IL est peu de branches de la
science archéologique qui intéressent plus fortement l'histoire générale, que
l'étude des armes offensives et défensives, avec toutes les modifications
successives qu'elles ont subies à mesure que !a civilisation faisait des progrès.
Les races humaines, en effet, n'ont marqué nulle part plus fortement
l'empreinte de leur caractère et de leur génie. L'Armurerie de la France, ce
pays de la guerre, de la chevalerie et des aventureuses expéditions, de la
France, qui a rempli le monde de ses hauts faits, occupe de plein droit la
première place dans l'histoire des armes. Depuis
que la nouvelle école historique s'est mise à fouiller le Moyen Age avec
autant de soin que l'antiquité, tout le monde s'est familiarisé avec les
armes du vieux temps, comme avec les meubles gothiques ; on s'est pris à les
aimer et à les recueillir avec passion ; de sorte que les hommes studieux ont
pu, grâce aux riches collections qu'ils avaient à consulter, se rendre compte
des changements successifs apportés, par mille causes diverses, dans les
armes et l'équipage militaire de nos aïeux. Nous allons donc esquisser à
grands traits cette histoire spéciale, qui, nous osons l'espérer, ne paraîtra
pas dépourvue d'intérêt. Gaulois et Francs.
Lorsque
les Francs passèrent le Rhin pour envahir les Gaules, ils furent combattus
par les Romains et les Gaulois armés à la romaine. Nous ne pouvons donc nous
dispenser de jeter un coup d'œil rapide sur les armes de ces deux races, avec
lesquelles la race conquérante ne tarda pas à se fondre. C'est à
Diodore de Sicile que nous devons les seuls renseignements écrits que nous
possédions sur l'armement des Gaulois avant la conquête romaine. Cet
historien nous apprend que des chars, montés à la fois par un homme de guerre
et par un auriga ou cocher, étaient fort en
usage pour attaquer la cavalerie, contre laquelle on les lançait à toute
vitesse. Quand, au contraire, il s'agissait de combattre des fantassins, les
Gaulois mettaient pied à terre et les frappaient de leurs larges épées, leur
faisant ainsi la partie égale. Du reste, ils poussaient le mépris du danger,
jusqu'à dépouiller tout vêlement à l'heure du combat. D'ordinaire, lorsque
deux armées étaient en présence, les chefs gaulois sortaient des rangs et
provoquaient les chefs ennemis à des combats singuliers. S'ils étaient
vainqueurs, ils faisaient porter devant eux les dépouilles du vaincu, et les
suivaient en entonnant un chant de victoire. Pour
armes défensives, les Gaulois n'avaient qu'un bouclier, de dimension telle,
qu'on pouvait, au besoin, s'en servir comme d'une nacelle pour traverser les
rivières. Ces boucliers, de forme étroite et longue, étaient généralement
octogones et ornés de dessins ou d'insignes propres à celui qui les portait.
Des casques d'airain, surmontés de cornes ou de figures d'animaux du même
métal, garantissaient la tête des guerriers. Tous
les Gaulois ne combattaient pas de la même manière, et il s'en trouvait parmi
eux, au dire de Tacite, qui se couvraient d'armures à l'épreuve de l'arme
blanche ; mais ces armures étaient d'un tel poids, que le soldat qui en était
chargé se trouvait gêné dans tous ses mouvements. Les guerriers ainsi vêtus
se nommaient crupellarii. L'épée
gauloise, nommée spatha, était longue et large ; elle se portait sur la
cuisse droite, suspendue par une chaînette de fer ou d'airain. Une dague
courte ou couteau, une pique nommée lankia, à lame de fer longue d'une
coudée et large de deux mains, et des javelots nommés gesum, à lames barbelées, complétaient l'armement des soldats gaulois.
Au reste, ces différentes armes, décrites par Diodore, ne sont pas les plus
anciennes qui aient été usitées parmi les peuplades gauloises ; car nos
musées renferment une foule de haches, de couteaux et de pointes de pique ou
de flèche en silex ou en jade, dont l'usage précéda très-probablement celui
des armes analogues de métal. Après
la guerre terrible dans laquelle les Gaulois succombèrent, l'armement des
vainqueurs prévalut dans les Gaules. Les vaincus adoptèrent les armes de
leurs nouveaux maîtres, les Romains, parce qu'ils en avaient reconnu la
supériorité ; et ce fut, par conséquent, à ces armes que les Franks eurent
affaire lorsqu'ils apparurent sur le territoire de l'empire d'Occident.
Voyons donc quelles sont les phases principales que présente l'histoire des
armes romaines. Une
légion se composait de dix cohortes de fantassins et de dix escadrons de
cavalerie. L'infanterie se subdivisait en troupes pesantes et en troupes
légères. Dans les premières étaient classés les hastati, les principes et les triarii ; dans les secondes, les velites, les funditores et les sagittarii. La cavalerie se composait d'equites proprement dits et d'equites cataphracti. Les hastati portaient la hasta ou lance longue d'environ six
pieds. A une certaine époque, lorsqu'ils furent désignés pour occuper le
premier rang dans les batailles, on leur enleva la lance, reconnue trop
gênante. Les principes formaient le second rang, et
les triarii, le troisième. Ces derniers,
nommés aussi pilani, parce qu'ils étaient armés
d'un pilum ou javeline, étaient tous des
soldats éprouvés. Dans la grosse infanterie, chaque soldat portait le
bouclier hémicylindrique nommé scutum. Les principes et les triarii, au contraire, portaient le clypeus ou bouclier rond. Tous indistinctement étaient coiffés de la galea ou cassis, sorte de casque d'airain ou de
fer, avec large couvre-nuque. Ces casques avaient le timbre nu ou garni d'une
crête rouge. La
cuirasse des soldats romains fut d'abord un véritable justaucorps de cuir,
descendant jusqu'à l'abdomen, et auquel s'adaptaient une plaque de métal sur
la poitrine et des lames imbriquées sur les épaules. Sous l'Empire, le
plastron métallique d'une seule pièce fut remplacé par des bandes de métal
juxtaposées, entourant la moitié du corps seulement et fixées sur la casaque
de cuir. C'était là la cuirasse des simples légionnaires : celle des
officiers était souvent formée de deux plastrons de métal, recouverts de
riches ciselures et reliés sur les flancs par des agrafes et des charnières (Colonne
Trajane). Un peu
plus tard (Colonne Antonine), les triarii furent armés uniformément de la
lorica squamata, dont l'usage était néanmoins
connu depuis longtemps, mais non dans les corps militaires constitués. Du
temps de Polybe, les hastati portaient au flanc droit une
épée espagnole à deux tranchants ; ils étaient, en outre, armés de deux
piques, de dimension différente et à pointe en fer. Leur casque était en
bronze, et surmonté de trois plumes droites, d'un pied et demi de longueur,
dont deux rouges et une noire. Les principes et les triarii étaient armés de même, sauf que
les derniers, au lieu de javelines, portaient une demi-pique. Toutes
les épées étaient droites, et propres à frapper d'estoc et de taille ; celle
des officiers s'attachait à un ceinturon et recevait le nom de parazonium. Passons
à l'infanterie légère. Les velites étaient de véritables
voltigeurs, n'ayant pour armes défensives qu'un casque et un bouclier rond
d'à peu près trois pieds de diamètre, nommé parma.
Chaque vélite portait sept javelots à pointe de fer, d'un demi-pied de long,
et si flexibles, qu'on ne pouvait s'en servir deux fois. Quand ils avaient
épuisé leurs armes de jet, les velites se servaient d'une épée
espagnole à deux tranchants et propre à frapper d'estoc. Les funditores, recrutés d'ordinaire parmi les Achéens ou les habitants des
Baléares, étaient armés d'un casque, d'un bouclier et d'une fronde, avec
laquelle ils lançaient des olives de plomb. Les sagittarii étaient pris parmi les Crétois et les Arabes ; leurs traits
étaient barbelés à triple dent, afin de déchirer les chairs lorsqu'il
s'agissait d'extraire une flèche de la blessure qu'elle avait faite. La corde
de leurs arcs était formée de boyaux tordus ; pour la saisir et la lâcher, et
pour y fixer l'encoche de la flèche sans s'exposer à se meurtrir l'extrémité
des doigts, les archers légionnaires se servaient d'une sorte de doigtier de
bronze à trois dents, entre lesquelles la corde était pincée. Quelquefois les
fantassins légers étaient coiffés d'une peau d'animal au lieu du casque nommé
galea. La
cavalerie romaine ne faisait usage ni d'étriers ni de selle ; c'était une
peau d'animal ou une pièce d'étoffe qui en tenait lieu. Elle était fixée sur
le dos du cheval par une sangle ou courroie. Polybe nous dit que les
cavaliers avaient porté d'abord des javelots à pointe de fer très-flexibles
et très-fragiles, un bouclier rond et concave de cuir ; mais que, de son
temps, l'armement de la cavalerie grecque fut adopté pour la cavalerie
légionnaire. Alors les javelots furent remplacés par une forte javeline
garnie d'une pointe de fer à chacune de ses extrémités. Les cavaliers, armés
d'un casque et d'une cuirasse, étaient appelés loricati. L'armée romaine comptait de plus des cavaliers pesants nommés equites cataphracti, et qui étaient revêtus, eux et leurs chevaux,
d'une étoffe entièrement recouverte de petites plaques de fer imbriquées.
Sous Constantin-le-Grand, la majeure partie de la cavalerie romaine était
composée de ces equites cataphracti. En
général, l'armure romaine était d'airain, tandis que les armes proprement
dites étaient de fer. Toutefois, les épées furent fabriquées en airain jusque
vers l'époque du haut Empire. Les
armes des Franks étaient : le scramsax, sorte de coutelas court et
long, à lame quelquefois garnie de cannelures le long du dos (gladius caraxatus) ; l'épée longue ou glaive, le
couteau ou poignard, le bouclier rond ou ovale, la lance ou l'épieu nommé
angon, et la hache à un ou à deux tranchants, appelée francisque. Ces armes
furent généralement en usage jusqu'à la fin du neuvième siècle, concurremment
avec les armes romaines. L'historien
français Éginhard, qui écrivait au neuvième siècle, nous a donné une
description complète du costume de Charlemagne, qui, dit-il (De vita Caroli
magni, c. XXII),
se conformait exactement aux usages du pays. Ce monarque conquérant portait
une tunique de toile pareille à celle des Anglo-Saxons ; et jamais il ne se
montrait, sans avoir l'épée au côté. Son baudrier était richement garni d'or,
d'argent et de pierres précieuses, ainsi que la poignée de son épée. Dans une
figure que Montfaucon (Monarchie française, t. I, pl. 22) a tirée d'une mosaïque du
temps, Charlemagne est représenté avec une espèce de plastron qui lui couvre
la poitrine et qui parait composé de plusieurs plaques de métal. Éginhard
parle aussi de ce plastron. Du reste, les costumes restèrent pendant
plusieurs siècles, à peu de chose près, tels qu'on les avait portés du temps
de Charlemagne. Les rares miniatures qu'on trouve dans des manuscrits du
temps suffisent pour démontrer que les princes et les leudes avaient adopté
les modes gallo-romaines dans la forme de leurs habits d'apparat, et que les
hommes de guerre portaient le costume militaire romain, mais avec certaines
innovations dues au mauvais goût du siècle. Ainsi, les casques, lés
boucliers, les épées, avaient pris des formes bizarres, fort éloignées des
modèles sur lesquels on prétendait les façonner, et l'on pourrait presque
dire que le costume avait subi le même genre d'altération que le langage,
corrompu qu'il était par le mélange des mœurs germaines avec les mœurs des
anciens sujets romains. Vers le
milieu du neuvième siècle, sous le règne de Charles-le-Chauve, Rollon,
débarqué sur les côtes de la Neustrie à la tête des hordes normandes,
s'empara de Rouen, qui devint sa place d'armes et son quartier général. Il
parcourut alors, les armes à la main, les principales provinces de la France
; et, après trente ans de combats, il conclut avec le roi de France un traité
de paix qui lui assurait en toute propriété la Neustrie, qui reçut dès lors
le nom de Normandie. Les relations continuelles que les Français eurent,
pendant cette longue guerre, avec les armées normandes, et celles qui
s'établirent après la paix, eurent une grande influence sur les mœurs
guerrières des Français, qui adoptèrent une partie des armes des Normands,
particulièrement les armes défensives. Dans les miniatures du manuscrit de
Prudentius, on voit, comme dans la Tapisserie de Bayeux, les guerriers
couverts d'un vêtement garni de petits anneaux ou d'écaillés de fer ; leurs
casques sont pointus, et leurs boucliers, en forme d'écu et coupés
horizontalement dans le haut, se terminent en bas par une pointe plus ou
moins aiguë. A
partir du commencement de la troisième dynastie de nos rois, nous trouvons
des monuments en assez grand nombre pour déterminer avec certitude les
variations successives du costume guerrier des Français. Le plus ancien et le
plus précieux de ces monuments est la célèbre Tapisserie de Bayeux, ouvrage à
l'aiguille qu'on attribue, avec assez de probabilité, à la reine Mathilde,
femme de Guillaume-le-Conquérant. Elle représente les préparatifs de
l'expédition contre l'Angleterre, les différents épisodes de la conquête, et
la bataille de Hastings, qui la termina. Les dessins et l'exécution de cette
tapisserie se ressentent de l'état de barbarie où les arts se trouvaient à
cette époque ; néanmoins, les costumes guerriers et les armes sont assez bien
indiqués, et nous fournissent des notions certaines sur leurs formes. L'armée
de Guillaume, à la bataille de Hastings, était composée de trois corps : le
premier, d'archers à pied, armés de flèches et de dards ; le second, de
fantassins, mieux armés et couverts de mailles de fer ; enfin, le troisième,
de cavaliers, au milieu desquels le duc Guillaume avait choisi sa place. Le
costume présente peu de variété ; on n'y remarque que deux sortes
d'habillements : l'un est fort simple, et les gens qui le portent n'ont pas
de casque ; c'est évidemment là la milice subalterne. L'autre habillement est
couvert d'anneaux de fer non entrelacés ; il prend depuis les épaules
jusqu'aux genoux ; les cavaliers qui en sont couverts ont tous un casque pour
coiffure. Ces casques, étroits et de forme conique, à pointe plus ou moins
aiguë, sont prolongés par derrière en couvre-nuque, et par devant ils sont
munis d'un appendice de métal qui garantissait la figure et faisait corps
avec le reste du casque : en cela, cet appendice différait de la barre mobile
qu'on employa longtemps après et qui reçut le nom de nasal. Parmi les
cavaliers ainsi bardés de fer, il en est qui ont des chaussures, d'autres qui
en sont dépourvus ; les uns ont des étriers, les autres n'en ont pas, et
souvent même pas d'éperons. Cette particularité se remarque de même sur
divers sceaux de ce siècle. Les boucliers des cavaliers sont convexes ; la
plupart, arrondis à leur partie supérieure, se terminent en pointe par le
bas. Il y en a cependant trois ou quatre qui ont une forme différente : ils
sont presque concaves, ronds, à pans, et présentent dans le milieu une pointe
aiguë assez allongée. Ces boucliers se portaient au bras et s'y attachaient
au moyen d'une courroie. Les
armes offensives consistaient en épées, haches, lances, javelots et flèches.
