LE culte que tous les grands
esprits de l'antiquité ont, pour ainsi dire, rendu à l'Éloquence ; le
prestige historique qui s'attache au nom des orateurs païens ; les victoires
remportées par les généraux qui savaient parler aux soldats ; l'influence
conquise par les tribuns qui savaient parler à la foule, tout atteste que,
dans le monde antique, ce n'était pas seulement la gloire littéraire, mais,
en quelque sorte, la direction souveraine des affaires d'État, qui
appartenait à l'art de bien dire. Cet art, élevé, comme la
poésie, à son plus haut degré de puissance et de beauté dans les jours
florissants de la Grèce et de Rome, s'abaissa parallèlement à la grandeur
politique des Grecs et des Romains ; et, dans la décadence universelle du
courage, des mœurs et des lois, on vit la rhétorique remplacer l'Éloquence,
le précepte se substituera l'inspiration, comme on vit les versificateurs
remplacer les poètes. A la fin du premier siècle ou dans les premières années
du second siècle de notre ère, l'affaiblissement de l'art oratoire était déjà
signalé dans le traité célèbre : De causis corruptœ Eloquentiœ, et
comme les progrès dans le mal sont toujours rapides, les deux siècles
suivants n'offrent plus que des déclamateurs complètement dénués de talent.
Tout ce qui reste de cette époque se compose de panégyriques et de
remercîments. Flatter les princes, obtenir leurs faveurs, prévenir les
disgrâces, amuser les esprits par les jeux stériles de la phrase et du mot,
tel est le but que semblent se proposer uniquement les rhéteurs de cette
période, tels que Cl. Mamertinus major, Eumène, Nezarius de Bordeaux, Publius
Optatianus Porphyrius, Mamertinus minor, et Latinus Pacatus Drepanius, qui
tous ont vécu entre les années 293 et 380 de l'ère moderne. Les
Gaulois, qui, pour symboliser la puissance de la parole, représentaient
Hercule attachant des hommes aux chaînes d'or qui sortaient de sa bouche ;
les Gaulois, comme les conquérants romains, se plaisaient aux luttes
oratoires, et l'empereur Claude avait institué à Lyon des jeux littéraires,
où les vaincus devaient, sous peine d'être jetés dans le Rhône, effacer avec
leur langue les discours qui n'étaient point couronnés. Juvénal, se plaignant
de ce que l'Éloquence était négligée à Rome, envoya dans les Gaules ou en
Afrique ceux qui voulaient se perfectionner dans cet art. Suivant le même
poète, ce fut la Gaule qui forma les premiers avocats que l'on ait vus dans
la Grande-Bretagne : Gallia causidicos
docuit facunde Britannos. Saint
Jérôme, comme Juvénal, rend un éclatant témoignage aux talents oratoires des
Gaulois ; aussi, voyons-nous que, pour développer ces talents, des écoles
publiques d'Éloquence étaient ouvertes dans les principales villes, telles
que Toulouse, Bordeaux, Marseille, Trêves, Lyon, Besançon, Autun. Le rhéteur
Eumène, qui dirigeait l'école d'Autun, fréquentée au temps de Tibère par
quarante mille étudiants, recevait un traitement annuel de 600.000 sesterces.
Titianus, qui brilla vers le même temps à Lyon et à Besançon, n'était pas
moins bien payé ; et comme il excellait dans les pastiches des grands
maîtres, on l'appelait le singe des
orateurs. Cet
enseignement, tout populaire qu'il fut, ne devait cependant produire rien de
sérieux ni de durable. Une Éloquence nouvelle, inconnue des anciens, parce
que le paganisme, religion essentiellement cérémonielle, ne pouvait
l'inspirer, s'était révélée avec la foi du Christ. Les rhéteurs firent
silence en même temps que les oracles. La chaire catholique s'éleva seule,
passionnée et puissante au milieu des ruines du forum ; et c'est de ce côté
seulement qu'il faut chercher la véritable Éloquence. Pendant de longs
siècles, l'histoire de l'art oratoire, dans la vie civile comme dans la vie
politique, est, pour ainsi dire, une histoire négative ; et cela, pour
plusieurs causes : d'abord, parce que la société, par sa forme même, laissait
rarement aux orateurs l'occasion de se révéler dans de grandes assemblées
publiques ; ensuite, parce que l'on ne s'inquiétait pas de recueillir des
discours qui ne s'adressaient qu'aux intérêts temporels. L'Éloquence
militaire, qui occupe une si grande place dans les historiens de l'antiquité,
occupe à peine quelques lignes dans les historiens des premiers âges de la
monarchie française ; et si l'on s'en rapporte à ce sujet au témoignage de
Grégoire de Tours, on a tout lieu de penser que de son temps les hommes de
guerre étaient plus pressés d'agir que de parler. Que dit, en effet, Clovis à
ses soldats pour les encourager à d'audacieuses conquêtes ? Il leur dit ces
simples mots : Je supporte avec grand chagrin
que les Ariens possèdent une partie des Gaules. Marchons avec l'aide de Dieu,
et, après les avoir vaincus, réduisons le pays en notre pouvoir. Que dit
Mummole aux Saxons qui vont traverser le Rhône pour se rendre dans le royaume
de Sigebert, après avoir tout dévasté sur leur route ? Il leur dit avec la
même simplicité que Clovis : Vous ne passerez
point ce torrent. Voilà que vous avez dépeuplé les pays du roi mon maître,
recueilli les épis, ravagé les troupeaux, livré les mai- sons aux flammes,
abattu les oliviers et les vignes ; vous ne remonterez pas sur ce rivage, que
vous n'ayez d'abord satisfait ceux que vous avez laissés dans la misère. Et si
vous ne le faites, vous n'échapperez pas de mes mains sans avoir senti le
poids de mon épée sur vous, sur vos femmes et sur vos enfants, pour venger
l'injure du roi mon maître. Les
conquérants germains, qui mettaient leur gloire à prendre le langage et à
imiter les mœurs de ceux qu'ils avaient vaincus, en trouvant au sixième
siècle dans les Gaules l'exercice du barreau porté au plus haut degré de
considération n'eurent garde, dit avec raison Fournel dans son excellente Histoire
des Avocats, de contrarier une institution qui offrait l'image d'un
combat en champ clos : Envisageant cette
lutte judiciaire sous ses rapports avec la chevalerie, les plus grands
seigneurs ne dédaignaient pas de descendre dans l'arène pour y partager
l'honneur d'un exercice qui ne leur présentait rien que de glorieux. Ils
furent les premiers à proclamer le ministère d'avocat un ministère noble,
qualification qui lui est restée jusqu'à ce jour ; et on les vit eux-mêmes
accepter et solliciter l'emploi d'avocat ou d'avoué des églises et des
monastères. Or, il ne faut pas croire que le ministère d'avoué d'une église
se réduisît à défendre à main armée les possessions territoriales de
l'Église. La nomination à l'avouerie, en pareil cas, embrassait la défense
dans les tribunaux, à l'instar des autres plaidoiries entre particuliers. Le
haut baron, avoué d'une église, était un avocat dans toute l'acception du
terme, consultant, écrivant, plaidant. C'est ce qui est prouvé par une
quantité de capitulaires, qui exigent que les avoués d'église soient versés
dans la connaissance des lois, qu'ils soient doux et pacifiques, qu'ils
craignent Dieu et qu'ils aiment la justice. L'avocat, est-il dit dans l'un de
ces capitulaires, qui, après s'être chargé d'une-cause, sera convaincu de
cupidité et de mauvaise foi, sera séparé des honnêtes gens et cessera tout
rapport avec les officiers de justice. Tout ce
