LE MOYEN-ÂGE ET LA RENAISSANCE

PREMIÈRE PARTIE. — MŒURS ET USAGES

MŒURS ET USAGES DE LA VIE PRIVÉE

 

MODES ET COSTUMES.

 

 

L'HISTOIRE du Costume, depuis la chute de l'empire romain jusqu'au dix-septième siècle, demanderait plusieurs volumes pour être suivie pas à pas dans chacune de ses phases. L'espace qui nous est réservé dans ce chapitre ne nous permet pas de nous étendre ainsi que nous l'aurions voulu et que le sujet l'eût exigé peut-être. Nous nous contenterons de classer par grandes divisions les différents âges de cette grande chronique des Modes, qui offre à l'étude plus d'observations curieuses qu'on ne serait tenté de le croire.

Les transformations qui s'opèrent dans les Costumes des peuples ne sont jamais produites par l'effet d'un caprice de son imagination ou de sa fantaisie.

Costumes et mœurs ou idées vont ensemble. Ainsi, par exemple, chez des peuples qui ne cherchent point, dont les coutumes sont fixées par un long usage, on trouve la même fixité dans la façon de se vêtir. Au contraire, chez les peuples dont les idées sont vagabondes, qui sont en quête d'un ordre social non encore rencontré, tels enfin que furent et que sont les peuples de l'Europe depuis la chute de l'empire romain — dont les matériaux, encore roulants çà et là, aveuglent les yeux de leur poussière — ; chez ces nations indécises, l'incertitude des idées se traduit par de continuels changements dans le Costume, et les bizarreries les plus extraordinaires se produisent avec tyrannie sous ce nom de Mode, ignoré des anciens.

Nous devrons d'abord établir deux grandes divisions : le vêtement long et le vêtement court, et subdiviser ensuite ce dernier, qui marche parallèlement avec les péripéties et le classement des idées suggérées par un système entièrement nouveau, dont la naissance peut se placer au quatrième siècle, et qui, depuis ce temps, poursuit une marche incessante, au terme de laquelle il semble encore loin d'être parvenu.

La première division comprend le vêtement long, puisqu'il était uniformément celui des anciens, et le fut constamment jusqu'à l'apparition des nations du Nord et de l'Est, ou plutôt jusqu'à l'envahissement de l'Europe par ces peuples si longtemps refoulés et contenus aux extrêmes limites du monde civilisé.

Dans ce vêtement long, celui des femmes différait peu de celui des hommes. Les Grecs n'ont guère varié ; mais les Romains, conquérants de l'univers, ont quelquefois modifié le leur, s'appropriant ce qui leur semblait commode dans le Costume et les armes des vaincus. Ainsi, on voit ces armées, revenant de la Germanie et de l'Orient pour terminer les querelles sanglantes occasionnées par l'extinction de la race des Nérons, rapporter à Rome des Costumes offensants pour des yeux qui n'avaient point encore totalement oublié les mœurs de la République. Néanmoins, le fond de l'habillement est toujours demeuré le même ; il peut se renfermer en entier dans la tunique (vêtement de dessous), la chlamyde, la loge et le pallium (manteau), avec des distinctions peu marquées, malgré les appellations particulières : ainsi, la tunique simple à manches courtes et courte de la robe était la même que la tunique chiridola, ou manuleata, ou talaris, ou palmata, et il en était ainsi des autres pièces de l'habillement. Les lacerna, lœna, cucullus, chlaina, sagum, paludamentum, étaient des vêtements de dessus plus ou moins grossiers, mais entièrement analogues à nos manteaux, cabans, etc., et le flammeum était un voile de cérémonie ; mais rien ne différentiait essentiellement le Costume, pas plus que les diverses dénominations des chaussures n'en changeaient l'économie primordiale.

Les invasions ont mis un terme à cet état de choses, et c'est d'elles que date, a proprement parler, l'histoire de l'habillement moderne, à peu près romain, c'est-à-dire se modifiant petit à petit jusqu'au neuvième siècle, puis se modifiant de plus en plus, pour enfin disparaître vers le quatorzième.

Il était naturel que des hommes, vivant dans un climat plus que tempéré, ne marchant armés que pour le service de l'État, se contentassent de vêtements qui pussent les couvrir sans être adhérents au corps.

Les nations du Nord, au contraire, avaient dû de bonne heure songer à se garantir des rigueurs du pays qu'elles habitaient. Ainsi, les vêtements connus chez eux sous les noms de brayes, de saravara chez les Scythes, sont l'origine certaine de ceux qui chez nous se sont nommés chausses, hauts-de-chausses, trousses, grègues, culottes, pantalons, charivaris, etc.

Ces peuples avaient encore d'autres raisons pour que le vêtement court leur fût approprié : une turbulence qui les forçait à ne jamais se séparer de leurs armes, leurs habitations dans des forêts et des halliers, la passion de la chasse, et l'habitude de se couvrir de fer.

Les anciens, Grecs et Romains, allaient, en général, nu-tête, et, à la campagne, se coiffaient de chapeaux — dont nous avons conservé la forme.

Les Barbares marchaient aussi tête nue, ou se coiffaient, sans régularité, de bonnets dont la forme nous est peu connue et qui se composaient de peaux de bêtes. Les chaussures et les coiffures à formes déterminées appartiennent à une époque plus avancée. Ce n'est aussi que dans des temps plus modernes que l'on peut s'occuper du vêtement des femmes, qui, dans tous les temps, ont porté ce que nous connaissons sous le nom générique de robes : seulement, chez les anciens, on peut dire que, pour les femmes, l'usage de la ceinture était restreint ; que, lorsqu'elles s'en servaient, elles le faisaient de la même façon que les hommes se servent de ceinturons, et que les ceintures n'étaient point adhérentes au vêtement. La grande différence est la ceinture devenue partie de la robe et marquant invariablement la taille longue ou courte, selon que l'exige la Mode du moment. De même pour les hommes, la révolution complète s'est opérée du moment où l'invention des manches a surgi. Ainsi, vêtements adhérents pour les membres inférieurs, manches pour les membres supérieurs, tailles marquées et fixes pour les robes des femmes, voilà le thème sur lequel vont rouler les innombrables fantaisies de la Mode.

Avant d'entrer dans le détail des variations du Costume, il est convenable de marquer à l'avance deux grandes divisions de cette longue route : l'une, conséquence de ce mouvement vers l'Orient, né à la fin du onzième siècle sous le nom de croisades, qui remit l'Occident en communication avec le berceau du monde, et changea considérablement le cours des idées et, par suite aussi, des habitudes ; l'autre, suite d'une cause particulière à la France (bien que le reste de l'Europe en ait ressenti les effets), c'est-à-dire de cet infaillible instinct de toutes les nations qui, à la suite de longues commotions à l'intérieur, les pousse au dehors et qui obligea, sous les prétextes les plus vains, les Français à tourner les yeux vers l'Italie, après que la retraite des Anglais et l'apaisement des querelles entre les princes de la maison royale, terminées par la mort sanglante du dernier duc de Bourgogne, leur eut laissé un peu de loisir. Ces deux grands événements ont, l'un préparé, l'autre accompli la révolution du Costume et séparé entièrement l'ancien du moderne. Plusieurs raisons faciles à déduire faisaient de l'Italie un pays bien plus avancé que le reste de l'Europe, le Costume avait dû s'en ressentir ; c'est ce qui était arrivé, en effet, ainsi que nous le dirons plus tard. Pour notre part, nous commencerons nos investigations vers le cinquième siècle, au temps de Clovis ; c'est, à proprement parler, à ce moment que peut se rapporter la fusion du Costume romain avec le Costume barbare, le vêtement long et sans forme combiné avec l'habillement court et les braves des peuples germains et scythes. Ainsi, Clovis, que nous prenons pour point de départ, est revêtu de la tunique et de la loge, ou de la chlamyde, mais avec l'adjonction de ce que nous traduisons par le mot pantalon, et, en outre, portant la tunique serrée par une ceinture ; ce qui, au reste, n'est pas encore une innovation. La chaussure, aussi, n'a rien encore de bien particulier, car la chaussure fermée, le soulier, en un mot, est de toute antiquité et se retrouve chez toutes les nations. Le manteau n'était pas, non plus, une nouveauté ; les femmes, à cette époque, portaient une longue robe ceinte par le milieu. La première remarque essentielle est l'observation des ornements, dont les Francs enrichissaient leurs ceintures, les bords ou orles de leurs tuniques, ainsi que celui de leur manteau (ancien sagum de leurs ancêtres). Ce goût leur venait de l'empire d'Orient, qui, transporté, dans le troisième siècle, de Rome à Constantinople, n'avait pas tardé à s'assimiler ce luxe de pierreries et de riches bigarrures, familier de tous temps aux peuples d'Asie. Ainsi, Clovis et ses successeurs portaient des vêtements très-ornés. Ce que nous disons des vêtements des hommes s'applique de même à ceux des femmes. Clovis (508), ayant reçu de l'empereur Anastase des lettres de consul, fut revêtu, dans la basilique de Saint-Martin (à Tours), de la tunique de pourpre et de la chlamyde, et posa la couronne sur sa tête ; ensuite, étant monté à cheval, il jeta, de sa propre main, avec une extrême bienveillance, de l'or et de l'argent au peuple assemblé sur le chemin qui est entre la porte du vestibule de la basilique de Saint-Martin et l'église de la ville, et depuis ce jour, il fut appelé consul ou auguste. Ayant quitté Tours, il vint à Paris et y fixa le siège de son empire (GRÉGOIRE DE TOURS).