Les épées étaient longues et d'une largeur uniforme jusqu'à l'extrémité, qui
se terminait brusquement en pointe ; les poignées étaient grosses, simples et
fortes. Les haches n'offrent aucune particularité remarquable. Les lances
sont armées d'un fer aigu qui fait environ la sixième partie de la hampe. On
voit aussi des massues, des bâtons ferrés, et enfin des bâtons fourchus, qui
furent probablement la première forme de l'arme qu'on appela plus tard bisaguë. Ces dernières armes ne servaient ordinairement qu'aux serfs et
aux paysans, l'épée et la lance étant réservées aux hommes libres. Rien,
dans cette curieuse Tapisserie, n'indique qu'à cette époque la fronde ait été
usitée dans les combats ; mais, dans un des morceaux de la bordure, on voit
un homme se servir de cette arme pour lancer une pierre à des oiseaux : on
peut donc croire que la fronde n'était employée alors que comme arme de
chasse. Sur son
sceau, conservé en Angleterre, le roi Guillaume est représenté armé d'une
espèce de haubert dont les anneaux sont placés à côté les uns des autres,
sans être entrelacés, et l'on en peut conclure que ce genre d'armure, qui
était en usage parmi les Anglo-Saxons, fut adopté par les Normands. Le
haubert proprement dit, le haubert à mailles de fer n'était pas encore connu
en Europe, et nous en avons une autre preuve dans un passage de Guillaume de
Poitiers. Cet historien dit que, lorsque Guillaume-le-Conquérant s'armait
pour la bataille de Hastings, il mit par mégarde son haubert à l'envers. Ces
paroles indiquent clairement qu'il parlait d'un vêtement d'étoffe ou de peau,
sur lequel les anneaux ou les plaques de métal étaient cousus ou attachés
d'une manière quelconque. L'arc,
comme arme de guerre, a été introduit en France, puis en Angleterre, par les
Normands ; les Francs n'en faisaient usage que pour la chasse. On sait que
Guillaume aimait cet exercice et qu'il y déployait une adresse et une vigueur
remarquables. Harold ayant été renversé par une flèche et la victoire de
Hastings ayant été attribuée à l'emploi de cette arme de jet, l'arc devint,
par la suite, l'arme favorite des Anglais ; cependant les lois du conquérant
ne la rangèrent pas parmi les armes de la noblesse. HENRI IER ET PHILIPPE IER.
Pendant
les règnes de Henri Ier et de Philippe Ier, le costume militaire resta
semblable à celui que les Normands de Guillaume avaient porté, c'est-à-dire à
celui qui est représenté sur la Tapisserie de Bayeux, avec quelque mélange de
l'ancien costume militaire romain ou frank. Parmi les armes offensives, on
voit paraître pour la première fois, vers la fin du onzième siècle, des
bâtons courts, au bout desquels sont attachés, par des chaînettes, des
boulets de fer garnis de pointes. Cette arme singulière et terrible fut
appelée fléau d'armes ou fouet d'armes. CROISADES.
L'époque
des croisades à laquelle nous arrivons forme une époque très-remarquable dans
l'histoire de l'Armurerie ; les aventureuses expéditions vers l'Orient eurent
une grande influence sur les armes et le costume militaire de l'Europe ; la
première et la plus importante des importations dues à l'influence des
croisades fut celle de la colle de mailles, qui était généralement en usage
parmi les Arabes et qu'on retrouve très-nettement indiquée sur les sculptures
des Sassanides. Avant
la première croisade, on avait déjà connaissance, en Italie et en France, du
tissu de fer dont les Orientaux formaient des casaques défensives ; mais les
imitations qu'on en faisait étaient fort grossières, d'un poids énorme et
faciles à transpercer. On fabriquait aussi, à l'instar des cottes de mailles,
des vêtements de toile ou de cuir, sur lesquels on appliquait des plaquettes
de fer rectangulaires ou rhomboïdales que l'on imbriquait les unes sur les
autres, à l'imitation des écailles d'un poisson Ce genre d'armure prit
différents noms, suivant ses variétés ; on les appela haubergeons, jacques de fer, jasserans, brigandines,
jacques de brigandine, armures à macles, armures à rustres, etc. Pendant la première
croisade, et ensuite sous les règnes de Louis-le-Gros et de Louis-le-Jeune,
ce vêtement militaire fut remplacé par le haubert de mailles, composé
d'anneaux entrelacés et rivés à la manière orientale. On n'abandonna
cependant pas l'usage des jasserans, des brigandines et des armures
à macles, car la fabrication de ces dernières armes défensives était plus
facile, plus simple, et devait nécessairement -être moins coûteuse. Ce fut
sous le règne de Philippe-Auguste et sous celui de saint Louis, que la
chemise de mailles devint d'un usage général pour les chevaliers, qui souvent
portaient aussi des chausses de mailles pour se garantir les cuisses, les
jambes et même les pieds. LOUIS-LE-GROS ET LOUIS-LE-JEUNE.
A
partir des règnes de Louis-le-Gros et de Louis-le-Jeune, les documents
abondent ; aussi, les recherches sur le costume militaire des Français
deviennent-elles plus faciles. Un
psautier orné de miniatures et écrit sous Louis-le-Gros nous présente un
guerrier complétement armé. Son haubert est composé de huit pièces d'acier ou
de fer, coupées en losanges, qu'on appelait macles : il est à capuchon, et
les manches sont terminées par des gantelets où les doigts ne sont point
figurés, mais qui recouvrent d'une seule pièce la partie externe des mains et
des doigts. Le casque est conique, comme ceux de la Tapisserie de Bayeux,
avec cette différence que la génératrice du cône qui correspond au nasal est
verticale. Le guerrier est armé d'une longue épée, semblable à celles que
portent tous les chevaliers de la Tapisserie brodée par la reine Mathilde. Un
autre genre d'armure fut aussi en usage pendant le règne de Louis-le-Gros ;
c'est l'armure à écailles : on appelait ainsi une tunique de toile épaisse,
sur laquelle étaient cousues des écailles d'acier. (On la trouve
figurée sur la pl. X du grand ouvrage de Meyrick.) On trouve aussi à cette époque
le premier essai d'une visière mobile, adaptée au casque conique qu'on
conserva longtemps encore, même après l'introduction de casques bien
différents de forme et dont nous parlerons tout à l'heure. Enfin, vers le
même temps, on commença à faire usage, pour la chasse, de véritables
arbalètes ; c'est-à-dire qu'on ajouta à la forme primitive de l'arc un fût ou
arbrier qui donnait plus de facilité pour tendre la corde et qui aidait à
mieux diriger le trait. A la
première croisade, les barons et les chevaliers portaient un haubert composé
d'anneaux de fer ou d'acier. Sur la cotte d'armes de chaque écuyer, flottait
une écharpe bleue, rouge, verte ou blanche. La cotte d'armes des Hospitaliers
était rouge ; les chevaliers du Temple avaient un manteau blanc. Chaque
guerrier portait un casque, argenté pour les princes, d'acier pour les
gentilshommes et de fer pour les soldats. Les cavaliers avaient des boucliers
ronds ou carrés ; des boucliers longs couvraient les fantassins. Les croisés
se servaient, pour les combats, de la lance, de l'épée, d'une espèce de
poignard ou de couteau appelé miséricorde ; de la massue et de la hache
d'armes ; de la fronde, destinée à lancer des pierres ou des balles de plomb,
et de l'arc ou de l'arbalète. Sous
Louis-le-Jeune, l'usage du casque conique des Normands continua à être
général ; le haubert à lames, de dimensions plus fortes que les mâcles et les
rustres, commence à paraître ; enfin les pointes de la chaussure prennent des
dimensions exagérées, mais bien loin encore de ce qu'elles devinrent plus
tard sous Charles VI. DEUXIÈME CROISADE.
L'abbé
Suger, premier ministre de Louis VII, avait fait peindre les principaux
événements de la deuxième croisade sur les verrières de Saint-Denis ;
Monfaucon nous en a conservé des copies. Les principaux chefs des croisés
portent des hauberts à anneaux ou à marles : On ne voit pas bien de quelle
manière leurs jambes sont défendues ; mais la chaussure n'est pas à longues
pointes. Le casque est conique et sans nasal. Enfin le bouclier en forme
d'écu est généralement suspendu au cou par une lanière de cuir. Quant à la
cavalerie sarrasine, elle est armée d'arcs, de lances et d'épées. Dans
cette seconde expédition, les croisés avaient abandonné l'usage de
l'arbalète, que le concile de Latran (1139) avait condamnée comme trop meurtrière. Le hoqueton des Orientaux paraît avoir été adopté à cette époque. C'était
une longue veste à manches formée de deux grosses toiles, entre lesquelles on
mettait du coton ou de la laine. Au temps de Duguesclin, cet habillement
était de bouracan. DOUZIÈME SIÈCLE.
Vers le
milieu du douzième siècle, on commence à voir paraître le plastron de fer,
qui annonçait le rétablissement de l'ancienne cuirasse de fer ou d'airain
portée par tous les peuples de l'antiquité classique. Ce plastron était porté
sous le haubert pour le soulever au-dessus de la poitrine sa pression sur
cette partie du corps ayant été trouvée nuisible a la santé. A la
fin du même siècle, les cottes de mailles, d'origine orientale, étaient déjà
généralement portées par les chevaliers tant en France qu'en Allemagne ; on
les mettait sous une veste, dans le genre du hoqueton que nous venons de
décrire, et qu'on appelait en France gambison. A
l'époque de Philippe-Auguste, plusieurs changements eurent lieu dans les
armes et dans le costume militaire. L'arbalète,
dont l'usage avait été défendu par le pape Innocent II en 1139, fut reprise
dans la troisième croisade sous Philippe-Auguste. C'est à tort que quelques
auteurs ont attribué à Richard Cœur-de-Lion l'invention de cette arme ; il
est certain qu'elle était déjà employée pour la chasse, en France comme en
Angleterre, sous le règne de Philippe Ier. On en fit usage à la guerre, sous
Louis-le-Gros et sous Louis-le-Jeune jusqu'en 1139, année dans laquelle elle
fut proscrite par le Saint-Siège. Richard contribua probablement à la faire
adopter de nouveau dans les guerres religieuses, et c'est sans doute par
cette raison que quelques auteurs lui en ont attribué l'invention. Depuis
cette époque y l'arbalète n'a cessé d'être employée dans les armées
françaises, et elle ne fut supprimée définitivement qu'en 1560. Le
casque changea complètement de forme sous Philippe-Auguste : de conique qu'il
était, il devint cylindrique, et on y ajouta une visière que l'on appela ventail. Le visage, que le casque normand avait laissé découvert, fut
désormais garanti des coups de l'ennemi. Les chevaliers du Temple, dont le
costume fut déterminé par le pape Eugène en 1186, sont représentés, dans leur
sceau officiel, coiffés de ces casques cylindriques avec ventails. La
chemise de mailles, quoique généralement répandue à l'époque de la troisième
croisade, n'avait pas cependant fait entièrement abandonner les hauberts à
anneaux de fer, à mailles, à rustres, ni les hoquetons asiatiques. Richard
1er, roi d'Angleterre, est représenté sur son sceau (voyez Meyrick,
pl. XIII) couvert
d'un haubert à anneaux, au-dessous duquel on voit dépasser une tunique de
drap. Ses cuisses, ses jambes et ses pieds sont garantis par des chausses
couvertes de ces mêmes anneaux. Il porte le casque cylindrique avec un
bandeau de fer ou ventail qui lui couvre le visage. Au niveau des yeux et à
la hauteur de la bouche, on remarque deux fentes horizontales qui permettent
au guerrier de voir et de respirer. C'est la forme primitive des casques
cylindriques, qui fut ensuite modifiée de bien des manières. Un
contemporain de Philippe-Auguste, Alexandre II, roi d'Écosse, est représenté
sur son sceau, au dire de Meyrick, avec une armure à mâcles ; preuve que
l'armure à mailles de fer n'était pas encore généralement adoptée en Europe.
Ce sceau offre le premier exemple d'une cubilière, pièce d'armure destinée à
garantir le coude et dont l'usage ne devint commun en France que sous le
règne de saint Louis. Les
boucliers, sous Philippe-Auguste, continuèrent d'être pointus à leur partie
inférieure, et coupés horizontalement à la partie supérieure, comme les
boucliers normands ; mais on les courba dans leur hauteur pour mieux
envelopper le corps et parer les coups. La
cotte d'armes prit aussi naissance pendant la troisième croisade. Le sceau de
Jean-sans-Terre présente, d'après Meyrick, le premier exemple d'une cotte
d'armes portée par un roi d'Angleterre. Ce vêtement est appliqué sur un
haubert à anneaux, qui dépasse la cotte d'armes de quelques pouces à sa
partie inférieure et à l'extrémité des bras. En couvrant les armures de cette
espèce avec une dalmatique, qui était de drap ou d'étoffe de soie, on n'eut
pour but que de rafraîchir les armures, qui devenaient insupportables sous
les rayons du soleil d'Orient ; mais bientôt ce nouveau vêtement servit à
distinguer, au moyen de diverses couleurs, les différentes nations qui
marchaient sous l'étendard de la croix. D'abord, ces cottes d'armes n'eurent
aucune marque distinctive, aucune figure peinte ou brodée ; elles furent
d'une seule couleur ou bigarrées. Mais, pendant la troisième croisade, autant
pour préserver des effets du soleil l'armure des croisés que pour les mettre
à l'abri des pluies, on imagina de se couvrir le corps d'un ouvrage de
pourpointerie dont l'usage s'étendit beaucoup sous le règne de saint Louis :
c'était une espèce de grande veste matelassée et piquée, qu'on appela colle gamboisée. Les plus riches étoffes étaient souvent employées
pour ces vêtements, qui se portaient en même temps que l'habillement de
mailles ; l'un et l'autre avaient, à cette époque, un capuchon sous lequel on
mettait une calotte de fer qui couvrait la partie supérieure de la tête, et
qu'on appelait chapel de fer. Ce chapel fut porté comme
casque, après la suppression du capuchon. Il faut
noter ici que la grosse cavalerie, composée entièrement de chevaliers, ne
porta jamais la cotte gamboisée ; elle fut toujours couverte de mailles
depuis l'importation de ce vêtement oriental. En résumé, à la troisième
croisade, les guerriers étaient mieux armés et plus disciplinés que ceux qui
les avaient précédés en Palestine : les fantassins se servaient de
l'arbalète, négligée dans la deuxième expédition ; leurs cuirasses et leurs
boucliers, recouverts d'un cuir épais, résistaient bien aux traits des
Sarrasins ; aussi, sur les champs de bataille, voyait-on quelquefois des
soldats, tout hérissés de flèches et que les Arabes comparaient à des
porcs-épies, conserver leurs rangs et continuer à combattre. Le
bouclier rond, qu'on appela rondache, succéda au bouclier normand à pointe,
qui avait été en usage jusqu'au règne de Philippe-Auguste. Les premières
rondacbes n'avaient pas plus de deux pieds de diamètre, et souvent beaucoup
moins : elles étaient plates ou presque plates ; mais on ne tarda pas à les
faire convexes du côté de l'ennemi et quelquefois même concaves. Sous Louis
IX, les boucliers pointus reparurent, et ne furent complètement oubliés que
sous le règne des successeurs immédiats du saint roi. Le
costume des frondeurs, vers le milieu du treizième siècle, n'est autre que
celui de la classe inférieure du peuple, dans laquelle on recrutait ce genre
de combattants. Du reste, il n'y eut plus de frondeurs dans les armées
françaises après le règne de saint Louis. Quant aux archers, ceux
d'Angleterre portaient, à cette époque, sur leur haubert, une veste de cuir
que les archers français adoptèrent quelques années plus tard et qu'ils
appelèrent Jacques-d'Anglais ; témoin ces vers d'un vieil auteur du quinzième
siècle nommé Coquillart : C'étoit
un pourpoint de chamois Farci
de bourre sus et sous, Un
grand vilain jaque-d'Anglois Qui
lui pendoit jusqu'aux genoux. Non-seulement
les archers mais encore les seigneurs portaient de ces vêtements courts et
étroits, taillés en étoffe plus ou moins riche. Lors du voyage de Charles VI
en Bretagne, il portait un jaque en velours noir. Pendant
le règne de saint Louis le casque de guerre subit une modification de forme,
qu'il importe de signaler. La moitié supérieure du heaume prit la forme d'un
cône tronqué ; la moitié inférieure, restée d'abord cylindrique, devint, un
peu plus tard, de la forme d'un cône tronqué renversé. Ainsi, Je heaume avait
la figure de deux cônes tronqués réunis par leurs grandes bases. Les croisés
avaient tracé sur le devant de leur heaume une croix dont la branche
verticale prenait du front au menton et dont la branche horizontale était à
la hauteur des yeux. Un exemple de ce genre de casque se voit dans Montfaucon
(Monarchie
Françoise, pl. XCI, fig. 5), qui l'a tiré du monument de
Hugues, vidame de Châlons, mort en 1279. Outre
le heaume, qui fut d'abord cylindrique et ensuite tronconique, on portait à
cette époque le chapel de fer : c'était d'abord une simple calotte qu'on
plaçait sous le capuchon du haubert ; on attacha ensuite ce capuchon, dont on
retranchait la partie supérieure, aux bords du chapel ; on ajouta enfin un
rebord à la calotte de fer, et le chapel prit une forme dans le genre des
chapeaux ronds en feutre que nous portons encore. Au
milieu du treizième siècle, les Allemands employaient déjà de grands espadons
à deux mains. Ils en ont conservé l'usage jusqu'au temps de Maximilien Ier.
