GRÂCE aux conquêtes d'Alexandre, au
génie d'Aristote, les Sciences naturelles étaient sorties de leur long
sommeil, et pendant plus d'un siècle elles fleurirent en Égypte sous la
protection tutélaire des Ptolémées ; mais le goût des sophismes et des
paradoxes, les subtilités de la dialectique eurent bientôt arrêté cet élan :
aux faits bien observés, on substitua le merveilleux ; on recueillit, sur les
animaux, les minéraux et les plantes, l'opinion vulgaire, avec plus de soin
qu'on n'observa la nature même ; et le livre de Pline, si remarquable par la
prodigieuse érudition qu'il témoigne, présenta l'image de l'extrême confusion
qui régnait alors dans les idées. D'ailleurs, l'agitation tumultueuse d'un
grand empire comme l'empire romain ne comportait guère les éléments de
quiétude, indispensables à la culture, aux progrès des Sciences naturelles.
On s'en occupait généralement fort peu. Elles n'entraient pas dans le système
d'éducation des hautes classes. Reléguées avec la philosophie spéculative
parmi les nuageuses conceptions des sophistes, ou mêlées aux théories
transcendantales des pythagoriciens, elles offraient un domaine presque
inaccessible, dont les médecins mêmes n'exploraient qu'une partie, celle
relative aux moyens de soulagement des souffrances de l'humanité. Quand
arriva la décadence romaine, les Sciences naturelles, presque immobiles
depuis quatre siècles, se trouvaient au point où les avait laissées le
compilateur Ælien, qui, dans son Histoire des Animaux, réunit, entassées
pêle-mêle, des notions prises à divers auteurs grecs ou latins perdus
aujourd'hui. Les poètes de la décadence, Némésianus, Titus Calpurnius,
Ausone, Claudien, les panégyristes, les Pères de l'Église, présentent, dans
l'ensemble de leurs œuvres, le tableau non moins fidèle qu'intéressant des
idées de l'antiquité sur les phénomènes et les productions de la nature. Ces
idées, plus ou moins altérées, ont inspiré Georges Pisidès et Venantius
Fortunatus, célébrant, en de petits poèmes descriptifs, les charmes de la
villégiature, les jardins splendides d'un évêque de Trêves, les campagnes
d'un comte de la Woëvre et le cours de plusieurs rivières dont ils signalent
les merveilleuses productions. Triste époque que celle où pour constater le
maintien de certaines traditions scientifiques, il faut recourir à des
poésies éphémères qui n'en offrent qu'un pâle reflet ; où la place
qu'occupent, en littérature, les scènes splendides du monde, est si étroite
qu'à peine l'auteur daigne s'y arrêter, dominé qu'il est par des instincts
physiques et par des jouissances matérielles ! Tout objet qui ne servait
qu'aux plaisirs de l'intelligence restait alors inapprécié ; on n'envisageait
que l'utilité pratique des choses, le régime alimentaire et le régime
pharmaceutique, la table et l'officine, les moyens de conservation
individuelle et les moyens de défense. Aussi, les écrivains de ces temps
barbares, Oribase, Ammien Marcellin, Macrobe, Sidoine Apollinaire, Paul
Orose, saint Cyrille, Paul d'Egine, Ætius et leurs successeurs depuis le
quatrième siècle jusqu'au huitième siècle, parlent-ils des plantes, des
animaux et des minéraux, sans s'inquiéter de leur organisation, de leur
forme, de leur structure, de leur physionomie ; ils les examinent sous un
seul point de vue, celui de l'emploi qu'on en peut faire, soit dans
l'économie, soit dans les arts ; ils n'adoptent pour eux qu'une seule base de
classification, l’hexameron ou théorie des six jours de la Création. Charlemagne,
ce puissant organisateur, voulant à la fois maintenir la production des
grands domaines et favoriser l'horticulture, semble préoccupé d'une seule
chose, du maintien des bonnes espèces ; il ne paraît pas même soupçonner le
but des études d'histoire naturelle. Au lieu d'encourager les cultures
d'agrément, de veiller à ce que les végétaux exotiques, dont plusieurs lui
sont venus de Constantinople et de Cordoue, fructifient dans ses villas
royales, il ne paraît pas y songer le moins du monde, tandis qu'il insiste
sur la multiplication des graines et des fruits originaires d'Allemagne et
sur la culture des choses nécessaires à la vie. L'intelligence prévoyante du
monarque avait compris que de longtemps encore les peuples, même les gens
d'élite, pressés de jouir, n'accorderaient une valeur réelle qu'aux produits
d'une utilité évidente. On attribue à Charlemagne la création des pépinières
du pays Messin ; on fait remonter jusqu'à lui certaines espèces, et mieux
vaut trouver là un anneau de la chaîne des idées pratiques du cinquième
siècle, que de l'aller chercher à travers le vague d'un poème de Walefride
Strabon, moine de Saint-Gall, où sont décrites avec exactitude, même avec
élégance, quelques plantes observées dans un petit jardin (horticulum) visité par le poète. Un autre
écrivain, qu'on croit Français, Macer Floride, composait vers la même époque,
sur les vertus des herbes, un traité dont le seul mérite est de constater la
culture indigène de différentes solanées, telles que la morelle. Cette culture
et cette récolte, qui s'opéraient avec beaucoup de soin à l'intérieur des
monastères, devinrent sans doute l'origine des jardins botaniques ou
médicinaux organisés plus tard : de sorte que l'Église servait de sauvegarde
aux produits végétaux reconnus efficaces pour certains traitements curatifs,
en même temps qu'elle recueillait, dans le trésor des basiliques, les débris
fossiles les plus remarquables ; en même temps qu'elle permettait aux ciseaux
de l'artiste d'exécuter, sur ses propres murailles, la représentation figurée
des croyances populaires. A Metz, à Cologne, à Trêves, on montrait au peuple
de prétendus débris d'une race de géants antérieurs au déluge ; c'étaient
effectivement des fossiles gigantesques provenant d'animaux inconnus,
semblables aux poissons et mastodontes fossiles que l'illustre évêque
d'Hippone désignait comme appartenant aux vieilles races humaines, et dont
Cuvier a restitué l'origine perdue depuis soixante siècles. Ils ne pouvaient
être mieux placés que dans un sanctuaire de dévotion, car ils servaient à
manifester la grandeur des œuvres divines et les révolutions étranges qui
avaient passé sur le monde. Quant aux sculptures architecturales introduites
avec l'art byzantin, il ne faut pas seulement y voir la main capricieuse
d'artistes indépendants usant de leur libre arbitre, il faut encore y lire le
témoignage des idées bizarres, fantastiques, qu'on se formait d'une myriade
d'êtres invisibles disséminés dans les airs et dans les ondes, ou de génies
bienfaisants et malfaisants habitués du ciel et de l'enfer. Sous ce dernier
rapport, la statuaire byzantine consacre une véritable mythologie chrétienne,
qui est à l'histoire subséquente de la nature, telle que nous l'a révélée
notre époque, ce que fut la mythologie grecque à l'égard de son histoire
politique. Des motifs empruntés surtout à la botanique et à la zoologie,
servent d'accessoires ou d'encadrements à cette mythologie chrétienne. Or,
comme les accessoires ne sont pas inventés, mais choisis parmi les
productions les plus familières aux artistes qui les exécutaient, peut-être
deviendrait-il possible, après l'examen attentif et comparé des principaux
monuments d'un même âge, d'apprécier l'origine et les caractères
traditionnels des principales écoles artistiques de l'Europe. Chez les uns,
on verrait dominer le lotus ; chez les autres, le genre cactus ; ici, la
feuille de chêne ; ailleurs, la feuille de laitue, selon que l'artiste se
serait inspiré dans les régions méridionales ou septentrionales. Mais nous
anticipons sur les faits. Revenons
au grand siècle de Charlemagne, au règne si brillant d'Almanzour, qui fonde à
Bagdad une grande école où se réfugient les sciences exilées d'Athènes et
d'Alexandrie, où quantité de nestoriens illustres apportent, traduits en
syriaque, les ouvrages les plus estimés de la Grèce et de Rome, notamment Aristote et Galien ; n'oublions pas cet autre
calife, Haroun-al-Raschild, qui occupe une si belle place dans les récits des
romanciers. Le premier éléphant connu dans l'Europe occidentale fut envoyé
par lui à Charlemagne, et plus que les cendres d'Homère, les restes de ce
quadrupède ont préoccupé les savants ; car, chaque fois qu'avait lieu une
découverte d'os fossiles, on voulait y voir ou le squelette d'un géant, ou
celui de l'éléphant d'Haroun-al-Raschild. Mamûm, fils d'Haroun, porta l'amour
des sciences au point de faire la guerre à l'empereur de Constantinople, pour
l'obliger à lui envoyer des hommes lettrés et des manuscrits. Ces manuscrits,
presque tous syriaques, se traduisaient aussitôt en arabe, et il en était
tiré de nombreuses copies ; mais d'invincibles préjugés empêchaient la
dissection des cadavres et rendaient fort difficile l'emploi du dessin,
regardé par le peuple comme une œuvre surnaturelle et magique. Du
huitième siècle au dixième, les Arabes cultivèrent avec succès les branches
d'histoire naturelle qui se rapportent à la préparation des médicaments. Ils
firent, en botanique, en matière médicale, de précieuses découvertes. Avant
eux, on ne connaissait que les purgatifs violents : tels que l'ellébore ; ils
y ont joint la casse, le séné, le tamarin. Dans le texte d'un cours de Rhazès,
rédigé sans doute par un de ses élèves, il est question des végétaux utiles
de l'Inde, de la Perse et de la Syrie, que n'ont point connus les anciens.
Sérapion le jeune, dit Aggregator, a écrit un livre, De simplicibus,
où il traite, d'après Dioscoride, des plantes grecques et de la plupart des
plantes observées dans l'Inde. Avicenne avait étudié la botanique de la
Bactriane et de la Sogdiane : c'est lui qui fit connaître le premier l'assa fœtida. Mesué a laissé un ouvrage, De re medica, traduit
plusieurs fois en latin, qui, jusqu'à la Renaissance, a servi de manuel dans
toutes les écoles de l'Europe. Pour plus de garantie, le gouvernement arabe
sanctionnait les formules reconnues bonnes. Sabar-Ebn-Sahel, directeur de
l'École de Dschondisabour, publia même un dispensaire, intitulé Krabadin
: premier livre de ce genre qu'on ait imaginé. Mais, en dehors de la matière
médicale, il n'y a plus que désordre et confusion dans les connaissances
ramassées par les Arabes. Abandonnés à leur esprit conjectural, ils marchent
sans ordre, sans méthode, sans esprit de critique, même sans guide assuré, car
ils ne possèdent ni l'Histoire des Animaux d'Aristote, ni les écrits de son
disciple Théophraste : ils n'ont traduit que Pline et Dioscoride, qui, ayant
subi deux transformations, une première en syriaque, une seconde en arabe, n’offrent
souvent qu'un sens obscur. Aussi, les efforts mêmes que tentent Sérapion le
vieux, Rhazès, Avicenne, Mesué, Averroès, Abenbitor, pour démêler le vrai du
faux, ne font-ils qu'ajouter à leur incertitude, et jettent la nomenclature
des espèces, la désignation des individus, dans une déplorable confusion.
Constantin l'Africain, qui le premier introduisit en Europe quelques livres
arabes relatifs aux sciences médicales, ne pouvait avoir la prétention de
débrouiller ce chaos. Dans son Essai de matière médicale il se
contente de diviser les médicaments simples eh quatre classes, d'après leur
degré d'activité relative. Vers la même époque, apparaissent deux voyageurs
d'un mérite éminent : Ebn-Taitor, de Malaga, le plus savant des botanistes
arabes, qui visita presque tout l'Orient et remplit au Caire les fonctions de
ministre du calife ; Abdalla-Tef, auteur d'une description fort exacte de
plantes et d'animaux d'Égypte : il décrit, entre autres, l'hippopotame, et
fait preuve d'une sagacité remarquable en relevant, à l'inspection d'un
squelette de momie, plusieurs erreurs commises par Galien dans son ostéologie
humaine. Presque toute la science, disséminée sur quelques points du monde,
venait encore des Arabes d'Espagne, et notamment du califat de Cordoue. Ce
fut là que Gerbert, archevêque de Reims, si connu sous le nom de Sylvestre II,
alla puiser son profond savoir. Dans le même temps, un Anglais, l'archidiacre
Henri de Hunting, écrivait un traité sur les plantes et les animaux, et Othon
de Crémone composait un poème en cent quinze vers léonins sur le choix des
médicaments ordinaires : essais informes, superficiels, qui nous conduisent à
Jean de Milan, auteur du code hygiénique de l'École de Salerne, dont l'œuvre
fait moins époque dans l'histoire des Sciences naturelles que dans celle des
Sciences médicales proprement dites. La
ruine des institutions scientifiques d'Espagne approchait : l'empire des
califes allait s'écrouler ; la barbarie menaçait de nouveau la civilisation :
heureusement, une nation nomade, la nation juive, se trouvait là fort à point
pour recueillir les débris littéraires échappés au naufrage, et pour en
alimenter les divers foyers que la Providence ménageait au genre humain.