Il est bon néanmoins d'observer que le véritable Costume de ce temps (cinquième siècle) est bien difficile, sinon impossible à préciser. Les écrivains qui en ont parlé l'ont fait très-vaguement, ou n'étaient point contemporains ; et les monuments qui les représentent datent de siècles très-postérieurs et d'un temps où les artistes statuaires et imagiers étaient infiniment peu curieux de recherches et n'imaginaient pour un autre temps rien de différent de ce qui se passait du leur. Pour entrer dans la vérité, il faut, d'une part, se rappeler ce que dit Tacite : Les Germains étaient presque nus (sauf les brayes), et les plus riches d'entre eux portaient des vêtements courts et serrés, et sur l'épaule droite un petit manteau carré (TACITE, De morib. Germanorum) ; puis, se reporter au Costume romain décrit ci-dessus et imaginer le mélange de ces deux systèmes ; seulement, la tunique et la toge, chez les Francs et dans l'empire d'Orient, sont beaucoup plus longues qu'elles ne l'étaient dans l'Occident. Voici, en parlant des Francs, la sauvage peinture qu'en fait Sidoine Apollinaire : Ils relevaient et rattachaient sur le sommet du front leurs cheveux, d'un blond roux, qui formaient une espèce d'aigrette et retombaient par derrière en queue de cheval. Leur visage était entièrement rasé, à l'exception de deux longues moustaches tombant de chaque côté de la bouche. Ils portaient des habits de toile, serrés au corps et sur les membres avec un large ceinturon auquel pendait l'épée.

Lorsque, après Clovis, la conquête assurée du territoire et l'adoption de la religion chrétienne eurent donné naissance à deux ordres dans l'État, celui de la noblesse et celui du clergé, ce fut alors seulement que les différents Costumes, et le Costume en général, purent prendre une forme certaine. Les nations germaniques (barbares) n'avaient point deux sortes de vêtements, l'un pour la paix, situation qui leur était inconnue, l'autre pour la guerre, leur état constant ; les ministres de leur culte étaient uniformément revêtus de longues robes, vêtement plus solennel ; mais, quoique formant le premier ordre de l'État, ils n'étaient point ce que nous avons entendu et entendons par ordre ou classe.

A la différence des Romains, les Francs, de race noble, portaient la chevelure longue et la barbe, et l'usage des prêtres chrétiens était depuis longtemps de porter aussi la chevelure et la barbe (TERTULLIEN, troisième siècle ; saint JÉRÔME, quatrième siècle) ; mais ceci n'entre point dans notre cadre ; l'habit ecclésiastique n'a point varié et ne peut tenir sa place dans la description des Modes : il ne peut être cité que pour mémoire ou lorsqu'un luxe inaccoutumé le rendra remarquable. Ainsi, au septième siècle, nous voyons saint Éloi revêtu des ornements les plus splendides. Néanmoins, les Francs se piquaient d'élégance ; nous en voyons un exemple dans le voyage de Rigonthe, fille de Chilpéric, allant trouver le roi des Goths d'Espagne, avec qui elle fut fiancée (GRÉGOIRE DE TOURS). Rigonthe, fille de Chilpéric, s'avança jusqu'à Toulouse, avec ses trésors ; voyant qu'elle touchait à la frontière des Goths, elle commença à retarder sa marche, d'autant plus que les siens lui disaient qu'il fallait qu'elle s'arrêtât en cet endroit, parce qu'ils étaient fatigués du voyage, que leurs habits étaient sales, leurs chaussures usées, et que les harnais de leurs chevaux, les voitures et les chariots dans lesquels ils étaient montés, étaient en mauvais état. Ils prétendaient qu'il fallait d'abord remettre en bon ordre toutes ces choses, pour continuer leur voyage et paraître avec élégance devant son futur époux, de peur que, s'ils arrivaient mal équipés chez les Goths, on ne se moquât d'eux. (GRÉGOIRE DE TOURS) Mais, redisons-le encore, avant le temps où des images ont pu reproduire les Costumes et laisser deviner, au travers de leur imperfection, un habillement, les données sont incertaines, et l'on ne peut recueillir çà et là qu'un petit nombre d'indications, portant, au reste, bien plus sur les ornements accessoires que sur le fond du Costume, encore très-uniforme.

Les Saxons (Germains du Nord), quand ils avaient leur parure de cérémonie, portaient une large tunique à manches, qui allait jusqu'aux malléoles, et, par-dessus, une longue robe (manteau) attachée aux épaules et tenant sur le milieu de la poitrine par une boucle. Les bords et le corps de leurs vêtements étaient souvent garnis d'une large broderie d'or ou ornés de diverses couleurs. Les gens du commun portaient des justaucorps allant aux genoux et un petit manteau sur l'épaule gauche. Les femmes portaient de longues robes lâches, ornées aussi sur les bords, et des souliers, ainsi que les hommes. En un mot, la plus grande uniformité de vêtements règne parmi toutes les nations envahissantes, venues du Nord et de l'Ouest septentrional à la grande curée de l'empire, sur quelque point de l'Europe qu'elles se soient arrêtées et quelque nom qu'elles aient pris.

Au septième siècle, les invasions arabes-sarrasines vinrent modifier les Costumes du Midi et notamment des Espagnes ; et l'habillement germanique des Goths et des Visigoths, déjà dénaturé par la température méridionale, s'amalgama avec l'habillement asiatique des conquérants et devint, de gradations en gradations, l'habit espagnol, qui finit par régner despotiquement en Europe au dix-septième siècle. En 865, nous voyons Charles-le-Chauve recevoir à Compiègne les messagers qu'il avait envoyés l'année précédente à Mahomet en la ville de Cordoue, et qui reviennent, lui rapportant beaucoup de présents, à savoir : des chameaux, des lits, des tentes, diverses espèces d'étoffes et beaucoup de senteurs. (Annales de Saint-Bertin.)

Avant d'aller plus loin, il sera bien, nous le pensons, de remarquer que jamais une Mode ou façon de Costume n'a changé brusquement, que toutes viennent d'une forme primitive, adoptée d'abord par un motif d'utilité ou de commodité, et n'arrivent que par une suite de nuances légères à se transformer entièrement ; la fantaisie humaine ne saurait atteindre à autre chose que le vêtement court ou le vêtement long, lâche ou serré : elle ne peut se dédommager que par les formes bizarres dont elle entoure ces bases primitives et inévitables, ou bien par la manière de se servir des longs vêtements, tels que des manteaux. Les femmes, par exemple, lorsque ces vêtements étaient d'étoffes légères, les faisaient parfois passer sur la tête et servir de coiffure ou de voile. Les seules exceptions à cette règle générale sont les coiffures des femmes, depuis le Moyen Age jusqu'à nos jours, et, pour les hommes, l'habillement depuis Louis XII jusqu'à la réadoption du pantalon et de la redingote ; et pourtant, l'inconcevable dégénérescence du pourpoint en habit Louis XV peut encore être parfaitement suivie dans ses phases. Quant aux coiffures de femmes, la chose est plus difficile, sinon tout à fait impossible.