Dans quelques ordonnances de la ville de Paris, il est fait mention des
grandes épées de Lubek, ville où on les fabriquait mieux qu'ailleurs. Sous le
règne de Philippe-le-Hardi, successeur de saint Louis, le costume guerrier
éprouva quelques modifications importantes qui se maintinrent jusqu'au temps
de Philippe de Valois. Parmi ces changements, le plus remarquable est celui
que présente l'adoption des grèves en fer plein ou demi-jambières qui
couvraient seulement le devant de la jambe. Dans les premiers temps, ces
grèves étaient faites en peau ou en toile rembourrée, sur laquelle on fixait
des anneaux de métal, comme sur le haubert ; mais cette partie de l'armure
n'ayant pas besoin de flexibilité, on finit par faire la grève d'une seule
pièce d'acier. Nous avons déjà vu qu'à l'époque de la troisième croisade on
avait commencé à faire usage de pièces d'acier qui protégeaient le coude,
c'est-à-dire de cubitières ; on vit paraître, peu après, les genouillères ;
et enfin, sous Philippe-le-Hardi, nous trouvons quelques exemples de
demi-jambières. Ainsi, peu à peu et progressivement, le harnais de fer
parvint à couvrir toutes les parties du corps. On
commença, vers cette époque, à abandonner le capuchon dont le haubert avait
été muni depuis son origine, et, pour garantir le cou et la partie inférieure
de la tête qui n'était pas couverte par le chapel, on attacha au bord de la
calotte un tissu de mailles de fer qui retombait sur les épaules comme une
palatine, et qu'on appela camail par analogie avec une partie du costume des
Grecs de Constantinople. La calotte métallique, à laquelle était attaché le
camail, prit alors le nom de coiffe de fer ; les Italiens l'appelaient cervelliera ou capelletto di ferro ; plus tard, on lui donna aussi
en France le nom de cervelière. De
plate qu'elle était à l'origine, la cervelière devint pointue à sa partie
supérieure, et prit le nom de bassinet ; mais il était bien différent du
casque, qui, dans le siècle suivant, conserva ce même nom, puisque celui-ci
arriva, par des modifications successives, à être le casque complétement
fermé, qui fut le plus généralement porté à la fin du quatorzième siècle et
au commencement du quinzième. On
trouve encore sous Philippe-le-Bel quelques cottes gamboisées. Entre autres
témoignages, nous citerons une miniature d'un manuscrit du temps, reproduite
par Meyrick. Elle représente un chevalier portant une de ces cottes
gamboisées qui remplaçaient un fort haubert, et des chausses gamboisées de
même. Elle offre le premier exemple du gantelet
de fer à doigts séparés. Le bassinet à camail, que le chevalier porte sur la tête, a un
ventail mobile :-c'est une des premières modifications du bassinet pointu. La
cotte gamboisée ou pourpointée était employée aussi pour les chevaux. Une
ordonnance de Philippe-le-Bel, datée de 1303, porte que tous ceux qui auront
500 livres de rente devront fournir un homme bien armé, monté sur un cheval
couvert d'une armure de fer ou d'une couverture pourpointée. L'époque
de transition entre l'ancienne armure de mailles et la nouvelle armure en fer
plein ou en acier, qu'on a appelée aussi armure plaie, date des trente
premières années du quatorzième siècle. En
Italie, l'armure plate était généralement portée en 1315. Les annales
florentines contiennent, pour cette année, un règlement qui prescrit à tout
cavalier, à son entrée en campagne, d'avoir un casque, un plastron, des
gantelets, des cuissards et des jambières, le tout en fer ; mais, en France
et en Angleterre, ces parties de l'armure plate commençaient seulement à
s'introduire, et le costume militaire le plus commun était encore l'armure de
mailles, le bassinet conique à camail, et des plaques de fer appliquées sur
les bras, les coudes, les cuisses et les jambes, d'où se formèrent bientôt
les brassards, les cuissards et les jambières. Ce costume de guerre, composé
de quelques pièces en mailles et d'autres pièces en plaques de fer, était
communément appelé en France armure de fer. De là vient probablement
l'erreur dans laquelle sont tombés tant d'artistes qui ont donné aux
personnages de cette époque, et même des époques antérieures, des harnais de
guerre tout en plaques de fer, tandis que ces harnais n'ont été adoptés en
France que vers le milieu du quatorzième siècle. Sous
Philippe V et Charles IV, on fit quelques pas de plus vers l'adoption de
l'armure pleine. On voit, dans les monuments de cette époque, le bassinet
prendre la forme de la tête ; le camail ne couvre plus que le cou, tandis
qu'auparavant on l'attachait au casque à la hauteur des oreilles. Au lieu
d'un haubert à mâcles, plusieurs morceaux d'acier sont successivement fixés
sur une tunique de drap qui descend jusqu'aux genoux. Sur l'épaule on met des
plaques mobiles, et les aisselles sont défendues par des rondelles.
L'arrière-bras au-dessus du coude et l'avant-bras au-dessous sont garnis de
plaques demi-cylindriques attachées par des courroies et des boucles. Les
gantelets sont composés de plaquettes rivées sur des gants de daim : les
pieds sont couverts de la même manière ; les jambes et les genoux sont
protégés par des jambières et des genouillères. Quelques
pièces de l'armure de fer du cheval commençaient aussi à être en usage à
cette époque. Ainsi, on trouve un chanfrein nommé dans l'inventaire des armes
de Louis-le-Hutin en 1316. Les
casques de cette époque étaient le heaume et le bassinet. Le premier était
cylindrique ; le ventail à grille et la visière s'ouvraient à charnière. Le
bassinet, plus léger que le heaume, était porté par le chevalier qui ne
s'attendait pas à être attaqué ; on ne tarda pas à y ajouter la visière, et
alors il devint, dans les combats, d'un usage aussi général que le heaume,
qu'on finit par abandonner vers la fin du quatorzième siècle pour le bassinet
à visière. A cette
époque l'arbalète était l'arme dont on se servait le plus en France et même
en Europe, parce qu'elle avait deux avantages qui lui donnaient une grande
supériorité sur les simples arcs : elle se tendait plus fortement et lançait
ses traits bien plus loin et avec beaucoup plus de précision. A la bataille
de Crécy, en 1346, il y avait, dit-on, dans l'armée française, quinze mille
arbalétriers. Les Génois étaient renommés comme les plus habiles arbalétriers
; ceux de Paris venaient après. On peut voir leur costume dans un manuscrit
de la Bibliothèque Britannique : ils portent des chapels de fer et des
armures de plaques sur les bras et les jambes ; leurs corps sont protégés par
des jaquettes à longues manches pendantes. Des pavoiseurs étaient chargés de garantir les arbalétriers en tenant devant
eux de larges boucliers, sur lesquels plus tard on traça des armoiries. Deux
monuments encore existants, et du milieu du quatorzième siècle, nous donnent
une idée exacte du costume militaire de cette époque : ce sont la statue
équestre de Bernardo Visconti, qu'on voit à Milan, et le tombeau de sir Guy
de Brian à Tewkesbury. Ces deux monuments offrent deux précieux exemples de
l'armure de transition de cette époque. Les deux guerriers portent des
hauberts qui ne dépassent pas le haut de la cuisse : celui de Visconti est
terminé par une dentelure en feston ; celui de Brian est uni. Ils portent
tous deux des jupons ou guipons, de soie ou de velours, plus courts que le
haubert. Le jupon était assujetti par un ceinturon, auquel étaient
suspendues, à gauche l'épée, à droite la dague. Guy de Brian porte des plaques de coude, qui ont été les premières cubilières, et au-dessous d'elles, plusieurs lames d'acier placées
longitudinalement jusqu'au poignet et qui paraissent attachées sur l'étoffe.
Il a aux mains des gantelets à doigts séparés. Ses chausses sont garnies,
par-devant et sur le côté, de plaques d'acier qui tenaient lieu de cuissard.
La même disposition se répète pour les jambes. Les genoux sont aussi défendus
par des plaques qu'on appelait probablement déjà genouillères. Le bassinet à
camail couvre sa tête. Visconti
porte, sur les manches de son haubert, des cubilières surchargées de pièces
ovales ornées de sa devise, et des demi- brassards pour l'avant- bras. Sur le
devant des cuisses sont des demi-cuissards ; et vers le derrière, des pièces
d'acier parallèles aux premières et contiguës. Les genoux sont couverts par
des genouillères ; les jambes, par des jambières ou bottes d'acier, comme on les appelait alors, et des solerets (ou chaussures de fer), qui avaient une pièce attachée par une charnière pour couvrir
le talon. Il porte des éperons à larges molettes. Ce genre d'armure fut en
usage pendant tout le règne de Philippe de Valois. La selle de Visconti est
remarquable en ce qu'elle donne au cavalier un siège élevé, et, par
conséquent, un grand pouvoir pour diriger les mouvements de son cheval ; les
étriers sont de forme elliptique, garnis, juste au-dessous du cuir, de
petites plaques saillantes dont l'usage n'est pas bien connu : les étriers se
nommaient à cette époque sautouers, et Ducange prétend que de là
dérive le mot saltier, ou sautoir, usité dans l'art héraldique. C'est
sous Philippe de Valois, en 1338, qu'on commença à faire usage des premières
armes à feu en France. Sous
Jean-le-Bon, l'armure plate était généralement en usage ; le long haubert,
plus pesant et moins commode que l'armure plate, fut presque entièrement
abandonné, mais on continua à garnir de mailles certaines parties qu'on ne
couvrait pas encore avec les plaques de fer. Le bassinet, qui ressemblait à
un bonnet pointu, avait une garniture de mailles, qui couvrait le cou et une
partie des épaules : la partie supérieure du bras était garantie par un
demi-brassard qu'on appelait épaulette ; mais le dessous du bras était garni
de mailles. On peut
fixer à la même époque l'adoption du faucre, espèce de crochet placé au côté
droit du plastron de la cuirasse et qui servait à soutenir la lance en arrêt.
Froissart parle de cette pièce sous l'année 1356. Eustache d'Amberticourt
portait à la bataille de Poitiers une cuirasse à faucre. (Voyez, Pl. XI, fig. 1, une armure allemande portant le faucre.) CHARLES V.
Meyrick
dit que, du temps de Charles V, on avait coutume de s'armer d'un bassinet, de
forme conique, ayant un camail avec une large broderie d'or et d'argent sur
les épaules. Quelquefois les bassinets avaient au sommet un ornement en forme
de feuillage, qui présentait l'inconvénient, dit la Chronique de Duguesclin,
d'offrir une poignée pour saisir le porteur d'un tel casque. Chaque chevalier
avait sa hache de bataille, attachée à la ceinture. Enfin, on voit, par un
rôle de la chambre des comptes de Paris en 1432, que le jamboison continuait
à être porté à cette époque. CHARLES VI.
Sous
Charles VI, on ajouta pour la première fois, au bas de la cuirasse, des
plaques mobiles, appelées faites, qui couvraient la partie inférieure du
ventre sans gêner les mouvements du corps. A la fin du règne de Charles VI,
cet usage était devenu général ; on ne voyait plus guère de cuirasses sans faîtes,
composées de trois, quatre et cinq lames. Les
artistes milanais étaient déjà renommés à cette époque pour la fabrication
des armures, et ils conservèrent toujours leur supériorité. Froissart
rapporte (tom.
Ier, p. 507) que le
comte de Derby (qui devint roi d'Angleterre sous le nom de Henri IV), dans ses préparatifs de combat
contre le duc de Norfolk, envoya des messagers en Lombardie pour 'demander
des armes à Galéas, duc de Milan, qui lui adressa, en outre, quatre armuriers
milanais. Les épées et les lances fabriquées à Toulouse et à Bordeaux avaient
aussi une grande réputation ; enfin, les casques d'acier de Montauban étaient
fort renommés. Le tabard était une espèce de cotte d'armes qu'on portait à cette époque
et qui continua d'être en usage jusqu'au temps de François 1er. C'était une
espèce de tunique, qui couvrait le devant et le derrière du corps, et qui
était ouverte sur les côtés. Ces vêtements, appelés aussi renones parce qu'ils couvraient les reins, servaient- à cacher la dague
que l'on portait dessous ; ils étaient ornés d'armoiries, comme les cottes
d'armes. Les
monuments qui nous restent de cette époque, quoique en petit nombre, prouvent
qu'à la fin du quatorzième siècle l'armure entière était en fer ; le casque
généralement porté alors était le bassinet à visière ; le Musée d'artillerie
en possède six ; partout ailleurs ils sont extrêmement rares, et ce sont les
plus anciens qui soient parvenus jusqu'à nous. QUINZIÈME SIÈCLE.
