous
avons fait des peintures antiques découvertes en différents pays, il est
résulté également pour nous la conviction que jamais les anciens n'ont
exécuté de véritables peintures à fresque, et qu'on en chercherait aussi
vainement des traces chez les Égyptiens et les Étrusques que chez les Grecs
et les Romains. L'expression de Pline : In
udo pariete pingere,
est expliquée de la manière la plus simple par un autre passage de Vitruve,
qui nous apprend qu'on appliquait sur les murs frais les teintes plates,
noires, bleues, jaunes ou rouges, destinées à former les fonds des peintures,
ou même à rester unies, comme nos peintures de bâtiment. Il est facile de
reconnaître à Pompéi et à Herculanum, que cette impression a pénétré
quelquefois de deux à trois millimètres l'enduit dont la muraille est
revêtue. C'était sur ce fond parfaitement sec que les sujets étaient exécutés,
soit à la détrempe, a tempera, avec des couleurs à l'eau unies par un gluten,
soit peut-être à l'encaustique. L'emploi de ce dernier procédé n'est pas
encore parfaitement constaté, malgré les efforts du savant Sœhnée dans ses Recherches
sur les procédés de Peinture des anciens, publiées en 1822. Quoi qu'il en
soit, c'est à l'aide de l'encaustique, que les faussaires romains parviennent
à imiter avec le plus de perfection les peintures antiques. Quant à la
peinture en détrempe sur un fond sec, elle nous paraît tout à fait hors de
doute. Dans les peintures du Musée de Naples, les sujets ne sont point
adhérents au fond, que les teintes transparentes laissent apercevoir, et
lorsqu'ils viennent à se détacher par écailles, ce qui arrive souvent, le
fond reparaît avec tout son éclat et toute sa fraîcheur. Cette observation
est loin d'être nouvelle ; et, outre les écrits de Winckelmann que j'ai déjà
cités, elle se trouve consignée dans les ouvrages de Fougeroux, de Lalande,
etc. Pline,
qu'il ne faut cesser d'invoquer lorsqu'on veut parler des arts de
l'antiquité, nous apprend encore que c'était sur une impression semblable,
composée de lait et de safran, que Paninus exécuta les peintures dont il
décora la cella du temple de Minerve à Élis. Sur ce fond, les artistes
traçaient leurs compositions au crayon blanc, ce qu'on appelait Λεμκογραφεϊν. La
Peinture, qui, chez les Grecs, était parvenue à son apogée sous le règne
glorieux d'Alexandre, tomba avec la puissance de la Grèce. En perdant sa
liberté, la patrie des arts avait perdu le sentiment du beau ; le règne de la
Peinture était fini sur cette terre qu'avaient illustrée les chefs-d'œuvre d’Apelles,
de Polygnote, de Paninus et, de Mycon. A Rome,
la Peinture n'était jamais arrivée à ce degré de perfection ; longtemps
elle n'avait été exercée que par des hommes de la dernière classe, et mémé
par des esclaves, et ce n'est qu'à grand'peine que parvinrent à la
réhabiliter quelques patriciens, tels que les Amulius, les Fabius Pictor, les
Cornelius Pinus, etc. Après les douze Césars, elle suivit le mouvement de
décadence qui entraînait tous les arts ; elle reçut, comme eux, le coup de la
mort au quatrième siècle, le jour où Constantin, quittant Rome pour fixer le
siège de l'Empire à Byzance, transporta dans sa 'nouvelle capitale
non-seulement les meilleurs artistes, mais encore une quantité prodigieuse de
leurs productions et de celles de ceux qui les avaient précédés. Une autre
cause de décadence fut l'acharnement des chrétiens centre tous les simulacres
qui pouvaient rappeler la religion qu'ils venaient de combattre et
d'étouffer. C'est
cependant une erreur, encore généralement et depuis trop longtemps établie,
que de croire qu'après les jours de la décadence, sous les derniers empereurs
romains, la Peinture ait été complètement anéantie ; il est certain qu'elle
se conserva encore à Constantinople pendant quelque temps ; elle lut même
encouragée par quelques princes. Le grand Théodose exempta les artistes de la
plupart des charges et impôts. Les anciens Pères de l'Église d'Orient nous
ont laissé l'éloge et la description de plusieurs peintures lui nécessairement
n'étaient pas sans quelque mérite. Saint Grégoire de Nice (Oraison
faite à Constantinople, rapportée au deuxième concile de Nicée, acte IV) assure qu'il ne pouvait retenir
ses larmes, à la vue d'un tableau représentant le Sacrifice d'Abraham.
