TROISIÈME PARTIE. — BEAUX-ARTS
L'ORFÈVRERIE est, de tous les arts industriels, celui qui à toutes les époques et chez tous les peuples, a joui de la plus grande faveur. Les écrits des auteurs anciens nous ont appris qu'elle était parvenue à un haut degré de perfection dans l'antiquité ; les ruines et les tombeaux, qui ont conservé en grand nombre de magnifiques productions de ce bel art, nous en fournissent chaque jour de nouvelles preuves. Sous la domination romaine, les Gaulois se livraient avec succès à la pratique de l'Orfèvrerie. Le triomphe de la religion chrétienne, sous Constantin, lui imprima un nouvel essor. On sait, en effet, par le Liber pontificalis d'Anastase le Bibliothécaire, qu'avant de transporter en Orient le siège de l'empire, Constantin, sous les inspirations de saint Sylvestre, dota les églises de Rome de présents magnifiques. Ce furent des croix d'or du poids de trois cents livres, des patènes d'or d'une dimension considérable, des calices d'or et d'argent, des burettes pour le vin de l'offertoire, des lampes et des lustres de différentes formes enrichis de figures d'animaux, des fonts baptismaux, des devants d'autel, des encensoirs et jusqu'à des statues d'or et d'argent. Les papes, successeurs de saint Sylvestre, continuèrent à enrichir les églises de Rome de dons précieux en orfèvrerie, à toutes les époques où les troubles et les guerres qui agitèrent l'Italie ne leur interdirent pas de le faire. — Le pape Symmaque (498-514) fut celui de tous, depuis saint Sylvestre, qui fit fabriquer les pièces d'orfèvrerie les plus précieuses. Suivant le relevé que d'Agincourt a eu la patience d'en faire (Hist. de l'Art, t. I, p. 99) sur le Liber pontificalis d'Anastase, elles se seraient élevées au poids de cent trente livres d'or et de mille sept cents livres d'argent. Cependant Constantin avait appelé à Constantinople les artistes les plus habiles : ils s'y succédèrent, et ce fut dans cette ville que les arts de luxe prirent le plus grand développement. Le goût pour l'Orfèvrerie y devint une passion générale, et la décoration des temples cessa d'être le but exclusif des productions de cet art. Les palais des grands rivalisèrent de magnificence avec les églises, une prodigieuse quantité de vases d'or et d'argent vinrent décorer leurs fastueuses demeures (PRUDENTIUS, Πέρι Στερένων, Prœf. 13), et les femmes étalèrent dans leurs bijoux un luxe inouï. Toute notre admiration est aujourd'hui réservée pour les orfèvres et pour les tisserands ! s'écriait saint Jean Chrysostome, dans sa chaire de Constantinople, en tonnant contre l'orgueil et le luxe des grands, et, peu après, le saint patriarche, ayant osé élever ses censures jusqu'à l'impératrice Eudoxie, payait de sa vie la liberté de ses paroles.
Ce n'était pas seulement à
Constantinople et à Rome que l'Orfèvrerie était alors florissante. La Gaule,
malgré l'invasion des Francs, avait conservé les habitudes de luxe de la
civilisation gallo-romaine, et les premières églises, édifiées dans notre
pays par les apôtres qui y avaient prêché la doctrine du Christ,
s'enrichirent bientôt de vases d'or et d'argent. Un document fort curieux, le
testament de Perpetuus, évêque de Tours (†
vers 474), nous en
fournit la preuve : A toi, frère et évêque,
très-cher Eufronius, dit le saint prélat, je donne et lègue mon reliquaire
d'argent. J'entends celui que j'avais coutume de porter sur moi ; car le
reliquaire d'or, qui est dans mon trésor, les deux calices d'or et la croix
d'or fabriqués par Mabuinus, je les donne et lègue à mon église
(D'ACHERY, Spicil.
V, p. 106, édit. in-4°).
Inscrivons donc Mabuinus en tête de la liste des orfèvres français. La richesse de l'Orfèvrerie de l'époque mérovingienne est encore confirmée par une foule de récits des auteurs anciens qui nous ont fait connaître l'histoire des Franks ; nous n'en voulons citer qu'un seul. L'empereur Tibère, successeur de Justin-le-Jeune, avait envoyé à Chilpéric (581) des présents magnifiques, en étoffes précieuses, en vaisselle d'or et en ornements de toute espèce. Comme, à la vue de ces splendides produits des arts de l'empire d'Orient, les officiers du roi de Neustrie, et Grégoire, évêque de Tours, son hôte, étaient saisis d'admiration, Chilpéric fil apporter et placer à côté des présents de l'empereur un énorme bassin d'or décoré de pierreries qui venait d'être fabriqué par son ordre : J'ai fait cela, dit-il, pour donner de l'éclat et du renom à la nation des Franks, et si Dieu me prête vie, je ferai encore beaucoup de choses. (GREG. TURON., Hist. Franc., l. V.) Il ne reste, au surplus, que bien peu de chose de l'Orfèvrerie des premiers siècles du Moyen Age. Les seules pièces qui aient survécu sont trois ou quatre vases en argent, conservés dans le Museum christianum de la bibliothèque Vaticane, qui ont dû servir de burettes (D'AGINCOURT, Hist. de l’Art, t. I, p. 106) ; un coffre de toilette en argent ciselé, découvert, en 1793, à Rome, sur le mont Esquilin, dont d'Agincourt a donné la gravure (Hist. de l'Art., Sculpt., pl. 9) et que Visconti a décrit (Lettera su di una antica argenteria, Roma, 1793) ; l'épée avec quelques ornements de manteau, que recélait le tombeau de Childéric ; le vase d'or à anses et le plateau d'or, trouvés, il y a peu de temps, près de Gourdon, dans la Haute-Saône, avec des médailles des empereurs grecs Anastase Ier († 518) et Justin († 527), et qui figurent aujourd'hui dans la collection du Cabinet des médailles de la Bibliothèque Nationale de Paris. Les vases d'argent du Vatican ont beaucoup d'analogie avec ceux que les païens employaient à leurs libations, et le coffret de toilette est empreint des inspirations de l'antiquité. S'il était permis de juger l'Orfèvrerie de ces premières époques, d'après ce petit nombre d'objets, on devrait en conclure que les orfèvres chrétiens n'avaient point encore de style qui leur fût propre, et qu'ils suivaient, ainsi que les sculpteurs, les errements de l'art antique. Quant à l'épée de Childéric et au vase trouvé à Gourdon, ils sont évidemment d'une époque postérieure ; le vase a conservé cependant une forme antique. La destruction de l'empire romain sous les coups d'Odoacre en 476, l'invasion des Goths, les guerres de Bélisaire et de Narsès, l'établissement des Lombards et les agitations qui se manifestèrent sans cesse pendant qu'ils tenaient l'Italie en leur puissance, ne laissèrent que peu d'instants de repos à ce pays, durant les cinquième, sixième, septième et huitième siècles. Cependant, bien que l'Orfèvrerie, plus qu'aucun autre des arts industriels, paraisse ne pouvoir se développer que dans des temps de tranquillité, elle ne cessa pas d'être cultivée même sous la domination des barbares. Les seuls monuments de l'Orfèvrerie de cette époque qui soient parvenus jusqu'à nous, proviennent, en effet, des dons faits par Théodelinde († 616), reine des Lombards, à la basilique de Monza, où ils sont encore conservés. Ils consistent en une riche boîte, renfermant un choix d'évangiles, une couverture d'évangéliaire ornée de pierres de couleur et la célèbre couronne de fer qui servait au sacre des rois d'Italie. Cette couronne tire son nom d'un cercle en fer qui est incrusté dans la partie interne, et qu'on suppose avoir été forgé avec un des clous qui attachèrent le Christ à la croix ; elle se compose d'une sorte de carcan à articulation en or, de sept à huit centimètres environ de largeur, chargé de saphirs, d'émeraudes, de rubis et d'autres pierres fines cabochons. Les pierres fines sont rapportées sur un fond d'émail semi-translucide vert-émeraude, enrichi de fleurs de diverses couleurs, dont les tiges et les détails sont rendus par de minces filets d'or disposés d'après le procédé du cloisonnage mobile. Cet admirable bijou peut-il être attribué à un artiste lombard ? Nous ne le pensons pas : les fleurs d'émail du fond sont empreintes de toute la délicatesse du style oriental, et il est à croire qu'il a été fabriqué par un des plus habiles orfèvres de l'empire d'Orient. La réputation des orfèvres lombards et italiens de la fin du sixième siècle s'appuyait principalement sur la couronne d'Agilulphe, qui était enrichie de quinze figures d'or : le Christ entre deux anges et les douze apôtres. Malheureusement, ce magnifique bijou, qui avait paru digne d'être apporté à Paris en 1799, après la conquête de l'Italie, fut volé, en 1804, dans le cabinet des médailles de la Bibliothèque Nationale, et fondu par le recéleur du vol. Il faut dire cependant que les bijoux de Monza ont été restaurés et même refaits en partie au quatorzième siècle, par Antellotto Braccioforte, célèbre orfèvre de ce temps (MURATORI, Rer. ital. scrip., t. XII. Cron. di Monza), en sorte qu'il est à croire que les figurines d'or de la couronne d'Agilulphe provenaient plutôt de la main d'Antellotto que de celle des orfèvres lombards. A la fin du sixième siècle, la France, de son côté, continuait à pratiquer avec succès l'art de l'Orfèvrerie, et Limoges paraît avoir été le centre principal de cette industrie. C'est dans cette ville que florissait Abbon, orfèvre et monétaire, chez lequel fut placé le jeune Éloy (588-659), qui, de simple artisan, devint l'homme le plus marquant de son siècle, et mérita, par ses vertus, d'être placé au rang des saints. L'apprenti eut bientôt surpassé son maître. Sur sa réputation, il fut appelé à la cour de Clotaire II, pour lequel il fit deux trônes, dont l'un était d'or et enrichi de pierreries, d'après un modèle conçu par le roi lui-même, qui n'avait pu trouver encore un ouvrier assez habile pour le mettre à exécution. Les talents et la probité de saint Éloy lui concilièrent l'affection de Dagobert 1er, qui le chargea de travaux d'Orfèvrerie considérables. Saint Ouen, qui a écrit la Vie de saint Éloy, et le moine historien anonyme de Saint-Denis (Gesta Dagoberti, ap. DU CHESNE, t. I, p. 578) nous ont laissé l'énumération de ses ouvrages d'art. Les principaux sont une grande croix d'or, rehaussée de pierres fines, pour la basilique de Saint-Denis ; le mausolée de ce saint apôtre, dont le toit de marbre était couvert d'or et de pierreries ; la châsse de sainte Geneviève, celle de saint Germain, et surtout la châsse en or, d'un travail merveilleux, qu'il fit pour renfermer la dépouille de saint Martin, évêque de Tours (AUDOENUS, Vita B. Eligii). Avant 1790, un grand nombre d'églises et de monastères, notamment Saint-Denis et l'abbaye de Chelles, possédaient encore des pièces d'Orfèvrerie attribuées à saint Éloy ; comme elles ont toutes disparu, il n'y a aucun intérêt à rechercher le plus ou moins d'authenticité de ces monuments. Il existe encore cependant, dans le cabinet des médailles de la Bibliothèque Nationale de Paris, un siège en bronze gravé et doré, qu'on regardait, dès le douzième siècle, comme ayant été fabriqué pour Dagobert, et que la tradition attribuait à saint Eloy. On croyait assez généralement, dans ces derniers temps, que la partie inférieure du monument était une chaise curule antique ; mais le savant antiquaire, M. Lenormand, croit pouvoir établir (Mélanges archéologiques, t. I, p. 157), en s'appuyant sur des documents précieux, que ce siège est la copie en bronze doré, faite par saint Éloy lui-même, du trône d'or qu'il avait fabriqué pour Dagobert, et que la haute galerie supérieure du dossier doit seule avoir été ajoutée au douzième siècle, par l'ordre de Suger. Devenu monétaire et trésorier de Dagobert, saint Éloy fut placé, en 640, sur le siège épiscopal de Noyon. On conçoit que, ministre et haut dignitaire ecclésiastique, le saint prélat dut renoncer à se livrer par lui-même à l'exercice de l'art qui avait été la cause première de son élévation. Ce fut sans doute ce motif qui le conduisit à fonder le monastère de Solignac, près de Limoges, pour y réunir des moines habiles dans tous les arts (Habentur ibi et artifices plurimi diversarum artium periti. AUDOENUS, Vita B. Eligii), qui se chargèrent de perpétuer ses enseignements et de pratiquer les diverses industries artistiques, appliquées principalement alors à la production des instruments du culte et de la liturgie. Thillo, connu sous le nom de saint Théau, élève de saint Éloy, habita pendant quelque temps le monastère de Solignac, pour y diriger sans doute les jeunes moines destinés à l'Orfèvrerie. Cet exemple, donné par saint Éloy, fut suivi, au surplus, dans les siècles postérieurs, par des princes et des évêques : un grand nombre de monastères furent fondés avec cette auguste mission de cultiver les sciences, les lettres et les arts, mission noblement remplie, car les monastères en furent les uniques gardiens durant ces temps de souffrance et d'obscurcissement, au milieu des guerres et des invasions qui semblaient devoir les anéantir. Aussi, lorsque Charlemagne voulut relever le culte des arts dans le vaste empire qu'il avait soumis à ses lois, trouva-t-il, pour l'Orfèvrerie, des artistes tout prêts à seconder ses vues. Les églises furent abondamment pourvues de vases d'or et d'argent ; les princes et les évêques rivalisèrent de magnificence dans les présents dont ils dotèrent les basiliques restaurées et embellies par les ordres du puissant empereur. Son testament, que nous a fait connaître Éginhard, est un curieux témoignage des immenses richesses en Orfèvrerie que possédait ce prince. Entre autres objets, il faut remarquer trois tables d'argent et une table d'or, d'une grandeur et d'un poids considérables. Sur la première était tracé le plan de la ville de Constantinople, sur la seconde une vue de Rome ; la troisième, très-supérieure aux autres par la beauté du travail, était convexe et composée de trois zones qui renfermaient la description de l'univers entier, figuré avec art et finesse. Ainsi, la science et l'art avaient réuni leurs efforts dans l'exécution de ces monuments. Un assez grand nombre des plus belles pièces d'Orfèvrerie que possédait Charlemagne le suivirent dans son tombeau. Son corps embaumé fut, dit-on, renfermé dans une chambre sépulcrale, sous le dôme de l'église d'Aix-la-Chapelle. Il était assis sur un siège d'or et revêtu des habits impériaux, ayant au côté une épée dont le pommeau était d'or, ainsi que la garniture du fourreau ; sa tête était ornée d'une chaîne d'or dans laquelle était enchâssé un morceau du bois de la vraie Croix. Son sceptre et son bouclier, tout d'or, étaient suspendus devant lui (MABILLON, Discours sur les anciennes sépultures des rois). Ces richesses tentèrent la cupidité des empereurs d'Allemagne, ses successeurs, qui s'en emparèrent : ce fut probablement lorsque, en 1166, Frederich Barberousse, qui avait obtenu de l'antipape Pascal la canonisation de Charlemagne, retira son corps du tombeau et partagea ses ossements pour les renfermer dans des châsses, comme ceux d'un saint. Les seuls monuments d'Orfèvrerie qui nous restent, de ceux qui ont appartenu à ce grand homme, sont sa couronne et son épée, que conserve le Trésor impérial de Vienne. La couronne se compose de huit plaques d'or, quatre grandes et quatre petites, qui sont réunies par des charnières. Les grandes, semées de pierres fines cabochons, occupent le devant, le derrière et les deux points intermédiaires de la couronne ; les petites, alternant avec les grandes, renferment des figures en émail : Salomon ; David ; le roi Ézéchias assis sur son trône, ayant devant lui le prophète Isaïe ; et le Christ assis entre deux séraphins ardents. La plaque de devant est surmontée d'une croix. Cette couronne a été remaniée à différentes époques, mais rien ne vient contredire la tradition qui fait remonter à Charlemagne ses parties les plus anciennes. Le fourreau de l'épée, entièrement revêtu d'or, est enrichi, dans toute sa longueur, d'une suite de losanges ; celui du haut encadre une aigle éployée ; les autres, des ornements variés, exécutés, comme l'aigle, en émail. Les malheurs de l'Italie, durant les septième et huitième siècles, n'avaient pas permis sans doute aux papes de doter les églises de Rome, à l'exemple de Symmaque et de ses prédécesseurs, de dons précieux en pièces d'Orfèvrerie, et les dernières munificences signalées par Anastase étaient dues à Honoré Ier († 638) ; mais une fois que Charlemagne eut vaincu Didier, détruit l'empire des Lombards et consolidé la fortune temporelle des pontifes romains, on vit Adrien Ier (772-795) accorder aux arts de nobles encouragements, et faire exécuter, pour différentes églises de Rome, un grand nombre de ciboria, de candélabres, de lampes, d'instruments de toute espèce et des statuettes en or et en argent. Léon III, son successeur (795-816), le surpassa beaucoup dans ses largesses, et le relevé, fait d'après le livre d'Anastase, de la valeur pondérable des dons en Orfèvrerie dont il enrichit les églises, ne s'élève pas à moins de 1.075 livres d'or et de 24.744 livres d'argent (D'AGINCOURT, Hist. de l'Art, t. I, p. 101). Les grands dignitaires de l'Église suivirent, en Italie, l'exemple qui leur était donné par les souverains pontifes, et le magnifique autel d'or, ou Paliotto, de la basilique de Saint-Ambroise de Milan, qui a pu traverser dix siècles, malgré son immense valeur, donne une grande idée de l'importance de l'art de l'Orfèvrerie au commencement du neuvième siècle. Ce monument a été exécuté, en 835, sur les ordres de l'archevêque Angilbert II, par V. Volvinius. Ses quatre côtés sont d'une grande richesse. La face de devant, toute en or, est divisée en trois panneaux par une bordure en émail. Le panneau central présente une croix à quatre branches égales, qui est rendue par des filets d'ornements en émail alternant avec des pierres fines cabochons ; le Christ est assis au centre de la croix ; les symboles des évangélistes en occupent les branches ; les douze apôtres sont placés trois par trois dans les angles. Toutes ces figures sont en relief. Les panneaux de droite et de gauche renferment chacun six bas-reliefs, dont les sujets sont tirés de la vie du Christ ; ils sont encadrés par des bordures, formées d'émaux et de pierres fines alternativement disposés. Les deux faces latérales, en argent rehaussé d'or, offrent des croix très-riches, traitées dans le style de ces bordures. La face postérieure, aussi en argent rehaussé d'or, est divisée, comme la face principale, en trois grands panneaux ; celui du centre contient quatre médaillons à sujets, et chacun des deux autres, six bas-reliefs, dont la vie de saint Ambroise a fourni les motifs. Deux des médaillons du panneau central renferment des scènes d'un grand intérêt : dans l'un, saint Ambroise est représenté recevant l'autel d'or des mains de l'évêque Angilbert ; dans l'autre, saint Ambroise donne sa bénédiction à Volvinius. Cette inscription : V. VOLVINIUS MAGISTER PHABER, qu'on lit sur le fond, nous a transmis le nom de l'artiste éminent qui a exécuté ce magnifique morceau d'Orfèvrerie, dont aucune description ne peut donner une idée exacte. Il est aisé de reconnaître, soit dans l'ensemble, soit dans les détails de ce monument, qu'il a été exécuté sous les inspirations de l'art latin. Lanzi le compare, quant au style, aux plus beaux des anciens diptyques d'ivoire. Ce n'était pas seulement en Italie que l'Orfèvrerie se signalait, au neuvième siècle, par de magnifiques productions : la France avait conservé les traditions de saint Éloy, Les évêques d'Auxerre, notamment, se firent remarquer par leur amour pour les arts et par leur goût pour les riches monuments de l'Orfèvrerie sacrée. L'évêque Angelelme (813-828) dota son église de Saint-Étienne de tables d'autel en argent, de trois couronnes, de dix chandeliers du même métal et d'une très-grande croix avec le visage du Sauveur en or. Héribalde, son successeur († 857), suivit son exemple. Abbon, n'ayant pu réaliser, de son vivant, le projet qu'il avait de couvrir le grand autel d'or et de pierres précieuses, assura à l'église, par son testament, les moyens d'exécuter cette œuvre ; enfin, Vala († 879) fit présent à sa cathédrale de plusieurs vases d'or et d'argent, et d'ornements précieux. En 852, Hincmar, évêque de Reims, fit exécuter une châsse splendide pour renfermer le corps de saint Remi : elle était revêtue de lames d'argent ; les statues des douze évêques, ses prédécesseurs, en ornaient le contour. Ce prélat, à l'occasion de la translation des reliques du saint dans la crypte de la nouvelle basilique, ajouta encore à ses premières largesses un évangéliaire, remarquable par sa couverture enrichie de pierres précieuses, une croix d'or et de riches ornements. Les pièces d'Orfèvrerie du neuvième siècle sont extrêmement rares. Après l'autel d'or de Saint-Ambroise, la couronne de Charlemagne et son épée, nous ne voyons à citer que la croix d'or, dite de Lothaire 1er, l'un des précieux bijoux du trésor d'Aix-la-Chapelle, et la couverture des Heures écrites pour Charles-le Chauve, entre 842 et 869, et que conserve la Bibliothèque Nationale (Ms. lat., n° 1152) : cette couverture, qui paraît remonter à l'époque de la confection du manuscrit, est décorée de deux belles plaques d'ivoire finement sculptées en haut relief. L'une est entourée d'une large bordure de pierres fines cabochons, enchâssées dans de petites plaques d'argent de forme ovale ; l'autre, d'un réseau de filigrane disposé avec art, espèce de treillis à circonvolutions, rehaussé de pierres fines. A en juger par la couronne de Charlemagne et par cette couverture, on serait porté à croire que l'amoncellement des pierres précieuses était le cachet particulier de cette ancienne bijouterie, et que la pureté des formes y était sacrifiée à la magnificence. Suger, au douzième siècle, exprimait déjà cette opinion. (SUGERII Lib. de rebus