DURANT les premiers siècles de
l'Église, les lettres grecques et latines, touchant à leur fin, n'eurent
bientôt plus que l'éclat terne et fugitif qu'on surprend dans le regard d'un
mourant, quelques heures avant qu'il expire ; mais une fois les Barbares
établis sur les ruines de l'empire romain d'Occident, la chute de l'éloquence
et de la Poésie s'accomplit avec une incroyable rapidité. Boëce, dans sa
prison, écrit son traité de la Consolation philosophique, et meurt, peu
après, dans les supplices (524). Ce traité, où la plus belle morale de l'antiquité se mêle aux
tendres sentiments de la résignation chrétienne, est la dernière protestation
d'un art qui s'éteint ; c'est la voix du cygne exhalant ses dernières
mélodies sous le couteau qui l'immole. Boëce mort, la pensée humaine tombe
dans le silence et le garde pendant environ cinq siècles. Mais à
mesure que les nations vaincues s'accoutument à la domination des vainqueurs,
que les races se fondent les unes dans les autres, un travail s'opère, qui
prépare lentement le réveil de la pensée. Les termes en usage pour l'exprimer
se dégagent insensiblement de l'idiome latin, et tendent à se former en
langues distinctes et nationales. Les chants populaires offrent les premiers
symptômes de cette transformation. Les premiers vagissements des langues
modernes, comme apparemment de toutes les langues, sont de la Poésie. Ces
chants, au septième siècle, étaient encore en latin pur ; témoin ce fragment
d'une sorte de cantilène populaire sur la victoire remportée, en 622, par
Clotaire II sur les Saxons, et dont les paroles simples, mélancoliques et
touchantes, paraissent sortir de la bouche d'une esclave qui berce l'enfant
de son maître : At quid jubés, pusiole, Quare mandas, filiole, Carmen dulce me cantare, Cum sim longé exul valde Intra mare ? O, cur jubes canere ? Mais, à
partir du neuvième et même du huitième siècle, les barbarismes, ou plutôt des
mots de création indigène, et, pour ainsi dire, de terroir, font irruption
dans la langue mère, la dénaturent et finalement l'absorbent. C'est d'abord,
comme le jargon hybride d'un enfant qui, élevé par une nourrice étrangère, se
sert d'un mélange bizarre de l'idiome de celle-ci avec le sien propre ; peu à
peu la langue nationale domine l'autre, et bientôt s'y substitue tout à fait.
Cependant l'empreinte latine est demeurée plus ou moins sur tous les idiomes
modernes ; aucun d'eux ne peut méconnaître cette filiation. Prose et vers,
tout s'est formé sur ce type, tout s'est perfectionné sur ce modèle. C'est
l'honneur de la France d'avoir devancé tous les peuples de l'Europe, dans sa
langue nationale comme dans sa Poésie. Elle était en possession de l'une (si
pourtant on pouvait appeler langue ce qui n'était qu'une corruption du latin
soumise à des règles), elle était, disons-nous, en possession de l'une aux
huitième et neuvième siècles, et, en l'an 1000, elle offre un échantillon de
l'autre dans une pièce sur la captivité de Boëce, composée en grande partie
des fragments de sa Consolation, mis en vers. C'est un morceau de deux cent
cinquante vers de dix syllabes, en stances de six, sept vers et même
davantage, et dont tous les vers de chaque stance sont terminés par une même
rime masculine. Il n'y a pas d'exemple plus ancien de versification
française, et il est en langue romane. Cet idiome qu'on appela plus tard la
langue d'Oc, le provençal et le limousin, était au fond le même que les
dialectes de la Catalogne et de Valence, et fut la langue générale de la
France au neuvième siècle. La langue du Nord ou la langue d'Oïl n'en est
qu'une dérivation. A la fin du onzième siècle et dans les suivants, des
essaims de poètes, sous le nom de troubadours au midi, et de trouvères au
Nord, inondent la France. Guillaume
de Guyenne, né en 1070, est le premier des poètes provençaux qui ont survécu.
Sa poésie indique déjà un haut raffinement de la langue. Un demi-siècle
s'écoula, après lui, silencieux et improductif. De là jusqu'à la fin du
treizième siècle, la France est comme en proie aux chants des troubadours. Le
feu sacré qui les anime gagne les trouvères. Au douzième siècle, on en compte
déjà cent vingt-sept. On laisse quelques pauvres moines élaborer péniblement,
au fond de leurs cellules, de détestables hexamètres latins ; mais la Poésie
séculière a tous les honneurs de l'idiome nouveau-né, et elle use et abuse de
ses prérogatives. Des sirventes, des plaints, des tensons, des ballades, des pastourelles, des novas, toutes poésies appartenant au genre lyrique, quelques poèmes
didactiques et sacrés ; tels sont les sujets traités au-delà de la Loire : en
deçà, ce ne sont que lais, virelais, ballades, fabliaux et autres poésies
lyriques ; Rutebeuf y excelle et est un des maîtres du genre : il vivait au
temps de saint Louis. Ce sont encore les épopées, qui ont pris par excellence
le nom de romans. Le Roman du Brut d'Angleterre et le Roman du Rou,
par Robert Wace de Jersey (1184), donnent lieu à une foule d'ouvrages de la même nature, tant au
Nord qu'au Midi. Nous citerons, entre autres, l'histoire de Reynard le
Renard, écrite en vers français par Jacquemart Giélée, de Lille, vers la
fin du treizième siècle, et en vers allemands par Henri d'Alkmar, en 1498.
L'esprit satirique en est le principal assaisonnement. Les tours qu'y joue
maître Renard à son compère le Loup ont fort amusé nos pères. Ce roman devint
si populaire en France, que l'animal qui y remplit le principal rôle, et qui
jusqu'alors s'était appelé goupil (vulpes), prit, d'après le héros de
l'histoire, le nom de renard. On le croit d'origine allemande, et suivant une
conjecture assez vraisemblable, ce fut un certain Reinard de Lorraine, fameux
au neuvième siècle par ses qualités vulpines, qui suggéra ce nom à quelque
fabuliste inconnu de l'Empire. D'ailleurs, nombre de trouvères ont exploité
ce thème favori. La
fécondité des troubadours est inépuisable ; les trouvères ne veulent pas être
en reste envers eux : ils écrivent autant et dans le même goût. L'amour est
le principe dominant de leurs poésies, surtout dans les petites pièces.
Toutefois, l'esprit satirique s'y montre, et souvent avec une singulière
audace : il y attaque le clergé, les cardinaux, les courtisans et les rois.
La Bible Guyot est un pamphlet acéré, qui en veut à toutes les classes de la
société, y compris les légistes et fisiciens (médecins). Henri II, roi d'Angleterre,
fit crever les yeux à un certain Luc de Labarre, dont la muse n'avait su se
tenir de railler. Mais le tour d'imagination propre aux douzième et treizième
siècles se manifeste surtout dans les romans en vers. C'est un goût du merveilleux
qui s'étend à tout, se mêle à tout, à l'amour, à la religion, aux exploits
guerriers ; c'est, comme l'a dit dans son Histoire de la littérature
française (t. I, p. 109) un écrivain qu'il suffit de nommer pour en faire
l'éloge, M. Désiré Nisard, une sorte de mythologie de Charlemagne et
d'Arthur, dont la cause la plus générale fut le contact avec l'Orient par les
croisades et la lecture de traductions d'ouvrages orientaux. Cette imitation,
ajoute le même écrivain (page 110), ne nous a pas été bonne ; elle a
longtemps arrêté l'essor de l'esprit français, dont les premiers traits se
montrent avec éclat, aussi bien que les premières traditions de notre esprit
poétique, dans l'œuvre commune de Guillaume de Loris et Jehan de Meung. Cependant,
bien avant le Roman de la Rose, notre langue nationale avait franchi les
limites de la France. On la parlait en Angleterre, en Italie, en Allemagne,
et même on l'y écrivait. Dès la dernière partie du douzième siècle, on
traduit les romans français en allemand ; le français est aussi la base de
ces chants populaires qui signalent la période des empereurs de la maison de
Souabe, Frédéric Barberousse, Henri VI et Frédéric II. Avec cette période,
commence l'âge d'or de la littérature romantico-chevaleresque, en Allemagne.
Le dialecte de Souabe, doux et gracieux, remplace le rude langage frank ; la
Poésie s'y retrempe et s'y renouvelle ; mais cette rénovation découle
principalement de l'imitation des poètes normands et provençaux. A
l'exemple des troubadours, chez lesquels amour est synonyme de poésie, on
appelle les poètes allemands de cette époque minnesingers, chantres de
l'amour. De 1150 à 1200, le nombre s'en élève à plus de trois cents. On a dit
que Henri de Waldech (vers 1170) était le premier poète qui eût employé le dialecte
souabe ; mais la grande différence qu'on remarque entre son style, qui est
déjà poli, et celui des vieilles chansons allemandes, semble démentir cette
assertion. Le plus fécond, sinon le plus grand des minnesingers, est Wolfram
d'Eschenbach, qui fleurit dans les premières années du treizième siècle. Il
n'a pas, comme les Provençaux, élevé le culte du beau sexe jusqu'à
l'idolâtrie ; il n'a pas donné dans ces extravagances de la passion, dont
Hallam attribue plaisamment l'effet aux susceptibilités du tempérament
méridional ; il l'a idéalisé davantage, et conséquemment l'a ennobli. Ulrich
Zazichoven écrit un Lancelot du Lac, d'après celui de notre Chrestien
de Troyes. Mais
cette époque est surtout celle des grandes épopées allemandes, dont les
sujets appartiennent à la plus haute antiquité. On a même supposé que la
langue de ces poèmes était empruntée aux bardes des premiers âges. On
retrouve, en effet, les souvenirs de temps héroïques et la marque d'une
histoire traditionnelle qu'illuminent les grandes figures d'Attila et de
Théodoric, dans les deux plus célèbres productions de ce genre, le Helden-Buch
(ou
Livre des héros)
et le Nibelungen-Lied (ou Chants des Nibelungen, peuple fabuleux). La première de ces productions
est due en partie à Wolfram d'Eschenbach, Henri d'Ofterdingen et Walther de
Vogelweide ; la seconde est attribuée, par les uns, à Conrad de Wurtzbourg,
minnesinger de la fin du treizième siècle ; par d'autres, à Nicolas Klings'Or,
un peu plus ancien. Les critiques allemands admirent surtout la grandeur
inculte des Nibelungen - Lied ; ses fables, empreintes d'une simplicité
barbare, sans rapports avec les fictions plus modernes du génie romantique,
leur arrachent plus de larmes que les œuvres du génie le mieux cultivé et le
plus poli. En littérature comme en politique, le patriotisme allemand est
toujours un peu rétrospectif. La fin
de cette ère glorieuse, où la Poésie allemande fut exclusivement cultivée par
la noblesse, coïncide avec la chute de la maison de Souabe, en 1254. D'autre
part, les poètes provençaux, qui avaient brillé d'un si vif éclat
jusqu'alors, déclinèrent à leur tour et s'éteignirent enfin, à l'aurore du
quatorzième siècle. Après la réunion du fief de Toulouse à la couronne et la
possession de la Provence par une race princière du Nord, l’idiome provençal
devint un patois. La langue d'Oïl, qui lui survécut, reçut dès lors et
mérita de plus en plus le nom exclusif de français. L’Italie
fut la dernière à posséder une langue et une littérature indépendantes. L'italien
s’employait à peine en prose, au treizième siècle ; mais, peu d'années avant
la fin du douzième, les muses rompent le silence et s'expriment dans le
dialecte sicilien. Parmi
les premiers versificateurs italiens, on compte l'empereur Frédéric, Pierre
des Vignes, son chancelier et l'inventeur du sonnet, Enzo et Mainfroi, ses