Devenus les conseillers ou les médecins de presque tous les souverains de
l'Europe, même des papes, pendant quelque temps les Juifs gardèrent le
monopole des Sciences naturelles. L'École de Montpellier leur dut son origine
; et quand l'ordonnance de l'empereur Frédéric Barberousse eut rendu les
écoliers justiciables des tribunaux ecclésiastiques, à moins qu'ils ne préférassent se faire juger par leurs
professeurs, on
vit les Juifs utiliser merveilleusement cette tolérance inusitée, établir des
chaires à Bologne, à Milan, à Naples, et substituer un code d'enseignement
nouveau à l’Elymologicon d'Isidore de Séville. Cette espèce de
dictionnaire raisonné formait, depuis le septième siècle, la base essentielle
de l'éducation scientifique. L'anatomie, la physiologie, la zoologie, la
géographie, la minéralogie, l'agriculture constituaient le texte de l’Elymologicon
; mais il n'en était parlé que d'une manière très-superficielle et peu
judicieuse. La partie minéralogique seule, où l'art du verrier se trouve
exposé, renferme des documents curieux. A la
fin du douzième siècle, une abbesse de Bingen sur le Rhin, Hildegarde,
écrivait son Jardin de santé, sorte de matière médicale, compendium de
recettes souvent bizarres, empreint d'une infinité de préjugés et d'erreurs,
fort curieux, fort intéressant néanmoins, en ce qu'il peut contribuer, avec
d'autres monuments du même genre, avec l’Elymologicon lui-même, à
résumer l'ensemble des idées populaires et des principes acceptés par la
classe instruite, sur la nature des plantes herbacées ou ligneuses, sur les
minéraux, sur les poisons, sur les animaux utiles ou nuisibles, et sur la
puissance génératrice et médicatrice de la nature. Hildegarde se livrait à la
culture, à la récolte des plantes reconnues efficaces au traitement des
maladies ; elle composait ses remèdes et les appliquait. Il devait en être
ainsi des abbesses de Remiremont, de Sainte-Odile, de tous ces grands
monastères fondés sous l'inspiration des bénédictins d'Irlande du septième
siècle, et qui étaient devenus, en quelques points, les héritiers des
doctrines pythagoriciennes appliquées aux phénomènes, aux évolutions
successives de l'univers. Dans les basiliques où la règle de Chrodegard
imposait les habitudes claustrales d'une vie commune, dans les abbayes riches
où le travail manuel marchait d'accord avec quelques travaux d'esprit, on ne
négligeait ni l'horticulture appliquée aux plantes médicinales, ni les
collections de fossiles, de minéraux ou de coquillages réputés nécessaires au
traitement de certains désordres fonctionnels, à l'exercice de certains arts,
tels que la vitrerie coloriée, la teinture, etc. Depuis les croisades, ces
collections, ces cultures avaient même pris un caractère plus intéressant ;
car, en cherchant à multiplier quelques arbustes, quelques plantes de Judée,
en faisant éclore chaque année sur l'autel la rose de Jéricho, l'imagination
pieuse du cénobite peuplait sa solitude des plus augustes souvenirs, des
consolations les plus touchantes et des espérances les plus douces. Le temps
n'était pas encore venu de traiter au sérieux l'histoire naturelle, la
matière médicale, l'horticulture, etc. Aussi ne s'étonnera-t-on pas qu'un
homme grave, archiatre de Philippe-Auguste, Gabriel Naudé, ait eu la pensée
bizarre de consacrer un poème de six mille vers à faire connaître la
composition des principaux médicaments. C'est de la matière médicale accommodée
avec l'esprit du siècle ; elle n'est pas plus remarquable comme science que
comme poésie. Divers manuscrits bien autrement sérieux, bien autrement dignes
d'une citation, prenaient place alors dans les principales bibliothèques de
l'Europe. A Metz, par exemple, la cathédrale acquérait un livre de J. Bray
sur les fruits, les légumes, les viandes, les poissons et les oiseaux dont il
convient d'user pour la conservation de la santé ; c'était une espèce
d'hygiène destinée aux chanoines. Bray ne se trouve dans aucun dictionnaire
biographique ; nous le croyons Anglais ; il écrivait en latin. Le Musée
Britannique de Londres possède quelques ouvrages du même temps : un Traité
sur l'usage et les vertus des plantes ; un Traité de la nature des
arbres et des pierres ; un volume sur les arbres, les plantes aromatiques
et les herbes ; tous sont en langue latine. La Bibliothèque Nationale de
Paris possède également des codex, des antidotaires (Mss., n° 7009,
7010, 7031, Ancien Fonds)
; mais ils offrent moins d'intérêt que ceux qui figurent dans les collections
d'Angleterre. D'ailleurs on ne trouve pas plus dans les uns que dans les
autres des théories acceptables, des descriptions bien faites, des conséquences
judicieusement déduites, encore moins un corps suivi de doctrines. C'est un
mélange de préceptes hygiéniques, de matière médicale, d'indications
pharmaceutiques, où çà et là se montrent, presque à la dérobée, des
descriptions imparfaites, écourtées, d'animaux, de plantes et de pierres
fossiles ou minérales. Au même siècle appartient Alain de Lille,
poète-physicien qui professait avec grand succès. On lui doit un poème moral,
intitulé Anti-Claudianus, sorte de conspectus général des
sciences, dans lequel sont traités quelques points d'histoire naturelle. Il a
fait aussi une dissertation, De naturis quorumdam animalium, demeurée
manuscrite. Il mourut à l'abbaye de Cîteaux, en 1202. Époque
d'épuration, de transformation sociale, de déplacements forcés et continus,
durant laquelle les peuples, comme les individus, obéissent au courant
électrique qui les entraine vers un nouvel état de choses, le treizième
siècle a laissé dans les annales des Sciences naturelles la trace visible de
son passage. Pour arracher à la corruption du monde une partie du clergé, et
trouver, en de nouvelles institutions monastiques, la pieuse abnégation qu'on
ne pouvait attendre des anciens moines repus d'or et de sensualité, l'Église
venait d'établir les ordres mendiants, franciscains ou cordeliers,
dominicains ou frères-prêcheurs, en leur abandonnant les intérêts de la
civilisation, la garde des traditions scientifiques et littéraires. D'autre
part, considérant comme des alliés les ennemis de ses ennemis, la chrétienté,
Rome en tête, était allée chercher l'amitié de Gengis-Kan, belliqueux
Tartare, conquérant du Mongol, d'une partie de la Chine, de la Perse et de la
Russie, tandis que les croisades continuaient leur propagande armée. A ce
vaste théâtre d'émigrations lointaines les ordres mendiants ont fourni,
presque aussitôt, d'intelligents acteurs, auxquels les Sciences naturelles
sont redevables de certains progrès : un cordelier, Jean de Piano Carpini,
envoyé près de Kacouck par le pape Innocent IV (1246), fit connaître le premier les
nations situées au-delà de la mer Caspienne ; un autre cordelier, Guillaume
Picard, député par saint Louis vers Mengsko-Kan (1253), laissa une relation exacte et
circonstanciée de son voyage ; Pierre Ascelin, Vincent Rubruqua ou de
Rubruquis, mais principalement le Vénitien Marco-Paolo, visitèrent la Perse,
l'Afrique, la Tartarie, la Chine septentrionale. Leurs récits servirent de
thème à des contes bizarres, à d'absurdes croyances. On appela Paolo le plus
grand des menteurs, et cependant il n'était que crédule. Ce sont,
dit Haller, de stériles voyages où se
rencontrent rarement des notions d'histoire naturelle, où la botanique n'a
place presque nulle part, et où l'auteur croit assez faire d'indiquer
nominalement les choses nouvelles qu'il rencontre ; malgré l'extrême rareté
d'observations utiles consignées en de tels livres, il s'y trouve un puissant
attrait, l'attrait de l'inconnu, et d'autres livres moins superficiels
devaient bientôt les suivre. Gilbert l'Anglais, philologue assez érudit pour avoir eu
recours au texte même des anciens, visita aussi des contrées lointaines,
s'occupa de l'étude des plantes, surtout de leur usage médical, et composa un
Codex cité dans la Bibliothèque britannique de Tanner. Il en fut de même
d'Hernicus Arviell, voyageur anglais infatigable, dont les biographies ne
disent pas un mot, et qui retiré dans la ville de Pologne, sous la protection
tutélaire du souverain pontife, y composait, vers l'année 1280, un ouvrage
important sur la botanique. Être
réduit à citer, comme naturalistes, des hommes tels que Gentilis de Foligno,
Guillaume de Salicet, Jean Platearius de S. Paulo, et le juif Abraham., qui
ne se sont occupés des productions du globe que dans leurs rapports avec la
médecine ou la chirurgie, c'est confesser notre indigence. Ils écrivaient
dans la première moitié du treizième siècle ; leurs manuscrits relatifs à la
matière médicale existent presque tous à la Bibliothèque Nationale de Paris (n° 6934, 6964,
6960, 6823, 6958, 6896, 6871, 6898, 6899, 6988, Ancien Fonds). Ces ouvrages, curieux au seul
point de vue des emprunts ou des interprétations qu'on y rencontre, sont bien
loin d'offrir l'intérêt substantiel que présentent les livres de Jean de
Saint-Amand, de Simon de Cordo et de Pierre de. Crescentiâ, érudits
observateurs, les deux premiers médecins, le troisième homme du monde. Simon
de Cordo, ou Simon de Gênes, improprement appelé par Haller Siméon de Coro et par d'autres Siméon
Januensis, a
fait un Dictionnaire botanique, pour lequel, non content d'emprunter
aux écrivains grecs et arabes, il a consulté les savants du monde entier — testatur se informationes ex loto mundo per viros doctos
cepisse —, et
il a pris soin d'herboriser lui-même dans l'Archipel et la Sicile. Son
ouvrage, imprimé plusieurs fois, existe manuscrit à la Bibliothèque
Nationale, avec un appendice de Manfred du Mont-Impérial (n° 6823 et
6958, Ancien Fonds).
Malheureusement, la connaissance des idiomes de l'Orient manquant à Simon de
Cordo, il avait dû recourir aux traductions, toutes incorrectes, source
déplorable d'erreurs et d'incertitudes. Jean de Saint-Amand, chanoine de
Tournay, qu'il ne faut pas confondre avec le martyrologiste du même nom,
sortit de la classe ordinaire des praticiens de cette époque, et composa une
thérapeutique générale excellente, où se rencontrent, sans doute, des
réflexions trop subtiles, mais où le génie de l'observation se décèle à
chaque pas. Saint-Amand est du nombre, infiniment petit, des hommes qui
interrogeaient, qui étudiaient la nature. Celui de ses ouvrages ayant le plus
de rapports avec l'objet dont nous nous occupons, a pour titre : Areola,
seu tractatus de virtutibus et operationibus medicinarum simplicium et
compositarum. Il existe en triple exemplaire à la Bibliothèque Nationale (no 7063, 6976,
6888, Ancien Fonds),
et dans plusieurs grandes bibliothèques d'Angleterre ; ce qui prouve l'estime
qu'inspirait son auteur. Pierre de Crescentiâ, dont il nous reste à parler,
sénateur de la ville de Bologne, personnage considérable par sa naissance et
sa fortune, s'occupa beaucoup d'agriculture et d'horticulture, sans négliger
les différentes branches des Sciences naturelles qui s'y rapportent. Né en
1230, il fut assurément le plus célèbre agronome du siècle : il cultiva
lui-même ; il lut, dans leur propre langue, Caton, Varron, Columelle,
Palladius ; il emprunta aux Arabes, ainsi qu'aux divers auteurs du Moyen Age,
ce qu'ils offraient d'utile ; il consulta l'expérience de ses contemporains,
compara les diverses cultures d'Italie, et composa un ouvrage, rempli de
faits pratiques, de conseils judicieux, de connaissances étendues et
positives ; qu'il intitula : Opus ruralium commodorum, Cette espèce
d'encyclopédie rurale, divisée en douze livres, traite aussi des plantes
utiles à la médecine ; de la sorte, elle a pris rang parmi les livres
d'histoire naturelle. Sa vogue a été grande et rapide. On en a fait des
copies nombreuses qui se vendaient fort cher, et qui mériteraient encore
d'être recherchées si l'imprimerie n'était point venue multiplier encore
l'œuvre des calligraphes. Après
un homme du mérite de Pierre de Crescentiâ, peut-être devrions-nous tirer le
rideau sur le treizième siècle, mais ce tableau resterait incomplet, si nous
passions sous silence trois personnifications véritablement typiques, qui
résument en elles-mêmes une époque, un âge, un monde ; qui sont ce que le
siècle les a créées, et dont la physionomie, plus bizarre, plus originale,
plus émouvante qu'elle n'est majestueuse, porte l'empreinte énergique, le
cachet de leur temps : nous voulons parler de Vincent de Beauvais, d'Albert
de Bolstædt, dit le Grand, et d'Arnaud de Villeneuve, mieux appréciés jusqu'à
présent comme astrologues, alchimistes et théologiens, qu'ils ne le sont
comme naturalistes. Tous trois appartenaient aux congrégations mendiantes,
récemment instituées. Vincent de Beauvais a donné la relation du voyage de
Carpini ; il connaissait les découvertes de Marco-Paolo ; il était instruit
dans tout ce que l'antiquité savait d'histoire naturelle, mais il professait
aussi les croyances superstitieuses du Moyen Age. Pour lui, la mandragore
avait la forme du corps humain ; le dragon ailé enlevait quelquefois un bœuf
et le dévorait dans les airs sans lâcher sa proie ; l'agnus scythicus, agneau de Tartarie, animal- plante, tenant au sol
par une tige et des racines, ayant l'aspect d'un mouton et couvert d'une
laine jaunâtre, se rencontrait le long du Volga. Il racontait l'histoire du
serpent-basilic, des serpents amphisbènes ; il peignait la tendresse
proverbiale du pélican ; il assurait qu'en Écosse les fruits de certains
arbres produisaient, en tombant dans l'eau, une espèce de canard noir, appelé
macreuse ; il parlait du vol indéfini du phénix, etc., et s'imaginait sans
doute avoir fait un cours très-sérieux d'histoire naturelle. Quant à Bolstædt,
il ne méritait certes pas qu'on lui fit l'injure de le supposer auteur des
misérables rapsodies, intitulées : Secrets du grand Albert, Secrets du
petit Albert, ni même d'une quantité d'ouvrages apocryphes indignes de
ses talents, de la gravité de son esprit et de son caractère épiscopal. L'Opus
de animalibus, recueil d'observations intéressantes, sorte de commentaire
d'Aristote, décèle l'homme supérieur. Pour le composer, Bolstædt paraît avoir
eu en main différentes traductions arabes ou latines d'ouvrages grecs
aujourd'hui perdus. Aux faits pris chez les anciens, il joignait la
description de quelques animaux à fourrure, tels que la zibeline, la fouine,
et de divers poissons du Nord qu'il étudia le premier. Dans un autre ouvrage
sur la minéralogie, Mineralium libri quinque, Bolstædt reconnaît la
réalité des aérolithes et traite de la lithologie, d'une manière parfois
judicieuse, propre à confondre les orgueilleux penseurs du dix-huitième
siècle. Un naturaliste érudit devrait feuilleter ses œuvres complètes et en
méditer quelques livres, source vierge pour la physique et la chimie, comme
pour la physiologie animale ou végétale du Moyen Age. Brücker, Buhle,
Tennemann, mais surtout Tiedemann, ont ouvert cette voie si rebutante et si
difficile. Il est à regretter qu'au lieu d'élucider les doctrines
philosophiques du célèbre évêque de Ratisbonne, ils n'aient pas plutôt fait
connaître l'ensemble de ses idées sur l'histoire naturelle du monde. Lorsque,
rentré dans sa cellule, accablé par l'âge, fatigué des gloires mondaines,
Albert attendait paisiblement la mort, un brillant élève des écoles d'Italie
et de Montpellier, nourri de la lecture des anciens et des Arabes, Arnaud de
Villeneuve éveillait l'attention publique, alors si facilement excitable. A
Paris, où il enseigna simultanément la médecine, la botanique, l'astrologie,
on vit un concours prodigieux d'auditeurs. C'était la première fois qu'aux
leçons d'une thérapeutique quelquefois judicieuse se trouvaient annexées des
leçons d'histoire naturelle ; la première fois, depuis peut-être un siècle,
qu'un maître pût faire parade d'une érudition profonde qui n'était pas
d'emprunt, discuter les textes grecs, arabes, hébreux, latins, les appuyer ou
les infirmer de l'autorité de sa propre expérience, et trancher, en
connaissance de cause, des questions demeurées insolubles jusqu'à lui. Avec
cette supériorité d'esprit, cette habitude d'examen et cette impulsion
logique, auxquelles Arnaud s'abandonnait volontiers, il lui devenait presque
impossible de ne point sortir du domaine scientifique où la prudence aurait
dû le retenir, et de ne point employer, contre le désordre moral de la
société, les armes à l'aide desquelles il frappait certains préjugés absurdes
ou certaines formes qui entravaient le progrès des connaissances humaines.