inadministr. sua gestis.) Les travaux de l'Orfèvrerie occidentale ne pouvaient, au surplus, entrer en comparaison avec ceux qui s'exécutaient dans l'empire d'Orient. Basile le Macédonien (867-886) ne se contenta pas de restaurer le culte des images, il décora les églises avec un luxe incroyable : l'or, l'argent, les pierres précieuses, les perles, les émaux y furent répandus, si l'on en croit le récit de l'empereur Constantin Porphyrogénète, avec une profusion qui surpasse l'imagination. Léon le Philosophe († 911) et son fils Constantin († 959), que nous venons de nommer, continuèrent de donner aux arts de nobles encouragements, et il ne peut être douteux que l'Orfèvrerie, qui avait jeté tant d'éclat sous le règne de Basile, ne se soit maintenue à Constantinople dans un état très-florissant durant tout le dixième siècle. A l'appui de cette opinion, nous citerons ce fait, que ce fut à des artistes de cette ville que le doge Orseolo commanda, en 976, la célèbre Pala d'Oro de Saint-Marc de Venise, le plus beau morceau de l'Orfèvrerie émaillée qui soit parvenu jusqu'à nous. Le musée du Louvre possède un excellent spécimen de l'Orfèvrerie byzantine : c'est le dessus d'une boîte qui servait à renfermer un livre saint, ou peut-être même l'un des ais de la couverture d'un livre. Un bas-relief exécuté au repoussé, sur une feuille d'or, en occupe toute la surface. Il représente les saintes femmes venant visiter le tombeau du Christ, où elles trouvent l'ange qui leur annonce la résurrection. Des inscriptions en relief, relatives au sujet, forment une bordure autour du tableau ; il en existe aussi sur le fond, qui sont tirées des Évangiles de saint Marc et de saint Matthieu. Le beau caractère des figures, le goût qui règne dans l'agencement des draperies et le fini de l'exécution, témoignent en faveur de l'art byzantin, et fournissent la preuve que, dans les arts industriels, les Grecs ont conservé jusqu'au douzième siècle la prééminence sur tous les peuples de l'Europe. Le dixième siècle fut pour l'Occident un âge de fer ; des malheurs de toute sorte accablèrent surtout l'Italie, et il n'est pas étonnant que, au milieu de troubles incessants et de guerres cruelles, Volvinius, qui avait illustré l'Orfèvrerie au commence- ment du neuvième siècle, n'ait pas trouvé de successeurs au dixième. Cependant, s'il faut s'en rapporter aux recherches de l'abbé Lebœuf, les orfèvres français poursuivaient leurs travaux durant cette fatale époque, tandis que tous les autres arts étaient à peu près abandonnés. Les évêques d'Auxerre, Gaudry († 933) et Guy († 961), marchant sur les traces de leurs prédécesseurs, avaient enrichi la cathédrale de Saint-Etienne, de nouveaux dons d'Orfèvrerie ; l'archevêque de Sens, Sévin ou Seguin († 999), avait donné à son église un superbe autel d'or de plus de neuf pieds de long, décoré de bas-reliefs. Ce magnifique morceau d'Orfèvrerie, dont on attribuait la confection à deux chanoines de Sens, Bernelin et Bernuin, habiles orfèvres, n'a été détruit qu'en 1760, par ordre de Louis XV, pour subvenir aux besoins de la guerre. Parmi les orfèvres français du dixième siècle dont les noms sont parvenus jusqu'à nous, il faut encore citer Thendon, tout à la fois architecte et orfèvre, qui bâtit en 991 la façade de l'église de Saint-Père de Chartres, et fabriqua la châsse d'or, enrichie de pierres fines, de perles et d'émaux, renfermant la ceinture de la Vierge, que conservait la cathédrale de cette ville. Le onzième siècle fut une époque de renouvellement ; les principes de l'art antique tombèrent complètement en oubli, et l'Orfèvrerie, qui s'en était déjà écartée dans quelques-unes de ses productions, suivit la trace des autres arts. A ces temples qui s'élevaient de toutes parts dans un style nouveau, il fallait nécessairement une argenterie qui leur fût appropriée, et les orfèvres durent inventer d'autres formes pour les instruments du culte et pour les châsses destinées à renfermer les ossements des saints ; car la même ardeur qui portait les princes, les communautés et le peuple à démolir les anciennes églises pour en édifier de nouvelles, les engagea à changer le mobilier de ces églises, et à fondre, par conséquent, presque toutes les pièces d'ancienne Orfèvrerie. La disette presque absolue de monuments d'Orfèvrerie religieuse antérieurs au onzième siècle, est un indice certain de ce fait. Les formes qui furent alors adoptées pour les divers instruments du culte reçurent l'empreinte d'un style sévère, éminemment religieux. Durant tout le Moyen Age, ils ont conservé ce caractère, que le retour aux formes gréco-romaines est venu altérer à leur grand détriment. On trouve dans l'Orfèvrerie du onzième siècle, comme dans les monuments des autres arts, une certaine influence byzantine qui ne doit pas étonner. Constantinople, en effet, était la ville par excellence pour tout ce qui se rattachait au luxe : c'est à Constantinople que l'Italie demandait des orfèvres, des fondeurs et des ciseleurs toutes les fois qu'il s'agissait, à la fin du dixième siècle et au commencement du onzième, d'exécuter une œuvre importante de métal. Les relations politiques et commerciales étaient d'ailleurs fréquentes entre l'empire d'Orient et l'Italie. Cicognara remarque que les dons de pièces d'Orfèvrerie sacrée que firent les empereurs et les patriarches grecs en Italie y réveillèrent le goût pour les matières d'or et d'argent travaillées. (Stor. della Scult., t. 1, p. 399.) Quant à l'Allemagne, une autre cause y amena les mêmes conséquences. Le mariage d'Othon Il avec la princesse grecque Théophanie (972) attira naturellement des artistes byzantins à la cour de cet empereur. Ils introduisirent en Allemagne le style de leur école, que s'approprièrent les divers arts qui cherchaient alors à s'ouvrir des voies nouvelles. On en trouve la preuve dans quelques monuments de cette époque qui subsistent encore en Allemagne. Ainsi, l'on conserve à la bibliothèque royale de Munich un évangéliaire provenant de l'abbaye de Saint-Éméran à Ratisbonne ; il fut écrit en 870 par les frères Beringarius et Luithardus, sur l'ordre de Charles-le Chauve, dont la figure est reproduite dans l'une des miniatures qui ornent ce livre. Ce précieux volume a été revêtu, sous le règne d'Othon II, d'une riche couverture en or avec des figures exécutées au repoussé : au centre, dans un encadrement oblong, enrichi de pierres cabochons et de perles fines, le Christ est représenté dans une auréole ; le reste du champ est couvert de bas-reliefs d'un bon dessin, remarquables par la finesse de l'exécution. Malgré les inscriptions en capitales romaines qui se trouvent sur cette belle pièce d'Orfèvrerie, il est impossible de ne pas reconnaître la main d'un Byzantin dans cette correction, qui n'appartenait alors qu'aux meilleurs artistes de l'école grecque. Henri II (1003-1024) trouva donc plusieurs artistes grecs établis à la cour d'Allemagne, lorsqu'il fut élevé à la dignité impériale. On sait que la grande piété de ce prince le porta à faire aux églises des dons en Orfèvrerie, d'une haute importance ; quelques-uns subsistent encore. Le plus beau de tous est le parement d'autel en or, donné par lui à la cathédrale de Baie, et qui a été vendu à l'encan il y a quelques années. Ce devant d'autel, d'un mètre de haut environ sur un mètre soixante-dix-huit centimètres de large, présente une arcature romane, dont les cinq arcades, supportées par de légères colonnettes annelées à chapiteaux scaphoïdes, forment chacune une niche qui contient un personnage : le Christ dans celle du centre ; les archanges Michel, Gabriel et Raphaël, et saint Benoît, dans les autres ; Jésus bénit de la main droite, et tient de la gauche le globe sur lequel est gravé son monogramme grec entre l'alpha et l'oméga. L'empereur Henri et sa femme Cunégonde sont prosternés aux pieds du Sauveur. Le tout est exécuté au repoussé en fort relief. Le style de ce monument diffère essentiellement du style du Paliotto de Saint-Ambroise de Milan. Les traces de l'art antique ont ici complètement disparu : les longues figures du Christ, des anges et du saint, roides, graves et isolées sous les arcades qui les renferment, sont empreintes d'un caractère byzantin très-prononcé. Parmi les autres monuments d'Orfèvrerie qui viennent de Henri II, nous signalons la couverture d'un évangéliaire de la bibliothèque royale de Munich (Ms. n° 37), qui fut écrit pour le saint empereur ; sa couronne d'or et celle de l'impératrice sa femme, que l'on conserve dans le trésor du roi de Bavière. L'ais supérieur de la couverture de l'évangéliaire est décoré d'une plaque d'ivoire sculptée en relief, qui est encadrée dans une large bordure d'or rehaussée de cabochons, de perles et d'émaux. Aux angles, des médaillons renferment les symboles des évangélistes ; douze autres médaillons, distribués dans les intervalles, reproduisent à mi-corps Jésus et onze apôtres. Tous ces médaillons sont finement exécutés en émaux cloisonnés ; les minces filets d'or du cloisonnement tracent en caractères grecs, au niveau de l'émail, le monogramme du Christ et les noms des apôtres. La couronne de l'empereur est caractérisée par un style sévère. Cette couronne, à articulations, est composée de six pièces semblables, dont l'ensemble présente un cercle d'or, de huit centimètres environ de haut, surmonté de six têtes de fleurs de lis archaïques ; six figures d'anges ailés, posées sur des globes, s'élèvent au-dessus des articulations ; des pierres cabochons disposées avec symétrie enrichissent le fond, sur lequel court un feuillage artistement ciselé. La couronne de l'impératrice est également composée de six pièces articulées, du centre desquelles s'élève une espèce de tige à quatre feuilles. Ces belles pièces donnent une grande idée de l'Orfèvrerie au commencement du onzième siècle. Le goût de l'Orfèvrerie, au surplus, était répandu dans toute l'Allemagne à cette époque, et un grand nombre de prélats suivirent l'exemple de l'empereur Henri. Parmi ceux qui firent exécuter les plus magnifiques monuments, il faut citer Willigis, archevêque de Mayence († 1011), qui dota son église d'un crucifix en or du poids de six cents livres : la figure du Christ était ajustée avec une telle perfection, que tous les membres pouvaient se détacher dans les articulations ; les yeux du Rédempteur étaient formés par des pierres fines. (VGL. WETER, Gesch. u. Beschr. des domes zu Mainz, S. 155.) Il faut nommer encore Bernward, évêque de Hildesheim († 1022), qui était lui-même un artiste distingué dans l'art de l'Orfèvrerie. (Dr KUGLER, IJandbiich der Kunstgeschichle, S. 487.) Un crucifix en or enrichi de pierres fines et de filigranes, et deux candélabres, qui subsistent encore dans le trésor du dôme de Hildesheim, lui sont attribués. Lorsqu'on voit l'Allemagne produire de si magnifiques travaux, il n'y a plus lieu de s'étonner des éloges que lui décerne Théophile pour ses ouvrages d'or et d'argent. (Diversarum artium Schedula, praefat.) Vers le même temps, le roi de France Robert encourageait également l'art de l'Orfévrerie, en faisant exécuter des pièces magnifiques, dont il dotait un grand nombre d'églises et de monastères qu'il avait fondés. (HELGADI, Epitoma vitæ Rob.) Un moine, nommé Odoram, de la ville de Dreux, fut un des orfèvres français les plus célèbres de cette époque. Robert lui fit faire, pour le monastère de Saint-Pierre-le-Vif, à Sens, deux châsses en or et en argent rehaussées de pierreries. Ce moine artiste avait encore exécuté pour différentes églises de Normandie plusieurs châsses d'Orfèvrerie et un grand crucifix d'or. Moins conservateurs que les Allemands, les Français n'ont gardé que bien peu de choses de cette ancienne Orfèvrerie nationale. Nous croyons qu'on peut reporter à cette époque la belle boîte d'or que conserve le musée du Louvre, et la couverture d'un évangéliaire du onzième siècle appartenant à la Bibliothèque Nationale de Paris. (Ms n° 650, Suppl. latin.) Le dessus de la boîte, qui a dû servir à renfermer les saints Évangiles, est d'une grande richesse. La crucifixion, exécutée au repoussé sur une feuille d'or, en occupe le centre. Ce sujet, placé sous une arcade plein-cintre soutenue par des colonnes, est encadré dans une large bordure chargée de pierres fines cabochons et d'émaux qui se détachent sur un fond filigrané. Aux angles, des plaques carrées renferment les symboles des Évangélistes, figurés en émail cloisonné. Le plat supérieur de la couverture de l'évangéliaire de la Bibliothèque est enrichi d'une belle plaque d'ivoire sculptée en relief, qui est encadrée dans une riche bordure d'or composée de deux bandes chargées de pierres fines cabochons et de perles, entre lesquelles sont posées des plaques d'émail serties sur la couverture comme les pierres fines. L'impulsion donnée à l'Orfèvrerie au commencement du onzième siècle par l'empereur Henri et le roi Robert, fut loin de se ralentir après eux. Les vases sacrés d'or et d'argent, les châsses devenues de plus en plus nécessaires à cause de la grande quantité de reliques qu'apportaient les croisés, les devants d'autel, les magnifiques couvertures des livres saints, tous les instruments du culte, en un mot, se multiplièrent à l'infini, durant le cours du onzième et du douzième siècle. Il serait trop long de rapporter les noms de tous les princes et de tous les prélats qui enrichirent les églises de somptueuses pièces d'Orfèvrerie. Nous ne pouvons cependant nous dispenser de citer Suger († 1152), abbé de Saint-Denis, ministre de Louis-le-Gros et régent du royaume sous Louis VII. Les soins de l'administration de l'État ne l'empêchèrent pas de s'occuper des arts, dont il fut le plus ardent protecteur. Appliquant à lui seul l'austérité que prêchait saint Bernard, il ajouta au trésor de son église abbatiale des objets précieux qu'il nous a fait connaître dans son livre De rebus in adrninistratione sua gestis. Si, dans la position élevée où Suger se trouvait placé, il n'avait pas su résister aux censures exagérées de saint Bernard, c'en était fait assurément de tous les arts, dont les germes auraient été étouffés, puisqu'avec l'esprit et les mœurs du temps l'Église seule pouvait leur ouvrir la carrière. Un autre homme mérite une mention particulière, c'est Théophile, qui était sans doute contemporain du célèbre abbé de Saint-Denis. Simple moine, humilis presbyter, indignus nomine et professione monachi, comme il se qualifie lui-même, mais artiste éminent, Théophile nous a laissé dans sa Diversarum artium Schedula un traité qui renferme la technique de presque tous les arts industriels de son temps. Soixante-dix-neuf chapitres du livre III sont consacrés à l'Orfèvrerie. C'est en lisant ce traité qu'on peut apprécier toutes les connaissances que devait posséder un orfèvre du douzième siècle. A ne consulter que la liste des instruments dont Théophile prescrit à cet artisan de munir son laboratoire, on voit qu'il devait savoir graver les métaux avec des burins et des échoppes (cap. XI, De ferris fossoris, et cap. XII, De ferris rasoriis), exécuter au repoussé des bas-reliefs et des figures, et les ciseler ensuite (cap. XIII, De ferris ad ductile, et cap. LXXIII, De opere ductili) ; il ne devait avoir recours qu'à lui-même pour composer le nigellum dont il remplissait les entailles de ses fines gravures (cap. XXVII et XXVIII), et pour fabriquer ces charmants émaux cloisonnés, à dessins d'or, qui devaient alterner avec les pierres fines et les perles dans la décoration des vases sacrés ; enfin, il fallait que, habile modeleur en cire, il sût jeter en fonte les figures de ronde bosse destinées à la décoration de ses pièces (cap. LX), ainsi que les anses sous forme de dragons, d'oiseaux ou de feuillages, qui devaient s'adapter à ses vases (cap. xxx). Après avoir décrit les ustensiles nécessaires à l'orfèvre, Théophile aborde la technique de l'art, et, prenant pour exemple les instruments les plus précieux de l'Orfèvrerie religieuse, il enseigne à fabriquer le calice, la burette et l'encensoir. Ces travaux de gravure, de ciselure et de sculpture, ces nielles, ces émaux, dont Théophile explique les procédés, ne convenaient qu'à des vases d'un prix considérable, auxquels les grands, les prélats et les riches communautés pouvaient seuls prétendre ; mais le maître n'oublie rien : son traité est complet. Pour les petites fortunes, il enseigne la manière d'estamper l'argent et le cuivre (cap. LXXIV, De opere quod sigillis imprimitur), et de faire des ouvrages de découpure (cap. LXXI, De opere interrasili) : il n'y a pas jusqu'aux livres des pauvres, à la décoration desquels il n'ait songé (ex his ornantur etiam libri pauperum, cap. LXXI). L'abbaye de Saint-Denis possédait plusieurs belles pièces d'Orfèvrerie de l'époque de Suger, notamment la riche monture d'une coupe en agate orientale qui portait son nom. Cette coupe, qu'on supposait avoir servi de calice au célèbre abbé, était accompagnée de sa patène en serpentine semée de petits dauphins d'or et enrichie d'une bordure chargée de pierres fines. La monture du beau vase antique de sardonyx, connu sous le nom de Coupe des Ptolémées, qui avait été donné à l'abbaye de Saint-Denis par Charles III, devait appartenir aussi au temps de Suger. Ces belles pièces avaient été apportées, en 1793, au Cabinet des médailles de la Bibliothèque Nationale. Mais le calice de Suger et la monture de la Coupe des Ptolémées ont été malheureusement volées en 1804 ; nous n'en possédons plus que la gravure. (FÉLIBIEN, Hist. de l'abbaye de Saint-Denis.) La révolution de 1793 a aussi détruit de très-beaux monuments de l'Orfèvrerie du douzième siècle que le temps avait respectés. Le tombeau de Henri-le-Large, comte de Champagne († 1180), tombeau en argent massif percé d'arcades romanes, au milieu desquelles se trouvait la statue du comte en argent, pouvait passer pour une de ses plus belles œuvres ; le dessin en existe. Parmi les pièces qui subsistent encore, on trouve en Allemagne le calice de l'abbaye de Weingarten, en Souabe, qui porte la signature de son auteur, maître Conrad de Huse ; une croix enrichie de pierres fines, dans le dôme de Ratisbonne ; un beau calice, dans le trésor de la cathédrale de Mayence ; un autel portatif en or rehaussé de pierres fines cabochons, dans la Riche-Chapelle du palais du roi, à Munich ; dans la cathédrale d'Aix-la-Chapelle, la grande couronne de lumières suspendue sous la coupole, et la magnifique châsse dans laquelle Frédéric Ier recueillit, en 1166, les ossements de Charlemagne. La France n'a conservé que peu de pièces de cette brillante Orfèvrerie. Voici celles que nous pouvons signaler : au musée du Louvre, un vase en cristal de roche monté en or et enrichi de pierreries, que la reine Éléonore avait donné au roi Louis VII, son époux, qui en fit présent à Suger, et la châsse qui renfermait un bras de Charlemagne ; à la Bibliothèque Nationale, la couverture du manuscrit latin portant le n° 662, une coupe en agate onyx bordée d'une ceinture de pierres fines se détachant sur un fond de filigranes, qui avait été donnée à Suger par Thibault, comte de Blois, et le beau calice d'or de l'église de Saint-Remi de Reims, enrichi de pierres fines et d'émaux cloisonnés ; au musée de Cluny, des chandeliers d'un bon style ; et, dans la collection de M. Beuvignat de Lille, un encensoir très-curieux (il a été gravé dans les Annales archéologiques, t. IV, p. 293). Les travaux de l'Orfèvrerie religieuse furent empreints, comme nous l'avons dit, durant les onzième et douzième siècles, d'un style noble et sévère. Les calices ont de larges coupes évasées, portées sur un pied circulaire dont le diamètre est quelquefois plus grand que celui de la coupe ; les crosses, en ivoire, en or, en vermeil, en bronze émaillé, sont enrichies d'ornements en haut relief et se terminent souvent par une large feuille ; les châsses, dans la forme d'un sarcophage à couvercle prismatique, revêtent une ornementation en ivoire, en émail, en métal gravé ou repoussé ; les couvertures des livres saints sont enrichies de pierreries et d'émaux ; très-souvent, un bas-relief d'ivoire provenant d'un ancien diptyque occupe le centre de la couverture des livres, les pierres fines et les émaux forment une bordure qui lui sert d'encadrement ; les encensoirs, de forme sphéroïdale, sont surmontés d'édifices et de figures de ronde bosse. Le mode de décoration des vases sacrés consistait principalement en pierres fines et en perles alternant avec des émaux cloisonnés et se détachant sur un fond de filigranes d'or. Ces émaux ont été d'un si grand usage dans l'Orfèvrerie depuis le commencement du Moyen Age jusque vers le milieu du treizième siècle, qu'il n'est pas hors de propos de faire connaître les procédés de leur fabrication. Le moine Théophile nous en a fourni les détails dans sa Diversarum artium Schedula. Une plaque d'or destinée à servir de fond était disposée dans la forme que l'orfèvre voulait donner à sa pièce, et garnie d'un rebord, de manière à former comme une petite caisse. L'artiste prenait ensuite des bandelettes d'or très-minces, de la hauteur du rebord, et les contournait par petits morceaux pour en former les traits de la figure qu'il voulait reproduire ; ces petits morceaux étaient fixés sur le fond de la plaque. La pièce étant ainsi disposée, les différents émaux, réduits en poudre très-fine, étaient introduits dans les interstices que laissait le dessin, jusqu'à ce que la petite caisse en fût entièrement remplie. La pièce était alors portée dans le fourneau, d'où on la retirait quand la fusion des émaux était complète. Après le refroidissement, l'émail était poli