que nous savons du barreau français durant la période carlovingienne se borne
à quelques articles réglementaires, et aucun monument n'est arrivé jusqu'à
nous. Fournel, après avoir donné les détails que nous venons de rapporter,
ajoute que depuis Charlemagne jusqu'à saint Louis, c'est-à-dire pendant
quatre siècles, le barreau se trouve comme perdu au milieu de l'épaisse
obscurité qui couvre cette époque de notre histoire, ou que du moins on n'y
trouve que quelques faibles traces de son existence. Cette remarque est
parfaitement juste ; mais ce que Fournel ne dit pas, ce que personne même n'a
dit, c'est que cette décadence, ou plutôt cette annihilation du barreau était
la conséquence inévitable de lois barbares ; les accusés, en effet, n'avaient
pas besoin d'avocats, lorsque, pour prouver leur innocence, ils étaient
contraints de se soumettre aux épreuves du feu, du fer chaud ou de l'eau
bouillante ; ceux qui plaidaient n'en avaient pas besoin davantage, quand les
procès se décidaient par le duel ; et, en raison de ces deux faits, nous
pensons que ce n'est pas seulement à la renaissance du droit romain,
considéré uniquement comme science spéculative, mais aussi à l'abolition des
duels et des épreuves judiciaires, qu'il faut attribuer ce qu'on pourrait
appeler la résurrection du barreau. Dans le
cours des dixième et onzième siècles, la France, ainsi que les autres États
de l'Europe, n'offre aucun monument remarquable de l'Éloquence civile. On
faisait lire, il est vrai, dans les écoles Chrysippe. Cicéron, Quintilien, Victorin
le rhéteur ; mais tous les esprits qui se sentaient quelque vigueur
s'appliquaient invariablement à l'Éloquence de la chaire ; on ne peut guère
citer à cette date que Gilbert, évêque d'Évreux, qui fut choisi entre tous
les prélats de la Normandie pour prononcer l'oraison funèbre de
Guillaume-le-Conquérant, et le comte Maurice d'Anjou, frère de Foulques
Nerra, savant jurisconsulte, qui se signala dans une foule de circonstances
par l'habileté avec laquelle il savait, dans les assemblées publiques et dans
les plaids, captiver tous les genres d'auditeurs ; et quœ esset erudita, quœ popularis oratio docebat. Le
grand mouvement politique et intellectuel du douzième siècle dut
nécessairement exercer une certaine influence sur le développement de l'art
oratoire dans ses rapports avec la politique, la jurisprudence et
l'enseignement : l'établissement des communes ; la rédaction des chartes
d'affranchissement, dont le texte était définitivement arrêté dans des
assemblées générales auxquelles assistaient les nobles, les prêtres, les
bourgeois ; l'avènement d'un droit nouveau, les luttes de la liberté
naissante, tout cela donna lieu nécessairement à des discussions vives et
animées ; mais, par malheur, il n'en est resté dans l'histoire aucune trace
écrite. Il en est de même de ce que nous appellerons l'Éloquence
universitaire : un immense succès accueillit à cette époque, dans les écoles
de Paris, l'enseignement philosophique d'Abélard, sa parole émouvante et
pathétique produisit un enthousiasme extraordinaire ; et elle attira de
toutes les parties de la France et même de l'Europe une si grande multitude
d'auditeurs, que les hôtelleries ne
suffisaient plus à les loger ni la terre à les nourrir. Mais la renommée de cette
parole est seule arrivée jusqu'à nous ; el si nous savons par les écrits de
l'amant d'Héloïse ce qu'il valait comme philosophe, comme orateur chrétien,
comme épistolaire, nous ne savons ce qu'il valait comme professeur que par l'admiration
de ses contemporains. Les avocats, à leur tour, ne nous sont connus que par
les satires violentes dont ils sont l'objet. Un des théologiens les plus
éminents de l'Église gallicane au douzième siècle, Pierre le Chantre, leur
reproche de rançonner leurs parties, de négliger la cause de la veuve et de
l'orphelin, d'employer, leurs talents à prolonger les procès, à les
multiplier, à inventer de nouvelles chicanes pour obscurcir la vérité et
empêcher le bon droit de triompher : Ce qui
leur est d'autant plus facile, ajoute-t-il, qu'ils se fondent
sur les lois positives et humaines, lois purement arbitraires et sujettes à
diverses interprétations.
Un autre théologien du même temps n'est pas moins sévère : L'avarice, dit Pierre de Blois, est leur unique mobile. Ce
nom si respectable autrefois, cette profession si glorieuse, sont
présentement avilis par une insigne vénalité. L'avocat aujourd'hui ne rougit
pas de mettre à prix son Éloquence. Il achète les procès, fait dissoudre les
mariages les plus légitimes, met la discorde entre les amis, fait revivre les
contestations assoupies, rompt les accords, se joue des transactions, abolit
les privilèges ; et habile à tendre des pièges pour attraper de l'argent, il
intervertit et dénature les droits les mieux établis, etc. Pierre
de Blois, comme Pierre le Chantre, jugeant exclusivement les choses en
casuiste, ne prend aucun souci de la manière dont plaidaient les avocats de
son temps. Il ne s'inquiète point de leur parole, mais seulement de
l'influence qu'ils exercent autour d'eux ; et, par la critique même qu'il en
fait, il nous autorise à conclure que les avocats du douzième siècle, pour
arriver à de pareils résultats, quelque fâcheux qu'ils fussent, devaient
nécessairement apporter dans les affaires comme jurisconsultes une certaine
habileté, et comme parleurs une certaine faconde. Sagement
réformateur, Louis IX essaya de mettre un terme aux abus signalés par les
théologiens : les juifs, les hérétiques, les excommuniés furent exclus du
barreau, ainsi que les catholiques décriés pour leurs mœurs ou frappés par
des condamnations infamantes ; le saint roi règle, en même temps, la police
des plaidoiries ; il ordonne aux avocats d'exposer les causes avec le plus de
clarté et de brièveté possible, sans paroles inutiles, sans redites et sans
répétitions ; de ne se charger que d'affaires loyales ; d'user de modération
et de courtoisie envers leurs adversaires, sans laisser échapper rien
d'injurieux, soit dans les paroles, soit dans les gestes, comme on le voit
par ces mots d'une ordonnance de 1270 : Et
toutes les resons à destruire la partie adverse, si doit dire courtoisement,
sans vilenie dire de la bouche, ne en fait ne en geste. Tout avocat qui dans sa
plaidoirie alléguait un fait faux en le connaissant comme tel, ou qui
dénaturait par une citation infidèle les règlements et les coutumes, s'exposait
à la peine de l'interdiction, quelquefois même à la perte de son titre. Cette
discipline sévère, dont la tradition s'est en quelques points perpétuée
jusqu'à nos jours, rendit un certain éclat au barreau français, et parmi les
membres de ce barreau qui se signalèrent particulièrement au treizième siècle
on cite Pierre de Fontaines, qui travailla à la rédaction des Etablissements
et de la Pragmatique ; Gui Foucaud ou Foulques, qui, après avoir plaidé avec
un grand talent, entra dans les ordres, et finit par occuper le Saint-Siège
sous le nom de Clément IV ; Philippe de Beaumanoir, bailli de Clermont en
Beauvoisis, et Yves, qui, né aux environs de Rennes d'une famille noble, vint
se fixer à Paris, où il acquit une grande réputation par son Éloquence et ses