Si, mieux inspiré, Arnaud s'en était tenu, comme Albert-le-Grand, a
l'explication des phénomènes de la nature, eût-il, comme lui, professé le
péripatétisme, malgré la bulle d'un pape, jamais il ne lui en serait mal
advenu ; mais il osa proclamer l'excellence de la morale sur les formules du
culte extérieur, mépriser le monachisme, attaquer les ordres mendiants, parce
qu'ils étaient sans charité ; aussi, la censure vindicative des petits
moines, l'intolérance des inquisiteurs français, le poursuivirent. Taxé d'hérésie,
on l'obligea de fermer ses cours, tandis qu'Albert-le-Grand avait toujours
professé presque sans obstacle. Pour les choses merveilleuses annoncées ou
exécutées par ce dernier, on admettait l'intervention de la vierge Marie ;
solidarité presque divine qui écartait le soupçon de complicité avec les
diables ; au contraire, Arnaud fut accusé de sorcellerie, inculpation
capitale dont il évita les conséquences funestes, en quittant la France sous
la protection tutélaire de Charles II, roi de Naples, à la personne duquel il
demeura quelque temps attaché comme médecin. Par une coïncidence remarquable,
l'homme de génie à qui la physique expérimentale dut son évolution, comme
l'histoire naturelle dut la sienne aux deux hardis penseurs précités, Roger
Bacon expiait alors dans les fers le crime irrémissible d'avoir mal pensé des
moines. Les deux nations les plus intelligentes du monde, la France et
l'Angleterre, s’entendaient dans un même système de persécutions, et
c'étaient Naples, Palerme, Charles II, Frédéric II, ou les papes d'Avignon,
qui donnaient asile aux grands hommes exilés. Plus qu'aucun autre souverain
de son époque, Frédéric II favorisa le développement des Sciences naturelles.
Par ses ordres, Aristote fut traduit en latin et enseigné dans son royaume.
Il fit venir d'Afrique et d'Asie plusieurs animaux inconnus, entre autres une
girafe, et il composa sur la fauconnerie un traité qui décèle des connaissances
en zoologie. On lui doit la première description exacte du pélican et des oiseaux
de chasse. Quoique saint Louis et Charles II n'eussent pas exercé sur les
progrès des Sciences naturelles une influence aussi directe que Frédéric, ils
contribuèrent à les développer par leurs expéditions armées, par leurs
relations diplomatiques, et par la protection tutélaire accordée aux savants
qui vivaient près du trône. Là cependant n'existait pas la véritable
indépendance ; elle se trouvait plutôt parmi les compagnies d'artistes qui
sillonnaient l'Europe, véritables associations industrielles où prêtres et
laïques, seigneurs et plébéiens mettaient en libre pratique leurs idées, leur
fortune, leurs croyances, et sculptaient, au front des temples, au pourtour
des jubés, mille choses qu'ils n'eussent point osé dire. L'ogive
naissait. Avec l'ogive s'opérait un vaste système d'ornementation pris dans
la nature végétale : le pilier, la colonne et leurs arceaux devenaient la
représentation de l'arbre avec ses branches ; l'église figurait, dans son
ensemble, soit une forêt de pierres, soit un vaste berceau, où se trouvaient
réunies les richesses variées des trois règnes. De cette manière
l'architecture emprunta aux Sciences naturelles un véritable programme de
motifs nouveaux, sinon tous également heureux, du moins presque tous vrais,
et l'on put considérer les édifices comme d'immenses musées où la main des
sculpteurs étalait avec une diversité féconde l'image des productions de la
nature. L'arc en tiers-point s'est beaucoup moins généralisé que le plein
cintre. On peut le ramener à deux types fondamentaux : au type arabe, ou
méridional ; au type germanique, ou occidental. De même qu'on peut ramener à
deux grandes divisions l'ensemble des travaux exécutés sur les Sciences
naturelles depuis le douzième siècle jusqu'au quinzième, savoir : les
tentatives d'imitation et les tentatives originales. Ces dernières semblent
dévolues principalement aux peuples du Nord, Allemands, Anglais, qui des
premiers sentent le besoin d'étudier leur propre sol et de se frayer une
route en dehors de la route tracée par les Grecs. Les Français, les Italiens,
les Flamands, les Belges ont à cet égard montré plus de tiédeur et
d'indécision. Au
commencement du quatorzième siècle, l'étude des sciences naturelles
continuait de se faire en suivant les Grecs et les Arabes ; et, comme il
arrivait souvent aux Arabes de ne point s'accorder avec les Grecs, Dioscoride
donnant à une plante un autre nom que Rhazès ou Sérapion, c'était une source
déplorable d'incertitudes journalières. Au lieu d'interroger la nature même,
d'examiner, de comparer les objets, médecins et pharmaciens ne s'attachaient
qu'aux descriptions anciennes ; ils traduisaient en grec les noms arabes ou
les rendaient par des dénominations officinales. Mathieu Sylvaticus, de
Mantoue, qui avait à Salerne un beau jardin où il cultivait les plantes
utiles, fut embarrassé dans ses attributions, comme Simon de Cordo l'avait
été avant lui. N'imaginant pas la possibilité de mieux faire, il suivit la
même route que son prédécesseur ; il lâcha d'éclairer l'un par l'autre les
textes de Dioscoride, d'Avicenne, de Mesué, de Sérapion, textes qu'il ne
pouvait corriger, faute de connaître les langues originales. Un semblable
travail n'aboutissait donc à rien. La Matière médicale du Florentin Dinus de
Garbo, les mélanges de Botanique de l'Anglais Ardern de Newwark, le Codex de
Manfrédi sur les herbes et les plantes employées en médecine, n'avaient guère
plus de valeur. Cependant, pour les plantes qui croissaient sous leurs yeux,
Ardern et Manfrédi ont quelquefois interrogé la nature. Jacques Dondis et son
fils Jean, qui vivaient à Padoue vers 1340-1385, bien qu'ayant copié les
autres, sont parvenus, moyennant des descriptions bien faites de plusieurs
plantes indigènes, et moyennant un ordre plus méthodique, à faire oublier
leurs devanciers. Le Liber de medicamentis simplicibus, autrement dit
Herbolario vulgare, œuvre de Jean Dondis, a joui d'une grande réputation. Son
auteur est mort en 1395, emportant dans le tombeau l'estime profonde de
Pétrarque, qui ne la prodiguait pas. Un livre latin au-dessous du médiocre,
le Propriétaire des choses, par Barthélémy l'Anglais, de Glanville, avait eu
l'insigne honneur d'obtenir un interprète du choix de Charles V. Traduit en
français, sa vogue devint étonnante, sans doute parce que, renfermant un peu
de tout, il convenait aux gens superficiels. On en trouve des exemplaires
manuscrits dans les principales bibliothèques de Paris, dans la Bibliothèque
royale de Londres, dans la bibliothèque Ambrosienne de Milan, dans celle du
Vatican et dans la Bibliothèque chapitrale de Metz, d'ailleurs si riche en manuscrits
de différents genres. Cette multiplicité de copies n'empêcha pas le nom de
Barthélemy l'Anglais d'être oublié, destin fatal que n'évitent jamais les
auteurs médiocres, et qu'il eut de commun avec le dominicain Henri Daniel,
avec Jean de Saint-Paul, Galfrède, Nicolas Bollar, Virivasius, Louis de Cærlean,
etc., etc., dont les ouvrages, cités par Tanner et par James, existent encore
dans les grandes collections littéraires de la Grande-Bretagne. C'est un
fatras d'érudition oiseuse, indigeste, qu'une fois pour toutes il faudrait
cependant compulser avec attention, pour voir par quelles aberrations
l'esprit humain a dû marcher avant d'atteindre la vérité. Les œuvres d'Albert
de Saxe, mort évêque d'Halberstadt en 1390, quoique sortant de la ligne des
productions absolument inutiles, ne méritaient ni la réputation dont elles
ont joui, ni les éditions multipliées qu'on en a faites. Son livre sur les
vertus des plantes, des minéraux et des animaux, Liber de virtutibus
herbarum, etc., ses commentaires sur Aristote, De cœlo et mundo, De
generatione et corruptione, témoignent quelque esprit d'observation, mais
une crédulité presque enfantine. Albert de Saxe appartient à l'Université de
Paris, qui lui avait conféré le titre de docteur et qui le compta, dit-on,
parmi ses régents de philosophie. L'Europe
latine formait alors, pour ainsi dire, une seule nation à laquelle divers
centres d'activité donnaient la vie. C'étaient d'abord les villes
universitaires : Paris, Milan, Bologne, Salerne, Montpellier, Oxford, Pise,
Prague, Cologne ; c'étaient, en second ordre, les grandes congrégations
monastiques, où quarante à cinquante collaborateurs traduisaient,
commentaient, justifiaient, enseignaient et copiaient la même pensée, la même
théorie, le même système. Université signifiait corporation. Il y avait des
universités de droit, des universités de médecine, comme des universités ou
corporations de moines, de tailleurs et de cordonniers. Partout se retrouve
le principe d'association avec une règle spéciale, avec un but déterminé
d'avance. L'œuvre différait selon les hommes : ici, œuvre de foi ; là, œuvre
de science ; ailleurs, œuvre d'art ou de métier. Si le maître de l'œuvre,
comme le furent Vincent de Beauvais, Albert-le-Grand, saint Thomas d'Aquin,
ne dominait pas sa corporation, il demeurait enchaîné par elle. Dès lors, pour
affranchir l'indépendance de l'esprit, deux moyens s'offraient seuls : il
fallait s'enrôler dans une confrérie d'artistes, ou prendre le bourdon du
pèlerin et voyager. Jean de Mande ville adopta ce dernier parti. Pendant
trente-trois années y il promena sur les trois parties du monde son caractère
inquiet et curieux. Doué d'autant de science qu'il était possible d'en
acquérir au quatorzième siècle, sachant les langues latine, espagnole,
anglaise et romane ; plus crédule cependant qu'instruit, plus pieux
qu'observateur, visitant les reliques et négligeant les productions
naturelles, Mandeville présente le vrai type des voyageurs du Moyen Age.