par différents moyens, de manière que les minces filets d'or qui traçaient le dessin parussent à la surface plane et unie de la matière vitreuse. Lorsque ces émaux devaient entrer dans l'ornementation d'une pièce d'Orfèvrerie et alterner avec les pierres fines et les perles, ils étaient préparés dans de petites proportions et fixés dans un chaton comme les pierres ; c'est ce qu'on peut voir sur le calice d'or de Saint-Remi de Reims que nous avons cité. Les émaux cloisonnés étaient aussi préparés dans de plus grandes dimensions, pour exprimer des figures entières et même des sujets ; ils rivalisaient alors avec là peinture et avec la mosaïque : souvent, dans ce cas, tout l'espace que la figure ou le sujet devait occuper était champlevé sur une plaque de métal assez épaisse, et les traits du dessin étaient ensuite rendus, par les procédés que nous venons d'indiquer, dans cette partie ainsi champlevée. La Pala d'Oro de l'église Saint-Marc de Venise offre le plus beau spécimen de ce genre de peinture en émail par incrustation. On rencontre aussi, mais en petit nombre, des émaux cloisonnés sur cuivre. L'antique simplicité qui reparut au treizième siècle aurait pu avoir une influence fâcheuse sur les travaux de l'Orfèvrerie ; mais le siècle de saint Louis était un siècle profondément religieux : les vases sacrés, les châsses, les retables, que les souverains, les évêques et les riches monastères, tant en France qu'en Allemagne, firent exécuter pour les églises surpassèrent en magnificence tout ce qu'on avait fait dans les siècles précédents. Le trésor d'Aix-la-Chapelle, où la plupart des siècles chrétiens sont venus déposer leur offrande, nous a conservé quelques pièces de cette brillante époque. La plus belle de toutes est la châsse de Notre-Dame ou des grandes reliques, à laquelle on travaillait, par les ordres de Frédérick II, dès avant 1220 et qui ne fut terminée que vers 1237. Bien que l'empereur eût contribué, sans aucun doute, pour de fortes sommes, à la confection de ce monument, les fidèles, qui de toutes parts venaient en foule en pèlerinage pour rendre hommage aux grandes reliques, furent appelés à y concourir. Un édit de Frédérick prescrivit que la totalité des offrandes que l'on déposerait dans le tronc placé devant le parvis serait appliquée à l'église tant que la châsse de Notre-Dame n'aurait pas été terminée. (Gesch. d. Sladt. Aachen, II, Cod. diplom., p. 95.) C'est à l'aide de ces immenses ressources que fut fabriquée la plus belle pièce d'Orfèvrerie religieuse qui ait survécu. La châsse offre l'aspect d'un édifice religieux en forme de croix, surmonté d'un toit à deux versants. Des façades à pignons décorent les extrémités et s'élèvent au milieu des flancs. La plinthe sur laquelle repose le corps du monument est décorée de plaques d'émail alternant avec des filigranes qui enchâssent des pierres précieuses. Les parois, de chaque côté des façades latérales, sont occupés par trois pignons reposant sur des groupes de trois colonnettes. Ces douze pignons, ainsi distribués sur les grandes faces du monument, abritent les statues des apôtres. Des statues plus hautes, représentant le Christ, la Vierge, le pape saint Léon et Charlemagne, garnissent les quatre grandes façades et sont surmontées d'un large trilobe terminé en ogive. Des bas-reliefs, placés sous des arcades trilobées, décorent les versants du toit, que surmonte un ornement de faîtage découpé à jour. Les filigranes aux gracieux rinceaux, les pierreries étincelantes et les émaux cloisonnés diaprés de brillantes couleurs enrichissent toutes les parties du monument. Parmi les autres œuvres de l'Orfèvrerie allemande qui subsistent encore, il faut citer : la belle châsse des rois mages de la cathédrale de Cologne, qui malheureusement a souffert dans ses parties les plus riches et a subi de maladroites restaurations ; un beau calice dans le dôme de Ratisbonne ; chez les religieuses de Notre-Dame de Namur, la monstrance de la tête de saint Pierre, fabriquée en 1228 par l'orfèvre Hugo, moine de l'abbaye d'Oignies ; un calice et une couverture d'évangéliaire du même artiste. La France ne resta pas en arrière de l'Allemagne ; le siècle de saint Louis nous a laissé le souvenir de quelques splendides ouvrages dont la valeur de la matière a amené la destruction. La châsse de sainte Geneviève, exécutée de 1240 à 1242 par Bonnard, orfèvre parisien, qui y employa cent quatre-vingt-treize marcs d'argent et sept marcs et demi d'or, peut passer pour le plus célèbre de tous. C'était une petite église d'or et d'argent, enrichie de statuettes et de bas-reliefs, et rehaussée de pierreries. Une vieille chronique (apud DUCHESNE, t. V, p. 525) nous révèle encore un monument bien précieux : c'est le tombeau que Philippe III avait élevé à saint Louis, son père, et dont le travail surpassait de beaucoup, par le fini de son exécution, la valeur des riches matières d'or et d'argent dont il était revêtu. La France a été assez heureuse pour conserver un magnifique spécimen de l'Orfèvrerie de la grande époque de saint Louis, la châsse de saint Taurin d'Évreux. C'est une petite église d'or et d'argent avec ses portes ogivales et ses clochetons, qu'on pourrait attribuer au célèbre Pierre de Montereau : tant elle se rapproche, par le style, de la Sainte-Chapelle de Paris. Ce beau morceau d'Orfèvrerie fut exécuté par les ordres de l'abbé Gilbert ; et l'année même de la mort de ce prélat, en 1255, les restes de saint Taurin y furent renfermés. La châsse de saint Romain, conservée à Rouen, peut encore être signalée comme une pièce remarquable de l'Orfèvrerie du treizième siècle. Il n'est pas possible de terminer l'histoire de l'Orfèvrerie aux douzième et treizième siècles sans parler de l'Orfèvrerie émaillée de Limoges, qui, à ces époques reculées, a joui d'une si grande renommée. Limoges était une colonie romaine, sa réputation dans les travaux d'Orfèvrerie remonte à une haute antiquité ; et l'on peut penser qu'elle était une de ces cités industrieuses de l'ouest des Gaules, qui, au dire de Philostrate, fabriquaient, dès avant le troisième siècle, des émaux incrustés sur cuivre, dont quelques spécimens existent dans le Cabinet des médailles de la Bibliothèque Nationale. La trace des émailleurs occidentaux sur excipient de cuivre disparaît ensuite complètement : il n'existe aucun texte, aucun monument, pour nous révéler la pratique de l'art de l'émaillerie par le procédé du champlevé, depuis l'époque gallo-romaine jusqu'au onzième siècle. Il est à croire que l'Orfèvrerie d'or et d'argent, qui s'accommodait mieux des émaux à cloisonnage mobile, d'un travail plus délicat, avait laissé tomber en oubli les procédés de l'émaillerie champlevée des artisans gallo-romains. Mais lorsque, au onzième siècle, les populations eurent secoué le découragement et l'apathie où l'appréhension de la fin du monde les avait plongées, et que les princes, les évêques et les communautés religieuses se furent mis comme à l'envi à relever les temples tombés en ruines, les arts d'ornementation furent appelés à les embellir et à en reconstituer le mobilier. Les matières d'or et d'argent étaient d'un prix trop élevé pour pouvoir suffire à cet empressement général, et les incrustations d'émail, qui donnaient à peu de frais au cuivre un éclat merveilleux, parurent très-propres à rehausser les instruments du culte, et principalement les châsses qui se multipliaient dans les églises pour renfermer les ossements révérés des saints. Les procédés de fabrication étaient fort simples. Après avoir dressé et poli une plaque de cuivre, l'artiste y indiquait toutes les parties qui devaient affleurer à la surface de l'émail pour rendre les traits du dessin de la figure ou du sujet qu'il voulait représenter ; puis, avec des burins et des échoppes, il fouillait profondément dans le métal tout l'espace que les divers émaux devaient recouvrir. Dans les fonds ainsi champlevés, il introduisait la matière vitrifiable, dont il opérait ensuite la fusion dans le fourneau. Lorsque la pièce émaillée était refroidie, il la polissait par divers moyens, de manière à faire paraître à la surface de l'émail tous les traits du dessin rendus par le cuivre. La dorure était ensuite appliquée sur les parties du métal ainsi réservées. Aux onzième et douzième siècles, les traits du dessin affleuraient seuls le plus ordinairement à la surface de l'émail ; et les carnations, comme les vêlements, étaient produites par des émaux colorés. Au treizième siècle, l'émail ne servait plus qu'à colorer les fonds ; les figures étaient réservées en entier sur la plaque de cuivre, et les traits du dessin exprimés par une fine gravure sur le métal. L'art d'émailler le cuivre par le procédé du champlevé prit, en peu d'années, un développement considérable : Limoges devint le centre de la fabrication de cette Orfèvrerie. Le document le plus ancien qui fasse mention de l'émaillerie sur cuivre est un texte publié par Labbe (Bibl. nova manuscr.), qui porte qu'en 1077 le moine Guinamundus, de l'abbaye de la Chaise-Dieu, sculpta le sépulcre de saint Front, qui se trouve décrit dans le Livre rouge de la commune de Périgueux, comme étant enrichi de lames de cuivre dorées et émaillées. A partir du douzième siècle, l'école des émailleurs de Limoges acquiert une grande réputation. Des monuments remarquables, dont la date est certaine, et des textes nombreux en établissent la preuve irrécusable. Ducange et la Gallia Christiana fournissent un grand nombre de citations, tirées de chartes des années 1197, 1218, 1231, 1240 et 1317, qui font mention de coffrets, de châsses, de crosses et d'autres objets émaillés de Limoges. Ce n'est pas seulement en France que cette Orfèvrerie jouissait d'une grande faveur ; elle était aussi fort recherchée dans les pays étrangers. Un acte de donation, fait en 1197 à l'église de Sainte-Marie-de-Veglia, en Apulie, mentionne deux pièces d'émaillerie de Limoges (Italia sacra, VII, 1274), Plusieurs chartes anglaises du treizième siècle en font également mention. Des émail leurs limousins furent même appelés hors de France pour exercer leur industrie : en 1267, maître Jean de Limoges fut chargé d'exécuter le tombeau de Walter Merton, évêque de Rochester, et il est à croire qu'une école d'émaillerie se sera établie, au treizième siècle, dans quelque ville des anciens évêchés de Cologne, de Trèves ou de Mayence. On trouve, en effet, dans les provinces avoisinant le Rhin qui dépendaient autrefois de ces évêchés souverains, un assez grand nombre de châsses et d'autres instruments du culte en cuivre émaillé par le procédé du champlevé, dont l'exécution est absolument identique avec celle des émaux limousins, mais qui portent un certain cachet qui permet à un œil exercé de les distinguer de ceux-ci. Les productions de l'émaillerie de Limoges subsistent encore en grand nombre, et tous les musées de l'Europe en ont recueilli de beaux morceaux ; ils sont trop connus pour qu'il soit nécessaire de les signaler. Au treizième siècle, l'Orfèvrerie s'écarta peu, quant aux formes générales, du style sévère et religieux qui était le caractère distinctif des deux siècles précédents ; mais, appelée surtout à décorer les églises, elle dut néanmoins subir l'influence de l'architecture. Ainsi, les châsses, qui prêtaient, plus que tout autre instrument du culte, au développement du génie de l'artiste, reçurent, dans leur forme, une importante modification : au lieu de figurer simplement un sarcophage, elles affectèrent la forme des monuments religieux de l'architecture, et devinrent de petites églises d'or et d'argent. L'orfèvre se fit l'émule de l'architecte ; il s'empara des formes élégantes et des plus gracieux ornements de l'architecture ogivale ; sous sa main, la ciselure, le moulage, le repoussé, remplacèrent la sculpture ; les peintures par incrustation d'émail rivalisèrent avec la peinture murale et les vitraux ; les filigranes rendirent avec succès toutes les délicatesses des enroulements, des entrelacs, des festons, des crochets et des crêtes de pierre des cathédrales. Le système d'ornementation des pièces d'Orfèvrerie subit aussi quelques modifications : elles furent beaucoup moins chargées de pierreries, et les émaux cloisonnés commencèrent à être abandonnés ; on préféra les ornements rendus par la ciselure et le repoussé, les nielles et les fines gravures au burin, souvent niellées d'émail coloré. Les progrès que firent alors les arts du dessin doivent être une des, causes qui ont entraîné le goût vers ce système de décoration. Les artistes orfèvres que nous avons nommés jusqu'à présent ne sont, sauf quelques-uns, que des moines, et les pièces d'Orfèvrerie que nous avons fait connaître appartiennent toutes au culte. Au commencement du quatorzième siècle, l'art sortit des cloîtres et se répandit au dehors ; l'Orfèvrerie cessa dès lors d'être exclusivement religieuse et se mit au service des grands et des riches particuliers. Bientôt le luxe fit de tels progrès, que des lois restrictives parurent nécessaires. Une ordonnance de 1356, rendue par le roi Jean, défend aux orfèvres d'ouvrer vaisselle, vaisseaux ou joyaux de plus d'un marc d'or ni d'argent, si ce n'est pour les églises ; mais ces ordonnances ne pouvaient atteindre les princes, qu'elles favorisaient, au contraire, en donnant à eux seuls le droit d'avoir une argenterie considérable. Il serait bien curieux de posséder aujourd'hui de ces belles pièces de vaisselle d'or et d'argent qui chargeaient alors la table et les dressoirs des grands seigneurs ; mais tout a disparu, et nous ne sachons pas qu'il en subsiste une seule ; à peine s'il reste quelques-uns des bijoux dont ils rehaussaient leurs vêtements et ornaient leur coiffure. Il est facile cependant de reconstituer par la pensée toutes ces richesses avec les Inventaires, très-détaillés et très-bien faits, de deux princes des plus riches de ce temps : Charles V et son frère, le duc d'Anjou, roi de Naples et de Provence. L'Inventaire du duc d'Anjou surtout a cela de remarquable qu'il est, quoique très-volumineux, dicté par le prince lui-même, annoté et signé de sa main (Bibl. Nation., MS. Supplém. français, n° 1278, daté du commencement de 1360). Le royal rédacteur ne se borne pas à une sèche énumération ; regardant toutes les pièces de son trésor comme autant d'objets d'art, il en fait une description minutieuse avec la passion d'un amateur. L'amour de l'art cependant ne lui fait pas oublier le prix de la matière ; il a le soin de peser tout l'or et l'argent qu'il possède, et termine ainsi de sa main son curieux catalogue : De l'or que Henry, notre orfèvre, a pour la grant nef que il fait comte aveques luy, ou mois de mars l'an M. CCC. LXVIII. fu trouvé que il avoit CCC. XLVIII. M. (marcs) au M. (marc) de Troyes. De l'or en vesselle a en la tour pesé et assommé ou dit mois et an IX. CCLX. (960) M. au M. de Troyes. Somme de l'or XIII CCVIII. (1308) M. au dit pois. La vesselle d'argent qui est en la tour et devers nous courant par nostre hostel, ou dessus dis moys et an pesée et assommée monte VIII. XXXVI. (8036) M. au marc de Troyes. Et plus bas : Loys. L'Inventaire de Charles V (Bibl. Nation., ms. n° 8356), commencé en 1379, contient des richesses bien plus considérables. Son trésor était estimé à dix-neuf millions ; aussi, le duc d'Anjou, afin de satisfaire sa passion pour l'Orfèvrerie, voulut-il s'en emparer à la mort du roi son frère. S'il en fut empêché une première fois, il trouva bien le moyen plus tard d'y mettre la main. L'Inventaire du trésor de Charles VI (Bibl. Nation., ms. n° 2068, fonds Mort., n° 76), de 1399, est bien maigre auprès de celui de son père. A l'aide des descriptions contenues dans ces vieux documents, on peut, disons-nous, donner une idée très-exacte de cette Orfèvrerie française du quatorzième siècle, qui jouissait d'une grande réputation et était très-recherchée dans toute l'Europe. On verra, par les citations que nous allons faire, que les artistes de cette époque se livraient à tous les écarts de leur imagination dans la confection de la vaisselle de table ; ils estimaient par-dessus tout les sujets bizarres : une aiguière, une coupe se présente souvent sous la forme d'un homme, d'un animal ou d'une fleur ; plusieurs personnages, plusieurs animaux concourent, par un assemblage monstrueux, à la formation d'un vase. Transcrivons littéralement quelques articles de ces inventaires : Un coc faisant une aiguière, duquel le corps et la queue est de perle et le col, les esles et la teste est d'argent esmaillié de jaune, de vert et d'azur, et dessus son doz a un renart qui le vient prendre par la creste, et ses piez sont sur un pié esmaillié d'azur à enfans qui jouent à plusieurs gieux. (Inventaire du duc d'Anjou, f° 15.) (Aiguière.) Un homme estant sur un entablement, lequel entablement est esmaillié d'azur à gens à cheval et à pié qui chacent aux cerfs, et est ledit homme emmantelé d'un mantel esmaillié, et en son bras destre a bouté son chaperon duquel la cornete fait biberon (le goulot) à verser eaue. (Idem, f° 77.) Une petite aiguière d'or à façon de rose, et est le biberon d'un dalphin (dauphin) et le fruitelet (bouton du couvercle) d'un bouton de rose. (Inv. de Charles V, f° 212.) Souvent l'aiguière porte ou renferme les gobelets : Une grant aiguière toute dorée... dedans ladite aiguière a VI gobelets. (Inv. du duc d’Anjou, f° 26.) Un griffon estant sur une terrasse à souages et orbesvoies, laquelle portent quatre lyonceaux gisans, et dessus le dos dudit griffon, entre ses esles, a une royne emmantelée qui tient par les esles une epentèle qui fait biberon à gel court, et derrière le dos de ladite Royne est le siège d'un gobelet. (Inventaire du duc d'Anjou, f° 77.) Plusieurs des coupes, tasses et hanaps ne sont pas moins bizarres : VI hennaps d'or pareilz à une rose. (Idem, f° 80.) Quatre petites tassettes d'or qui ont chacune deux oreilles, esquelles a une dame qui tient en sa main deux penonceaulx. (Invent. de Charles V, f° 51.) Un hanap de cristal a couvescle garny d'argent, que porte ung porteur d'affentreure, et est le fritelet d'un brotier qui maine une brœte où est ung homme malade. (Idem, f° 265.) Un hanap couvert sans pié ; au fond dudit hanap est un esmail d'azur, et audit esmail a un homme à cheval qui est d'un chastel, et tient dans sa main destre une espée nue pour férir sur un homme sauvage qui emporte une dame ; et au couvescle par dedans a un esmail azuré auquel est une dame qui tient en sa main une chayenne (chaîne) dont un lyon est liez. (Invent. du duc d'Anjou, f° 13.) Les salières aussi exercent le talent inventif des artistes orfèvres : Un homme séant sur un entablement doré et sciselé, lequel homme a un chapeau de feutre sur sa teste, et tient en sa destre main une salière de cristal garnie d'argent et en la senestre un serizier garni de feuilles et de serizes à oizelez (oiseaux) volans sur les branches. (Inv. du duc d'Anjou, f° 91.) Une salière de une serpent volant à esles esmailliées, et darrière sur son dos à un petit arbre à feuilles vers, et dessus a un chandelier que deux singes, pains de leur couleur, soustiennent, et dessus le chandelier a une salière esmaillée, et sur le couvercle a un frettel aux armes d'Estampes. (Idem, f° 92.) Une salière d'or en manie de nef garnye de pierreries, et aux deux bouls a deux daulphins et dedens deux singes qui tiennent deux avirons. (Inv. de Charles V, f° 41.) Une salière d'or que tient ung enffant sur ung cerf couronné de pierreries. (Idem, f° 41.) On a vu quelle énorme quantité d'or le duc d'Anjou avait livrée à son orfèvre pour lui faire une nef ; c'est ce meuble, en effet, dans la composition duquel les grands seigneurs déployaient le plus de luxe. La nef (navis) était une espèce de coffret en forme de navire, fermant à clef, qui se plaçait sur la table d'un souverain ou d'un grand personnage, et servait à renfermer le gobelet et les divers ustensiles à son usage personnel. Voici la description de quelques-uns de ces meubles : La navette d'or goderonnée, et mect-on dedens, quant le roy est à table, son essay — fragment de défense de narval, qui passait alors pour la corne de la licorne, à laquelle on attribuait, entre autres vertus, celles de neutraliser le poison et d'en faire reconnaître la présence —, sa cuillier, son coutelet et sa fourchette. Une grant nef d'argent dorée séant sur vi lyons, et à chacun bout a ung chastel où il y a ung ange, et est le corps de la nef tout semé d'esmaux armoyé de France. (Invent. de Charles V, f° 87 et 130.) Nous terminerons la description de cette vaisselle de table par celle d'une fontaine curieuse, comprise dans l'inventaire du duc d'Anjou : Une très grant fontaine que XII petis hommes portent sur leurs espaules, et dessus le pié sont VI hommes d'armes qui assaillent le chastel, et il y a VI ars bouterez en manie de pilliers qui boutent le siège du hanap. Au milieu a un chastel, en manière d'une grosse tour à plusieurs tournelles, et siet ledit chastel sur une haute mote vert ; et sur trois portes a trois trompettes, et au bas, par dehors ladite mote, a baties crénelées, et aux créneaux du chastel, par en haut, a dames qui tiennent bastons et escuz et deffendent le chastel, et ou bout du chastel a le siège d'un hanap crénelé. (Inv. du duc d'Anjou, f° 77.) Toutes ces pièces d'orfèvrerie étaient enrichies de sujets exécutés en fines ciselures émaillées qui ont reçu le nom d'émaux translucides sur relief. Nous décrirons plus loin les procédés de leur fabrication, lorsque nous nous occuperons de l'Orfèvrerie en Italie, où ce genre d'émaillure a pris naissance. Le luxe déployé dans la vaisselle de table