fils ; presque en même temps, on aperçoit les premières traces d'un langage
commun, mais nourri d'emprunts faits à tous les dialectes, dans les vers de
Ciullo d'Alcamo, Sicilien (1187-1193), de Lucio Drusi de Pise, et de Folcacchiero des
Folcacchieri de Sienne. Ce n'est qu'un siècle plus tard qu'on reconnaît dans
les poètes italiens les formes plus caractéristiques et plus régulières de la
versification et de la poésie provençales. Ils se sont d'abord approprié la
rime, considérée comme essentielle à toutes sortes de vers, puis la chanson,
sur laquelle les Italiens ont formé leur ode ou canzone les récits fabuleux
d'aventures d'amour et de chevalerie, les tensons ou débats poétiques, enfin
les ballades, les sixtines, et surtout les nouvelles, qui eurent chez eux
tant de vogue. Outre ces formes extérieures, les Italiens ravirent aux
Provençaux le secret de ces tours de pensées ingénieux et galants, et ce luxe
de descriptions, de comparaisons et d'images qui constituent en quelque sorte
un des caractères de la poésie moderne. Mais ils ne l'emportèrent pas de
beaucoup sur leurs modèles ; ils n'avaient point encore puisé à ces sources
fécondes de l'antiquité où Dante abreuva plus tard son génie, où Pétrarque se
forma le goût ; et telle était l'ignorance en Italie au milieu du quatorzième
siècle, qu'il est fait mention quelque part d'un personnage, ayant la réputation
de savant, qui prenait Platon et Cicéron pour des poètes et croyait qu'Ennius
était contemporain de Stace. Cependant quelques poètes italiens de la seconde
moitié du treizième siècle méritent d'être cités : les deux Bolonais, Guido
Guislieri et Guido Guinicelli, fra Guitone d'Arezzo et Guido Cavalcanti,
Florentins, sont les principaux. Un
homme enfin paraît. A peine est-il entré dans la carrière, qu'il devance et
bientôt perd de vue tous ceux qui l'ont précédé ; cet homme est Dante
Alighieri. Il naquit à Florence, en 1265. La nature l'avait fait poète,
l'amour lui dicta ses vers. Avant lui, les versificateurs n'étaient amoureux
que pour chanter ; Dante ne chanta que parce qu'il aimait véritablement, et
n'exprimait en chantant que ce qu'il sentait. Il n'avait pas encore dix ans,
lorsqu'il vit et aima Beatrix Porsinaria, aussi jeune que lui. Il en fit sa
muse et il la célébra jusqu'à la fin de ses jours. Dans son premier ouvrage,
la Vila nuova, sorte de roman érotique, il décrivit les agitations et les
petits événements de son amour, et y encadra les diverses pièces de vers
qu'il avait composées pour sa Béatrix. Il fit plus : il lui consacra un
monument immortel, sa Divine Comédie. Ce
poème, trop connu pour qu'on en donne ici l'analyse, est à la fois le tableau
le plus intéressant de la vie du poète et de l'esprit de son temps. Il semble
avoir porté la Poésie italienne à son apogée. Il nous présente, dans une
fusion constante et une harmonie parfaite, la poésie romantique et la
philosophie scolastique, la puissance cléricale et la séculière, le souvenir
de l'antiquité païenne et les mystères du christianisme ; mais, quoique tout
y porte principalement l'empreinte de son siècle, tout y appartient, par la
vérité, à l'humanité entière. C'est là que Dante a montré le mieux l'art
d'élever sa langue naissante, par un choix judicieux des dialectes italiens
et par leur transformation en un type unique et régulier. Entre ses mains, et
quoique sauvage encore, elle se prête à tout ce qu'il veut : elle est simple,
elle est claire, elle est rapide. L'obscurité que l'on reproche à certains
passages de la Divine Comédie, ne regarde pas le style, toujours limpide dans
sa concision exquise ; mais elle tient à des allusions qui n'étaient
comprises que des contemporains du poète, à des événements, à des opinions
dont le souvenir est aujourd'hui perdu. D'ailleurs, pour être concis, Dante
n'est jamais sec ; il peint toujours à grands traits. S'il donna dans
quelques défauts de son siècle, si parfois il est forcé, peu harmonieux et
familier, ces défauts n'en font que mieux ressortir les beautés qui lui
appartiennent, et ils sont, après tout, plus rares qu'on ne pense. Dante a
mérité qu'on le mît à côté d'Homère, et non pas au-dessus, comme Varchi l'a
voulu ; cependant la perfection du poète grec rendra toujours très-difficile,
sinon contestable, toute assimilation absolue, quel qu'en soit l'objet. Dante
mourut en 1321 : Pétrarque avait alors dix-sept ans. En
remontant de deux siècles environ au-delà de Dante, on trouve, en Angleterre,
une langue qui tend à divorcer avec le saxon, dont elle a quelque honte, et
qui subit l'influence du français, dont elle est jalouse. Layamon, entre 1155
et 1200, traduit du français en anglais le Roman du Brut ; mais il améliore
son auteur et substitue aux vers humbles et presque plats de l'original les
impétueux dithyrambes de la poésie saxonne. Robert de Gloucester,
postérieurement à 1297, puisqu'il fait allusion à la canonisation de saint
Louis, met en vers la chronique de Geoffroi de Monmouth, et témoigne de
l'influence française par le grand nombre de mots d'outre-mer dont il émaille
sa versification. La
langue castillane, littérairement parlant, est née avec le poème du Cid,
c'est-à dire pas plus tard que le milieu du douzième siècle. Au quatorzième,
elle était un idiome aussi général au-delà des monts que le français l'était
en deçà. Une versification grossière et peu harmonieuse caractérise la poésie
espagnole des deux ou trois siècles qui ont précédé le quinzième ; mais on y
rencontre aussi du nerf et de la verve, comme dans le poème du Cid. Des
ballades et des romances, où les sentiments les plus chevaleresques, le
courage héroïque, l'honneur sans tache, l'orgueil généreux, l'amour fidèle,
le loyal dévouement, sont célébrés dans le ton le plus hyperbolique, forment
le bagage poétique de l'Espagne aux temps que nous venons d'indiquer. Deux
rois figurent parmi les poètes successeurs de l'auteur inconnu du Cid,
Alphonse II, roi d'Aragon, et Alphonse XI, roi de Castille ; les autres sont
Berceo, de Hita, Antonio et Nicolas. Il
existe une collection de poésies lyriques portugaises qu'on rapporte à une
époque peu avancée du treizième siècle. L'Espagne n'a rien à leur envier. Les
poètes sont dans ces collections comme les morts dans les cimetières. Pourvu
qu'on sache leurs noms, on ne perd pas son temps à lire leurs vers ni à
fouiller leur tombe, pour peser la poussière des uns et juger du mérite des
autres. L'extinction
de la maison de Souabe, dans la personne de Conrad IV, dernier rejeton des
Hohenstauffen, la mort d'autres princes protecteurs de la poésie et poètes
eux-mêmes, des rapports moins intimes avec le midi de la France et l'Italie,
enfin, la nécessité de maintenir, par un état de guerre permanent, son
indépendance agrandie, rendirent, à partir de la fin du treizième siècle, la
noblesse allemande plus grossière qu'auparavant. Elle cessa de produire des
poètes. Aux Minnesingers succèdent, vers le règne de Rodolphe de Habsbourg,
une lignée de versificateurs bourgeois, connus, dans le quatorzième siècle,
sous le nom de Meistersingers, maîtres du chant ; mais on
peut suivre la trace de leur origine jusqu'à ces écoles de chant du douzième
siècle, instituées dans l'intérêt de la musique populaire, cet amusement
favori de l'Allemagne. Ce fut un jour fatal pour la Poésie que celui où ils
étendirent sur elle leur juridiction. Ils l'assujettirent aux règles les plus
pédantesques et les plus minutieuses ; de gaie qu'elle était jadis, et
souvent licencieuse, ils la rendirent grave et morale, ce qui n'était pas un
défaut, mais souverainement plate et maussade, ce qui était un vice. Ils
envahirent insensiblement toute l'Allemagne ; leur nombre, leur importance, y
furent considérables, principalement à Nuremberg. En 1378, l'empereur Charles
IV dut les constituer en corporation et leur donner des armoiries et des
privilèges. Nommons, moins pour les distinguer de la foule qu'à titre de
renseignement, Regenbogen, Trymberg, Frankenstein, Ottokar, Meissen.
Ammenhausen, Fleck et Queinfurt. Les Meistersingers n'eurent quelque
célébrité qu'à dater du seizième siècle. Jusqu'au
quatorzième siècle presque inclusivement, la littérature ancienne, en France,
en Angleterre, en Allemagne et même en Italie, avait été cultivée sans gloire
par ses rares sectateurs et sans profit pour la science en général. Le
treizième siècle, à cet égard, avait été un des plus inféconds. En Italie
seulement, Dante, au commencement du quatorzième, avait donné un si vigoureux
élan à la Poésie, qu'il semblait qu'à la Poésie seule, sinon à un poète,
était réservé l'honneur d'exhumer de leurs ruines séculaires les vieux titres
de l'intelligence humaine. Le premier, en effet, qui mérita le nom de
restaurateur des belles-lettres fut Pétrarque. Une grande partie de sa vie
fut consacrée à la recherche des anciens manuscrits, qu'il copiait aussitôt
de sa propre main. On lui doit, entre autres, Quintilien et les Lettres de
Cicéron. Un goût délicat lui apprit à sentir les beautés de Virgile et de
Cicéron, et l'éloge passionné qu'il en fit enflamma ses compatriotes de
l'ardeur d'acquérir des connaissances classiques. Tel fut bientôt leur
enthousiasme pour les anciens, que les jurisconsultes et les médecins,
dédaignant Justinien et Hippocrate, ne voulaient plus entendre parler que de
Virgile et d'Horace, et que les ouvriers abandonnaient leurs outils pour ne
s'occuper que des Muses. Parce qu'on entendait passablement les poètes de
Rome et d'Athènes, on pensait être poètes comme eux, et on faisait des vers
par milliers. Ce genre d'industrie assura même une sorte d'inviolabilité.
Cola Rienzi, qui avait échoué dans son projet de restauration de la
République romaine, étant condamné à mort, prouva, dit-on, qu'il avait fait
des vers, et ne fut pas exécuté. Dans une de ses épîtres latines, Pétrarque
se reproche d'avoir contribué à ce délire, par son exemple, et déplore la
métromanie qui, de son temps, s'était emparée de tout le monde. Nourri
de la lecture de Cino de Pistoïa, qui avait été son maître, et de Fazio degli
Uberti, les deux meilleurs poètes qui eussent paru depuis Dante, les seuls
aussi qu'il ne dédaignai pas d'imiter dans la suite, Pétrarque débuta dans la
poésie latine ; mais, ayant connu, - par bonheur, à Avignon, cette Laure
qu'il a rendue si célèbre, il sentit le besoin de l'intéresser par ses vers
italiens. Laure ne repoussa jamais son amant, mais elle sut nourrir et
diriger en même temps sa passion, en l'épurant de tout ce qu'il pouvait y
avoir de profane et de vulgaire. Aussi, l'amour de Pétrarque prend-il un
caractère si noble et si élevé, qu'on n'avait encore rien connu ni rien
imaginé de semblable. On dirait que ses vers sont des hymnes adressés à un
être supérieur qu'il craint d'offenser, même quand il le célèbre. Malgré ce
caractère dominant qui anime ses vers, on n'a pas laissé que d'y relever
quelques pensées alambiquées, et ces jeux de mots et ces antithèses que les
Provençaux avaient accrédités ; mais ils restent toujours l'histoire fidèle
de ses affections les plus pures et les plus touchantes ; et, sous ce
rapport, ses Rime présentent une sorte de poème suivi, dont l'Amour est le
héros principal, qui exerce sa toute-puissance sur le cœur et l'imagination
du poète, et où Laure elle-même ne fait que servir aux dessins de l'Amour.