Leurs récits sont écrits avec candeur, avec bonne foi ; jamais ils ne
généralisent, et les particularités qu'ils énoncent semblent toutes des
fables inventées à plaisir. On ne saurait douter néanmoins que Mandeville
n'ait été de bonne foi, lorsqu'il affirme l'existence d'une peuplade
d'Éthiopiens n'ayant qu'un pied, lorsqu'il parle du poivre croissant dans les
Indes au milieu d'une forêt de dix-huit journées d'étendue, et qu'il raconte
ses histoires invraisemblables d'animaux fabuleux ou de plantes imaginaires,
mêlées à des faits que les naturalistes et les géographes ont reconnus exacts. Au
commencement du quinzième siècle, l'histoire naturelle, confondue tantôt avec
l'alchimie, tantôt avec la toxicologie, la matière médicale ou l'hygiène,
n'osait s'affranchir encore de cette espèce de tutelle incommode. On en
trouve des fragments épars dans presque toutes les œuvres scientifiques de
l'époque, notamment dans Gui de Chauliac, qui herborisait en allant voir ses
malades ; dans Valescus de Tarente, médecin de la Faculté de Montpellier ;
dans la Pharmacologie de Christophe-George de Honestis, et dans les livres de
Nicolas Nicole et d'Antoine Guainerius de Turin. Nous citons d'autant plus
volontiers ces trois derniers auteurs qu'ils existent manuscrits à la
Bibliothèque Nationale de Paris (n° 6910, 6985, 6981, Ancien Fonds) ; et qu'en les parcourant,
surtout George de Honestis, nous avons été frappé de leur instruction et de
leur sagacité. La lumière commençait enfin à pénétrer dans le chaos des
Sciences naturelle. Ce fut un Allemand, resté inconnu, qui le premier eut
l'idée d'accompagner son texte de peintures représentant les objets qu'il
décrit. Il vivait, selon toute apparence, dans les premières années du
siècle, et habitait une des localités riveraines du Rhin. Son œuvre a pour
titre : Das Buch der natur (le livre de la nature) ; on y trouve la description
d'animaux, d'arbres, d'arbustes et de quatre - vingt- seize plantes choisies
parmi celles qu'on jugeait utiles. L'auteur s'imagine avoir donné l'idée
d'ensemble des richesses du globe ; cependant il s'en faut qu'il signale même
toutes les productions végétales alors connues, car il ne paraît pas écrire
d'après les manuscrits grecs d'Aristote, de Théophraste, de Dioscoride et d'Ælien,
tandis qu'il cite volontiers Pline, Isidore de Séville et le Salernitain Jean
Platearius. Ce dernier nomenclateur, aride, sans critique, mais observateur
quelquefois exact, passait alors pour une autorité fort respectable. On a
tiré beaucoup de copies de ses œuvres ; il en existe trois exemplaires à la
Bibliothèque Nationale de Paris (n" 6954, 6976, 6988, Ancien Fonds) ;
mais le Buch der nalur, tout incomplet, tout informe qu'il soit, devait les
faire oublier. On fit à ce livre les honneurs de plusieurs traductions ; on
le publia en anglais avec la dénomination pompeuse de Miroir du monde (The mirour of the world) ; il fut mis en latin par Conrad
de Megenberg, et reçut plus tard la faveur d'une impression illustrée. Nous
n'avons trouvé des faits nouveaux relatifs aux Sciences naturelles, ni dans
la Lumière des apothicaires, par Quirinus de Augustinis de Tortone ;
ni dans le Trésor des aromates, du Milanais Paul Suard ; ni dans le Grand
luminaire, de Jacques Manlius de Bosco : ce sont des livres de
pharmacologie plutôt que de matière médicale ; mais des livres, les deux
derniers surtout, qui ont joui d'une vogue remarquable, ainsi que l'attestent
les nombreuses éditions que la librairie en a publiées. Une ère
brillante naissait pour les sciences d'observation. La gravure autant que
l'imprimerie allait aider à leurs progrès. Le siège de Mayence par Adolphe de
Nassau, en disséminant les ouvriers graveurs et les ouvriers typographes,
répandit d'une extrémité de l'Europe à l'autre les procédés de Guttemberg et
de Schœffer, en sorte qu'on put bientôt représenter, dans un même recueil,
l'image de l'objet et l'image de la pensée. Les érudits songèrent d'abord à
reproduire le texte des anciens. Dans les principales villes d'Italie,
s'organisèrent, pour cet objet, des associations de philologues. Pline
l'Ancien, Aristote, Théophraste, attirèrent leur attention. Dès l'année 1468,
Jean Spire, Johannes Spira, typographe non moins habile que linguiste
distingué, fixé à Venise, préparait, aidé sans doute de quelques savants, les
matériaux d'une édition de Pline. Elle parut en 1469. C'est un livre
magnifique, véritable chef-d'œuvre de typographie, mais où les passages grecs
sont laissés en blanc pour être écrits à la main. L'année suivante, Conrad
Sweynheym et Arnold Pannartz, imprimeurs associés, publiaient dans la ville
de Rome le même ouvrage. Cette fois, le célèbre philologue André, évêque
d'Aléria, en avait surveillé la correction avec un soin qu'il conjura tous
les copistes d'imiter, afin, dit-il, de ne point s'exposer aux ténèbres
inextricables, aux peines infinies qui ont accompagné son travail. Voici en
quels termes l'éditeur s'énonce : Hereneus
Lugdunensis Episc. : Item lustinus ex pliilosopho Martyr. Item cum diuo
Hieronymo Eusebius Cesariensis : serio poslerilatem adiurarunt : ut eorum
descripturi opera conferrent diligenter exemplaria. et sollerti studio
emendarenl. Idem ego lum in ceteris libris omnibus lum maxime in Plynio ut
fiat : vehemenler obsecro. obleslor. atq. adiuro : ne ad priora menda et
lenebras inexlricabites lanti sudoris opus relabant. Impressum Rome in domo
Petri et Francisci de Maximis iuxta campum Flore presidentibus Magislris
Conrado Suneynheym et Arnoldo Panaralz (sic). Deux années après, notre compatriote
Nicolas Jenson, fixé à Venise, et dont les ateliers typographiques
rivalisaient avec ceux de Jean Spire, osa publier à son tour un Pline qui ne
mérita pas moins d'être recherché. Aristote
était encore presque complétement inédit. Les seuls fragments de ses œuvres,
mis sous presse, ne se rapportaient point aux Sciences naturelles. Sa
Philosophie, sa Rhétorique, sa Politique, intéressaient davantage, et
offraient par conséquent des chances de vente que n'offraient point ses
œuvres d'histoire naturelle et médicale. Le choix du premier éditeur assez
téméraire pour consacrer des sommes considérables à la publication d'un
traité technique, qu'il attribuait à Aristote, ne fut pas heureux. Ce
typographe, appelé Lucas de Brandis, mit sous presse, en 1473, dans la ville
de Mersborg (Saxe),
l’Aristotelis lapidarius cum aliis lapidariis, dissertation sur les
vertus imaginaires des pierres précieuses, suivie d'un Traité de physionomie,
opuscules traduits du grec en latin, fourmillant d'erreurs et tout à fait
indignes du judicieux précepteur d'Alexandre ; mais, grâce aux soins de
Théodore Gaza, le Traité des animaux d'Aristote allait enfin être connu.
Assez heureux pour s'être procuré différentes copies du même texte, Gaza les
avait collationnées, corrigées avec une attention scrupuleuse, et ne leur
avait fait subir une version latine qu'après s'être bien pénétré du sens.
L'ouvrage parut à Venise en 1476. L'année
où parurent les Animaux d'Aristote, un typographe lyonnais fixé à Parme,
Étienne Corallus, publia une excellente édition in-r des œuvres de Pline,
revue, corrigée par Philippe Béroalde ; et Nicolas Jenson imprima le même
ouvrage traduit en langue italienne. Les éditions successives du naturaliste
romain l'avaient rendu familier à tous les hommes sérieux qui s'occupaient de
science et d'histoire. On adopta ses idées, vraies ou fausses ; on les
commenta ; et l'erreur, grâce au merveilleux dont souvent elle s'accompagne,
fit des progrès plus rapides peut-être que la vérité. L'imprimerie même
devint complice des fausses doctrines, des préjugés, des savantes niaiseries
qui se répandirent par le monde, car elle ressuscita, multiplia beaucoup
d'ouvrages qu'on eût certes mieux fait de laisser dans l'oubli. Heureusement
le bon grain se mêla bientôt à l'ivraie : deux philologues allemands, deux
artistes typographes, Medemblich et Keller, conçurent l'excellent projet de
mettre au jour des traductions latines de Dioscoride, d'Aristote et de
Théophraste. Les
Sciences naturelles et la philologie venaient de faire une grande perte dans
la personne de Théodore Gaza, Thessalien d'origine. Venu en Italie, comme
tant d'autres, à la suite des troubles de l'Orient ; attaché depuis longues
années à l'élucidation des textes grecs, il avait rendu d'éminents services
par la vigueur avec laquelle il avait attaqué la fausse philosophie d'Averroès
et d'Alexandre d'Aphrodisée, pour rétablir Aristote sur son trône usurpé. Si
l'exagération de son zèle, si le ridicule de ses prétentions lui ont attiré
des disgrâces, Georges de Trébizonde, Jean Argyropulo, Georges Gennadius,
sont venus l'appuyer, et continuer sa lutte contre les prêtres et contre les
Platoniciens de Florence et de Rome. La modération, la logique, l'érudition
eussent servi la science beaucoup mieux que les injures dont ces philosophes,
les péripatéticiens surtout, accablaient leurs adversaires ; mais du
froissement même des esprits, tout pénible qu'il fût, jaillissaient les
étincelles qui devaient bientôt éclairer le monde. Le mouvement
général de la librairie est toujours une indication certaine du mouvement des
idées, car on n'imprime que ce qu'on espère vendre, et l'on ne vend que ce
qui peut intéresser, sous un point de vue quelconque, la portion du public à
laquelle on s'adresse. En parlant des éditions de Pline, d'Aristote, de
Dioscoride, nous avons signalé les produits de littérature scientifique
destinés aux princes de l'Église, aux évêques, aux savants, aux professeurs,
assez judicieux pour apprécier la valeur des sources antiques ; mais les
Arabes, les scholiastes du Moyen Age avaient encore leurs partisans, leurs
admirateurs. Dès lors, rien d'étonnant que, pour ces derniers, on ait publié,
entre 1473 et 1480, soit en Italie, soit à Augsbourg, Strasbourg, Mayence,
Cologne, Louvain, etc., le livre de Mésué le Jeune sur les simples, en
italien ; les œuvres de Vincent de Beauvais, de Simon de Cordo, de Mathieu
Sylvaticus ; le Buch der nature, en allemand, et traduit en latin par
Megenberg ; ainsi que beaucoup d'autres ouvrages analogues, au nombre
desquels nous citerons certain traité extrait des œuvres d'Albert-le-Grand et
d'Albert de Saxe, le livre De animalïbus. Empressons-nous d'ajouter,
pour l'honneur du siècle, que généralement ces publications, étrangères à
l'antiquité grecque ou romaine, n'ont pas été les plus recherchées. Le seul
livre qui ait conservé longtemps sa vogue, et il la méritait, c'est le livre de
l'illustre agronome Pierre de Crescentia, dont le texte original fut
peut-être édité dix fois, à la fin du quinzième siècle, à Louvain, Augsbourg,
Strasbourg, Vicerice, etc., dont la traduction italienne parut à Florence, la
traduction française à Paris, et la traduction allemande en différentes
villes, d'abord sans figures, puis avec gravures en bois dans le texte. Les
progrès simultanés de ce genre de gravure et ceux de la typographie, le
double avantage qu'on avait de représenter les objets en regard du texte,
bien qu'un tel mode d'impression fût encore infiniment coûteux, inspirèrent
le plan d'ouvrages qu'on n'eût point imaginés sans cela. On vit un
bourgmestre de Lubeck, Arndes, amateur d'histoire naturelle, partir pour la
Palestine accompagné d'un jeune artiste dessinateur, y faire ses dévotions,
et rechercher ensuite dans le Levant les plantes décrites par Dioscoride,
Sérapion, Avicenne, etc. Celles qu'il découvrait étaient dessinées sur pied,
sauf à leur adapter ensuite telle ou telle indication qui semblait s'y
rapporter. Les difficultés inséparables d'une telle exploration,
l'incertitude des déterminations d'espèces, devaient arrêter, presque à
chaque pas, notre naturaliste. Quand il fut de retour, il fit graver sur bois
un certain nombre de planches représentant les plantes qu'il avait vues ;
mais, au lieu de les décrire lui-même, il chargea de ce soin Jean Cuba,
médecin de Mayence, qui feuilleta les Arabes, prit dans leurs livres les
extraits le plus en rapport avec les gravures, s'attacha surtout aux
propriétés de chaque plante, et fit de cette macédoine un mauvais livre.
Quelques-unes des planches sont fidèles ; d’autres sont abominables ; il en
est de purement imaginaires : de sorte que ce recueil, dont l’exécution avait
coûté beaucoup, ne servit qu'à perpétuer des erreurs préjudiciables aux
progrès de l'histoire naturelle. Pendant que Arndes poursuivait ; avec une lenteur
inexplicable, l'exécution de son entreprise, plusieurs Herbiers enrichis de
gravures sur bois s'imprimaient en même temps à Mayence, à Passaw, à Louvain.
Les deux premiers Herbiers, latin et allemand, parus à Mayence en 1484-1485,
portent l'écusson de P. Schoitfer. Celui de Louvain, sorti, selon toute
apparence, des presses de J. Veldener, est en flamand. L'Herbier de Passaw,
réimpression de l'Herbier latin de Mayence, contient cent cinquante figures
gravées sur bois représentant des plantes, au-dessous desquelles on a mis
leurs noms en latin et en allemand ; l'année suivante, il en parut une
nouvelle édition dans la même ville. Un livre, en langue allemande, à la fois
hygiénique et botanique, le Jardin de la santé, volume in-f°, enrichi
de gravures sur bois, se publiait à Mayence en 1485 ; à Augsbourg en 1486 et
1487 ; à Ulm, sans nom ni date, avec des gravures mieux soignées ; à Mayence
et Vicence en 1491. Ce fut seulement alors que le bourgmestre Arndes fit
paraître son recueil d'histoire naturelle, in-4°, Lubeck, 1492, sans
pagination et avec des titres différents, savoir : Das Buch der Kruder,
et Der lustige and nugliche Garde der Suntheil (le livre des
herbes, des pierres précieuses, etc.) ; il s'y trouve cinq cent vingt-huit figures. Nous
avons dit ce qu'on doit penser de leur fidélité. Les ouvrages de ce genre ne
s'adressaient point aux savants ; la traduction qu'on en faisait
immédiatement en langue vulgaire, flamande et française, montre assez quel
ordre de lecteurs ils devaient intéresser. La
publication des écrivains arabes qui ont traité quelques parties d'histoire
naturelle n'était point négligée : on imprimait les œuvres complètes
d'Avicenne, d'Avenzoar, d'Averroès, de Mésué, traduites en latin ; on en
détachait divers fragments qu'on mettait en langue italienne, et presque
toujours Venise prenait l'initiative de ces sortes d'entreprises. Foyer
commercial auquel s'alimentaient toutes les nations du monde, Venise
calculait d'avance, et fort bien, les chances d'un placement. Des moyens multiples
d'exportation lui permettaient d'écouler ses produits avec plus de rapidité
que ne le faisaient les autres villes. La question scientifique ne
préoccupait pas le marchand de Saint-Marc ; il n'envisageait guère que la
question industrielle. Le choix des ouvrages qu'ont imprimés les typographes
vénitiens indique plutôt le goût général des acheteurs qu'un choix arrêté
avec l'intention d'être utiles. Si, dans l'espace d'une année (1490), les écrits des premiers
médecins naturalistes arabes ont vu le jour à Venise ; si, les années
suivantes, on y a donné plusieurs éditions des mêmes livres, tandis que les
chefs-d'œuvre de la Grèce et de Rome s'imprimaient autre part, cela tient à
la différence des capitalistes, négociants plutôt qu'érudits à Venise, érudits
ou curieux plutôt que négociants dans la plupart des autres localités. Au
quinzième siècle, Venise, avec ses deux cent cinquante maîtres imprimeurs,
fut l'entrepôt de la pensée considérée comme marchandise, mais l'essor des
idées scientifiques et littéraires partait d'ailleurs. Le mérite d'artistes
typographes tels que Jean Spire, Nicolas Jenson, Christophe Waldarfer, Adam
de Ambergau, etc., l'érudition de correcteurs tels que Omnibonus, Leoniceno,
Louis Carborne, attachés à leurs presses ; la publication, exécutée par eux,
d'ouvrages de Cicéron et des livres de Pline l'Ancien, n'infirment en rien
cette opinion. Venise ne semble point avoir fait marcher d'un seul pas les
Sciences naturelles, malgré les provenances variées que lui procuraient ses
vaisseaux. Elle n'a guère secondé davantage le progrès des autres sciences. Pour
le Midi, l'impulsion principale émanait de Rome, de Florence, de Padoue, de
Ferrare ; pour le Nord, elle émanait de Baie, de Mayence, de Strasbourg, de
Louvain, etc. Elle surgissait également de petites villes presque inconnues,
de simples retraites monastiques où les charmes de la vie paisible attiraient
une réunion de savants dont quelques publications typographiques constataient
la présence. Ainsi, quand du haut de la chaire qu'il occupait à Ferrare,
Nicolas Leoniceno fit tomber sur les admirateurs enthousiastes d'Avicenne, de
Pline et des Arabistes ce blâme courageux qui retentit d'une extrémité de
l'Europe à l'autre, Ferrare prit aussitôt, dans la science, plus de place que
n'en occupait Venise. Leoniceno démontrait l'inexactitude avec laquelle Pline
avait consulté les écrits de ses prédécesseurs, et combien peu il avait
interrogé la nature ; il adressait le même reproche plus amèrement encore aux
Arabes, copistes infidèles de Pline. Ces
gens-là, dit
l'illustre professeur, n'ont jamais connu les
plantes dont ils parlent ; ils en pillent les descriptions dans ceux qui les précèdent
et qu'ils traduisent souvent fort mal, d'où est venu un vrai chaos de
dénominations, augmenté encore par l'inexactitude et l'imperfection des
descriptions. L'état
peu avancé de l'histoire naturelle empêche Leoniceno de frapper toujours
juste sur les fautes qu'il relève, sur les erreurs qu'il signale ; mais sa
lettre à Ange Politien, Angelo Poliziano, n'en mérite pas moins l'admiration
des critiques les plus exigeants. Jusqu'à lui personne n'avait parlé un
langage aussi ferme, aussi noble, aussi pur. Cet opuscule est intitulé : De
Plinii et aliorum medicorum in medicinâ erroribus, Ferrare, 1492, in-4°.