Charlemagne, selon Eginhard, ne portait en hiver (768) qu'un simple pourpoint de peau de loutre sur une tunique de laine bordée de soie ; il mettait sur les épaules un sayon (sagum) de couleur bleue, et pour chaussures, il se servait (sur son pantalon ou brayes), de bandes de diverses couleurs, croisées les unes sur les autres. Dans le Costume d'apparat, il portait le long manteau et la chaussure échancrée. Voici donc, à la fin du huitième siècle, Charlemagne vêtu comme les princes du cinquième siècle, et ce Costume, mi-parti franc, mi-parti romain, nous conduira bien plus loin encore. Ceci revient à l'observation que nous avons faite en commençant : malgré les révolutions de palais, les mouvements de dynasties, les scènes de violences qui avaient lieu parmi les grands, nul changement social, nulle tendance même de changement ne se glissait dans les mœurs de la nation, mœurs encore patriarcales à certains égards. Il n'en fut pas de même après Charlemagne, lorsque les invasions des Normands eurent obligé les communes à se renfermer autant que possible, ou plutôt (car il n'y avait pas de communes) à s'agglomérer autour des nobles et des moines, qui se fortifiaient et commençaient (les seigneurs au moins) à quitter les plaines et à se retirer sur les lieux élevés.

De ce moment-là, disons-nous, on peut remarquer un grand changement dans les Costumes : les seigneurs eurent le leur ; la bourgeoisie naissante en affecta un ; le clergé, puis les marchands, et enfin les paysans, serfs ou non. N'oublions pas d'observer que les reines de la seconde race portaient les cheveux longs, non retroussés, pendants en deux ou trois longues tresses. Cette coutume s'est conservée longtemps.

Ce mouvement dans les Costumes, suite naturelle de la démarcation prononcée entre des positions sociales qui, bien que différentes en réalité, n'avaient point encore bien précisé ces différences, fit que les ordres les plus éminents cherchèrent tout d'abord à se distinguer des autres classes, et c'est ce désir de distinction qui, sans aucun doute, donna naissance au despotique être de raison si bien connu sous le nom de Mode.

Le clergé conserva son Costume grec avec quelques changements légers ; mais les seigneurs et les dames voulurent différencier leur coiffure, leurs vêtements de corps et leur chaussure ; les bourgeois, mayeurs, scabini, maimbourgs, etc., durent adopter un Costume qui ne fût ni celui des nobles, ni celui des paysans, manants et habitants, ni celui des gens de bas étage suivant les guerres et les seigneurs. Ce qui eut lieu pour les hommes eut lieu de même pour les femmes, et de ce moment, depuis l'établissement régulier de la féodalité en Europe, il est facile de pressentir quel vaste champ est ouvert aux Modes.

Nous avons vu combien, sous Charlemagne (commencement du huitième siècle), le Costume était encore simple, mi-parti romain, mi-parti barbare. Ce qui avait lieu pour la France avait lieu aussi pour les autres pays : Charlemagne, c'était l'empire. Cet état de choses se prolongea jusqu'au onzième siècle. Cependant le lecteur verra ici avec plaisir le Costume du baptême d'Hérold, roi des Danois, converti par l'impératrice Judith, femme de Louis-le Débonnaire, en 826 :

Hérold, couvert de vêtements blancs, le cœur régénéré, se rend près de son, illustre parrain. D'après ses ordres, Hérold revêt une chlamyde, tissue de pourpre écarlate et chargée de pierres précieuses, autour de laquelle circule une broderie d'or. Il ceint l'épée fameuse que Charles lui-même portait à son côté, et qu'entourent des cercles d'or symétriquement disposés à chacun de ses bras et attachés avec des chaînes d'or. Des courroies enrichies de pierres précieuses enveloppent ses cuisses ; une superbe couronne, ornement dû à son rang, surmonte sa tête ; des brodequins d'or renferment ses pieds ; sur ses larges épaules brillent des vêtements d'or, et des gants blancs ornent ses mains. L'épouse de ce prince reçoit, de la reine Judith, des présents non moins dignes de son rang et d'agréables parures. Elle passe une tunique entièrement brodée d'or et de pierreries ; un bandeau, décoré de pierres précieuses, ceint sa tête ; un large collier roule sur son sein ; un cercle d'or flexible et tordu embrasse son col ; ses bras sont serrés dans des bracelets tels qu'en portent les femmes ; des cercles minces et pliants, d'or et de pierres précieuses, couvrent ses jambes, et une cape d'or tombe sur ses épaules. Le reste de la foule des Danois est également couvert d'habits francs. (ERMOLD LE NOIR.)

 

Nous ne pouvons, en réalité, signaler aucun changement notable, dans la manière de se vêtir, avant le onzième siècle, jusqu'à Louis le Gros, quoique la féodalité fût établie antérieurement ; les Costumes nationaux avaient alors une durée extrême, ne s'altéraient que lentement, petit à petit, et ils ne prirent depuis une grande mobilité que dans les cours des souverains : la mode était chose encore ignorée, bien que les rois et les grands fussent entourés d'un grand nombre de serviteurs, mais de serviteurs armés.

Les Normands, arrivés avec leur Costume court et leurs cottes de mailles, fixés en France vers 972, adoptèrent l'habillement des Français, en suivirent toutes les phases ; puis, dans le siècle suivant, ayant trouvé en Angleterre Saxons et Bretons revêtus du Costume de leurs ancêtres modifié par l'habit romain, ils commencèrent à y opérer de grands changements, parallèlement à ceux qui avaient lieu en France. (Yves de Chartres.)

Ce qui commença à distinguer les classes, ce fut la coiffure, au douzième siècle. On voit, sur la tête d'un comte de Flandres (Charles-le-Bon) mort en 1127, un bonnet ayant une pointe ; à cette pointe fait suite une longue queue venant se nouer autour du bonnet, qui a un retroussis par-devant. Cette image, tirée du cabinet du président Richardoti et rapportée par Montfaucon, offre aussi un collier à grains, un collet et un justaucorps boutonné par-devant avec des boutons ronds. On voit un bonnet, de forme à peu près semblable, mais sans queue, avec la pointe tournée vers la gauche, à Geoffroy-le-Bel, comte du Maine, en 1150. Vers le même temps, on voit Agnès de Baudement coiffée d'une sorte de bonnet en linge ou étoffe avec des ailes allongées pendantes sur les épaules ; elle est vêtue d'une robe ceinte par le milieu du corps ; elle porte, vers les poignets, de longues bandes pendantes. La reine Ingeburge, seconde femme du roi Philippe-Auguste, porte aussi la robe ceinte, arrêtée au col avec une boucle ronde et deux bandes formant collier, la chaussure fermée et déjà pointue, le manteau long sur les épaules. Robert, comte de Dreux, est vêtu entièrement de même ; seulement, sa robe ne vient qu'aux chevilles et sa ceinture n'a point de pendants par-devant. La reine a les cheveux longs et tombants. On portait alors à la ceinture une escarcelle qui faisait la fonction de poches. A ce moment-là, les croisades, entreprises dès 1099, étaient en pleine vigueur, et l'usage des armoiries avait commencé. Alors les chevaliers mirent par-dessus leur haubert de mailles la longue tunique, mais sans manches, qui était leur vêtement habituel, et l'ornèrent de leur blason ; les dames firent de même, et leurs robes commencèrent à être armoriées de leur blason et de celui de leur mari.

Les femmes portaient souvent à leur parure de tête une sorte de ligature ou mentonnière qui encadrait le visage ; hommes et femmes avaient, sur la chaussure, des bandes de couleur, dessinant les contours du pied, le séparant dans sa longueur, et se nouant autour des chevilles en forme d'attaches de sandales.