n'avait pas fait abandonner l'Orfèvrerie religieuse. On trouve dans les inventaires dont nous venons d'extraire quelques articles, et dans ceux du duc de Normandie de 1363 (Ms. Bibl. Nat., n° 2053, fonds Mort., n° 74), de Charles VI de 1399 (Ms. Bibl. Nat., n° 2068, fonds Mort., n° 76), de magnifiques choses en ce genre : des vases sacrés en or rehaussés d'émaux et de pierres fines ; des croix d'une grande richesse ; des crosses en vermeil chargées de perles et de pierreries, avec des figures de ronde bosse au centre du crosseron ; des burettes dont le couvercle se termine en façon de mictres ; des missels dont les aiz sont d'argent dorez à ymages enlevez (exécutées au repoussé) ; des bréviaires couverts de veluiau brodé à fleurs de lys dont les fermouers d'or sont esmaillez aux armes de France ; une clochette d'or hachée à ymages (gravée en creux) dont le tenon est de deux angeloz qui tiennent une fleur de lys couronnée. (Inventaire de Charles F, f° 29 à 34, 89, 107, 125, 126, 127 et 240.) Les calices ne sont plus à coupes évasées, avec un large pied circulaire, comme au douzième siècle ; les coupes prennent la forme semi-ovoïde et les pieds se découpent en contre-lobes. On voit, dans Y Histoire de l'abbaye de Saint Denis de Félibien la gravure d'un calice donné à l'église de cette abbaye par Charles V, gravure qui fait connaître la forme des calices de son époque. Les encensoirs décrits dans les inventaires du duc d'Anjou et de Charles V se montrent encore sous les formes prescrites par Théophile (Diversarum artium schedula, cap. LIX et LX) ; voici comment ils sont décrits : Ung grant encencier d'or pour la chapelle du roy ouvré à huit chapiteaulx en façon de maçonnière et est le pinacle dudit encencier ouvré à huit osteaulx et est le pié ouvré à jour. Ung encencier d'or à quatre pignons et à quatre tournelles. (Inventaire de Chartes V, f° 33.) Cette forme d'encensoir représentant des édifices a été longtemps de mode. Les châsses en forme d'église furent, au quatorzième siècle, réservées pour les cathédrales ; on préférait, pour les chapelles et les oratoires, des statuettes d'or et d'argent qui portaient les reliques, ce qui permettait davantage aux artistes-orfèvres de faire valoir leur talent dans la sculpture. Voici comment sont décrits quelques-uns de ces reliquaires : Ung ymage d'or de saint Jehan l'Évuangéliste, tenant ung reliquaire où est une grosse perle. (Idem, f° 218.) Douze ymages des douze appostres d'argent doré, tenans reliquaires en une main, et en l'autre espées, glaives, bastons et cailloux, assis chacun sur un entablement d'argent doré esmaillé des armes de France. (Idem, f° 97.) Ce genre de reliquaire s'est perpétué durant tout le quatorzième et le quinzième siècle. Indépendamment des figures portant des reliques, les inventaires que nous analysons comprennent une quantité considérable de statuettes de la Vierge et des saints en or et en argent, parmi lesquelles il y en a d'un très-grand prix, comme celles-ci : Ung ymage de Notre-Dame, dont le corps d'icelle et de son enffant sont d'or, a une couronne garnye de pierrerie, a ung fermail en la poictrine, et le dyadesme de son enffant garny de perles, et tient en sa main ung fruitelet par maniere de ceptre où il y a ung gros saphir et poise quarente marcs tant d'or comme d'argent, c'est assavoir l'ymage treize marcs d'or et l'entablement poise environ vingt-sept marcs d'argent. (Idem, f° 23.) Ung ymage d'or de la Trinité tenant une croix brousonnée où le crucifix est dessus, assis en une chayère que soustiennent six aigles, et est garny de vingt-huit perles, de seize saphirs et quinze balaiz pesant huit marcs quatre onces. (Inventaire de Charles V, f° 218.) On rencontre aussi parfois des caricatures, celle-ci par exemple Un singe d'argent doré estant sur une terrasse, lequel singe a une mictre d'évesque sur la teste azurée, et en sa main senestre tient une croce et a un fanon ou bras, et de la destre main donne la béneyçon, et est vestuz d'une chazuble dont l'orfroy d'entour le col est esmaillié d'azur. (Invent. du duc d'Anjou, f° 14.) Il existe à Paris plusieurs beaux spécimens de cette orfèvrerie sculptée du quatorzième siècle. Au musée du Louvre, entre autres pièces : 1° une statuette en or de la Vierge tenant l'enfant Jésus : elle fut donnée, en 1339, à l'abbaye de Saint-Denis par Jeanne d'Evreux, veuve de Charles-le-Bel, ainsi que l'indique l'inscription qui y est gravée en caractères du temps. Le piédestal sur lequel repose la statuette est divisé en compartiments qui renferment des scènes de la vie et de la passion du Christ, finement gravées sur le métal et se détachant sur un fond d'émail bleu semi - translucide ; 2° deux anges en or qui tiennent des reliquaires ; 3° un reliquaire en or, de trente centimètres environ de hauteur, offrant une espèce de portique dans le style ogival, décoré de dix niches qui renferment des figurines émaillées : le Christ, la Vierge, des saints et des saintes ; des rubis, des saphirs et des perles, montés à griffes, sont répartis sur toute l'étendue du monument. A la Bibliothèque Nationale on trouvera les couvertures, en or, de quatre manuscrits (fonds Saint-Victor, n° 366, et supplément latin, n° 663, 665 et 667). Les deux premières, de format grand in-4°, reproduisent d'un côté le crucifiement, et de l'autre le Christ assis et bénissant ; la troisième, petit in-folio, présente sur l'un des ais le crucifiement, sur l'autre la résurrection du Christ. Ces sujets sont faits au repoussé en fort relief. Les têtes sont remplies de naïveté et d'expression, le dessin est en général correct, et l'exécution ne laisse rien à désirer. La quatrième couverture renferme un manuscrit carlovingien. Charles V la fit faire pour donner ce manuscrit à la Sainte-Chapelle. Elle est d'une richesse extraordinaire. Sur le plat supérieur, l'artiste a reproduit l'une des miniatures du manuscrit par une fine gravure niellée qui se détache sur un fond fleurdelisé. Sur le plat inférieur, il a représenté le crucifiement en figures de haut relief renfermées dans un double encadrement rehaussé de pierres fines cabochons. D'après Gérome Morand, la couverture du livre pèse en tout huit marcs d'or. Les bijoux n'étaient pas moins en vogue au quatorzième siècle que les pièces d'orfèvrerie. Eustache Deschamps, l'écuyer-huissier-d'armes de Charles V, nous apprend, dans ses naïves poésies, quels étaient ceux dont toute femme noble voulait être pourvue : Et sces tu qu'il fault aux matrones Nobles palais et riches trones ; Et à celles qui se marient, Qui moult tost leurs pensers varient, Elles veulent tenir d'usaige D'avoir pour parer leur mesnaige, Et qui est de nécessité, Oultre ta possibilité, Vestemens d'or, de draps de soye, Couronne, chapel et courroye De fin or, espingle d'argent. Et pour aller entre la gent, Fins couvrechiefs à or batus, A pierres et perles dessus ; Tyssus de soye et de fin or. Encore voy-je que leurs maris, Quant ils reviennent de Paris, De Reins, de Rouen et de Troyes, Leur apportent gans et courroves, Pelices, anneaulx, fremillez, Tasses d'argent ou gobelez, Pièces de couvrechiefs entiers. Et aussi me fut bien mestiers D'avoir bourse de pierrerie, Couteaulx à ymaginerie, Espingliers tailliez à esmaulx. La dame n'est pas contente, et elle demande encore : Pigne, tressoir semblablement, Et miroir, pour moy ordonner, D'yvoire me devez donner ; Et l'estuy qui soit noble et gent, Pendu à cheannes d'argent. Heures me fault de Notre-Dame, Si comme il appartient à fame Venue de noble paraige, Qui soient de soutil ouvraige, D'or et d'azur, riches et cointes, Bien ordonnées et bien pointes (peintes), De fin drap d'or très bien couvertes, Et quant elles seront ouvertes Deux fermault d'or qui fermeront. Les bijoux du quatorzième siècle sont encore plus rares que les pièces de grosse orfèvrerie. Le Cabinet des médailles de la Bibliothèque Nationale conserve un très-beau camée antique, en agate-onyx, représentant Jupiter, dont la monture a été faite sous Charles V, ainsi que le constate cette inscription émaillée qui surmonte l'écu de France ancien : Charles, roi de France, fils du roi Jehan, donna ce joyau, l'an M CCC LXVII, le quatre de son règne. La sertissure du camée, enrichie de fleurs de lis et de deux dauphins ciselés en relief, porte une inscription en or, se détachant sur un fond d'émail ; ce sont les premiers mots de l'Évangile de saint Jean. Jupiter, avec son aigle, passait au quatorzième siècle pour l'apôtre bien-aimé du Christ, et la figure du maître des dieux de l'Olympe, grâce à cette métamorphose, vint décorer un reliquaire. En effet, ce beau bijou avait été donné par Charles V à la cathédrale de Chartres et attaché à la châsse d'or renfermant la ceinture de la Vierge (SABLON, Histoire de la vénérable Église de Chartres). Les monuments qui subsistent sont en trop petit nombre pour donner une idée complète de la bijouterie de cette époque, et il nous faut encore avoir recours au texte des inventaires descriptifs dont nous venons de fournir quelques extraits. Les bijoux les plus nombreux mentionnés dans ces inventaires sont les fermaux, les ceintures, les chapels et les petits reliquaires portatifs. Les fermaux, agrafes de manteau ou de chape, reçoivent les noms de fermail, fermillet, mors de chape, pectoral à chape, suivant leur dimension et leur destination. Voici quelques descriptions de ce genre de bijoux : Un fermail d'or où il y a un paon (Inventaire du duc de Normandie, Ms. Bibl. Nat., n° 2053). Une fleur-de-liz d'or en manière de fermail (Inventaire de Charles V, r' 16). Ung fermilet d'or azuré à deux mains qui s'entretiennent (Inventaire de Charles V, f° 19). Ung pectoral à chappe en façon delozenge, ouquel il y a ou mylieu ung grant camahieu ouvré de petiz ymages, et est garny de six saphirs, deux ballaiz, XLII perles et d'autre grosse pierrerie (idem, f° 250). Ung aigle d'or en manière d'ung pectoral pour mors de chappe garny, c'est assavoir de dix-huit ballaiz, quatre grosses esmeraudes. (idem, f° 125). Les ceintures qui reçoivent le nom de demi-ceint, lorsqu'elles n'ont que la dimension nécessaire pour serrer la taille, sont presque toutes formées d'un tissu de soie, de velours ou de passementerie chargé de petites pièces d'orfèvrerie, ce qui s'appelait ferré. La boucle, le mordant et le passant sont toujours enrichis de nielles, d'émaux ou de pierres fines. Elles sont ainsi décrites : Une seincture sur tissu vert, ferré d'or (Inv. du duc de Normandie). Une petite seincture, qui fut à la royne Jehanne de Bourbon, assize sur bizecte, dont la boucle et le mordant sont d'or et garniz de perles (Inv. de Charles V, f° 12). Un demy-seinct ferré d'or (idem, f° 13). Une seincture (pour le corps du roy) de soye vermeille, a boucle et mordant d'or ; le mordant neellé aux armes de France, et le passant et les fermillières d'or (idem, f° 16). Une seincture d'or à pierreries, sur ung orfroiz d'or trait à cinquante-six clous de deux façons... (idem, f° 15). Ung tissu de soye ardant, garny de boucle, mordant et huit ferrures d'or, et y pend ung coutel, unes forcettes et ung canivet garny d'or (idem, f° 78). Ces ceintures ferrées d'orfèvrerie sont parfaitement connues par les miniatures des manuscrits des quatorzième et quinzième siècles. Il y avait aussi des ceintures entièrement en or et en argent pour les femmes : Une sceincture longue, à femme, toute d'or, à charnyères garnye (idem, f° 243). Le goût pour les ceintures à charnières tout en or ou en argent s'est prolongé, au surplus, jusque vers le milieu du seizième siècle. Les chapels étaient d'orfèvrerie ou d'orfroi (filigrane d'or). On voit, dans les comptes des joyaux achetés par Valentine de Milan, en 1397, des chapels d'orfèvrerie et d'orfroi ; la duchesse en avait un en or à fleurs de genest orné de diamants et de rubis. Les petits reliquaires et bijoux portatifs, à sujets saints, sont décrits dans l'Inventaire de Charles V sous le titre de Petiz joyaulx et reliquiaires d'or pendans ou à pendre (idem, f° 29). Voici la description de quelques-uns : Ung petiz crucifiement d'or où est Notre-Dame et saint Jehan assiz sur ung entablement ; — ung petiz ymage d'or de Notre-Dame, assiz en une chayère où sont dix perles, troys saphirs et ung balay ; — ung joyau fermant à deux elles, ou dedens est Notre-Seigneur yssant du sépulcre, et sur les dites deux elles ou portes sont deux saphirs, deux ballaiz et quatre crochetz au-dessus, sur lequel ung saphir et plusieurs perles, et est lerpié garny de cinq esmeraudes, cinq rubis d'Alexandre et dix perles (idem, f° 229) ; -- ungs petiz tableaux d'or, ouvrans de troys pièces, où est la Trinité, et aux costés Notre-Dame et saint Jehan (idem, f° 235) ; — ung petit ymage de saincte Agnès qui est dedens ung tabernacle d'or pendant à une chesne (Inventaire de Charles V, f° 251). On trouve encore dans les inventaires, où nous avons déjà tant puisé, un assez grand nombre d'objets usuels en orfèvrerie, même des bijoux de pure fantaisie, ce que nous appelons des curiosités. Nous terminerons par quelques citations de pièces de ces deux sortes pour montrer que nos orfèvres français de cette époque savaient aborder tous les genres : Un myrœr d'or, et autour la brodeure sont les douze signes esmaillés sur rouge cler, et au doz est l'ymage de notre dame saincte Katherine et autres (idem, f° 76) — ung escriptoire d'or à façon d'une gayne à barbier, et est hachée par dehors aux armes d'Estampes, et a dedens une penne à escripre, ung greffe, ung compas, unes cizailles, ung coutel, unes furgettes tout d'or, et pendent avec ung cornet à enque d'or, à ung laz d'or (idem, f° 246) — un petit coutelet à façon de furgete à furger dens et à curer oreilles (idem, f° 247) — ung homme chevauchant ung coq tient ung myrœr en façon de trefle (idem, f° 269) — ung joyau en manière d'ung dragon à une teste de femme enchappellée (idem, f° 170) — ung homme qui est nulz piez et chevauche ung serpent qui a deux testes et joue d'un cor sarrazinois (idem, f° 172) ; — ung charnel sur une terrasse garnye de perles, ballaiz et saphirez, et a le chamella boce d'une coquille de perle (idem, f° 238) ; — ung cerf de perles qui a les cornes d'esmail ynde (bleu) et une sonnette au col (idem, f° 255). On recherche aujourd'hui avec soin les noms des artistes du Moyen Age. Nous ne pouvons mieux terminer cette longue énumération des travaux de l'Orfèvrerie française au quatorzième siècle qu'en rapportant ceux des orfèvres qui sont signalés dans les inventaires de l'époque comme ayant exécuté les plus belles pièces qui y sont décrites ; ils devaient être bien certainement les premiers maîtres de leur temps. Ce sont : Jean de Mautreux, orfèvre du roi Jean ; Claux de Fribourg, qui fit une statuette d'or de saint Jean pour le duc de Normandie, et une superbe croix pour le même prince devenu roi ; Jean de Piguigny, auteur du diadème du duc de Normandie ; Robert Retour, orfèvre en la conciergerie de Saint-Paul ; Hannequin, chargé de la façon des trois nouvelles couronnes de Charles V ; Henry, orfèvre du duc d'Anjou, et Nicolas Giffart, excellent orfèvre de Paris, que Louis, duc d'Orléans, employait le plus volontiers. La guerre avec les Anglais et les dissensions intestines qui agitèrent si cruellement la France pendant la première moitié du quinzième siècle furent fatales à l'art de l’Orfèvrerie. Sauf quelques belles pièces faites pour les églises, comme la châsse de Saint-Germain-des-Prés, dont nous parlerons plus loin, on ne trouve plus, dans les inventaires du temps, la trace d'immenses travaux en orfèvrerie de table et d'église, comme ceux que Charles V et ses frères faisaient exécuter. Bien loin de pouvoir se livrer au goût de leurs pères pour les brillantes œuvres de l'Orfèvrerie, les princes et les seigneurs français, durant ces jours de crise, trouvèrent dans la vaisselle de leurs dressoirs une ressource pour faire face aux dépenses de la guerre ou pour payer leur rançon. Les arts industriels ne peuvent prospérer au milieu des guerres et des commotions populaires, et il y a toute apparence que, dans ces temps de calamité, les pièces d'orfèvrerie un peu importantes ne se faisaient plus à Paris ni dans les provinces de France, où la guerre civile et l'invasion ôtaient à l'orfèvre toute liberté et toute sécurité. Sous la domination de la maison de Bourgogne, le Brabant, le Hainaut et les Flandres jouissaient, au contraire, des douceurs de la paix ; l'industrie et le commerce y prenaient en toute liberté un développement considérable : l'Orfèvrerie ne pouvait rester en arrière des autres arts industriels, et bientôt les principales villes de ces riches contrées virent s'élever dans leur sein des ateliers d'orfèvre ; la ville de Gand devint le centre de cette brillante industrie. Le faste de la cour de Bourgogne et les prodigieuses prodigalités des princes de cette maison, donnèrent un grand essor aux travaux de l'Orfèvrerie. Les comptes de la maison de Bourgogne, publiés par M. Léon de Laborde (Les ducs de Bourgogne), en fournissent à chaque instant la preuve. On peut se convaincre, en les examinant, que Philippe-le-Hardi, Jean son fils, Philippe-le-Bon et Charles-le-Téméraire ont employé beaucoup plus d'argent qu'aucun autre prince de leur temps en acquisitions de pièces d'orfèvrerie et de bijoux, soit pour eux-mêmes, soit pour les répandre en largesses. Les orfèvres des Pays-Bas ne se bornèrent pas à fabriquer des châsses et des vases sacrés pour les églises et de la vaisselle d'or et d'argent pour les dressoirs ; ils excellèrent surtout dans l'exécution des bijoux, et de ces pièces d'orfèvrerie travaillées avec délicatesse dont les vêtements étaient alors surchargés à ce point que l'auteur des Arrêts d'amour, Martial d'Auvergne, disait qu'on s'harnachoit d'orfaverie. Les comptes de la maison de Bourgogne fournissent les noms d'un grand nombre d'orfèvres de Gand, de Bruges, de Bruxelles et des autres villes des Pays-Bas. Il n'y aurait intérêt à lès rappeler qu'autant que nous pourrions signaler en même temps leurs œuvres. Elles ont malheureusement péri presque toutes. Nous nous contenterons donc de nommer Corneille de Bonté, célèbre orfèvre de Gand, dont on possède encore une boîte aux saintes huiles en façon d'armoire gothique fleuronnée, datée de 1486, qui se trouve dans la collection de M. Ch. Onghena de Gand, et un écusson d'argent doré conservé à l'Hôtel-de-Ville de Gand, qu'il exécuta, pour les quatre trompettes et ménétriers du beffroi, aux frais de cette ville. Le genre gothique, qui dominait dans l'Orfèvrerie au quatorzième siècle, se perpétua pendant toute la durée du quinzième, tant en France qu'en Allemagne et dans les Pays-Bas, avec les seules modifications que durent amener naturellement et les mutations successives que subit le style de l'architecture ogivale, et le perfectionnement qui se fit peu à peu sentir dans tous les arts du dessin. Ainsi la magnifique châsse de l'abbaye Saint-Germain-des-Prés que fit exécuter l'abbé Guillaume, en 1408, par trois fameux orfèvres de Paris, Jean de Clichi, Gautier Dufour et Guillaume Boey, figurait une église dans le style ogival de celte époque. Ce superbe morceau d'orfèvrerie a été détruit ; mais on peut juger de la beauté de son style par la gravure qu'en a donnée Dom Bouillard dans son Histoire de l'abbaye de Saint-Germain-des-Prés, et de sa richesse par la description qu'y a jointe le savant bénédictin. Vingt-six marcs d'or, deux cent cinquante marcs d'argent, sans y comprendre le coffre qui renfermait les reliques, deux cent soixante pierres fines et cent quatre-vingt-dix-sept perles étaient entrés dans la composition de ce monument. La châsse aux saintes huiles de Corneille de Bonte que nous venons de citer est exécutée dans le style de l'architecture de la fin du quinzième siècle. Les églises d'Allemagne ont presque toutes perdu leur orfèvrerie à l'époque des guerres qu'amena la réforme. Cependant il subsiste encore dans le trésor de quelques cathédrales et dans les musées plusieurs pièces qui montrent que le style gothique a été constamment suivi par les orfèvres jusque dans les premières années du seizième siècle. Ainsi on voit dans le trésor du dôme de Ratisbonne une statuette en argent de saint Sébastien qui semble appartenir au quinzième siècle et porte, comme celles qui sont décrites dans l'inventaire de Charles V, des reliques suspendues à une chaîne. Il existe à la Kunstkammer de Berlin plusieurs pièces d'orfèvrerie religieuse de la fin du quinzième siècle, notamment une statuette de la Vierge exécutée par Henry Hufnagel, orfèvre d'Augsbourg, en 1482. Ces pièces sont empreintes du style gothique. Ce fut seulement vers la fin du premier quart du seizième siècle que les orfèvres français et allemands adoptèrent le style de l'orfèvrerie italienne, dont il est à propos de nous occuper maintenant. La division politique de l'Italie en une foule de petites souverainetés et la liberté dont jouissaient un grand nombre de villes étaient éminemment favorables au développement des arts du luxe. Les princes, les grands dignitaires de l'Église, les riches et nobles marchands de Florence, de Venise, de Gênes, et les opulentes villes municipales rivalisaient de magnificence. Les armures des capitaines, la vaisselle des princes et des nobles, les vases sacrés et la décoration des autels, les bijoux dont les femmes aiment à se parer, fournirent un aliment sans cesse renaissant aux travaux des orfèvres ; aussi, malgré les guerres intestines et étrangères qui désolèrent presque constamment l'Italie jusque vers le milieu du seizième siècle, l'Orfèvrerie y fut-elle plus en honneur que dans tout autre