Un savant naturaliste, Ermolao Barbaro, répondit à Leoniceno ; Angelo Poliziano
lui répondit également, et Leoniceno leur répliqua avec un ton d'urbanité, un
respect des convenances, une modération pleine de noblesse et de simplicité,
véritable modèle de polémique littéraire. Pandolfe Collanuccio vint ensuite
attaquer l'illustre professeur, qui, devenu très-vieux, abandonna à l'un de
ses disciples, Virunio Pontico, le soin d'une réponse. Sous
l'influence des paroles graves de Leoniceno, il s'opéra, en faveur
d'Aristote, de Théophraste et de Dioscoride, un revirement dont les Aides
profitèrent pour les mettre sous presse dans leur texte original. Ces livres
précieux, revus, corrigés avec une attention si scrupuleuse, avec un savoir
si profond par Alde Manuce lui-même (Ex recensione Aldi Manutii), n'étaient pas les seuls ouvrages concernant
l'histoire naturelle que les Aides missent au jour. Ils publiaient, soit à
Venise, soit à Rome, en 1488, 1497, 1501, différents ouvrages de Georges
Valla sur les plantes ; un Lexicon botanique d'après les auteurs grecs
; les Castigaliones Plinianœ, d'Ermolao Barbaro, 1492,1493, in-f° ; le
Dioscoride, De materiâ medicâ libri novem, grœcè, 1499, in-f°. Évidemment
alors il y avait, chez les Aides, l'intention de compléter l'ensemble des connaissances
d'histoire naturelle que l'antiquité nous a léguées, et d'y joindre les
meilleurs commentateurs modernes. A la
fin du siècle, quand l'Italie savante accueillait avec transport ces
différentes publications, Pierre Caron imprimait à Paris le Grand Herbier
en françois, extrait d’Avicenne, de Rasis, de Constantin, de Isaac, de
Plateaire, translaté du latin. Cet Herbier paraissait avec quantité de
gravures sur bois ; les unes semblables à celles de l'Herbier de Mayence,
quelques-unes nouvelles, d'autres appropriées à plusieurs descriptions
différentes. L'ouvrage eut assez de succès pour que Guillaume Nyvert, son éditeur,
en publiât une seconde édition. Un livre beaucoup plus utile, œuvre
consciencieuse de Robert de Valle, s'imprimait presque en même temps que le
Grand Herbier ; c'est une explication des passages les plus difficiles de
Pline le naturaliste, Difficilium Plinii explicatio, suivie d'un
vocabulaire des mots techniques employés par lui et rendus à leur sens
véritable. Malheureusement, beaucoup d'expressions corrompues, dont Pline ne
s'est jamais servi, se sont glissées dans cette nomenclature, sans que Robert
de Valle ait cru nécessaire de les rectifier ou d'énoncer un doute. L'ouvrage
parut en 1500, Paris, in-4°. Ce fut une voie ouverte aux commentateurs qui
suivirent, et qui, plus attentifs ou plus judicieux que ne l'avaient été
leurs devanciers, élucidèrent le texte si difficile du naturaliste romain.
Depuis la lettre de Leoniceno, depuis les observations critiques d'Ermolao
Barbaro et de Philippe Béroalde, on n'acceptait plus son histoire naturelle
que sous bénéfice d'inventaire ; il se fit même à son égard une réaction
injuste, et l'on se montra disposé à rejeter toutes les choses qui, venant de
Pline, n'étaient pas sanctionnées par l'expérience ou par l'observation. Rien
ne saurait mieux peindre le discrédit où cet illustre naturaliste était
tombé, que l'interruption qui eut lieu tout à coup dans les éditions de son
livre. Entre 1469 et 1486, Venise, Rome, Parme, Trévise, avaient rivalisé
d'émulation pour les multiplier. Il en parut neuf ; mais tout à coup la vente
de l'ouvrage se ralentit, à ce point que, pendant trente-deux ans, jusqu'à
l'impression de 1518 faite avec les corrections d'Ermolao Barbaro, les
anciennes éditions suffirent aux besoins du public. Une compilation
d'importance médiocre, intitulée Opusculum sanctorum peregrinationum,
par Bernard de Breydenbach, publiée en 1486 avec des figures d'animaux
étrangers exécutées assez grossièrement, prit date dans les annales
d'histoire naturelle. Deux siècles plus tard, Linnée lui emprunta une figure
de guenon insérée dans sa dissertation sur les anthropomorphes, ou animaux
semblables à l'homme. Lorsque
l'ancien monde renaissait de ses cendres presque éteintes, un monde nouveau
appelait les explorations des Européens. Le 6 septembre 1492, Christophe
Colomb mettait à la voile ; le mois suivant, il prenait possession de
plusieurs îles importantes, parmi lesquelles Cuba, qui pour l'Espagne vaut
encore un grand royaume ; il découvrit ensuite la Jamaïque, puis Paria, dans
le continent occidental qu'il rêvait. Ces conquêtes rapides électrisèrent
l'ambition rivale de différents navigateurs. Dès l'année 1497, Vasco de Gama
ayant doublé le cap de Bonne-Espérance aborda Calicut ; tandis que, d'un
autre côté, Améric Vespuce, parti la même année, découvrait la terre ferme à
laquelle il donna son nom. Ce n'était point l'amour de la science, ni le
désir de comparer les deux hémisphères séparés par l'Océan, qui faisaient
exécuter d'aussi longs voyages sur des mers inconnues : les rois voulaient
étendre leur puissance, accroître leurs richesses, et quelques hommes
intrépides, mus par le besoin d'opérer de grandes choses, mettaient leur
existence et leur gloire à la solde des rois. Dans ces nombreux navires qui
revinrent en Espagne, en Portugal, chargés d'or et de produits exotiques, à
peine s'il se trouva quelque objet recueilli par une main curieuse dans un
but d'utilité philosophique. Cependant on en rapporta le gaïac, qui allait
devenir si précieux contre la maladie syphilitique ; le sassafras, la
salsepareille, et différentes productions analogues employées par les Indiens
pour certaines circonstances maladives. Ici encore, comme il est arrivé de
tout temps, la matière médicale s'enrichit de substances variées dont
l'observation constata les propriétés, bien avant qu'un esprit judicieux les
classât d'après l'ordre naturel qui doit leur appartenir. Bientôt l'amour de
la science entraîna aussi quelques hommes au-delà des mers. Cardan parle (Variétés,
livre VIII) d'un
médecin appelé Codrus, qui paya de sa vie celte louable curiosité. Son
exemple eut des imitateurs plus heureux, et, dans les premières années du
seizième siècle, on vit quelques naturalistes italiens, espagnols, portugais
et allemands, se livrer à la recherche, à l'étude des productions exotiques que
fournissaient, en abondance, les vastes territoires nouvellement découverts.
D'autres naturalistes explorèrent l'Asie, principalement la Grèce et
l'Égypte, de sorte qu'il s'opérait parmi les observateurs une ligne de
démarcation tranchée, ceux-ci inclinant vers les anciens, qu'ils
considéraient comme la source de toute lumière ; ceux-là séduits par les
merveilles du continent américain et par celles des Indes, où venait
d'aborder Albuquerque (1505), et négligeant les traditions du vieux monde pour ne s'occuper
que des spécialités du nouveau. A cette époque, dans les deux premières
décades du seizième siècle, un savant naturaliste., Jean Léon l'Africain, fit
en Égypte, en Arabie, en Arménie, en Perse, sur les côtes de Tripoli, des
voyages dont la relation est encore utile à consulter ; Pierre Martyr, chargé
d'une mission diplomatique en Orient, profita de la circonstance pour
vérifier sur les lieux les données d'Aristote, de Théophraste et de Dioscoride
; Jean Manardi herborisa en Pologne et en Hongrie ; le médecin Du Bois
d'Amiens, dit Jacques Sylvius, parcourut une partie de la France, de
l'Allemagne et de l'Italie, pour étudier les productions de la nature ;
beaucoup d'autres jeunes médecins suivirent son exemple. Le goût des voyages,
des explorations lointaines, devint général ; on eut l'idée de faire des
collections d'objets d'histoire naturelle, de cultiver les plantes exotiques,
de multiplier certaines espèces indigènes ; l'horticulture prit du
développement, et l'on vit, vers 1500, un prêtre messin, maître François,
découvrir la greffe herbacée, dont l'idée, perdue pendant trois siècles, a
été reproduite par Tschüdy et donnée comme une invention nouvelle : Multa renascentur quœ jam cecidere, dit Horace. Othon
Brunfels et Jean Manardi, décédés à deux années d'intervalle, en 1534-1536,
après une longue existence consacrée à l'étude de la nature ; Euricius
Cordus, mort en 1535, et dont la diction non moins facile qu'élégante sut
relever l'aridité de l'enseignement universitaire, furent un véritable trépied,
placé au point de contact du quinzième siècle avec le seizième, pour
personnifier l'action multiple, le caractère véritable de l'universalité
d'efforts qui constituaient alors le progrès dans les Sciences naturelles.
Brunfels, né à Mayence, ne fut pas seulement éditeur ou traducteur de
Dioscoride, de Sérapion, d'Averroès, de Rhazès, de Paul d'Egine ; il observa
par lui-même, élucida les textes, et décrivit beaucoup de plantes dont ne
parlent pas les anciens. Son ouvrage le plus important est intitulé : Herbarum
vivœ icones ad naturœ imitationem summâ diligentiâ et artificio effigiatœ,
und cum effectibus earumdem : quibus adjecla est ad calcem appendix isagogica
de usu et administratione simplicium, Strasbourg, 1530-1536, 3 vol. in-f°.
C'est un recueil de tout ce que les anciens ont écrit sur chaque plante,
enrichi de deux cent trente planches gravées avec beaucoup de soin, bien
supérieures à tout ce qui s'était fait antérieurement dans ce genre. Il en
parut, en moins de dix années, trois éditions, et le même succès couronna
l'impression du texte allemand que Brunfels avait commencée deux années avant
de mourir. L’Onomasticon medicinœ, continens omnia nomina herbarum,
fructuum, arborum, seminum, florum, lapidum pretiosorum, etc., etc.,
vocabulaire général imprimé à Strasbourg en 1533, fut aussi très-recherché :
on en donna plusieurs éditions. Manardi, brillant successeur de Leoniceno
dans la chaire que cet homme illustre tenait à Ferrare, n'écrivit point, à
beaucoup près, autant que Brunfels ; mais ses Annotationes et censurœ in
Joannis Mesuœ simplicia et composita sortent de la ligne ordinaire des
commentaires. Leur apparition confirma la haute opinion qu'avaient inspirée
de son savoir, comme médecin et comme naturaliste, ses lettres médicales, Medicinales
epistolæ imprimées successivement à Ferrare, Paris, Strasbourg,
Francfort, Bâle, Venise et Lyon. Presque toujours il appelle à son aide les
Grecs et l'observation, contre les allégations hasardées, mensongères des
naturalistes arabes. Euricius Cordus, poète plutôt que savant, auteur d'un Botanologicum
seu colloquium de herbis, Cologne et Marbourg, 1534 et 1535, sacrifia
souvent, au désir de briller, par un vain luxe d'érudition, l'observation de
la nature ; mais il en fit sentir les merveilles et lui conquit des
admirateurs. Son fils Valérius, qui, des bancs de l'Université de Marbourg,
alla visiter la Saxe, le Hartz, la Bohême, l'Autriche., afin d'étendre les
connaissances botaniques qu'il avait précédemment acquises, revint quelque
temps après à Marbourg, expliquer aux élèves de l'Université le texte de
Dioscoride et enrichir le jardin botanique qu'Euricius Cordus avait commencé.
