I. — AMEUBLEMENT CIVIL. L'HISTOIRE de l'Ameublement, considérée
sous le point de vue de l'art, peut se partager en cinq grandes périodes qui
sont : 1° la période latine, 2° la période byzantine, 3° la période romane,
4° la période ogivale, 5° la période de la Renaissance. Cette classification
nous paraît rigoureusement exacte, en ce que les meubles, grands ou petits,
reproduisent dans leur forme, à toutes les époques du Moyen Age, les types de
l'architecture, et, dans leur ornementation, l'ornementation même des
monuments. Ce
premier point une fois établi, nous ajouterons, comme fait général, que le
luxe de la civilisation antique resta populaire jusqu'à la fin du sixième
siècle ; qu'à partir de cette époque jusqu'au quinzième siècle, les riches
mobiliers se rencontrent exclusivement chez les rois, les princes et les
personnages les plus distingués de la noblesse et de l'Église ; que, dans ces
mobiliers eux-mêmes, la richesse des matières premières et la beauté de
l'exécution se concentrent principalement dans la vaisselle et le service de
table ; et que, chez les bourgeois et même dans les châteaux des petits
feudataires disséminés à travers les campagnes, l'Ameublement est
ordinairement très-simple : de même que, dans les mœurs, l'extrême barbarie
touchait à l'extrême charité, de même, dans l'aménagement des habitations, la
somptuosité la plus grande touchait au dénuement le plus complet. Cela tenait
non-seulement au manque d'argent, mais encore aux distinctions que les lois
somptuaires établissaient entre les diverses classes, pour les meubles comme
pour les habits. A la fin du quinzième siècle et dans le cours du seizième,
en même temps que l'art se perfectionne, le confortable tend à se répandre de
plus en plus, et l'on peut dire sans exagération, que, à part les objets qui
sont dus aux découvertes de la science moderne, l'Ameublement de cette
dernière époque ne le cède en rien, pour l'élégance et la commodité, à ce que
nous possédons aujourd'hui de plus élégant et de plus commode. Tels
sont, sommairement résumés, les points principaux et, pour ainsi dire,
historiques du sujet qui nous occupe ; nous allons maintenant procéder à
l'inventaire. SIÈGES ET BANCS. — La paille et les nattes
paraissent avoir été chez les Gaulois, comme chez tous les peuples primitifs,
les premiers sièges et les premiers lits. La conquête romaine y substitua
rapidement les meubles élégants et confortables, où brillait, dans sa régularité
sévère, le goût pur de l'antiquité, et les Gallo-Romains adoptèrent, avec les
lits de table, les sièges garnis de coussins, qui offrent avec nos canapés et
nos divans une complète analogie. Les modes de Rome, altérées par le goût
barbare, persistèrent durant la période mérovingienne, et l'on essaya de
racheter par la richesse des matières premières ce qu'on avait déjà perdu
dans l'élégance des formes. On prodigua les métaux précieux. Saint Éloy
exécuta pour Clotaire deux sièges d'or massif, et pour Dagobert un trône du
même métal. Durant la période romane, les fauteuils et les sièges
reproduisirent les formes architecturales. Les dossiers furent divisés en
plusieurs étages, ornés de colonnades à plein cintre, et l'on adopta l'usage
des coussins cylindriques, dans le genre de nos traversins modernes. Au
treizième siècle, on emprunta à l'Orient l'usage de s'asseoir sur des tapis ;
c'est ainsi que saint Louis est représenté dans quelques monuments
contemporains, mais, selon toute apparence, ce ne fut là qu'une mode
exceptionnelle, et, dans les réunions d'apparat, on continua à se servir de
fauteuils ou de bancs. On connaît, de cette époque, le siège royal de la
reine Marguerite. Ce siège, désigné sous le nom de vieil banc de monseigneur
saint Loys, était orné de sculptures représentant des oiseaux et des animaux
fantastiques. Les tapis, les moulures, les blasons émaillés, ornaient les
fauteuils des grands personnages, tandis que les gens de moyen état
s'asseyaient sur des tréteaux, des escabelles de bois, ou sur des bancs
décorés de colonnettes torses. Dans le siècle suivant, et même jusqu'au
seizième siècle, on trouve encore l'usage des bancs, des escabeaux, des
sellettes, des coffres couverts de cuir colorié ; les chaises et les
fauteuils sont, en général, réservés pour la cour, les grands seigneurs, les
appartements de luxe ; ces meubles sont travaillés avec beaucoup de
délicatesse. Ce qu'il y a de plus parfait en ce genre est l'œuvre des
tourneurs parisiens. La réputation de ces ouvriers était si grande, que les
commissaires-priseurs ne manquaient jamais de mettre dans leurs inventaires,
à l'article de ces meubles, pour leur donner plus de valeur : Ceci est de la
fabrique de Paris (ex operagio parisiensi). Les bijoux, les cristaux, les étoffes précieuses,
les dessins, tout était employé pour donner aux fauteuils de luxe le plus
d'éclat et de richesse possible. On en trouve la preuve dans le document
suivant emprunté aux comptes d'Étienne de La Fontaine, argentier du roi de
France en 1352 : Pour
la façon d'un faudesteuil d'argent et de cristal, garny de pierrerie, livré
audict seigneur (le roi),
du quel le dict seigneur fit faire au dict orfèvre la charpenterie, et y mist
et assis plusieurs cristaux, pièces d'enlumineures, de plusieurs devises,
perles et autres pièces de pierreries : VIIc
LXXIIIlt Les
parties de VIIc LXXIIIIlt d'or, que Jehan le Brailler,
orfèvre, print cy dessus pour faudesteuil, etc. Premièrement,
pour la charpente du dict faudesteuil : XXlt Item, pour ijc xii
pièces d'enlumineures mis dessous les cristaux dudict fauteuil dont y a XL
armoiries des armes de France, LXj à prophetes tenant rouleaux et est le
champ d'or, cxij demy images et demy bestes et est le champ d'or, et iiij
grands histoires des jugements Salemon et servent aux meyeux (milieu) du dict faudesteuil, et furent
faict par la main Guill. Chastange : VIxxlt Item, pour xij cristaux pour le dict
faudesteuil, dont il y avoit v creux pour les bas tons, vi plats et un ronc
plat par le meyeu, et furent faict par la main Pierre Cloct : iiijxx VI
escus. Les
chaises garnies en paille, les pliants en forme d'X, les fauteuils à bras
rembourrés, les sièges à dos sculpté, se montrent à la fin du quatorzième
siècle et dans le cours du quinzième. A cette époque, les bois le plus
ordinairement employés sont le chêne et le bois blanc. Les montants, les
traverses, les dossiers sont peints de diverses couleurs, et quelquefois même
ils sont dorés. TABLES À MANGER
ET SIÈGES DE TABLE.
— Dans certaines parties de la Gaule, les tables, suivant la description
qu'en a laissée Possidonius, étaient très-basses, et les convives
s'asseyaient sur des bottes de foin ou de paille. Pour les festins d'apparat,
ces tables étaient rondes, et la place du milieu appartenait au plus
considéré par son courage, sa naissance ou sa fortune. Les usages romains
ayant détrôné, dès les premiers moments de la conquête, les vieilles
habitudes nationales, les Gaulois, comme leurs vainqueurs, s'assirent pour
manger sur des lits disposés autour de tables rondes, carrées ou
semi-circulaires. Selon quelques archéologues, cette mode ne dura que peu de
temps, et les lits furent remplacés par des sièges et des escabeaux. Mais on
ne peut, ce nous semble, rien dire d'absolu à ce sujet, caries documents sont
souvent contradictoires, et nous trouvons encore dans la chronique du Moine
de Saint-Gall la description d'un repas somptueux, où l'amphitryon est assis
sur des coussins de plume. Quoi qu'il en soit, les escabeaux, sous le règne
de Louis-le-Gros, étaient d'un fréquent usage ; mais, suivant Legrand
d'Aussy, on ne s'en servait que dans les réunions intimes ; lorsqu'on donnait
un festin d'apparat, on faisait asseoir les convives sur des bancs, et c'est
de là qu'est venu le mot banquet. A la fin du onzième siècle, on mangeait
quelquefois par terre sur des tapis, et l'on se servait aussi de tables
circulaires, pareilles à celles que l'on désignait dans l'antiquité sous le
nom de sigma. Les tables, comme la vaisselle, étaient un très grand objet de
luxe. Saint Rémy possédait une table d'argent ornée de figures. Fortunat
parle d'une table, du même métal, très artistement travaillée, sur laquelle
était représentée une vigne ; enfin, on voit dans Eginhard, que Charlemagne,
non content de posséder une magnifique table d'or, en fit faire trois autres
d'argent massif, dont l'une représentait Rome, la seconde Constantinople, et
la troisième les régions de l'univers alors connues. Sans
atteindre à ce degré de richesse, les tables, au quatorzième et au quinzième
siècle, se distinguaient encore par leur élégance. Celles qui servaient à la
cour et chez les grands dignitaires laïques ou ecclésiastiques étaient
élevées sur des gradins couverts de tapisseries ou d'étoffes de velours. Un
dais très-riche indiquait la place des personnages de distinction, comme on
le voit par la description du repas donné à Paris, en 1378, par Charles V, à
l'empereur Charles de Luxembourg, dans la grande salle du Palais. Le service, dit M. Frégier dans son
excellente Histoire de l'administration de la police, se fit à la table de marbre. L'archevêque de Reims, qui
avait officié ce jour-là en présence des princes, prit place le premier au
banquet. L'empereur s'assit ensuite, puis Charles V et le roi de Bohême, fils
de l'empereur. Chacun des trois princes avait au-dessus de sa place un dais
distinct, en drap d'or semé de fleurs de lis ; ces trois dais étaient
surmontés d'un plus grand, aussi en drap d'or, lequel couvrait la table dans
toute son étendue et pendait derrière les convives. Auprès du roi de Bohême,
s'assirent trois évêques, mais loin de lui et presque au bout de la table.