Le même Père, dans son Oraison de saint Théodore, décrit le temple
magnifique consacré à ce saint ; il rapporte que son martyre y était
représenté avec tint de vérité, qu'on y lisait, comme dans un livre, la
douleur et la constance du martyr, la fierté et la cruauté du tyran. Saint Bazile
(XXe
Homélie) ajoute que
les peintres font autant par leurs figures, que les orateurs vu- leurs
discours, et que tous les deux servent également à persuader et à porter les
esprits à la vertu. Peur frapper aussi vivement ces deux grands hommes : il
fallait que la Teinture eût encore conservé quelque puissance. En Italie,
malheureusement, de nouvelles causes de ruine étaient venues se joindre à
tant d'autres. Dans la première moitié du cinquième siècle, Alaric, roi des
Goths ; Odoacre., roi d'Italie ; Genséric, roi dis Vandale, saccagèrent
successivement la capitale délaissée ; puis, en 445, Totila, roi des Goths,
acheva de la renverser, et ensevelit sous ses décombres les chefs-d'œuvre
qui, ayant échappé aux ravages du temps ex
îles hommes, eussent pu servir de modèles. Dans le
huitième siècle, en Orient d'abord, puis en Occident, parut la secte des
iconoclastes, ou briseurs d'images, secte fatale aux beaux-arts, à la tête de
laquelle fut dès le principe, l'empereur Léon d'Isaurien (717), et ensuite, plusieurs de ses
successeurs, Constantin Copronyme (741), Nicéphore (802), Léon l'Arménien (813), Michel-le-Bègue (820) et Théophile, son fils (829). Après
une lutte de près d'un siècle et demi entre les empereurs et les arts,
ceux-ci devaient nécessairement succomber, et pourtant, pendant et après la
persécution des Iconoclastes, tout informe, toute grossière qu'elle était, La
Peinture continua, sinon a vivre, du moins à végéter en Italie ; et ainsi se
conserva le germe précieux que devaient plus tard féconder les grands
artistes des treizième et quatorzième siècles. On sait
que les Goths mêmes eurent des rois qui s'efforcèrent de mettre des bornes
aux dévastations, et Cassiodore nous apprend que Théodoric renouvela la
charge du centurio nilentium rerum, institué par Constance pour
veiller à la conservation des objets d'art. Les rois lombards qui succédèrent
à ce grand prince, et régnèrent en Italie pendant 218 ans, quoique moins
zélés pour le culte des arts, ne laissèrent point de les honorer. Dans le
XXIIIe chapitre du IVe livre de son Histoire des Lombards, Paul Diacre nous
apprend que, dès le sixième siècle, la reine Teudelinde, femme d'Antarit, et
ensuite d'Agilufe, avait lait peindre les prouesses des premiers rois
lombards sur les murs de la basilique qu'elle avait élevée à Monza, sous
l'invocation de saint Jean. La Peinture osait donc encore aborder de grands
sujets ; la manière dont elle les traitait peut bien prouver qu'elle n'était
pas exercée par des mains habiles, mais son existence n'en est pas moins
constatée. D'autres peintures de la même époque se voient encore dans Pavie
et ont été signalées par Muratori et Tiraboschi. L'église de Saint-Nazaire, à
Vérone, possède, dans ses souterrains, des peintures qui doivent remonter aux
sixième et septième siècles, et dont parle Maffei (Verona illustratis) ; elles ont été gravées par Ciampini
et Frisius. La
perpétuité de la Peinture jusque dans le dixième siècle est formellement
établie par un passage du moine allemand Ratherius, évêque de Vérone, dans la
seconde partie de son traité De contemplu canonum. Dans ce traité en
forme de dialogue on lui demande pourquoi, de toutes les nations chrétiennes,
les Italiens sont ceux qui marquent le plus de mépris pour les canons et pour
la cléricature : C'est, répond-il, parce que l'usage, très-répandu parmi eux, des tableaux
voluptueux, l'abus continuel du vin et le mépris des leçons des prêtres les
excitent à satisfaire leurs passions. Ainsi, voilà encore dans le dixième siècle
l'Italie en possession de tableaux, dont l'effet sur les mœurs indique que,
sous le rapport de l’art, ils n'étaient pas sans quelque mérite. Les mots freguentior usus, employés par Eatherius, indiquent même que le goût des
arts était assez répandu. Si ce n'était pas sortir de notre sujet, nous
trouverions, dans l'emploi non interrompu des mosaïques et des miniatures de
manuscrits, une nouvelle preuve à l'appui de notre opinion. Dans le