pays de l'Europe. Du moment qu'au treizième siècle les Nicolas, les Jean de Pise, les Giotto, secouant le joug des Byzantins, eurent fait sortir l'art des langueurs de l'assoupissement, l'Orfèvrerie ne pouvait plus être recherchée en Italie qu'à la condition de se tenir à la hauteur des progrès de la sculpture dont elle était fille ; aussi vit-on les orfèvres suivre les leçons des Pisans et marcher parmi leurs élèves. Dès cette époque, l'art de l'Orfèvrerie prit une grande extension. Les orfèvres s'y multiplièrent ; et quand on sait que le grand Donatello, Filippo Brunelleschi, le hardi constructeur de la coupole de la cathédrale de Florence, Ghiberti, l'auteur des merveilleuses portes du baptistère de Saint-Jean, ont eu des orfèvres pour premiers maîtres, et ont eux-mêmes pratiqué l'orfèvrerie, on peut juger quels artistes c'étaient que ces orfèvres italiens des quatorzième, quinzième et seizième siècles, et quels admirables ouvrages ils ont dû produire. Mais, hélas ! ces nobles travaux ont presque tous péri ; leur valeur artistique n'a pu les défendre contre la cupidité, les besoins, la crainte du pillage et l'amour du changement. Cellini nous apprend dans ses mémoires que, pendant que le pape Clément VII était assiégé dans le château Saint-Ange, il fut chargé de démonter toutes les pierres précieuses qui se trouvaient sur les tiares, les vases sacrés et les bijoux du souverain pontife, et d'en fondre l'or, dont il retira deux cents livres. Combien de trésors artistiques sont venus se perdre dans le creuset de Cellini ! Les noms d'un bien petit nombre d'orfèvres de cette époque sont venus jusqu'à nous, et, en faisant connaître ceux que les écrits de Vasari, de Benvenuto Cellini et de quelques autres auteurs nous ont révélés, nous ne pourrons, parmi leurs œuvres, en signaler que bien peu comme existantes encore. Le premier orfèvre que nous ayons à citer est le célèbre Jean de Pise, fils et élève du grand Nicolas de Pise qui ouvrit l'ère de la renaissance de l'art en Italie. Amené à Arezzo, en 1286, par l'évêque Guglielmino Ubertini, Jean, après avoir sculpté pour la cathédrale la table de marbre du maître-autel et un groupe de la Vierge entre saint Grégoire et saint Donato, voulut payer un tribut au goût de son temps pour l'Orfèvrerie ; il enrichit donc l'autel de ces fines ciselures sur argent colorées d'émaux auxquelles nous donnons le nom d'émaux translucides sur relief, et fit même un bijou dont il décora la poitrine de la Vierge. Ce bijou, qui enchâssait des pierres d'une grande valeur, coûta, dit Vasari, 30.000 florins d'or aux Arétins. Il fut volé par des soldats ; les bas-reliefs d'argent ont également disparu. Jean avait associé à ses travaux les frères Agostino et Agnolo, jeunes Siennois, ses élèves ; ceux-ci et André de Pise († 1345), également sorti de l'école de Jean, comptèrent beaucoup d'orfèvres parmi leurs élèves. André rendit surtout de grands services à l'Orfèvrerie en perfectionnant les procédés techniques de la fonte et de la ciselure. Aussi le commencement du quatorzième siècle fut-il une des brillantes époques de l'Orfèvrerie italienne. En 1316, Andrea d'Ognabene, orfèvre de Pistoia, exécutait pour la cathédrale de cette ville un magnifique devant d'autel qui n'était que le prélude de travaux plus importants dont nous parlerons plus loin. Cette pièce d'orfèvrerie est décorée de six figures de prophètes ou d'apôtres, rendues par une fine ciselure niellée qui se détache sur un fond d'émail, et de quinze bas-reliefs dont le Nouveau Testament a fourni les sujets. Une inscription latine a conserve le nom de l'auteur de ce monument et la date de sa confection. Ce fut peu de temps après que se signalèrent Pietro et Paolo, orfèvres d'Arezzo, élèves d'Agostino et d'Agnolo, qui furent les plus habiles ciseleurs de leur temps. Ils firent, entre autres belles choses, une tête d'argent, grande comme nature, merveilleusement ciselée et enrichie d'émaux, qui était destinée à renfermer le chef de saint Donato. Un orfèvre de Sienne, Ugolino, qui sans doute avait étudié sous ses illustres compatriotes, Agostino et Agnolo, a acquis une grande célébrité par le magnifique reliquaire d'argent de l'église d'Orvieto. Ce reliquaire est une magnifique pièce d'orfèvrerie du poids de six cents livres qui présente le modèle en petit de cette cathédrale. Il sert à renfermer le saint corporal de Bolsène : sa face principale est divisée en douze compartiments dont chacun renferme un tableau en émail translucide sur relief ; il est, en outre, enrichi de figures de ronde bosse. Une inscription gravée sur le monument constate qu'il a été exécuté par Ugolino et ses élèves, en 1338, sous le pontificat de Benoît XII. Malheureusement il est presque impossible de le voir, on ne l'expose aux yeux des fidèles que pendant l'octave du saint sacrement ; mais l'on peut juger, par la gravure que d'Agincourt en a donnée (Hist. de l'art, t. VI, pl. CXXIII), de la belle ordonnance de ses dispositions et de la science renfermée dans les tableaux de ciselure émaillée dont il est décoré. Maître Cione fut aussi l'un des plus célèbres orfèvres de la première moitié du quatorzième siècle. Vasari cite parmi ses plus beaux ouvrages, et comme une chose merveilleuse, les sujets en demi-relief tirés de la vie de saint Jean-Baptiste, dont il avait orné l'autel d'argent consacré au Précurseur dans le baptistère de Florence. Cet autel d'argent fut commencé au treizième siècle ; mais on le détruisit en 1366 pour lui substituer celui qui existe encore aujourd'hui. La beauté des bas-reliefs d'argent de Cione les sauva de la fonte, et ils furent adaptés au nouvel autel, où ils figurent encore. Ce qui prouve de quelle haute estime jouissait maître Cione, qui mourut peu après 1330, c'est le grand nombre d'élèves du premier mérite qu'il a laissés après lui. On compte parmi eux Forzone d'Arezzo et Leonardo de Florence, fils de Giovanni. Forzone se distingua par ses ciselures et ses émaux. Vasari cite de lui (Vie d'Agostino) la mitre et la crosse de l'évêque d'Arezzo, et l'orfèvrerie du cardinal Galeotto, qui étaient rehaussées de sujets émaillés. Leonardo se montra plus habile dessinateur que ses rivaux, et devint le premier orfèvre de Florence. C'est au temps où florissait Leonardo que furent commencés les deux plus considérables monuments d'orfèvrerie qui soient parvenus jusqu'à nous : l'autel de Saint-Jacques de Pistoia, dont nous avons déjà signalé le parement, et l'autel du baptistère de Saint-Jean, à Florence. Les plus habiles orfèvres de l'Italie ont travaillé pendant plus de cent cinquante ans à ces deux monuments, sur lesquels on peut suivre l'histoire de l'art de l'Orfèvrerie en Italie durant les quatorzième et quinzième siècles. Leonardo tes a enrichis tous les deux de ses travaux. Disons quelques mots de l'autel de Pistoia ; plus loin, en parlant des ouvrages d'orfèvrerie d'Antonio del Pollaiuolo, nous décrirons celui de Saint-Jean. L'autel de Pistoia se compose d'une immense quantité de bas-reliefs, de statuettes et de figures de haut relief disposés sur plusieurs plans. Il serait trop long de donner ici une description détaillée de ce monument ; il suffit, pour faire comprendre son importance, que nous indiquions ses principales dispositions et ses morceaux d'orfèvrerie sculptée les plus remarquables. Au côté droit de l'autel, on voit neuf bas-reliefs dont les sujets sont tirés de la vie de saint Jacques. Une inscription latine, gravée au-dessous, constate qu'ils ont été faits en 1371 par Leonardo. Les bas-reliefs du côté gauche, qui reproduisent presque tous des scènes de l'Ancien Testament, sont également de la main de cet artiste. La châsse, qui renferme le corps de saint Atto, n'est pas un des ornements les moins précieux de l'autel : on y remarque, entre autres bas-reliefs, une Annonciation placée au milieu de petites colonnes ; c'est un bon ouvrage qui fut exécuté en 1390 par Pietro, fils d'Arrigo Tedesco, auquel on doit encore neuf demi-figures d'un bon style. Sur la même ligne se trouvent deux figures de prophètes de Brunelleschi, probablement les seuls travaux d'orfèvrerie qui restent de ce grand artiste. La statue de saint Jacques en argent doré, faite par Giglio ou Cillio de Pise, en 1352, occupe le plan supérieur ; les anges qui l'accompagnent et le pavillon sont de Pietro Tedesco, qui a exécuté également vingt-quatre statuettes, distribuées sur deux plans, à droite et à gauche de la statue de saint Jacques. Un très- grand nombre d'autres statuettes décorent les différentes parties de cet immense monument d'orfèvrerie. Les principales sont dues à Nofri, fils de Buto (1396), Atto Braccini de Pistoia (1398), Nicolô, fils de Guglielmo (1400), Leonardo, fils de Matteo (1400), Pietro, fils de Giovanni de Pistoia (1400), et Pietro, fils d'Antonio de Pise (1456). On nomme encore, parmi les orfèvres qui ont travaillé à ce monument à différentes époques, Lorenzo del Nero de Florence, Ludovico Buoni de Faenza, Meo Ricciardi, Cipriano et Filippo. Le poids de l'autel est évalué à quatre cent quarante-sept livres. Nous terminerons ce qui a rapport à l'autel de Pistoia en faisant remarquer que, parmi les artistes qui ont concouru à sa confection, on trouve un Allemand, Pietro, fils d'Arrigo. C'est qu'en effet les Allemands avaient continué de se tenir au premier rang pour les travaux d'orfèvrerie. Ghiberti, dans les mémoires qu'il a laissés, fait mention d'un célèbre artiste de Cologne qui avait fabriqué une quantité de merveilleuses pièces d'orfèvrerie pour le duc d'Anjou, frère de saint Louis, au service duquel il était attaché. Cet artiste orfèvre, dont Ghiberti ne fait pas connaître le nom, mourut en Italie, sous le pontificat de Martin IV († 1285). Aussi Cicognara, souvent très-partial par esprit de nationalité, reconnaît cependant que ces artistes allemands, qui travaillaient en Italie aux treizième et quatorzième siècles, n'y étaient pas venus pour étudier leur art, mais bien plutôt pour l'exercer (Stor. dell. scult., t. I, p. 368). Deux pièces d'orfèvrerie, qui remontent à peu près à l'époque où furent commencés les autels d'argent de Pistoia et de Florence, existent encore, et sont renfermées dans le grand tabernacle du maître-autel de Saint-Jean-de-Latran, à Rome ; mais il n'est pas plus facile de les examiner que le reliquaire d'Orvieto. Ce sont les bustes de saint Pierre et de saint Paul, en or et en argent, qui contiennent les chefs de ces apôtres. D'Agincourt vante beaucoup la recherche et le fini extrême de l'exécution de ces riches reliquaires et des socles, décorés de bas-reliefs ciselés, sur lesquels ils reposent. Ils ont été faits en 1369, sur l'ordre d'Urbain V, par Giovanni Bartholi, de Sienne, et Giovanni Marci, orfèvres. Si l'on juge ces deux bustes sur la gravure que d'Agincourt en a donnée (Hist. de l'Art, Sculpt., t. II, p. 67, pl. XXXVII), ils sont loin de valoir, sous le rapport de l'art, la plupart des bas-reliefs et des statuettes de l'autel d'argent de Pistoia. Charles V avait contribué à l'enrichissement de ces reliquaires par le don de deux fleurs de lis, rehaussées de pierres précieuses, qui furent placées sur la poitrine des bustes ; l'Orfèvrerie française avait paru digne de figurer sur ces fines ciselures italiennes. A la fin du quatorzième siècle, deux grands artistes sortent des ateliers d'un orfèvre : Filippo Brunelleschi (1377 † 1446) et Luca della Robbia. Brunelleschi ayant montré de bonne heure de l'aptitude pour toutes les choses d'adresse, son père le plaça chez un orfèvre. Le jeune Filippo ne tarda pas à. monter les pierres fines mieux que personne, et à acquérir une grande habileté dans l'Orfèvrerie sculptée ; ce fut alors qu'il exécuta les deux prophètes en argent qui accompagnent l'autel de Pistoia (VASARI, Vie de Brunelleschi) : ils sont d'une grande beauté. Brunelleschi, sentant son génie le pousser vers de plus hautes entreprises, abandonna bientôt l'Orfèvrerie ; il devint le rival de Donatello dans la sculpture, et dépassa de beaucoup ce grand artiste dans l'architecture. La brillante coupole de Santa-Maria-del-Fiore, son plus beau titre de gloire, a fait oublier des œuvres qui auraient suffi pour le faire placer à la tête des plus célèbres orfèvres de son temps. Luca della Robbia († 1430) entra tout jeune dans l'atelier de l'orfèvre Leonardo, et apprit, sous la direction de cet excellent maître, à dessiner et à modeler en cire (VASARI, Vie de Luca della Robbia) ; mais Luca devint en peu de temps trop habile pour ne pas s'adonner uniquement à la sculpture ; on ne connaît rien des travaux de sa jeunesse en Orfèvrerie. Pour terminer l'historique de l'Orfèvrerie italienne au quatorzième siècle, il nous reste à parler de cinq fameux orfèvres, contemporains de Brunelleschi et de Luca délia Robbia : Antellotto Baccioforte et Mazzano, tous deux de Plaisance ; Nicolô Bonaventure et son neveu Enrico, et le Florentin Arditi. Nous avons déjà nommé Antellotto comme ayant restauré et refait en partie les bijoux du trésor de Monza. Quant à Mazzano, son mérite était constaté par une magnifique crosse de vermeil de plus de quatre pieds de haut, qui subsista jusqu'en 1798 dans la cathédrale de Plaisance. Elle était enrichie de bas-reliefs, de statuettes, d'ornements et d'émaux travaillés avec goût et terminés avec une exquise délicatesse. Ce bel ouvrage, commencé en 1388, ne fut fini qu'en 1416, après vingt-huit ans de travail. Il y a quelques années, il en restait encore des fragments dans la collection de M. Boselli. Nicolo Bonaventure et Enrico ont laissé leur nom sur un reliquaire appartenant à la cathédrale de Forli, et qui contient la tête de saint Sigismond. Les belles ciselures, les nielles et les émaux dont ce reliquaire est enrichi, en font une des plus belles pièces de l'Orfèvrerie du quatorzième siècle. Andrea Arditi se recommande par un buste en argent, à peu près de grandeur naturelle, servant de reliquaire au crâne de saint Zanobi, qu'on aperçoit sous un cristal, le métal étant découpé à cet effet au sommet de la tête. Ce buste est renfermé dans la magnifique châsse en bronze, l'un des chefs-d'œuvre de Ghiberti, que l'on conserve dans la cathédrale de Florence. On ne l'en sort qu'une fois l'an, le 26 janvier, à moins que ce ne soit pour conjurer quelque grande calamité. La sculpture d'Andrea Arditi est tout à la fois noble et simple ; on peut lui reprocher cependant un peu de roideur, défaut qui se rencontre souvent dans les œuvres de celle époque. L'exécution est très-soignée : des médaillons finement gravés, où sont représentés des saints, enrichissent le buste. Vasari, qui fait un grand éloge de cette pièce d'orfèvrerie sculptée, en avait attribué la confection à Cione (VASARI, Vie d'Agostino et d'Agnolo) ; mais cette inscription, gravée sur la poitrine en caractères gothiques, Andreas Arditi de Florentia me fecit, ne peut laisser aucun doute sur l'auteur de ce riche monument. A la fin du quatorzième siècle, Bartoluccio, qui eut pour élèves le grand Ghiberti et Antonio del Pollaiuolo, jouissait aussi, comme orfèvre, d'une haute réputation. Le quinzième siècle va nous montrer des artistes encore plus distingués. Lorenzo Ghiberti, beau-fils de Bartoluccio, reçut de cet habile orfèvre les premiers principes des arts du dessin. A peine âgé de vingt ans, il venait de quitter l'atelier de son beau-père pour aller à Rimini, lorsque celui-ci le rappela à Florence, afin qu'il prît part au concours qui avait été ouvert par la communauté des marchands de Florence (1401) pour l'exécution des deux portes du baptistère de Saint-Jean. Ghiberti avait affaire à de rudes concurrents : Brunelleschi, Donatello, Jacopo della Quercia étaient les plus en réputation. Néanmoins, guidé par les conseils de Bartoluccio, qui l'aida même, à ce que dit Vasari, dans l'exécution de son morceau de concours, Ghiberti produisit un si bel ouvrage, que Donatello et Brunelleschi se déclarèrent vaincus. Les juges ratifièrent la décision si désintéressée de ces grands artistes, et Ghiberti fut chargé de l'exécution de ces portes, qui ont immortalisé son nom. Le bas-relief de Ghiberti, qui est conservé aujourd'hui dans le cabinet des bronzes de la galerie de Florence, était admirable de dessin et de composition ; mais, sous ce rapport, celui de Brunelleschi, qu'on voit également dans le même cabinet, ne lui cédait en rien. Ce qui mérita la palme à. Ghiberti, ce fut le fini précieux et inimitable de l'exécution. Il avait terminé et réparé son bronze avec toute la finesse que les bons orfèvres apportaient alors aux plus délicats travaux de leur art, et l'on peut dire que c'est à son talent dans l'Orfèvrerie qu'il dut de l'emporter dans ce concours sur les plus grands sculpteurs du quinzième siècle. Le brillant succès de Ghiberti lui procura de nombreux travaux de sculpture ; mais cependant il n'abandonna jamais l'Orfèvrerie, et il exécuta, durant tout le cours de sa vie, de très-beaux travaux qui se rattachent à cet art. Indépendamment des bas-reliefs d'argent de l'autel du baptistère de Saint-Jean, qui sont de magnifiques pièces de sculpture, il fit même des bijoux. Ainsi, dans l'année 1428, il monta en cachet, pour Jean, fils de Cosme de Médicis, une cornaline de la grosseur d'une noix, gravée en intaille, qui avait appartenu, disait-on, à Néron. Le manche en or ciselé figurait un dragon ailé qui sortait de dessous des feuilles de lierre. Vasari vante la finesse et la beauté de ce travail. Peu après, le pape Martin († 1431) étant venu à Florence, notre grand artiste fut chargé de lui faire deux précieux bijoux : un bouton de chape et une mitre d'or. Il avait exécuté en relief, sur le bouton de chape, une demi-figure du Christ bénissant, entourée de pierres d'un grand prix ; la mitre était couverte de feuillages d'or merveilleusement ciselés, d'où sortaient huit figures de ronde bosse d'une beauté ravissante. En 1439, le pape Eugène IV lui fit faire, pendant son séjour à Florence, une mitre d'or du poids de quinze livres, chargée de cinq livres et demie de pierres précieuses d'un très- grand prix. Lorenzo enchâssa toutes ces pierreries dans des ornements rehaussés de figurines de ronde bosse. Le devant présentait le Christ sur son trône, entouré d'une foule de petits anges ; le derrière, la Vierge assise sur un siège soutenu par des anges, et accompagnée des quatre évangélistes. Par ce qui reste des travaux de Ghiberti, on peut se faire une idée du beau style et de l'exquise délicatesse de ces précieux bijoux ; et s'il passe a juste titre pour l'un des plus grands sculpteurs des temps modernes, on peut le regarder aussi comme le premier des orfèvres. L'exécution complète des portes du baptistère de Saint-Jean dura quarante années, et, pendant ces longs travaux, Ghiberti se fit aider par de jeunes orfèvres qui devinrent plus tard des maîtres habiles, tels que Masolino da Panicale, Nicolû Lamberti, Parri Spinelli, Antonio Filarete, Paolo Ucello et Antonio del Pollaiuolo, le plus célèbre de tous (VASARI, Vie de Ghiberti). Ce fut dans l'atelier de l'orfèvre Bartoluccio Ghiberti que Pollaiuolo (né vers 1424 † 1498) apprit les principes des arts du dessin et de l'Orfèvrerie. Il fit des progrès si rapides, qu'en peu de temps il égala son maître et acquit une réputation d'habileté qui lui permit de travailler pour son propre compte. Il se sépara donc de Bartoluccio et de Lorenzo pour ouvrir à Florence une boutique, où il exerça pendant plusieurs années l'Orfèvrerie avec beaucoup de succès ; ses nielles et ses ciselures sur argent coloriées d'émaux, eurent une grande vogue. Les consuls de la communauté des marchands le chargèrent alors d'exécuter quelques bas-reliefs pour l'autel d'argent du baptistère de Saint-Jean (VASARI, Vie d'Ant. et Pietro del Pollaiuolo). Dès le treizième siècle, les Florentins avaient résolu de recouvrir entièrement toutes les faces du grand autel du baptistère avec des plaques d'argent, où la vie du Précurseur devait être ciselée en relief. Cet autel, auquel Cione avait travaillé, ne parut plus assez beau dans le siècle suivant : il fut fondu en grande partie, et les consuls de la communauté des marchands décidèrent qu'on en élèverait un autre beaucoup plus riche et d'une conception plus grandiose (GORI, Thesaurus vet. diplych. Florentiæ, 1759, t. III). Le nouvel autel fut commencé en 1366, ainsi que l'indique l'inscription qui s'y trouve gravée. Il ne fut terminé qu'en 1477, si toutefois on peut dire qu'il fut terminé, car il manque encore au côté gauche de l'autel deux bas-reliefs qui sont remplacés par des peintures figuratives. Cette magnifique pièce d'Orfèvrerie n'est offerte aux regards du public que le jour et le lendemain de la fête de saint Jean ; durant le cours de l'année, elle est conservée dans les bâtiments de la fabrique de la cathédrale, où l'on peut la voir, en s'appuyant de quelques protections : seulement, il est interdit de dessiner et de prendre des mesures ; l'œil doit tout apprécier. Le monument, qui a un mètre trente centimètres environ de haut, se divise en trois parties : la face principale, de trois mètres vingt-cinq centimètres environ de long, et les deux faces latérales, de près d'un mètre chacune. La statue de saint Jean, placée dans une niche dont la décoration est empruntée au style ogival, occupe le milieu de la face principale. Elle est en argent doré et peut avoir soixante-six centimètres d'élévation. C'est un bel ouvrage, qui fut exécuté en 1452 par Michelozzo. Vasari avait attribué cette statuette à Antonio del Pollaiuolo ; mais le Livre de la communauté des marchands a fourni la preuve que Michelozzo en est l'auteur. De chaque côté de la figure