Dès les
premières années du quinzième siècle l'élégance des formes et le luxe des
ornements commencèrent à s'introduire dans les armures, qui jusque-là avaient
été simples et unies. Un
perfectionnement important marqua aussi cette époque : des goussets en lames
de fer furent ajoutés aux épaulières ou épaulettes, et remplacèrent les
goussets de mailles, pour couvrir l'aisselle au défaut de la cuirasse. On
ajouta des plaques de même genre à la partie extérieure de la genouillère, et
on les appela également goussets : les plus anciens goussets d'épaules furent
composés de cinq ou six lames qui couvraient une partie de la poitrine, les
bras et les épaules ; un peu plus tard, on les fit d'une seule pièce. La
statue qui décore le tombeau de Georges Feldbridge, en Angleterre, porte des
goussets à plusieurs lames ; sculptée au commencement du quinzième siècle,
elle offre le premier exemple de ces plaques pendantes qui couvraient la
naissance des cuisses et qu'on appela lassettes ou tuiles. A cette
époque, une autre espèce de tassette, qui fut ajoutée à la genouillère, était
attachée sur le haut de la jambe ; mais cette innovation ne fut pas de longue
durée et disparut peu d'années après. On
trouve encore dans les monuments de ce temps le premier exemple de jambières sans solerets ; cette partie de l'armure était alors remplacée
par un étrier couvert, qu'on appelait, à ce qu'il paraît, étrier à pied. Cet usage devint assez général dans les temps
postérieurs, parce que, en effet, le pied restait plus dégagé pour marcher ;
et il était suffisamment défendu par l'étrier couvert, quand le guerrier
était à cheval. Un des
types les plus remarquables de l'armure de ce temps se trouve dans les deux
statues qui étaient placées autrefois à l'entrée de l'église de
Sainte-Catherine à Paris, et dont le dessin nous a été conservé par le P.
Daniel (Milice
franç., tom. II, pl. II). L'inscription qui était au bas de ces statues
prouve qu'elles dataient du commencement du quinzième siècle ; et, quoiqu'on
ait voulu représenter des sergents d'armes du temps de saint Louis, on sait
qu'autrefois on donnait toujours aux personnages qu'on représentait, soit en
sculpture, soit en peinture, le costume de l'époque où vivait l'artiste, et
non celui du temps où avaient vécu les personnages. Les
armures de fer avaient été jusqu'alors dénuées d'ornements gravés, ciselés ou
damasquinés ; on se contentait de donner au métal un beau poli, et
quelquefois on le couvrait de peinture. Vers la fin du règne de Charles VI on
commença à voir les premiers essais d'ornements gravés à l'eau-forte ; ils ne
consistaient qu'en de simples lignes, tracées surtout vers le haut de la
cuirasse. Les
engins de guerre, l'artillerie du temps, avaient reçu, à cette époque, divers
perfectionnements. Lorsque le duc de Bourgogne, Jean-sans-Peur, marcha sur
Paris en 1411, il avait un nombre considérable de machines nommées
ribaudequins3 espèces de grandes arbalètes que traînait un cheval, et qui
lançaient au loin des javelots avec une force terrible. Il avait été fait
aussi, pour le siège de Dun-le-Roi, une grande machine qui, à force de
poudre, lançait des pierres énormes et faisait de cruels ravages chez les
assiégés. On se servait déjà beaucoup des nouveaux canons à main : c'était un
tuyau de fer, à l'aide duquel on lançait des balles de plomb. L'artillerie,
sous Charles VII, était fort remarquable, et jamais dans la chrétienté on
n'en avait vu une si belle et si complète. Au
commencement du règne de ce prince, le plastron de la cuirasse était composé de
deux parties : la partie supérieure couvrait la poitrine ; la partie
inférieure s'élevait depuis les hanches, couvrait le ventre, et venait, en
formant un angle, se superposer au bord inférieur de l'autre partie, à
laquelle elle était retenue par des courroies. Deux armures de ce genre, mais
sans courroies ou attaches, se trouvent au Musée d'Artillerie de Paris. Cette
forme n'était pas la seule adoptée à cette époque, les monuments nous
présentent aussi des cuirasses à plastrons bombés. Il paraît que ces
plastrons furent usités d'abord dans les Pays-Bas ; on les remarque pour la
première fois dans les portraits des comtes de Hollande peints à cette époque
et que l'on voit encore à Utrecht. De 1440
à 140 les armures de guerre conservèrent la forme élégante et légère que l'on
admire dans l'armure de cette époque, qui se voit au Musée d'Artillerie de Paris,
sous le numéro 1. Quelques cannelures commencent déjà à paraître sur la
cuirasse et les cuissards ; la moitié inférieure du plastron est terminée par
un feston soigneusement exécuté. A cette époque, on imagina aussi de garnir
le bas de la cuirasse de cinq ou six tuilettes ou tassettes, plus ou moins
longues, qui pendaient autour du corps. C'est ainsi qu'étaient habillés
Charles VII et Jeanne d'Arc, dans le monument que ce roi fit ériger à Orléans
pour perpétuer la mémoire des services que lui avait rendus l'héroïne de
Domremy. Jeanne, dans ce monument, porte une armure d'homme ; et, en effet,
nous savons que ce fut une armure de soldat qu'elle endossa, puisque ce fut
là la plus forte charge qu'on éleva contre elle pour l'envoyer au supplice. Charles
VII, instruit par l'horrible défaite d'Azincourt et témoin des bons services
que les archers rendaient dans l'armée anglaise, institua en France le corps
des francs-archers. Ceux-ci portaient la salade,
la dague, l'épée, l'arc, le carquois ou l'arbalète garnie, et la jacque ou
huque de brigandine. Ces archers étaient francs de la taille du roi, de la
taille des gens d'armes, et de toute autre subvention ; leur équipement était
déclaré insaisissable pour dettes, et ils recevaient à la guerre une solde de
quatre livres par mois. On levait un archer par cinquante feux. Montfaucon (Mon. franç.,
III, pl. CLXXXVII) donne le portrait de Guillaume du May, capitaine
des archers du roi, mort environ trente ans après la date de cette ordonnance
: il porte un casque fermé, des pièces d'armure plates aux jambes et aux
bras, une brigandine terminée par un bord uni de mailles, et un gorgerin
semblable. Le
jasseran ou la brigandine était, sous le règne de Charles VII, l'habillement
des archers. Ces deux costumes de guerre étaient composés de plaquettes
d'acier ou de fer, disposées sur une forte toile ou sur du cuir, à la manière
des écailles d'un poisson, et bien cousues ou arrêtées avec du fil de fer.
L'ordonnance de Pierre, duc de Bretagne, publiée en 1450, prescrivait aux
nobles, entre autres choses, de se tenir en habillement d'archer ou
brigandine, s'ils savaient faire usage de traits, et, dans le cas contraire,
d'être pourvus de guisarrnes, de bonnes salades, de harnais
de jambes, et d'avoir chacun un coustillier au moins et deux bons chevaux.
La guisarme était une arme d'hast, une espèce de javeline à deux fers
tranchants et pointus. Le coustillier était un cavalier à la suite du
gendarme : outre le couteau, il portait aussi la coustille ou coutille, épée longue, déliée,
triangulaire ou carrée. La
salade est le casque caractéristique de l'époque de Charles VII ; ce nom a
été pourtant appliqué à des casques de formes bien différentes. A l'époque
dont nous parlons, la salade était un casque composé simplement d'une calotte
ou timbre qui couvrait le haut de la tête, avec un couvre-nuque plus ou moins
allongé qui garantissait le cou par derrière et quelquefois le haut des
épaules. Vers la fin du quinzième siècle, on ajouta à la salade une petite
visière qui ne couvrait que la partie supérieure du visage : une fente
horizontale était pratiquée à la hauteur des yeux ; cette visière, qui ne
couvrait d'abord que la moitié du visage, augmenta peu à peu de grandeur et arriva
jusqu'au-dessous de la bouche. Ce nouveau casque, appelé salade à visière, a
été en usage en Allemagne plus que partout ailleurs. Le
caractère distinctif de la salade du quinzième siècle, c'était d'être
indépendant de la cuirasse. Sous Louis XII, on ajouta à la salade à visière
une mentonnière, ayant à sa partie inférieure une gorge qui enveloppait et
protégeait le cou ; on termina le haut de la cuirasse, du colletin ou de la
collerette, par un cordon ; la gorge du casque vint s'emboîter dans le cordon
de la collerette ou colletin, et ce casque, si différent de la première
salade, continua encore à porter ce nom. La
statue monumentale du comte de Warwick (qui mourut en 1439) se voit à Londres
; elle offre un spécimen très-remarquable de la forme du costume de guerre de
cette époque. Le sculpteur a placé à côté du comte un casque qui n'a pu être
employé que pour les joutes ou les tournois. On en voit un semblable au Musée
d'artillerie de Paris. Cette forme de casque a pu commencer à être en usage,
du vivant du comte de Warwick ; mais il n'a été généralement usité dans les
joutes et tournois que trente ou quarante ans après. On a
porté aussi, sous le règne de Charles VII, un casque de forme particulière,
qu'on appelait casquet ; il était orné d'une plaque
saillante sur le front, au-dessus des yeux, espèce de garde-vue qui, dans nos
casques modernes, a reçu improprement le nom de visière. A cette
époque, les seigneurs français déployaient beaucoup de magnificence dans les
ornements du chanfrein de leurs chevaux. Ainsi, nous savons que le comte de
Saint-Pol, au siège de Harfleur, en 1449, avait mis sur la tête de son cheval
de bataille un chanfrein évalué à vingt mille couronnes : il était
non-seulement d'or massif, mais du travail le plus exquis. Dans la même
année, au siège de Bayonne, le comte de Foix, en entrant dans la ville
soumise, était monté sur un cheval portant un chanfrein d'acier poli, enrichi
d'or et de pierreries précieuses, d'une valeur de quinze mille couronnes
d'or. La
forme gracieuse, légère et svelte, donnée aux armures sous les rois Charles
VI et Charles VII, fut presque généralement abandonnée sous Louis XI. Elle
fut remplacée par des armures bombées, qui avaient déjà commencé à paraître
sous le règne de son prédécesseur ; cette forme, modifiée et ornée de
cannelures artistement faites, devint cependant assez élégante, comme nous le
verrons par la suite. Sous
Charles VII et Louis XI, la mode de terminer les souliers par une longue
pointe ornée de figures grotesques, fut portée à une exagération qui pourrait
paraître fabuleuse, si tous les monuments de l'époque n'en attestaient pas la
réalité ; les pointes de ces souliers à la poulaine avaient une demi-aune de
longueur et plus. Nous aurions de la peine à concevoir comment on pouvait
marcher avec cette singulière chaussure, si les historiens ne nous disaient
que ces longues pointes étaient relevées et souvent attachées au genou par un
cordon ou une chaînette. Cette mode en vint au point, que les évêques
excommunièrent les souliers à la poulaine, les traitèrent de péché contre nature
et les déclarèrent inventés en dérision du Créateur. Quand l'édit de Charles
VIII supprima ces souliers ridicules, on donna dans l'excès contraire, et on
en adopta d'autres très-arrondis qu'on appelait à bec de canard. La forme des
armures de pied suivit les vicissitudes de la mode, qui variait alors autant
que de nos jours : les bouts des solerets devinrent extrêmement larges et
arrondis. Celte forme, d'ailleurs, convenait assez bien à celle des cuirasses
bombées, et les cannelures s'y adaptaient aussi à merveille. Au
temps de Louis XI, les armures de tournoi furent assez différentes des
armures de guerre, qu'on faisait alors excessivement bombées. Elles étaient
garnies de la pièce qu'on appelait grand'garde, qui couvre la poitrine du côté
gauche ; de celle qu'on nommait pièce
volante, qui
couvre la visière, et du garde-bras, qui s'attachait sur la
cubitière gauche. Ces pièces enlevées, l'armure était propre à être portée à
la guerre, et vice versa, les armures de guerre des
chevaliers étaient disposées de façon que, par l'addition de quelques pièces,
elles pouvaient servir aux tournois et aux joutes. Cette espèce d'armures
simples, qui admettait souvent des pièces additionnelles, forme une série à
part dans l'histoire des costumes de guerre du Moyen Age. Dans ces armures,
encore plus que dans celles de bataille, les jambières se terminaient à la
cheville ; un étrier couvert garantissait le pied, et portait souvent un
garde-cheville ou plaque de fer, qui s'élevait à la partie extérieure de
chaque étrier pour fournir une défense de plus à la partie inférieure de la
jambe. La
planche CXXXIX de Montfaucon, qui représente la bataille de Rosebec, montre
plusieurs combattants qui portent la jazerine, ou jasseran, au lieu de cuirasse, ce qui prouve que ce genre d'armure était
encore en usage à cette époque ; mais, plus généralement encore, on portait
l'armure plate. Ce tableau mérite d'être étudié attentivement, parce qu'il
renferme une grande variété de heaumes, salades et capelines, ainsi que des
épées et des armures. Les
arbalétriers à cheval de Louis XI se nommaient cranequiniers ; ils portaient
la brigantine, sorte de cuirasse composée de petites pièces de fer carrées,
rembourrées en dessous. Ce fut
vers la fin du règne de Louis XI que l'arquebuse fut inventée en Italie, où
on substitua le déclic et le chien, au lieu de mettre le feu avec la main,
comme cela se pratiquait pour les canons à main ; les arquebuses, qui en sont
un perfectionnement, ne furent inventées que près de cent ans après la
découverte des canons. La
forme bombée des armures, peu gracieuse en elle-même, surtout lorsqu'elle
était exagérée, comme au milieu du quinzième siècle, fut modifiée pendant le
règne de Charles VIII, et on commença à l'orner de cannelures, qui
produisaient le plus bel effet. Il y eut cependant encore, sous le règne de
ce prince, quelques exemples des formes élégantes et légères du temps de
Charles VII. On en voit un exemple dans le tombeau de sir Thomas Peyton, qui
fait le sujet de la planche LV de Meyrick. Les cubitières ont, surtout dans
cette statue, un développement qu'on ne trouve que très-rarement ailleurs, et
qui, par leur exagération, marquent le mauvais goût de l'ouvrier bien plus
que celui de l'époque, qui annonçait déjà, au contraire, les heureuses
conceptions des artistes de la Renaissance. Rien ne
prouve mieux la vérité de cette observation que la manière dont on
s'appliquait, sous le règne de Louis XII, à embellir, par des cannelures plus
ou moins larges et toujours régulièrement exécutées, l'armure que les
chevaliers portaient à la fin du quinzième siècle. Des spécimens assez
nombreux et d'un beau travail sont arrivés jusqu'à nous ; le Musée de
l'artillerie de Paris en possède une douzaine à cannelures variées, qui, dans
quelques-unes de ces armures, sont intercalées de bandes gravées à l'eau-forte
par des artistes allemands ou italiens. Notre planche XII représente une
armure allemande de cette époque. On
voit, sur un manuscrit du temps, que les chevaux portaient souvent sur la
tête le chanfrein ; sur le cou, le manefaire ; sur le devant, le poitrail,
et de plus, la croupière, composée d'une plaque pour le dos, de trois autres
pendant sur chaque flanc, et d'une cinquième sous la queue. Outre
les armures cannelées, on en faisait aussi, en Italie et en France (au temps de
Louis XII), qui, au
lieu de cannelures, avaient des méplats et des côtes repoussées. Ce travail,
mêlé à la gravure, produisait le plus bel effet ; on en trouve de nombreux
exemples au Musée d'artillerie de Paris, et, entre autres, les deux belles et