Levant, quelques artistes avaient aussi conservé ou repris le pinceau, même
an risque de leur vie ; un plus grand nombre s'était réfugié dans la
Grande-Grèce, où ils furent accueillis par les pasteurs de l'Église latine,
qui, opposés à l'erreur des schismatiques d'Orient, et dociles aux
prescriptions du concile de Nicée, multiplièrent alors les peintures
religieuses de toutes les espèces, et surtout les mosaïques. Les
établissements des Génois, des Vénitiens, des Pisans, dans l'Empire grec,
favorisèrent encore des migrations de peintres grecs en Italie ; et ainsi fut
introduit ce style roide et sec que les premiers peintres, qui ressuscitèrent
l'art en Italie, eurent tant de peine à secouer. C'est à cette école sortie
de Byzance, qu'appartiennent ces nombreux artistes dont quelques noms sont
parvenus jusqu'à nous, tels que ceux du moine Lazare, à qui l'empereur
Théophile eut la barbarie de faire brûler les mains ; Emmanuel Transfurnari,
dont on possède, à la Bibliothèque du Vatican, un tableau représentant la
Mort de saint Éphrem ; enfin, ce Luca, qui peignit des madones que, par une
confusion de noms, on attribue, en Italie, à l'apôtre saint Luc, et que,
comme telles, on vénère à Sainte-Marie-du-Peuple, à Saint-Jean-de-Latran et
dans une foule d'autres églises de Rome et du reste de l'Italie. L'an
817, et non au dixième siècle, comme le dit Orloff (Essai sur
l'histoire de la Peinture en Italie), des artistes grecs, par ordre de Pascal er,
exécutèrent, sous le portique de l'église de Sainte-Cécile, à Rome, une suite
de fresques dont les sujets sont tirés de la vie de la sainte. Celle que nous
publions a seule échappé à la destruction et a été sciée et transportée dans
l'intérieur de l'église ; elle représente le Martyre de sainte Cécile.
C'est encore à cette école que nous devons rapporter la grande Madone peinte
sur mur à Santa Maria della Scala de Milan, laquelle, à la destruction de
cette église, remplacée aujourd'hui par le fameux théâtre de la Scala, a été
enlevée et transportée dans l'église de Saint-Fidèle, où elle existe encore
aujourd'hui ; la série des portraits des papes depuis saint Léon, collection
qui a péri en grande partie dans l'incendie de Saint-Paul-hors-les-Murs, et
dont plusieurs portraits remontaient jusqu'au cinquième siècle ; enfin, les
peintures des souterrains de la cathédrale d'Aquilée, dont les dessins, les
mouvements, les caractères sont conformes à ceux des mosaïques exécutées par
les Grecs. Les
ouvrages de ces premiers peintres de l'enfance de l'art semblent marquer la
transition de la sculpture à la Peinture : ce sont des figures longues,
roides, comme des colonnes, isolées ou placées symétriquement, ne formant ni
groupes ni compositions, sans dessin anatomique, sans perspective, sans
clair-obscur, n'ayant, pour exprimer les sentiments, d'autres moyens qu'une
sorte d'écriteau sortant de la bouche des personnages ; pour rendre l'idée de
la supériorité, d'autre ressource que celle de la grandeur matérielle. Ces
fresques, si faibles sous le rapport de l'art, sont remarquables sous celui
de l'exécution ; elles étaient d'une extrême solidité, et beaucoup plus
encore dans la haute Italie que dans l'Italie inférieure. Ce n'est pas sans
étonnement que l'on voit la prodigieuse conservation de quelques images de
saints, qui décorent les pilastres de l'église Saint-Nicolas de Trévise. Les
maîtres byzantins eurent, ainsi que je l'ai dit, peu de célébrité
personnelle, et on ne vit sortir de leur école ni élèves ni ouvrages bien
remarquables. L'art devint peu à peu un mécanisme qui, en suivant les traces
des Grecs, auteurs des mosaïques de Saint-Marc de Venise, reproduisit
toujours les mêmes sujets religieux, sans jamais penser à copier la nature,
encore moins à l'étudier. Parmi
les peintures qui sont parvenues jusqu'à nous, les premières qui se soient
éloignées de ce faire uniforme et, pour ainsi dire, arrêté d'avance, sont
celles qui décorent l'intérieur de l'ancien temple de Bacchus, aujourd'hui
église de Saint-Urbain, dans la campagne de Rome ; on n'y trouve rien de
grec, ni dans les figures, ni dans les draperies, et il est impossible d'y
méconnaitre un pinceau italien ; on y lit cependant la date de 1011. Pesaro,