Sous le dais le plus proche, était assis le Dauphin, à une table séparée,
avec plusieurs princes ou seigneurs de la cour de France ou de l'empereur. La
salle était décorée de trois buffets couverts de vaisselle d'or et d'argent ;
ces trois buffets, ainsi que les deux grands dais, étaient entourés de
barrières destinées à en défendre l'approche aux nombreuses personnes qui
avaient été autorisées à jouir de la beauté du spectacle. On remarquait enfin
cinq autres dais, sous lesquels étaient réunis les princes et les barons
autour de tables particulières, et un grand nombre d'autres tables. DRESSOIRS. — Ce meuble, dont l'usage
parait remonter au douzième siècle, était une espèce de buffet ouvert, taillé
en gradin, sur lequel on plaçait dans les salles à manger la vaisselle, les
coffrets et d'autres petits objets précieux. Chez les souverains et les grands
feudataires, les dressoirs étaient de métal et quelquefois du même métal que
la vaisselle qu'ils portaient, c'est-à-dire d'argent, d'argent doré ou même
d'or. Chez les personnages moins élevés en dignité ou moins riches., ils
étaient de bois, et alors on les recouvrait d'étoffes brochées et de
tapisseries précieuses. Les simples bourgeois s en servaient comme les rois
et les nobles, et on les trouve aussi chez les dignitaires de l'Église ;
l'auteur des Vigiles de Charles VII, Martial d'Auvergne, en parle dans les
reproches qu'il adresse aux évêques de son temps au sujet de leur luxe, et
parmi les redevances que les habitants de Chaillot payaient chaque année à
l'abbaye de Saint-Germain-des-Prés figurent une demi-douzaine de petits
bouquets pour orner le dressoir de l'abbé. C'était là, du reste', un meuble
de parade, tandis lue dans des proportions moins grandes, l'abace et la
crédence étaient, avant tout, d'une utilité quotidienne. La crédence, qui
servait aussi dans les églises à poser es vases sacrés près de l'autel, se
plaçait auprès des tables à manger pour recevoir les plats et les grands
vases. L'abace était un buffet de service, sur lequel on rangeait es coupes,
verres et hanaps, dont on avait besoin pendant le repas. PLATS ET VASES,
VAISSELLE, SERVICE DE TABLE. — Les monuments de la céramique gauloise, grâce à la
sollicitude avec laquelle on recueille aujourd'hui les moindres débris de nos
antiquités nationales, sont assez communs dans nos musées. Les vases gaulois,
antérieurs à la conquête romaine, sont, en général, fort grossiers et de
formes irrégulières. On peut croire qu'ils ont été faits au tour ; la pâte en
est très-friable, et la plupart sont noirs ou jaunes. Comme on ne les
rencontre guère que dans les lieux de sépulture, il est difficile de dire
s'ils servaient aux usages de la vie ou s'ils étaient exclusivement employés
dans les cérémonies funéraires. Possidonius, en décrivant les festins des
Gaulois, dit qu'un esclave apportait dans la salle du banquet une jarre de
terre ou d'argent remplie de vin, et que chacun y puisait à son tour. Ceux
qui s'étaient signalés par leur courage buvaient dans des cornes d'urus,
dorées, ornées d'anneaux d'or et d'argent. L'usage de ces cornes se conserva
longtemps après que les urus furent détruits. On y substitua, selon toute
apparence, les cornes de taureau, et Guillaume de Poitiers nous apprend que
Guillaume-le-Conquérant s'en servit encore dans une cour plénière qu'il tint
à Fécamp aux fêtes de Pâques. Durant
la période gallo-romaine, l'art céramique fit de rapides progrès. Tous les
ustensiles des ménages romains, les amphores, les terrines, les jattes, les
cruches, en terre rouge, jaune et grise, devinrent d'un usage populaire. On
fabriqua, pour le service de table, des coupes à pied, des plats, des
assiettes, de petites jattes ; les plus fines de ces poteries, couvertes d'un
vernis brillant de la nuance de la cire à cacheter rouge, furent ornées de
guirlandes de feuillages, de figures d'hommes et d'animaux ; l'usage s'en
conserva jusqu'au sixième siècle environ. Sous
les deux premières races, les rois étalèrent dans leur vaisselle de table
iule très-grande richesse. Chilpéric, pour honorer, disait-il, la nation des
Francs, fit faire un plat d'or massif, enrichi de pierreries, du poids de
cinquante livres. Lothaire brisa, pour le distribuer à ses troupes, un
immense plat d'argent, qui représentait l'univers avec le cours des astres et
des planètes ; mais c'était là un luxe tout à fait exceptionnel, et, du
huitième au treizième siècle, la céramique française ne produisit rien de
remarquable. Durant cette période, les Grecs et les Arabes établis en Espagne
conservèrent seuls les véritables traditions de l'art, et l'on sait que ces
derniers fabriquèrent, dès les premiers temps de la conquête, des poteries en
faïence émaillée d'une admirable exécution, qui semblent avoir servi de type
et de modèle à la majolica italienne. Du
règne de saint Louis, à la fin du quinzième siècle, il ne paraît pas que de
notables changements aient été introduits en France dans la poterie et la
vaisselle ; la poterie est toujours grossière et commune, et la faïence qu'on
voit paraître à la fin du quatorzième siècle n'est encore qu'une importation
de l'Italie. Les vases qui figurent durant cette période sur la table des
rois et des nobles sont la plupart en métaux précieux, en marbre, en pierres
transparentes, en cristal (probablement en cristal de roche taillé) et même en bois. Ils sont
désignés sous les noms de hanaps, coupes,
aiguières, graals, abruvoirs, hydres, justes. Le hanap, dont l'usage paraît
remonter fort loin, différait de la coupe en ce qu'il était monté sur un pied
assez élevé, ce qui le faisait ressembler à un calice. Il y en avait de
toutes formes et de toutes matières, d'or, d'argent, de cristal, de madre, à couvercle et sans couvercle, avec ou sans émaux ; les uns
ciselés, les autres avec des dessins en bosse. Parmi les dons que Charles-le-Chauve
fit à l'abbaye de Saint-Denis, et dont l'énumération se trouve dans les
chroniques de ce monastère, figure un hanap que l'on prétendait avoir
appartenu à Salomon ; il estoit d'or pur et
d'esmeraudes fines et finz grany, si merveilleusement ovré que en toz les
royaumes du monde ne fust oncques ovre si soutile. Un inventaire de 1307
mentionne un hanap d'or, émaillé et enrichi de pierres précieuses, pesant VIII
marcs ij onces et demie, et valant cinq cent trente livres. Les artistes
donnèrent à ces différentes espèces de vases les formes les plus bizarres :
il y avait des aiguières en manière de
cocq, d'hommes, de rose, de dalphin ; des hanaps pareils
à des fleurs,
des salières en façon de serpents volants, etc. Toute cette vaisselle
était enrichie de sujets en ciselures émaillées. Parmi
les pièces les plus remarquables de la vaisselle de table, nous trouvons
encore au Moyen Age les nefs, les drageoirs, les fontaines, les pots à
aumône. La nef, qui reçut sous le règne de Henri III le nom de cadenas,