C'est dans ses Canzoni que Pétrarque est le plus grand ; elles offrent
le vrai modèle de l'ode italienne. Il s'y élève souvent aussi haut qu'Horace
et Pindare ; mais il tempère toujours ses élans les plus sublimes par ce ton
de douleur et de mélancolie qui l'accompagne partout. Pétrarque mourut en
1374. Boccace, le premier qui ait perfectionné la prose italienne, et auteur
lui-même du premier essai d'épopée dans cette langue, la Théséide,
mourut l'année suivante. Dante
et Pétrarque sont les deux astres précurseurs de notre littérature moderne ;
mais le premier n'a pas, avec le quinzième siècle, de rapports aussi intimes
que le second, et il n'eut pas la même influence sur le goût de son temps.
Pétrarque, à cet égard, l'emporte autant sur Dante qu'il lui cède en
profondeur de pensée et en énergie créatrice. Il donna de la pureté, de
l'élégance, de la fixité même, à la langue italienne, laquelle a subi
infiniment moins de changements pendant les cinq siècles et plus qui se sont
écoulés depuis, que dans le cours des cent années qui séparent l'âge de Guido
Guinizelli du sien. Et personne ne lui a contesté l'honneur d'avoir fait
renaître en Italie, et par suite en Europe, le vrai sentiment de l'antiquité
classique. Laurent
Minot, auteur de poésies sur les guerres d'Édouard III, vers 1353, est
peut-être le premier poète original, en anglais, dont les ouvrages aient
survécu. On ne trouve jusqu'à lui que des traducteurs de poètes français.
Jean Barbour, archidiacre d'Aberdeen, a écrit plus tard (1373) le premier poème épique, Bruce,
qui ait paru en Angleterre. Ce poème est dans le dialecte écossais. Mais le
plus grand poète anglais du Moyen Age fut, sans comparaison, Geoffroi
Chaucer. Aucun pays, si ce n'est l'Italie, n eut un seul écrivain qui
l'égalât pour la variété de l'invention, la finesse du coup d'œil et le
bonheur de l'expression. Il faut mettre un intervalle immense entre lui et
tout autre poète anglais ; cependant Gower, son contemporain, a droit à des
éloges pour avoir dégrossi et légèrement épuré la langue. Nous
entrons dans le quinzième siècle, et nous signalons, en passant, les poètes
français qui l'ont illustré. Ce sont : Christine de Pisan, dont on loue
quelques vers gracieux restés en manuscrits ; George Châtelain, chroniqueur
estimable, mais versificateur inintelligible ; Martial d'Auvergne, auteur
d'une sorte de poème historique sur la mort de Charles VII, où sont exprimés,
en mauvaises rimes, les sentiments de la nation pour la royauté malheureuse ;
Alain Chartier, le premier par la date, qu'on appelait le Père de
l'éloquence, et qui ne l'est que de la Poésie fade et de la prose barbare ;
et, après Alain Chartier, Jacques Millet, Raoul Lefèvre, Regnier de Guerchy
et quelques princes de ce temps, entre autres Charles d'Orléans. Un seul
poète, dans ce siècle, marque un âge nouveau de la Poésie française et en
laisse un monument durable : ce poète, c'est Villon. Boileau lui a donné son
rang : Villon
fut le premier qui, dans ces temps grossiers, Débrouilla
l'art confus de nos vieux romanciers. On a,
il est vrai, essayé de le faire déchoir de ce rang, au profit de Charles
d'Orléans ; mais M. D. Nisard (ibid., ch. III, § 6, 7), auquel nous empruntons ces
détails, a défendu le jugement de Boileau par des raisons telles, qu'il ne
reste aux détracteurs de Villon que l'honneur d'avoir déployé beaucoup de
talent à soutenir leur paradoxe. Charles d'Orléans (1391 à 1465) chante tout ce qu'ont chanté
les poètes depuis le Roman de la Rose. Comme eux, il use à outrance de
l'allégorie ; seulement, il en règle et complète le personnel en établissant
une hiérarchie plus raisonnée. Il y ajoute ses dispositions particulières,
ses humeurs tristes ou gaies, imite Pétrarque, dont les sonnets étaient fort
à la mode, et raffine encore sur le poète italien. Il a pourtant de la
délicatesse, de la clarté, des images abondantes, de la pureté même ; mais il
est subtil, manque de force et d'élévation, invente peu, et polit la langue,
à une époque où il eût mieux valu l'enrichir. Villon, au contraire
(1431-1490), innove dans les idées et dans la forme. Ses vers lui sont
inspirés par sa vie, par ses malheurs, par ses amours et, il faut bien le
dire, par ses vices. Ce n'est plus un poète bel esprit, nourri de livres à la
mode, mais un enfant du peuple né poète, qui lit dans son cœur et qui tire
ses images des fortes impressions qu'il reçoit de son temps. Novateur dans
les idées, Villon ne l'est pas moins dans la forme ; l'un emporte l'autre. On
admire dans ce poète des expressions vives, pittoresques, trouvées, et un
style, en apparence, plus difficile à comprendre à une première lecture que
celui de Charles d'Orléans, parce qu'il est plus vrai, plus senti, plus
français. Charles d'Orléans est le dernier poète de la société féodale,
Villon est le poète de la vraie nation, laquelle commence sur les ruines de
la société qui finit. Les
œuvres d'environ cent quarante poètes espagnols (de 1400 à 1516), réunies
sous le titre de Cancionero general, ont été publiées en 1516 par
Castillo. Les poésies tendres et galantes en forment encore la portion la
plus considérable. Tourner une idée sous toutes ses faces, l'étendre, la
passer à la filière, et ne la quitter qu'après avoir épuisé toutes les
nuances du langage, était alors en Espagne la seule manière de bien exprimer
ses sentiments. Les Redondillas en offrent particulièrement l'exemple.
Ces poésies ont d'ailleurs, en général, toute la pauvreté d'idées des
compositions des troubadours. Le triomphe de l'amour y est attaché au
triomphe de la raison, ce qui est incompatible, et cette affectation de
rigorisme donne souvent de la dureté aux vers espagnols de cette époque,
malgré la douceur, la suavité de leur mélodie. Ce temps fut l'âge d'or de la
Poésie lyrique espagnole ; il commença et finit sous Jean II, roi de Castille
(1407 à 1454). A la cour de ce prince, étaient les trois hommes dont les noms
occupent le rang le plus éminent dans les annales de la Poésie ancienne de
leur pays : les marquis de Villenaet de Santillana, et Juan de Mena.
Malheureusement, le désir de faire parade d'un savoir inutile et d'étonner le
vulgaire par une apparence de profondeur, les a jetés dans des détails
prosaïques et fastidieux, et dans une recherche prétentieuse. Tels qu'ils
sont cependant, ils laissent, entre eux et Lopez Haro, Sanchez de Badajoz,
Guevara, Ladron, Juan de la Enzina, Castillo et Villegas, leurs successeurs
immédiats, un intervalle considérable. Les
Portugais cultivaient la Poésie à une époque aussi ancienne que les
Castillans, et nous avons vu qu'il en restait des preuves d'une date
antérieure au quatorzième siècle. Mais il ne paraît pas qu'ils se soient
occupés de la romance héroïque. L'amour fut le thème exclusif des poètes
portugais ; ils mirent tout leur esprit à en analyser les formes, à en
décrire les joies et surtout les langueurs. Ceci les conduisit à l'invention
de la romance pastorale, basée sur d'anciennes traditions concernant la félicité
et la complexion amoureuse des bergers. Ce genre artificiel et mou, agréable
quelquefois et le plus souvent monotone, est originaire du Portugal, et,
après avoir été adopté dans toutes les langues connues, il a longtemps joui
en Europe d'une grande célébrité. Les
poésies lyriques du Portugal, recueillies par Garcia de Resende et publiées
dans le Cancionero general en 1516, appartiennent partie au
quatorzième, partie au quinzième siècle. On y remarque celles de Denis, roi
de Portugal, né en 1261, le premier qui introduisit la rime dans la poésie
portugaise ; d'Alphonse IV et de Don Pedro Ier, rois du même pays ; de Macias
et d'Alphonse V. Les rythmes sont ceux qui étaient usités en Espagne ; mais
le plus grand nombre est en redondillas trochaïques. La plupart roulent
sur l'amour ; cependant on y trouve quelques pièces sur la mort des rois et
sur d'autres événements politiques. La
langue anglaise s'épure lentement et commence à devenir d'un usage général. Cependant
les annales de sa Poésie présentent, après la mort de Chaucer, en 1400, une
longue et triste lacune. Les vers de Hoccleve sont pitoyables ; Lydgate, qui
vécut vers la même époque, manque du tact nécessaire pour choisir et
condenser les récits en prose auxquels il emprunte ordinairement ses sujets :
sa prolixité dégénère en faiblesse et ennuie ; il a pourtant quelquefois de
la verve et de la gaieté. Il a servi à rendre la Poésie familière aux masses,
et il n'est pas impossible qu'il lui arrive de plaire au petit nombre. On
cite encore le King's Quair, de Jacques Ier d'Écosse, longue allégorie
qui n'est dépourvue ni d'imagination, ni de poli, mais qui est hors d'état
d'être l'objet d'une lecture suivie. Les ballades des ménestrels du Nord
remontent probablement au-delà du quinzième siècle ; mais aucune de celles
qu'on a conservées ne saurait être rapportée à une époque antérieure à 1440. Depuis
la mort de Pétrarque, la Poésie italienne sommeille entre les mains de
Coluccio, de Burchiello, de Buonaccorso, de Cambiatore et d'Aurispa ; leurs
productions sont abandonnées par les critiques comme grossières, faibles et
pauvres d'idées et de style. Les romans de chevalerie, tels que Buovo
d'Anlona, la Spagna, l’Ancroja, ne méritent d'être mentionnés que
parce qu'ils marquèrent la route où Boiardo, puis Arioste, entrèrent à leur
suite. Mais, à partir de Laurent de Médicis, en 1469, tous les genres de
Poésie sont cultivés presque avec un égal succès. Laurent s'y distingue le
premier. Il débuta par quelques sonnets gracieux sur la mort de la belle
Simone, sa maîtresse, enlevée à la fleur de l'âge. Ce n'était, il est vrai,
qu'une imitation, mais une imitation heureuse de Pétrarque. D'autres
viendront après lui, qui, suivant le même modèle, produiront une génération
de pétrarquistes, laquelle enfantera à son tour
des anti-pétrarquistes. Mais Laurent a des droits au titre de poète
original par ses Canti carnascialeschi, ou chansons de carnaval, qui
réunissent la grâce et l'élégance classique à l'esprit natif de la gaieté
florentine. L'Italie entière était alors en proie à une passion frénétique
pour la littérature de l'antiquité, et il y avait déjà longtemps qu'on regardait
comme indigne d'un homme de lettres et même d'un poète d'écrire en italien.
Laurent a cet autre mérite considérable d'avoir dédaigné la fausse vanité des
philologues et réhabilité la Poésie nationale. Ajoutons que, dans cette
protestation courageuse, il eut Politien et Pulci pour complices. Laurent et
son frère Julien ayant figuré dans un tournoi, deux poèmes furent composés à
cette occasion, l'un par Pulci, l'autre par Politien ; ce dernier, qui
n'était encore qu'un adolescent, déploya dans sa composition plus de verve,
d'imagination et d'harmonie qu'aucun autre poète qui eût écrit depuis la mort
de Pétrarque. Nous parlons plus bas de Pulci. Ainsi, la Poésie lyrique
italienne triomphait avec éclat du préjugé qui l'avait proscrite. Ce fut
le tour de l'épopée romanesque. Voici revenir le roi Arthur et les chevaliers
de la Table-Ronde à la recherche du saint Graal ; voici encore Charlemagne,
Rolland, Renaud, et les douze paladins qui entreprirent de délivrer la France
et l'Europe du joug des Sarrasins ; voici, de plus, les génies, les fées, les
démons, les magiciens, les géants, les dragons ailés et les griffons. La
théologie scolastique se mêle à ces extravagances. Des démons argumentent,
catéchisent, instruisent même des chrétiens. Tels sont les caractères de
l'épopée moderne italienne. A l'instigation de Laurent de Médicis, Pulci
écrit son Morgante-Maggiore, ou Morgant-le-Grand. C'est un
géant qui eut l'honneur d'être converti par Rolland, et qui, étant comme lui
héros et bouffon à la fois, lui sert de second et même d'écuyer en ses
expéditions. Dans ce poème, Pulci exagère les vices des romans épiques en
vers, d'où on a conclu que le Morgante en est une caricature.