rares armures d'hommes de pied qui y sont conservées ; la première porte la
date de 1515. Une
gravure sur bois, exécutée par Hans Burghmair en 1508 et qui représente
l'empereur Maximilien à cheval, nous donne l'idée la plus complète de
l'armure bombée et cannelée de la fin du quinzième siècle et du commencement
du seizième, telle que nous venons de la décrire ; on y voit aussi la forme
des bardes de cheval qu'on portait avec les armures de guerre. Cette
représentation du Triomphe de Maximilien offre une foule de détails curieux
et fort intéressants pour l'histoire des mœurs et coutumes de l'époque. Les
planches de Montfaucon, de CXCV à CC, représentent aussi des armures du même
temps ; la planche CCXII représente celle du comte Gaston de Foix. Notre
planche XI, fig. 1, représente une armure de tournoi, en usage en Allemagne
vers la fin du quinzième siècle. Toutes les pièces sont d'une pesanteur
extraordinaire ; outre le cuissard habituel, on y remarque un second cuissard
très-lourd, attaché à la selle ; au dos de la cuirasse, on voit une femme
debout sur un globe, tenant à la main un drapeau aux armes de Bourgogne ; à
la partie inférieure, est gravée une aigle impériale, et au-dessus, deux MM,
initiales des noms de Maximilien et Marie. L'armure
bombée et cannelée n'était pas la seule en usage en France et en Italie, à la
fin du quinzième siècle et au commencement du suivant. Les monuments du temps
de Louis XII, tant dans notre pays qu'au-delà des Alpes, nous montrent comme
étant aussi en vogue un genre d'armure unie, dont la cuirasse, un peu plus
allongée de taille que les armures bombées et cannelées, avait une arête ou
côte sur le milieu ; cette cuirasse était terminée par quatre ou cinq lames,
appelées ralles dont la dernière retenait deux tassettes pointues ou
arrondies. Une des deux armures, qui ont longtemps passé, au Musée de
l'artillerie de Paris, pour avoir appartenu à Louis XI, affecte cette forme,
tandis que l'autre est du genre des armures cannelées et bombées. L'armure
à côte que nous venons de décrire paraît se rattacher aux armures de tournoi
du quinzième siècle ; c'est une continuation de cette forme, même sous
l'empire de la mode des formes bombées et cannelées, qui, du reste, sous le
règne de François Ier, cédèrent la place aux cuirasses, dessinant mieux les
formes du corps, et présentant sur le devant une côte qui se prononça de plus
en plus à mesure qu'on arrivait au dix-septième siècle. Sous
l'empereur Maximilien, il parut en Allemagne une mode fort peu décente et qui
s'introduisit bientôt en Italie et en France, d'abord dans le costume civil,
puis dans le costume militaire. Toutes les classes l'adoptèrent à l'envi,
depuis le dernier artisan jusqu'au souverain ; tout le monde porta brayette ou gaudipisse, comme l'appelle malicieusement
Rabelais, et toute l'Europe civilisée suivit bientôt cette mode, qui ne
blessait pas la délicatesse des mœurs du temps. On vit paraître, au bas des
faites des armures, sur le devant, une brayette en fer, destinée à contenir
et à protéger les génitoires, laissés jusqu'alors un peu trop à découvert. Sous le
règne de Louis XII, on commence à faire usage d'une arme d'hast, nommée
pertuisane ou partisane. La lame en était beaucoup plus large que celle de la
lance, et ressemblait assez à l'esponton, avec cette différence que la partie
de la lame qui avoisinait le manche avait la forme d'un croissant. Les
petites armes offensives de celle époque étaient le canon à main,
l'arquebuse, les demi-piques et les pistolets. Ce fut alors que le fusil à
rouet, d'invention italienne, commença à s'introduire en France et en
Angleterre. Louis
XII fut le premier qui admit dans ses armées des mercenaires grecs, nommés stradiots, qui se louaient pour le service militaire, aussi bien aux Turcs
qu'aux chrétiens. Leur armure se composait d'une cuirasse avec des manches et
des gants de mailles et une jaquette par-dessus ; et pour la tête, d'une
salade ouverte. Ils portaient un large sabre, appelé braquemart assez
semblable à celui des Turcs, mais avec une barre qui, de même que la
bouterolle et les agrafes du fourreau, était ornée de devises grecques. En
outre, ils portaient au pommeau de leur selle une masse d'armes et se
servaient d'une zagaye, espèce de lance fort longue,
garnie de fer aux deux bouts. Il y
avait, à cette époque, deux sortes d'arbalètes, l'une pour lancer les
carreaux, l'autre les balles. La crosse en était courte et n'excédait pas
deux pieds ; l'arc se tendait au moyen d'un moulinet, comme on en peut voir
dans les collections d'armes. Sous le
règne de François Ier, les armures bombées et cannelées continuèrent d'être
portées, ainsi que les armures à côte. Notre Musée de l'artillerie possède
l'armure que François Ier portait à la bataille de Pavie. Le harnais, qui est
d'un beau travail, doit servir de type pour la forme des armures de son
époque ; la taille y est plus allongée que dans les armures du siècle
précédent ; l'arête du milieu y est plus prononcée ; les goussets de
l'épaulière sont à plusieurs lames mouvantes et de dimension plus étendue que
dans les armures des temps précédents ; le casque, nom générique que l'on
donna, depuis le commencement du seizième siècle, à toute armure de tête,
prit une forme commode et élégante que les hommes d'armes conservèrent
jusqu'à la fin. La
forme la plus remarquable de la cuirasse, sous le règne de François 1er, est
celle qu'on voit au Musée d'artillerie, dans les trois armures comprises sous
le n° 5. C'était une modification, une réunion des deux armures qui avaient
été portées jusqu'alors, depuis le milieu du quinzième siècle : l'armure
bombée et l'armure à côte. Mais cette côte, appliquée sur la partie bombée de
la cuirasse, prit une saillie plus grande encore et en vint à former une
véritable pointe, à laquelle on dut l'avantage de pouvoir détourner les coups
de lance. Cette forme bâtarde n'eut cependant pas une longue durée ; elle
n'avait rien d'agréable à l'œil et entraînait quelques difficultés de
fabrication, qui durent la faire promptement abandonner. Un
troisième genre d'armure fut en usage dans les premières années du règne de
François Ier, ou peut-être même sur la fin du règne de Louis XII. La taille
de cette armure est très-longue, et son extrémité inférieure se relève sur
les côtés et s'abaisse au milieu du corps pour dessiner les contours des
hanches et du ventre. La cuirasse était généralement formée par des lames
mobiles se recouvrant de bas en haut, et qui permettaient au corps de se
courber, chose presque impossible lorsque le plastron et le dos de la
cuirasse étaient chacun d'une seule pièce. Quelquefois ces lames mobiles ne
sont qu'au nombre de trois ou quatre sur le ventre, et les autres sur la
poitrine sont seulement figurées. On voit au Musée d'artillerie plusieurs de
ces armures ; l'une d'elles est connue sous le nom d'armure aux Lions : on croit qu'elle a appartenu à Louis XII, plus
probablement encore à François Ier. Sous le
règne de Henri II, l'armure à côte continua d'être portée ; le changement le
plus remarquable qu'on y fit consiste dans l'allongement de la taille et dans
le contour relevé qui terminait le bas de la cuirasse. Dans la série
chronologique du Musée, on voit plusieurs armures de ce temps. La plus
remarquable, qui paraît avoir appartenu à un prince de la maison de La Marck,
se distingue par la pureté des formes et la beauté du travail. L'arête
médiale de la cuirasse est encore plus prononcée que dans les armures des
règnes précédents ; son profil fait une saillie au-dessus du ventre ; la
ligne qui termine la taille, après avoir dessiné les hanches, s'abaisse au
milieu du ventre. Les faites sont réduites à une seule, et les tassettes à
plusieurs lames mobiles tombent sur des demi-cuissards. Les solerets ont
perdu leur forme arrondie trop exagérée, et ils ont pris un contour moins
lourd, souvent arrondi, quelquefois presque carré. Plus tard, sur la fin de
ce règne, la pointe recommence à paraître, mais sans dépasser notablement la
longueur du pied. Une
ordonnance de Henri II, datée de 1549, décrit comme il suit l'armure que
devaient porter les hommes d'armes : Ledit
homme d'armes sera tenu de porter armet petit et grand, garde-bras, cuirasse,
cuissots, devant de grèves, avec une grosse et forte lance ; entretiendra
deux chevaux de service pour la guerre, dont l'un aura le devant de bandes
avec le chamfrain et les flancois ; et, si bon lui semble, aura un pistolet à
l'arçon de la selle.
Les flancois ou flanchois, pièces pour garantir le ventre
du cheval, n'étaient souvent que de cuir bouilli, et le père Daniel avait vu,
à l'ancien magasin d'armes de Paris, un chanfrein façonné en cuir. C'est à
cette époque, comme nous le voyons par l'ordonnance ci-dessus, que l'on
commença à remplacer la masse, puis un peu plus tard l'estoc, par des
pistolets. Avant cela, on avait déjà bien reconnu l'utilité du pistolet pour
les cavaliers, car on trouve des masses d'armes, faites pour servir en même
temps d'armes à feu. On avait aussi adapté le canon de pistolet sans batterie
au goupillon (bâton à tête garnie de pointes) et à presque toutes les armes. On voit, dans la
collection de Meyrick, une hache d'infanterie, deux épées et une dague, qui
en sont munies, et jusqu'à une arbalète qui en a deux. On voit aussi, de
cette époque, quelques boucliers qui, au lieu d'avoir une pointe aiguë au
centre, portent un canon de pistolet, et, au-dessus, un petit grillage pour
viser plus aisément. Le
président Fauchet, qui écrivait au temps de Henri II, parle le premier d'une
arme nommée pétrinal, qui tenait le milieu, comme longueur, entre le pistolet
et l'arquebuse. La crosse en était large, pour s'appuyer contre la poitrine
du tireur. Il en est fait mention dans la relation du siège de Rouen par
Henri IV en 1592. Nicot dit que cette arme était de large calibre, et, à
cause de son poids, on la portait dans un large baudrier passé par-dessus
l'épaule ; elle était à rouet, et l'on croit que celte arme tirait son
origine des bandouliers pyrénéens. Le
corselet était un genre d'armure en usage à cette époque et porté
particulièrement par les piquiers, qui, à cause de leur costume, reçurent
souvent eux-mêmes le nom de corselet. Rigoureusement parlant, le mot corselet ne s'appliquait qu'à la partie de l'armure qui couvrait le haut
du corps, mais il était généralement employé pour désigner l'armure entière
sous l'expression de corselet garni ou complet ; ce qui comprenait le casque
et le gorgerin, le dos et le devant de cuirasse avec les pans de fer qui tombaient
sur les cuisses et qu'on appelait lasses ou tassettes. Les
archers portaient au cou des brigandines composées d'un dos et d'un plastron
à plaquettes de fer cousues ou clouées sur une étoffe forte qui les
réunissait, et couvertes ordinairement avec du drap bleu ou rouge. Ils
portaient sur la tête une espèce de calotte ou un morion. Les
hallebardiers portaient l'armure à éclisses, appelée aussi armure à
écrevisse, parce que la cuirasse était composée de lames ou éclisses
horizontales, de trois à quatre pouces de largeur chacune, qui enveloppaient
le corps et lui laissaient la liberté de tous ses mouvements. L'usage des
harnais de ce genre ne fut jamais très-répandu ni en France ni ailleurs ; le
jeu des éclisses rendait la cuirasse très-commode à porter, mais quelquefois
elles venaient à se disjoindre et laissaient un espace sans défense. En
superposant les éclisses de bas en haut, on empêchait la pointe de la lame de
pénétrer entre elles ; mais, par cet arrangement, on s'exposait davantage aux
coups du martel de fer et des autres armes dont les pointes ou le tranchant
frappaient de haut en bas. Du
temps de Henri II, le soleret carré avait remplacé le soleret rond de Louis
XII et de François Ier. On avait aussi exagéré cette forme, car la reine
Marie d'Angleterre fit publier un édit qui défendait de porter des souliers
carrés dont la tranche aurait plus de six pouces de large. Il paraît qu'après
cette ordonnance les souliers pointus revinrent à la mode, ce qui est attesté
par plusieurs armures de cette époque. L'armure
bronzée commença à être en usage vers le milieu du seizième siècle ; elle
était généralement portée en 1558 ; on l'adopta, parce qu'il était beaucoup
plus facile de la tenir propre que les armures d'acier poli. Pour ce même
motif, on avait essayé, un peu avant cette époque, des armures noires ; mais
les gravures, dorures et damasquinures produisant un plus bel effet sur des
fonds verdâtres, on abandonna les vernis noirs pour revenir à la couleur
bronzée. A la
fin du seizième siècle, et pendant les longues guerres civiles qui
affligèrent la France à cette époque, les armures de guerre prirent des
formes assez variées ; quelques-unes offraient un assemblage assez bizarre du
goût du siècle précédent avec celui qui finissait. Il y avait cependant une
forme caractéristique de l'époque et qui était la plus généralement suivie ;
les exemples en sont nombreux au Musée d'artillerie de Paris. On voit l'arête
de la cuirasse s'allonger de plus en plus, et sa saillie à la partie
inférieure devenir plus proéminente : les faites ont totalement disparu, les
hanches sont fortement dessinées, et la cuirasse est terminée à son bord
inférieur par une petite avance à laquelle sont attachées les tassettes. Dans
le costume civil, on avait adopté des hauts de-chausses extrêmement
volumineux, et, quand on les mettait avec le costume militaire, les tassettes
qui devaient les couvrir tombaient dessus d'une façon disgracieuse ; aussi,
les cuirasses étaient disposées de manière à pouvoir être portées avec ou
sans tassettes. A l'époque dont nous parlons, ces tassettes étaient
ordinairement d'une seule pièce, mais travaillées de façon à imiter les
tassettes à plusieurs lames, qui avaient été en usage dans les temps
précédents. L'armure
de François, duc d'Alençon, dont Montfaucon nous a conservé la forme (Monarchie
franc., pl. CCLXXXVI), offre un exemple de la disposition que nous
venons d'indiquer. L'armure d'Alfonse II, duc de Ferrare (MEYRICK) et celle d'un officier de la garde de Côme de Médicis, grand-duc
de Toscane (SKELTON, pl. XXXII),
offrent d'autres exemples curieux du même système d'armure. Pendant
le règne de Charles IX, on cessa de porter en France les bardes de cheval. De La
Noue, dans son quinzième Discours militaire, parle, en ces termes, de
l'armure pesante adoptée vers la fin de ce règne : La violence des arquebuses et des piques a fait adopter
avec raison une armure plus forte et plus à l'épreuve qu'elle n'estoit.
Maintenant elles sont tellement pesantes, que l'on est chargé d'enclumes
plustost que d'estre couvert d'une armure. Nos gendarmes et notre cavalerie
légère du temps de Henri II estoient bien plus beaux à voir, avec leur
salade, leurs brassards, les tassettes et le casque, portant la lance avec
une banderolle, et leurs armes n'estoient pas d'un poids plus fort que ne
peut porter un homme pendant vingt-quatre heures ; mais celles d'aujourd'hui
sont tellement pesantes, qu'un jeune chevalier de trente ans en a les
espaules entièrement estropiées. A cette
époque, les armures de tournoi avaient la même forme que les armures de
guerre, à cela près qu'elles n'avaient pas de goussets aux brassards, pour
permettre d'y ajouter les pièces mobiles qui servaient seulement au tournoi.