du Précurseur, se trouvent quatre bas-reliefs sur deux rangées. Chacune des faces latérales comprend aussi quatre bas-reliefs sur deux rangées ; cela fait en tout seize bas-reliefs, dont deux, comme nous l'avons dit, sont simulés par des peintures. Ces tableaux d'argent, exécutés en haut relief très-saillant, peuvent avoir trente centimètres de haut sur vingt de large ; les sujets sont tous puisés dans la vie de saint Jean. La frise, qui règne dans la partie supérieure du monument, est décorée de quarante-trois niches qui renferment quarante - trois figurines d'argent, de douze a quinze centimètres de haut, charmantes de style et d'expression. Les parties lisses du monument sont enrichies de décorations dont la description détaillée nous entraînerait trop loin. Ce sont des fenêtres gothiques, des petites niches renfermant des figures, des étoiles, et d'autres ornements exécutés soit en émail translucide sur relief, soit en nielles qui se détachent sur un fond d'émail bleu. Berto Geri, Cristoforo, fils de Paolo, Leonardo, fils de Giovanni, et Michel Monte, sont les artistes qui ont travaillé les premiers à ce grand ouvrage, sans compter Cione, dont les travaux, comme nous l'avons dit, proviennent de l'ancien autel. Les grands bas-reliefs sont dus à Cione, Lorenzo Ghiberthi, Bartolommeo Cenni, Andrea del Verocchio, Antonio Salvi, Francesco, fils de Giovanni, et Antonio del Pollaiuolo. Gori cependant ne cite pas Ghiberti ; mais les archives conservées à la fabrique du Dôme et les traditions ne paraissent pas laisser de doute que ce grand sculpteur n'ait exécuté plusieurs de ces beaux bas-reliefs. On conçoit que, sortis de la main de tant d'artistes qui florissaient à diverses époques, ces bas-reliefs présentent des différences notables dans le style et dans l'exécution. Parmi les pièces d'Orfèvrerie qui sont comme des annexes de l'autel, la plus remarquable est une grande croix d'argent, ou, pour mieux dire, un groupe de plusieurs figures de ronde bosse, de deux mètres cinquante centimètres de haut, représentant le crucifiement. Milano, fils de Dei, Becto, fils de Francesco, et Antonio del Pollaiuolo, sont les auteurs de ce bel ouvrage, qui a été terminé en 1456. Gori attribue la partie supérieure de ce monument à Becto ; la partie inférieure, aux deux autres artistes. La croix est enrichie de grands médaillons en émail translucide sur relief ; mais la matière vitreuse a disparu de quelques-uns et est fort endommagée sur beaucoup d'autres ; la ciselure reste ainsi à découvert : elle est d'une rare finesse et d'une perfection admirable. Antonio del Pollaiuolo avait fait également de magnifiques chandeliers pour accompagner la croix (VASARI, Vie de Pietro el Ant. del Pollaiuolo) : malheureusement, ils ont été fondus en 1527, avec d'autres beaux objets d'argent, pour subvenir aux dépenses de la guerre. On voit dans le traité de Théophile que l'art de nieller, qui consiste à couvrir d'une espèce d'émail noir les fines intailles d'une gravure exécutée sur une plaque de métal, était, dès le douzième siècle, une dépendance de l'Orfèvrerie ; aussi, devons-nous placer parmi les orfèvres Maso Finiguerra, qui, vers le milieu du quinzième siècle, jouissait à Florence d'une réputation méritée pour ses nielles sur argent. Jamais personne ne s'était rencontré qui sût graver autant de figures dans un petit espace, avec une pureté de dessin aussi parfaite. Parmi les nielles d'argent que conserve le Cabinet des bronzes de la Galerie de Florence, on voit une paix, exécutée par Finiguerra, en 1452, pour le Baptistère de Saint-Jean ; elle n'est rien moins que la planche de la première estampe qu'on ait imprimée, et dont la Bibliothèque Nationale de Paris conserve une belle épreuve. Aussi, le renom que Finiguerra avait acquis comme habile orfèvre, fut-il éclipsé, à juste titre, par la gloire d'avoir été l'inventeur de l'impression des gravures sur métal. Parmi les artistes de la fin du quinzième siècle, qui, après avoir été orfèvres, devinrent célèbres dans la peinture ou dans la sculpture, il faut citer Andréa Verrochio († 1488), Domenico Ghirlandajo († 1495) et Francesco Francia (1450-1517). Verocchio, qui a mérité comme sculpteur une très-grande réputation et dont le chef-d'œuvre, la statue équestre de Bartolommeo Colleoni, est encore debout sur la place de Saint-Jean-et-Paul, à Venise, avait commencé par exercer l'Orfèvrerie à Florence : plusieurs boutons de chape, un vase couvert d'animaux et de feuillages, et une belle coupe ornée d'une danse d'enfants, l'avaient mis en crédit (VASARI, Vie de Andrea Verocchio) ; aussi, la communauté des marchands lui commanda-t-elle, pour l'autel du Baptistère, deux bas-reliefs d'argent qui augmentèrent sa réputation. Appelé par Sixte IV à Rome pour refaire, dans la chapelle pontificale, les statuettes en argent des apôtres qui avaient été détruites, il s'acquitta de ces travaux avec succès ; mais les études qu'il fit des antiques que possédait la capitale du monde chrétien le décidèrent à se livrer exclusivement à la sculpture et à la' peinture. Il eut la gloire de compter parmi ses élèves le Pérugin et Léonard de Vinci. Domenico Ghirlandajo était fils de Tommaso, célèbre orfèvre, qui avait reçu le nom de Ghirlandajo d'une parure en forme de guirlande qu'il avait inventée et dont les jeunes Florentines raffolaient. Domenico était donc naturellement destiné à exercer l'état de son père. Ses travaux, qui consistaient principalement en lampes d'argent d'un grand prix, furent détruits, avec la chapelle de l'Annunziata qu'elles décoraient, pendant le siège que Florence eut à subir en 1529 (VASARI, Vie de Domenico Ghirlandajo). Domenico Ghirlandajo abandonna l'Orfèvrerie pour la peinture, dans laquelle il s'est rendu illustre. Francia faisait mieux qu'aucun autre orfèvre de son temps les émaux translucides sur relief ; mais, ce qui le mit surtout en réputation, ce fut l'habileté qu'il montra dans la gravure des médailles et la fonte des monnaies, travaux qui dépendaient alors de l'Orfèvrerie. Francia, jusqu'à l'âge viril, s'était uniquement adonné à l'Orfèvrerie et n'avait pas touché le pinceau ; c'est par une espèce de prodige dont on n'avait pas encore vu d'exemple, qu'il parvint en peu d'années à se placer parmi les meilleurs maîtres de son temps. Pour clore la liste des orfèvres qui se rendirent célèbres à la fin du quinzième siècle et dans les premières années du seizième, nous devons nommer Ambrogio Foppa de Milan, surnommé Caradosso, et Michelagnolo di Viviano. Caradosso était un habile orfèvre en tout genre, mais il se distingua principalement par ses émaux sur relief et par les médailles qu'il grava, sous les pontificats de Jules Il et de Léon X (VASARI, Vie de Bramante). Il excellait aussi à faire de petits médaillons en or, enrichis de figures de haut relief et de ronde bosse qu'on portait aux bonnets et dans les cheveux. D'après Cellini (Tratlato dell' Oreficeria), il vivait encore sous Clément VII. Le goût pour les bijoux, enrichis de figurines de ronde bosse ou de haut relief coloriées par des émaux, était dominant en Italie au quinzième siècle. Il en existe encore plusieurs de cette époque. Nous signalons parmi les plus beaux une paix, conservée à Arezzo dans le trésor de la Madonna. Cette paix fut donnée, en 1464, par le pape Pie II, aux Siennois, ses concitoyens, qui depuis en ont fait cadeau aux Arétins. Michelagnolo était un des orfèvres les plus estimés de Florence du temps de Laurent et de Julien de Médicis. Il avait une grande réputation pour la monture des pierres précieuses, et exécutait avec une égale perfection les nielles, les émaux et les travaux de ciselure (B. CELLINI, Trait. dell' Oref., prœmio LVII). Vasari cite comme de fort belles choses les ornements dont il décora les armures que Julien de Médicis porta dans un carrousel qui eut lieu sur la place Santa-Croce. La meilleure preuve du mérite de Michelagnolo, c'est l'éloge que fait de lui Benvenuto Cellini, dont il fut le premier maître (Vita di Benvenuto Cellini scritta da lui medesimo). Benvenuto Cellini naquit en 1500. Après être resté près de deux années dans l'atelier de Michelagnolo, où il avait été placé en apprentissage à l'âge de treize ans, il entra chez Antonio di Sandro, autre orfèvre florentin, artiste de talent. Il travailla ensuite chez différents orfèvres de Florence, de Pise, de Bologne et de Sienne, où il avait été exilé, à la suite d'une rixe. Tout le temps qu'il pouvait dérober à l'Orfèvrerie, il le donnait au dessin, étudiant les ouvrages des grands maîtres, et particulièrement ceux de Michel-Ange, pour lesquels il s'était passionné. A Pise, il visitait souvent le Campo-Santo, et copiait avec ardeur les antiques qui s'y trouvaient réunis. Il alla pour la première fois à Rome, à l'âge de dix-neuf ans. Pendant les deux ans qu'il y passa cette première fois, il se livra presque exclusivement à l'étude des antiquités, qu'il n'abandonnait, pour faire de l'Orfèvrerie, qu'autant que l'argent venait à lui manquer. On conçoit facilement qu'en suivant cette direction, Cellini, doué qu'il était d'une imagination ardente et d'une grande intelligence, soit devenu en peu de temps un artiste distingué. Aussi, la vogue qu'il sut acquérir à son retour à Florence lui permitelle d'ouvrir pour son compte un atelier où il exécuta une grande quantité de petits ouvrages de bijouterie. Bientôt, en 1523, une nouvelle querelle avec ses voisins l'ayant forcé de fuir de Florence, il se retira à Rome, où il séjourna jusqu'en 1537, si l'on en excepte quelques mois qu'il passa, à différentes reprises, à Florence, et le temps qu'il employa à visiter Mantoue, Naples, Venise et Ferrare. C'est durant ces quatorze années qu'il fonda sa réputation d'habile orfèvre et qu'il fabriqua ses plus beaux bijoux, les coins de la monnaie de Rome, et les médailles de Clément VII et du duc Alexandre. Cellini vint en France pour la première fois en 1537. Il fut présenté à François Ier ; mais, ce prince ayant quitté Paris pour se rendre à Lyon, Cellini voulut retourner à Rome. En 1540, François 1er le rappela auprès de lui. Pendant un séjour de près de cinq années que Cellini fit à Paris, il exécuta pour le roi un grand nombre de beaux ouvrages dont il ne subsiste plus qu'une salière d'or conservée dans le Cabinet des antiques de Vienne. De retour à Florence, Cellini s'adonna à la grande sculpture. Ce fut alors qu'il jeta en bronze la statue de Persée, le buste de Cosme 1er, et qu'il sculpta en marbre un crucifix de grandeur naturelle, que Vasari regarde comme le plus beau morceau qu'on ait fait en ce genre. Il n'abandonna pas néanmoins l'Orfèvrerie, et fit encore de charmants bijoux pour la duchesse Éléonore. Après être resté vingt-cinq ans au service du grand-duc de Toscane comme sculpteur, orfèvre et maître des monnaies, Cellini mourut, en 1571, assez mal récompensé de ses grands travaux, mais laissant après lui une haute réputation justement méritée. On ne peut douter que Cellini n'ait été un artiste des plus éminents, et qu'il n'ait fait durant sa longue vie une quantité considérable de pièces d'Orfèvrerie. Laissons parler son biographe italien : Cellini, citoyen florentin, aujourd'hui sculpteur, n'eut point d'égal dans l'Orfèvrerie, quand il s'y appliqua dans sa jeunesse, et fut peut-être maintes années sans en avoir, de même que pour exécuter les petites figures en ronde bosse et en bas-relief, et tous les ouvrages de cette profession. Il monta si bien les pierres fines, et les orna de chatons si merveilleux, de figurines si parfaites, et quelquefois si originales et d'un goût si capricieux, que l'on ne saurait imaginer rien de mieux. On ne peut assez louer les médailles d'or et d'argent qu'il grava, étant jeune, avec un soin incroyable. Il fit à Rome, pour le pape Clément VII, un bouton de chape, dans lequel il représenta un Père éternel, d'un travail admirable. Il y monta un diamant taillé en pointe, entouré de plusieurs petits enfants ciselés en or avec un rare talent. Clément VII lui ayant commandé un calice d'or dont la coupe devait être supportée par les Vertus théologales, Benvenuto conduisit presque entièrement à fin cet ouvrage, qui est vraiment surprenant. De tous les artistes qui de son temps s'essayèrent à graver les médailles du pape, aucun ne réussit mieux que lui, comme le savent très-bien ceux qui en possèdent ou qui les ont vues ; aussi, lui confia-t-on les coins de la monnaie de Rome, et jamais plus belles pièces ne furent frappées. Après la mort de Clément VII, Benvenuto retourna à Florence, où il grava la tête du duc Alexandre sur les coins de monnaie qui sont d'une telle beauté, que l'on en conserve aujourd'hui plusieurs empreintes comme de précieuses médailles antiques, et c'est à bon droit, car Benvenuto s'y surpassa lui-même. Enfin il s'adonna à la sculpture et à l'art de fondre les statues. Il exécuta en France quantité d'ouvrages en bronze, en argent et en or, pendant qu'il était au service du roi François Ier. De retour dans sa patrie, il travailla pour le duc Cosme, qui lui commanda d'abord plusieurs pièces d'Orfèvrerie et ensuite quelques sculptures. (VASARI, Des académiciens du dessin, traduction de M. Léopold Leclanché, t. X, p. 2.) A l'appui du récit de Vasari ne possède-t-on pas d'ailleurs, comme nous le disions, quelques œuvres de Cellini ? Sans parler du magnifique buste en bronze de Cosme 1er et du groupe de Persée et Méduse, le ravissant piédestal de ce groupe, orné de statuettes de bronze, et le petit modèle en bronze du Persée conservé dans la Galerie de Florence, qui, par leur dimension, se rapprochent des travaux de la grande Orfèvrerie, font voir ce dont Cellini était capable dans les ouvrages qui se rattachent à cet art. Les pièces d'Orfèvrerie et les bijoux sortis de ses mains, dont l'authenticité n'est pas contestable, sont en très-petit nombre, il est vrai ; on ne peut guère ranger dans cette catégorie, que la belle salière qu'il exécuta pour François Pr, les monnaies qu'il fit pour Clément VII et pour Paul III, la médaille de Clément VII et celle de François Ier ; enfin, la monture d'une coupe en lapis-lazuli, offrant trois anses en or émaillé, rehaussées de diamants, et le couvercle en or émaillé d'une autre coupe en cristal de roche, qui sont conservées toutes deux dans le Cabinet des gemmes de la Galerie de Florence et qui reposaient depuis le seizième siècle dans le trésor des Médicis. Comme Cellini s'est occupé d'Orfèvrerie pendant plus de cinquante années, et qu'il a été, en qualité d'orfèvre, au service de Clément VII, de Paul III, de François Ier et des ducs de Florence, on ne peut douter qu'il n'ait fait un grand nombre de pièces d'Orfèvrerie et de bijoux ; tous n'ont pas dû périr, et certes plusieurs de ses œuvres, en dehors de celles que nous venons de signaler, doivent subsister encore. Après avoir examiné avec soin les œuvres de sculpture de Cellini, ses pièces d'Orfèvrerie et ses bijoux authentiques, pour se pénétrer de son style, et après avoir étudié, dans le traité qu'il a publié sur l'Orfèvrerie, les procédés de fabrication qu'il indique comme lui étant personnels, on peut arriver à désigner quelques pièces, qui, sans avoir pour elles l'authenticité des premières, peuvent cependant passer avec quelque certitude pour être sorties de ses habiles mains. Voici celles que nous avons vues. Dans l'argenterie du grand-duc de Toscane, trois coupes et un flacon en or émaillé, enrichis d'anses en forme de dragons ailés à têtes fantastiques qui sont d'un dessin ravissant et d'une merveilleuse exécution. Ces pièces portent les armes des Médicis et des Farnèse. Dans le Cabinet des antiques de Vienne, un médaillon ovale en or émaillé : Léda y est représentée à demi-couchée et caressée par Jupiter, métamorphosé en cygne ; l'Amour, debout, sourit aux amants. Ces figures de haut relief, coloriées en émail, se détachent presque entièrement du fond. Le médaillon est encadré dans un cartouche découpé, en or ciselé et émaillé, rehaussé de pierres fines. Ce bijou passe pour celui dont Cellini parle dans ses Mémoires, comme l'ayant fait pour le gonfalonier de Rome, Gabriello Cesarino. Dans la riche chapelle du palais du roi de Bavière, à Munich, un petit monument, espèce de reliquaire en or émaillé : au centre se trouve un groupe de figurines de ronde bosse, les rois mages venant adorer le Christ. Dans le musée du duc de Saxe-Gotha, la couverture en or émaillé d'un petit livre d'heures, de huit à neuf centimètres carrés. Sur chacun des ais est ciselé en relief un sujet de sainteté placé sous une arcade ; des figures de saints occupent les angles ; le tout est encadré dans des bordures, composées, comme les arcades, de diamants et de rubis. Trois petits bas-reliefs, d'une grande finesse d'exécution, décorent le dos de cette charmante couverture. Serait-ce celle que fit Cellini, d'après les ordres de Paul III, et qui fut offerte en présent à Charles-Quint ? Dans le Cabinet des médailles de la Bibliothèque Nationale de Paris, la monture d'un camée antique de forme ovale (n° 158). Cette monture, ciselée et émaillée, est enrichie de figurines de ronde bosse et de mascarons coloriés d'émail ; au sommet, la figure de la Victoire tient enchaînés à ses côtés deux prisonniers assis. On croit pouvoir attribuer à Cellini un beau bijou de la collection Debruge-Duménil (n° 992), où sont représentées deux figures de ronde bosse en or ciselé et émaillé, placées sous une arcade en pierres fines ; un médaillon (n° 993) qui reproduit les figures d'Adam et Eve, et un petit cartouche (n° 994), de la même collection. Le traité que Cellini, à l'exemple de Théophile, a écrit sur l'art qu'il cultivait, fait connaître les procédés de fabrication en usage de son temps et ceux qu'il mit lui-même en pratique. Il serait beaucoup trop long ici d'analyser ce curieux livre ; il nous suffira d'indiquer les matières qui en font l'objet, pour donner une idée des connaissances variées que devait posséder, au seizième siècle, un artiste qui voulait embrasser toutes les parties de l'art de l'Orfèvrerie. Le chapitre Ier traite de la joaillerie, de la nature des pierres précieuses, de leur sertissure, de la doublure des pierres de couleur. Le chapitre II donne la manière de composer le niello et les procédés à employer pour nieller. L'art de travailler le filigrane est le sujet du chapitre III. Le chapitre IV a pour objet la fabrication des émaux translucides sur relief. Le chapitre V enseigne la bijouterie proprement dite (il lavoro di minuteria) et l'art de travailler au repoussé et de ciseler les feuilles d'or et d'argent (lavori di piastra), pour en former les figurines qui décorent les bijoux ou en tirer les statuettes qui entrent dans la composition des pièces d'Orfèvrerie de petite dimension. Aux détails dans lesquels entre Cellini sur les parties de l'art comprises dans le chapitre cinquième, on s'aperçoit facilement que c'étaient celles qui lui plaisaient le plus. Il décrit dans ce chapitre le bouton de chape exécuté pour Clément VII, qui faisait l'admiration de tous les artistes, comme nous l'a appris Vasari, et la belle salière d'or de François Ier, dont les deux figures principales, Neptune et Bérécynthe, n'ont pas moins de vingt à vingt-cinq centimètres de haut. Les travaux de minuteria, les bijoux proprement dits, étaient tous travaillés au ciselet ; rien n'était fondu ni estampé (B. CELLINI, Tratt. dell' Oref.). Ce travail de minuteria comprenait les anneaux, les pendants, les bracelets ; mais les bijoux les plus en vogue étaient certains médaillons (medaglie di piastra d'oro sollilissimo) qui se portaient au chapeau et dans les cheveux. On les faisait de deux manières : tantôt des figurines étaient repoussées sur une feuille d'or ; tantôt ces figurines, après avoir été repoussées presque jusqu'au point de devenir de ronde bosse, étaient détachées du champ de la feuille d'or et appliquées sur un fond de lapis-lazuli, d'agate, ou de toute autre matière précieuse. Ces médaillons recevaient une bordure d'encadrement ciselée et souvent enrichie d'émaux. Cellini s'étend avec complaisance sur la fabrication de ce genre de bijou, et enseigne avec détails les divers procédés mis en usage soit par Caradosso, qui y excellait, soit par lui-même. Il donne aussi la description de quelques-uns des plus beaux qu'il ait exécutés, notamment de celui qu'il avait fait pour le gonfalonier Cesarino, que possède le Cabinet des antiques de Vienne. Le chapitre VI fait connaître la manière de graver en creux l'or, l'argent et le bronze, et celle de faire les sceaux des princes et des cardinaux. L'art de graver les monnaies et les médailles est développé dans les chapitres VII, VIII, IX et X. Les chapitres XI et XII sont consacrés à l'Orfèvrerie proprement dite (il lavorar di grosserie d'oro e di argento) ; Cellini y enseigne différentes manières de fondre le métal et de le couler en feuille, et aussi la fabrication des vases d'or et d'argent. L'exécution des statues d'argent, grandes comme nature ou d'une proportion colossale, fait l'objet du chapitre XIII. Les dix derniers chapitres sont employés à l'exposition de certains procédés qui se rattachent au matériel de la fabrication, tels que ceux de la dorure de l'argent et de la coloration de l'or. Cellini, ainsi que Théophile, a été soumis jusqu'à un certain point aux erreurs de son temps : il lui arrive, par exemple, de dire que les pierres fines, comme toutes les choses de la nature, produites sous l'influence de la lune, sont composées de quatre éléments ; néanmoins, et bien que les procédés de fabrication se soient matériellement améliorés dans certaines parties depuis