L'auteur, en effet, paraît ne vouloir exciter d'autre émotion que le rire, et
il atteint son but. Toutefois un étranger ne pourra s'empêcher d'admirer dans
ce poème la vivacité de la narration, la gaieté bouffonne des caractères, la
finesse de la satire. Mais les Italiens et principalement les Toscans y
savourent avec délices le parfum natif de l'idiome florentin. Bello,
dit l'Aveugle de Ferrare, écrivit son Mambriano
pour obéir à Gonzague de Mantoue. Mambriano entreprend de venger Mambrin, son
oncle, tué par Renaud de Montauban. Le poète fait ressortir de ce sujet les
aventures les plus étranges et les plus comiques, qu'il appuie toujours de
l'autorité de l'archevêque Turpin. Bello avait le même but que Pulci, celui
de contribuer aux plaisirs de sa cour ; mais il ne montra pas le même talent
que lui dans l'invention et le style. Le plan
de l'Orlando innamorato de Boiardo est plus vaste et plus compliqué
que les deux autres. L'imposante apparition d'Angélique à la cour de
Charlemagne, dans le premier chant, ouvre le poème avec un éclat singulier.
Ce début a d'ailleurs l'avantage de présenter tout de suite le sujet dans son
unité, de telle sorte qu'au milieu de ce tissu compliqué d'aventures, le
lecteur n'oublie jamais l'incomparable princesse d'Albracca. Malheureusement,
le style de Boiardo est âpre et rude, et sans le style, qui est une source de
jouissances inépuisable, il est impossible de lire jusqu'au bout aucun poème
de longue haleine. En
résumant l'état des progrès des différentes Poésies nationales pendant les
dix siècles qui ont précédé celui-là, c'est à peine si on trouve, partout
ailleurs qu'en Italie, quelques noms qui soient l'expression d'un talent réel
et durable. Chaucer, en Angleterre ; Jehan de Meung, Charles d'Orléans et
surtout Villon en France, sont les seuls astres poétiques qui aient éclairé
un moment ces âges de ténèbres. Les poésies de l'Allemagne, de l'Espagne et
du Portugal, ne doivent la plus grande partie de l'intérêt dont on les honore
qu'au besoin qu'on a de les connaître, pour ne pas laisser de lacune dans
l'histoire littéraire de l'Europe, et aussi à la passion des érudits pour les
monuments ébauchés ou frustes. L'Italie est matériellement, sinon moralement,
la plus riche, la plus féconde en Poésie au Moyen Age. Bientôt, avec Dante et
Pétrarque, elle s'élève à une hauteur où personne ne peut l'atteindre ; puis,
comme fatiguée d'avoir produit ces deux génies, elle tombe au niveau de la
médiocrité générale, jusqu'à ce que Laurent de Médicis, Politien, Pulci et
Boiardo la replacent au premier rang. Arioste paraît ; la Poésie italienne
est à son apogée. Dix siècles séparent Arioste, de Boëce ; le monde romain,
de l'Europe moderne. En 1500, le Moyen Age a déjà disparu ; nous sommes en pleine
Renaissance. Arioste
naquit le 8 septembre 1474 ; mais son poème n'ayant été publié pour la
première fois qu'en 1516, appartient immédiatement au seizième siècle. Ce
n'est qu'une continuation et un développement de l'Orlando innamorato ;
mais quelle différence ! La grâce d'Arioste et sa facilité, sa diction
coulante, claire et rapide, la variété et la beauté de ses inventions, ses
réminiscences de l'épopée antique, et jusqu'à ses transitions même si souvent
critiquées, mais habilement ménagées pour épargner au lecteur la fatigue de
récits trop prolongés, ne lui laissent pas de rival dans la faveur populaire.
Les fables de la vieille mythologie et du roman moderne lui ont fourni ces
délicieux épisodes que nous admirons tous, Olympia et Bireno, Ariodant et
Ginevra, Cloridan et Médor, Zerbino et Isabella, et les combats les plus
brillants de l'Énéide et de l'Iliade sont égalés, sinon surpassés, par ceux
que décrit Arioste. Quel tableau, que l'assaut général de Paris ! Vainement
les adorateurs d'Homère et de Virgile protestèrent contre l'enthousiasme
exclusif dont il était l'objet ; on osa affirmer malgré eux qu'on pouvait
aussi concevoir un poème différent de l'Énéide et de l'Iliade,
sans être inférieur à ces grands poètes. Arioste a donc conservé le titre de
Divin qu'on avait donné à Homère, et son poème est resté comme un modèle de
l'épopée romanesque, ainsi que l’Iliade l'est toujours de l'épopée
héroïque. On a même fait de ce poème ce qu'Aristote avait fait de celui
d'Homère, et le roman épique a eu, comme le poème héroïque, sa poétique et
ses règles. Mais,
même après l'établissement de ces règles, l'imitation d'Arioste était
difficile. On n'a pas raison d'un poème épique comme d'un sonnet, et la
preuve, c'est qu'il s'est trouvé cent poètes pour imiter Pétrarque, et qu'il
ne s'en est pas trouvé un seul pour imiter Arioste. Berni échappa à cette
tentation en refaisant le poème de Boiardo, et, s'il n'inventa pas — les
Bronzini pouvant revendiquer ce mérite avant lui —, il perfectionna le genre
bouffon et lui légua le nom de poésie bernesque. Ce genre a pris rang parmi
tous ceux qui ont obtenu l'honneur d'une qualification particulière. Au
contraire, Castiglione, Sannazar, plus fameux par son poème latin de Partu
Virginis que par son roman pastoral l'Arcadia, Benivieni, et
Ruccellaï dont le poème des Abeilles est une traduction presque
littérale du quatrième livre des Géorgiques, se modèlent sur Pétrarque
et semblent se glorifier de leur dépendance. Il en est de même d'Alamanni :
non content d'imiter servilement Pétrarque dans le sonnet, il imite Juvénal
dans la satire, et Virgile dans son poème didactique, la Coltivazione.
A ces poètes, ajoutons Vittoria Colonna, auteur de canzoni pour lesquels on
lui décerna le nom de Divine ; ajoutons-y encore Trissino, le père du
vers blanc, dont le poème (l’Italie délivrée des Goths) est de tous les longs poèmes
qui soient restés celui qui a eu la réputation la plus malheureuse. Le
souffle de l'Italie commence à animer la Poésie espagnole. Boscan et
Garcilasso de la Vega rapportent de ce pays les beautés plus douces de sa
Poésie amoureuse, incorporées sous la forme du sonnet régulier, peu cultivé
jusqu'alors dans la péninsule ibérique. Le caractère national n'est pas
encore effacé dans ces productions ; le langage de l'amour y est encore plus
impétueux, ses douleurs plus plaintives que chez les Italiens contemporains,
mais on voit que le goût et la raison ont modéré ces transports. Une églogue
de Garcilasso, intitulée Salicio et Nemoroso, passe, parmi les critiques
espagnols, pour un des plus beaux morceaux de leur langue. Diego Mendoza
partage avec ces deux poètes l'honneur d'avoir réformé ta Poésie castillane.
Ses Epîtres, à la manière d'Horace, respirent une philosophie mâle,
élevée ; mais elles manquent d'harmonie et de poli ; ce qui fait sans doute
que les Espagnols leur préfèrent ses poésies lyriques écrites dans le vieux
genre national. Saa de Miranda, quoique Portugais, a beaucoup écrit en
castillan. Il préférait cette langue pour la richesse des images et la sienne
pour les réflexions. Mais Ribeyro, le premier poète distingué du Portugal,
écrivit dans son dialecte : il a traité des sujets pastoraux, genre favori de
son pays. L'époque
de François Ier vit éclore une multitude de poètes français. Les uns prennent
d'insipides allégories pour des créations de l'imagination, les autres sont
les plats gazetiers des événements de leur temps, du, avec un peu plus de
verve, font la satire des vices de l'humanité et surtout du clergé ; le plus
grand nombre exprime dans de petites pièces un amour idéal, peut-être avec
plus de galanterie de convention que de passion ou de sentiment, mais presque
toujours avec quelques-uns de ces traits fins et gracieux qui caractérisent
ce genre de poésie française. C'est assez que de nommer J. Meschinot, André
de La Vigne, J. Marot, père de Clément, J. Lemaire, Guillaume Crestin, Nic.
de La Chesnaye, Simon Bourgoin, J. Parmentier, J. Olivier, Pierre Grognet et
Roger de Collerye. Seul, Clément Marot s'est placé hors ligne. Plus délicat
que Villon et d'une originalité d'une plus noble sorte, il abandonna ces
allégories du Roman de la Rose, qu'il avait commencé d'imiter, et les
malheureux tours d'adresse renouvelés des rimeurs du quinzième siècle, par
Guillaume Crestin, rimes fraternisées,
brisées, équivoquées, couronnées, battelées, vers rétrogrades ou à double face, pour jecter, dit-il, l'œil sur les livres latins ; ce fut en les lisant qu'il s'appropria ce genre
de beauté que notre littérature allait puiser dans les littératures
anciennes, à savoir cette gravité des
sentences que nous
appelons les vérités générales. Il ne fut pas si bien inspiré par la Réforme,
qui agita sa vie et le gâta comme poète. Il faut chercher le génie de Marot
dans les poésies antérieures à son exil et non dans ses Psaumes. C'est de
celles-là que La Bruyère a pu dire : Entre
Marot et nous, il n'y a guère que la différence de quelques mots. L'imagination
des Allemands et leur esprit poétique, dès longtemps déjà presque stationnaires,
furent, en quelque sorte, complétement paralysés dans ce siècle. Les
controverses religieuses, le fanatisme scolastique, un mépris pour les
connaissances purement humaines qui allait jusqu'à les proscrire comme des
impiétés, la Réforme, pour tout dire en un mot, ravala encore la poésie en
Allemagne, si elle ne l'anéantit tout à fait. Cependant Hans Sachse, le
cordonnier de Nuremberg, osa braver l'intolérance des Réformateurs. Sa muse
féconde aborda tous les genres. L'époque brillante de ses poésies est de 1530
à 1538. On assure qu'elles s'élèvent à plus de six mille ; il n'en a pas été
imprimé plus du quart. Les critiques allemands sont fort divisés sur son
mente ; mais leurs débats, où la gloriole nationale intervient plus que les
droits de l'art ne le comportent, n'empêchent pas que le cordonnier de
Nuremberg n'ait été incontestablement plus utile à l'humanité en la
chaussant, qu'il ne l'a charmée en pindarisant. Il n'en est pas moins le plus
fameux des meistersingers. Que cet honneur lui soit léger ! William
Dunbar marche à l'extrême avant-garde de la Poésie anglaise au seizième
siècle. Son Bouclier d'or, poème allégorique, est, relativement à son temps,
remarquable par la versification, qui en est harmonieuse et régulière. Ses
descriptions sont souvent vives et pittoresques ; mais il y reproduit
éternellement ces lieux communs de soleil levant, de ramage des oiseaux,
etc., si chers aux romanciers provençaux et français, et qui ont été répétés
à satiété par les Anglais. Après Dunbar, sir David Lindsay (1520-1550), Écossais, écrit contre Jacques
V et sa cour une satire supérieure à l'Éloge du chardon, autre poème de ce
même Dunbar. Cependant il ne s'élève pas beaucoup au-dessus des fastidieux
versificateurs du siècle précédent. Wyat, mort en 1544, lisait dans le cœur
humain avec un regard plus perçant et plus juste que Surrey, qui fut exécuté
en 1547 ; de là, cette différence qu'on remarque dans leurs satires. Surrey,
dans sa satire contre les citoyens de Londres, se borne a des reproches ;
Wyat, dans la sienne, prodigue l'ironie et ces touches fines, ces traits de
ridicule, qui nous font rougir de nos défauts et nous en corrigent sans
bruit. Mais, pour la délicatesse du goût, Surrey l'emporte sur Wyat. Dans ses
nombreuses traductions de Pétrarque, il approche souvent de très-près de son
illustre modèle ; il n'en est pas de même de Wyat, qui demeure toujours fort
loin et fort au-dessous de l'italien. Surrey introduisit le premier le vers
blanc dans la Poésie anglaise ; il a traduit ainsi le deuxième livre de l'Énéide. Nous
touchons à la fin du seizième siècle, et l'école de Pétrarque domine encore
en Italie. Le nombre des poètes qui la représentèrent pendant ce siècle est
prodigieux ; Crescembini le porte à six cent soixante et un. Bembo, ayant cru
s'apercevoir un jour d'un refroidissement dans le culte dont Pétrarque était
l'objet, conçut le dessein de lui rendre la vogue, comme l'unique moyen de
purger le Parnasse italien de ce style rude et barbare qui le corrompait
encore. Ses diverses connaissances, ses relations, sa fortune, donnèrent une
grande autorité à ses conseils et à son exemple. Malheureusement, à mesure
qu'il imitait Pétrarque, il reconnaissait la pauvreté de son propre génie, et
croyait y suppléer en contrefaisant d'autant plus son modèle. Il puisait là ses
phrases, ses pensées, ses images, comme à la source unique, et n'osait rien
dire ou penser que n'eût dit ou pensé Pétrarque. Il écrivit des vers
corrects, élégants, harmonieux, mais entièrement vides de sens et
d'expression. Cette méthode paraissant fort commode à un grand nombre de
versificateurs, ils se mirent tous à copier Pétrarque, ou plutôt à le délayer
et à le dénaturer. De là, cette foule de pétrarquistes qu'on pourrait plus justement
appeler bembistes, et qui auraient déshonoré le
seizième siècle, s'il n'eût eu de quoi les faire oublier. Quelques poètes
d'ailleurs, tout en respectant l'élégance de Pétrarque et de Bembo,
cherchèrent en même temps à donner au style et à la pensée des formes
nouvelles ou des couleurs différentes ; ce furent les anti-pétrarquistes.