On lui doit la connaissance d'un grand nombre de plantes nouvelles
parfaitement étudiées, et la composition d'ouvrages recommandables publiés
depuis par le savant Gessner. La mort prématurée de Valérius fut une perte
réelle pour la science ; mais l'élan était donné et beaucoup de jeunes
naturalistes rivalisaient d'émulation. Ainsi : Ghini, le maître d'Ulysse
Atdrovandi, occupait à Bologne une chaire de botanique, rivale illustre de la
chaire fondée à Padoue en 1533 pour le même objet ; Antoine Musa, Léonard
Brassavolo, disciple de Leoniceno, émule de Manardi, savant philologue et bon
observateur, soutenaient à Ferrare l'éclat d'un enseignement séculaire. En
Allemagne, Simon Grynæus donnait une nouvelle édition grecque d'Aristote,
Bâle, 1531, in-f° ; Bouck, dit Tragus, herborisait dans le Palatinat, les
Vosges, l'Alsace, la Forêt-Noire et sur les bords du Rhin ; Fuchs, médecin
non moins judicieux qu'érudit, botaniste distingué, s'appliquait à signaler
les erreurs grossières de ceux qui avaient appliqué, sans restriction, les
noms grecs ou arabes des plantes, aux végétaux qu'on rencontre dans
l'Allemagne. Ses Commentarii insignes remarquables en ce qu'ils
donnent des descriptions exactes dont le mérite est relevé encore par
d'excellentes figures, n'ont commencé de paraître qu'en 1542, mais déjà la
réputation de Fuchs se trouvait faite, même comme naturaliste. L'Alsacien
Laurent Fries, l'imprimeur francfortois Chrétien Égenolf, le comte de
Neuenar, méritent également d'être cités au nombre des promoteurs ardents de
l'histoire naturelle. Dans toute l'Allemagne, surtout aux bords du Rhin, les
Sciences naturelles comptèrent des disciples zélés ; elles en eussent compté
davantage encore si l'aient mie, la chimiatrie, n'avaient point préoccupé
beaucoup d'individus doués d'une imagination vive qui consumèrent, en de
vaines recherches, leur existence et leur fortune. L'Angleterre suivait l'Allemagne
de fort loin ; la Hollande, de plus loin encore. L'Espagne, le Portugal, dont
les vaisseaux sillonnaient des mers immenses, qui chaque jour découvraient
des rivages inexplorés, étaient absorbés par une seule pensée la pensée de
l'or ; car, dans ce grand nombre de voyageurs qui abordent l'Amérique et les
Indes, nous ne trouvons qu'un seul observateur à citer : Gonzalès Hernandez
de Oviedo, auteur d'une histoire générale et naturelle des Indes publiée en
1526, 1535, 1541, à Tolède, Séville, Salamanque, etc. C'est quelque chose de
bien incomplet assurément, mais du moins s'y trouve-t-il une description
assez bien faite de quantité d'animaux, d'arbres, d'arbustes et de plantes
inconnus jusqu'alors. Pendant
un demi-siècle, la France avait semblé se tenir à l'écart du mouvement
imprimé aux Sciences naturelles. Parmi tant d'inutilités théologiques sorties
des presses de ses imprimeurs, à peine si l'on aperçoit çà et là quelques
ouvrages ayant pour objet l'étude de la nature. On cite une édition latine de
Dioscoride faite à Lyon, en 1512, d'après celle de Cologne de 1478 ; une
autre édition latine, infiniment plus correcte, due à Jean Ruelle, dont nous
parlerons tout à l'heure, et qui parut à Paris en 1516 ; une édition de Pline
sortie de la même ville en 1532, et quelques livres d'une moindre importance.
Dans notre pays, il arrivait rarement qu'un ouvrage sérieux subit l'heureuse
chance d'une réimpression immédiate : preuve évidente de la lenteur de son
débit. Trente années se sont écoulées entre la première et la seconde édition
française de Pline le naturaliste. Il n'est donc pas surprenant que nos
typographes aient souvent hésité de courir les hasards d'exploitations
scientifiques, toujours très-dispendieuses et pour la réussite desquelles il
fallait, au préalable, un public à leur portée. Le célèbre imprimeur Charles
Estienne, anatomiste et médecin, qui joignit à des connaissances
philologiques profondes le goût de l'histoire naturelle, qui fut une de nos
gloires littéraires les plus grandes, et qui mourut victime de l'intolérance
religieuse, ayant voulu servir la science sans compromettre son industrie
personnelle, fut obligé de composer et de publier des livres d'utilité
pratique. Son vocabulaire d'histoire naturelle, dont les nombreuses éditions
attestent le succès, devint une spéculation excellente. Il ne vendit pas
moins bien divers opuscules d'agronomie, d'horticulture, de botanique et de
sylviculture, qui, réunis, constituèrent la base du Prœdium rusticum,
ou Maison rustique, devenu si populaire quand Liébault, gendre de
Charles Estienne, en eut fait une traduction. Le jardinage était à la mode ;
l'amour-propre des gens riches se tournait de ce côté : c'était à qui
posséderait quelque plante inconnue, quelque fleur venue de loin. Princes et
prélats, gens du monde et plébéiens s'occupaient volontiers d'horticulture ;
plus l'agitation politique prenait d'accroissement, plus on savourait les
charmes de la vie paisible. Le cardinal Jean Du Bellai, le cardinal de
Lorraine, les deux hommes d'État de cette époque qui ont eu les plus grandes
affaires à traiter, font date dans l'histoire du jardinage et des plantes :
ils encourageaient, ils favorisaient les bonnes cultures ; ils comprenaient
l'utilité de la botanique, et maintes fois on les a vus secouer le pesant
fardeau de la politique pour aller, l'un à Meudon, l'autre à Saint-Maur,
vivre loin des hommes, au milieu des fleurs. On cite trois jardins publics de
botanique fondés dans la première moitié du seizième siècle : le jardin de Passaw,
commencé en 1533 par Daniel Barbaro ; le jardin de Pise fondé dix années
après par Ghini, qui, l'année suivante, établit également celui de Florence
aux frais des Médicis. Les jardins de Cordus, de J.-A. Nordecius Cassellanus
et de Du Bellai n'étaient point ouverts au premier venu. Il en existait
d'autres que Charles Estienne n'aura point connus, et qui furent, pour les
naturalistes, une source précieuse d'explorations. Conrad Gessner cite
notamment les jardins de Dominique Obrecht, de Jérôme Messaria, d'Israël
Mankel, à Strasbourg. On y cultivait beaucoup de plantes exotiques que sans
eux, peut-être, ce Pline de l'Allemagne n'eût jamais vues ni décrites. Nous
arrivons enfin au moment décisif où les Sciences naturelles, affranchies de
leurs entraves, prendront un libre essor. Déjà les recherches sont devenues
plus sérieuses, les gravures plus fidèles : un Français, Jean Ruelle,
chanoine et médecin, philologue et naturaliste, auteur de la seconde
traduction de Dioscoride imprimée par Henri Estienne, a publié, en 4 536, à Paris,
sur la nature et l'histoire des plantes, un ouvrage remarquable, reproduit
presque aussitôt à Bâle et à Venise ; livre rempli d'érudition, d'aperçus
judicieux, auquel manque une seule chose pour être excellent, l'expérience
que donnent les voyages. Ruelle n'a jamais été au-delà de l'Ile-de-France et
de la Picardie, aussi confond-il souvent les plantes de Grèce et d'Italie
avec celles qu'il a sous les yeux. L'Historia stirpium, de Léonard
Fuchs, le plus grand botaniste du seizième siècle, le premier qui ait
présenté les plantes d'une manière convenable, est le seul livre comparable
au livre de Jean Ruelle ; il parut en 1542. Ruelle donne trois cents espèces
avec leur nom vulgaire en français ; Fuchs en présente cinq cents gravées au
trait, mais très-exactes et sur une grande échelle. De la
même époque date l'ère féconde des observations transatlantiques, des voyages
véritablement utiles : les Portugais ont ouvert le chemin de la Chine,
conquis le Bengale, abordé au Japon ; les Espagnols occupent le Pérou, le
Mexique, la Floride ; on peut parcourir l'Amérique, faire le tour continental
de la Chine, des Indes et de l'Afrique jusqu'au Congo, et commencer de
sérieuses études, à l'abri des étendards européens plantés sur tous les
principaux rivages. Une société pleine de résolution et d'audace, la société
des jésuites, occupée de la conquête morale des populations, rendit
d'importants services à la science. Les premiers faits d'histoire naturelle
recueillis avec intelligence, au-delà des mers, nous viennent des jésuites.
Le Japon notamment leur a fourni d'intéressantes relations. Dans un temps où
la diplomatie n'était pas encore une science, les ambassadeurs, soit
jésuites, soit hommes de cour, avaient la double mission d'entretenir de bons
rapports avec les souverains étrangers et de recueillir des notions exactes
sur les productions exotiques : ainsi, le nom de Busbecq, cet infatigable
botaniste chargé d'affaires de France à la Porte, est inséparable du nom de
Mattioli ; celui de Pélicier, ambassadeur français à Venise, inséparable du
nom de Rondelet : ainsi, l'on doit à Sigismond de Herberstein, ambassadeur de
Maximilien Ier près de Basile IV, grand-duc de Moscovie, la connaissance du
bison de Lituanie, et celle du bœuf sauvage, type original du bœuf
domestique. L'ouvrage de Sigismond, Rerum moscovitarum commentarii,
composé en même temps que celui d'Olaüs Magnus, archevêque d'Upsal, intitulé
: Historia de gentibus septentrionalibus, concourut, avec ce dernier,
à fixer l'attention publique sur des pays inexplorés. Olaüs, trompé par les
récits exagérés ou mensongers des Suédois réfugiés en Italie, fut beaucoup
moins vrai que Sigismond et charma davantage. C'est Olaüs qui attribue au
glouton la pensée instinctive de comprimer son estomac contre un arbre, pour
se décharger de l'excès de nourriture et ingérer de nouveaux aliments ; c'est
lui qui parle de serpents longs d'une lieue et demie ; qui donne l'histoire
du kraken, poulpe gigantesque, pris pour une île par certains navigateurs, et
s'enfonçant dans la mer après qu'on y eut jeté l'ancre... Une carte
géographique, publiée à Venise, consacra, popularisa les idées fabuleuses
d'Olaüs Magnus. Enfin,
l'expérience que donnent les voyages, quand l'observation lui vient en aide,
un homme de génie allait l'employer : vers 1535, partait d'une misérable
cahute du Périgord, la besace sur l'épaule, un simple ouvrier de vingt-cinq
ans ; il parcourut les Pyrénées, traversa la France, l'Auvergne, le Dauphiné,
le Poitou, la Bourgogne, la Franche-Comté, la Lorraine, les Ardennes, la
Champagne, les Pays-Bas, les bords du Rhin, s'occupant à la fois de vitrerie,
de pourtraiture et d'arpentage ; étudiant la
topographie, les accidents du sol, les curiosités naturelles ; visitant les
carrières, les mines ; interrogeant tour à tour les paysans et la nature, et
se faisant une éducation scientifique, aidé de la seule puissance de son
esprit. Ce jeune homme s'appelait Bernard Palissy. Ses excursions étaient
terminées en 1539, quand, après quelques années de réflexions et de labeurs,
pendant lesquelles il apprit, dit-il, la science avec les dents, expression
d'une vérité pénible, qui rend bien ses privations, l'ouvrier, le potier de
terre, le pauvre tuilier périgourdin, sans éducation, sans aucune notion de
littérature ou d'histoire, se trouva grandi de toute la hauteur des premiers
savants, des premiers artistes du monde. Il avait deviné les lois
fondamentales, découvertes trois siècles plus tard, et il n'attendait que le
moment de fixer les bases sur lesquelles reposent encore la géologie,
l'horticulture et certaines parties de la physique. Les troubles religieux,
les malheurs de Palissy retardèrent de trente-cinq années cette manifestation
de vérités utiles ; trente-cinq années d'attente !... Mais la conviction du
grand homme n'en devint que plus profonde et son succès plus assuré. Les
souffrances qu'il éprouva sont inimaginables ; lui-même en a laissé la
touchante description : c'est un des morceaux les mieux écrits dans notre