Les robes d'hommes et de femmes, qui ne diffèrent qu'en longueur, montent jusqu'à la naissance du col ; quelquefois les hommes portent sur la robe une tunique, ouverte aux épaules, sans manches, et fendue vers la base. Mais tous ces Costumes sont très-uniformes. Jeanne, comtesse de Toulouse et de Poitiers, femme d'Alphonse, frère de saint Louis, porte des manches étroites, venant aux poignets et boutonnées en-dessous ; elle porte aussi la guimpe de religieuse (usage assez fréquent). Au sacre de Louis IX en 1226, les seigneurs portent le mortier (bonnet) bordé de fourrures ; les évêques, les chapes, la crosse, et la mitre ouverte à deux pointes. (MONTFAUCON, Monum. de la Monarchie franç.) Louis IX, dans un portrait fait en 1262 (Sainte-Chapelle de Paris) à l'âge de treize ans, a les cheveux courts, un bonnet ou mortier de velours rouge, une tunique, et, par-dessus, un manteau ouvert par-devant, avec de très-longues manches, ouvertes dans une partie de leur longueur pour le passage des bras. Ce manteau a des revers et ce que nous nommons un châle de fourrure. Le jeune roi a des chausses et des souliers emboîtant le pied en forme précise de pantoufles hautes ; il tient un oiseau sur la main gauche gantée ; il porte un collier riche. La reine Marguerite de Provence, sa femme, porte une robe à corsage serré évasé aux hanches, avec manches longues et étroites ; un manteau fleurdelisé à longues manches fendues, bordées d'hermine ; une coiffure beaucoup plus large que la tête, et, par-dessus, une bande, ou voile plié, qui vient passer sous le menton sans être adhérente au visage. On trouve, dans les Portefeuilles de Gaignières, un fils de saint Louis, revêtu d'une vraie redingote à raies. Est-ce un portrait authentique ? Toujours est-il qu'à dater de ce règne, les robes à corsage sont adoptées, et que les femmes portent, par-dessus, une soubreveste serrée, descendant un peu au-dessous des hanches, très-souvent en fourrure quand le reste de la robe est armorié, quelquefois armoriée quand le reste de la robe est uni. Elles commençaient à porter aussi les cheveux nattés, descendant sur les côtés de la figure jusqu'au col et couverts d'ornements, métaux et perles par bandes. Jeanne, reine de Navarre, femme de Philippe-le-Bel, porte un voile terminé par un bonnet en pointe rabattue ; sur les retroussis du bonnet, ses cheveux épais, en boucles, des deux côtés de la figure ; une mentonnière, une guimpe rabattue en deux pointes sur la poitrine ; une robe boutonnée à un rang par-devant ; les manches étroites et longues ayant au poignet une petite fente fermée par un bouton, et une seconde robe-manteau, fendue au milieu de la manche large. Le Costume des hommes n'à encore rien de changé. (MONTFAUCON, Monuments de la Monarchie franç.)

Nous devons, avant d'aller plus loin, prévenir une objection qui peut-être se présentera à plusieurs lecteurs ; c'est que nous ne parlons que de Costumes de rois, de reines et de grands seigneurs. La réponse est facile : c'est à peine si nous avons, pour ces époques, des notions tant soit peu précises sur les sommités de la société ; les Costumes du peuple nous échappent presque entièrement.

Néanmoins, on peut assurer que l'habillement des hommes, dans les classes inférieures, a constamment été court et serré ; consistant, pour les brayes, en peaux tannées la plupart, en tuniques courtes et serrées, et en manteaux ou sagums d'étoffes brunes ou grossières. La tunique était retenue par une ceinture où se suspendaient le couteau, l'escarcelle — depuis nommée aumônière pour les gens riches —, et quelquefois la cognée servant au travail. La coiffure du peuple tut presque partout un bonnet simple, souvent en fourrure commune ; mais les bonnets, de différentes formes, mortiers et bonnets h queue, avaient été d'assez bonne heure adoptés par les nobles, qui s'en couvraient la tête, lorsqu'ils ne portaient pas leur heaume. Néanmoins, au temps de saint Louis, en se débarrassant du heaume, on se coiffait d'un chapel de fer. (JOINVILLE.)

Les bonnets sont donc d'une époque postérieure. Voilà l'époque des tailles et des manches bien marquée ; nous entrons maintenant dans celle où les Modes vont déployer tous leurs caprices.

Sous Philippe-le-Bel (1300), les légistes, clercs, et gens de sapience, conservent seuls le vêtement long. Les nobles portent des chausses serrées, de diverses couleurs, des pourpoints-tuniques courts et froncés, la ceinture avec l'épée et le poignard, force fourrures en garnitures et en châles, et le bonnet, d'où sort une pièce d'étoffe, pendante d'un côté par-dessus le bord ; les bottines montent au-dessus des chevilles et sont fort pointues. (Hist. de Charles VI, JUVÉNAL DES URSINS.)

La reine Isabeau, femme d'Edouard II d'Angleterre et sœur de Charles-le-Bel, à son entrée à Paris, est vêtue d'une robe à corsage, à manches longues et étroites, et coiffée d'un bonnet en pain de sucre, d'une très-grande hauteur, au sommet duquel est attaché un voile flottant. Le roi Charles-le-Bel est à cheval, ainsi qu'elle, et il porte une longue robe, garnie de fourrures au collet et au bas de la robe, des chausses étroites, des souliers à pointes et un chapeau rond à bords. Les Modes restent encore longtemps stationnaires à cette époque ; mais c'est bien là que commencent, pour les hommes, les tuniques courtes et serrées, dont il a été si facile ensuite de faire des redingotes et des habits ; pour les femmes, les robes à manches et à corsage, susceptibles ensuite de recevoir des formes variées sans changer de nature ; en un mot, c'est l'époque de la complète disparition des Costumes romains, conservés seulement, et avec des modifications, pour les cérémonies de grand apparat. (MONTFAUCON.)

Depuis Charles-le-Chauve (neuvième siècle) jusqu'à Hugues Capet (dixième siècle) et depuis ce dernier jusqu'à Louis VIII (douzième siècle), on porta la barbe et les cheveux fort courts, et même le commun du peuple ne portait plus que les moustaches ; les grands, sous Louis VIII, imitèrent le peuple. Les habits de ville de l'un et de l'autre temps étaient, à fort peu de chose près, les mêmes que sous la deuxième race, excepté que les rois capétiens ne se servirent plus que de manteau et très-rarement de chlamyde. L'habillement militaire devint fort court et fort serré, innovation due à l'adoption des hauberts et des chausses de mailles. Sous Louis VIII, le manteau fut la marque distinctive des femmes mariées. (MONTFAUCON, SAINTE-FOI, etc.)

Les Costumes étaient presque semblables chez tous les chrétiens d'Europe ; exceptons de la règle les Espagnols, qui, confinés chez eux et occupés à leurs continuelles guerres contre les Maures mahométans, ne prirent point de part aux croisades ni aux divers mouvements des Occidentaux ; nous y reviendrons plus tard. N'oublions pas que la Germanie se soumit tout de suite, ainsi que la France et l'Italie, au mélange successif du Costume romain avec le Costume barbare, et que les différences, du reste peu essentielles, que nous observerons bientôt, ont, si on peut parler ainsi, un goût de terroir extrêmement marqué, surtout pour l'Allemagne méridionale, dont la Suisse fait partie.

En 1294, Philippe-le-Bel fit une loi somptuaire, pour régler la quantité de mets que l’on pourrait servir sur les tables, le nombre de robes que l'on pourrait acheter et le prix que l'on y pourrait mettre, selon son état, sa naissance et ses facultés. (Le P. DANIEL, Histoire de France.) Suivant cette loi, les ducs, les comtes et les barons qui auront six mille livres de terre ne pourront se donner que quatre robes par an, et autant à leurs femmes ; les prélats et les chevaliers, deux ; le chevalier qui aura trois mille livres de terre pourra avoir trois robes ; une dame ou damoiselle ayant deux mille livres de terre n'en aura qu'une, à moins qu'elle ne soit châtelaine ; etc. — Les prix de ces robes n'étant pas de notre ressort, nous les passons sous silence. — Les bourgeoises ni leurs maris ne porteront ni menu vair (petit-gris), ni hermine, ni or, ni pierres précieuses, ni couronne d'or ou d'argent. (Ordonnances des rois de France, publiées par Laurière, Secousse, etc.)

Depuis cette loi, et sous le règne même de Philippe IV, on vit s'établir une chaussure que l'on nomma souliers à la poulaine, du nom de Poulain, son inventeur. Elle finissait en pointe plus ou moins longue, selon la qualité des personnes : elle était longue de deux pieds, pour les dames et les grands barons — baron se peut dire de tout seigneur ayant haute justice, beau manoir — ; d'un pied, pour les riches, et d'un demi-pied, pour les gens du commun ; quelquefois, on l'ornait de griffes ou d'autres figures grotesques.