Aquilée, Orviette, Fiesole, gardent des monuments du même temps et de la même
école. Quand
l'Italie, malgré ses dissensions intestines, malgré les fureurs des Guelfes
et des Gibelins, vit poindre cette lumière sublime qui devait faire briller
d'un nouvel éclat les arts, si longtemps ensevelis dans les ténèbres de la
barbarie, ce fut à la Toscane, le premier berceau de la civilisation en
Italie, qu'était réservé l'honneur de donner naissance à la civilisation
nouvelle. Trois de ses villes, Florence, Sienne et Pise, se disputent la
gloire d'avoir fait faire à l'art les premiers pas. Nous croyons que, dans
l'ordre chronologique, Florence ne peut obtenir que la troisième place, mais
elle doit facilement s'en consoler ; car, si ses rivales ont donné à l'art la
première impulsion, c'est à Florence que nous aurons à constater ses premiers
progrès véritables. La
priorité appartient à Sienne, qui, dès l'an 1100, peut citer Pietro di Lino ;
mais ensuite nous trouvons à Pise, dans les premières années du treizième
siècle, Giunta Pisano, dont les essais existent encore dans la cathédrale
d'Assise. Giunta fut aidé dans son travail par plusieurs artistes grecs, et
ce que nous possédons de ses œuvres suffit pour nous faire connaître la
faiblesse du coloris et l'imperfection du dessin de cet artiste, qui était
pourtant le premier de son époque. Guido
de Sienne fut le contemporain de Giunta Pisano ; mais ce dernier était déjà
connu en. 1210, tandis que la célébrité de Guido ne date guère que de 1230 ;
elle était telle cependant à cette époque, que, lui aussi, appelé à décorer
l'église de Saint-François d'Assise, y peignit des fresques qui, toutes
défigurées qu'elles soient par les retouches les plus maladroites, n'en sont
pas moins supérieures à celles de son prédécesseur. A Guido succédèrent
plusieurs artistes secondaires, tels que Sermino di Simone, Simone di
Martino, Ugolino, etc., qui ne firent que combler la lacune qui le sépare de
Simon Memmi, ce grand artiste auquel Pétrarque a consacré deux sonnets,
honneur qui suffirait pour l'immortaliser, quand ses fresques du Campo-Santo
de Pise ne seraient pas là pour attester son génie et son talent, si
étonnants pour son siècle ! Dans
l'école florentine, je pourrais citer, au treizième siècle, Margaritone,
disciple de l'école grecque, qui décora de fresques l'église de Saint-Clément
d'Arezzo., sa patrie, et Bonaventura Berlinghieri, de Lucques, qui florissait
vers 1235 ; niais je dois laisser l'honneur du premier rang à un homme qui, à
juste titre, peut passer pour le véritable restaurateur de la Peinture, à
Cimabué : On sait que ce fut en voyant travailler les artistes grecs, appelés
à décorer Sainte-Marie-Nouvelle de Florence, que le jeune Cimabué sentit se
développer cette passion irrésistible dont il portait le germe dans son sein,
et que ce fut de ces artistes qu'il reçut les principes de son art. Il reste
encore dans une chapelle souterraine de Sainte-Marie-Nouvelle quelques vestiges
de ces fresques, ouvrage des maîtres du Cimabué ; leur sécheresse, leur
roideur, ne font que mieux sentir combien il a fallu de génie à l'artiste
florentin pour s'ouvrir une voie nouvelle. C'était
de son élève que la Peinture devait recevoir la grâce et la noblesse. Les
premiers ouvrages du Giotto, bien que conservant une partie de la roideur de
ceux de Cimabué, accusent déjà dans leur auteur une volonté ferme de rompre à
tout jamais avec les traditions byzantines. Pour la première fois, l'art
chercha l'imitation réelle, et le Giotto fut surnommé l’Élève de la nature
; il est probable qu'il fut aussi celui de l'antiquité, et qu'il étudia les
beaux marbres que Florence et Pise possédaient déjà et auxquels on avait dû,
dans le siècle précédent, les sculptures de Jean et Nicolas Pisano. C'est
surtout dans les fresques du Campo-Santo de Pise, que peuvent être étudiés
les ouvrages du Giotto et de ses successeurs. Les
premiers monuments de la renaissance de la Peinture à Rome avaient été un
tableau de Conciolo, de 1219, qui existait dans l'abbaye de Subiaco, et un
Portrait de saint François J peint à la même époque, par Tullio de Pérouse,
portrait qui est perdu, mais qui nous a été conservé par la gravure. Pour
nous, qui ne nous attachons qu'à la recherche des Peintures murales, la plus