vertus, qui le firent placer par l'Église au nombre des saints et adopter par
les avocats pour leur patron. Du reste, tout en rappelant le nom de ces
hommes vraiment distingués, nous ferons remarquer qu'ils doivent leur
célébrité à leur science comme jurisconsultes plutôt qu'à leurs talents comme
orateurs : car, ainsi que l'a dit justement M. Daunou dans un remarquable
tableau du treizième siècle, l'empire de la
scolastique s'étendit sur toutes les productions en prose, à l'exception tout
au plus de l'histoire et des romans ; l'étude de la jurisprudence
ecclésiastique et civile s'était renouvelée sans ramener l'Éloquence. A
l'exemple des professeurs dont ils avaient suivi les leçons, les avocats
discouraient sans grâce et sans véritable méthode. Depuis
les ordonnances de saint Louis, qui furent rigoureusement maintenues par ses
successeurs, les institutions judiciaires ne firent que gagner en force et en
puissance. L'importance de la profession d'avocat grandit dans une proportion
égale. Pierre de Cugnières, Jean Lefèvre, Guillaume Dubreuil, Pierre de
Belleperche, Raoul de Presles, Arnaud de Corbie, Regnault d'Acy, Jean de
Dormans, Jean Desmarets, Jean d'Orléans, François Bertrandi, Jean de Méheyé,
Pierre Dupuiset, exercèrent sur les affaires publiques du quatorzième siècle
une très-grande influence. Jean de Méheyé, dans le célèbre procès
d'Enguerrand de Marigny, remplit l'office de procureur du roi devant la
commission du bois de Vincennes ; il commença son discours par ce texte : Non nobis, Domine, non nobis, sed nomini luo da gloriam ; voulant faire entendre par là
qu'en soutenant l'accusation il ne voulait point servir une haine
personnelle, mais seulement assurer le triomphe des droits de la royauté.
François Bertrandi fut choisi en 1329 par le clergé pour défendre les
juridictions ecclésiastiques contre les prétentions de la noblesse, et il
plaida cette cause avec tant de chaleur que la cour de Rome le récompensa par
le chapeau de cardinal. Pierre de Cugnières, de son côté, plaida en présence du
roi pour l'ordre de la noblesse, et, afin de se venger des sarcasmes dont il
fut l'objet de la part du clergé, il porta un coup terrible à l'autorité
temporelle des évêques par l'introduction de l'appel comme d'abus. En se
mêlant ainsi aux grandes questions qui agitaient la société, les avocats
devaient nécessairement exciter par leur parole une vive curiosité ; et cette
curiosité ne leur fit pas défaut : La lutte
des orateurs du barreau,
dit Fournel, était un spectacle intéressant
dans un temps où il n'y en avait pas d'autres. L'auditoire était le foyer
d'une nombreuse affluence des personnes les plus distinguées. Les seigneurs
abandonnaient leurs châteaux et leurs chasses pour écouter les plaids. Le
public se passionnait et prenait parti pour tel ou tel orateur. L'avocat ne
devait rien offrir aux regards du public, qui rabaissât l'importance de sa
cause ; et lorsque l'orateur lançait au milieu du parquet le gant du combat,
il fallait que la noblesse de sa personne fût en harmonie avec celle de
l'action. Cette considération était si puissante qu'elle fit la matière d'un
chapitre particulier dans le style du parlement : Que l'avocat au parlement
soit doué (l'une prestance imposante ; que sa physionomie soit ouverte, franche,
affable et débonnaire ; qu'il n'affecte pas, dans l'habitude de sa personne,
une assurance présomptueuse ; que sa pose devant les magistrats soit décente
et respectueuse ; qu'il évite les grands éclats d'une voix glapissante ;
qu'il sache régler ses intonations, de manière à les tenir à une égale
distance du grave et de l'aigu ; que sa voix soit pleine et sonore ; qu'en
déclamant il s'attache à une exacte prononciation ; qu'il ait soin de tenir
son style en harmonie avec le sujet qu'il traite, et qu'il évite le ridicule
de mettre l'emphase oratoire à des objets de modique importance ; que les
mouvements soient combinés et appropriés au discours, en évitant avec soin
une gesticulation désordonnée et triviale. Les
avocats, que l'on trouve toujours au premier rang dans les époques agitées,
se mêlent très-activement à la politique durant les sanglantes querelles des
Bourguignons et des Armagnacs ; et, dans ces temps de troubles et de
désordres, on voit naître un genre nouveau qu'on peut appeler le plaidoyer
politique. Du reste, ce ne sont point seulement les gens du barreau qui
descendent alors dans l'arène des partis ; on y rencontre aussi des membres
du clergé aux prises avec des avocats. C'est ce qui arriva en 1408 lorsque le
duc de Bourgogne, Jean-sans-Peur, après avoir fait assassiner le duc
d'Orléans, convoqua, le 8 mars de cette même année, une assemblée générale
dans son hôtel de Saint-Pol, pour présenter la justification du meurtre qu'il
venait de commettre. Le discours prononcé en cette circonstance par le
cordelier Jean Petit est resté célèbre dans l'histoire, et le texte en a été
conservé comme pour témoigner de l'égarement des passions politiques et de
l'abaissement de l'art oratoire quand il est au service d'une mauvaise cause.
Après avoir fait dans son exorde un pompeux éloge du duc de Bourgogne, Jean
Petit explique les motifs qui l'ont déterminé à se charger de la
justification de ce prince. Le premier de ces motifs, dit-il, est que je suis obligé à le servir par serment à lui fait
il y a trois ans passés ; le deuxième que lui, regardant que j'étois très
petitement bénéficié, m'a donné chacun an bonne et grande pension pour moi
aider à tenir aux écoles : de laquelle pension j'ai trouvé une grand' partie de
mes dépens et trouverai encore, s'il lui plaît de sa grâce. Mais quand je
considère la très grand' matière dont j'ai à parler et la grandeur des
personnes dont il me conviendra et faudra toucher en si très noble et
solennelle compagnie, je me regarde et me trouve de petit sens, pauvre de
mémoire et foible d'engin, et très mal orné de langage ; un très grand' peur
me fiert au cœur, voire si grand' que mon engin et ma mémoire s'enfuit, et ce
peu de sens que je cuidois avoir m'a jà du tout laissé, si n'y vois autre
remède, fors de moi recommander à Dieu, mon Créateur et rédempteur, à sa très
glorieuse Mère, à monseigneur saint Jean l'évangéliste, le maître et prince
des théologiens, qu'ils me veuillent enseigner, conduire et garder de mal
faire et de mal dire, en ensuivant le conseil de monseigneur saint Augustin. L'orateur
établit ensuite la division de son discours, qui comprend une majeure en
quatre parties, prouvant : 1° que la convoitise est la source de tous les
maux ; 2° qu'elle fait des apostats ; 3° qu'elle fait des sujets déloyaux et
infidèles à leur prince ; 4° qu'il est licite à chacun de tuer les apostats,
les traîtres et les sujets déloyaux. Ce quatrième point, composé de huit
vérités principales, de huit corollaires et de douze syllogismes en l'honneur
des douze apôtres, forme comme le point capital de tout le discours, et l'on
devine à combien de subtilités, à combien d'hérésies historiques et théologiques,
Jean Petit est obligé de recourir pour démontrer non-seulement l'innocence,
mais même le mérite de l'assassinat. Lucifer, Absalon, saint Thomas, Athalie,
Boccace, sont invoqués pêle-mêle à l'appui de ces abominables doctrines.