était, selon Ducange, un grand bassin destiné à contenir les vases, les
coupes, les couteaux ; suivant d'autres, c'était un grand vase destiné à
contenir du vin. Dans l'inventaire de l'argenterie de Charles V, inventaire
dressé en 1375, on remarque vingt nefs d'argent et deux nefs d'or portées par
des lions. Les fontaines, placées au milieu des tables, fournissaient, tantôt
du vin et de l'hypocras, tantôt des eaux odoriférantes. Elles avaient, suivant
le goût de l'artiste, les formes les plus variées. Celle qui ornait, dans les
grandes réceptions, la table de Philippe-le-Bon, duc de Bourgogne,
représentait une forteresse avec des tours, du sommet desquelles tombait une
pluie d'orangeade, et sur ces tours on voyait une statue de femme dont les
mamelles répandaient de l'hypocras, et une statue d'enfant qui pissait de
l'eau rose. Le célèbre voyageur Rubruquis, trouva, au treizième siècle, au
fond de la Tartarie, à la cour du kan, une fontaine de ce genre, qui avait
été exécutée par un orfèvre parisien, et qui pesait trois mille marcs
d'argent. Le drageoir était une espèce de boîte à
compartiments en argent, en vermeil ou en or, et qui servait, comme le nom
l'indique, à mettre des dragées et diverses sucreries ; il y avait aussi des
drageoirs de poche qui servaient aux mêmes usages que nos bonbonnières. Les
pots à aumônes, qui étaient ordinairement d'argent, se plaçaient, comme les
fontaines, au milieu de la table ; on y déposait, pendant le dîner, des
morceaux de viande destinés aux pauvres. Les
menus objets du service de table n'étaient ni moins riches ni moins variés. Nous
citerons, parmi ces objets, les couteaux, les cuillers, les fourchettes, qui
ne paraissent qu'au quatorzième siècle, les salières, les guedousles, les
garde-nappes, les vinaigriers. L'usage
des couteaux remonte aux premiers âges de la Gaule. Les Celtes, dit Possidonius, mangent fort
malproprement ; ils saisissent avec leurs mains, comme les lions avec leurs
griffes, des morceaux entiers de viande et les déchirent à belles dents. S'il
se trouve un morceau qui résiste, ils le coupent avec un petit couteau à gaine,
qu'ils portent toujours au côté. Possidonius ne dit pas de quelle matière étaient faits ces
couteaux ; mais, dans l'origine, ils étaient en silex, effilés, étroits,
légèrement renflés vers le milieu et tranchants des deux côtés. Ce n'est qu'à
dater du treizième siècle que l'on trouve chez nous quelques détails sur les
couteaux. Jean de Garlande les désigne sous les noms de mensaculœ et d'artavi, et ce dernier mot est traduit
dans un commentaire du Moyen Age par kenivet, d'où vient évidemment le mot canif. Le commentateur ajoute à son interprétation : Scilicet cultellus qui tendit in altum, ce qui peut faire croire que
la lame de ces couteaux rentrait dans le manche et en sortait par l'extrémité
supérieure au moyen d'une coulisse, comme celle de quelques-uns de nos
canifs. Les manches des couteaux étaient d'or, de cèdre, d'ivoire, de jaspe,
de métal ; on les ornait de viroles, de tringlettes, et souvent ils représentaient des figures d'hommes ou d'animaux. Les
cuillers, d'un usage beaucoup plus ancien que les fourchettes, sont
mentionnées dans la Vie de sainte Radegonde, qui donnait avec cet ustensile à
manger aux pauvres et aux aveugles que leurs infirmités mettaient hors d'état
de se servir eux-mêmes. On voit souvent figurer, dans les inventaires des
maisons royales, des cuillers d'or ; il y avait aussi des cuillers en ivoire
sculpté, qui servaient aux moines, auxquels l'usage des métaux précieux était
interdit par la règle. Quant aux fourchettes, elles sont, suivant
Legrand-d'Aussy, citées pour la première fois, en 1379, dans un compte de
l'argenterie de Charles V ; il paraît que jusque-là les convives se servaient
de couteaux pour porter les morceaux à leur bouche. Les
assiettes, rotundaria, étaient, suivant la condition
des personnes, de métaux précieux, de terre, de verre, d'étain et même de
bois. Les vinaigriers, les salières, les tenailles, ou turquoises, à casser
les noisettes, présentaient une grande variété de formes. Il est parlé, dans l’Histoire
des évêques d'Autun, d'une salière représentant un homme avec un chien,
et, dans un inventaire de 1372, d'une salière d'argent doré à pied et à
couvercle, ouquel couvercle a par dedans un
esmail rond des armes de France. Les garde-nappes se plaçaient sous les plats
lorsqu'on les posait sur la table, afin de ne pas brûler ni salir la nappe.
Il y en avait d'osier, de bois et d'étain. Les plats d'argent à bosseron
étaient des saucières à robinet, et les guedousles, des espèces de bouteilles
à double goulot et à compartiments, dans lesquelles on pouvait mettre, sans
les mêler, deux espèces de liqueurs différentes. Les
Grecs furent les premiers, dans l'Europe du Moyen Age, qui surent donner à
leurs poteries des formes artistiques, et qui les décorèrent soit avec des
émaux, soit par l'application de l'or et de l'argent. Les Arabes du nord de
l'Afrique, qui dès le neuvième siècle connaissaient les glaçures plombifères
et stannifères, introduisirent en Espagne la fabrication de la faïence
émaillée. L'Italie s'empara ensuite avec succès des procédés céramiques
hispano-arabes ; elle ne tarda point à les perfectionner, et, vers 1450, on
commença à peindre des sujets sur les poteries. Ce fut aussi vers la même
époque que l'on fabriqua des faïences complètement blanches. La France, qui
était restée en arrière, reprit son rang au seizième siècle. Nous faisons
allusion, on le devine, à la faïence dite de Henri II et à la poterie de
Bernard Palissy. La première, en terre de pipe fine et très-blanche, est
décorée d'ornements gravés en creux sur la pâte, de dessins rouges d'œillet,
et même de figures en ronde bosse ; la seconde, à laquelle l'inventeur avait
donné le nom de pièces rustiques, a pour ornementation' des coquillages, des
plantes, des poissons, des reptiles. La vivacité et la fidélité des couleurs
répond à la beauté des formes. Outre les bassins et plats, on a de ce grand
artiste des écritoires, des chandeliers, des salières et des statuettes. La
vaisselle d'orfèvrerie suivit les progrès de la céramique. Il en fut de même
de la glyptique. Les chefs- d'œuvre de Benvenuto Cellini et des artistes
italiens popularisèrent dans toute l'Europe l'élégance et le bon goût, et les
trésors des rois et des princes s'enrichirent d'une foule de vases en or, en
agate, en lapis, en jaspe. Ce qui distingue principalement ces chefs-d'œuvre
de la Renaissance, c'est que les sujets qui les décorent sont, en général,
empruntés à la mythologie. L'Olympe, dans cette grande époque, semblait
renaître dans les arts comme dans les lettres. BATTERIE DE
CUISINE ET USTENSILES DIVERS DE MÉNAGE. — Antérieurement au treizième siècle, on ne sait
que fort peu de chose sur les ustensiles qui font l'objet de ce paragraphe,
et à cette date même, on ne les connaît le plus souvent que par leur nom.