Sous Philippe de Valois, les chevaliers, les écuyers et les gens du bel air firent revivre Li longue barbe, mirent des plumes énormes à leurs bonnets, et portaient des vêtements si courts et si étroits, que la pudeur avait à en souffrir.

A l'entrée à Paris du roi Jean (1350), après son sacre à Reims, la bourgeoisie formait un corps, habillé de robes de même couleur ; les Lombards et changeurs portaient des robes de soie, de couleur mi-parties, avec de hauts bonnets semblables.

Depuis longtemps les nouvelles communications avec l'Orient, sans cesse entretenues par les croisades, avaient ramené en Occident les ornements et les riches étoffes, dont l'usage était à peu près perdu, depuis que la barbarie et l'ignorance avaient concentré chacun dans un cercle étroit, séparé chaque État de l'État voisin, et fait perdre tout souvenir de l'empire de Constantinople et du luxe de ses princes. La mode des turbans fut rapportée de ces guerres lointaines, comme aussi les étoffes brochées et brodées, et le camelot, alors si fort en usage sous le nom de camelin, ou étoffe de poil de chameau.

Écoutons le sire de Joinville : Et estoit le roy en ung prael. Lors maistre Robert de Cerbon (Sorbon) me prinst par mon manteau, et, me mena au roy ; lors demandai : Maistre Robert, que me voulez-vous ?

Je vous vueil demander : Si le roy se seoit en ce prael et vous allissiez seoir plus hault que li, seriez vous pas à hlasmer ? Et je lui dis que oil.

Et il me semble, me dit-il, que vous faictes bien à blasmer quand vous estes plus noblement vestu que n'est le roy. Et dist : Ores veez — monstrant la coite du roy et la mienne. — Et je li dis : Je ne fais mie à blasmer, car cet habit, je ne l'ai faict faire de mon auctorité : me le laissa mon père et ma mère ; mez vous faictes à blasmer, car vous, qui estes fils de vilain et de vilaine, avez laissé l'habit de vos père et mère, et estes vestu de plus fin camelin que n'est le roy. Et li diz : Or esgardez se je dis voir ? (JOINVILLE, Hist. de saint Louis, avec dissertations de Ducange.)

C'est le dérèglement dans les habits, meubles et objets de luxe, qui provoqua la loi somptuaire de Philippe-le - Bel ; loi qui ne fut point suivie, car nous verrons ce luxe aller toujours en croissant.

La coiffure des femmes varie pour la forme, mais elle est toujours très-haute. Quelquefois, c'est un bourrelet ayant la forme de cœur ; d'autres fois, les côtés de ce cœur s'élèvent davantage et laissent une ouverture longitudinale répondant au milieu du front, et du sommet pend un voile par derrière. L'usage de cette espèce de soubreveste, ou surcot serré sans manches, descendant plus bas que les hanches et les dessinant, continua pendant plus de deux siècles.

Sous Charles VI, la reine Isabelle de Bavière amena la mode des robes très-longues, à queue, et des manteaux à queue, portés aussi par des suivantes ou par des pages. Cet usage a duré longtemps et s'est prolongé jusqu'à nos jours dans toute l'Europe. Il n'est pas, ce nous semble, hors de saison de parler, à propos de modes, de celle qui s'était établie pour les montures d'apparat, palefrois, coursiers, haquenées, que l'on couvrait de longs et riches caparaçons tombant jusqu'au sabot et renfermant la tête et le col du cheval. Au banquet de Reims, lors du sacre du jeune roi Charles VI, en 1380, l'usage de servir à table, et d'y porter les plats d'honneur monté sur de grands chevaux caparaçonnés, apparut pour la première fois.

Les estoient Mgr Olivier de Clisson, Louis de La Tremoïlle, le sire de Coucy, Mgr Loïs de Sanxerre, Jehan de Vicenne, admirai de France, et autres seigneurs habillés de drap d'or, qui servoient et portoient les plats sur haults coursiers couverts de moult riches estoffes. Pendant le repas on représentoit des mystères. (FROISSART.)

 

Quand le roi fit son entrée à Paris, deux mille hommes, vêtus de blanc et de vert mi-parti, le reçurent aux portes de la ville, dont toutes les rues étaient richement tapissées (les tapis nous étaient venus de l'Orient). En 1385, Isabelle de Bavière, âgée de quatorze ans, fut conduite à la cathédrale d'Amiens, pour son mariage avec Charles VI, âgé de dix-sept ans. Elle était splendidement vêtue, ayant une couronne sur la tête, et montée dans un char couvert de brocart d'or. Les seigneurs étaient vêtus de drap d'or et d'argent avec des plaques d'orfèvrerie armoriées. Les hommes, pour habits de cérémonie, portaient encore la robe longue par-dessus le vêtement court et serré, qui néanmoins était l'habit de petit-maître.

Le roi Charles VII (Hist. de Charles VII, dite de la Pucelle), à sa rentrée dans Paris en 1438, était armé de toutes pièces, hormis la tête, sur laquelle il avait un chapeau pointu en castor blanc, doublé de velours incarnat, dont les cordons étaient enrichis de pierreries, et le sommet terminé par une houppe de fil d'or. Son cheval était couvert de velours bleu, semé de fleurs de lis d'or massif. Ce fut ce roi qui renouvela la loi somptuaire de Philippe-le-Bel.

Le vêtement des hommes était fort court alors. C'était une espèce de camisole étroite, attachée par des aiguillettes, et un haut de chausse, fort serré aussi, qui laissait apercevoir toutes les formes, même celles que l'on n'a pas coutume de montrer. Pour paraître plus larges des épaules, on en portait d'artificielles nommées mahoitres. On laissait tomber, sur le front, des mèches de cheveux qui couvraient presque les sourcils. Les manches étaient déchiquetées, les souliers armés de longues pointes en métal, et le chapeau pointu à retroussis orné de chaînes ou autres bijoux. Les dames, qui sous le règne précédent portaient des queues traînantes (de ces queues prises, quittées et reprises), les retranchèrent, ainsi que les très-longs bouts de manches ornés de franges et bordures ; mais alors les robes furent bordées avec un luxe et une exubérance inouïs. Leurs coiffures étaient des bourrelets de trois quartiers de large, surmontés d'un haut bonnet en pain de sucre. Elles commencèrent à se découvrir la poitrine et à porter des colliers et des bracelets.

Sous Louis XI (1460), le Costume, suivi déjà et adopté par les plus avancés, se décida davantage.

Écoutons Monstrelet (1467) :

En cette année, délaissèrent les dames et damoiselles les queues à porter à leurs robes, et en ce lieu meirent bordures de guis et lestices (fourrure) de martre, de veloux, et d'autres choses si larges, comme d'un veloux de haut d'un quart ou plus, et si meirent sur leurs testes bourrelets, à manière de bonnet rond, qui s'amenuisoit pardessus : de la haulteur de demie aulne ou de trois quartiers de long, tel il y avoit.

Et aulcunes les portoient moindres, et desliez couvre-chiefs par-dessus pendant par derrière jusqu'à terre. Et les autres se prindrent aussi à porter leurs ceintures de soye plus larges beaucoup qu'elles n'avoient accoutumé, et les ferrures plus somptueuses assez, et colliers d'or à leurs cols, autrement et plus cointement beaucoup qu'elles n'avoient accoutumé et de diverses façons.

En ce tems aussi les hommes se prindrent à vestir plus court qu'ils n'eussent oncques fait, tellement que l'on veoit la façon de leurs culs et de leurs génitoires ainsi comme l'on souloit vestir les singes : qui estoit chose très malhonneste et impudicque ; et si faisoient les manches fendre de leurs robes et de leurs pourpoints, pour monstrer leurs chemises desliéez, larges et blanches ; portoient aussi leurs cheveux si longs qu'ils leur empeschoient le visage, mesmement leurs yeux ; et sur leurs testes portoient bopnets de drap hauts et longs d'un quartier ou plus. Portoient aussi comme tous indifféremment chaisnes d'or moult somptueuses chevaliers et escuyers ; les varlets mesmes, pourpoints de soye et de veloux, et presque tous, espéciallement ès cours de princes, portoient poulaines à leurs souliers d'un quartier de long, voire plus, de tels il y avoit. Portoient aussi à leurs pourpoints gros mahoîtres pour monstrer qu'ils estoient larges par les espaules. (MONSTRELET, Chroniques.)