ancienne qui soit parvenue jusqu'à nous est une Vierge, peinte, en
1297, dans l'église della Maestà delle voile de Pérouse. Bientôt après, d'une
seule petite ville voisine de celle-ci, de Gubbio, nous voyons sortir les
quatre premiers peintres connus qui aient succédé à Conciolo : Oderigi da
Gubbio, qui, fut l'ami du Dante ; Cecco et Puccio, qui peignirent à fresque
dans le dôme d'Orviette, et Guido Palmerucci, qui, au commencement du
quatorzième siècle, décora le palais de sa ville natale. Colucci et
l'Ascevolini, historien de la ville de Fabriano, citent une Madeleine
de Fabriano di Bocco, de l'an 1306. On connaît, sous la date de 1321, les
ouvrages d'Ugolino d'Orvieto, de Giovanni Bonini d'Assise, de Lello de
Pérouse, et de F. Giacomo di Camerino, qui tous furent appelés à peindre la
cathédrale d'Orviette. Enfin, à la même époque, parut le premier peintre que
l'école romaine puisse opposer avec succès aux artistes contemporains de
l'école de Florence. Élève
du Giotto, Pietro Cavallini, Romain, rapporta dans sa patrie les premiers
éléments de l'art, puisés à la source la plus pure qui existât alors. C'est à
Assise que l'on voit la plus étonnante de ses œuvres et le premier exemple
d'une vaste composition, le Crucifiement. Pietro
mourut en 1344, laissant deux élèves qui ne furent pas sans talent, Giovanni
da Pistoja et Andrea da Velletri. Après Martino da Gubbio, qui a laissé, dans
l'église de Sainte-Marie-Nouvelle, à Urbin, une fresque de 1403, représentant
la Vierge entourée d'un chœur d'anges, nous trouvons, au commencement
du quinzième siècle, Gentile da Fabriano, auquel une Madonne, peinte,
en 1417, dans la cathédrale d'Orviette, valut le surnom de Magister
Magistrorum, qu'il justifia par ses autres ouvrages, à Rome, à Urbin, à
Pérouse, à Gubbio et à Citta di Castello. Son plus beau titre de gloire est
de pouvoir être regardé comme le père de l'école vénitienne, ayant été le
maître de Jacopo Bellini, père de Gentile et de Giovanni. Enfin, vint Pietro
della Francesca, un des peintres qui font époque dans l'histoire de l'art ;
et nous n'aurons plus à citer, avant le Perugin, que Benedetto Bonfigli de
Pérouse, qui a laissé, dans le palais public de cette ville, une grande
frise, fort endommagée aujourd'hui, peinte vers 1460. L'école
vénitienne peut réclamer une noblesse aussi ancienne que celle de Florence. Quand
florissaient Giunta Pisano et Guido de Sienne, Venise pouvait citer Giovanni
de Venise, Martinello de Bassano, le Pievano, l'Alberegno et l'Esegrenio. On
rapporte à l'année 1240 d'anciennes fresques qui décorent le chœur de
Saint-Zenon de Vérone. On y voit représentés, entre autres sujets, le Christ
entouré de quatre saints, et une Inondation qui désola la ville en 1238.
Enfin, vint l'exemple du Giotto, qui peignit à Padoue, en 1306 ; à Vérone,
vers 1317. Il ne pouvait manquer de faire ressentir à l'école de Venise une
partie de l'influence qu'il avait exercée sur celle de Florence. Pendant son
séjour sur le territoire vénitien, il forma plusieurs élèves, Giusto
Padovano, Giovanni et Antonio de Padoue, qui imitèrent leur maître avec
succès. Vinrent ensuite le Guariento, que se disputent Vérone et Padoue ;
Aldighieri da Zevio, qui, vers 1370, décora la chapelle Saint-Félix à
Saint-Antoine de Padoue ; puis, enfin, le plus célèbre des maîtres de ces
premiers temps de l'école vénitienne, Antonio Veneziano, dont plusieurs
fresques se voient encore au Campo-Santo de Pise. Le
dernier artiste vénitien du quatorzième siècle est Jacopo da Verona, qui, en
1397, décora Saint-Joseph de Padoue de fresques curieuses qui existent encore
en partie. Citons encore Stefano da Verona, Vittore Pisanello, et nous
arriverons au chef de l'école vénitienne, Jacopo Bellini, plus illustre par
ses fils que par lui-même. Dans
l'école bolonaise brillent, avant le seizième siècle, les noms de Vitale, de
Franco, de Jacopo Avanzi et de Melozzo da Forli ; dans l'école de Mantoue,
celui d'Andréa Mantegna ; dans l'école de Modène, celui de Lorenzo Allegri,
l'oncle et le maître du Corrège ; dans l'école de Crémone, ceux d'Altobello
Melone et de Boccaccio Boccaccino ; dans l'école milanaise, celui du
Morazzone ; dans l'école napolitaine, ceux de Filippo Tesauro, de Gennaro di