L'une et l'autre armure avaient alors des cuissards très-larges, faits pour
être mis sous les volumineux hauts-de-chausses qui étaient à la mode dans le
costume civil. Durant
ce règne, il y avait un corps de troupes françaises nommées argoulets et carabins. La Popelinière parle des
premières comme ayant paru à la bataille de Dreux en 1562. Selon Montgomery,
ils étaient armés comme les estradiots ; ils avaient sur la tête un cabasset
qui ne les gênait point, comme eût fait un casque, pour coucher en joue ;
afin de faciliter le tir de l'arquebuse, leur cuirasse était échancrée à
l'épaule droite, et le bras gauche était protégé par un gantelet de coude.
Leurs armes offensives étaient une épée, un pistolet, et une arquebuse de
deux pieds et demi de long, qu'ils portaient dans un étui de cuir bouilli. Le
mousquet, inventé en Espagne, fut introduit à cette époque dans l'armée ; le
mousquet était si pesant et si long, qu'il fallait une fourche pour le
maintenir en position et pour tirer longtemps. Il y avait un corps de mousquetiers., montés sur des chevaux tranquilles et n'allant
qu'au pas ou au trot. L'usage
des armes à feu portatives s'était répandu déplus en plus, à mesure que la fabrication
s'en était perfectionnée ; il en arriva de même pour l'artillerie, dont
l'influence augmentait progressivement dans l'art de la guerre. La tactique
militaire devait donc changer de face : les combats corps à corps devinrent
plus rares, et les armes contre lesquelles on s'était couvert de fer de la
tête aux pieds n'étaient plus celles qui décidaient du sort des batailles. On
voulut d'abord renforcer les armures et leur donner assez d'épaisseur pour
résister à la balle ; mais leur poids devint insupportable, surtout par les
temps chauds, durant les longues marches ou dans les combats de longue durée.
Après avoir donc essayé inutilement de les rendre plus fortes, on se décida à
les abandonner, ou du moins à supprimer les parties les moins utiles. Au
commencement du dix-septième siècle, on ne portait plus guère de jambières ;
on les avait remplacées par de fortes bottes ou par des houseaux. Souvent aussi, on supprimait les cuissards ; mais, par un
caprice de mode, on reprit cette partie de l'armure, au commencement du règne
de Louis XIII ; on y ajouta par derrière une espèce de demi-jupon, appelé
garde-reins, qui tenait au bord inférieur de la cuirasse et qui arrivait
jusqu'à la moitié de la cuisse. Nous n'entrerons point dans d'autres détails
sur les modifications que l'artillerie força de faire successivement au
harnais de fer, qui, n'ayant plus l'utilité qu'il avait eue dans les siècles
du Moyen Age et de la Renaissance, tombait chaque jour en désuétude. Les
rondaches furent portées pour la dernière fois, d'une manière générale, au
siège de Saint-Jean-d'Angély, sous Louis XIII, en 1621. Notre
tâche s'arrête ici, et nous allons résumer en peu de mots l'historique de
l'Armurerie. C'est à
la fin du treizième siècle que commencèrent à paraître quelques-unes des
pièces de l'armure en fer ; elles furent d'abord appliquées sur l'armure de
mailles, qui était à peu près la seule que les guerriers eussent endossée
depuis le commencement du onzième siècle. Les premières pièces furent
appliquées sur les jambes, ensuite sur les cuisses, sur les bras, et enfin on
remplaça le haubert par la cuirasse, sans abandonner cependant entièrement la
maille de fer ou d'acier qui garnissait toujours les intervalles que les
plaques de métal laissaient à découvert et qui servait d'ornement au bord
inférieur de la cuirasse, et souvent aussi à l'extrémité des genouillères. Ces
changements se firent avec beaucoup de lenteur et pendant toute la durée du
quatorzième siècle. Quelques armures complètes parurent sous le règne de
Philippe-le-Long ; mais elles furent rares, et la généralité des guerriers de
cette époque portait l'armure de mailles, l'armure à macles, la brigandine et
les autres armures du même genre : ce n'est que sous le règne de Charles VI,
que l'armure de pied en cap fut généralement adoptée. Le
règne de Charles VII vit les armures les plus élégantes ; les formes
anguleuses étaient les plus en vogue. Dans la seconde moitié du quinzième
siècle, l'armure se compliqua de plus en plus par la quantité de pièces qu'on
y ajoutait, surtout pour les joutes et tournois. L'armure bombée et cannelée
devint l'habillement de guerre le plus à la mode ; les formes arrondies
remplacèrent les formes anguleuses ; elles étaient encore les seules adoptées
dans les premières années du seizième siècle et jusqu'au règne de François Ier. Vers le
milieu de ce siècle, la taille des armures, jusqu'alors très-courte,
s'abaissa progressivement ; la forme très-arrondie de la cuirasse fut
remplacée par une côte qui s'est toujours conservée depuis dans les armures. Après
François Ier, et jusqu'au commencement du dix-septième siècle, la forme de la
cuirasse a constamment suivi les formes correspondantes du costume civil.
Sous Henri IV, l'usage de plus en plus étendu des armes à feu dans les armées
fit songer d'abord à donner aux différentes parties de l'armure l'épaisseur
nécessaire pour résister à la balle. Elles devinrent ainsi d'un poids
insupportable, et on commença à les abandonner ; leur décadence est déjà
visible sous le règne de Louis XIII, et les formes indiquent que l'art se
perdait, que les bons ouvriers disparaissaient avec le besoin qui les avait
fait naître. L'armure dont la République de Venise fit présent à Louis XIV en
1668, et qui se voit aujourd'hui au Musée de l'artillerie de Paris, est
probablement la dernière fabriquée en Italie et peut-être en Europe. ARMES À FEU. — ARTILLERIE. IL nous reste maintenant à parler
de toute une série d'armes dont l'adoption a complètement changé l'art de la
guerre. Nous avons déjà dit quelques mots des armes à feu ; nous nous
arrêterons donc ici particulièrement sur l'artillerie contemporaine des
armures dont nous venons de tracer l'histoire. Avant
même l'invention de la poudre, l'artillerie formait en France un corps
considérable. Ce nom était affecté aux machines de guerre alors en usage. Il
devint plus générique en 1248, lorsque celui d'engins et d'engineurs sépara les deux armes de
l'artillerie et du génie, et en constitua deux corps distincts, l'un pour la
manœuvre, l'autre pour la construction. De 1270
à 1291, le personnel de l'artillerie se composait ainsi : État-major : Un grand-maître des
arbalétriers, — maîtres d'engins, — et plusieurs officiers et employés de
l'administration des machines de guerre, sous diverses dénominations ; Troupes : Archers, — canonniers, —
charpentiers, — fossiers ou pionniers, — arbalétriers à pied. En
1291, Philippe-le-Bel ne changea rien aux institutions de l'artillerie de ce
temps : il nomma, à cette époque, un grand-maître de l'artillerie du Louvre
et plusieurs maîtres d'engins. Le premier remplaça plus tard, en 1534, le
grand-maître des arbalétriers. Quelques
auteurs font remonter l'usage de la poudre et des bouches à feu, de l'année
1330 à 1380. M. Sicard (auteur de l’État de l'artillerie en France du
treizième au dix-septième siècle) prétend que l'invention de la poudre est de 1256 : Le premier essai des bouches à feu fut fait, dit-il, en 1280, par Eerthold Schwarlz, religieux augustin
originaire de Fribourg.
Quoi qu'il en soit de ces diverses opinions, il est constant que l'usage n'en
devint général que pendant les guerres de l'empereur Charles-Quint et
François Ier, vers 1530. Les
premiers essais de ces armes, aujourd'hui si puissantes, durent être peu
efficaces, et la nouvelle artillerie à feu fut, pendant longues années, aussi
dangereuse pour ceux qui s'en servaient que pour leurs ennemis. Il ne
nous est pas resté de bouches à feu, non-seulement des premières années ni
même de la fin du quatorzième siècle ; mais la Bibliothèque Nationale de
Paris possède un manuscrit qui représente des actions de guerre ayant eu lieu
à cette époque, et, dans ces miniatures, on voit des bouches à feu qui
peuvent donner l'idée de l'imperfection de l'artillerie et des nombreuses
difficultés qui ralentirent ses premiers pas. Ce fut
sous Philippe de Valois que parurent en France les premiers canons, comme le
témoigne un compte de Barthélemy du Dracke, trésorier des guerres en 1338 ;
l'un des articles porte : A Henry de
Vaumechon, pour avoir poudres et autres choses nécessaires aux canons, qui avaient servi au siège de
Puy-Guilhem, château du Périgord. Froissart
nous apprend que, deux ans après, en 1340, les habitants du Quesnoy se
servirent, pour repousser l'attaque des Français, de bombardes et de canons,
qui lançaient de gros carreaux contre les assiégeants ; mais il n'est pas
vrai, comme l'a prétendu Villani, que les Anglais durent à l'emploi des
bouches à feu le gain de la bataille de Crécy, livrée en 1346. Il est certain
que l'artillerie à poudre, dont on se servait alors concurremment avec les
anciennes machines de guerre pour l'attaque et la défense des places, ne fut
jamais employée dans les batailles rangées du quatorzième siècle. Pour s'en
convaincre, il suffirait presque de considérer la forme la plus ordinaire de
ces anciens canons. Non-seulement leur poids énorme et la construction
grossière de leurs affûts les rendaient d'un transport extrêmement difficile
; mais, évidemment destinés à l'office de catapultes, ils étaient construits,
la plupart du temps, pour lancer leurs projectiles, non pas en ligne droite,
mais en leur faisant décrire une ligne courbe, comme les bombes
d'aujourd'hui, et leur forme se rapproche, en effet, beaucoup plus de celle
de nos mortiers que des canons modernes. Pour
les charger, il paraît que l'on se servait de manchons, ou de chambres
mobiles, dans lesquels la charge était préparée d'avance et qui s'adaptaient,
au moyen d'une clavette, au corps de la pièce. Quelquefois ce manchon se
plaçait sur le côté et formait un angle droit avec l'âme de la pièce, mais le
plus ordinairement il s'adaptait à la culasse, dont il formait le
prolongement. Redusius,
qui écrivait en 1427, décrit ainsi qu'il suit la bombarde : Elle est en fer forgé et se compose d'un canon, étroit en
arrière, qui s'évase en entonnoir vers la bouche ; la partie antérieure ou
évasée a de longueur huit diamètres de boulet ; la partie postérieure en a
seize. On verse dans ce canon étroit un mélange artificiel de salpêtre, de
soufre et de charbon de saule sauvage ; on en ferme l'entrée avec un tampon
de bois ; on place par- dessus, dans la partie large, le boulet de pierre ;
et l'on met le feu au mélange, à l'aide d'une petite ouverture ménagée dans la
partie postérieure. Facius,
qui écrivait en 1439, dit que les bombardes sont en fer ou en cuivre, et que
les deux tubes qui les composent sont coulés ensemble ou réunis l'un à
l'autre, sur une même pièce en bois de chêne. QUATORZIÈME SIÈCLE.
Nous
possédons des dessins manuscrits qui représentent des pièces, employées un peu
avant l'an 1500, c'est-à-dire dans la seconde moitié du quatorzième siècle.
Il y avait déjà plus de cinquante ans que l'on avait songé à utiliser la
force projective de la poudre, et cependant l'artillerie à feu était encore
tellement imparfaite, qu'elle était certainement moins redoutable que les
anciennes machines employées concurremment. Les dessins des bouches à feu,
qui se trouvent sur un manuscrit latin de la Bibliothèque Nationale, montrent
bien toutes les difficultés qu'il y eut à surmonter, avant d'arriver à un
emploi efficace de la poudre. Les
plus anciennes pièces sont appelées bombarda ou bombarde ; ce mot vient du
grec βαμβος, à cause du bruit que faisait
cette pièce, et il indique à peu près quel peuple fut le premier à inventer
ce genre d'engin. Elles sont de médiocre grosseur et paraissent être en métal
fondu, probablement un alliage de cuivre et d'étain ; la partie qui reçoit la
poudre est une chambre d'un calibre beaucoup moindre que celui de l'âme, qui
est conique, forme nécessaire pour tirer des projectiles de différentes
grosseurs. Ces bombardes sont fixées invariablement à des affûts à roulettes
; on peut varier leur inclinaison sur l'horizon, par le mécanisme
très-simple, qui permet d'élever plus ou moins la crosse de cet affût
grossier, lequel n'aurait pu supporter un choc violent. Ces pièces devaient
donc tirer, avec une faible quantité de poudre ou du moins avec une poudre
lente, et par conséquent, on ne pouvait donner aux projectiles qu'une faible
vitesse. Ces bombardes envoyaient de simples boulets de pierre ou d'autres
auxquels on attachait un artifice, soit pour incendier, soit pour voir où
portait le coup pendant la nuit. Au reste, l'action de ces bombardes était si
peu puissante, qu'on avait encore recours, quand on voulait lancer des masses
très-pesantes, à des machines à fronde, qui ont joué un grand rôle dans la
guerre de siège, au Moyen Age. La
bombarde cerbotana marque le premier
perfectionnement, qui consiste surtout dans les moyens de pointage. La pièce
porte de petits tourillons coniques, autour desquels elle peut tourner. La
longue queue trouve un point d'appui sur la barre plus ou moins élevée qui la
soutient. Le plateau de l'affût est sans roulette et n'a donc aucune
mobilité. Nous devons remarquer ces tourillons donnés à une pièce fondue dès
le quatorzième siècle, car nous verrons que cette disposition fut à peu près
abandonnée pendant longtemps et ne reparut guère que cent ans après, mais
avec bien plus d'efficacité. Nous
venons de décrire une pièce tournant autour de ses tourillons : en voici une
qui semble à peu près du même calibre et qui varie d'inclinaison, d'une autre
manière. Elle porte dans le manuscrit le nom de bombarda cerbotana ambulatoria. On voit que la partie
antérieure de la pièce repose sur une fourche, qui permet de lever plus ou
moins la partie postérieure. Ici le plateau roulant porte, en même temps que
la pièce, un manteau en planches, qui sert à couvrir la bombarde et le
canonnier. On voit celui-ci occupé à mettre le feu, au moyen d'une tige de
fer rougie au feu. Nous retrouverons longtemps encore l'usage de ce procédé. On
employait aussi, à la même époque, d'autres pièces que l'on peut regarder
comme des armes à feu portatives, bien qu'elles ne se tirent que sur appui.