 

Reprenons, à l'occasion de cette diatribe, nos observations préliminaires au sujet des Modes ; qui sont le résultat des idées et des mœurs. L'histoire ne nous laisse pas ignorer le débordement et la dépravation qui avaient, à cette époque, envahi les cours de l'Europe en général et celle de France en particulier. Nous voyons l'indécence du Costume en être le fruit. Ce débordement lui-même fut la suite du désordre politique, auquel notre pays était en proie depuis plus d'un demi-siècle.

Les conséquences de la bataille de Poitiers ayant achevé de désorganiser un gouvernement déjà mal affermi, chacun fit appel à la force et ne connut plus de règle que sa propre volonté ; les Compagnies, faisant ce que l'on appelait guerre d'Anglais, se livrèrent aux actes les plus odieux, en toute liberté. Durant le règne fatal de Charles VI, les querelles des princes augmentèrent cet état de confusion ; rien ne fut sacré ; naturellement la débauche et toutes ses suites devaient se mêler à ce désordre : les esprits, une fois accoutumés au mal ; s'y abandonnèrent sans contrainte, et l'on vit sans trop d'effroi se reproduire partout des horreurs de cruauté et d'impudicité, comme celles qui déshonorèrent la prise de Soissons (par les gens du roi contre ceux du duc de Bourgogne, en \k)3 ce qui fit dire, l'année suivante, au roi Henri V d'Angleterre, contemplant le carnage et les monceaux de morts étendus sur la plaine d'Azincourt : Ce n'est pas nous qui avons fait celle occision ; ç'a été le Dieu tout-puissant, en punition des crimes des Français. Après un peu de calme remis dans les esprits, un peu plus de règle dans les mœurs, nous verrons les mêmes faits se manifester, avec plus de fureur, avec plus de dérèglement encore, et dans les mœurs et dans les Modes. Ainsi, au seizième siècle, après la mort funeste de Henri II, les courtisans des derniers Valois renchérirent sur ceux de Charles VI et de ses successeurs. (MONSTRELET.)

Avant d'aller plus loin, parlons (Pune portion du vêtement, que nous avons jusqu'à présent passée sous silence, la chemise. Ellë était inconnue aux anciens. Les premiers temps de notre histoire n'en offrent pas de traces, et nous ne pouvons savoir précisément l'instant où la tunique de dessous s'est ainsi transformée ; mais nous savons, par l'annaliste de Saint-Bertin, que ce vêtement de dessous était connu sous le nom de camicia et en usage dès le quatrième siècle.

En ce temps-là (860), il arriva un miracle dans Ia ville de Thérouanne. Le matin de l'Assomption de sainte Marie, le serviteur d'un citoyen de cette, ville commençait à - repasser un vêtement de lin, vulgairement appelé chemise, afin que son maître pût mettre ce vêlement pour aller à la messe ; lorsque, ayant appuyé dessus le fer à repasser, il voulut le retirer, le vêtement se trouva teint de sang ;4en sorte qu'à mesure que le serviteur retirait le fer, les traces de sang le suivaient aussitôt, de sorte qu'enfin le vêtement fut tout couvert d'un sang jaillissant. Honfroy, évêque de Thérouanne, se fit apporter ce vêtement, et ordonna qu'il fut conservé en cette église pour servir de témoignage ; et, comme la fête de l'Assomption n'était pas chômée par les habitants de son diocèse, il ordonna qu'elle fût solennisée et chômée de tous avec les honneurs qui lui étaient dus. (Annales de Metz.)

 

Plus tard, nous aurons à signaler l'avènement des bas, tels que nous les portons maintenant, et qui, séparés du haut-de-chausse, prirent d'abord le nom de bas-de-chausse, puis enfin celui de bas, qui leur est demeuré. Il serait facile de suivre ainsi toutes les transformations successives des vêtements. La tunique était de tous temps à prédestinée à devenir la chemise, comme la terminaison de la chausse scythique, à devenir le bas tel que nous l'avons vu et le voyons. L'habitude de la chasse, la nécessité de parcourir à cheval d'épaisses forêts, ont nécessairement donné naissance à la botte en cuir, à la botte véritable, déjà connue des anciens, et montant vers le haut de la cuisse. Une fois les bottes trouvées, passées en usage, leurs diverses formes sont venues à la suite de nécessités nouvelles, et leur tige, en s'évasant, a bientôt amené le bas roulé, lequel (commençant sous Louis XIII) était garanti du frottement du cuir par la manchette de fil. Il en est de même de tous les autres usages compris sous l'appellation générique de Mode.

Sous Charles VIII, le manteau, bordé de fourrure, est fendu par-devant, ouvert en haut des manches pour laisser passer celles du justaucorps, tandis que d'autres sont pendantes et un peu plus longues : le bonnet est à retroussis, les chaussures étroites, et le soulier à la poulaine remplacé par une espèce de bourrelet, large et, carré, à fenêtres ou crevés. C'est désormais la chaussure, et le soulier d'armes (ferré) lui-même prend cette forme, d'une manière tout aussi exagérée dans son temps que la poulaine l'était dans le sien. Les femmes portent toujours, pour coiffure, des bonnets coniques, des hénins excessivement hauts, surmontés d'un voile immense ; avec la robe à corsage ajusté et parfaitement semblable à la cotte d'armes des chevaliers. Sous Louis XII, la reine Anne inventa une coiffure basse, plus ou moins coiffure de veuve, qui consistait en une pièce d'étoffe, velours ou autre, noir ou violet, encadrant la figure par-dessus d'autres bandes blanches et retombant sur le dos et les épaules ; les manches des robes reçurent aussi des espèces de bords ou retroussis, d'une énorme largeur. Les hommes commencèrent à porter des justaucorps, ou tuniques courtes froncées, ceints par le milieu du corps, et le haut du vêtement, tant pour les hommes que pour les femmes, fut coupé carrément sur le haut de la poitrine et des épaules, avec une bordure ; l'usage des colliers continua. Les chevaliers avaient quitté la cotte d'armes étroite et ajustée, pour lui en substituer une plus large, courte, flottante et ouverte sur les épaules comme une chasuble.

C'est au quinzième siècle que se rapportent les Costumes suisses et allemands importés d'Italie. La large chaussure couvrait à peine le bout du pied et était retenue vers le cou-de-pied par une bride. C'est alors que commencent les braguettes. La longue robe ceinte ou non, et le chaperon, souvent surchargé d'un bonnet, étaient encore le Costume d'honneur pour les hommes, surtout ceux d'un certain âge.

Les coiffures de femmes deviennent plus diversifiées d'enjolivement ; le sein est plus découvert, et les robes, ouvertes par-devant, laissent voir la robe de dessous ; les femmes portent, en outre, de riches ceintures, lâches par-devant et dont le bout pend au-delà du genou. L'ampleur des robes et des manches donnait lieu à l'excessif déploiement des étoffes les plus magnifiques.

Mais, où le luxe des étoffes, velours, brocarts or et argent, fut porté au plus haut point, ce fut au Camp du Drap-d'Or, à l'entrevue des rois Henri VIII d'Angleterre et François Ier de France, entre Ardres et Guines, en 1520. (Voyez MONTFAUCON, Monum. de la Monarch. franç.) Le nom de paletot paraît pour la première fois comme habillement des laquais du cardinal-légat d'York.

Pendant toute cette période, le Costume des gens du peuple et des paysans était demeuré le même (à peu près ce qu'il est maintenant) ; et tant que la bourgeoisie resta en corps, son Costume changea peu et ne s'approcha que d'une façon presque imperceptible, du Costume de la noblesse et de ses appartenants, car ce qui par état entourait la noblesse suivait ses usages et ses Modes.

On peut marquer, comme une singularité du Costume à cette époque, la profusion et l'exubérance des panaches ; ceux qui se faisaient à Milan étaient les plus beaux et les plus riches : les Allemands et les Suisses les adoptèrent avec fureur.