Colà et du Zingaro. Enfin, dans l'école florentine, à partir du Giotto, l'art
n'avait cessé de progresser par les soins de Buffalmacco, de Taddeo Gaddi,
des frères Orgagna, de Spinelli Aretino, de Paolo Uccello, et il était arrivé
enfin presque à la perfection dans la première moitié du quinzième siècle, où
fleurirent Fra Angelico da Fiesole, Benozzo Gozzoli, Masolino da Panicale et
le Masaccio. Dans l'école romaine, les noms du Pinturicchio et du Perugin
avaient précédé celui de Raphaël. Le
cadre dans lequel nous devons nous renfermer ne nous permet pas de passer en
revue, même rapidement, les grands artistes des seizième et dix-septième
siècles ; c'est d'ailleurs dans l'histoire générale de la Peinture que cette
énumération doit trouver place. Signalons seulement quelques-unes des
fresques les plus célèbres qui soient parvenues jusqu'à nous. Au premier
rang, nous trouvons les Loges et les Chambres du Vatican, la Farnesine de
Raphaël, le Jugement dernier de Michel-Ange, et les autres peintures de la
chapelle Sixtine ; les plafonds du palais des Doges à Venise, par Paul
Véronèse ; les peintures du palais du T à Mantoue, par Jules Romain ; les
cloîtres de l'Annunziata et de lo Scalzo à Florence, par Andrea
del Sarto ; la Descente de croix, de Daniel de Volterre, à la
Trinité-du-Mont à Rome ; les coupoles du Corrège, à Parme, etc. Au
dix-septième siècle, l'école bolonaise, après avoir longtemps étudié dans le
silence, empruntant à chaque école ses qualités, apprenant à éviter ses
défauts, naquit tout à coup à la voix des Carrache, et, après avoir appris de
toutes, enseigna à toutes à son tour une imitation de la nature, noble
encore, mais plus vraie que l'idéal des écoles de Florence et de Rome, et
montra que, dans les arts aussi bien que dans les sciences, Bologne était
digne de sa devise : Bononia docel. Sous le rapport des procédés
matériels d'exécution de la fresque, les peintres bolonais laissèrent bien
loin derrière eux les maîtres du seizième siècle, et rien en ce genre ne peut
être comparé à la galerie Farnèse, peinte à Rome par les Carrache ; au
Martyre de saint Sébastien, du Dominiquin, à Sainte-Marie-des-Anges ; aux
Miracles de saint Nil, à Grotta-Ferrata, et à la Mort de sainte Cécile, à
Saint-Louis-des-Français, par le même maître ; à Y Aurore, du Guerchin, à la
villa Ludovisi ; au Char du soleil, du Guide, au palais Rospigliosi, etc. L'école
napolitaine nous offrit aussi un peintre qui, dans la pratique de la fresque,
ne fut pas inférieur aux Bolonais ; je veux parler de Luca Giordano, auteur
des peintures de la Galerie du palais Riccardi à Florence, et des fresques
d'une foule d'églises d'Italie et d'Espagne. Un
maître de l'école romaine, Pierre de Cortone, se distingua comme lui dans
l'exécution de ces immenses pages, ou, comme disent les Italiens, de ces
grandes machines, ces opere macchinose, telles que les plafonds du
palais Barberini. Je pourrais citer encore les grands faiseurs de fresques
des écoles de Naples, de Parme et de Gênes, les Solimène, les Lanfranc, les
Carloni, les Francavilla, etc. ; mais presque tout leur mérite consiste dans
une fougue, une hardiesse, que rarement le succès justifie. Depuis
cette époque, l'art de la fresque, sans avoir cependant jamais été abandonné
entièrement en Italie, n'a fait que dégénérer pour arriver au degré de
dépérissement où nous le montrent les œuvres contemporaines d'Appiani,
d'Agricola, de Benvenuti, etc. On aura
peut-être remarqué avec étonnement que, dans l'énumération des principales
fresques dont se vante l'Italie, nous n'avons pas donné place à la fameuse
Cène que Léonard de Vinci peignit, à Milan, dans le réfectoire du couvent de
Santa-Maria delle Grazie ; c'est que ce chef-d'œuvre n'est point une fresque,
mais simplement une peinture à la détrempe sur mur sec ; c'est ce qui
explique l'état de destruction presque complète, auquel il est
malheureusement réduit aujourd'hui. Léonard de Vinci a cependant peint
quelques fresques, telles que la Madone du monastère de Saint-Onuphre à Rome,
et la Vierge colossale du palais de Caravaggio
à Vaprio, près Bergame. Avant
de passer en revue le petit nombre de Peintures murales exécutées au Moyen
Age par des artistes étrangers à l'Italie, disons un mot d'un procédé assez