Chez les rois, les grands seigneurs et les personnes riches, la batterie de
cuisine paraît avoir été très-nombreuse, puisqu'il y avait, sous le nom de maignen, un valet spécialement chargé du soin des chaudrons. Ces
chaudrons, ainsi que les grands vases de cuisine, étaient ordinairement en
cuivre, et l'on estimait surtout ceux qui étaient connus sous le nom d'œuvres de dynanderie. On sait, en effet, que cette espèce de
chaudronnerie historiée était célèbre dès les premières années du douzième siècle,
et que les artisans connus sous le nom de dynans excellaient à exécuter au marteau
des figures et des personnages sur les bassins, les coquemars et les
chaudrons de cuivre. Quelques-uns même, tels que Lambert Patras, Jehan
d'Oulremeuse, Étienne Delamare, Gautier de Coux, furent de véritables
artistes, et l'histoire a conservé leurs noms. Parmi
les autres ustensiles, nous trouvons la payelle
d'airan, grande
casserole à ragoût ; la payelle bachinoire, dont le nom indique
suffisamment la destination ; la payelle à
frire (frixorium) ; la buire, grande cruche où l'on conservait l'eau ; le brocart, sorte de fontaine à robinet ; le bachin barbioire, plat à barbe, que l'on accrochait dans les
cuisines ; la balesta, grande manne ; le coufin, panier d'osier, pour aller au marché ; les cuillers de fer
percées, pour arroser les viandes ; les broches de fer qu'on tournait à la
main, les lèchefrites de fer ; les roables3 larges pelles, qui servaient à
tirer les braises du fourneau, etc. TONNEAUX,
FOUDRES, CITERNES, VASES DE CUIR À CONSERVER LE VIN. — L'usage des barils paraît
fort ancien en Europe. Voici ce que nous lisons à ce sujet dans les Mémoires
de l'Académie des inscriptions (t. XVII, p. 194) : On voit, par le texte de la loi salique, que, lorsqu'il
s'agissait de transférer un héritage, le nouveau possesseur donnait d'abord
un repas, et il fallait que les conviés mangeassent en présence de témoins,
sur le tonneau même du nouveau propriétaire, un plat de viande hachée et
bouillie. On remarque, dans le Glossaire de Ducange, que, chez les Saxons
et les Flamands, boden signifie une table ronde, parce que chez les
paysans le fond d'un tonneau servit d'abord de table. Tacite dit que chez les
Germains, au premier repas de la journée, chacun avait sa table particulière,
c'est-à-dire apparemment que chacun avait pour table un tonneau levé, ou vide
ou plein. En
France, dès le huitième siècle, l'art de la tonnellerie avait reçu de grands
perfectionnements, et il existait une classe particulière de tonneliers,
appelés barilliers, qui faisaient pour les riches des tonneaux soigneusement
travaillés, bonos barridos, comme il est dit dans le
capitulaire de Charlemagne : De villis. Au neuvième siècle, ces
tonneaux étaient goudronnés à l'intérieur, car on aimait, surtout en Italie,
que le vin sentît le goudron. Sous le règne de saint Louis, on voit, par le
Livre des métiers d'Étienne Boileau, que les barils, solidement cerclés de
fer, devaient être faits de fin cœur de chêne, de poirier, d'alisier et
d'érable. A côté
de l'usage des tonneaux, on trouve, pour la conservation des grandes
provisions de vin, les citernes et les outres. Les citernes, qui sont encore
employées en Normandie pour le cidre, étaient construites en briques ou en
pierres de taille, et revêtues d'un ciment fort dur désigné sous le nom de bletton. Les outres étaient faites de peaux de bouc et de chèvre,
enduites et couvertes de poix. Elles servaient principalement dans les
voyages, dit Legrand d'Aussy. Les gens qui voyageaient à cheval, et qui craignaient
de ne pas trouver de vin sur leur route, en portaient avec eux dans une sorte
de vaisseau en cuir, qu'ils attachaient à la selle. Les personnes opulentes
et les grands seigneurs, qui voyageaient suivis d'un domestique, faisaient
porter le vaisseau par son cheval. C'est ce que témoigne la vie de saint Éloy
et celle de saint Herbland. Au treizième siècle, ces vases se nommaient bouchaus, boutiaux ; au quatorzième, boulies ou boutilles. Quand l'évêque d'Amiens
marchait pour l'arrière-ban, les tanneurs de la ville étaient tenus de lui
fournir deux paires de bouchiaus de cuir
bons et souffisans, l'un tenant un muy et l'autre 24 sestiers. LAMPES,
FLAMBEAUX, CHANDELIERS.
— Quoique les Romains comme les Grecs connussent l'usage de la cire et du
suif, il paraît cependant qu'ils ne s'éclairaient qu'avec des lampes. Selon
qu'elles étaient destinées à servir dans les temples, les tombeaux ou les
maisons particulières, ces lampes, faites de terre cuite ou d'airain, étaient
tantôt suspendues par une petite chaîne, tantôt supportées par un pied qui
formait candélabre. Ce sont ces dernières qui paraissent avoir servi le plus
ordinairement dans la vie domestique ; l'usage en fut, selon toute apparence,
conservé durant les premiers siècles de la monarchie française ; mais comme
ces lampes très-imparfaites ne donnaient qu'une faible lumière, on prit
l'habitude, dans les réunions d'apparat, d'éclairer les appartements, au
moyen de torches que des valets portaient à la main. Ce mode d'éclairage se
retrouve, à la distance de longues années, signalé par divers chroniqueurs
depuis Grégoire de Tours jusques et y compris Froissart. A dater
du onzième siècle, on voit figurer simultanément, parmi les objets usuels les
lampes, les chandeliers, les lanternes, les lampadaires et les torchères. Les
lampes, comme celles de l'antiquité, étaient tantôt à pied pour être posées
sur des meubles, tantôt à tringle ou à chaînette pour être accrochées aux
plafonds ou le long des murs. Les lampadaires, qui servaient plus
particulièrement dans les salons de réception, étaient suspendus et portaient
des bougies ou des godets, semblables, pour l'effet, aux verres de couleur
employés aujourd'hui dans les illuminations publiques. Les chandelles,
nommées en latin cirei, et ensuite cierges, parce
qu'elles étaient faites dans l'origine avec de la cire, paraissent avoir été
de bonne heure d'un usage tout à fait populaire ; car, dès l'an 1061, les
fabricants de chandelles de Paris avaient des statuts écrits, ce qui prouve
l'importance de leur corporation. Quant aux chandeliers, ils étaient, comme
les lampes, de formes et de matières très-variées : de cuivre chez les
bourgeois, d'argent doré ou émaillé chez les princes et les nobles,
quelquefois même d'or massif, comme on le voit par une lettre dans laquelle
Hildebert, évêque du Mans, parle du beau travail des chandeliers d'or, qu'il
avait reçus en présent de Mathilde, reine d'Angleterre. Les
lampadaires et les flambeaux allemands en cuivre fondu et ciselé jouissaient,
au quinzième et au seizième siècle, d'une grande réputation. Ils
représentaient des animaux ou des figures humaines. LITS. — Après la conquête de l'Asie,
les Romains, qui jusque-là s'étaient couchés sur des lits très-simples,
déployèrent, dans cette partie de l'ameublement, un très-grand luxe. On vit
des lits, dont les pieds étaient ornés de lames d'ivoire, d'or et d'argent ;
il y en eut même, dont les pieds étaient d'or et d'argent massif. Les
fourrures, les étoffes les plus précieuses servaient de couvertures, les
matelas étaient de plume et de laine, et comme les lits étaient très-élevés,
on y montait à l'aide d'un gradin ou d'un tabouret. Il ne paraît pas que l'on
se soit servi de rideaux. La
forme des lits romains se conserva jusque sous le règne de Charlemagne, et
vers cette époque, on trouve, même dans les classes inférieures, des matelas
de plumes, comme on le voit dans le capitulaire de villis. Sous les
deux premières races, le lit formait une des pièces principales de
l'Ameublement royal, et des officiers spéciaux, sous le nom de cubicularii, étaient-préposés à sa garde. L'oreiller, auriculare, le couvre-pied, lorale, la couverture, culcita, en un mot toutes les pièces qui composent la garniture moderne
du lit se retrouvent dès les premiers temps. Au
onzième et au douzième siècle, les lits sont extrêmement variés dans leurs
formes. Tantôt, c'est une simple couchette carrée, sans aucune espèce
d'ornements ; tantôt, la couche est décorée de quatre colonnes supportant un
toit angulaire d'où pendent des rideaux. Quelquefois les colonnes sont
surmontées de flammes dorées ; des coussins sont empilés au chevet, et ces
coussins sont couverts d'une étoffe bleue rayée. Les
couvertures, ordinairement en peau de chèvre ou de mouton chez les moines et
les paysans, étaient faites, chez les gens riches, en étoffes précieuses de
laine ou de soie. On parfumait les oreillers avec de l'essence de violette,
de l'électuaire, de l'eau de rose. Le bout des pieds reposait sur une espèce
d'ornement, nommé capex ; et comme les lits étaient, en général, très-élevés,
on plaçait au pied un escabeau, suppedaneum, qui servait tout à la fois
pour se déshabiller et pour monter sur les matelas. Les