L'expédition de Charles VIII en Italie fut le premier pas vers les Modes et les coutumes italiennes, qui à tout prendre étaient à peu près celles que nous avions adoptées, mais avec plus Je goût dans les formes. Aux mahoitres succédèrent des manches amples et plissées qui donnaient beaucoup de grâce au haut du corps. Un manteau court et orné, une toque à bords assez larges, couverte de plumes, et un haut-de-chausse avec cette ampleur d'étoffe connue sous le nom de trousses, tel fut le Costume des hommes, de Louis XII à François Ier. Les femmes portaient des corsages ajustés et des jupes, à manches fort larges. Le manteau des hommes était à manches et avait un large collet carré, rabattu sur les épaules ; ce collet était ordinairement en fourrure. Les femmes portaient encore cette espèce de couvre-chef, dont la mode fut amenée par la reine Anne de Bretagne ; ces couvre-chefs, emboîtant la tête, étaient très-ornés ; les corsages de robes l'étaient aussi beaucoup. Mais ce qui donna une impulsion nouvelle aux Modes, ce fut l'arrivée de la jeune princesse de Florence, Catherine de Médicis, venant de cette Italie alors en pleine Renaissance, et elle-même étant d'une race qui avait été à la tête de ce mouvement par lequel le goût fut renouvelé. Cela ne veut pas dire néanmoins que les Modes inaugurées par cette princesse participassent du bon goût de la Renaissance, en général : surtout pour les femmes, les formes n'étaient pas heureuses ; elles étaient même la plupart extrêmement bizarres. Mais, dans ce temps-là, les détails d'ornement de bijou, en un mot, tout ce qui tient à la joaillerie, à l'orfèvrerie et à la ciselure, fut porté à un point de perfection incroyable. Le caractère principal du Costume, à cette époque, est l'ampleur, pour les femmes ; celui des hommes, au contraire, excepté le manteau ou la robe de dessus, est ordinairement fort étriqué. L'art de tailler les diamants, qui sont devenus d'un si grand usage parmi les princes, n'avait été trouvé qu'en 1476,sur la fin du règne de Louis XI. Un orfèvre de Bruges, Louis de Berquin ou Berquem, avait remarqué que deux diamants s'entamaient lorsqu'on les frottait un peu fortement l'un contre l'autre. Il imagina d'en monter deux sur du ciment ; il les aiguisa et ramassa la poudre qui en provenait ; ensuite, à l'aide de certaines roues et au moyen de cette poudre, il parvint à les polir et à les tailler. Avant le quinzième siècle, on ne voit aucun diamant taillé ni poli : ils sont tous bruts ; aussi, étaient-ils très-peu recherchés, parce qu'ils ne répandaient aucun éclat.

C'est en 1561, au sacre de Charles IX, qu'il est pour la première fois question de la couleur blanche du cheval que doit monter le roi en se rendant à cette cérémonie ; et — ceci n'est pas un détail de Costume, mais une simple remarque anecdotique qui s'y rattache — ce fut au mariage de ce prince avec Élisabeth d'Autriche, en 1567, dans la ville de Mézières, que fut mangé le premier dindon en France ; c'est donc à tort que l'on attribue aux jésuites, dont l'ordre n'existait pas encore, l'importation de cet oiseau de basse-cour, qui fournit des plumets et .des aigrettes aux toques des bourgeois et des soldats.

On peut considérer le seizième siècle comme le moment de la séparation des Costumes anciens et nouveaux, et comme l'époque où nos Modes actuelles ont pris naissance ; c'est pendant ce siècle que les hommes ont définitivement adopté les vêtements adhérents aux membres, les surtouts à manches, les chapeaux et les chaussures fermées, bottines et bottes ; et que les femmes ont pris les "robes à corsage et à manches, les chapeaux et les jupons. Ces vêtements, différant entièrement de ceux de l'antiquité, sont depuis lors le seul thème sur lequel on a brodé et on brodera des variations sans nombre, qui néanmoins finiront toujours et inévitablement par se rapprocher et se confondre même avec leur type primitif, pour s'en écarter ensuite de nouveau. Ainsi, à proprement parler, notre tâche est remplie, et n'avons-nous plus àl parler du Costume. Il ne nous reste à signaler désormais que les formes extérieures, qui ont été inventées et adoptées successivement, tantôt pour donner plus de dignité au Costume, tantôt pour passer, par ennui et par désœuvrement, d'une forme usitée depuis longtemps, à la forme la plus opposée.

Dans le seizième siècle, les femmes ajoutèrent, à leurs robes serrées à la taille et fendues sur le devant, une ampleur vers le bas et une roideur incroyables ; elles laissaient à découvert un jupon très-riche, qui, de même que la robe de dessus, arrivait jusqu'à terre sans laisser apercevoir le bout du pied. Cette mode venait d’Italie, ainsi que les manches à bourrelets, descendant, de gradation en gradation, jusqu'aux poignets. Souvent les cheveux, relevés en bourrelets et ornés de perles et de pierres précieuses, étaient surmontés d'un petit toquet, posé soit de côté, soit sur le haut de la tête, et orné aussi de chaînes d'or, de pierreries et d'aigrettes. La taille était longue, finissant en pointe par-devant. Les hommes avaient imité la même forme, pour leur étroit justaucorps et même pour leurs corps de cuirasse. Leurs chausses étaient étroites, accompagnées d'une trousse assez courte. Ils portaient un manteau, court à mi-cuisse, très-orné, en étoffe riche ; une toque unie ou cannelée, sur le côté de la tête ; un petit collet, sur le haut du justaucorps. Ce collet fut remplacé, après la première moitié du seizième siècle, par la fraise très-goudronnée, que les femmes adoptèrent également. Ces détails sont à l'infini ; mais, pour embrasser largement l'ensemble de notre sujet, il faut regarder les variétés dans les. coupes de vêtement, comme tenant au goût particulier des peuples et à leur plus ou moins d'élégance dans la façon de voir. Ainsi, en Italie, le Costume s'est toujours modifié d'une façon grandiose, rappelant plus ou moins le goût des anciens. En Allemagne et- en Suisse, les formes ont toujours été lourdes et chargées ; en Hollande, bien plus encore. L'Angleterre s'est toujours distinguée par une élégance de formes qui se remarque de même dans ses armures. L'Espagne a participé au goût germanique, soit que la tradition gothique persistât chez elle, soit que les Modes wallonnes aient eu pour elle plus d'attraits, et la France, toujours incertaine, a pris de tous côtés et n'a jamais rien eu en ce genre qui lui fût exclusivement propre. Mais, chez ces différentes nations, le fond du Costume a toujours été le même et la forme a varié partout à la fois simultanément. Il est arrivé, toutefois, que, dans un pays, des contrées entières aient conservé un Costume qui les met en désaccord complet avec le reste de la nation. Ce sont tout simplement des Modes retardataires ; mais on peut être sûr que le Costume que conserve fidèlement la population de ces contrées, et qui nous paraît souvent étrange ou ridicule, a été jadis porté par les grands seigneurs du pays. La coiffe d'Anne de Bretagne est encore portée par les paysannes de Penhoët et de Labrevack ; et le hennin d'Isabeau de Bavière est toujours la coiffure d'honneur en Normandie. Sous François Ier, le Costume resta stationnaire ; sous Henri II même, ce ne fut qu'après sa mort, quand la France eut été livrée à une régence et à des princes presque enfants, que le goût des Modes et des futilités de tout genre prit un essor prodigieux. Une situation politique à peu près analogue à celle qui existait au commencement du règne de Charles VI produisit à peu près les mêmes effets, et le goût des parfums rapporté de l'Orient, et surtout de l'Italie, vint encore ajouter à un luxe efféminé qui sembla donner une nouvelle force à l'esprit guerrier, fanfaron et férocement intrépide de la jeune noblesse de la cour. Cette phase de l'esprit humain, pendant l'espace de plus de cent ans, est assurément une des plus bizarres et des plus inexplicables qui se soient jamais offertes à l'observateur. Ainsi, le même gentilhomme, vivant dans la mollesse et la débauche la plus effrénée, ne balançait pas un seul instant, non-seulement à se livrer aux travaux de guerre les plus rudes, mais à s'exposer volontairement, sous le plus frivole prétexte, aux combats singuliers les plus acharnés, où il n'était accordé ni demandé aucune pitié ni merci, et cela, tous les jours, sans qu'aucun lien de parenté, d'ancienne familiarité ou de fraternité d'armes l'arrêtât un seul instant.