le seizième siècle, nos orfèvres peuvent puiser d'utiles enseignements dans son traité. Sous le rapport de l'histoire de l'art, il sert à nous faire connaître le style des plus beaux bijoux de Cellini, et permet de les faire revivre en quelque sorte, tant ses descriptions sont nettes et précises. Il nous reste une dernière remarque à faire, c'est que, sur beaucoup de matières, le traité de Cellini présente une grande analogie et quelquefois une conformité parfaite avec celui que Théophile avait écrit plus de trois cent cinquante ans avant lui. Ainsi, la manière d'exécuter les travaux au repoussé et les procédés de la fonte des anses de vase offrent beaucoup de ressemblance dans les deux traités : si les doses qui entrent dans la composition du niello sont différentes, le mode d'application du niello sur la plaque d'argent gravée est le même. Les pratiques de l'art du douzième siècle s'étaient donc transmises par tradition jusqu'au seizième presque sans altération. Ce fait n'est-il pas encore à la gloire de ce Moyen Age si déprécié, si peu connu ? Après Cellini, il nous reste à nommer quelques orfèvres italiens qui se sont distingués dans le seizième siècle : Giovanni da Firenzuola, fort habile à travailler la vaisselle de table et l'Orfèvrerie proprement dite (cose grosse) ; Luca Agnolo, bon dessinateur, le meilleur ouvrier que Cellini eût encore connu lorsqu'il retourna à Rome, en 1523 (Vita di B. Cellini) ; Piloto, cité par Vasari (Vie de U. Bandinelli) comme fort habile ; Piero, Giovanni et Romolo del Tovaloccio, qui furent sans égaux dans l'art de monter les pierreries en pendants et en bagues ; Piero di Mino, renommé pour ses ouvrages de filigrane ; Lautizio de Pérouse, qui excellait à graver les sceaux (CELLINI, Tratt. dell' Oref., prœmio) ; Vicenzio Danti, qui avait fait dans sa jeunesse, avant de se livrer exclusivement à la sculpture, des choses ravissantes en Orfèvrerie (VASARI, Des académiciens du dessin). Nous ne devons pas omettre non plus Girolamo dal Prato, élève et gendre de Caradosso, qui travaillait à Crémone et qu'on nomma le Cellini de la Lombardie. On cite de lui un bijou merveilleux que la ville de Milan avait offert à Charles-Quint lorsqu'il entra pour la première fois dans ses murs. Cet artiste était habile à graver les nielles et excellait dans l'exécution des statuettes et des figurines d'argent ; il faisait aussi, et d'une ressemblance parfaite, des portraits-médaillons en or et en argent. Girolamo florissait dans la première moitié du seizième siècle (CICOGNARA, Stor. della Scult). Le fameux Jean de Bologne a fait, en Italie, pour les Médicis, des bas-reliefs en or que l'on conserve dans le Cabinet des gemmes de la Galerie de Florence et qu'on peut regarder comme des pièces d'Orfèvrerie d'un grand mérite. Depuis la fin du treizième siècle jusque vers la fin du quinzième, l'Orfèvrerie italienne avait suivi pas à pas les progrès de la sculpture, avec laquelle elle s'identifiait pour ainsi dire. Ses formes devinrent pures et correctes, son style s'améliora par l'étude des monuments antiques ; mais cependant elle sut conserver, dans les grandes pièces d'Orfèvrerie destinées aux églises, un caractère religieux. Au seizième siècle, le goût très-prononcé pour les sujets mythologiques et poétiques de la Grèce antique eut une grande influence sur l'Orfèvrerie. Le style qui se forma sous cette influence convenait parfaitement aux bijoux et aux objets usuels, qui prirent, à cette époque, des formes d'une rare élégance ; mais il fit perdre à l'Orfèvrerie religieuse, à son grand détriment, ce cachet de gravité dont elle avait été empreinte au Moyen Age. En retraçant l'histoire de l'Orfèvrerie française et italienne aux quatorzième et quinzième siècles, nous avons souvent mentionné les émaux translucides sur relief, qui décoraient la plupart des belles pièces d'Orfèvrerie de ces deux siècles ; il est donc nécessaire de donner quelques notions sur ce genre d'émaillure. Les peintures en émail incrusté avaient tous les défauts des mosaïques primitives : la roideur du dessin, la nullité ou la crudité des ombres, l'absence des arrière-plans, le parallélisme des figures disposées isolément ou sur une seule ligne. La vivacité de leurs couleurs inaltérables ne pouvait racheter ces défauts, aux yeux des grands artistes italiens qui, dans la seconde moitié du treizième siècle, secouant le joug des Byzantins, ouvrirent à l'art des voies nouvelles. Sans renoncer à l'emploi de l'émail, dont l'éclat et la durée étaient éminemment favorables à la peinture décorative des objets d'Orfèvrerie, ils durent chercher à l'employer d'une autre manière pour l'adapter aux productions de leur génie. D'un autre côté, les immenses richesses du clergé et les progrès toujours croissants du luxe firent adopter presque exclusivement, au quatorzième siècle, l'or et l'argent pour les instruments du culte et pour la vaisselle des grands. Les vases sacrés, les ostensoirs, les reliquaires ne furent plus fabriqués qu'avec ces riches matières ; les autels furent revêtus de bas-reliefs finement ciselés en or et en argent. Les dressoirs et les tables des nobles se couvrirent de vases de toutes sortes. L'émaillure par incrustation, qui nécessitait des feuilles de métal assez épaisses, ne se prêtait donc pas aux exigences de cette nouvelle Orfèvrerie, qui, en multipliant ses productions, dut en diminuer le poids. Telles furent les différentes causes, sans doute, qui amenèrent, tant en Italie qu'en France, un changement de manière dans l'application des émaux. Les incrustations d'émail furent remplacées, sur les vases d'or et d'argent, par de fines ciselures, qui rendaient les ornements ou les sujets que l'artiste voulait représenter ; des émaux translucides en teignaient ensuite la surface de leurs brillantes couleurs, et s'identifiaient tellement avec la ciselure, que le travail prenait l'aspect d'une fine peinture à lustre métallique. Voici de quelle manière on procédait : sur une plaque d'or ou d'argent de très-peu d'épaisseur, l'artiste déterminait, par une intaille destinée à retenir l'émail, le contour du champ que la partie à émailler devait occuper ; souvent il abaissait toute cette partie de la plaque, juste de l'épaisseur qu'il jugeait à propos de donner à l'émail. Il y dessinait alors le sujet qu'il voulait reproduire ; ensuite, avec des outils très-fins, il le gravait en relief, d'une épaisseur égale à celle de deux feuilles de papier (B. CELLINI, Trattato dell' Oreficeria. Milano, 1811, p. 45). Les différentes couleurs d'émail devaient être, avant tout, pulvérisées dans l'eau, dégraissées et lavées. L'eau en était ensuite exprimée avec soin ; car les émaux, dans ce genre de travail, devaient être séchés autant que possible. Ces soins pris, on pouvait commencer à émailler le bas-relief. Pour cela, on prenait les émaux avec une petite spatule de cuivre, et on les étendait peu à peu, en couche très-légère, sur la ciselure, en distribuant avec goût les différentes couleurs. Cellini (loc. cit.) recommande d'apporter beaucoup de soin à poser cette première couche, que les émailleurs nommaient première peau, afin que les couleurs soient nettes, qu'elles ne se mêlent pas et qu'elles prennent l'aspect d'une miniature. La pièce était alors portée au fourneau avec certaines précautions ; on l'en retirait à l'instant où l'émail commençait à bouger, car on ne devait pas le laisser couler entièrement. La pièce étant refroidie, on la chargeait d'une seconde couche d'émail aussi légère que la première ; et elle était reportée au feu, d'où on la retirait, comme la, première fois, lorsque l'émail entrait en fusion. Après le refroidissement de la pièce on amincissait l'émail, jusqu'à ce qu'il fût suffisamment transparent, en se servant d'une pierre que les Italiens nomment frassinella, la même que Théophile appelle cos ; enfin, on achevait de le polir avec le tripoli. Les émaux translucides sur relief ne sont pas aussi rares que les émaux cloisonnés ; mais, comme l'amour du changement a fait détruire les objets à l'usage de la vie privée qu'ils décoraient, on les rencontre le plus souvent dans les trésors des églises, sur les vases servant aux cérémonies du culte ou sur les reliquaires, qui doivent leur conservation à leur caractère sacré. Les monuments qu'ils enrichissent ont été faits dans la période renfermée entre les premières années du quatorzième siècle et la fin du seizième. Ainsi, pour ne citer qu'un seul exemple, nous nommerons le trésor de la cathédrale d'Aix la-Chapelle. On y trouve un reliquaire du quatorzième siècle qui contient la ceinture de la Vierge, un autre donné par Charles-Quint, et celui dont Philippe II a fait présent, qui tous trois sont rehaussés d'émaux translucides sur relief. Un des monuments les mieux conservés et les plus délicats de la ciselure émaillée des maîtres italiens est un petit triptyque, ayant appartenu à Marie Stuart, qui est aujourd'hui dans la riche chapelle du palais du roi de Bavière. Le Musée du Louvre possède huit pièces émaillées sur or qui sont d'une grande beauté ; elles ont sans doute été détachées de reliquaires détruits. L'une d'elles représente Jésus-Christ, la tête ceinte de la tiare à triple couronne, ayant à sa droite un saint couronné de la couronne royale, tenant le globe et l'épée (Charlemagne ?) ; et à sa gauche, saint Jean. Une autre, qui paraît avoir fait pendant à celle-ci, représente la Vierge entre deux saintes. Dans ces deux plaques, les figures, vues à mi-corps, sont placées sous des décorations architecturales. L'ensemble du travail indique une origine française et la fin du quatorzième siècle. Nous avons signalé les causes qui ont dû motiver, selon nous, le changement qui s'était opéré dans la manière d'appliquer l'émail à la reproduction de sujets graphiques. Les documents qui subsistent doivent faire remonter à Jean de Pise cette révolution dans l'art de l'émaillure. La première mention qu'on ait trouvée de l'emploi de l'émail pour la coloration d'une ciselure en relief sur métal se rapporte, en effet, à ces ciselures sur argent, coloriées par des émaux, dont il avait enrichi le maître-autel de la cathédrale d'Arezzo. Architecte et sculpteur, Jean de Pise exerça une influence sur tous les artistes de son temps et imprima une nouvelle direction à tous les arts qui se rattachent à la plastique. On conçoit sans peine qu'un artiste de cette valeur, lorsqu'il voulut faire concourir l'émail à l'ornementation des monuments de son génie, n'ait pu se contenter des plates peintures que présentaient les émaux incrustés, cloisonnés ou champlevés. Cette manière de teindre de fines et délicates ciselures avec les vives couleurs des émaux translucides passa d'Italie en France dans les premières années du quatorzième siècle. On trouve, en 1317, une manufacture d'émail sur or et sur argent établie à Montpellier (Dom VAISSETE, Hist. du Languedoc). Ce fait est révélé par des lettres patentes de Philippe-le-Long qui défendaient aux monnayeurs royaux, placés par Philippe-le-Bel dans la partie ancienne de cette ville, de faire concurrence aux émailleurs sur or et argent que Don Sanche, roi de Majorque, avait établis dans la nouvelle ville, qui était de son domaine. Les orfèvres français n'employèrent bientôt plus que ce genre d'émaillure : les plus belles pièces d'Orfèvrerie des trésors de Charles V et de ses frères étaient rehaussées d'émaux de cette espèce. Il nous reste à parler de deux autres natures de travaux auxquels se livrèrent les orfèvres italiens du seizième siècle. On a pu remarquer que les orfèvres du Moyen Age s'appliquaient à décorer par de riches montures les vases en agate, en sardoine, en sardonyx, et autres matières, qui leur provenaient de l'antiquité ; à part quelques vases byzantins, ils n'en possédaient pas d'autres. Durant le Moyen Age, en effet, l'art de tailler les pierres dures et de les graver ne s'était conservé qu'à Constantinople ; mais lorsque l'invasion des Turcs dans l'empire d'Orient eut forcé les artistes grecs à se réfugier en Italie, ils y importèrent les procédés de la glyptique et de la taille des pierres dures. On s'occupa alors de rechercher les belles matières et de les façonner en vases de toutes sortes. Au commencement du seizième siècle, ces vases jouissaient d'une faveur extraordinaire, et les plus grands artistes graveurs sur pierres fines ne dédaignèrent pas d'en tailler de leurs mains. Vasari nous apprend que le fameux Valerio Vicentino fit une multitude de vases de cristal de roche pour Clément VII, et que Jacopo da Trezzo, Gasparo et Girolamo Misseroni, ses élèves, faisaient aussi des vases très-recherchés. A des pièces taillées par de si habiles mains, il fallait de riches montures ; aussi, les premiers orfèvres de l'Italie furent-ils chargés de les enrichir d'anses, de couvercles et de pieds, dans l'exécution desquels ils déployèrent toutes les ressources de leur génie. Le Cabinet des gemmes de la Galerie de Florence conserve un nombre considérable de ces beaux vases. On y voit une coupe en lapis-lazuli dont les trois anses, en or émaillé, enrichies de diamants, sont dues au talent de Benvenuto Cellini, et un vase en cristal de roche dont le couvercle d'or a été ciselé et émaillé par ce grand artiste. Le Musée du Louvre possède une grande quantité de ces beaux vases richement montés, qui proviennent du trésor de François Ier et de Henri IL Le trésor impérial de Vienne, le Grüne Gewœlbe de Dresde et la Chambre du Trésor du roi de Bavière ont aussi recueilli de très-belles pièces des maîtres italiens. La damasquinerie, qui consiste à rendre un dessin par des filets d'or ou d'argent incrustés dans un métal moins brillant, comme le fer ou le bronze, se prêtait on ne peut mieux aux travaux de l'Orfèvrerie. Il paraît que les procédés de cet art furent introduits en Italie au commencement du quinzième siècle. Ils servirent d'abord à enrichir par d'élégantes arabesques les armures de fer des hommes et des chevaux. Au seizième siècle, la damasquinerie était arrivée à son plus haut degré de perfection ; les orfèvres s'y adonnèrent avec beaucoup de succès et produisirent des coffrets, des tables, des cabinets, des toilettes en fer, dans les formes les plus gracieuses, avec des ornements, des arabesques et des sujets en damasquinure d'or et d'argent. Venise et surtout Milan se distinguèrent dans ce travail. Parmi les orfèvres qui acquirent une grande réputation par leurs belles damasquinures, il faut placer au premier rang le Vénitien Paolo Rizzo et Carlo Sovico de Milan. Cellini, cet artiste universel, s'exerça, dans sa jeunesse, à faire des damasquinures ; il nous l'apprend dans ses curieux Mémoires, en ajoutant que les Lombards, les Toscans et les Romains pratiquaient à cette époque (vers 1524) ce genre de travail. Les Lombards excellaient à reproduire les feuillages du lierre et de la vigne vierge ; les Toscans et les Romains, à copier les feuilles de l'acanthe avec ses rejetons et ses fleurs, parmi lesquels ils entremêlaient des oiseaux et de petits animaux. L'Orfèvrerie italienne avait jeté un si vif éclat au quinzième siècle, elle avait été pratiquée par des artistes d'un si grand renom, qu'elle devint un sujet d'étude et d'émulation pour tous les orfèvres de l'Europe. Il est à croire que, dès le commencement du seizième siècle, l'Orfèvrerie française avait abandonné le style gothique et adopté celui de la renaissance italienne, sous l'influence des grands artistes que Louis XII et François Ier avaient attirés en France. Louis XII, voulant retirer l'Orfèvrerie de l'état de langueur dans lequel les guerres du quinzième siècle avaient laissé ce bel art, et donner aux orfèvres français la possibilité de lutter avec les Italiens, leur accorda plus de liberté dans l'exercice de leur profession. Il leva les restrictions que les anciennes ordonnances imposaient à leur industrie, en les autorisant, par une déclaration du 7 février 1510, à battre et forger toute sorte de vaisselle d'argent de tel poids et façon que chacun jugerait convenable. En donnant de tels encouragements à l'Orfèvrerie, le roi suivait les inspirations du cardinal Georges d'Amboise, son ministre, appréciateur intelligent des beautés de l'Orfèvrerie italienne, dont il avait rassemblé de magnifiques productions dans son château de Gaillon. François Ier, qui était passionné, comme chacun sait, pour les arts, avait surtout un goût particulier pour les beaux travaux de l'Orfèvrerie. En succédant à Louis XII, il continua donc d'accorder aux orfèvres une utile protection ; et bientôt, sous son heureuse influence, l'Orfèvrerie française parvint à un haut degré de perfection. On peut ; s'en convaincre par l'éloge que fait Cellini de l'Orfèvrerie parisienne. Suivant lui, on travaillait à Paris, plus que partout ailleurs, en grosserie, ce qui comprenait l'Orfèvrerie d'église, la vaisselle de table et les figures d'argent, et les travaux qu'on y exécutait au marteau avaient atteint un degré de perfection qu'on ne rencontrait dans aucun autre pays (B. CELLINI, Tratt. dell' Oref, p. 130). Le séjour que fit Cellini en France, de 1540 à 1545, dut avoir néanmoins une grande influence sur l'art de l'Orfèvrerie, et principalement sur la bijouterie, dans laquelle il n'avait pas de rival. Tous les bijoux furent alors exécutés chez nous dans le style italien. Ainsi, les sujets mythologiques devinrent fort- à la mode, et exercèrent presque exclusivement l'imagination de nos artistes orfèvres. A défaut de monuments, on en trouverait la preuve dans les jolis dessins gravés, pour servir de modèles aux orfèvres, par Étienne de Laulne, qui était orfèvre lui-même. Les charmants anneaux gravés par Woeiriot, orfèvre lorrain établi à Lyon, où il florissait vers 1560, respirent également le goût italien de cette époque. Aussi, est-il fort difficile de distinguer aujourd'hui les bijoux italiens des bijoux français de la seconde moitié du seizième siècle. On retrouve, au surplus, dans l'Inventaire de la vaisselle et des bijoux de Henri II, fait à Fontainebleau en 1560 (Ms. Bibl. Nationale, fonds Lancelot, n° 9501), tous les bijoux signalés par Cellini dans le chapitre V de son Traité de l'Orfèvrerie : les pendants, les anneaux, les bracelets et surtout ces médaillons qui se portaient dans les cheveux et au chapeau, et sur lesquels étaient exécutées au repoussé de jolies figurines en or. Ces médaillons prirent en France le nom d'enseignes ; ils sont ainsi décrits dans l'inventaire de Henri II : Une enseigne d'or où il y a plusieurs figures dedans, garnie alentour de petites roses. — Une enseigne d'or le fond de lappis, et une figure dessus d'une Lucrèce. — Une enseigne garnie d'or où il y a une Cérès appliquée sur une agathe, le corps d'argent et l'habillement d'or. Bientôt on ne se contenta plus de figurines en or, repoussées et ciselées ; les travaux de glyptique étant alors très en vogue, on tailla en pierres précieuses les figures qui enrichissaient les enseignes ; les vêtements et les accessoires étaient ciselés en or et émaillés ; quelquefois aussi, une partie des figures était exécutée en matières dures, une autre partie en or ciselé. Ainsi, on lit dans le même inventaire : Une enseigne d'ung David sur ung Goliat, la teste, les bras et les jambes d'agathe. On rencontre, dans cet inventaire, des figurines d'animaux qui servaient de pendants : Une licorne d'or émaillée de blanc ; — Un cheval d'or ayant une selle ; — Une salamandre d'or émaillée de vert. Les vases de toutes sortes, en agate, en calcédoine, en prime d'émeraude, en lapis, en jaspe, en cristal de roche, enrichis de montures et de couvercles d'or rehaussés de pierres fines, s'y trouvent aussi en grand nombre, et il n'est pas douteux que, parmi ceux que possède le Musée du Louvre, plusieurs n'appartiennent à des artistes français. Charles IX, en 1572, confirma les privilèges, franchises et libertés que les rois ses prédécesseurs avaient octroyés aux orfèvres, et donna, comme eux, de notables encouragements à l'Orfèvrerie. Les inventaires et les relations des entrées de roi dans différentes villes et des festins royaux nous ont laissé l'énumération et quelquefois la description de pièces d'Orfèvrerie ou de joyaux d'une grande magnificence. L'Orfèvrerie continuait à être exercée avec succès dans plusieurs des grandes villes de France, et les orfèvres parisiens avaient su conserver sous le règne de Charles IX leur ancienne réputation. On peut en juger par la description d'une pièce d'Orfèvrerie que la ville de Paris fit faire pour l'offrir en présent à ce prince lors de son entrée dans la ville, en 1571. Les registres de l'Hôtel-de-Ville nous ont conservé cette curieuse description : C'estoit un grand pied d'estail soustenu par quatre daulphins, sur lequel estoit un chariot triomphant, embelly de plusieurs ornemens et enrichissemens, traisné par deux lions ayans les armoiries de la ville au col. Dans ce chariot estoit assize Cibelle, mère des dieux, représentant la royne mère du roy, accompagnée des dieux Neptune et Pluton, et déesse Junon, représentans Messeigneurs frères et Madame sœur du roy. Ceste Cibelle regardoit ung Jupiter représentant nostre roy, eslevé sur deux colonnes, l'une d'or et l'autre d'argent, avec l'inscription de sa devise : Pietate et Justicia, sur lequel estoit une grande couronne impériale soustenue d'un costé par le bec d'un aigle posé sur la crouppe d'ung cheval sur lequel il estoit monté, et de l'aultre costé, du sceptre qu'il tenoit, et ce comme estant déifié. Aux quatre coings du soubassement de ce pied-d'estail estoient les figures de quatre roys ses prédécesseurs, tous portans le nom de