chevaliers, qui s'asseyaient à la même table et couchaient en temps de guerre
sous la même tente, prirent aussi l'habitude de faire coucher leurs hôtes
dans leur lit, et non-seulement leurs hôles, mais leurs enfants et leurs
chiens de chasse ; il résulte de là qu'on fut obligé de donner aux lits une
largeur de six, huit, dix et même douze pieds. Cette mode s'est continuée
pendant tout le Moyen Age ; au seizième siècle même, la plus grande marque
d'amitié et de confiance que l'on pût se donner, c'était de coucher ensemble
; et l'on sait que François 1er, pour faire honneur à l'amiral Bonnivet,
l'admit plusieurs fois à partager son lit. Au
quatorzième et au quinzième siècle, on trouve des lits à roulettes, des lits
à pavillons de soie, parés de tours brodés et frangés, et décorés de rideaux
en étoffe ouvragée ou unie. Les oreillers, en coutil blanc, sont ornés aux
quatre coins de houppes pendantes. BAHUTS, COFFRES,
ÉCRINS, TABLES DE JEUX ET JEUX DIVERS. — Le nom du bahut, en latin bahudum, tire, suivant Ducange et Ménage, son origine du mot allemand behulen, qui signifie conserver. C'était un grand coffre, à couvercle
légèrement bombé, et qui s'ouvrait à la partie supérieure. Ce meuble,
ordinairement en chêne, était embelli de bas-reliefs et de sculptures, et
parmi les bahuts que nous a laissés la Renaissance, il en est qui peuvent
passer, à juste titre, pour de véritables chefs-d'œuvre. Ce qui les distinguait
des coffres, c'est qu'ils étaient montés sur des pieds. Les coffres, qui
formaient une des pièces principales de l'Ameublement des riches bourgeois,
et qui servaient de siège et de commode dans les maisons et de malle dans les
voyages, étaient garnis de larges bandes de fer, de lourdes pentures et de
plusieurs serrures. On les couvrait de toile à l'intérieur ; de cuir blanc,
rouge ou noir, à l'extérieur ; quelquefois même, on les dorait, et l'on y
plaçait des inscriptions et des devises. Il y
avait, outre les meubles que nous venons d'indiquer, des armoires, des
buffets, et une foule de petits coffrets qui servaient à serrer de menus
objets. Les gros meubles étaient en bois de chêne et d’Irlande. Les petits coffres, parmi lesquels on distingue le bichey, la capse, la juste, l'arcelle, l'escrin, étaient de bois ou de métal. On employait principalement, dans
les pièces d'ébénisterie fine, l'ébène, le cèdre et l'ivoire ; et pour les
coffrets de métal, l'argent, le fer et le laiton, composition de cuivre et de
calamine. On trouve même, dans les inventaires du quatorzième siècle,
quelques coffrets d'or. Ces petits meubles étaient ornés d'émaux, de
verroteries fines, de ciselures et de devises. Parmi
les produits remarquables de la tabletterie et de l'ébénisterie du Moyen Age,
nous indiquerons encore les pignières qui servaient aux mêmes usages
que nos toilettes modernes, les échiquiers et les tables à dés. Ces tables,
espèce de jeu de trictrac, offraient, chez les princes et les grands
seigneurs, des compartiments de jaspe et de cristal. Les mêmes matières entraient
dans la fabrication des échiquiers, et celle des échecs ou des dés, c'était
l'or, l'argent, l'os, l'ivoire, la corne et le cristal. La
marqueterie, véritable mosaïque en bois, fut appliquée, dès le douzième
siècle, en Italie, aux meubles dont nous venons de parler. On y employait de
l'ivoire et des bois noirs et blancs. Plus tard, les Italiens parvinrent à
teindre les bois, et à leur donner des couleurs assez variées pour imiter le
ciel, les arbres, les eaux. Ils fabriquaient aussi des coffrets de fer,
damasquinés d'or et d'argent, d'une grande élégance. Les Allemands, à la
Renaissance, se signalèrent également dans l'exécution des meubles connus
sous le nom de kunstschrank ou armoire artistique. Les bois
les plus précieux, l'écaillé, l'ambre, la nacre, l'ivoire, les statuettes,
les bas-reliefs, l'orfèvrerie, les peintures, étaient employés à décorer ce
meuble, garni d'un grand nombre de tiroirs et de compartiments. La France,
l'Italie et la Flandre imitèrent avec succès ces remarquables produits de
l'art allemand. LIVRES,
PUPITRES, ÉCRITOIRES.
— Considérés sous le simple point de vue de l'ornementation matérielle, les
livres formaient une des parties les plus somptueuses de l'Ameublement du
Moyen Age. Par la richesse des matières premières et le fini du travail, les
reliures peuvent souvent être considérées comme de véritables bijoux. En
effet, à dater du règne de Charlemagne, les métaux les plus précieux, les
étoffes les plus rares furent prodigués dans les couvertures des livres. Il y
en avait en argent massif, en ivoire, en cèdre garni de lames d'or ou
d'argent, relevées de rubis, de diamants, de pierres fines. Ces reliures
étaient ornées de bas-reliefs, d'emblèmes et de figures diverses : nous
citerons, comme modèle en ce genre, les Heures écrites pour
Charles-le-Chauve, et qui sont conservées à la Bibliothèque Nationale de
Paris. Les plus communes au quatorzième siècle étaient en cuir fauve, rouge
ou blanc ; les plus riches, en velours, en soie, en drap d'or. Les volumes se
fermaient tantôt à l'aide de lanières de cuir ou d'étoffe, tantôt à l'aide de
lourdes agrafes ou fermoirs en laiton, en cuivre, en argent et même en or
ciselé ou émaillé. A la fin du quinzième siècle, on voit paraître, sur le
plat des couvertures, les compartiments de maroquin, les peintures délicates
et les gaufrures imprimées à petits fers. Les reliures de la Renaissance sont
dans le même genre, seulement les dessins des gaufrures, les compartiments,
les arabesques se distinguent par une élégance et une variété plus grandes. Dans
les maisons royales et dans celles des seigneurs amis des lettres, le luxe
des bibliothèques correspondait au luxe des reliures. La bibliothèque de
saint Louis était placée dans une salle bâtie tout exprès à la
Sainte-Chapelle de Paris. Cette salle, richement lambrissée, était entourée
de rayons peints or et garnis de chaînes destinées à retenir les manuscrits.
La bibliothèque de Charles V occupait dans le Louvre les trois étages de la
tour, connue sous le nom de Tour de la librairie. Les murs en étaient revêtus
de bois d'Irlande, les voûtes garnies de bois de cyprès enrichi de
bas-reliefs. Charles V y avait fait placer de longues tables, sur lesquelles
trente chandeliers et une lampe d'argent brûlaient toute la nuit, afin qu'on
pût y travailler à toute heure. Nous
ajouterons, pour compléter ce que l'on peut appeler l'inventaire du mobilier
littéraire, que l'on se servait, pour tables de travail, de petits guéridons
surmontés d'une tablette carrée. Ces meubles, dont quelques-uns avaient des
casiers, étaient à compartiments et à moulures. On voit, d'après le dessin
d'un pupitre du treizième siècle, que la bande de papier ou de parchemin, sur
laquelle on écrivait, était placée sur un cylindre mobile adhérent à ce
pupitre, et qu'elle s'enroulait tout autour, au fur et à mesure que
l'écrivain avançait dans sa besogne. On
trouve encore, vers 1350, l'usage des tablettes de cire, mais dès le
cinquième siècle, on écrivait déjà avec des plumes d'oies, de cygnes, de
paons et de grues. On se servait de la canne ou calamus pour les lettres
majuscules, de la plume pour les petits caractères, et comme on employait des
encres de diverses couleurs, le même écrivain avait souvent sur son pupitre
cinq ou six écritoires. VERRERIE. — On sait que les verreries de
la Phénicie et de l'Egypte étaient célèbres dans l'antiquité ; que les
Romains sous les empereurs savaient ciseler le verre, qu'ils en faisaient de
très-beaux vases, et que cette industrie se maintint avec beaucoup de succès pendant
les premiers siècles de notre ère. Après la prise de Rome par les barbares,
les verriers portèrent à Byzance le secret de leur art ; et les Grecs du Bas-Empire
restèrent longtemps en possession exclusive de la fabrication des vases de
luxe, tels que coupes, flacons, rehaussés d'or ou d'argent moulus, et ornés
de filigranes de verre blanc ou de verre coloré. Au treizième siècle, de
nombreuses manufactures de verre s'établirent à Venise ; les verriers
vénitiens empruntèrent aux Grecs l'art de colorer, de dorer et d'émailler le
verre, et pour la perfection des formes, la légèreté, la vivacité des
couleurs, leurs ouvrages n'ont pas été surpassés dans les nombreuses
imitations qui en ont été faites de nos jours. La
France, dans l'industrie dont nous parlons, ne paraît avoir occupé qu'une
place secondaire. Les vases en verre précieux, mentionnés dans les documents
français du Moyen Age, sont toujours de provenance étrangère ; ce n'est que
dans la fabrication des vitraux peints, que nous pouvons justement réclamer
une part de gloire nationale. S'il est difficile de dire, d'une manière
précise, à quelle époque on fit pour la première fois usage des vitres dans
les fenêtres, l'emploi en est du moins constaté dès le troisième siècle.