Après avoir ainsi établi sa majeure, Jean Petit, dans sa mineure, applique
les diverses propositions, qu'il vient de soutenir, à l'événement particulier
qui fait l'objet de son discours. Il démontre à sa manière que le duc
d'Orléans était tombé dans le péché de convoitise, en voulant s'emparer de la
couronne de France ; qu'il était apostat, traître, sujet infidèle, coupable
de crime de lèse-majesté, et qu'en le tuant, on avait fait une action
méritoire. Il termine en ces termes : Ainsi, d'après ce que j'ai
déclaré, il appert que ledit duc d'Orléans a commis le crime de lèse-majesté,
non pas seulement au quatrième degré, mais aux troisième, second et premier,
pour parvenir à sa mauvaise et damnable intention. Et par ma mineure, jointe
à ma susdite majeure, s'ensuit clairement et en bonne conséquence, que mondit
seigneur de Bourgogne ne doit être en rien blâmé ou repris de ce qui est
advenu en la personne dudit criminel duc d'Orléans ; que le roi notre sire,
non seulement ne doit pas être mécontent, mais doit avoir mondit seigneur de
Bourgogne, ainsi que son action, pour agréable, et l'autoriser en tant que de
besoin. De plus, il doit le récompenser et rémunérer en trois choses, savoir
: en amour, honneur et richesse, à l'exemple des rémunérations qui furent
faites à monseigneur saint Michel l'archange et au vaillant homme Phinées.
J'entends en mon gros et rude entendement, que notre sire doit plus
qu'auparavant faire prononcer et publier sa loyauté et bonne renommée, en
tout le royaume et hors du royaume, par manière de lettres patentes ou
autrement. Dieu veuille que cela soit ainsi fait et que son nom soit béni
dans tous les siècles ! Amen. Le
discours de maître Jean Petit eut un très-grand succès ; et, pour satisfaire
la curiosité publique, qui s'en préoccupait vivement, l'orateur le répéta le
lendemain, du haut d'une tribune que l'on avait dressée sur le parvis
Notre-Dame. La duchesse d'Orléans, de son côté, voulant venger son mari,
obtint de faire répondre, par l'avocat Cousinot, à l'apologiste du duc de
Bourgogne. Cousinot prit pour texte ces mots de l'Écriture : Hœc vidua erat, quam cum vidisset, Dominus misericordia
commolus est super eam.
Le défenseur de la duchesse, dans sa réplique, trouva souvent une véritable
émotion ; et, après avoir rappelé la malédiction qu'attire sur les méchants
cette voix du sang qu'ils ont versé et qui monte de la terre vers Dieu, il
s'écrie, en s'adressant au roi de France : La
voix du sang de ton frère, c'est la voix de la dame d'Orléans et de ses fils,
criant et requérant à toi justice. Hélas, sire roi, pour qui voudrais-tu
faire justice si tu ne la faisais pour l'amour de ton frère ? Si tu n’as été
ami à ton sang, à qui seras-tu ami ? Donc, attendu qu'on ne te demande fors
justice, oh ! très noble prince, considère que ton frère germain à toi est
ôté, dorénavant tu n'auras point de frère ; car partie adverse a occis ton
seul frère cruellement et ôté de toi. Aie considération qu'il aimait très
parfaitement la reine de France et tes enfants. Le roi de France resta sourd à ce cri de la
pitié, et le duc de Bourgogne fut absous par lettres patentes. Quelques
années plus tard, un procès plus tristement célèbre encore vint révéler une
Éloquence nouvelle, non plus celle des clercs et des avocats, toute hérissée
de citations hébraïques, grecques et latines, mais la simple et forte
Éloquence de l'héroïsme et du malheur : nous avons nommé Jeanne d'Arc. Dans
ce procès, où il n'y avait qu'une victime et des bourreaux, les formes
ordinaires de la justice furent complètement méconnues. La défense fut
enfermée dans les interrogatoires ; mais jamais paroles plus touchantes ne
tombèrent d'une lèvre innocente et pure. Les docteurs, endurcis dans les
sophismes de l'école, restèrent souvent confondus, et la noble fille pouvait
dire encore à ses geôliers, comme aux bourgeois qui s'agenouillaient devant
elle dans ses jours de triomphe : N'ayez
crainte, je ne m'envolerai pas ; je ne suis pas un ange ! Cette défense, dans laquelle
éclatent avec une puissance sans pareille les plus hautes inspirations d'un
grand cœur et d'une grande raison, est un phénomène au milieu du Moyen Age,
comme Jeanne elle-même est un phénomène dans l'histoire. Cependant, déjà,
dans le procès des Templiers, leur grand maître, Jacques Molay, avait montré
combien une parole simple, qui s'inspire uniquement de la conscience et du
bon droit, est supérieure à celle qui n'a pour stimulant que les ardeurs de
la chicane, et qui s'adresse au pédantisme de l'esprit, au lieu de s'adresser
aux instincts généreux du cœur. Jacques Molay songeait moins à lui-même qu'à
ses frères d'armes et il exprima en termes formels ce noble sentiment, dans
son exorde : Il serait injuste que l'Église
mit tant de précipitation à exiger la défense de l'Ordre, lorsque la sentence
relative à l'empereur Frédéric a été suspendue pendant trente-deux ans. Je
n'ai pas assez de lumières ni assez de talent pour défendre l'Ordre ;
cependant je le ferai selon mes faibles moyens. Ne serais-je pas vil et méprisable,
à mes yeux et aux yeux des autres, si j'abandonnais la défense d'un Ordre qui
m'a procuré tant de précieux avantages ? Cette défense, du reste, était inutile, et ici,
comme dans le procès de Jeanne d'Arc, il n'y avait que des victimes et des
bourreaux. A côté
des accusés qui se montrent parfois des orateurs véritables, les avocats
restent toujours des parleurs plus ou moins diffus. En 1446, une ordonnance
royale leur enjoint d'estre briefz le plus
que faire se pourra,
sous peine d'amende arbitraire, selon l'exigence des cas, tellement que ce soit exemple à tous. Cette ordonnance est
renouvelée en 1454 ; et pour ce, ajoute l'édit royal, qu'ils ont accoutumé dire plusieurs injures et opprobres
de leurs parties adverses, et qui ne servent de rien en leur cas, ce qui est
contre toute raison et contre toute bonne observance et de grande esclande de
justice, leur défendons, sur peine de privation de postuler et d'amende
arbitraire, de procéder désormais par paroles injurieuses et contumélieuses à
l'encontre de leurs parties adverses. L'habitude
et l'ignorance étant plus fortes que les lois, les avocats, malgré la
sévérité des peines, n'en continuèrent pas moins, durant tout le quinzième
siècle, à parler longuement et à s'injurier ; et tous ceux qui se
distinguèrent à cette époque, tels que Saint-Romain, Jacques Maréchal, de la
Vacquerie, Antoine Duprat, Nicole Bataille, furent plutôt des jurisconsultes
que des orateurs. Au
seizième siècle, la Renaissance classique ne laissa pas que d'influer sur le
barreau ; mais l'Éloquence judiciaire, dans ses progrès, ne marcha point du
même pas que les autres branches de la littérature. Cependant, vers 1550, on
vit paraître un genre nouveau, qu'on peut appeler la harangue parlementaire.