Charles, à savoir Charles-le-Grand, Charles-le-Quint, Charles septième et Charles huitième, lesquels, de leur temps, sont venus à chef de leurs entreprises et leurs règnes ont esté heureux et prospères après plusieurs affaires par eux mises à fin, comme nous espérons qu'il adviendra de nostre roy. Dedans la frise de ce pied-d'estail estoient les batailles et victoires grandes et petites par luy obtenues ; le tout faict de fin argent, doré d'or de ducat, cizelé, buriné et conduict d'une telle manufacture, que la façon surpassoit l'estoffe. Nous avons cru devoir rapporter en son entier cette description, parce qu'elle fait parfaitement connaître le style de l'époque et toute la magnificence qu'on déployait alors dans les grands travaux d'Orfèvrerie. Cette grande pièce était moins importante dans son premier état ; elle ne pesait dans l'origine que quatre-vingt-trois marcs. Le roi, sa mère, ses frères et sa sœur s'y trouvaient seuls représentés. Elle avait sans doute été commencée à l'époque de l'avènement du roi et n'avait pu lui être offerte. En 1570, elle ne parut pas assez riche au prévôt des marchands et aux échevins : ils chargèrent Jehan Regnard, orfèvre de Paris, de refaire la figure du roi, qui d'enfant était devenu homme, et le soubassement, pour y placer les bas-reliefs représentant les batailles de Dreux, de Saint-Denis, de Cognac et de Moncontour ; d'exécuter les quatre rois du nom de Charles, et, pour se conformer sans doute aux modifications que l'architecture avait subies, de refaire droites les colonnes qui étaient torses. Jehan Regnard fut autorisé à employer soixante-douze marcs de vermeil à ces travaux. Le marché passé avec lui, dans lequel nous puisons ces renseignements, ne dit pas que cet habile orfèvre fut l'auteur des premières figures, mais il y a tout lieu de le croire. Ce fut cependant à cette époque, où l'Orfèvrerie exécutait de si belles choses, que les coups les plus funestes lui furent portés : les huguenots détruisirent les vases sacrés, les châsses et les autres instruments du culte catholique partout où ils s'établirent, partout où ils passèrent, et l'on ne saurait dire combien de chefs- d'œuvre de l'ancienne Orfèvrerie nationale périrent par les mains fanatiques de ces nouveaux iconoclastes. C'est de cette époque que date la perte des plus précieux monuments d'Orfèvrerie des temps de saint Éloy, de Charlemagne, de Suger et de saint Louis. Après que Henri IV eut rétabli l'ordre dans le royaume, l'Orfèvrerie, qui avait langui pendant les guerres civiles, reprit un nouvel essor. A l'exemple de ses prédécesseurs, le grand roi se déclara le protecteur de cet art. Il avait fait en 1608 occuper le rez-de-chaussée de la Galerie du Louvre par les premiers artistes peintres, sculpteurs, horlogers, graveurs en pierres fines ; les orfèvres ne furent pas oubliés : plusieurs y furent installés, afin que le roi pût s'en servir au besoin ; ils reçurent le nom d'Orfèvres du roi, et certains privilèges leur furent accordés. Sauvai, dans les Antiquités de la ville de Paris, cite particulièrement Courtois comme celui dont Henri IV faisait le plus de cas. Parmi les orfèvres français du seizième siècle dont les noms sont venus jusqu'à nous, il faut citer, comme les plus célèbres, Bénédict Ramel, qui fit un portrait de François Ier en or ; Claude Marcel, qui avait toute la confiance de Catherine de Médicis ; François Briot, si renommé par ses vases d'étain, dont il sera question plus loin ; Étienne de Laulne ; Woeiriot ; Claude de La Haye et François Desjardins, orfèvres de Charles IX, et Jean de La Haye, fils du précédent, orfèvre de Henri IV, qui fabriqua la plus grande partie de la belle vaisselle de Gabrielle d'Estrées. Les pièces d'Orfèvrerie du seizième siècle, italienne ou française, sont très-rares ; le Musée du Louvre en possède cependant quelques beaux spécimens. Quant aux bijoux, malgré leur perfection, ils n'ont pu résister à l'influence fatale de la mode, et ont été détruits en grande partie au dix-septième siècle et surtout au dix-huitième, à l'époque de Louis XV. Les collections publiques d'Italie n'en ont pas, ou ne les montrent pas. En France, à l'exception de quelques montures de camées qui se trouvent à la Bibliothèque Nationale, les musées en sont tout à fait dépourvus. Le Cabinet des antiques de Vienne en conserve quelques-uns fort beaux. Quant aux autres collections d'Allemagne, les bijoux qu'elles renferment appartiennent à l'art allemand, et plutôt au dix-septième, et même au dix-huitième siècle, qu'au seizième. Il nous reste à parler de deux sortes de vaisselle qui ont joui d'une grande vogue au seizième siècle, et qui se rattachent essentiellement à l'Orfèvrerie : la vaisselle d'étain et la vaisselle émaillée de Limoges. Le prix considérable de la matière et les ordonnances prohibitives du luxe ne permirent pas toujours aux riches bourgeois de posséder des vases d'or et d'argent. Les orfèvres se mirent donc à fabriquer de la vaisselle d'étain et les bourgeois aisés purent parer les dressoirs de leurs salles à manger, de vases qui, par la forme au moins, imitaient l'Orfèvrerie des dressoirs des princes. Ces vases d'étain furent si bien exécutés à la fin du quinzième siècle et au seizième, qu'ils méritèrent de figurer dans la vaisselle des grands seigneurs et des princes eux-mêmes. L'inventaire du mobilier de Charles, comte d'Angoulême, père de François Ier, du 20 avril 1497, fait mention d'une vaisselle d'étain considérable (Ms. Bibl. Nat., fonds des Blancs-Manteaux, n° 49). Il n'est pas douteux qu'un grand nombre de ces vases d'étain si parfaits ne furent coulés dans des moules qui avaient été relevés sur des pièces d'Orfèvrerie finement terminées. Cellini, dans son Traité de l'Orfèvrerie, engage les orfèvres à tirer une épreuve en plomb des pièces d'argenterie exécutées par la fonte, comme les anses et les goulots des aiguières ; à réparer ces pièces et à les conserver pour servir de modèles à d'autres travaux. On verra plus loin que les orfèvres allemands ont souvent suivi cette méthode. C'est à son emploi qu'on doit sans doute la conservation d'une quantité de beaux ouvrages : la richesse de la matière a été la cause de la fonte des originaux en argent ; les épreuves surmoulées en plomb ont survécu, et témoignent aujourd'hui de l'habileté des artistes qui ont exécuté les pièces originales. Les étains de François Briot sont certainement les pièces les plus parfaites de l'Orfèvrerie française au seizième siècle. Les formes gracieuses de ses vases, la pureté de dessin des figurines dont il les décore, la richesse de ses capricieuses arabesques et de ses bas-reliefs, tout, en un mot, est parfait et digne d'admiration dans ses œuvres. On ne sait rien de la vie de cet artiste, mais son effigie nous est connue ; elle se trouve empreinte, avec son nom, au revers de ses plus beaux ouvrages. Il florissait sous Henri II. La vaisselle émaillée de Limoges, dont le prix égale aujourd'hui, s'il ne le surpasse, celui de nos vases modernes en argent, n'a dû cependant être inventée, comme la vaisselle d'étain, que pour fournir aux moyennes fortunes des ornements de dressoir moins coûteux que les pièces d'argenterie. Nous avons dit plus haut que, dès le douzième siècle, Limoges jouissait d'une grande réputation pour ses cuivres émaillés par incrustation, et répandait ses produits dans toute l'Europe ; mais, vers la fin du quatorzième siècle, le goût pour les matières d'or et d'argent et pour les émaux translucides sur relief ayant fait abandonner l'Orfèvrerie de cuivre émaillé, les émailleurs limousins s'efforcèrent de trouver un nouveau mode d'application de l'émail à la reproduction des sujets graphiques. De leurs recherches sortit l'invention de la peinture en émail. Les émailleurs n'eurent plus besoin du secours du ciseleur pour exprimer les contours du dessin ; le métal fut entièrement caché sous l'émail, et, s'il resta encore la matière subjective de la peinture, ce fut au même titre que le bois ou la toile dans la peinture à l'huile : l'émail, étendu par le pinceau, rendit tout à la fois le trait et le coloris. Les premiers essais de cette nouvelle peinture furent nécessairement fort imparfaits ; les procédés s'améliorèrent peu à peu : vers la fin du premier tiers du seizième siècle ils avaient atteint à la perfection. Voici de quelle manière procédaient les peintres émailleurs de cette époque. Avant toute peinture, ils revêtaient leur plaque de cuivre d'une couche, souvent assez épaisse, d'émail soit noir, soit fortement coloré. Sur ce fond ainsi préparé ils établissaient leur dessin, à l'aide de différents procédés, avec de l'émail blanc opaque, de manière à produire une grisaille, dont les ombres étaient obtenues, soit en ménageant plus ou moins le fond d'émail noir lors de l'application de l'émail blanc, soit en faisant reparaître le fond noir par un grattage de l'émail blanc superposé, grattage fait, bien entendu, avant la cuisson. Des rehauts de blanc et d'or donnaient au tableau une harmonie parfaite. Les carnations, légèrement modelées en relief, étaient presque toujours rendues par de l'émail teinté couleur de chair. Si la pièce, au lieu de rester en grisaille, devait être coloriée, les diverses couleurs d'émail semi-transparentes étaient étendues sur la grisaille. La pièce était naturellement portée plusieurs fois au feu pendant ces différentes opérations, qui ne se faisaient que successivement. Ainsi, au moyen de l'addition d'un fond d'émail sur la plaque de cuivre, avant tout travail de peinture, les couleurs, pouvant s'établir librement et à plusieurs reprises, devinrent susceptibles de toutes sortes de combinaisons et de toutes les dégradations de teinte qui pouvaient résulter de leur fusion. Les retouches, devenant très-faciles aussi, permirent de conduire le dessin et le coloris à une grande perfection. Les émailleurs limousins employaient beaucoup d'autres procédés et possédaient une quantité de ressources pratiques dont il est inutile de s'occuper ici. Cependant nous ne pouvons passer sous silence une méthode dont ils faisaient un usage très-fréquent. Dans certaines parties des vêtements et des accessoires ils fixaient sur le fond d'émail une feuille d'or ou d'argent, nommée paillon ou clinquant ; sur cette légère feuille de métal ils peignaient les parties ombrées, puis ils la recouvraient d'un émail coloré translucide : les reflets du métal donnaient à l'émail une vivacité éclatante dont ils savaient tirer le meilleur parti. Jusque vers la fin du premier tiers du seizième siècle, la peinture en émail fut employée presque exclusivement à la reproduction de sujets de piété dont l'école allemande fournissait les modèles ; mais l'arrivée des artistes italiens à la cour de François Ier et la publication des gravures des œuvres de Raphaël et des autres grands maîtres de l'Italie donnèrent une nouvelle direction à l'école de Limoges, qui adopta le style de la Renaissance italienne. Le Rosso et le Primatice peignirent des cartons pour les émailleurs limousins, et c'est ce qui a fait penser qu'ils avaient eux-mêmes peint en émail. Les charmantes planches des graveurs, auxquels on a donné le nom de Petits Maîtres, fournirent aussi de ravissants sujets aux artistes émailleurs. Les émailleurs limousins ne s'occupèrent d'abord que de produire des peintures proprement dites, sur des plaques de cuivre plus ou moins grandes, qu'on enchâssait ensuite dans des montures pour former des diptyques, des triptyques, des cadres d'émaux, des coffrets, ou qu'on appliquait sur des meubles ; mais, à partir de 1540 environ, les émailleurs ne se bornèrent plus à produire de petits tableaux : ils créèrent une Orfévrerie d'un nouveau genre. Des bassins, des aiguières, des coupes, des salières, des assiettes, des vases et des ustensiles de toutes sortes fabriqués avec de légères feuilles de cuivre, dans les formes les plus élégantes, se revêtirent de leurs riches et brillantes peintures. Depuis quelques années, les peintures limousines sont très-recherchées ; tous les musées de l'Europe ont donné une place honorable à ces belles productions de l'art de l'émaillure. Elles sont heureusement encore assez nombreuses et assez connues pour qu'il soit inutile de les signaler. Il nous suffit de faire connaître les noms des émailleurs limousins, qui, au seizième siècle, ont illustré cette charmante Orfèvrerie. En première ligne, il faut placer Léonard, peintre de François 1er, qui fut le premier directeur de la manufacture royale d'émaux fondée par ce prince à Limoges. Viennent ensuite Pierre Raymond, les Pénicaud, les Courleys ou Courtois, Jean Court dit Vigier, M. - D. Pape, Suzanne Court ou Courtois, Martial Raymond, et Jean Limousin, qui, au commencement du dix-septième siècle, était émailleur d'Anne d'Autriche. A la fin du seizième siècle, on faisait, à Venise, des pièces d'Orfèvrerie en cuivre émaillé. Ces pièces, dont le fond est ordinairement en émail bleu, sont décorées d'ornements, d'arabesques ou d'entrelacs en or. Il est très-facile de distinguer cette vaisselle émaillée de celle de Limoges, qui est toujours enrichie de peintures en couleur ou en grisaille. Il nous reste à examiner ce qu'était devenu l'art de l'Orfèvrerie en Allemagne, au commencement du seizième siècle. L'influence de l'école italienne s'était fait sentir dans ce pays tout autant qu'en France. Nuremberg et Augsbourg étaient alors les j principaux centres de la fabrication de l'Orfèvrerie. Plus tard, Dresde, Francfort-sur-Mein et Cologne produisirent également d'habiles orfèvres. Les orfèvres de Nuremberg conservèrent dans leurs productions, beaucoup plus longtemps que ceux d'Augsbourg, un certain sentiment de l'art allemand ; mais, dans la seconde moitié du seizième siècle, les productions de l'Orfèvrerie allemande se confondent tellement avec celles des artistes de l'Italie, dans tout ce qui se rapporte à l'exécution des figures, des bas-reliefs et des ornements, qu'il serait fort difficile de distinguer les unes des autres, si ce n'était la forme des vases, qui conserva presque toujours une empreinte d'originalité. Rien de plus gracieux, au surplus, que les arabesques dont sont enrichis les vases de l'Orfèvrerie allemande de cette époque ; rien de plus ravissant que les figurines qui se contournent pour en former les anses. A la fin du seizième siècle et surtout au commencement du dix-septième, le goût très-prononcé pour ces espèces de grands nécessaires, auxquels on a donné le nom de cabinets et qui se fabriquaient principalement à Augsbourg, vint fournir aux artistes orfèvres de fréquentes occasions d'exercer leur talent dans l'exécution des statuettes et des bas-reliefs d'argent dont les plus beaux de ces meubles étaient souvent enrichis. Les orfèvres de Nuremberg et d'Augsbourg produisirent alors des morceaux de sculpture, qui sont souvent très-remarquables par la sagesse de la composition, la pureté du dessin et le fini de l'exécution. L'Allemagne, plus soigneuse que la France de la renommée de ses enfants, a conservé un grand nombre d'ouvrages sortis des mains de ces habiles artistes. La Chambre du trésor du roi de Bavière et le Trésor impérial de Vienne renferment beaucoup de jolis vases de différentes formes, rehaussés de fines ciselures et de figures émaillées. Le Grüne Geicolbe n'est pas moins riche. Parmi les pièces les plus remarquables dont les auteurs sont connus, ce musée conserve, de Wenzel Jamnitzer de Nuremberg (1508-1586), un coffret en argent ; de D. Kellerthaler, qui florissait à la fin du seizième siècle, le bassin baptismal de la famille électorale de Saxe et son aiguière, pièces qui sont regardées comme le chef-d'œuvre de cet artiste ; un autre bassin exécuté au repoussé qui reproduit des sujets de la fable, et un grand nombre de bas-reliefs. La Kunstkammer de Berlin possède aussi plusieurs pièces d'Orfévrerie, parmi lesquelles on doit signaler, de Jonas Silber, de Nuremberg, une coupe portant la date de 1589, qui est ornée de ciselures d'une grande perfection ; de Christophe Jamnitzer, de Nuremberg (1563-1618), neveu et élève de Wenzel Jamnitzer, un surtout de table figurant un éléphant conduit par un Maure et qui porte sur son dos une tour contenant cinq guerriers ; de Hans Pezolt, de Nuremberg († 1633), un portrait en médaillon d'Albert Dürer ; de Matthäus Walbaum, qui florissait à Augsbourg en 1615, les statuettes d'argent qui enrichissent le magnifique cabinet fait pour le duc de Poméranie. Nous pouvons citer encore une très belle médaille de Charles-Quint, par Heinrich Reitz, orfèvre de Leipzig. Un grand nombre de monuments, en or et en argent, subsistent donc encore pour faire apprécier le mérite des artistes-orfèvres de l'époque dont nous nous occupons. Au surplus, pour suppléer aux originaux en argent qui ont été fondus, on a rassemblé dans la Kunstkammer une très-grande quantité de beaux bas-reliefs en plomb et plusieurs vases en étain, enrichis d'arabesques et de figurines, que l'on regarde comme des épreuves de pièces d'Orfèvrerie des seizième et dix-septième siècles. Il faut nommer, parmi les artistes qui ont le plus contribué à la bonne direction donnée à l'Orfèvrerie allemande au seizième siècle, Théodor de Bry, né à Liège en 1528, mort à Francfort-sur-le-Mein en 1598. Il a gravé une foule de jolis dessins pour les orfèvres. Ses pendants de clefs, ses manches et ses gaines de couteau sont ravissants par le style et le fini de l'exécution. Bien que Théodor de Bry soit plus connu comme graveur que comme orfèvre, il n'est pas douteux qu'il n'ait ciselé lui-même, en argent et en or, quelques-unes des pièces dont il a fourni les dessins. Le Grüne Gewolbe conserve une table d'argent renfermant cinq médaillons d'or, entourés d'arabesques et de tètes d'empereurs romains, qui porte le monogramme T. B., et que l'on regarde comme sortie de ses mains. Nous ne devons pas oublier non plus Jean Collaert, graveur à Anvers, né en 1540, qui a laissé deux suites de modèles de bijoux d'une grande finesse d'exécution. Durant le premier tiers du dix-septième siècle, l'Orfèvrerie conserva encore en France et en Allemagne le caractère du style du seizième. De très-belles pièces en Orfèvrerie sculptée et émaillée de l'époque de Louis XIII, que conserve le Musée du Louvre, témoignent du mérite des artistes qui florissaient alors. Sous Louis XIV, dans l'Orfèvrerie comme dans les autres arts, on abandonna la délicatesse du style de la Renaissance italienne pour rechercher des formes plus grandioses. Le grand roi fit faire des pièces d'Orfèvrerie d'un poids énorme qui pouvaient être regardées comme de beaux objets d'art. Le peintre Lebrun, qui dirigeait tous les artistes, en avait fourni les dessins ; Balin et Delaunay, les plus habiles orfèvres du temps, les avaient exécutées. Louis XIV entretenait encore d'autres orfèvres à son service. Labarre, les deux Courtois, Bassin, Roussel et Vincent Petit avaient tous des logements au Louvre ; Julien Defontaine, qui y était également établi, avait une grande réputation pour ses joyaux. Le célèbre sculpteur Sarazin lui-même († 1660) s'occupa d'orfèvrerie, et fit pour le roi des crucifix en or et en argent d'une grande beauté. (CHARLES PERRAULT, Les Hommes illustres.) L'Orfèvrerie du commencement du règne de Louis XIV était donc encore empreinte d'un grand caractère artistique. Malheureusement, il reste bien peu de productions de cette brillante industrie. En 1688, pour faire face aux dépenses de la guerre, il fut ordonné que tous les meubles d'argent massif que possédaient les grands seigneurs seraient portés à la Monnaie. Le roi donna l'exemple : il fit fondre ces tables d'argent, ces candélabres, ces grands sièges d'argent, enrichis de figures de ronde bosse, de bas-reliefs, de fines ciselures, chefs-d'œuvre sortis des mains de Balin. Sous Louis XIV, les bijoux subirent une transformation plus sensible que les pièces d'Orfèvrerie. Au seizième siècle, les pierres ne servaient le plus souvent que d'accompagnement aux jolies figurines ciselées et émaillées des orfèvres de l'école italienne ; au dix-septième, les pierres deviennent l'objet principal des bijoux : l'or ciselé en guirlandes, en fleurs, en ornements de toutes sortes, n'est plus employé que pour les enchâsser et les faire valoir. Au dix-huitième siècle, la pureté du style fut complètement mise en oubli ; on rechercha le maniéré et le bizarre. La bijouterie est, de tous les arts industriels, celui qui, en suivant cette voie, peut encore, par l'élégance de la forme, la finesse de l'exécution et la richesse des accessoires, mettre au jour de charmantes productions. Le goût qui régnait en France à la fin du dix-septième siècle se répandit dans toute l'Europe ; l'Italie elle-même, au commencement du dix-huitième, avait abandonné le style ravissant dont les grands orfèvres des quinzième et seizième siècles avaient empreint leurs admirables travaux. L'Allemagne, qui les avait imités si fidèlement, fut peut-être de tous les pays celui où l'on s'écarta davantage des traditions du seizième siècle. On voit, dans ses musées, une quantité de vases dont la panse est formée de nacre de perle, de corne de rhinocéros ou d'œuf d'autruche, et qui ont des montures singulières. Le travail est toujours d'une exécution très-soignée ; l'artisan est toujours très-habile, mais la pureté du style a disparu de ses compositions ; les perles baroques jouent un grand rôle dans la bijouterie. Cependant plusieurs orfèvres allemands, entre autres Raimund Falz et Johann Andreas Thelot, avaient conservé, jusque dans les premières années du dix-huitième siècle, quelques belles traditions de la Renaissance. JULES LABARTE. |