Antonio Brocardo, Cornelio Castaldi, Galeas de Tarsia, et surtout Jean de la
Casa qui avait été d'abord pétrarquiste, rompirent en visière à ce parti,
montrèrent de l'originalité et balancèrent l'influence de Bembo. Un style
encore plus différent de celui de Pétrarque est le style d'Angelo di
Costanzo, dont le plus grand mérite est d'avoir perfectionné la forme du
sonnet. De tous les poètes lyriques de ce temps, Costanzo est peut-être celui
qu'estiment le plus les critiques. La poésie de Camillo Peregrini a beaucoup
de ressemblance avec celle de Costanzo ; mais les sonnets de Baldi, et
notamment ceux qu'il a faits sur les ruines et les antiquités de Rome, ne le
rendent pas indigne de figurer à côté des deux autres. Celio Magno a écrit
des canzoni qui paraissent, comme les odes
de Pindare, avoir été des œuvres de commande, et Rubbi, l'éditeur du Parnasso
italiano, dit qu'il appellerait Celio Magno le plus grand poète lyrique de son siècle, s'il ne craignait les clameurs
des pétrarquistes. Bernardino Rota et Gaspara Stampa ont dans leurs sonnets
plus de sensibilité naturelle et plus de douleur vraie que la plupart de
leurs contemporains. La Nautica, de Bernardino Balbi, poème didactique
en vers blancs, offre des détails minutieux quelquefois et prosaïques ; mais
elle est exempte de bassesse, d'enflure et d'obscurité, défauts communs à
tant d'autres poèmes. Bernardino Tasso leur est supérieur à tous ; mais ce
fut moins à ses poésies lyriques qu'à son poème de l’Amadigi, qu'il
dut la plus grande partie de sa réputation. C'est un roman héroïque sur
l'histoire d'Amadis, écrit avec facilité, dans l'acception la plus favorable
du mot. Bentivoglio est l'auteur de satires, inférieures à celles d'Arioste,
supérieures, au goût de quelques critiques, à celles d'Alamanni. Mais le ton
demi-plaisant, demi-sérieux de toutes ces satires n'est pas à comparer à
celui de la Poésie burlesque, genre plus naturel aux Italiens. Satirique
jusqu'à la cruauté, légère, familière, triviale même dans son expression, la
Poésie burlesque, d'ailleurs susceptible de grâce au milieu de sa gaieté, fut
déshonorée par quelques-uns de ceux qui la cultivaient, et surtout par
Arétin. C'est pourquoi il y a lieu de s'étonner, comme Hallam le remarque,
que, dans un siècle aussi peu scrupuleux en fait de vengeances politiques et
privées, quelques grands princes, qui n'avaient jamais épargné un digne
adversaire, se soient abaissés à acheter le silence d'un odieux libelliste
qui s'appelait leur fléau. Les satires d'Arétin ont de la
verve et du trait ; mais ses poésies sérieuses sont fades et prosaïques ; la
malignité humaine était son seul Apollon. Les plus remarquables en ce genre
sont, après lui, Firenzuola, Casa, Franco et Graziani. Nous renvoyons aux
historiens réguliers de la littérature italienne ce qu'il y aurait à dire sur
le genre macaronique, genre tout à fait méprisable, dont Folengo fut
l'inventeur, et sur l'introduction du mètre latin dans les vers italiens,
folie qui a été inoculée tour à tour chez tous les peuples. Torquato
Tasso, fils de Bernardino, ferme cette ère majestueuse de la Poésie
italienne, à laquelle Laurent de Médicis et Léon X ont donné leurs noms. La
Jérusalem est la grande épopée des temps modernes. Le sujet n'en appartient
pas, comme celui de l'Iliade à un peuple isolé, mais à l'Europe
entière ; ce n'est pas une tradition flottante et confuse, c'est de
l'histoire positive et déjà assez éloignée pour se prêter aux desseins du
poète avec autant de souplesse que la fable. Sous le rapport de la variété des
événements, des changements de scènes et d'images, et de la nature des
sentiments qu'elle éveille, la Jérusalem délivrée vaut l'Iliade.
Il n'en est pas de même des caractères des personnages ; Tasse, en cela, est
inférieur à Homère. Godefroi est un noble modèle d'une vertu calme et pure,
mais il est froid ; Renaud n'a pas de caractère bien déterminé, et Tancrède
est un peu affaibli par sa passion. Seul, le caractère de Clorinde est d'un
bout à l'autre admirable : n'ayant rien de la virago qui révolte l'imagination,
rien du ridicule qui s'attache à une femme douce et belle, cachant sa
faiblesse et ses charmes sous une pesante armure et vivant parmi les soldats,
Clorinde est un type de grâce et de délicatesse incomparable, et elle
l'emporte autant peut-être sur Bradamanle et sur Britomart que sur Camille,
la fille du roi des Volsques n'étant pas, dans l'Enéide, l'objet d'une
tendre passion. Si on
considère le style de Tasse, on y trouve un nouveau sujet d'admiration : il a
rarement de l'enflure et de la dureté ; il n'est pas de stances qui ne
renferment des vers d'une beauté supérieure, et il faut parcourir des séries
de pages, avant d'y rencontrer un vers faible ou une expression impropre. Les
concelli qu'on lui a reprochés indiquent le faux goût
qui commençait à dominer, et toutefois ils ne sont pas aussi nombreux qu'on
l'a prétendu. Il en est de même de quelques locutions triviales ou forcées,
de quelques allusions mythologiques insignifiantes, de l'abus du merveilleux
; mais, quelles que soient ses fautes, Tasse n'en est pas moins un très-grand
poète, et ce n'est pas le surfaire ni abaisser Virgile, que de l'égaler à
celui-ci. Fra
Luis Ponce de Léon passe pour le meilleur poète lyrique de l'Espagne dans la
seconde moitié du seizième siècle. Ses poésies consistent surtout en
traductions ou imitations. Une de ses odes, imitée d'Horace, peint le Génie
du Tage s'élevant de ses eaux, comme Nérée, et prédisant à Rodrigue, le
dernier des Goths, enchaîné dans les bras de Cava, les calamités que leurs
criminelles amours devaient attirer sur l'Espagne : c'est un magnifique
morceau. Après Fra Luis, vient Herrera, surnommé le Divin. On lui a reproché
ses hardiesses de langue, ses innovations. A son élévation lyrique, à la
richesse, à la pompe de ses phrases, on sent qu'il a fait une étude
particulière de Pindare ; ses odes sont comme un torrent de poésie
retentissante et toute nourrie de ces tons sonores qui abondent dans la
langue castillane ; mais il abuse un peu des lieux communs. Génie spirituel
et enjoué plutôt qu'élégant, Castillejo essaya de faire revivre le rythme de
la redondilla et de tourner en ridicule les
imitateurs de Pétrarque. Quelques-unes de ses canciones sont d'une facilité, d'un entrain remarquables ; elles
n'empêchèrent pas cependant que ceux qui pouvaient prétendre à figurer parmi
les poètes d'un ordre supérieur, ne continuassent à régler leur style sur le
style châtié des Italiens. Les plus éminents avant la fin du siècle furent
Gil Polo, Espinel, Lope de Vega, plus fameux par son talent et sa fécondité
dans le genre dramatique, Barahona de Soto et Figueroa. L'auteur de l’Araucana,
poème épique, Ercilla y Zuniga, décrit avec feu, peint bien les situations,
est correct et naturel dans son style, mais il se perd dans des digressions
sans fin et des épisodes qu'il n'a pas l'art de rattacher à son sujet.
Vélasquez, dans son Histoire de la Poésie espagnole, donne
l'énumération et quelquefois l'analyse et la critique de vingt-cinq ouvrages
environ du genre de l'Araucana ! Une telle condescendance honore son
patriotisme. Mais
déjà le Portugal avait vu naître un homme, auprès duquel Ercilla pâlit et
s'éclipsa ; nous avons nommé Camoëns. La Lusiade est exclusivement ce
qu'indique son titre : Les Portugais (Os Lusiados), c'est-à-dire l'éloge de la
nation portugaise. Leur histoire passée vient s'enchâsser, au moyen
d'épisodes, dans le grand événement du voyage de Gama aux Indes. Le plus
célèbre est celui où le poète représente le Génie du Cap s'élevant du milieu
de ses mers orageuses, pour menacer le téméraire aventurier qui sillonne
leurs flots encore vierges. Nulle part Camoëns n'est plus tendre, plus
gracieux, plus mélancolique, nulle part il n'a donné des signes d'une
imagination aussi vigoureuse ; mais le formidable Adamastor est rapetissé par
une description trop minutieuse, où il ne nous est pas même fait grâce de ses
dents jaunes. Les autres défauts du poète, dans l'agencement de sa fable et
dans le choix de son merveilleux, sont assez évidents ; ses détails
géographiques et historiques sont insipides et fatiguent ; il semble ignorer
le secret de tirer parti des artifices de la poésie, et il nous captive
rarement par l'éclat des pensées et les ornements du style ; une certaine
négligence nous désappointe dans les plus beaux endroits. Mais ces défauts
sont amplement rachetés par l'absence de tout ce qui peut choquer à première
vue, comme l'enflure, le maniérisme et l'obscurité ; par une narration d'une
aisance et d'une limpidité parfaites, par des scènes et des descriptions qui
ont un certain charme de coloris et qui, pour être d'une touche un peu
négligée, n'en sont pas moins agréables ; par. un style qui se soutient
toujours au-dessus du langage ordinaire ; par une versification coulante et
harmonieuse, et surtout par une sorte de mol abandon qui donne en quelque
façon le ton à tout l'ouvrage, et rappelle sans cesse à notre esprit le
caractère poétique et le sort intéressant de l'auteur. Ferreira,
compatriote de Camoëns, a écrit, outre des poésies lyriques, des épîtres où
il essaie de prendre le ton didactique d'Horace, et qui sont fort estimées.