langue. Obligé de réitérer sans cesse de coûteuses tentatives, pour obtenir
les émaux dont il posséda le secret bien avant d'en connaître la cuisson, il
consomma sa ruine, comme George Agricola consomma la sienne, avec la
certitude d'atteindre un résultat final. Il y eut beaucoup d'analogie entre
ces deux illustres contemporains. L'époque active de leurs travaux coïncide
tout à fait : Agricola fit en Saxe, pour la métallurgie, ce qu'en France
opéra Palissy pour la terre émaillée. Tous deux eurent de puissants
protecteurs, de généreux Mécènes, qui, néanmoins, demeurèrent au-dessous des
exigences de la science et des besoins cruels que ressentait le génie en
lutte avec les impossibilités de la misère. A ceux de ses amis qui lui
conseillaient d'exercer la médecine plutôt que de continuer des recherches
dispendieuses, Agricola répondait : Il en est
de la médecine comme des ordres sacrés : ce sont les lieux communs de
l'intelligence humaine ; tout esprit médiocre peut y voyager à loisir. Mais
la littérature ! mais les sciences ! le génie seul y conduit, et lui seul a droit
d'y régner. Selon
Cuvier, Agricola est en minéralogie ce que fut Conrad Gessner en zoologie. La
partie chimique, la partie docimastique surtout de la métallurgie, sont déjà
traitées par lui avec infiniment de soin et de clarté. Les modernes ne les
ont pas beaucoup perfectionnées depuis. Le premier ouvrage d'Agricola, point
de départ lumineux, sous forme de dialogue entre Nicolas Ancone, Jean Nœsius,
ses maîtres, et le chimiste Bergmann, a pour titre : Bergmannus, seu
dialogus de re metallica. Il parut à Bâle en 153Q ; à Paris, en 1541 ;
puis, à Leipsick et à Genève. Ses ouvrages De ortu et causis subterraneorum,
in-f° ; De re metallica, in-f°, ont été publiés à Bâle, en 1546, et
son livre De animantibus subterraneis, dans la même ville, deux années
plus tard. Ils acquirent à leur auteur la plus grande, la plus légitime
célébrité. On en fit plusieurs éditions successives ; on les traduisit en
allemand ; Venise imprima, en langue italienne, l'ouvrage De ortu et
causis subterraneorum. Un seul homme, plus heureux sans avoir été plus
riche qu'Agricola, et marchant sur la même ligne, pouvait rivaliser de gloire
avec lui ; c'était, nous l'avons déjà nommé, Conrad Gessner. Appelé le Pline de l'Allemagne trésor d'érudition prodigieuse, on pourrait lui
appliquer ces paroles, qu'il mérita certes mieux que Casaubon : O
bibliographorum quidquid est, assurgite huic tam colendo nomini ! Né à
Zurich, mais élève des écoles de Strasbourg, de Paris et de Montpellier,
Gessner, par son éducation, appartient à la France autant qu'à la Suisse ;
par l'ordre et la méthode qu'il introduit dans ses ouvrages, il se rapproche
même beaucoup plus de l'esprit français que de l'esprit allemand, et forme
une honorable exception, au milieu de l'amas confus de connaissances
indigestes qu'entassent à plaisir ses contemporains. On possède de Gessner
des ouvrages fort importants sur les trois règnes delà nature. Toutefois,
quoique sa correspondance témoigne certaines recherches relatives aux
minéraux, il s'en occupa peu, persuadé qu'il était de l'impulsion
qu'imprimerait Agricola à cette partie des sciences. La zoologie et la
botanique l'absorbèrent essentiellement. S'il n'a établi, en zoologie, ni
genres, ni classification systématique, du moins il indique souvent les
véritables rapports qui existent entre les êtres. Ses travaux sur les plantes
ne sont pas d'un ordre inférieur à celui de ses travaux sur la zoologie ;
peut-être même y montre-t-il des vues plus larges et plus fécondes. Créateur
véritable de la botanique scientifique, Gessner découvrit le premier l'art de
déterminer les plantes par l'examen des organes de la fructification. Il
indiqua plusieurs familles naturelles, reconnut au-delà de huit cents
nouvelles espèces, et introduisit l'usage d'appliquer aux végétaux les noms
des naturalistes célèbres. Après différentes compilations savantes,
aujourd'hui dénuées d'intérêt ; après avoir étudié dans leur texte original,
Aristote, Dioscoride, Théophraste, Pline, Ælien, dont il donna une édition complète,
annotée ; après avoir consulté les modernes, surtout Cordus, Brassavole et
Tragus ; après d'infatigables herborisations en France, en Allemagne, en
Alsace, en Suisse, en Italie, à travers les Vosges, les Alpes et le Jura ;
sachant plus de choses qu'aucun naturaliste de son époque ; ayant presque
toujours eu à ses côtés un dessinateur et un graveur chargés de représenter
les objets qu'il décrivait, Gessner commença, vers 1550, la coordination des
nombreux matériaux que lui avaient procurés ses lectures, ses courses et sa
correspondance avec la plupart des savants de l'Europe. Il voulait publier
l'histoire naturelle du monde connu, entreprise gigantesque, mais qu'on ne
doit trouver au-dessous ni de sa patience, ni de son génie. Gessner comptait
sur une longue vie ; le ciel la lui fit beaucoup trop courte, et sa grande
œuvre, dont il regretta sans doute de ne point s'être exclusivement occupé,
demeura inachevée. Le premier livre de l’Historia animalium, traitant
des quadrupèdes vivipares ; le deuxième livre, des quadrupèdes ovipares ; le troisième
livre, des oiseaux ; le quatrième livre, des poissons et des autres animaux
aquatiques, eurent l'avantage de paraître, sous les yeux de l'auteur, à
Zurich, en 1551, 1554, 1555, 1558 : même, l'histoire des oiseaux fut
traduite, presque aussitôt, en langue allemande, par Rodolphe Heusslin ;
celle des poissons et celle des quadrupèdes, par Conrad Forer, qui, imprimant
leur version dans-la ville de Zurich, où demeurait Gessner, fournissaient un
texte aussi exact que le texte original. Les animaux sont rangés d'après
l'ordre alphabétique de leurs noms latins, auxquels l'auteur ajoute les noms
qu'ils portent dans les différentes langues anciennes ou modernes ; puis, il
les décrit, indique leurs variétés, leur patrie, leurs mœurs, leurs
habitudes, leurs maladies, leur utilité dans l'économie domestique, la
médecine et les arts ; les images qu'ils ont fournies à la poésie, à
l'éloquence, à l'art héraldique. Les passages des écrivains anciens, ceux des
modernes, qui peuvent offrir quelque rapport avec l'animal en question, sont
fidèlement rapportés. On a peine à concevoir une érudition si vaste, et le
goût qui y préside n'est pas moins digne d'admiration. Ce prodigieux
répertoire, base de tous les ouvrages publiés depuis sur la zoologie, est un
excellent guide où bien des gens vont emprunter leur savoir factice. La
clarté, l'exactitude, la conscience, la finesse d'aperçus de Conrad Gessner
lui permettent de dominer encore l'horizon de la science. Il avait fait un
travail analogue sur les végétaux, consulté deux cent soixante auteurs, réuni
quinze cents figures excellentes, la plupart gravées, et rédigé quantité de
notes. Au mois de décembre 1565, quand il vit s'approcher la mort, il appela
près de son lit Gaspard Wolf, son disciple bien-aimé, lui légua ses
manuscrits, et le chargea d'en publier ce qu'il jugerait utile. Wolf mit au
jour, beaucoup plus tard, la partie de l'histoire des animaux concernant les
serpents, et vendit, pour la somme minime de cent cinquante florins, à
Joachim Camerarius, tout ce qu'il put réunir de fragments et de planches de
Gessner relatifs aux végétaux. Les recherches sur les insectes sont perdues ;
ses idées sur les fossiles, les pétrifications et les cristaux se trouvent
résumées à la fin du recueil intitulé De omni rerum fossilium genere,
etc., qu'il fit imprimer en 1555, Zurich, in-8°. Pour bien connaître, bien
apprécier cet illustre naturaliste, il faudrait pouvoir lire toutes ses
œuvres ; il faudrait le suivre à travers l'immensité de sa correspondance,
véritable réseau scientifique qui liait entre elles les différentes parties
de l'Europe ; qui, d'une foule d'observateurs studieux répandus par le monde,
formait un faisceau de forces morales concourant au même but. A la période la
plus active des travaux de Gessner correspondent les voyages fructueux de
Benzoni en Amérique ; de Bélon, de Fumet, de Pierre Gilles, de Thevet, dans
le Levant ; ceux de l'Anglais William Turner, du Prussien Wieland,
d'Aldrovandi, de Rondelet et de Jérôme Cardan ; c'est l'époque des
herborisations de Nicolas Mutoni et de Marauda, tant en Suisse qu'en Italie ;
de Dalechamp, qui parcourut pendant trente-six années le Dauphiné et les
provinces voisines ; de Guillaume du Choule, au mont Pilate où l'avait
précédé Conrad Gessner ; pérégrination considérée jusqu'alors comme
périlleuse, entourée des embûches des mauvais esprits, et qu'on ne pouvait
exécuter sans un permis dûment légalisé par le gouvernement de Lucerne. Dans
le même but d'études scientifiques, Adam Lonicer parcourait les rives du Mein
; Dodonæus ou Dodœus, la Belgique et la Hollande. C'est le temps où se
développa la pensée des collections ; où le cabinet de chaque observateur
devint un recueil de souvenirs, une réunion de titres.,- de preuves et
d'exemples. On attribue à Gessner l'idée du premier cabinet d'histoire
naturelle ; erreur : la même idée devait naître spontanément chez-quiconque
voyageait dans un but sérieux. Notre Palissy, notre Ambroise Paré, qui
n'était cependant pas grand naturaliste, s'étaient fait un cabinet de
curiosités, avant que Gessner eût songé à commencer le sien. Il existait sans
doute beaucoup d'autres collections analogues ; un naturaliste, à moins de se
condamner au triste rôle de compilateur, ne pouvait écrire sans avoir sous
les yeux ses preuves à l'appui. Nous
avons déjà signalé la vallée du Rhin, depuis Schaffouse jusqu'à Düsseldorf,
comme une sorte d'arène littéraire où luttaient d'infatigables jouteurs, où
les amis de la nature se donnaient rendez-vous. Centre de l'Europe,
aboutissant aux Alpes et à la mer, offrant dans une étendue de cent cinquante
lieues les sites les plus variés, les productions les plus diverses,
l'industrie commerciale la plus active, les hommes les plus remarquables, le
Rhin, de sa voix retentissante et solennelle, attirait presque tous ceux qui
cultivaient les sciences d'observation. Beaucoup de jeunes médecins suisses,
allemands, français, belges, italiens, au terme de leurs études, faisaient
une excursion sur les rives du fleuve et s'arrêtaient volontiers à Bâle,
Strasbourg, Mayence, Francfort, villes savantes dont les institutions
libérales faisaient la renommée. Strasbourg et Francfort publièrent les
travaux pharmacologiques de Remacle Fuchs, de Gualter Hermann Ryff ; la
traduction de Dioscoride, par un ami de Gessner, J. Dantz d'Ast ; les
brochures polémiques engendrées par la discussion de Jean Cornarus avec L.
Fuchs ; le lexicon botanique trilangue de l'Alsacien David Kyber, etc. Rien
ailleurs n'approchait d'une semblable émulation. Il convient, cependant, de
signaler les observations d'histoire naturelle de Pompilius Azali, de
Plaisance ; les écrits sur les plantes médicinales des Indes, dus à
Gracias-ab-Ortâ et à Nie. Menardes ; les recherches de Gaspar Peucer, gendre
de Melanchton ; la publication de l'herbier belge et des autres travaux de
Dodonseus ; les découvertes de Fallope ; les travaux de William Turner,
botaniste non moins distingué qu'anatomiste ; mais surtout les Commentaires
de Matthioli sur Dioscoride, répertoire considérable et d'un grand intérêt
historique, puisqu'il renferme presque tout ce qu'on savait alors sur la
botanique médicale. Matthioli avait eu recours, ainsi qu'Anguitlara, aux
manuscrits grecs les plus anciens, afin de rétablir les passages altérés.