Ces harangues avaient lieu deux fois l'an, et elles étaient ordinairement
prononcées par les avocats du roi. Étienne Pasquier, qui nous a transmis de
curieux détails à ce sujet, nous apprend que le premier discours de ce genre
date de 1550. En 1557, Baptiste Dumesnil, qui, suivant l'expression de
Pasquier, y apportait de la façon, parla une demi-matinée sur Asconius
Gedianus. L'année suivante, ce fut le tour de Guy du Faur de Pibrac. Brisson,
Jacques Faye, le célèbre historien de Thou, se signalèrent également dans ces
solennités parlementaires. En 1586, Despeisse fit une harangue à l'antique
sur l'Éloquence. L'année précédente, Jacques Mangot avait parlé pendant trois
heures continues ; mais, dit Pasquier, rien ne lui était plus facile, et il étoit aussi frais, au sortir de là, qu'au
commencement. Ces
harangues furent imprimées pour la plupart, et l'on trouvait qu'elles étaient
encore plus belles à lire qu'elles n'avoient
esté à prononcer.
Dumoulin, Séguier, les premiers des Lamoignon, Lemaître, de Thou, Poyet,
Cujas, Chopin, Brisson, Bodin, Ayrault, Loiseau, Pithou, Loisel, on l'a dit
avec raison, se placent, dans notre barreau, dont ils sont l'éternel honneur,
à côté de tout ce qu'il y a de plus grave et de plus illustre dans
l'histoire. Si les monuments qui nous sont restés de l'Éloquence de ces
hommes éminents laissent à désirer sous le rapport de l'art, du moins, et
cela vaut mieux que la rhétorique, comme sentiment, comme logique, comme
science, ils sont souvent dignes de toute notre admiration. Il y a là une
tradition constante d'honneur et de vertu qui ne se dément jamais, depuis
Jean de la Vacquerie, qui répondait aux menaces de Louis XI par ces belles
paroles : Sire, nous venons mettre nos
charges en vos mains et souffrir tout ce qu'il vous plaira, plutôt que
d'offenser nos consciences,
jusqu'au chancelier Olivier, qui, dans la séance tenue au parlement de Rouen,
le 8 octobre 1550, disait aux magistrats normands, en leur montrant un christ
donné par Louis XII : En somme, messieurs,
souvienne-vous toujours, en la function de vos charges, que Celluy qui ne
peust estre déceu est au milieu de vous, auquel vous rendrez compte de tous
vos jugements, et duquel la main est inévitable, encore que icy vous eussiez
évité la main du roy et de la justice. Vers
l'époque à laquelle nous sommes parvenus, comme dans les âges précédents, c'est
encore parmi les accusés qu'il faut chercher l'inspiration la plus haute. Le
triste et odieux procès d'Anne Dubourg en offre un nouvel exemple. Membre du
parlement de Paris, Dubourg avait manifesté ses sympathies pour les doctrines
de Calvin, et dans un discours prononcé le 10 juin 1559, il s'était prononcé
pour l'indulgence à l'égard des partisans de la réforme. C'était là, au
milieu des violentes passions religieuses qui agitaient la société, un crime
irrémissible. On instruisit son procès, et le 21 décembre 1559, il fut
condamné à être brûlé vif. On lui reprochait entre autres griefs d'avoir, en
commandant la tolérance, désobéi au roi de France, qui commandait la rigueur.
Dubourg, après avoir réfuté dans un discours magnifique les principales
accusations dirigées contre lui, s'écrie : Est-ce désobéissance et
desloyauté à son prince et seigneur, que de lui bailler ce qu'il nous
demande, voyre jusques à nos chemises, s'il avoit besoin en cela de nous !
Est-ce désobéissance à nostre roy, que de prier Dieu pour sa prospérité, que
son règne soit gouverné en paix, et que toutes superstitions soient bannies
de son royaume ? De requérir à Dieu qu'il le remplisse, et tous ceux qui sont
sous lui nos supérieurs, de sa connaissance, en toute prudence et
intelligence spirituelle, afin qu'ils cheminent dignement au Seigneur et lui
soient agréables ? N'estimera-t-on point plustost estre obéissance : de
deshonorer Dieu, le courroucer par tant de manières d'impiétés, endurer que
l'on transfère sa gloire aux créatures, et au reste nous accommoder aux inventions
des hommes qui ne sont que mensonge ? Dubourg, résigné à mourir et fort de sa
conscience, termine sa défense par ces phrases : Je suis chrétien ! Que tardé-je ! Happe-moi, bourreau,
mène-moi au gibet !
Ces derniers mots furent seuls écoutés. Au
Moyen Age et à la Renaissance, c'est parmi les victimes qu'il faut, dans les
fastes du barreau, chercher des orateurs ; et l'on peut répéter, après
Guillaume Duvair, que l'Éloquence, qui s'apprenait dans l'école, est demeurée si belle qu'il n'y a rien à en dire. Complètement stérile dans les
harangues que la vieille Université adressait aux rois, plus stérile et plus
ridicule encore dans celles que débitaient à l'entrée des princes les
magistrats des villes, la parole humaine ne se révèle avec un certain éclat
que dans les luttes de la vie politique. Quoique des questions
très-importantes aient souvent été débattues dans les échevinages, aucun
monument notable de ce qu'on pourrait appeler l'Éloquence municipale n'est
arrivé jusqu'à nous ; car, sur les registres où sont consignées les
délibérations des communes, on ne trouve dans les procès-verbaux que le
simple exposé des faits et la formule même des décisions. La partie polémique
et délibérative est toujours fort sèchement analysée, et les discours ne sont
jamais reproduits textuellement. Il n'en est pas de même des états généraux,
et dans ces réunions solennelles, où se débattaient, à côté de la question
des impôts, d'importants problèmes d'économie sociale, l'art oratoire eut
plus d'une fois occasion de paraître avec éclat ; si d'ordinaire les trois
ordres délibéraient séparément et à huis clos sur la rédaction de ces cahiers
célèbres, qui, sous le titre de plaintes, doléances, remontrances,
étaient destinés à être mis sous les yeux du roi, on s'écartait cependant
quelquefois de ce mode de délibération, pour discuter comme aujourd'hui du
haut de la tribune les questions à l'ordre
du jour. La
plupart des cahiers rédigés par les états au treizième et au quatorzième
siècle sont arrivés jusqu'à nous, mais pour la partie oratoire et
délibérative les documents sont beaucoup plus rares ; et, comme cette partie
est la seule qui doit nous occuper ici, nous arriverons de suite aux états
qui, au point de vue de notre sujet, nous intéressent le plus directement,
c'est à-dire à ceux qui furent tenus à Tours du 15 janvier au 14 mars 1484.