Saint Jérôme parle de fenêtres fermées avec des lames de verre étroites et
minces. Saint Benoît Biscop, mort vers 690, vint, d'Angleterre en France,
chercher des ouvriers verriers, pour clore avec des vitres son église, son
réfectoire et son cloître, et ces ouvriers enseignèrent leur art aux Anglais.
Au onzième siècle, plusieurs églises furent vitrées en couleur ; mais,
suivant Legrand-d'Aussy, on ne voyait point encore, à cette époque, de
personnages sur les vitres. Les plus anciens vitraux à figures que l'on
connaisse en France sont ceux que Suger donna à l'église de Saint-Denis. Au quatorzième siècle, dit M. Bourquelot, on confectionna des verrières, de très-grande dimension ; on utilisa
cette peinture pour la décoration des palais royaux, des hôtels des
seigneurs, des maisons des riches bourgeois, des hôtels de ville. Sauval nous apprend que toutes les fenêtres des chapelles, des appartements de
Charles V au Louvre, et en l'hostel Saint-Pol, estoient remplies de vitres
aussi hautes en couleur que celles de la Sainte-Chapelle, pleines d'images de
saints et de saintes, surmontées d'une espèce de dais, et assises dans une
espèce de trône, le tout d'après les dessins de Jean Saint-Romain, fameux
sculpteur de ce temps, que le monarque employoit par préférence pour la
décoration de ses palais.
A cette même époque, l'art de travailler le verre avait fait en France des
progrès notables, et quoique nous fussions bien loin encore des Grecs et des
Vénitiens, nous produisions cependant des pièces assez importantes, comme on
le voit dans une charte octroyée en 1338 par Humbert, dauphin de Viennois, à
un nommé Guionet qui devait établir une verrerie dans la forêt de Chambarant.
En vertu des conventions stipulées dans cette charte, Guionet était tenu
chaque année de fournir au dauphin : 400
douzaines de verres en forme de cloches ; 12 douzaines de petits verres
évasés ; 20 douzaines de hanaps ou coupes à pied ; 12 d'amphores, 36
d'urinals, 12 de grandes écuelles, 6 de plats, 6 de plats sans bords, 12
dépôts, 12 d'aiguières, 5 de petits vaisseaux nommées gottèfles ; une
de salières ; 20 de lampes, 6 de chandeliers, une de larges tasses, une de
petits barils, enfin une grande nef, et 6 grandes bottes pour transporter du
vin. A dater de la
même époque, l'usage des vitres dans les maisons particulières devint
très-fréquent ; on les employa, non-seulement pour les fenêtres, mais encore
pour les portes intérieures, les huis
enchâsillés. La
verrerie peinte ne cessa dès lors de faire de grands progrès, et, au seizième
siècle, Jean Cousin et Guillaume de Marcilia l'élevèrent en France au plus
haut degré de perfection. MIROITERIE. — Pline nous apprend que les
premiers miroirs de verre furent fabriqués à Sidon, mais il ne dit pas si ces
miroirs étaient comme les nôtres étamés par derrière ; ce qu'il y a de
certain, c'est qu'un moine anglais, Pekam, qui était à la fois professeur à
Paris, à Oxford et à Londres, a écrit, au treizième siècle, un traité
d'optique sur les miroirs doublés de plomb, et que dès lors on se servit
simultanément, dans la fabrication de ces ustensiles, de verre et de métal,
c'est-à-dire d'argent, de fer ou d'étain poli. Les miroirs du Moyen Age
étaient, en général, d'une petite dimension et de forme ronde. Les uns,
fixes, restaient à demeure dans les appartements ; les autres, portatifs,
s'incrustaient dans une boîte d'ivoire ou dans une gaine de cristal ciselé.
Ces derniers formaient une des pièces les plus importantes du trousseau des
jeunes mariées ; on les ornait de dessins allégoriques, de fleurs et
d'Amours. Les glaces de grande dimension ne parurent qu'au seizième siècle ;
elles sortaient des fabriques vénitiennes. SERRURERIE ET
FÉRONNERIE. — La
serrurerie peut être placée au rang des industries les plus avancées du Moyen
Age. Parmi ses produits, nous mentionnerons les grilles, qui sont formées de
rubans de fer, frisés à chaque extrémité, soudés en faisceaux au centre de
chaque compartiment et agrafés sur les côtés par des anneaux ; ces rubans, qui
s'enroulent avec une admirable souplesse, reproduisent, au quatorzième et au
quinzième siècle, les détails infinis de l'architecture contemporaine. Les
pentures ne sont pas moins remarquables. Ces pentures en fer forgé et estampé
s'allongent, comme des bras, sur toute la largeur des portes et des meubles,
auxquels elles donnent une force de résistance extrême, tout en les
embellissant. Les tiges de ces pentures se terminent ordinairement par des
grappes de raisin, des touffes de feuillage, des fleurs de lis. Elles sont
tout à la fois simples, élégantes et solides. Au seizième siècle, la
serrurerie reçut des perfectionnements nouveaux. Les serrures surtout, dit M. Jules à Labarte, qu'il faut citer au premier rang des écrivains qui font
autorité dans l'histoire de l'art, les serrures étaient alors portées à un
tel degré de perfection, et leur ornementation était d'un fini tel, qu'on les
considérait comme des objets d'art ; on les emportait d'un lieu à un autre
comme on aurait pu faire de tout autre meuble précieux. Les clefs, ajoute M.