Ferreira est le fondateur d'une école classique portugaise qui ne paraît pas
avoir trouvé beaucoup de sympathie dans le caractère de sa nation. Corte Real
a composé trois poèmes épiques, lesquels sont restés manuscrits. On le dit
grand poète, en Portugal ; nous aimons à le croire, ne pouvant pas autrement
le vérifier par nous-même. L'époque
actuelle (1550-1600) fut pour la France un âge de
Poésie. Goujet (Bibliothèque françoise) a recueilli les noms et, jusqu'à un certain point,
écrit les vies de près de deux cents poètes, durant ce demi-siècle. Sur ce
nombre, il n'en est guère que cinq ou six dont la France daigne encore se
souvenir ; mais nos préventions ne vont pas jusque-là. Les personnifications
allégoriques qui, depuis le Roman de la Rose, avaient été exclusivement,
hormis dans Marot, le champ ordinaire de la Poésie, firent place- à la
mythologie et aux allusions classiques. Ce pédantisme dut sa plus grande
faveur à Ronsard, l'astre le plus brillant de la Pléiade dont Jodelle, Du
Bellay, Baïf, Pontus de Thyard, Daurat et Belleau n'étaient à ses yeux que
les étoiles secondaires. Versé dans la connaissance des langues anciennes et
tout plein de vanité, il crut qu'il était né pour refondre la langue de ses
pères et lui donner des formes mieux adaptées à son génie. Il créa une foule
de mots barbares qu'il tira du grec et du latin et il en farcit ses sonnets
amoureux. Cette cuisine fut trouvée exquise et dut, j'imagine, être goûtée
des dames. Ronsard toutefois la prodigua moins dans ses odes, où l'on trouve
d'ailleurs une verve et une grandeur qui témoignent de son esprit vraiment
poétique. Ronsard était capable de concevoir fortement et d'exprimer ses
conceptions dans un langage clair, énergique, quoique rarement pur et choisi.
Nous citerons, comme exemple, le poème intitulé : Promesse y mais il rebute
par sa versification hérissée d'enjambements, aussi insupportables à
l'oreille délicate d'un Français, qu'ils plaisent quelquefois, lorsque le poète
n'en abuse pas. La popularité de Ronsard fut immense. Charles IX lui adressa
quelques vers qui sont vraiment élégants, et ses poésies adoucirent la longue
captivité de Marie Stuart. Il ne lui manqua que de jouir du spectacle de ses
propres funérailles. Le roi y pourvut, le cardinal de Bourbon y présida, les
courtisans, les bourgeois, le peuple y accoururent en foule. Dans ces moments
de troubles et d'anxiété (1586), où la royauté en France était presque à
l'agonie, on trouvait le temps de déplorer solennellement la perte de Ronsard
! Avec Malherbe, la poésie de Ronsard tomba dans le mépris. A
l'exception de Joachim Du Bellay, appelé l'Ovide français et dont les Regrets
ou lamentations sur son éloignement de la France sont presque aussi plaintifs
et quelquefois aussi élégants que ceux de l'exilé sur les rives du Danube,
les autres astres de la Pléiade méritent à peine une mention particulière.
Jodelle, le fondateur du Théâtre en France, s'est fait bien moins d'honneur
comme poète, et est tombé dans l'absurdité à la mode, de faire du français
avec du grec. Baïf a peut-être, mais dans une courte mesure, contribué, par
son exemple, à fixer les règles de la versification française. Ronsard
faisait trop de cas de Remi Belleau pour que la qualité des poésies de ce
dernier ne soit pas suspecte. Il suffit d'avoir nommé les autres. Mellin de
Saint-Gelais a des passages qui égalent les meilleurs de Marot, et où le fin
est d'un ton auquel Marot ne se serait peut-être pas élevé. Amadis Jamyn, qui
fut le rival, après avoir été l'élève de Ronsard, eut plus de naturel et
moins d'enflure et d'emphase que lui. Milton n'a pas dédaigné de ramasser des
perles au milieu de ce fatras de mauvais goût et de mauvais style qu'on
appelle la Semaine, par Du Bartas. Pibrac se fit une réputation
extraordinaire par ses quatrains. On les traduisit jusqu'en Orient. Ils ne
sont plus lus en France, et cela n'est pas étonnant. Une imitation de la
sixième satire d'Horace, par Nicolas Rapin, est un bon morceau et purement
écrit ; mais il faut lire surtout ses vers de la Satire Ménippée. Aidé par
l'étude de Tibulle en même temps que par son esprit naturel, Desportes a
donné à la Poésie des amours une certaine grâce qui a manqué à l'école de
Ronsard. Bertaut a des vers pleins de sentiment : Boileau l'a cru louer
assez, ainsi que Desportes, en disant qu'ils avaient été plus retenus que
Ronsard ; ils furent aussi plus élégants. Enfin, Agrippa d'Aubigné écrivit
dans sa jeunesse un long poème satirique, intitulé Tragiques, où l'on trouve
une vigueur singulière. Il ne
serait pas juste de confondre avec le vulgaire des poètes de cette époque : Et.
de La Boëtie, auteur de l'Esclavage volontaire ; Louise Labbé, dite la Belle
Cordière, poète en quatre langues : française, latine, italienne et espagnole
; Jacq. Du Fouilloux, Jeanne d'Albret, Guill. Des Autelz, Jacq. de Billy,
Marie Stuart, Madeleine Des Roches, J. Daurat, Robert Garnier, Étienne
Pasquier et Passerat qui essayèrent tous deux de naturaliser le mètre latin
et n'eurent à cet égard qu'une faveur passagère ; enfin Vauquelin de La
Fresnaye, Jean et Jacq. Loys, et Pierre Larivey, de Troyes. Enfin
Malherbe vint, et, le premier en France, Fit
sentir dans les vers une juste cadence, D'un
mot mis à sa place enseigna le pouvoir, Et
réduisit la muse aux règles du devoir. Par
ce sage écrivain, la langue réparée, N'offrit
plus rien de rude à l'oreille épurée. Les
stances avec grâce apprirent à tomber, Et
le vers sur le vers n'osa plus enjamber. Tout
reconnut ses lois, et ce guide fidèle Aux
auteurs de nos jours sert encor de modèle. Marchez
donc sur ses pas, aimez sa pureté, Et
de son tour heureux imitez la clarté. Tout,
dans ce jugement, est considérable ; tout porte coup ; il serait téméraire
d'y ajouter quelque chose ; c'est la théorie même de l'art d'écrire en vers,
pratiquée par Malherbe et rédigée par Boileau au nom de tout le dix-septième
siècle : Malherbe clôt la série des poètes français du seizième. Dans la
seconde moitié de ce siècle, comme dans la première, l'Allemagne fut à peu
près impénétrable aux rayons de la Poésie qui vivifiaient les autres pays de
l'Europe. Le type caractéristique que les meistersingers avaient imprimé à la
Poésie allemande s'était conservé et se manifestait, soit par des chants
didactiques ou religieux, soit par des satires, soit par des apologues.
Luther, Hans Sachse, l'éternel Hans Sachse, et d'autres plus obscurs,
figurent parmi les fabulistes. Celui qui traita le mieux ce genre est Burcard
Waldis, dont les fables, en partie imitées d'Ésope, parurent pour la première
fois en 1548. Le Froschmauseler, de Rollenliagen, publié en 1545, est une
sorte d'apologue politique et moral du même genre, dont les descriptions ont
quelque vivacité. Fischart est un autre satiriste moral mais d'une gaieté
folle et d'un style extravagant ; il a donné une traduction libre de
Rabelais. Beaucoup de ballades allemandes empruntées en grande partie aux
vieux romans de chevalerie sont de la même époque : le style en est humble ;
il n'y a d'autre mérite poétique que celui de l'invention, qui ne leur
appartient pas ; et cependant, elles ont du naturel, de la vérité dans le
sentiment, et elles valent mieux que celles du siècle suivant. Le bel
âge de la Poésie anglaise commence avec la seconde moitié de ce siècle. Dans
la poésie légère, lord Vaux et Richard Edwards viennent immédiatement après
Wyat et Surrey. William Hunnis serait sur la même ligne, s'il ne tombait trop
souvent dans une moralité triviale et dans un abus ridicule de
l'allitération. Thomas Sackwille brille un instant dans les régions de la
Poésie. Son Induction ou prologue du Miroir des Magistrats (Mirrour of
Magistrales, 1559),
recueil où sont racontés, par différents auteurs, les revers des personnages
célèbres de l'Angleterre, l'a fait placer par ses compatriotes bien au-dessus
de Surrey, et il est le héraut de cette splendeur poétique qui commence avec
le règne d'Elisabeth et dans laquelle finit ce même règne. Depuis Sackwille,
les poètes anglais furent quelque temps avant de s'inspirer de son exemple. Churchyard,
Gouge, Tuberville, etc., rampent et semblent craindre de ne pas ramper.
George Gascoyne est le premier qui s'élève. Son Miroir d'acier (Steel glass), publié en 1576, est le premier
modèle de la vraie satire anglaise ; il a de la force et du sens. Spenser,
dans son Shepherds Kalendar (Calendrier du Berger), fit preuve de jugement aussi
bien que de génie, lorsqu'au lieu de lutter dans son idiome, comparativement
dur et inculte, avec l'exquise élégance de Tasse, il imagina un nouveau genre
de pastorale, plus naturel que celui qui avait été jusqu'alors en faveur, et
fit parler ses bergers en bergers, et non en courtisans. Mais il se jeta dans
l'opposé extrême, et donna à son dialogue une rudesse dorique qui blesse un
peu le goût anglais. Il est plus célèbre par son poème la Reine des fées
(the
Faery queen),
lequel se divise en six livres. On s'accorde à reconnaître que le premier,
qui est à lui seul un poème complet, est le plus beau des six. Le Chevalier
à la croix rouge y représente le chrétien militant : Una,
qui l'aime, est la vraie Église ; Duessa, qui le séduit, est le papisme.
Réduit presque au désespoir, il est sauvé par l'intervention d'Una et par les
secours de la Foi, de l'Espérance et de la Charité. Il y a moins d'allégories
dans les livres suivants ; ils contiennent les légendes des vertus, telles
que la Tempérance, la Chasteté, etc. Mais une autre espèce d'allégorie,
l'allégorie historique, se révèle dans la légende de la Justice, qui occupe
le cinquième livre. Arthegal est évidemment le portrait d'Arthur Grey, lord
député d'Irlande, ami et patron de Spenser ; et le poète donne suffisamment à
entendre que sa Gloriana, ou Reine des fées, est le type d'Elisabeth,
qu'il a représentée une seconde fois sous les traits de la belle chasseresse
Belphœbé. Tout cela est sans doute fort délicat ; mais il faut qu'il y ait,
dans cette variété singulière et dans cette succession d'allégories, quelque
chose qui échappe à la sagacité française, puisque nous ne nous sentons pas
touchés de ces inventions : aujourd'hui encore, dit-on, les délices des
esprits d'élite en Angleterre. Toujours est-il que Hallam, qui fait un éloge
pompeux de ce poème et dont la critique, en général, est excellente, est tout
près de s'indigner contre ceux qui liraient sans plaisir, par exemple, le
premier livre de la Reine des fées, et il les engage à chercher ailleurs que
dans ce livre la cause de l'ennui et du dégoût qu'ils pourraient éprouver.
L'avertissement est poli, mais, au fond, peu flatteur. Quoi qu'il en soit, et
de peur d'encourir sa colère, nous donnons sans débat les mains à son
enthousiasme. Un
très-grand nombre de poésies de Sydney, Raleigh, Lodge, Breton, Marlowe,
Green et Watson ont été rassemblées dans différents recueils publiés au
commencement du dix-septième siècle ; plusieurs sont pleines de grâce et de
simplicité. Le ton conventionnel adopté par ces poètes est celui de la
pastorale ; mais l'amour n'y est plus languissant et mélancolique, il y est
enjoué et triomphant : on y sent l'influence de la galanterie plus
entreprenante de la cour d'Élisabeth. Cependant
les accents plus graves de la religion et de la philosophie se font entendre
dans la langue poétique. Le Messager de l'âme (the Soul's
Errand), d'un
auteur anonyme, a pour caractère la force, la condensation et la simplicité.