usité dans ce pays à l'époque du Moyen Age. Nous voulons parler de celui
désigné sous le nom de sgraffilo (littéralement égratignure). Sur un mur lisse on étendait
un enduit noir sur lequel on appliquait une couche blanche bien polie ; sur
cette surface on indiquait légèrement le trait, que l'on traçait ensuite
définitivement avec un instrument de fer qui, enlevant la couche blanche,
laissait à découvert la couche noire ; on obtenait ainsi un résultat dont
l'aspect était celui d'un grand dessin au crayon noir. Le sgraffilo était surtout employé pour la décoration extérieure des
édifices. D'Agincourt a publié une marche triomphale exécutée par ce procédé
sur la façade d'une maison du Borgo - Pio à Rome ; on en trouve aussi
quelques exemples à Florence ; mais le plus important de tous est la maison
conventuelle des chevaliers de Saint-Etienne à Pise, entièrement décorée dans
ce genre par Vasari, que quelques auteurs ont prétendu, à tort, avoir été
l'inventeur du sgraffilo, qui était usité bien avant
lui. Si,
franchissant les Alpes, nous rentrons dans notre patrie, nous verrons la
Peinture murale bien peu en honneur dans les siècles qui nous occupent. Nous
ne trouverons que quelques sujets peints à la détrempe dans des églises ou
dans des couvents par des mains inconnues, principalement des Danses des morts,
comme celle qui existait à Paris au cimetière des Innocents et celle qui se
voit encore à l'abbaye de la Chaise-Dieu en Auvergne. En effet, nous ne
pouvons citer comme appartenant à la France les peintures si précieuses
exécutées par le Giotto et par Simon Memmi dans le palais des papes à
Avignon, ni celles du Rosso et du Primatice à Fontainebleau, et les coupoles
peintes au Val-de-Grâce par Mignard, à Saint-Sulpice par Lemoine, sont trop
modernes pour trouver place dans notre cadre. L'Espagne
ne nous offrira non plus qu'un petit nombre de fresques, et presque toutes
d'un mérite au moins secondaire ; encore, la majeure partie est-elle de la
main de Luca Giordano, de Pellegrini et de Luca Cambiaso, que revendique
l'Italie. Mentionnons cependant les fresques gothiques qui subsistent encore
aujourd'hui dans la chapelle mozarabe de la cathédrale de Tolède ; elles ont
pour sujets des combats entre les Tolédans et les Mores. La conservation en
est parfaite ; les couleurs sont vives comme si la peinture était achevée de
la veille. L'archéologue y trouverait mille renseignements curieux sur les
armes, les costumes et l'architecture. Dans les fresques latérales de la
chapelle, sont peints avec beaucoup de détails les vaisseaux qui apportèrent
les Arabes en Espagne. Je ne citerai que pour mémoire des fresques immenses,
dans le goût de Vanloo, dont un peintre, nommé Rayeu, a couvert les murs du
cloître de la même cathédrale ; mais nous admirerons, en visitant une des
salles capitulaires, des sujets religieux dans le style allemand, dont les Espagnols
ont fait de si heureuses imitations, et qu'on attribue au neveu de
Berruguète, si ce n'est à Berruguète lui-même, qui était, comme Michel-Ange,
peintre, sculpteur et architecte. L'Escurial
présente des cloîtres, des voûtes, des plafonds, peints à fresque par des
maîtres italiens et par quelques Espagnols, tels que Carducho, Romulo,
Cincinnato, etc. Enfin, dans les temps modernes, quelques fresques ont été
exécutées par le fameux Goya, bien plus connu par ses inimitables
caricatures. Le
talent généralement froid des maîtres des contrées septentrionales était
entièrement opposé au génie de la fresque ; leur manière même de procéder,
dans laquelle les glacis jouent un si grand rôle, leur goût pour la couleur,
étaient autant d'obstacles à l'adoption de ce genre de Peinture ; aussi, en
trouvons-nous à peine quelques traces, en Belgique, en Hollande, en
Allemagne. Quelques
Flamands, quelques Allemands cependant ont travaillé à fresque ; mais ceux-là
étaient allés se réchauffer au soleil inspirateur de l'Italie, et c'est dans
ce pays que nous devons chercher leurs œuvres. Ainsi, à Gênes, dans un
corridor du dortoir du couvent de Santa-Maria di Castello, nous voyons une
admirable Annonciation de Just d'Allemagne, qui florissait au quinzième
siècle. Le même maître avait peint, à la voûte, des prophètes et des sibylles