L'édition de 1565, que nous croyons la douzième, est fort estimée. Elle
contient les meilleures planches en bois qui eussent encore paru ;
quelques-unes malheureusement sont faites d'imagination. Anvers, Lyon, Paris
payaient aussi, d'une manière fort large, leur contingent aux Sciences
naturelles. Des ateliers typographiques d'Anvers, sortirent le Dioscoride
espagnol d'André Laguna et celui de Tarava ; l'Historia frugum,
l'Historia stirpium et l'Herbarius belgicus de Dodonæus
; l'histoire naturelle du Nouveau-Monde, par Jérôme Benzoni, qui reçut
presque aussitôt la faveur de traductions latine, anglaise et française ; les
éditions latines de Gracias-ab-Ortâ, de Menardes, etc. Lyon publia
non-seulement un Pline latin, mais encore une traduction de ce naturaliste,
par du Pinet ; une traduction française de Dioscoride, par Martin Mattacus ;
une traduction des Commentaires de Matthioli, par le même du Pinet, et
quantité de livres sur la pharmacologie ou sur la matière médicale. Paris
réédita Dioscoride, revu par Jacques Goupyl, impression correcte, ornée des
planches de l'Hortus sanitatis ; donna, concurremment avec Lyon,
plusieurs éditions de Jérôme Cardan ; fit connaître les premiers travaux
d'histoire naturelle de Jacques Sylvius, de Bernard Fuchs ; les voyages de
Pierre Gilles, de Bélon, et, ce qui a plus d'importance, l'Histoire de la
nature des oiseaux de ce même Bélon, un des observateurs les plus exacts, un
des nomenclaturistes les plus judicieux d'une époque où la recherche du
merveilleux égarait tant d'imaginations. Bélon, mort assassiné en 1564, à
l'âge de quarante-sept ans, après s'être procuré, par de longs et pénibles
voyages, une précieuse collection d'histoire naturelle, avait compris la
nécessité de traiter l'ornithologie avec ordre et de classer les oiseaux ;
mais sa méthode n'offre rien de convenablement arrêté ; il range les
individus d'après leurs habitudes et quelquefois d'après leurs formes
extérieures et leur organisation. Le premier livre de ce traité, consacré à
l'anatomie des oiseaux comparée avec l'anatomie humaine, est digne du plus
haut intérêt, rempli de vues ingénieuses, d'aperçus originaux, et place le
naturaliste français au niveau de Conrad Gessner ; car, si le naturaliste
suisse a trouvé les éléments de la classification des plantes, Bélon a
découvert ceux de la classification organique des ovipares. Dans un livre
intitulé : Remontrances sur le défaut du labour et culture des plantes,
etc. (Paris,
1558, in-8°), Bélon
conseille la fondation d'une pépinière d'arbres étrangers qu'il désigne
nominalement ; il voudrait aussi que, pour la
délectation et pour l'augmentation du savoir des doctes, on cultivât, dans un lieu
public, diverses espèces de plantes ; idée réalisée un demi-siècle après à
Paris, quand aux quatre jardins botaniques cités précédemment, Bologne, Rome,
Leyde, Leipsick, Altdorf et Montpellier avaient depuis longtemps ajouté le leur. Rondelet,
Salviani, considérés comme les plus grands ichthyologistes de France et
d'Italie, connaissaient Bélon. Une rivalité fâcheuse les brouilla, lorsque,
réunis fortuitement dans la ville de Rome, ils élaboraient une œuvre
d'ensemble, dont chacun d'eux revendiquait la gloire. Les publications de
Bélon ont devancé celles de ses émules ; mais Salviani, noble Romain,
imprimait déjà chez lui son Aqualilium animalium historia, et
Rondelet, qu'aidait puissamment la bourse de Pellicier, hâtait l'apparition
de son ornithologie et de son ichthyologie, publiées l'une et l'autre entre
les années 1554-1558. L'ouvrage de Salviani, remarquable principalement par
ses planches sur cuivre, les premières qu'on ait introduites dans les livres
d'histoire naturelle, a fait bien connaître les poissons du Tibre, ceux de l'Illyrie,
de l'Archipel, et certaines espèces de serpents et de mollusques ; Rondelet a
mieux décrit qu'aucun moderne les poissons de la Méditerranée ; Bélon, ceux
du Nord, des côtes de l'Océan et de la Manche. Dans l'un comme dans l'autre
recueil, il n'y a ni ordres, ni genres, ni disposition d'espèces ; rien du
plan systématique, que l'abondance des choses aujourd'hui connues rend
indispensable pour se retrouver. Bélon et Rondelet, néanmoins, ne laissent
point inaperçus divers rapports, diverses coïncidences entre les espèces ;
Rondelet a même soin de grouper les siennes d'après l'ordre des genres, et il
montre des connaissances d'anatomie comparée, qui tiennent à la nature du
professorat qu'il exerçait à Montpellier. Trois siècles d'études n'ont pu
faire déchoir Salviani, Bélon et Rondelet, les deux derniers surtout, du
point élevé qu'ils occupaient dans les Sciences naturelles. Ils servent encore
d'autorité. En
regard d'observateurs aussi graves, d'érudits aussi profonds et d'écrivains
aussi distingués, nous ne placerons assurément ni Thevet, ni Jean de Léry,
voyageant comme voyagent des touristes, recherchant les singularités,
ramassant sur les anomalies de la nature quantité de faits apocryphes. Ils
expliquent, par l'intervention du diable ou par des accouplements illicites,
les phénomènes dans la production desquels Empédocle et Démocrite admettaient
soit l'absence, soit l'excès, soit la dissémination de la semence prolifique. Bélon,
Gessner, Léonard Fuchs, Rondelet, une fois morts, et ils se suivirent d'assez
près dans la tombe, personne en Europe ne put donner le mot d'ordre aux
investigateurs de la nature ; car Matthioli était trop vieux ; Jean Bouhin,
beaucoup trop jeune ; Dodonæus, moins observateur qu'érudit, menait une vie
aussi errante qu'agitée ; Charles de l'Écluse commençait seulement ses
intéressantes pérégrinations ; Aldrovandi n'avait encore rien publié. Les
lumières s'offraient disséminées ; leur foyer n'existait nulle part ; mais la
présence, en différentes villes, d'hommes savants ou studieux, donnait à
chacune d'elles une prééminence scientifique qui ne fut pas sans action sur
les progrès de l'histoire naturelle. En Italie, nous citerons Bologne, Pise,
Padoue, Venise ; dans la Hollande et la Flandre, Anvers, Leyde, Louvain ; en
France, Lyon, Paris ; en Allemagne et le long du Rhin, Augsbourg, Heidelberg,
Nuremberg, Zurich, Baie, Strasbourg, Francfort. Les autres grandes cités,
sans excepter Londres et Rome, ne marchaient qu'à leur suite ; mais bientôt
Paris devait absorber toutes les renommées urbaines, par la splendeur de ses
institutions, par l'éclat d'un enseignement nouveau, par l'illustration de
puissants génies dont la voix allait émouvoir, entraîner les incrédules,
comme faisait la voix des oracles de l'antiquité. Palissy,
avait enfin quitté sa province, et, la main pleine de vérités nouvelles, il s
avançait avec confiance, sous le protectorat du cardinal de Lorraine, du
connétable de Montmorency et du roi, pour enseigner ce qu'il avait découvert
ou rêvé. J'ai considéré, dit-il, que j'avois beaucoup employé de temps à la connoissance
des terres, pierres et métaux, et que la vieillesse me presse de multiplier
les talents que Dieu ma donnez, et partant qu'il seroit bon de mettre en
lumières tous ces beaux secrets, pour les laisser à la postérité... Je m'avisay de faire mettre des affiches par les
carrefours de Paris', afin d'assembler les plus doctes médecins et autres, ausquels
je prpmettois monstrer en trois leçons tout ce que j'avois conneu des
fontaines, pierres, métaux et autres natures. Et afin qu'il ne se trouvast
que des plus doctes et des plus curieux, je mis en mes affiches que nul ni
entroit qu'il ne baillast un escu à l'entrée desdites leçons,.et cela
faisoy-je en partie.- pour voir si, par le moyen de mes auditeurs, je pourrois
tirer quelque contradiction, qui eut plus d'asseurance de vérité que non pas
les preuves que je mettois en avant : sçachant bien que si je mentois, il y
en auroit de Grecs et Latins qui me resisteroyent en face, et qui ne
m'espargneroyent point, tant à cause de l'escu que j'avois pris de chascun,
que pour le temps que je les eusse ameusez : car il y avoit bien peu de mes
auditeurs qui n'eussent profité de quelque chose, pendant le temps qu'ils
estoyent à mes leçons. Voilà pourquoy je dis que s'ils m'eussent trouvé
menteur, ils m'eussent bien rembarré : car j'avois mis, par mes affiches,
que, partant que les choses promises en icelles ne fussent véritables, je
leur rendrois le quadruple. Mais grâces à mon Dieu, jamais homme ne me
contredit d'un seul mot.
Palissy donne la liste des trente-deux personnes, honorables et doctissimes, qui, sans compter beaucoup
d'autres, assistaient à son cours : trois médecins, deux chirurgiens, deux
apothicaires, deux avocats, deux abbés, quelques savants, quelques
gentilshommes, tous disposés à confirmer, à défendre ses allégations.
Commencé en 1575, ce cours fut renouvelé l'année suivante, afin d'avoir plus grand nombre de tesmoings, et continué jusqu'en 1584.
S'il n'obtint pas un succès populaire, il eut un succès d'estime bien
autrement durable. La Faculté de médecine, le clergé, n'osèrent attaquer
l'observation, tout étrange qu'elle parût, marchant appuyée de preuves
matérielles ; et, grâce au génie de Bernard Palissy, la géologie prit rang
parmi les sciences. Quand il dit que les poissons, petrifiez en plusieurs carrieres ont esté engendrez sur le
lieu mesme, pendant que les rochers n'esloyent que de l'eau et de la vase,
lesquels depuis ont esté petrifiez avec lesdits poissons, il exprime une vérité
fondamentale, contre laquelle se sont élevés deux siècles frondeurs, et qui
constitue la base de la géologie moderne. Ailleurs, il reconnaît la
non-existence de l'homme et de certains animaux, à l'époque de la formation
des fossiles ; il distingue l'eau de cristallisation et l'eau de végétation,
l'affinité des sels, le mode de développement des pierres et des substances
minérales par intussusception ; il découvre l'origine des nuages, des
fontaines, la cause des tremblements de terre, des jaillissements artésiens ;
il explique fort bien la différence de qualité des eaux minérales, des eaux
potables et des terres, etc. ; généralisant les idées, pénétrant d'une
manière intime dans les grandes questions de l'agronomie, de la physique, de
la chimie appliquée aux arts, il devine quantité de choses, admises
aujourd'hui comme principes, telles que l'attraction, l'affinité, la force
expansive de la vapeur, l'oxydation métallique, etc. L'ouvragé immortel où,
pour la première fois, Palissy donna l'essor aux pensées profondes qu'il
avait mûries, est intitulé : Discours admirables de la nature des eaux-et
fontaines, tant naturelles qu'artificielles, des métaux, des sels et salines,
des pierres, des terres, du feu et des émaux ; avec plusieurs autres
excellents secrets des choses naturelles plus, un traité de la marne, fort
utile et nécessaire à ceux qui se mellent de l'agriculture : te tout dressé
par dialogues, ès quels sont introduits la Theorique et la Practicque,
par Me Bernard Palissy, inventeur des rustiques figulines du roy et de la
Royne sa mère. Paris, Martin le jeune, 1580, in-8°. Ici, comme dans la Recepte
veritable d'augmenter ses thresors, publiée en 1563 à La Rochelle, il ne
s'agit plus d'une simple causerie sur divers sujets peu approfondis, mais
bien d'un ensemble systématique sur la physique générale, la chimie, la
géologie, l'histoire naturelle et l'Art de terre, objet essentiel de
ses méditations et de ses études. A chaque phrase, on reconnaît, ou le savant
ou l'artiste, riche de connaissances péniblement acquises, riche
d'imagination et de raison. Quelle étonnante impulsion cet homme eût
imprimée aux Sciences physiques et naturelles, si, comme Ambroise Paré, il
n'avait point été fils unique de ses œuvres, et si l'époque s'était trouvée
au niveau de son génie ! En le lisant, on s'étonne qu'il ait fallu marcher
trois siècles avant d'arriver à Cuvier. Il est vrai qu'après lui la clarté
vive qui avait spontanément illuminé les profondeurs de la géologie disparut.
On ne s'occupa guère que d'ornithologie, de minéralogie métallurgique et de
botanique, de botanique surtout. Fort peu d'hommes généralisèrent. Parmi les
productions les plus remarquables des vingt-cinq dernières années du siècle,
nous signalerons d'abord, comme une œuvre royale, la riche collection de M.
Hernandez, premier médecin de Philippe II, qui, chargé par ce monarque de
réunir les productions animales, végétales et minérales du Mexique, dépensa
soixante mille ducats à faire peindre douze cents figures, publiées par le
prince Césée ; c'était une belle et grande pensée : malheureusement,
Hernandez l'étouffa sous un amas confus de commentaires. Garcias ab Horto, ou
du Jardin, mieux inspiré que Hernandez, ayant accompagné le vice-roi des
Indes au siège de son gouvernement, forma dans l'île où s'élève aujourd'hui
Bombay, un jardin botanique destiné à la culture des plantes utiles en
médecine. L'ouvrage de Garcias, fruit d'études suivies, imprimé à Goa et traduit
en français par l'Écluse, produisit une révolution en matière médicale, car
il y introduisit l'aloès, l'assa fœtida, le benjoin, la laque, le camphre, le
bétel, le macis, la cannelle, le girofle, la muscade, etc. Dans un livre
moins spécial, le jésuite Jos. d'Acosta, qui avait parcouru le Pérou, fit
connaître, indépendamment de nouvelles plantes médicinales, la sensitive,
divers animaux et des ossements fossiles, qu'il considéra, bien entendu,
comme des os de géants. Les explorations de Francis Drake le long de la côte
occidentale de l'Amérique jusqu'en Californie ; la découverte de la Virginie,
par sir Walter Ralegh, amiral d'Elisabeth et de Jacques Ier ; les voyages de
Martin Fumée dans les Indes ; ceux de Léonard Thurnesius, en Espagne, en
Portugal, en Egypte, en Ecosse ; de Prosper Alpin, en Égypte et en Syrie,
furent également utiles aux progrès des Sciences naturelles ; plus utiles
assurément que les récits mensongers de Jean de Léry, dont les éditions
successives attestent le succès populaire. Mais aucun naturaliste ne tira de
ses propres voyages, ou des découvertes de ses devanciers, autant de fruit
que Mathias Lobel et André Césalpin. Dans un livre intitulé Stirpium
adversaria nova, dédié à la reine Elisabeth, Lobel, s'appuyant
d'observations recueillies dans les Pyrénées, sur les Alpes, en Suisse, en
Allemagne, etc., établit, pour la première fois, une distinction tranchée entre
les plantes monocotylédones et les dicotylédones, séparation devenue aussi
fondamentale en botanique que l'est, en zoologie, celle des animaux vertébrés
et non vertébrés. Il eut le sentiment des familles naturelles : il classa les
graminées, les orchis, les palmiers, les mousses ; il rapprocha les labiées,
des personnées et des ombellifères ; mais beaucoup d'autres plantes
demeurèrent encore pêle-mêle, attendant, pour prendre une place définitive
dans le cadre des productions de la nature, qu'un homme de génie eût dit son
mot. Ce mot suprême, révélation intuitive d'en haut, Césalpin faillit le
prononcer ; il le touchait du doigt, et mourut sans l'avoir trouvé. Deux siècles
s'écoulèrent, avant qu'un nouveau génie, Jussieu, se fût mis au point de vue
de Césalpin. Cet illustre botaniste, qui fut, comme Aldrovandi, élève de
Ghini, compara les semences des plantes à l'œuf des animaux, donna le nom de
plantes mâles aux véritables mâles, c'est-à-dire à celles qui portent des
étamines, et celui de femelles aux plantes fournissant les graines ; il
distingua quinze classes, et admit des genres dans chaque classe ; il étudia
l'anatomie, l'organographie, la physiologie végétale, et ouvrit la véritable
route qu'il fallait suivre. Ses idées toutefois, comme celles de Gesner,
n'obtinrent pas immédiatement la sanction générale des autres naturalistes. A
Bâle, Félix Plater, qui pendant cinquante années resta le maître, le
conseiller, le directeur des naturalistes de l'Allemagne ; en Alsace, Jacques
Théodore Tabernæ-Montanus ; à Francfort, Pierre Camerarius, cet heureux
acquéreur d'une partie des richesses botaniques de Gesner ; à Lyon, Jacques
Dalechamps ; à Montbéliard, Jean Bauhin ; beaucoup d'autres encore, surtout
parmi les hommes plus âgés que Césalpin, continuèrent à suivre l'ancienne
route et à rejeter toute idée de classification méthodique. Aussi, la plus
grand e confusion règne-t-elle dans l'histoire générale des plantes de
Dalechamps et dans le livre de Tabernæ-Montanus, malgré deux mille six cents
figures gravées sur bois, accolées à l'ouvrage de l'un, et deux mille cinq
cents planches, jointes à celui de l'autre. Toutes ces compilations
imparfaites allaient, d'ailleurs, s'effacer devant les publications
splendides de Théodore de Bry, qui avait eu l'heureuse pensée de réunir, en
un même recueil, les récits des principaux voyageurs, et de les illustrer
avec tout le luxe typographique qu'il savait donner à ses livres. Théodore de
Bry fut l'introducteur de l'histoire naturelle dans le beau monde ; ses
gravures charmantes la firent aimer, et, par l'activité prodigieuse de ses
presses, par le choix éclairé de ses éditions, il servit la science plus que
ne l'a fait Aldrovandi par son imposante mais indigeste compilation. A la
vérité, en fermant le siècle, en oubliant le Moyen Age pour ne constater que
les efforts de la Renaissance, Aldrovandi, mourant, se survivait ; car il
laissait derrière lui des élèves, des Mécènes, un public, et la plus
importante collection d'histoire naturelle qui, depuis Aristote, ait été
peut-être jamais rassemblée. ÉMILE BÉGIN. |