Labarte, furent aussi traitées, au seizième siècle, comme de véritables
objets d'art. Hien de plus gracieux que les figurines de ronde bosse, les armoiries,
les chiffres, les ornements et les découpures, dont est enrichie celte partie
de la clef que la main saisit, et que nous avons remplacée par un anneau
commun. Les
serruriers, qui travaillaient le fer avec autant d'habileté que les orfèvres
travaillaient l'or et l'argent, fabriquaient, outre les serrures et les
grilles, des reliquaires, des croix, des lutrins, des tabernacles, et une
foule de petits meubles, d'une grande élégance. Il. — AIMEUBLENIENT RELIGIEUX. Ce
n'est qu'à partir du règne de Constantin que le mobilier des églises commença
à prendre de l'importance. On sait, en effet, que ce fut cet empereur qui
dota le premier les basiliques de Rome de présents somptueux, an nombre
desquels figurent des patènes d'or, une croix d'or du poids de deux cents
livres, des lampes et des lustres représentant des animaux. Autant les objets
dont on se servait primitivement pour la célébration des mystères étaient
simples et pauvres, autant, à partir de la fin du cinquième siècle, ces mêmes
objets furent élégants et riches. La transformation s'opéra tout à coup, et
l'on voit, dans les hagiographes, une foule d'évêques gallo-romains vendre
des vases sacrés d'un grand prix, pendant les famines, pour nourrir les
populations ; pendant les guerres, pour racheter les captifs. Saint Éloy (558-619) enrichit les églises des objets
les plus précieux, entre autres de la châsse de saint Martin et du mausolée
de saint Denis, que surmontait un toit de marbre couvert d'or et de
pierreries. Ce grand artiste forma, parmi ses moines, de nombreux élèves, et
grâce à lui, les cloîtres, pendant plusieurs siècles, furent de véritables
ateliers d'orfèvres, de ciseleurs, de fondeurs, de menuisiers, qui
travaillaient exclusivement pour l'Ameublement religieux. Les largesses de
Charlemagne ajoutèrent des richesses nouvelles aux richesses immenses qui
déjà se trouvaient amassées dans les temples chrétiens. Les mosaïques, les
sculptures, les marbres les plus rares furent prodigués dans les basiliques
qu'affectionnait l'empereur ; mais tous ces trésors furent dispersés par les
invasions normandes. Du neuvième au onzième siècle, il ne paraît pas que
l'Ameublement ecclésiastique, à part quelques châsses et quelques croix, se
soit enrichi d'objets notables, et dans tous les cas, les monuments de cette
époque et ceux des époques antérieures, sauf quelques rares débris, ne sont
point parvenus jusqu'à nous. C'est qu'en effet, outre des causes incessantes
de destruction, on renouvela, à la fin du onzième siècle, le mobilier des
églises, en même temps que l'on rebâtissait ces églises elles-mêmes, et ce
n'est qu'à dater de cette Renaissance mystique, que l'on commence à trouver,
dans les textes, des indications précises ; dans les musées ou les temples,
des monuments intacts. Alors seulement, l'inventaire devient possible. Dressons-le
donc pour le culte comme nous l'avons fait pour la vie civile. AUTELS, RÉTABLES,
TABERNACLES. —
L'autel se présente sous deux formes invariables ; c'est une table ou un
tombeau. La table, formée d'une tranche de bois, de pierre ou de métal, est
portée par un ou plusieurs pieds, des colonnes ou des pilastres. Dans la
forme en tombeau, les supports sont supprimés, et l'autel est surmonté d'une
espèce de couvercle en carré long. A l'autel en table, les côtés sont à jour
; à l'autel en tombeau, ils sont fermés et ordinairement pleins. Il y
avait des autels fixes et des autels portatifs ; les premiers, qui restaient
à demeure dans les églises, furent, jusqu'au treizième siècle, isolés au
milieu du sanctuaire et placés sous un ciboire, espèce de baldaquin dont la
voûte était soutenue par des colonnes. Les seconds, d'une dimension beaucoup
plus petite, servaient primitivement aux évêques régionnaires, et on les vit
reparaître, au moment des croisades, quand les orateurs nomades, qui
appelaient les peuples à la guerre sainte, prêchaient au milieu des champs et
des places publiques et disaient la messe en plein air. M. Jules Labarte a
donné la description d'un autel portatif du douzième siècle, provenant, selon
toute apparence d'une abbaye de Prémontrés du diocèse de Cologne. Cet autel
se compose d'une plaque de marbre-lumachelle incrustée dans une pièce de bois
qui est elle-même renfermée dans une boîte de cuivre doré de 36 cent. de haut
sur 27 de large et 3 d'épaisseur. Le dessus de la boîte est découpé, de
manière à laisser à découvert la pierre sur laquelle devait poser le calice
pendant la célébration de la messe. Dans
les églises riches et puissantes, la charpente ou le massif des autels de
bois ou de pierre était revêtu de la plus brillante ornementation. Les
mosaïques, les émaux, les marbres, l'or et l'argent s'y trouvaient prodigués.
On cite surtout l'autel d'or de Saint-Ambroise de Milan, exécuté en 835 par
un artiste nommé Volvinius, et les autels des cathédrales de Bâle et de
Pistoie, qui datent, le premier, du onzième siècle, le second, du
quatorzième. La plupart des monuments de ce genre sont ornés de bas-reliefs
d'une admirable exécution, dont les sujets sont empruntés au Nouveau
Testament. On y trouve aussi quelquefois, comme à Bâle, les portraits des
donateurs. Les autels en bois sculpté, qui paraissent d'une date plus
rapprochée de nous, ne le cèdent en rien, sous le rapport du travail
artistique, à ceux dont nous venons de parler. Les
retables reproduisent exactement, à toutes les époques, le style des devants
d'autel. Il en est de même des tabernacles, qu'on travaillait et qu'on enrichissait
avec un soin tout particulier, en raison de la sainteté de leur destination.
Des draps d'or ou d'argent, des nappes de la plus grande finesse, des fleurs,
des tentures éclatantes complétaient, dans les solennités religieuses, ce
qu'on pourrait appeler la décoration mobile des autels : c'était là tout à la
fois le séjour de l'Agneau sans tache, le trône du Roi des rois, le calvaire
du Dieu fait homme, et le Moyen Age, dans sa ferveur, s'efforçait de rendre à
cet hôte divin, descendu du ciel pour le salut des fils d'Adam, toutes les
splendeurs de la Jérusalem céleste. CALICES,
BURETTES, ETC. —
Antérieurement au onzième siècle, on a peu de détails sur les calices et les
matières dont ils étaient composés. On sait seulement qu'il y en avait en
verre, en marbre, en argent et en or. A l'époque dont nous venons de parler,
les calices ont de larges coupes évasées, portées sur un pied circulaire dont
le diamètre est quelquefois plus grand que celui de la coupe elle-même.
Quelques-uns sont décorés de pierres fines, de perles, d'émaux cloisonnés sur
un fond de filigranes d'or. Vers 1200, on voit paraître les ornements au
repoussé, les émaux incrustés, les gravures ciselées. La forme, plus élégante
et plus svelte, peut se comparer à celle d'une tulipe, dont les feuilles au
sommet se renverseraient en arrière. Au quinzième siècle, cette forme reste
la même, mais l'ornementation est beaucoup plus variée. Il y a des figures
d'anges, des fruits, des fleurs feuillagées, et le plus souvent les
médaillons des évangélistes et des apôtres. Ce sont les artistes italiens qui
ont produit ce que l'on connaît de plus parfait dans ce genre, soit au Moyen
Age, soit à la Renaissance ; et l'on peut citer, comme preuve, les œuvres du
Florentin Andrea Arditi, et le calice d'or de Benvenuto, dont la coupe est
supportée par les Vertus théologales. Les burettes, accessoire indispensable
de ce vase sacré, en reproduisent exactement le style. Quelques-unes sont en
cristal de roche, monté en argent ciselé et doré. Ce que nous venons de dire
s'applique également aux ostensoirs. Ils sont percés au centre d'un médaillon
circulaire, destiné à recevoir l'hostie, et décorés ordinairement de figures
qui tiennent des flambeaux ou qui se prosternent dans l'attitude de
l'adoration. Les custodes, qui servaient à porter le viatique et à renfermer
les hosties consacrées, tenaient lieu de nos ciboires modernes. M. Didron
pense qu'on les suspendait au-dessus de l'autel. ENCENSOIRS. — Le plus ancien encensoir qui
nous soit connu est un encensoir roman décrit par M. Didron. Il est composé
de deux sphéroïdes à jour, en cuivre fondu et ciselé, orné d'inscriptions et
de figures d'animaux et de végétaux. Il était dans l'origine suspendu par
trois chaînes, nombre qui signifie, suivant le savant archéologue que nous
venons de citer, l'union du corps, de l'âme et de la divinité dans le Christ.
Durant la période ogivale, les encensoirs représentèrent des édifices
religieux, tels que de petites chapelles circulaires à plusieurs étages.
L'inventaire de Charles V mentionne ung grant
encencier d'or pour la chapelle du roy ouvré à huit chapiteaulx en façon de
maçonnière, et est le pinacle du dit encencier ouvré à huit osteaulx et est
le pié ouvré à jour.
A la Renaissance, l'ornementation figurée fut substituée, dans les
encensoirs, à l'ornementation architecturale, et-ils se rapprochèrent de la
forme qu'ils ont encore aujourd'hui. CHANDELIERS,
CANDÉLABRES, LAMPES.