Il s'agissait de régler la minorité du fils de Louis XI et les attributions
du conseil de régence. Imbus de l'esprit despotique du règne mémorable qui
venait de finir, les membres de la famille régnante donnèrent à entendre que
ce n'étaient ni des leçons, ni des ordres, qu'ils demandaient aux états, mais
un simple avis dont ils se réservaient d'apprécier la valeur. Quelques
députés protestèrent contre cette prétention, et il s'engagea une polémique
dans laquelle furent discutés les plus hauts problèmes politiques. Philippe
Pol, seigneur de la Roche, qui représentait la noblesse bourguignonne, et
qu'on appelait le père de la pairie à cause de ses vertus, et bouche de
Cicéron à cause de son Éloquence, se jette au plus fort de cette mêlée
oratoire, et prononce en latin un discours où éclatent avec une verve
singulière des pensées dont les révolutions modernes elles-mêmes n'ont point
dépassé la hardiesse. La royauté, dit l'orateur, est une charge et non une chose héréditaire, et elle ne doit
pas toujours passer, comme les biens d'un héritage, aux tuteurs naturels, qui
sont les plus proches parents. Mais, dira-t-on, l'État, privé de tout chef,
doit-il rester exposé au hasard et au désordre ? Non ! car le soin de son
salut sera remis à l'assemblée des états, non pas pour qu'elle gouverne par
elle-même, mais pour qu'elle choisisse des gens capables de gouverner Dans
l'origine, le suffrage du peuple, qui était le maître, créa les rois, et le
peuple adopta de préférence les plus vertueux et les plus habiles ; chaque nation,
en élisant un roi, a agi d'après son intérêt et cherché son avantage ; car
les princes sont princes, non pour exploiter le peuple et s'enrichir à ses
dépens, mais pour le rendre lui-même plus riche et rendre sa condition
meilleure. Ceux qui n'agissent pas ainsi sont des tyrans et d'indignes pasteurs,
parce qu'ils mangent leurs brebis, et que c'est là le fait des loups et non des
pasteurs. L'État, vous l'avez lu souvent, est la chose du peuple. Comment
alors pourrait-il négliger ce qui est sien ? Comment les flatteurs
peuvent-ils s'abuser au point d'attribuer l'omnipotence au prince, qui
n'existe que par le peuple ? A Rome, tous les magistrats n'étaient-ils point
électifs ? Pouvait-on promulguer une loi, quand le peuple ne l'avait point
approuvée ?... Je désire que vous soyez bien convaincus que la chose
publique n'est que la chose du peuple ; que c'est lui qui l'a confiée aux
rois ; que, quant à ceux qui l'ont possédée de toute autre manière, sans
avoir eu le consentement du peuple, ils n'ont pu être réputés que des tyrans
et des usurpateurs du bien d'autrui. Il est aussi évident que notre roi ne
peut point gouverner la chose publique par lui-même ; il est donc nécessaire
qu'il la conduise par les soins et le ministère d'autrui. Mais la chose du
peuple dans un tel cas ne doit point revenir, ou à quelques-uns des princes
en particulier, ou à plusieurs : elle appartient à tous. C'est
au peuple qui l'a donnée, que la chose du peuple doit revenir, pour qu'il la reprenne
comme étant sienne, d'autant plus qu'une longue suspension du gouvernement ou
une mauvaise administration occasionnent toujours la ruine du peuple. Or,
j'appelle peuple, non point la populace ou seulement les sujets du royaume,
mais les hommes de tous les états ; aussi, sous le nom d'états généraux,
j'entends que les princes eux-mêmes sont compris, et que, entre tous ceux qui
habitent le royaume, aucun n'est exclu de ce titre. En effet, personne ne
nie, je pense, que les princes sont compris dans la noblesse, dont ils sont
seulement les membres les plus distingués. A côté
de Philippe Pot, qui pose en quelque sorte dans le discours dont nous venons
de donner des extraits la base du principe de la souveraineté du peuple, on
remarque encore, parmi les orateurs des états de 1484, Jean Cardies, qui
dressa contre la politique de Louis XI un violent réquisitoire. Placée sur la
limite indécise encore du Moyen Age et de la société nouvelle, cette réunion
de Tours, une des plus célèbres de notre histoire, semble mettre aux prises
les idées de l'avenir et celle du passé ; tandis que les uns invoquaient le
droit populaire comme source de tout pouvoir politique, les autres
invoquaient encore, comme un droit seulement, les privilèges de la noblesse,
et un des députés s'écrie, au nom des immunités féodales : Nous demandons, redoutable seigneur, moi et les nobles qui
sont avec moi, lorsque tant de raisons puissantes, l'ordre de la nature et la
coutume la plus enracinée nous apprennent que le devoir du peuple est de
payer l'impôt ; nous demandons que vous lui ordonniez de payer encore et de
payer seul. Les
états généraux ainsi que les états provinciaux et les assemblées de notables
s'ouvraient ordinairement par un discours de quelque haut dignitaire. Voici
un fragment de celui qui fut prononcé en 1484, par le grand chancelier : Le roi a voulu vous voir, vous ses sujets, qu'il aime et
de qui il est aimé, vous connaître personnellement et se montrer à tous vos
yeux, afin que l'union et la fermeté de votre amour réciproque s'accrût, et
qu'il eût une preuve évidente de son extrême affection à vos personnes. Ce
motif, même unique, semblait justement suffire pour vous engager à venir vers
lui sans être appelés. Nous lisons que Pythagore et Platon quittèrent leur pays,
et entreprirent aussi de longs et pénibles voyages, dans le but de contempler
quelques hommes, simples particuliers, qu'ils ne connaissaient que de
réputation. Mais combien mieux vous convenait il de subir la fatigue
de la route que vous avez parcourue, vous qui venez, non des contrées
étrangères, mais de tous les côtés du royaume, pour visiter, non un simple
particulier, mais un roi ; non un roi étranger, mais le vôtre ; et celui en
qui seul résident le salut et la gloire de l'État, votre salut et votre
gloire, celui qui, sans contredit, est le plus digne comme le plus puissant
de tous les rois ! Considérez donc avec joie son visage. De quelle beauté, de
quelle sérénité il offre l'image éclatante ! Ici, c'est encore un courtisan qui parler c'est un
bel esprit qui cherche l'effet de la phrase, et pour juger de la distance qui sépare
le rhéteur de l'homme politique, et le fonctionnaire qui accomplit une
obligation de sa charge du citoyen qui se dévoue aux intérêts de son pays, il
suffit de rapprocher la harangue, dont nous venons de rapporter un fragment,
de celle que le chancelier de l'Hôpital prononça dans une solennité pareille.