La poésie de Robert Southwell, exécuté en 1591 comme prêtre de séminaire,
porte une teinte profonde de tristesse, qui semble présager la catastrophe de
sa vie : elle est presque entièrement religieuse. Shakespeare naît en 1564 ;
mais sa gloire comme poète dramatique n'étant pas de notre sujet, nous le
considérerons ici comme auteur de deux poèmes publiés, en 1593-1594, sous les
titres de Vénus et Adonis et Le Rapt de Lucrèce. Le style en est coulant et,
en général, plus clair qu'il ne l'est ordinairement chez les poètes du règne
d'Élisabeth ; mais il surabonde de fleurs, et, dit Hallam, si ces poèmes ne portaient le nom de Shakespeare, je ne
suis pas certain qu'on y reconnût sa louche. Plusieurs poètes nouveaux viennent à la file
combler l'intervalle compris entre 1590 et 1600. Samuel Daniel est de ce
nombre. Il est l'auteur de la Complainte de Rosamonde, dont la vogue fut
immense. A la mort de Spenser, en 1598, il lui succéda comme poète lauréat.
Parmi les autres, on remarque Michel Drayton, qui a écrit un poème épique,
les Guerres des barons (Baron's Wars) ; John Davies, qui en a fait un
autre sur la connaissance de soi-même, intitulé : Nosce te ipsum ;
Hall, satiriste à la manière de Juvénal et supérieur à Gascoyne ; Marston et
Donne, qui se sont essayés dans le même genre, mais avec moins de succès ;
Marlowe, déjà cité, auteur d'une paraphrase licencieuse du poème de Musée,
Héro et Léandre. Fairfax, qui a traduit la Jérusalem de Tasse, avec peu de
fidélité, mais avec chaleur et énergie, et John Harrington, qui a traduit
Arioste et ne l'a pas si bien traité. Ellis a dit qu'on pourrait citer près
de cent poètes appartenant au règne d'Élisabeth, Drake en a donné un
catalogue de plus de deux cents ; mais un grand nombre de ces poètes ne sont
connus que par de petites pièces fugitives, et l'Angleterre compte d'ailleurs
une série de poètes assez respectables pour ne considérer ceux-là que comme
un appoint insignifiant. Il en est d'autres pourtant qui sont considérables,
quoique anonymes, et qu'on ne saurait sans injustice passer sous silence : ce
sont les auteurs de ballades écossaises et anglaises. Elles sont ici plus
nombreuses qu'au quinzième siècle. La supériorité des ballades écossaises est
incontestable ; celles dont le sujet est tiré de l'histoire ou de la légende étincellent
du feu poétique. Les ballades anglaises de la frontière du nord se
rapprochent des premières par leur physionomie générale, mais leur
infériorité d'ailleurs est évidente ; quant à celles du midi, généralement
plates, elles sont cause du mépris dans lequel est tombée la ballade
ordinaire. Ici se
présente l'occasion de parler de la Poésie nationale chez quelques peuples du
Nord. Jusqu'ici notre silence, en ce qui les concerne, ne doit être imputé
qu'au manque presque complet de monuments poétiques dans les temps antérieurs
au seizième siècle. En
1508, les Danois se font honneur d'un poète, Peter Laaland, auteur de Proverbes
nationaux et ce poète est le seul. Les Suédois n'en comptent pas
davantage ; mais ils ont du moins le droit d'ancienneté sur leurs voisins.
Leur poète, également unique dans ce siècle, est Erich Olaï (1486), doyen à Upsal, qui a rimé des
Chroniques suédoises du quatorzième et du quinzième siècle. Il existe
pourtant des chants populaires danois et suédois qui remontent au treizième
siècle et peut-être au-delà, et dont on a formé des collections. Sophie
Olesnicka est la première poétesse citée dans l'histoire de la littérature
nationale de Pologne (1560), et Nic. Rey, de Naglovie, né en 1515, auteur d'une traduction
des Psaumes, est qualifié de Père de la
Poésie polonaise.
Les plus remarquables après eux sont : Stan. Pszonka, fondateur de la Société
satirique dite la République de Babin ; Grég. Samborczyk, Semp-Szarzenski, et
surtout Jean Kochanowski (1530), dit le Pindare polonais et le Prince des poètes
polonais. Il eut trois frères, poètes comme lui. Le dernier poète de ce
siècle est Stan. Niegoszewski, couronné poète, et célèbre improvisateur
latin. En 1584, il improvisa à Venise sur la théologie, la philosophie
d'Aristote et les mathématiques, en vers latins hexamètres et pentamètres, et
il publia, dans cette même ville, un poème latin, en l'honneur de Zamoiski,
suivi de six dithyrambes en hébreu, grec, latin, italien, espagnol et
polonais. La
Poésie russe, comme la littérature russe, en général, ne date que de la fin
du dix-huitième siècle. En
Hollande, Dirk Koornhert (1522-1590) est le créateur de la Poésie nationale. il est
l'auteur du chant populaire Willelmus van Nassouwen, qui n'est autre
chose que la vie de Guillaume-le-Taciturne écrite en stances ou couplets.
Marnix de Sainte-Aldegonde a traduit en vers hollandais les Psaumes sur
l'original hébreu (1538-1598) ; Pierre Dathenus, sans savoir l'hébreu, exécuta
le même travail d'après les versions de Marot et de Bèze, et obtint le prix
destiné par les États généraux à la meilleure composition de ce genre. Mais
ceux qui ont véritablement contribué aux progrès de la Poésie en Hollande, et
qui ont même fixé la langue de ce pays, sont Rœmer Wisscher (15...-1612) et Spiegel (1542-1612). Les filles de Roemer, Anne et
Marie, poètes comme leur père, ne furent pas non plus sans influence sur
cette révolution. Roemer se distingua par la naïveté ; ses filles, Marie
surtout, par la finesse du badinage et la délicatesse des sentiments. Leurs
poésies consistent principalement en petites pièces mêlées, épigrammes et
madrigaux. Spiegel, surnommé l'Ennius
hollandais, est
le premier qui ait assujetti la versification hollandaise à des règles fixes,
dans son poème le Miroir du cœur. Il introduisit notamment l'usage alternatif
des rimes masculines et féminines, dont l'adoption ne fut rendue définitive
que par le célèbre Hooft au dix-septième siècle. Ce
dernier siècle qui s'ouvre, est le terme assigné à notre examen de la Poésie
nationale en Europe. En nous résumant, il résulte que le seizième siècle, qui
a donné à l'Espagne Lope de Vega, au Portugal Camoëns, à l'Angleterre Shakespeare,
à l'Italie Arioste et Tasse, leur a donné les plus grands esprits poétiques
dont ces différents pays s'honorent encore aujourd'hui. Mais, en produisant
Malherbe en France, le seizième siècle a laissé, pour ainsi dire, au
dix-septième l'honneur de perfectionner son ouvrage. Tous les poètes
étrangers que nous venons de nommer, soit dans le fond, soit dans la forme,
gardent plus ou moins les traces de la peine qu'a coûté leur enfantement ;
après le seizième siècle, la nature, comme fatiguée de son effort, semble
avoir refusé à jamais ses flancs à la fécondation des siècles postérieurs.
Pour la France seule, elle a entretenu, elle a décuplé ses forces
productrices, et le siècle de Louis XIV, qui en a recueilli les fruits, est
l'époque de ces chefs-d'œuvre de Poésie dont la perfection idéale rend peu
probable que la nature aille jamais au-delà. DE LA POÉSIE LATINE. La
Poésie moderne est l'héritière directe de ce genre de Poésie ; ses monuments
les plus anciens en offrent d'irrécusables témoignages. On
rencontre tout au plus, au sixième siècle, quelques vers latins tissus de
lambeaux du style classique saisis au hasard ; la presque totalité n'en vaut
absolument rien. Au septième siècle, Fortunat, évêque de Poitiers, rappelle,
mais de loin, le génie des Mamertus, des Sedulius et des Avitus, poètes du
cinquième ; il a composé des poésies élégiaques religieuses, obscures et
toutes hérissées de fautes de quantité, et des hymnes, dont la plus belle, le
Vexilla régis, lui est contestée. Il faut descendre, après lui, jusqu'au
dixième siècle. Hroswitha, abbesse de Gandersheim, écrit alors, dans un latin
pareil sinon inférieur à celui de Fortunat, des comédies chrétiennes à
l'imitation de Térence, et d'autres poésies dévotes. Tous les biographes
s'accordent à lui donner le premier rang parmi les poètes latins de son temps
: il serait plus juste de dire que personne ne le lui disputa. Ses poésies
n'en sont pas moins pitoyables. La
Poésie latine, qui, dans l'intervalle compris entre le dixième et le douzième
siècle, n'avait produit que de mauvaises rimes léonines ou des essais en
hexamètres réguliers, presque aussi mauvais, s'améliore un peu, et
quelquefois même a du mouvement et de la chaleur sous la plume de Gunther,
auteur du Ligurinus, poème en dix livres sur les guerres de Frédéric
Barberousse (1160)
; de Philippe Gaultier, de Lille, qui écrit l’Alexandréide (vers 1177), autre poème en dix livres sur
Alexandre-le-Grand ; de Guillaume Le Breton, auquel on doit la Philippide,
en douze chants, sur les exploits de Philippe-Auguste (vers 1200) ; de Joseph d'Iske (Iscanus), Anglais, dont la Guerre de Troie et l’Antiocheis sont, au
jugement de Warton, un miracle de composition
classique pour l'époque
(vers
1200). Malgré leurs
défauts nombreux, on aperçoit chez ces différents poètes un progrès réel dans
les connaissances classiques, et les signes d'un goût plus pur en Europe. Au
treizième siècle, Alain de l'Isle, dit le Convers, mort en 1294, écrit une
espèce de poème héroïque en dix livres contre le Rufin de Claudien, et
l'intitule : Anti-Claudien ; c'est un galimatias et un chaos
impénétrables. L'ignorance des écrivains de ce siècle est incroyable ; elle
regarde non-seulement la pureté de la langue latine, mais aussi les règles
les plus simples de la grammaire. Les versificateurs ont perdu toute idée de
prosodie et retombent dans les rimes léonines et les acrostiches. Pétrarque
réhabilite la Poésie latine. Il était plus fier de son Africa, dont le
sujet est la fin de la deuxième guerre punique, que des sonnets et des odes
qui l'ont immortalisé. Écrit avec élégance mais avec recherche, ce poème
l'emporte sur toute la versification latine du Moyen Age ; et, s'il ne brille
pas par la correction (il abonde en fautes de prosodie), il brille assurément
par plus de goût. Ses Églogues, satires plus ou moins déguisées pour la
plupart de la cour d'Avignon, valent mieux que son Africa, mieux aussi
que les Églogues de Boccace, qui sont loin d'être médiocres. Vers la
fin du quatorzième siècle, une distinction manifeste s'opère entre le latin
pur et l'idiome corrompu du Bas-Empire : c'est la véritable époque de la
renaissance des lettres anciennes. Toutefois, les poètes latins sont encore
grossiers jusqu'à Maffeo Vegio, mort vers 1458. Son treizième livre de
l'Énéide est ce qu'il y a de meilleur, avant Politien. Après Maffeo Vegio, on
ne saurait refuser une mention honorable à Mambritius, de Milan ; aux deux
Verino, de Florence, et à Lancinus Curtius, de Milan. Les vers de Politien se
distinguent par un sentiment énergique des beautés romaines. Son oreille est
excellente, et son rythme, à quelques expressions près, est musical et
virgilien, mais il est trop abondant, trop descriptif ; il fourmille de
termes qu'aucune autorité ne légitime ; il est lâche quelquefois, efféminé,
et le poète montre pour les diminutifs un amour, poussé, suivant la mode de
sa langue natale, au-delà de toutes bornes. Politien a tout ce qu'il faut
pour faire les délices d'un écolier et pour l'entraîner dans une fausse voie
; l'homme mûr, au contraire, le lira sans danger et toujours avec plaisir.