— Dans les églises comme dans les habitations civiles, on s'éclairait de deux
manières, par des flambeaux, qui reposaient, soit sur le sol, soit sur les
meubles, et par des lampes suspendues. On multipliait, au moment des grandes
solennités, les lampes et les flambeaux, aussi bien dans les offices de jour
que dans les offices de nuit, parce qu'on attachait à cette illumination
plusieurs idées mystiques. Dans les services funèbres, les flambeaux placés
autour des morts signifiaient que le chrétien trouve la lumière au-delà du
tombeau, et de plus ils éloignaient les esprits des ténèbres qui, d'après la
croyance du Moyen Age, venaient assaillir l'âme à la sortie du corps. Les
flambeaux placés sur l'autel offraient au peuple l'image du jour qui brille
dans la Jérusalem céleste, et lui indiquaient, en même temps, qu'il devait se
tourner vers l'autel, c'est-à-dire vers Dieu, pour chercher les clartés les
plus pures et les plus vives. En raison de ces idées, on vit figurer dans les
cérémonies du culte un nombre considérable de candélabres, de lampes, de
chandeliers en cuivre, en argent, en or même, sculptés, ciselés, niellés,
émaillés, reproduisant enfin dans leurs formes diverses, et selon les
époques, toutes les fantaisies de l'art. Solides et ramassés dans la période
romane, élancés comme des flèches ou découpés comme des clochetons dans la
période ogivale, les chandeliers et les candélabres sont décorés
d'inscriptions latines, et suivant les temps, d'animaux fantastiques, de
têtes d'anges, de médaillons d'apôtres, de fleurs et de feuillages. CHASSES ET
RELIQUAIRES. — Dès
les premiers siècles du christianisme, on recueillit avec un grand soin les
restes des fidèles morts en confessant le Christ. Les tombeaux des martyrs
servirent d'autels aux premiers chrétiens ; plus tard, lorsque la foi
nouvelle sortit triomphante des cryptes et des catacombes, on plaça dans les
églises, et à la vue du peuple, comme un exemple et un encouragement, les
restes des hommes éminents en piété ; et puisque ces restes, suivant
l'expression des écrivains ecclésiastiques, avaient été les temples du Dieu
vivant, puisque les âmes qui les avaient animés participaient à la vie
éternelle, on s'efforça de rendre leur dernier asile digne d'une si sainte et
si haute destinée. De plus, le respect se changea rapidement en un véritable
culte. On attribua aux ossements des saints le pouvoir de guérir le corps et
l'âme, de chasser les démons, d'éloigner les pestes et les famines, de
réconcilier les ennemis, de défendre les villes contre les attaques des
barbares, etc. Il résulta de cette croyance, que dans la chrétienté tout
entière on considéra les reliques comme les plus précieux des trésors, et
qu'au lieu de les laisser sous la terre, on les plaça aux endroits les plus
apparents des églises, dans des espèces de petits tombeaux portatifs qui
reçurent le nom de châsses ou reliquaires. Les
châsses se multiplièrent à tel point, que déjà au sixième siècle on disait
que les morts de l'antiquité chrétienne étaient ressuscités. Les métaux les
plus précieux, les pierres les plus fines et les plus rares, furent
prodigués, dès l'origine, dans leur fabrication. L'histoire a conservé le
souvenir des magnifiques travaux exécutés dans ce genre par saint Éloy, et
si, antérieurement au onzième siècle, on ne sait rien de bien précis sur la
forme des châsses, on ne peut du moins garder aucun doute sur leur extrême
richesse. Au
douzième et au treizième siècle, les châsses, déjà si nombreuses, se
multiplièrent encore d'une manière extraordinaire, à cause de la grande
quantité de reliques que les croisés rapportèrent d'Orient. A cette date,
elles sont généralement en forme d'églises ou de tombeaux à couvercle
prismatique, et cette forme est aussi celle qu'elles ont gardée jusques et y
compris la Renaissance, en se modifiant toutefois dans leur style
parallèlement à l'architecture religieuse elle-même. Il faut remarquer cependant,
qu'à dater de 1350 environ, les châsses de ce genre furent réservées pour les
cathédrales, et que, dans les églises et les chapelles, on y substitua des
statuettes de métal, qui portaient, comme indice de leur destination, de
petites châsses à la main. Les
matières premières le plus ordinairement employées dans ces précieux
monuments de la piété du Moyen Age sont le cuivre doré, l'argent, l'or,
l'ivoire, le cristal de roche ; outre les verreries coloriées, les pierres
fines, les émaux et les niellures qui les décorent, les châsses sont encore
enrichies de bas-reliefs et de figures, qui représentent des épisodes de
l'Ancien et du Nouveau Testament, ou les scènes les plus remarquables de la
vie des saints dont elles contiennent les restes. FONTS
BAPTISMAUX, BÉNITIERS.
— Il paraît hors de doute que, dès les premiers temps du christianisme, on
baptisait dans les fleuves et dans les fontaines. Plus tard, le sacrement du
baptême fut administré dans de grandes cuves où les catéchumènes et les
enfants étaient plongés tout nus. Ces cuves dites baptismales se trouvaient,
hors des églises, dans un bâtiment particulier nommé baptistère. Enfin, vers
1300, l'aspersion ayant remplacé l'immersion, on réduisit les fonts de
baptême à des proportions plus petites, et on les plaça, tantôt sur les
parvis, tantôt à l'intérieur des églises dans des chapelles particulières. On
les fit en marbre, en pierre dure, en cuivre étamé. On les décora de sujets
figurés, analogues à leur destination, d'inscriptions et de devises. Il en
fut de même des bénitiers, qui se présentent, tantôt sous la forme d'une
grande coquille, tantôt sous la forme d'un vase à anse. Il en est aussi
quelques-uns, parmi les plus anciens, qui sont tout simplement une lourde
pierre équarrie, au centre de laquelle on a creusé un réservoir. OBJETS DIVERS
D'ORFÈVRERIE RELIGIEUSE.
— Parmi les objets qui méritent encore de fixer l'attention des archéologues,
nous indiquerons les croix, les sonnettes, les crucifix, les bâtons des
chantres, les statuettes votives en métaux précieux. Les croix étaient de
deux espèces : les unes fixes se plaçaient sur les tables d'autel ou au
sommet de l'autel même ; les autres adaptées à une longue hampe (vexilla Regis) étaient portées parles
acolytes, dans les cérémonies religieuses ; on les ornait de figures en reliefs,
d'émaux, de pierres fines ; quelquefois même on y incrustait des reliques. Le
plus souvent, elles étaient de cuivre doré, mais il y en eut aussi en argent,
en or massif. Le nombre de ces dernières était même assez considérable. On
trouve également mentionnés, dans les inventaires ou les historiens
ecclésiastiques, des crucifix d'or ; l'un des plus précieux est celui que
Willigis, archevêque de Mayence dans le onzième siècle, donna à son église :
il pesait six cents livres, et les yeux du Christ étaient faits avec des
pierres fines. Nous mentionnerons seulement pour mémoire les statues, les
bas-reliefs et les tableaux, qui trouvent plus naturellement leur place dans
l'histoire de la sculpture et de la peinture ; nous ferons toutefois
remarquer que les sculpteurs et les peintres, dont la plupart appartenaient
dans l'origine aux ordres monastiques, travaillèrent exclusivement pendant
plusieurs siècles pour l'embellissement des églises, qui sont les véritables
musées du Moyen Age. MENUISERIE ET
SERRURERIE. — Les
bancs, les stalles, les autels, les chaires, les confessionnaux, les lutrins,
les grilles, telles sont, pour la menuiserie et la serrurerie, les œuvres
d'Ameublement dont il nous reste à parler. Ce que nous avons dit plus haut
pour les autels de pierre peut s'appliquer également aux autels de bois ; on
les peignait, on les dorait, on les ornait d'une foule de sujets pieux, et
principalement de statues d'anges en adoration. Les chaires, primitivement
massives et carrées, reposaient sur le pavé des églises et n'en dépassaient
le niveau que de la hauteur de deux ou trois gradins. Plus tard, on les éleva
sur un ou plusieurs pieds, et, vers la fin du quinzième siècle, on les fixa
aux piliers des églises, en les élevant de nouveau à une hauteur plus grande,
et sans autre point de contact avec le sol que l'escalier au moyen duquel on
y montait. A cette date, elles sont en général surmontées d'un dais en bois
et ornées de sculptures très-délicatement travaillées. Les lutrins, les bancs,
les confessionnaux ne donnent lieu à aucune remarque particulière, mais il
n'en est pas de même des stalles, qui peuvent, dans un grand nombre
d'églises, passer à juste titre pour de véritables chefs-d'œuvre ; les plus
belles stalles connues, du treizième siècle à la Renaissance, se trouvent à
Poitiers, à Sainte Justine de Padoue, dans la cathédrale de Milan, dans la
cathédrale d'Ulm, à Auch, à Alby, à Rodez, à Saint-Bertrand de Comminges, à
Saint-Sernin de Toulouse et à Amiens. Les produits de la serrurerie ne sont
pas moins remarquables, et sous ce rapport le Moyen Age ne le cède en aucune
façon à notre temps. Ses œuvres les plus notables sont des grilles de chœur
et de chapelle, et des entourages de tombeaux. Les grilles, exécutées avec
une régularité parfaite, présentent une foule d'ornements imités la plupart
du règne végétal. Solides et légères à la fois, elles forment une sorte de
broderie de métal, qui laisse les yeux saisir librement toutes les
perspectives. Les pentures et les serrures méritent aussi d'être signalées,
et nous citerons en France, comme un véritable modèle dans ce genre, les
ferrures de la porte occidentale de la cathédrale de Paris, qui datent du
treizième siècle. CHARLES LOUANDRE. |