; mais ces fresques ont beaucoup souffert, et aujourd'hui il serait difficile
de juger de leur mérite. Jean
Stradan, de Bruges, a laissé de curieuses fresques représentant des
prophètes, des sibylles, et des traits de la vie de Jésus-Christ dans
l'oratoire de Saint-Clément, dépendant de l'ancien monastère de Saint-Michel
Visdomini, à Florence. A la fin du seizième siècle, appartiennent également
Paul Brill d'Anvers, qui a coopéré à la décoration des Loges du Vatican ;
Heinrich, qui peignit, à Pérouse, dans le palais de la Commune, le Christ
entre saint Hercolan et saint François d'Assise ; et un autre Flamand, nommé
Jean, qui a laissé dans ce même palais quatre paysages fort maltraités par le
temps. Au
commencement du dix-septième siècle, Michel Coellier et Jean Miel décoraient
de fresques l'église de Santa-Maria dell' Anima à Rome, Jean Stolf peignait
la façade de la Casa Coppi à Florence ; et, dans la même ville, Pierre de
Witte, Brugeois, que les Italiens appellent Pietro Candido, représentait, à
San-Niccolo del Ceppo, la Madone entre saint Nicolas et saint François. Parmi
le petit nombre de Peintures murales que nous offrent l'Allemagne, la Suisse
et la Hollande, je ne dois pas oublier, en terminant cette revue, de signaler
la fameuse Danse des morts et les façades de quelques maisons peintes à Baie,
attribuées à l'Holbein ; les fresques, la plupart d'auteurs inconnus, qui
couvrent presque toutes les murailles d'Augsbourg ; celles qui décorent, à Vienne,
les églises de Saint-Étienne et de Saint-Augustin, et surtout les nombreuses
et intéressantes peintures dont, en 1466, Israël de Meckenheim décora
entièrement une des chapelles de Sainte - Marie du Capitole à Cologne. Aujourd'hui
l'Allemagne et surtout Munich s'efforcent de remettre en honneur la -
Peinture murale, qui semblait abandonnée, et nous devons applaudir aux
tentatives des Cornélius, des Gotzemberger, des Jules Schnorr, des
Hiltensperger, des Schilgen, des Lindenschmith, des Foltz, etc. Le procédé
employé aujourd'hui par les Allemands est l'encaustique, procédé qui permet
les retouches, mais dont l'effet rentre trop dans la donnée des tableaux
appliqués sur la muraille. Le choix de l'encaustique a, dit-on, été déterminé
par sa durée présumée, plus longue dans ce pays que celle de la fresque. On a
longtemps agité cette question : Les climats
du Nord sont-ils moins favorables à la conservation de la fresque que ceux du
Midi ? Elle a été
résolue de la manière la plus opposée par les différents auteurs, et pourtant
il est peut-être possible de concilier ces opinions diamétralement
contraires. Nous croyons que la conservation de la fresque dépend beaucoup de
son exposition, dans l'un et l'autre climat. L'exposition au nord est la plus
favorable dans les pays où il gèle rarement, le soleil du Midi détruisant
nécessairement la vivacité des couleurs. Dans les climats froids,
l'exposition du couchant est préférable, parce que les premiers rayons du
soleil levant ont, après les gelées, un effet très- pernicieux. Moyennant ces
précautions, la Peinture à fresque est de tous les procédés de peinture le
plus durable sans contredit, comme elle est aussi la véritable peinture
monumentale, celle qui convient le mieux aux grandes compositions. Ses
procédés excluant les petits détails des formes, la fonte des teintes, le
mérite d'une touche délicate et légère, elle ne doit être vue qu'à une
certaine distance ; on ne peut guère citer comme exemple de fresques bien
réussies dans de petites proportions que les Loges de Raphaël et quelques
médaillons de Jules Romain au palais du T à Mantoue ; mais aussi la fresque,
dans les mains d'un peintre habile, doué d'une touche large et vigoureuse, la
fresque, appliquée sur une grande échelle à la décoration de vastes salles et
de plafonds élevés, est réellement la reine de la peinture : elle possède un
grandiose, une vigueur, une virginité de tons, un relief dont aucun autre
procédé ne peut approcher ; elle obtient de plus grands résultats, tout en
semblant suivre la nature de moins près, et elle justifie presque Michel-Ange
d'avoir dit : La seule Peinture, c'est la
fresque ; la peinture à l'huile n'est qu'un art de femmes et d'hommes
paresseux et sans énergie. ERNEST BRETON, De la Société des Antiquaires de
France. |