L'Hôpital, dit M. Villemain, se
hâta d'ouvrir l'assemblée par un discours plein de force et de simplicité ;
il parla des états comme d'une institution utile à la monarchie. Après avoir rappelé l'antiquité
de cet usage, interrompu depuis quatre-vingts ans, il combat en peu de mots
l'opinion de ceux qui ne croyaient pas utile et profitable aux rois de
consulter ainsi leurs sujets : II Il n'est, dit-il, acte tant digne d'un roi,
et tant propre à lui, que de tenir les états, que de donner audience générale
à ses sujets et faire justice à chacun. Ensuite, le chancelier expose les
maux du royaume, les dangers de l'esprit de secte, la nécessité de combattre
par la sagesse et la réforme des mœurs plutôt que par les supplices. Nous
avons fait, dit-il, comme les mauvais capitaines qui vont assaillir le fort
de leurs ennemis avec toutes leurs forces, laissant dépourvus et dénués leurs
logis ; il nous faut maintenant, garnis de vertus et de bonnes mœurs, les
assaillir avec les armes de la charité, avec prières, persuasion, paroles de
Dieu, qui sont propres à tels combats. Puis, il ajoutait : Otons les mots diaboliques, noms de partis et de
séditions, luthériens, huguenots, papistes ; ne changeons le nom de chrétiens. Les
rois, dans plusieurs circonstances, présidèrent en personne à l'ouverture des
états. L'histoire a conservé le souvenir des discours prononcés à Blois, en
1576 et en 1588, par Henri III, qui se
plaisoit, dit
Mézerai, aux grandes assemblées et aux
actions d'apparat, où il se trouvoit que sa harangue estoit toujours la plus
belle, et que mesme les réponses qu'il faisoit sans préméditation aux députez
et aux ambassadeurs valoient mieux que leurs pièces préparées avec beaucoup
d'art et de peine. Dans
l'assemblée de Blois, Henri, après avoir dit qu'on ne reconnaissait plus en
France cet attachement pour la religion, cette union entre les sujets, cet
amour et ce respect pour le prince, qu'on y admirait autrefois et dont il
restait à peine le moindre vestige, ajouta : qu'à
la vue de cette corruption générale, il ne pouvoit s'empêcher de déplorer son
sort, surtout lorsqu'il comparoit son règne avec ces heureux temps des rois
son père et son aïeul ; qu'alors toutes ces vertus sembloient être propres
aux François ; qu'aujourd'hui, au contraire, elles étoient éteintes dans tous
les cœurs... que ce qui le touchoit davantage, c'est que le peuple,
toujours aveugle...
impute ordinairement aux princes la cause de
tous ses malheurs, et à l'injustice de les rendre responsables de tous les
événements ; que cependant le témoignage de sa conscience suffisoit pour le
rassurer au milieu de tant de sujets de larmes... que le ciel
n'avoit pas permis que ses bonnes intentions réussissent ; qu'il avoit été
forcé, malgré lui, d'en venir aux dernières extrémités... qu'au lieu de soulager ses sujets, comme il lauroit
souhaité, il s'étoit vu obligé de les charger de nouveaux impôts ; que
c'étoit là la cause principale de ses chagrins, et qu'il avoit souhaité
souvent mourir plutôt à la fleur de son âge, que de se voir obligé d'être
témoin, sous son règne, des mêmes malheurs qui avoient affligé le royaume
sous celui du roi son frère... Il termina en disant : qu'il
prioit tous ses sujets, en général et en particulier, par l'attachement que
Dieu leur commandoit d'avoir pour leur prince, par l'amour qu'ils devoient
avoir pour leur patrie, d'oublier leurs intérêts, de faire trêve à leurs
ressentiments et de réunir tous ensemble leurs soins et leurs affections,
pour travailler, conjointement avec lui, à trouver les moyens les plus
propres de rendre à l'État cette paix si utile et si nécessaire, d'éteindre
jusqu'aux moindres semences des guerres civiles et de la discorde. Cette
belle harangue, dit Mézerai, prononcée par la bouche d'un roi, avec une
action vraiment royale et une grâce merveilleuse, fut reçue de toute
l'assistance avec un applaudissement général. Le même succès accueillit Henri
III aux états de 1588 ; et un des députés des étals, qui l'avait entendu, dit
que la harangue de ce prince, la plus belle
et la plus docte qui fût jamais ouye, n'était pas d'un roi mais d'un des meilleurs orateurs du monde ; et à ce brillant éloge il
ajoute ces mots : Et eut le roy telle grâce,
telle assurance, telle gravité et douceur à la prononcer, qu'il tira des
larmes des yeux à plusieurs, du nombre desquels je ne me veux exempter. Bayle, méfiant en toutes
choses, se montre disposé, après de Thou, à croire que Henri III ne composait
point ses harangues lui-même ; mais il ajoute que cela n'empêcherait pas
qu'il dût passer pour très-éloquent, vu la
manière dont il haranguait. Henri IV, avec moins de prétention au bel esprit, ne parlait
pas moins bien dans les assemblées publiques ; il avait, de plus, le mérite
de parler sincèrement, témoin le discours qu'il prononça dans la réunion des
notables de Rouen en 1596 : Je ne vous ai
point appelés,
dit-il aux notables, comme faisoient mes
prédécesseurs, pour vous faire approuver mes volontés. Je vous ai assemblés
pour recevoir vos conseils, pour les croire, pour les suivre, pour me mettre
en tutelle en vos mains, envie qui ne prend guère aux rois, aux têtes grises,
aux victorieux. Les
divers fragments que nous venons de citer constituent, dans l'Éloquence
politique, ce qu'on peut nommer le genre officiel et administratif. Le genre
populaire y est également représenté ; mais les monuments en sont plus rares,
parce que les chroniqueurs ne prêtaient aux gens de petit état qu'une
attention fort secondaire. Parmi les grands personnages qui se signalèrent
dans les troubles publics par l'habileté et l'ascendant de leur parole, on
doit placer Charles-le-Mauvais, roi de Navarre, dont l'Éloquence naturelle
agissait avec tant de puissance sur la multitude, que ses discours étaient
souvent interrompus par les sanglots des auditeurs, et le prévôt Étienne
Marcel, qui parut rivaliser, par l'audace et l'habileté, avec les plus
célèbres tribuns de l'ancienne Rome. Parmi les personnages populaires, nous
mentionnerons l'ouvrier marbrier Jean de Troies, qui joua comme orateur un
rôle notable de 1411 à 1414, dans la révolte des cabochiens, ces hardis
représentants de la démocratie parisienne du quinzième siècle, qui ne
craignaient point de dire au Dauphin en lui présentant, pour qu'il les portât
lui-même, les insignes de leur parti : Les méchants vous ont rendu fort
indévot envers Dieu, fort lâche en l'expédition des affaires de l'Estat, fort
négligent en la conduite du royaume que vous dirigez en la place du roi votre
père ; et la France, qui voit avec beaucoup de douleur que vous faites du
jour la nuit, et que vous consumez votre temps à des danses dissolues, en
festins et en toutes les débauches malséantes à une naissance royale, déteste
justement ceux qui vous ont dépravé par leurs damnables instigations. Bien des discours de ce genre
ont été prononcés sans doute au milieu des luttes sans nombre qui ont éclaté,
au Moyen Age, entre le peuple d'une part, l'église, la noblesse et la royauté
de l'autre. Chaque parti politique eut ses tribuns, comme chaque secte
religieuse eut ses apôtres. Mais les harangues populaires, improvisées au
milieu des carrefours et des cris de l'émeute, n'ont point laissé d'échos
dans l'histoire. L'Éloquence
militaire, qui joue un si grand rôle dans l'antiquité, n'a pendant le Moyen
Age qu'une importance tout à fait secondaire. Ordinairement, ce n'était point
le général qui excitait les soldats, mais les soldats qui s'excitaient
eux-mêmes, soit par des chants guerriers qui rappelaient les bardes des
Germains, soit par des cris de guerre qui n'étaient souvent qu'une variante
de la devise du seigneur sous la bannière duquel ils combattaient. La
harangue des généraux grecs ou romains, préparatif indispensable des
batailles antiques, fut remplacée dans les armées chrétiennes par des
processions et des prières. Il y a cependant quelques dérogations à cette
règle à peu près générale, et les discours dont nous voulons parler se
rattachent à des événements trop importants dans notre histoire pour qu'il
nous soit permis de les omettre. Nous nous attacherons seulement à ceux dont
l'authenticité n'est point contestée, en écartant avec soin les harangues
apocryphes qu'on trouve en si grand nombre dans les histoires modernes de
l'école monarchique. La
première exhortation militaire dont notre histoire ait conservé le souvenir
exact est celle que Philippe Auguste prononça avant la bataille de Bouvines,
et nous ferons remarquer qu'elle ne ressemble en rien au discours consigné
dans les compilations. Philippe, en parcourant les lignes de ses soldats,
leur dit simplement : Voici venir Othon l'excommunié et
ses adhérents ; l'argent qui sert à les entretenir est de l'argent volé aux
pauvres et aux églises. Nous ne combattons, nous, que pour Dieu, pour notre
liberté et notre honneur. Tout pécheurs que nous sommes, ayons confiance dans
le Seigneur, et nous vaincrons ses ennemis et les nôtres. Alors il parcourut les rangs.