Catherine de Médicis avait apporté en France la Mode des fraises ; plus tard, Marie de Médicis y apporta celle des collerettes, ou, pour mieux dire, l'adopta. Les robes, étroites de la ceinture, commencèrent à bouffer autour des hanches, au moyen de gros bourrelets, qui s'augmentèrent encore sous le nom de vertugadins (corruption de vertu-gardiens) et furent loin de tenir cependant ce qu'annonçait l'étymologie de leur nom. Ces monstrueux vertugadins, après diverses métamorphoses, finirent par être les ridicules paniers qui sont presque arrivés jusqu'à nos jours.

Sous les derniers Valois, le Costume des hommes était court, élégant, fermé : ils portaieni le justaucorps pointu, entouré de petites basques ; la toque de velours avec une aigrette ; la barbe en pointe, une perle à l'oreille gauche, et le manteau descendant à la ceinture, qui soutenait l'épée et la dague. L'usage des gants fut alors universel. Le Costume des femmes était long, très-ample et fort riche Il y eut bien peu de variations jusqu'à Henri IV, et même sous son règne ; seulement, pour les hommes, la trousse s'allongea et prit plus d'ampleur, notamment chez les Espagnols, et l'usage des longues bottes en peau souple devint plus général. C'est vers ce temps-là que les jeunes Français commencèrent à aller, comme complément de leur éducation, passer quelques années en Italie, où ils contractèrent au suprême degré le goût de l'escrime, de l'équitation, des plaisirs sensuels, et même du libertinage italien, vice odieux dont nous voyons encore de malheureuses traces dans les commencements de Louis XIV ; témoin la chanson :

Monsieur de Vendôme

Va prendre Sodome, etc.

Et le grand Condé, sur le Rhône, par une pluie extrêmement violente, disant à M. de La Moussaye :

Carus amicus Musacus,

Vide quod est bonum tempus,

Imbre sumus perituri, landeriri, etc.

Et La Moussaye lui répondant :

Securœ sunt nostrae vitæ :

Sumus enim Sodomitæ,

Igne tantum perituri, landeriri.

(Mémoires du comte DE BRIENNE.)

En dépit des vertugadins, les mœurs des femmes ne valaient guère mieux que celles des hommes, du moins à la cour. N'oublions pas que le Costume des bourgeois était partout stationnaire. Ils n'avaient point adopté les chausses étroites, ni les trousses ; ils portaient le justaucorps aisé, le manteau et les grègues lâches, et le chapeau de feutre, que les Anglais avaient fait entièrement pointu et à rebords larges. Ce qui distinguait aussi le goût de cette nation, c'était une profusion de boutons aux manches du justaucorps et le long de la culotte, car la trousse, vers la fin de ce siècle, se métamorphosa en culotte courte, large, ouverte aux genoux. C'est alors que les chausses se divisèrent en haut-de-chausses et en bas-de-chausses, et que les jarretières naquirent de la nécessité. Le chapeau de feutre devint, dans presque toute l'Europe, une véritable calotte, ayant la forme de la tête, à grands bords rabattus et couverts de panaches, après avoir été conique et haut de forme, à petits bords relevés d'un seul côté. Les Espagnols de la Ligue avaient importé en France ce genre de coiffure, qui a pourtant conservé le nom de chapeau à la Henri IV. C'est aussi vers ce temps-là que commencent les talons hauts. Les hommes avaient des espèces de pantoufles sur leurs bottes à talons, et les femmes en avaient aussi sur leur chaussure ordinaire. Les femmes de la cour s'étaient accoutumées à porter, comme en Italie, un demi-masque en velours, appelé loup, qui les garantissait de la poussière et du hâle : ce demi-masque, elles le portaient à cheval, surtout en voyage ; car les dames les plus sucrées ne voyageaient pas autrement : la belle Diane de Poitiers, si belle jusque dans un âge qui eût été la vieillesse pour toute autre, venait, le matin, à Paris, de Saint-Germain, sur un courtaud roide et bien allant, accompagnée de quelques-unes de ses femmes, et retournait de même, quelques heures après, passant un bac à Neuilly et même à Chatou. (BRANTOME.)

Si les habits d'hommes n'étaient pas amples, au commencement du dix-septième siècle, leur richesse surpassait tout ce qu'on avait imaginé en fait de broderies et d'ornements. Bassompierre consacre dix-sept mille écus à un habillement, pour danser dans un ballet chez le roi ! Un ballet se composait de diverses personnes de la cour, s'ajustant et s'accoutrant pour représenter un sujet, soit mythologique, soit historique, et ce ballet, une fois monté et ordonné, se dansait plusieurs fois, tantôt dans un lieu, tantôt dans un autre. Sauf cette circonstance, porter le même habit plusieurs fois, à la cour, eût été peu séant. Plus tard, nous voyons Louis XIII, l'austère Louis XIII, après son passage du Pas-de-Suze, quand, pour diligenter l'armée, il avait donné ordre de laisser à Chambéry tous les bagages, le sien compris, nous le voyons tenir conseil avec M. de Puysségur, pour savoir par quelle ruse il pourrait, pendant les trois jours qu'il devait passer avec la duchesse de Savoie, sa sœur, ne pas être vêtu de même, ou, du moins, avoir l'air de changer tous les jours de costume ; nous voyons, durant l'exil du chevalier de Grammont, en Angleterre, son illustre valet de chambre venir' en France toutes les semaines pour lui rapporter de Paris un habit nouveau ! Une chose à remarquer, c'est que, malgré la facilité apparente des idées qui tiennent aux Modes et le peu d'importance qu'elles semblent avoir, il a toujours été impossible d'y introduire à l'improviste, et avec préméditation, de grands changements. Un costume n'est pas plutôt adopté, que la succession du temps, c'est-à-dire un mois, et la volonté de tous, modifient ce costume, non pas tout à coup, mais par gradations indéterminées, sans que personne puisse se rendre compte de cette espèce de végétation capricieuse qui fait subir aux Modes les transformations les plus ridicules.

Voici un échantillon du costume de cour sous Henri IV : Il faut, dit le baron de Fœneste, un pourpoint de quatre ou cinq taffetas l'un sur l'autre ; des chausses où, tant frise qu'écarlate, il entre huit aunes d'étoffe pour le moins, et un bourrelet ou lodier autour des reins ; puis, des souliers à crics (faisant du bruit, criant) et à pont-levis, avec crevés jusqu'à la semelle, et, en hiver, des bottes la chair en dehors, le talon très-haut, avec des pantoufles très-haussées, le surpied de l'éperon fort large, ainsi que les courroies de dessous ; puis, des découpures sur le pied de la botte, inventées par Pompignan, pour faire paraître et laisser voir un bas de soie incarnadin ; puis, enfin, des bottines, nommées ladrines, inventées par la petite Lambert (une des filles suivantes de la duchesse de Guiche). On portait aussi de grosses bouffettes de rubans sur le soulier et au genou. Un élégant arrive au Louvre, ainsi accoutré, et commence à rire au premier qu'il rencontre, salue l'un, salue l'autre : Frère, que tu es brave (bien mis), épanoui comme une rose !... Tu es bien traité de ta maîtresse ? Cette cruelle, cette rebelle, ne rend-elle point les armes à ce beau front, à cette moustache bien retroussée ?... Et puis, cette belle jambe, c'est pour en mourir ! Cela se dit, en démenant les bras, en branlant la tête, en peignant d'une main sa moustache et quelquefois ses cheveux. Puis, on parle d'amour, d'armes, de pertes au jeu ; on discourt sur les bas de soie, sur les hauts-de-chausses, sur les couleurs : bleu-turquin, orangé, feuille-morte, isabelle, zinzolin, couleur-du-roi, minime, triste-amie, ventre-de-biche ou de nonnain, amarante, nacarade, pensée, fleur de seigle, gris-de-lin, gris d'été, orangé-pastel, espagnol malade, céladon, astrée, face grattée, couleur de rat, fleur de pêcher, fleur mourante, vert naissant, vert gai, vert-brun, vert de mer, ver de pré, vert-de-gris, etc. Telle est l'idée que d'Aubigné nous donne d'un petit-maître gascon à la cour de France.

Résumons-nous, en faisant observer que les modes ont toujours suivi les phases de la civilisation, et se sont éloignées du naturel à proportion des bizarreries qui s'emparaient de l'esprit humain.

 

HORACE DE VIELCASTEL, Secrétaire général des Musées.