Ici, un homme, revêtu d'une armure, et placé au haut d'une de ces petites
tours mobiles en usage alors dans les sièges, lance une pierre avec une arme
à feu, formée d'un simple tube de fer muni d'une chambre. Cette arme est
appuyée sur le parapet. A côté, se trouve une fronde munie d'une pierre de la
même grosseur : l'arme à feu et la fronde semblent devoir servir
alternativement, et cela donne la mesure de l'efficacité de la première. On voit
aussi une arme à feu, portée par un cavalier : elle est soutenue par une
fourchette qui s'appuie sur le pommeau de la selle. La vue du dessin suffit
pour montrer le peu d'effet d'une arme, qu'on ne pouvait pas pointer et qui
n'avait qu'un champ de tir fort limité. On peut
apprécier le poids des petits canons à queue, appelés cerbotana, par le dessin, qui en représente trois portés par un âne. Il
n'est pas douteux qu'on ait tiré, dans le quatorzième siècle, des projectiles
en métal. On lança quelquefois des boulets en plomb, en fer ou en airain. Il
n'y avait là, du reste, rien de nouveau, car on lançait, avant l'invention de
la poudre, de petits projectiles en plomb., avec les frondes à main, et de
gros projectiles en fer, et même de gros boulets rouges, avec les machines à
fronde. Dans un
manuscrit du quatorzième siècle, conservé au Musée Britannique, on voit le
dessin d'une pièce pour lancer des pierres, laquelle a beaucoup d'analogie
avec celles que l'on a vues précédemment, mais elle est montée sur un train
qui la rend plus mobile. QUINZIÈME SIÈCLE.
Si la
poudre à canon n'a pas pris naissance chez nous, il semble que l'art de s'en
servir ait fait dans l'occident de l'Europe des progrès plus rapides que dans
les contrées orientales. Christine
de Pisan nous a laissé un ouvrage intitulé : Le livre des faits d'armes et
de chevalerie, qui fut écrit sous le règne de Charles VI et probablement
dans les premières années du quinzième siècle. Il prouve que l'artillerie
avait pris dès lors en France une extension beaucoup plus grande qu'on ne
serait porté à le croire., et donne de précieux renseignements sur l'art de
la guerre à cette époque. On
rencontre souvent dans Froissart et dans d'autres chroniqueurs un terme
d'artillerie dont on trouve l'explication dans l'ouvrage de Christine. Après
avoir parlé de plusieurs manières, indiquées par Végèce, de ranger les
troupes en ordre de bataille, Christine de Pisan dit : Et mesmement usoient dès adoncques de aultres semblables
engins, de ceux que l'on nomme au temps présent ribaudequins ; car tout ainsi
estoient-ils sur rœs, un homme dedans, si comme en un petit chastel, qui tout
estoit de fer, et traioit de canon ou d'arbalestre, et avoit à chascun costé
un archier et fers agus par devant... Ce qui
distingue surtout l'artillerie mentionnée par Christine de Pisan, de celle
que nous avons décrite antérieurement, c'est la grosseur des calibres. A
cette époque où les projectiles étaient en pierre, par conséquent d'une
densité peu considérable, et lancés avec une vitesse initiale médiocre, ces
projectiles, qui se brisaient facilement, ne pouvaient agir que par leur
masse. Les efforts des hommes de l'art eurent donc pendant longtemps pour
unique objet d'arriver à lancer des pierres de très-grande masse. Ce fut
seulement lorsqu'ils eurent réussi, que le canon put rivaliser avec la machine
à fronde. Au commencement du quinzième siècle, la grosse artillerie à feu
avait conquis une supériorité marquée sur l'ancienne, et cependant Christine
de Pisan met encore des machines à fronde et de grandes arbalètes dans les
armements, mais en quantité beaucoup moindre que les canons. La
grosseur du calibre était, comme nous venons de le dire, une nécessité pour
arriver à une action efficace contre certains obstacles matériels. Aussi,
Christine de Pisan, parlant de l'approvisionnement des places, dit-elle : A tout le moins douze canons, dont les deux seront plus
gros que les autres pour rompre engins, manteaulx et autres habillements, se
besoing est. Le
livre de Valturio, ayant pour titre De re militari, fut imprimé pour la
première fois à Vérone en 1472, mais il est probable qu'il fut composé vers
la fin de la première moitié du quinzième siècle. Cet ouvrage représente tous
les engins et machines de guerre alors en usage ; l'auteur y a joint les
inventions qu'il attribue à Sigismond Pandolfe Malatesta ; parmi ces
inventions, beaucoup d'écrivains ont cru voir celle de la bombe. Les
bouches à feu, représentées par Valturio, intéressent l'histoire de l'art, et
nous allons en reproduire quelques-unes. Ces
bouches à feu lançaient des boulets de pierre ; cependant elles semblent
indiquer que l'art de fondre les métaux était alors assez avancé en Italie.
Ces pièces n'ont plus de boîtes formant une chambre mobile, ce qui annonce un
perfectionnement important dans l'art de les fabriquer. Mais, d'un autre
côté, il ne semble pas qu'elles fussent devenues plus redoutables. Reliés par
des cordes à un bloc de bois posant à terre ou sur des chantiers, ces canons
devaient être difficiles à remuer. Pendant
le quatorzième et le quinzième siècle, chaque canonnier baptisait souvent
d'un nom particulier la pièce dont il faisait usage. Mais, indépendamment de
ces noms, on retrouve, soit dans les chroniqueurs, soit dans les inventaires,
un grand nombre de noms désignant les classes et dont on ne sait
malheureusement pas la signification précise. On peut cependant donner, sur
différents termes généraux, des indications utiles. On
s'est longtemps servi des trois mots bombarde, canon et baston à feu, pour
désigner une bouche à feu quelconque. Le mot
bombarde paraît être le plus ancien. Cette dénomination paraît avoir été
appliquée, avant l'invention des armes à feu, à des machines de guerre, qui
lançaient des projectiles : elle provient du bruit qui en résultait. Le mot
canon était donné à un tube, avant qu'on l'employât à lancer des projectiles.
On s'est souvent servi des termes canon à main, pour indiquer de petites
armes à feu, soit qu'elles fussent tout à fait portatives, soit qu'elles
dussent se tirer sur appui. Avant
l'invention de la poudre, on désignait souvent sous le nom de basions les
lances et les épées. Ce nom était devenu générique, pour exprimer des armes
quelconques. Il résulta de là, qu'on donna souvent aux armes à feu le nom de
basions à feu. Ces mots sont restés très-longtemps dans les ordonnances de
nos rois : ils désignent particulièrement des armes de main ; ceux de gros
basions sont usités pour indiquer les grosses bouches à feu. Les
canons et les bombardes étaient en cuivre ; les uns et les autres avaient, un
peu au-dessus de la culasse, une longue et large ouverture, par laquelle on
introduisait dans la pièce un gros cylindre de même métal, rempli de poudre ;
c'était ce que l'on appelait alors une chambre ou une boîte à canon. On y
introduisait la poudre avec une cuiller, et on la refoulait avec des tampons
en bois. Il y avait deux ou trois boîtes à canon, pour le service d'une même
pièce. Tandis que l'on déchargeait l'une, les autres se chargeaient, en sorte
que la pièce pouvait tirer sans discontinuer. Chaque boîte à canon avait une
poignée, pour qu'on pût la saisir : elle était aussi percée d'un trou, auquel
on adaptait un petit tuyau de fer-blanc qu'on remplissait de poudre communiquant
avec celle de la boîte à canon, et c'était là qu'on mettait le feu. On voit
au Musée d'artillerie de Paris plusieurs petits canons à fourche, en fer
forgé ; ces bouches à feu du quinzième siècle se chargeaient aussi par la
culasse, au moyen de boîtes mobiles, assujetties par des coins de fer. On
donnait beaucoup d'épaisseur aux chambres à canon, pour qu'elles résistassent
aux efforts de la poudre, mais les parois des bombardes et des canons étaient
fort minces, et devaient être exposées à crever promptement. On remédiait à
cet inconvénient au moyen d'espèces d'affûts, de charpenteries, comme on les appelait, et dans lesquels ils
étaient encastrés. C'était un gros morceau de bois que l'on creusait de
manière à y enchâsser la pièce, de la moitié de l'épaisseur de son diamètre,
en sorte qu'il n'y avait d'apparent que l'autre moitié supérieure. La pièce
était, du reste, fixée sur son affût, au moyen de boulons en fer passés dans
des anneaux qui y étaient cloués ; ces boulons étaient retenus par des
clavettes. Outre l'affût, il y avait encore la maison ou plate-forme de la
bombarde, c'est-à-dire la table en charpente, accompagnée de roues, sur
laquelle la bombarde et son affût étaient posés. Tout cet attirail rendait la
pièce extrêmement lourde. Les
tubes qui avaient autrefois servi à lancer le feu grégeois, ayant la gueule
en forme d'animaux, donnèrent naissance aux histoires de dragons de feu,
basilic, etc. De là, vint aussi le nom que l'on adopta pour les différents
calibres de l'artillerie, à cause des bêtes représentées dessus. Il y avait
en Angleterre un basilic (bombarde), qui portait un boulet de 200 livres. Les
coulevrines étaient beaucoup plus petites que les bombardes et les canons. Elles
n'avaient pas de boîtes et se chargeaient avec des balles de plomb, que l'on
refoulait, ainsi que la poudre, avec une baguette de fer. Les coulevrines
avaient aussi leur affût, et se plaçaient sur un chevalet. A
l'époque où nous sommes parvenus, c'est-à-dire dans la seconde moitié du
quinzième siècle, on appelait le plus souvent bombardes les plus grosses
bouches à feu, qui lançaient des pierres ; mortiers, des bouches à feu
très-courtes, lançant presque toujours des projectiles incendiaires ; canons,
des pièces de calibre moyen, qui lançaient déjà des projectiles en fer ;
coulevrines, des pièces longues, qui lançaient des boulets de métal ; enfin,
canons à main ou bastons à feu des armes portatives, tirées presque toujours
sur appui. On voit
au Musée d'artillerie de Paris deux armes, auxquelles ce nom semble
particulièrement convenir. Le premier de ces bastons à feu est en fer ; le
second, en bronze : ils ont donné naissance au mousquet à croc. A la
fin du quinzième siècle, 150 ans après l'invention des premières bouches à
feu, on se servait, au lieu des échafaudages informes, sur lesquels on les
montait dans l'origine, d'affûts à roues, qui, à la vérité, différaient
beaucoup de ceux dont on se sert aujourd'hui, mais qui rendaient cependant
possible leur emploi dans la guerre de campagne. Le
perfectionnement le plus important qui se soit jamais produit dans
l'artillerie est certainement celui qui a consisté à placer une pièce à
tourillons sur un affût à flasques, monté sur des roues, et permettant de
faire varier les inclinaisons de la pièce par le simple mouvement d'un coin
en bois placé sous la culasse. Chose étrange, ce perfectionnement est celui
dont il est le plus difficile de constater ou plutôt de préciser la date.
Cependant, tout porte à croire que ce fut entre les années 1476 et 1494,
c'est-à-dire durant le règne de Louis XI et de Charles VIII, que l'on parvint
à fabriquer des pièces de tous calibres, capables de lancer des boulets de
fer, et à y fixer solidement des tourillons qui supportèrent non-seulement le
poids de la pièce, mais tout l'effort du recul. Les affûts qui reçurent ces
pièces furent portés sur des roues ; ils furent composés de deux flasques,
entre lesquels la pièce put se mouvoir pour changer d'inclinaison. C'est à
partir de celle époque, que l'art de la fortification a dû subir la
révolution qui en a complètement changé la face. Lorsqu'en
1494 Charles VIII pénétra en Italie pour faire la conquête du royaume de
Naples, l'artillerie française excita l'admiration générale. Les Italiens
n'avaient que des canons de fer, qu'ils faisaient traîner par des bœufs, à la
queue de leur armée, plus pour la montre que pour l'usage. Après une première
décharge, il se passait des heures entières avant qu'on fût en état de tirer
un nouveau coup. Les Français avaient des canons de bronze, beaucoup plus
légers, traînés par des chevaux, et conduits avec tant d'ordre que ces pièces
ne retardaient presque point la marche de l'armée ; ils disposaient leurs
batteries avec une promptitude incroyable, et leurs décharges se succédaient
avec autant de célérité que de justesse. Aussi, les écrivains italiens de
cette époque font-ils le plus grand éloge de notre artillerie. Ils rapportent
qu'elle se servait presque exclusivement de boulets de fer ; que ses canons
de gros et de petit calibre se balançaient sur leurs affûts d'une manière
admirable. On n'a pu parvenir à retrouver en France aucun dessin de
l'artillerie de ce temps : à défaut d'autres renseignements plus complets,
voici le dessin d'une petite pièce de Charles VIII, donnée au Musée
d'artillerie de Paris par M. le marquis de Pins. Entre les tourillons et la
culasse, elle porte l'inscription suivante : Donné par Charles VIII à Barlemi, seigneur de Pins3
capitaine des bandes de l'artillerie en 1490. S'il n'est pas bien certain
que ce canon ait été pointé en tournant sur ses tourillons, cela devient
incontestable pour de gros canons, coulés sous Louis XII et François 1er, que
possède le Musée. Un de ces canons en bronze est du temps de Louis XII. La
volée est parsemée de fleurs de lis, et le premier renfort porte un
porc-épic. Les tourillons, cintrés à la hauteur de l'axe, sont assez forts
pour supporter le recul. Il porte, sur la partie antérieure, une salamandre
surmontée d'une couronne. Les canons de cette époque n'avaient généralement
pas d'anses. Ces deux canons proviennent d'Alger, où ils ont été retrouvés en
1830. A
partir du commencement du seizième siècle, apparaît l'espèce d'artillerie qui
est encore en usage aujourd'hui. Nous allons en indiquer très-brièvement les
progrès jusqu'à l'époque de Louis XIV. L'artillerie
avait acquis depuis Charles VIII une importance toute nouvelle, qui conduisit
à donner plus d'extension à son service. Ce fut François 1er qui créa ses
institutions fondamentales ; il établit des arsenaux, des fonderies, des
poudreries et des magasins, qu'il répartit dans les provinces. Le
grand-maître de l'artillerie en dirigea tout le service. Charles-Quint
fit des essais considérables sur l'artillerie. Sous son règne, on exécuta à
Bruxelles, en 1521, des expériences qui firent adopter pour les bouches à feu
une longueur d'âme de 17 à 18 calibres. Jusque-là, on avait donné aux canons
des longueurs démesurées, pensant ainsi accroître de plus en plus les
portées. On étudia aussi les épaisseurs, et d'après les résultats des
expériences, on fit couler à Malaga douze canons modèles, appelés les douze
apôtres, qui lançaient des boulets de fer pesant 45 livres. Sous
Henri II et vers 1545, d'Estrées, grand maître et capitaine général de
l'artillerie de France, introduisit un grand nombre de notables
améliorations. Il n'y avait, avant lui, rien de réglé, quant aux calibres,
aux longueurs et épaisseurs des pièces : on en comptait de toutes grandeurs.