Quelques gens d'armes s'attristaient d'être obligés de se battre un dimanche
: Les Machabées, leur dit-il, cette famille chère au Seigneur, ne
craignirent pas d'aborder l'ennemi un jour de sabbat, et le Seigneur bénit
leurs armes. — Vous, l'élu de Dieu, bénissez les nôtres !
s'écrièrent alors les gens d'armes, et l'armée entière se précipita à genoux.
Jeanne d'Arc parlait avec la même simplicité. Le duc d’Alençon, avec Jeanne
d'Arc, dit M. de
Barante, et tous les vaillants chevaliers qui
avaient défendu Orléans, assiégeait Jarjeau, où les Anglais, commandés par le
comte de Suffolk, avaient été contraints de se renfermer. Il y avait brèche
suffisante. Le comte demanda à traiter, promettant de rendre la ville dans
quinze jours, s'il n'était pas secouru. On lui répondit que tout ce qu'on
pouvait accorder aux Anglais c'était la vie sauve. Autrement, ils seront
pris d'assaut ! disait la Pucelle. En effet, on s'apprêtait à le donner :
En avant, gentil duc, à l'assaut ! cria Jeanne, au duc d'Alençon. Le
prince pensait qu'on devait attendre encore un peu : N'ayez doute,
répliqua-t-elle ; l'heure est prête, quand il plaît à Dieu ; il veut que
nous allions en avant et veut nous aider. Ah ! gentil duc, as-tu peur ? Tu
sais que j'ai promis à ta femme de te ramener ! L'assaut commença. La
Pucelle, portant son étendard, fit planter une échelle, à l'endroit où la
défense semblait la plus âpre, et monta hardiment. Une grosse pierre, roulée
du haut de la muraille, tomba sur sa tête, se brisa sur le casque et la
renversa dans le fossé. On la crut morte, niais elle se releva, au même
moment : Sus, sus, amis ! criait-elle ; notre sire a condamné les
Anglais : à cette heure, ils sont à nous ! Et, sans tarder, la ville fut
emportée. Ce
langage calme et fort, qu'inspire aux grands cœurs l'approche du danger et
d'une lutte suprême, se retrouve encore, à un très-haut degré, dans les
allocutions de Henri IV à ses troupes. En 1587, peu d'instants avant la
bataille de Coutras, le roi de Navarre, s'adressant au prince de Condé et au
comte de Soissons, leur dit : Il n'est pas besoin ici de
longues paroles ; souvenez-vous que vous êtes Bourbons, et vive Dieu ! je
vous montrerai que je suis votre aîné. — Et nous, repartit Condé, nous vous
montrerons que vous avez de bons cadets. La bataille commence : l'avant-garde des
protestants plie, mais parvient à se rallier. Le roi de Navarre s'élance avec
ses deux cousins ; il aperçoit Joyeuse, et court au grand galop à sa
rencontre : Écartez-vous ! crie-t-il à ses compagnons, ne m'offusquez pas ! je veux paraître ! Trois
ans plus tard, avant la bataille d'Ivry, il prononçait encore, sans plus de
recherche et de prétention, quelques phrases entraînantes, qui sont restées
dans notre langue comme la plus haute expression de l'Éloquence chevaleresque
: Mes compagnons, si vous courez
aujourd'hui ma fortune, je cours aussi la vôtre. Je veux vaincre ou mourir
avec vous. Gardez bien vos rangs, je vous prie, et si la chaleur du combat
vous les fait quitter, pensez aussitôt au ralliement ; c'est le gain de la
bataille. Vous le ferez entre les trois arbres que vous voyez là-haut, dans
ce champ, à main droite ; et si vous perdez enseignes, cornettes et guidons,
ne perdez pas de vue mon panache blanc, vous le trouverez toujours au chemin
de l'honneur et de la victoire. L'Éloquence
profane, au Moyen Age et à la Renaissance même, ne brille que par éclairs. On
n'y trouve nulle part cette tradition, qui dans l'antiquité se perpétue à
travers toutes les grandes périodes de la vie des peuples ; car, la science,
monopolisée par le clergé, resta, durant de longs siècles, exclusivement
théocratique, et, aussi longtemps que les intérêts temporels furent dominés
par les intérêts de la foi, l'Éloquence civile fut nécessairement dominée à
son tour par l'Éloquence religieuse. Les discussions des états généraux ne
s'ouvraient qu'à de longs intervalles : ceux qui y prenaient part et s'y
distinguaient, ne faisaient que paraître sur la scène, sans avoir le temps de
se former et de grandir dans la lutte ; et comme tout se réglait,
d'ordinaire, par la volonté d'un seul homme, l'Éloquence politique était
forcément exclue des affaires et ne trouvait que rarement l'occasion de se
produire. L'extrême confusion des lois, l'infinie variété des coutumes, la
multiplicité des juridictions, les formes même de la procédure amenaient sans
cesse l'Éloquence du barreau sur le terrain de la chicane, au lieu de la
laisser sur le terrain du droit ; de plus, la forme scolastique qui avait
tout envahi, à l'exception de la poésie et du roman, cette forme aride et
sèche, que rendait plus aride et plus sèche encore l'imperfection du langage,
arrêtait tout essor. La Renaissance elle-même ne fit souvent qu'embarrasser
la parole des orateurs dans le fatras d'une érudition pédantesque : Guillaume
Duvair, évêque comte de Lisieux, garde des sceaux de France, dans son curieux
ouvrage intitulé De l'Éloquence française et des raisons pourquoy elle est
demeurée si basse, n'a pas craint de dire que, de son temps, la France n'avoit pu encores bien desnouer sa langue. CHARLES LOUANDRE. |