Les deux Philelphe, l'un desquels a rendu d'importants services à la
philologie, n'ont guère écrit que de pauvres vers. C'est à peine s'ils égalent
à cet égard les deux Strozzi, de Ferrare ; Cotta, de Vérone ; Hermigo Gajado,
Portugais ; Aurellius, de Mantoue, et ils le cèdent à G. Altilio, à
l'Allemand Conrad Celtès et à Crinitus (Pietro Ricci), de Florence. Baptiste
Mantouan, par la date de ses compositions, appartient à cette période. Il
était et il continua longtemps d'être le poète des écoles. Sa réputation fut
immense. Érasme dit que la postérité ne le placerait guère au-dessous de
Virgile : le marquis de Mantoue ne fit pas même cette différence, car il leur
éleva à chacun une statue côte à côte. Il y a longtemps que Mantouan est
entièrement négligé et ne trouve pas même place dans la plupart des recueils
de poésie latine. Ses églogues et ses silves sont les moins mauvais de ses
nombreux ouvrages. Un nom bien supérieur à tous ceux-là est Pontanus ;
cependant la plus connue de ses élégies, celle qu'il adresse à sa femme sur
la perspective de la paix, est bien loin des admirables vers de Politien sur
la mort d'Ovide ; mais il conserve l'avantage dans ses hexamètres, qui sont
plus polis et aussi harmonieux. Ses vers lyriques ont moins de force que de
grâce ; ils eussent gagné beaucoup à être un peu purgés de ce ton langoureux
qui les affadit et qui était alors très-commun dans la Poésie moderne. Les œuvres
poétiques de Pontanus, imprimées pour la première fois en 1513, ouvrent
dignement le seizième siècle. De 1500
à 1530, on remarque, parmi les contemporains ou les successeurs immédiats de
Pontanus, François Conti (Quintianus), de Brescia, qui produisait des vers par milliers,
et que, pour cette raison, ses camarades avaient surnommé Mouowv aroà
(portique des Muses) ; Augurelli, de Rimini, poète iambique, mais souffleur,
comme on qualifiait déjà au seizième siècle les alchimistes ; les deux
Béroalde, de Bologne ; Marulle, d'origine grecque, détracteur de Politien ;
Andrelini, de Forli, dont Vossius a dit qu'il
était une rivière de paroles et une goutte d'esprit ; Pierre Gravina, de Catane,
loué par Sannazar ; Balthazar Castiglione, M.-Ant. Casanova et Nicolas
Bourbon. Celui-ci, fils d'un forgeron de Vandeuvre, en Champagne, ayant
intitulé ses poésies : N. Borbonii. Nugarum libri octo, Joachim du Bellay fit
à ce sujet cette épigramme, qui est d'autant meilleure qu'elle dit vrai : Paule, tuum inscribis
Nugarum nomine librum, In toto libro nU melius
titulo. Mais
les trois noms les plus célèbres de cette période sont Sannazar, Vida et
Fracastor. Sauf le mélange de la mythologie païenne et des mystères du
christianisme, qui est tout à fait déplacé dans le poème De partu Virginis de
Sannazar, il serait difficile de trouver rien de comparable à ce poème sous
le rapport de la pureté, de l'élégance et de l'harmonie de la versification.
Vida est l'égal de Sannazar, mais non en tout : sa versification est souvent
dure et spondaïque ; les élisions y sont trop fréquentes, la césure trop
souvent négligée. Son Ars pœtica est son chef-d'œuvre. Plusieurs
critiques lui préfèrent toutefois ses poèmes du Jeu d'échecs et des Vers à
soie ; ils y admirent avec quelle habileté il a su faire passer dans un
langage élégant et classique les règles techniques les plus arides et les descriptions
les plus rebelles en apparence a toutes les conditions poétiques. La Syphilis
de Fracastor est à tous égards un poème unique. Du moment où l'auteur a jugé
à propos de faire choix d'un pareil sujet, on ne peut qu'admirer la beauté et
la variété de ses digressions, la vigueur et l'élévation de son style, et le
talent qu'il a d'exposer les règles de la thérapeutique avec toutes les
grâces dé la plus délicieuse Poésie. Après
ces œuvres d'un ordre à part, il faut citer le Benacus, ou poème sur le latf
de Garde, par Bembo. Mais Bembo a mieux réussi dans le vers élégiaque que
dans l'hexamètre, où il fallait autant d'élégance et plus de nerf. Molza est
l'auteur d'une épître, écrite à la manière d'Ovide, et adressée à Henri VIII
au nom de Catherine d'Aragon. Naugerius et Flaminius ont un style d'une
douceur et d'une pureté singulières ; dans leurs meilleurs passages, ils ne
sont pas indignes du parallèle avec Catulle et Tibulle. Lazare Bonamicus et
Jacques Bonfadius, l'un auteur de quelques épîtres, et l'autre, d'églogues,
ne sont pas sans mérite ; mais Aonius Paléarius prend le pas sur eux, par son
poème de Y Immortalité de l'âme. Le Zodiacus vitœ (Palingenius
stellatus), de
Manzolli, est un long poème moral dont chaque livre porte le nom d'un des
signes du zodiaque ; ce n'est pas une œuvre fort poétique, mais il y a
quelques passages écrits de verve et dans ce genre de versification négligée
dont Horace a donné le modèle. Les Fables de Gabriel Faërne
demeurèrent une œuvre distinguée, même après qu'on eut découvert les fables
de Phèdre. Jusqu'ici
la Poésie latine s'est, pour ainsi dire, retranchée au-delà des Alpes. A tous
les poètes de l'Italie que nous venons de nommer, sans parler de ceux que
nous omettons, l'Europe septentrionale n'a guère à opposer que cinq ou six
noms illustres. Le plus connu et le plus lu peut-être est Jean Second, de La
Haye ; ses Baisers ont plus de réputation que ses élégies, mais il
n'est pas prouvé qu'ils l'emportent sur elles. Il n'y a pas si loin de la
grâce qui les caractérise, à l'insipidité, à la fadeur. Leur extrême élégance
en est le principal mérite. Quelques fautes de quantité gâtent ses élégies.
En Allemagne, Eobanus Hessus, que quelques-uns de ses naïfs contemporains
n'ont pas fait difficulté de comparer à Homère même, Micyllus et Melanchthon
ont joui d'une grande réputation dans la Poésie latine. De 1550
à 1600, les poètes latins pullulent partout, mais leur talent déchoit en
Italie. Les frères Amaltei sont peut-être les meilleurs de la fin de ce
siècle. Cette infériorité de l'Italie est bien compensée dans d'autres pays
de l'Europe. La France et la Hollande, la première surtout, deviennent le
séjour favori de la muse latine. Le Deliciœ pœtarum Gallorum, par
Gruter, contient les principaux latinistes français et renferme environ cent
mille vers ; on en trouve à peu près autant dans le Deliciœ pœtarum,
Belgarum, du même compilateur. Sa troisième collection, Deliciœ
pœtarum Italorum, est infiniment moins étendue, quoiqu'il y ait plus de
noms ; certains poètes y figurent pour une simple pièce, une épigramme. Il en
est de même du Deliciœ pœtarum Germanorum, qu'on doit encore à Gruter.
Il faut nécessairement faire un choix, un choix très-restreint, dans ce
fatras de vers, sous peine de s'y égarer et de n'en plus sortir. Parmi les
Français, Bèze a quelques pièces écrites avec esprit, élégance et pureté ; mais
Jules Scaliger est dur, raboteux, obscur, et J. du Bellay, poète estimable en
sa langue naturelle, est inférieur à lui-même en latin. Les épigrammes
d'Henri Estienne sont lourdes et prosaïques ; celles de Pasquier sont forcées
; Muret est très-supérieur à tous les deux et à ceux qui les précèdent.
Passerat est élégant ; ses vers ont le parfum de l'antiquité, quoique le sens
n'ait pas grande portée. Au contraire, les épîtres de L'Hospital, écrites
d'un style facile, à la manière d'Horace, offrent un véritable intérêt.
Inégales d'ailleurs et souvent d'une forme négligée, elles ont parfois une
verve une force, une grandeur, dignes du génie et du noble caractère de
l'auteur. Mais, de l'aveu de tous les critiques, les poésies de Sainte-Marthe
ont un cachet d'élégance plus classique que tout ce qu'on lit dans le recueil
de Gruter. Peu de poèmes didactiques sont supérieurs à sa Pœdotrophia,
sur l'allaitement des enfants. Bonnefons a affecté d'imiter Jean Second ;
mais il lui est bien inférieur en tout, excepté dans ses défauts ; sa
latinité fourmille de fautes grossières. Les
élégies de Lotichius, le plus célèbre des poètes latins allemands, sont
écrites d'un ton d'élégance mielleuse qui ne s'élève pas beaucoup au-dessus
du niveau-delà poésie ordinaire d'Ovide, et tombe rarement au-dessous. La
versification en est harmonieuse et coulante ; mais le mécanisme n'en est pas
assez varié. Les poésies de Dousa le jeune, dont la mort prématurée excita,
en Hollande surtout, les regrets de tous les savants, approchent le plus de
celles de Jean Second. Dousa le père n'esta comparer ni à l'un ni à l'autre.
Baudius a les qualités de Lotichius, mais il a peu de vigueur et
d'originalité. André
Melville, Écossais, auteur d'un poème sur la Création, n'est quelquefois, au
témoignage de Hallam, qu'un barbouilleur ; mais parfois aussi il a de
l'élégance et de la chaleur. Les Héroïdes d'Alexandre Bodius sont encore à
remarquer. George Buchanan a eu une telle renommée, que Joseph Scaliger et
d'autres critiques paraissent le mettre au-dessus même des Italiens du
commencement du seizième siècle. Ce serait assez que de le mettre au-dessus
de ses contemporains ; la place est déjà belle et ne lui serait que
faiblement disputée. Buchanan a véritablement excellé dans la poésie épique,
comme dans la tragédie, dans la satire, l'élégie et l'épigramme. Dans son
poème sur la Sphère il manie l'hexamètre aussi bien que Vida. Sa tragédie de
Jephté, qui manque un peu d'élévation et de respect pour les règles
d'Aristote, n'en est pas moins écrite avec une admirable pureté. Il est
passionné dans l'élégie, brillant dans l'épigramme, acéré dans la satire, et
n'est affecté nulle part. L'Angleterre
brille peu dans la Poésie de ce siècle. Après Thomas Chaloner, auteur d'un
poème en dix livres intitulé De republica instauranda, où l'on voit un
tableau du mécanisme de la Constitution anglaise ; après Ockland, qui a
versifié, d'après les chroniques, un poème ayant pour titre Anglorum prœlia,
il n'y a plus rien, en fait de Poésie latine du règne d'Elisabeth, qui vaille
la peine d'être cité. Quant à
l'Espagne, sa stérilité dans ce genre ferait croire qu'il y était à peu près
inconnu. En Portugal, outre un poète latin cité plus haut, on trouve, vers la
fin du siècle, Francisco Barcellos, auteur d'un poème intitulé De Crucis
triumpho ; Mello de Souza, qui a traduit en vers latins le Livre de
Job ; Lobo Serram, qui a écrit de même une espèce de traité De la
vieillesse. Dès
1346, on trouve en Pologne un poète latin, Opalinski, autrement dit Jean de Boin
; il a écrit des Hymnes. En 1400, Adam Swinka, secrétaire de Wladislas
Jagellon, donne un poème sur Casimir II, et, en 1438, Vitellio Cioleck
écrit des satires. Janiski, né en 1516, surnommé le Catulle et le Tibulle polonais, est couronné poète, dans Rome,
à vingt ans, par le pape Clément VII. Il a laissé des poésies qui
mériteraient d'être plus connues. Pour trouver après lui des poètes latins en
Pologne, il faudrait descendre jusqu'au dix-septième siècle. CHARLES NISARD. |