Parmi les noms qu'on leur donnait, ceux de basilic, serpentin, double canon et canon renforcé, servaient à exprimer les très-gros calibres. On
avait, parmi les calibres moyens, le canon
simple, la grande coulevrine, la bastarde, la moyenne. Les plus petits étaient le faucon, le fauconneau, le passe-volant ; ensuite, venait une arme
presque portative, la hacqueboutte à croc. Les pièces en fer, qui
restaient encore, étaient appelées berges, saccres, spiroles, esmérillons, etc. D'Estrées réduisit tous ces calibres à six, qui furent
appelés les six calibres de France ; il détermina les dimensions et les poids
de ces pièces. Toute
l'artillerie de France fut composée sur le modèle de six pièces, à savoir : 1° Le
canon, pesant 5.000 livres, lançait un boulet de 33 livres. L'affût avec ses
roues pesait 3.000 livres. Il fallait 23 chevaux attelés à la limonière pour
traîner cette pièce ; 2° La grande coulevrine, pesant 4.000 livres, lançait un boulet de 15
livres un quart. Dix-sept chevaux, attelés comme pour le canon, traînaient
cette pièce ; 3° La couleuvrine bastarde, appelée souvent par abréviation la bastarde, lançant un boulet de 7 livres un quart, était traînée par
treize chevaux ; 4° La coulevrine moyenne, ou la moyenne, lançait un projectile de 3 livres
et demie ; elle était traînée par neuf chevaux ; 5° Le faulcon avait un boulet de 1 livre et demie : cinq chevaux le traînaient
monté sur son affût ; 6°
Enfin, le fauconneau lançait un boulet de fer de 3
quarterons ; il était aussi monté sur un affût à rouage. Toutes
ces bouches à feu étaient en bronze. Le Musée d'artillerie de Paris en
possède deux qui portent le chiffre de Henri II. On y remarque que le bouton
de culasse est percé d'un trou, pour y passer une lanière, qui servait à
retenir le coin de mire et qui l'empêchait de se perdre pendant les marches. Outre
ces six calibres, l'artillerie employait encore une arquebuse à croc, en
bronze, du poids de 45 livres ; elle lançait une balle de plomb, pesant un
dixième de livre : on y mettait le feu comme aux canons. Dix de ces
arquebuses étaient souvent placées en travers d'un chariot, qui prenait le
nom d'orgues, et qui portait, en outre, douze piques et six corselets. Les
pièces en bronze, fondues antérieurement à la détermination de ces calibres,
ne pouvaient, en général, tirer qu'un petit nombre de coups, à cause du
prompt évasement de la lumière percée dans le métal de la pièce. Pour éviter
une dégradation trop prompte des pièces, on laissait de grands intervalles
d'un coup à l'autre. D'Estrées remédia à ce grave inconvénient, en faisant
mettre dans le moule une clavette en acier, dans laquelle on perça la
lumière. Une autre innovation, ayant aussi pour but la conservation des
pièces, fut la suppression d'un usage assez singulier qui s'était conservé
jusque-là, celui de les rafraîchir avec du vinaigre, auquel on substitua
l'eau, qui n'attaquait plus le métal. Un
équipage d'artillerie de celte époque avait déjà des baquets portant des
bateaux, destinés à construire les ponts, quand l'armée pouvait avoir une
rivière à franchir. A la
fin du seizième siècle, vers 1590, les bombes furent inventées par un
artificier hollandais. Les grenades commencèrent aussi à être mises en usage,
à cette époque. On voit dans l’Armurerie de Meyrick, un petit mortier
à main, pour lancer des grenades : il a deux pieds, y compris la crosse, et
porte un chien à mèche et un rouet. Les
guerres civiles et religieuses, qui divisèrent la France pendant toute la
seconde moitié du seizième siècle, jetaient la perturbation dans les
constructions de l'artillerie, et l'on fabriqua souvent des calibres,
différents des six calibres adoptés précédemment. Elles ne reprirent que sous
Henri IV, et par les soins de Sully, la régularité que les troubles publics
leur avaient fait perdre. Sous Louis XIII, l'artillerie commençait à
abandonner les trois derniers calibres, qui tombèrent entièrement en désuétude
sous Louis XIV, où l'artillerie reçut la plupart des perfectionnements qui
ont fait depuis les succès de nos armées. ARMES À FEU PORTATIVES. Les
premières armes à feu portatives, au moment de leur invention, vers le milieu
du quatorzième siècle, se nommaient canons à main, et se composaient tout
simplement d'un tube de fer, percé d'une lumière, sans fut ni batterie. Dès le
principe, pour n'être point blessé par le recul, on ajouta, en dessous de ces
armes, un peu plus bas que le milieu, une espèce de croc destiné à servir de
point d'arrêt, lorsque pour tirer on les appuyait sur un bâton de bois ou de
métal en forme d'arc-boutant ; de là, le nom d'arquebuse à croc, qui paraît
avoir remplacé celui de canon à main. L'arquebuse
à croc avait 4 à 5 pieds de long, et pesait 50 à 100 livres ; les plus
lourdes ne servaient que sur les remparts, les autres étaient l'arme des
fantassins ; cependant les cavaliers les portaient aussi quelquefois, comme
on peut le voir par la vignette ci-jointe copiée sur un manuscrit. La branche
de fer, fixée sur le devant de la selle, mais de manière à pouvoir prendre
toutes sortes d'inclinaisons, servait au cavalier pour appuyer son arquebuse,
qui plus courte et plus légère que celle de l'infanterie, se rapproche un peu
de l'arme que plus tard on nomma poitrinal. Ce fut
pour faire plus commodément usage de la mèche et de l'arme, qu'on lui adapta
un fût qui permit de l'appuyer à l'épaule, et une platine pour porter le
boutefeu ou serpentin et l'approcher de l'amorce. On eut ainsi l'arquebuse à
mèche, dont plusieurs peuples orientaux se servent encore aujourd'hui. C'est
seulement dans les premières années du seizième siècle, que les armes à feu
portatives commencèrent à acquérir de l'importance et à prendre de la
supériorité sur les anciennes armes de jet, l'arc et l'arbalète. A la
bataille de Pavie, en 1525, les Espagnols avaient des arquebusiers qui
concoururent beaucoup à leur victoire ; c'est à la suite de cet événement,
que l'ordre fut donné en France de substituer les armes à feu aux arbalètes,
dans l'armement de l'infanterie. Brantôme
rapporte que la reine mère, déclarée régente envoya
par toute la France, et principalement ès bonnes villes, tant de frontières
que autres, des commissaires maistres de requestes et autres, pour leur
recommander, entre autres choses surtout, qu'ils eussent à se pourvoir et
garnir de bons harquebus, armes seures et propres, dont les ennemis s'en
estoient si bien pourveus et aydés à desfaire le roy et son armée en ceste
bataille. A quoy obeyrent les villes et le pays, non pour en user, mais pour
en faire leur provision seulement, car ils demeurèrent longtemps sans s'en
pouvoir accommoder, tant ils aymoient leurs arbalestes. Du despuis, il y a
environ soixante ans, ils s'en sont si bien accommodés, qu'ils en font leçon
aux autres. Le
grand pas que firent alors les armes à feu portatives fut dû à l'introduction
du serpentin, inventé, dit-on, depuis
longtemps, mais qui n'était pas généralement employé. C'était un mécanisme
pour mettre le feu à l'arme, sans le porter sur l'amorce avec la main. Le
serpentin consistait en un levier de fer courbe, qui se divisait, dans le
haut, en deux parties, entre lesquelles un morceau de mèche enflammée était
fixé par une vis. Au bas de ce levier, il y avait un axe, autour duquel il se
mouvait, pour tomber sur le bassinet, lorsqu'on pressait la détente avec le
doigt. On avait soin, auparavant, d'écarter le couvercle du bassinet. Ce
couvercle, qui tournait sur un pivot, garantissait l'amorce contre la pluie
ou l'action du vent. Tel est le mécanisme qui servit, pendant près de deux
siècles, à mettre le feu aux armes de l'infanterie. Pour
apprécier l'importance de cette invention qui semble bien grossière
aujourd'hui, il faut se reporter à l'état de choses qui avait précédé ; un
écrivain du seizième siècle le décrit ainsi : Quant
aux arquebouziers, ils n'osoient pas coucher en joue, leurs bastons estant
gros pétards, courts, pesans et mal aisez à manier, comme espais et trop
renforcez qu'ils estoient, au prix de leurs balles fort minces, plus assez
que d'une pistolle, où ils mettoient le feu avec la main, tournant en effroy
et sursault le visage d'un autre costé en arrière, avec (par adventure) plus
de peur que ceux n'en devoient avoir a qui le coup s'adressoit ; si que
c'eust esté un bien grand malheur, s'il y eust donné, puisque la mire ne s'y
adressoit pas. L'arquebuse
à mèche resta pendant longtemps l'arme ordinaire d'une partie de
l'infanterie, seulement, après en avoir diminué le poids, on lui donna le nom
de mousquet, et le mousquet à mèche était encore en usage dans les armées de
Louis XIII. Les
canons des armes à feu portatives étaient en fer ; il n'y avait encore aucune
règle pour déterminer la longueur ou le calibre ; on distinguait parmi ces
armes : le mousquet, l'arquebouze de calibre et l'arquebouze
simple, l'arquebouzet, la pistolle, le pistollet, et de petites armes, appelées bidets,
qu'on mettait dans sa poche. Le
serpentin exigeait que le soldat eût constamment sur lui une mèche allumée ou
le moyen de faire du feu ; il fallait, en outre, compasser la mèche,
c'est-à-dire régler la longueur de la partie de cette mèche dépassant le
serpentin, de façon que le bout allumé portât dans le bassinet. Cette
opération exigeait l'emploi des deux mains, ce qui était fort incommode,
surtout à cheval. Pour remédier à cet inconvénient, on inventa les platines à
rouet, qui furent employées d'abord en Allemagne, et fabriquées, dit-on, pour
la première fois, en 1517, à Nuremberg. Le nouveau mécanisme ne remédiait aux
inconvénients du serpentin que par des dispositions compliquées, fragiles et
coûteuses. La
manœuvre de la platine à rouet exigeait beaucoup de soins et même d'adresse ;
d'ailleurs, le montage de la roue était long, et l'arme ne pouvait pas faire
feu rapidement. La platine à rouet fut plus particulièrement adaptée aux
armes de la cavalerie. Le
Musée d'artillerie de Paris possède une fort belle collection d'armes à
serpentin et d'armes à rouet. On réunissait souvent, dans les armes de luxe,
les deux mécanismes : notre collection nationale possède aussi un grand
nombre d'armes de cette espèce. Dans la
platine à rouet, le départ du coup de feu était lent ; d'ailleurs, la
complication du mécanisme avait trop d'inconvénients, pour qu'on ne cherchât
pas à le perfectionner. Les Espagnols y parvinrent les premiers. La
platine espagnole, appelée souvent platine de miquelet, présentait au dehors
un ressort qui pressait, à l'extrémité de sa branche mobile, sur un bras du
chien ; l'autre bras de cette pièce, lorsqu'on mettait le chien au bandé,
appuyait contre une broche sortant de l'intérieur et traversant le corps de
platine. On retirait cette broche, et le ressort poussait le chien qui
n'était plus retenu, et la pierre frappait sur un plan d'acier cannelé qui
faisait corps avec le couvercle du bassinet. Le choc de la pierre sur les
cannelures de l'acier produisait le feu. Parmi
les armes employées pendant le seizième siècle par la cavalerie, il y en
avait une, appelée pétrinal, poitrinal ou pétronel. C'était une espèce de courte
arquebuse, qui lançait de grosses balles de plomb et dont la crosse
très-recourbée s'appuyait sur la poitrine, à la partie inférieure de la
cuirasse, pour que le recul fût moins incommode. On ne pouvait ainsi
atteindre que des objets très-rapprochés. Cette arme, longue d'environ 1m 15,
se portait habituellement suspendue à l'épaule par une courroie ou un large
baudrier : elle servit à armer des troupes légères, connues sous le nom de
carabins, et prit le nom de carabine, qui a reçu depuis une autre
signification. Les pistolles étaient plus longues que nos pistolets actuels : la poignée un
peu abaissée se terminait par une boule ; elle prit peu à peu la forme
qu'elle a maintenant. Les pistolles que portaient les reîtres étaient munies
de platines à rouet et quelquefois de platines de miquelet. Le
désir de faire des armes à feu très-portatives conduisit à l'invention des
pistolets, qui parurent vers le milieu du seizième siècle. Les premiers
furent, dit-on, fabriqués à Pistoia. Ils étaient à rouet, et leurs canons
avaient environ un pied de longueur. L'idée
des platines de miquelet fut mise à l'essai et perfectionnée en France, dans
le cours du dix-septième siècle. Bien que le mécanisme de la batterie soit,
en apparence, plus simple que celui du rouet, il offrait cependant de plus
grandes difficultés pratiques. Il fallait que le choc de la pierre contre la
batterie fit découvrir le bassinet, que ce choc produisît des étincelles, et,
chose assez difficile, que ces étincelles vinssent tomber dans le bassinet
ouvert. Les cannelures que les Espagnols introduisirent dans la platine de
miquelet avaient l'inconvénient de détériorer promptement la pierre : on ne
les voit pas dans les platines françaises les plus anciennes. Dans celles-ci,
le choc du chien a lieu presque perpendiculairement au plan de la batterie :
cette disposition était favorable pour faire découvrir le bassinet, mais elle
l'était peu pour diriger convenablement les étincelles, et l'on devait avoir
beaucoup de ratés. On
donnait à ce mécanisme le nom de fusil : ainsi, on disait un pistolet à fusil, comme on disait un pistolet à rouet. On varia
beaucoup la disposition du mécanisme intérieur, destiné à produire le
mouvement rapide du chien, et l'on imita les dispositions qui faisaient
tourner le rouet. Il est curieux de suivre, dans une collection d'armes, les
progrès de ce mécanisme, qui fut adopté pour l'armement de toutes les troupes
d'infanterie française, sur l'avis du célèbre Vauban. Bien
avant cette époque, les arquebuses, armes assez légères pour se tirer sans
appui et qui avaient été employées longtemps concurremment avec les
mousquets, furent peu à peu abandonnées par l'infanterie. Dans la
première moitié du seizième siècle, un dixième environ des soldats
d'infanterie était muni d'armes à feu, le reste était armé de piques. La
proportion des armes à feu alla sans cesse en augmentant, et l'on abandonna
l'arquebuse comme de trop peu d'effet, pour se servir exclusivement de
mousquets, accompagnés d'une fourchette que le soldat plantait en terre, afin
de soutenir la partie antérieure de l'arme. Ce fut sous Charles IX, que
Strozzi, colonel général de l'infanterie française, substitua dans les armées
l'usage du mousquet à celui de l'arquebuse ; mais ce ne fut que sous Louis
XIV qu'on abandonna les platines à mèche et à rouet pour les platines à
batterie. En 1680, Vauban avait imaginé de réunir sur la même arme le
serpentin et la platine du fusil : cette précaution lui paraissait encore
nécessaire sans doute, à cause des ratés et du peu de sûreté d'un mécanisme
fragile. Enfin,
au fusil fut adaptée la baïonnette, et l'avantage de réunir les deux
propriétés de l'arme de main et de l'arme de jet fit abandonner la pique et
conduisit à n'avoir plus qu'un seul armement pour l'infanterie. Ici se
termine la tâche que nous nous étions imposée. Nous avons, autant que
possible, resserré les faits les plus importants dans le cadre étroit que
nous avions à remplir ; et nous croirons avoir rendu un véritable service aux
artistes si nous leur avons fourni des documents suffisants, relatifs à
l'Armurerie, pour éviter les anachronismes déplorables qui ne se rencontrent
que trop souvent dans les productions de l'art moderne. FÉLICIEN DE SAULCY, De l'Académie des inscriptions
et belles-lettres, directeur du Musée d'artillerie de Paris. |