LE MOYEN-ÂGE ET LA RENAISSANCE

PREMIÈRE PARTIE. — MŒURS ET USAGES

MŒURS ET USAGES DE LA VIE CIVILE

 

PÉNALITÉ.

QUESTION, BOURREAU, AMENDE HONORABLE, SUPPLICES, PRISONS

 

 

C'EST un affligeant spectacle que celui de la variété infinie qu'offrent les supplices depuis l'origine du monde. On ne saurait se figurer, en effet, ce que les hommes ont dépensé d'imagination pour inventer de nouvelles tortures et se procurer la féroce satisfaction de voir périr leurs semblables au milieu des plus atroces souffrances. Sous ce rapport, on a pu dire avec vérité, que le génie de l'homme était sans limites. L'instinct de la cruauté se révèle d'ailleurs au même degré chez presque toutes les nations et dans tous les temps. L'exemple du prophète Isaïe scié avec une scie de bois, afin de rendre sa mort plus lente et plus cruelle ; la peine infligée à ce juge prévaricateur que Cambyse fit écorcher vif, et avec la peau duquel il fit recouvrir ensuite le siège du tribunal ; le martyre des Machabées : la punition des Vestales, à Rome ; le supplice de Régulus, à Carthage ; la mort de la reine Brunehault, et tant d'autres traits de l'histoire sacrée et profane, démontrent assez cette déplorable tendance de l'esprit humain, sans qu'il soit nécessaire de l'appuyer d'un plus grand nombre de preuves.

Les persécutions qui accueillirent l'établissement du christianisme se signalèrent surtout par une innombrable diversité de supplices. A toutes les époques, le fanatisme religieux s'est montré impitoyable, et les tourments que les païens firent endurer aux martyrs de la foi trouvèrent, quelques siècles plus tard, de funestes représailles dans les jugements du Saint-Office. Nous n'avons pas à tracer l'histoire de l'Inquisition, mais nous ne pouvons cependant omettre de rappeler que ce tribunal employait des raffinements de barbarie tout particuliers à l'égard des infortunés qu'il faisait appliquer à la question.

 

§ I. QUESTION.

 

La question était une aggravation de peine, infligée à un accusé sous le prétexte de lui arracher l'aveu de son crime ou la révélation de ses complices. Dans le premier cas, c'était la question préparatoire ; dans le second, la question préalable. Celle-ci n'était employée qu'à l'égard des condamnés à mort et précédait immédiatement l'exécution. L'une et l'autre se divisaient en ordinaire et extraordinaire, suivant la durée ou la violence des tourments. Quant à la durée, elle variait beaucoup : dans certains cas, elle pouvait s'étendre jusqu'à six heures ; d'autres fois, elle ne dépassait guère une heure un quart.

Chez les anciens, où la torture était déjà en usage, les instruments les plus usités furent les verges, la roue et le chevalet. Au Moyen Age, les moyens employés pour donner la question, ou gehenne, devinrent beaucoup plus variés. Hippolyte de Marsillis, jurisconsulte de Bologne, qui vivait au commencement du seizième siècle, en mentionne quatorze espèces. La compression par l'emploi des cordes ; l'injection, dans le corps du patient, d'eau, de vinaigre ou d'huile ; l'application de la poix bouillante, la suppression des aliments et des boissons, étaient les plus ordinaires. Quelques-uns se faisaient remarquer par leur singularité ; comme, par exemple, de placer sous les aisselles des œufs cuits dans de la braise et tout brûlants ; ou bien d'introduire et de faire avancer entre cuir et chair des dés à jouer (taxillus aut alea) ; ou bien encore d'attacher le patient sur un banc, de lui arroser la plante des pieds d'eau salée et de les lui faire lécher par des chèvres. Il parait que cette dernière torture causait des douleurs intolérables. Du reste, chaque pays avait son usage particulier. En Espagne et dans les Pays-Bas, on mettait des bougies ou mèches entre les doigts, qui se brûlaient lentement à mesure que les bougies se consumaient. En Italie, on faisait tomber de l'eau goutte à goutte, d'une grande hauteur, sur le creux de l'estomac, etc.

En France, la question différait suivant les parlements ; souvent même, chaque localité en avait une qui lui était spéciale. En Bretagne, on attachait le patient sur une chaise de fer, et on lui approchait les jambes graduellement d'un brasier ardent. A Rouen, on lui serrait un pouce ou un doigt avec une machine en fer ; pour la question extraordinaire, on serrait simultanément les deux pouces. A Autun, on mettait à l'accusé des espèces de bottines ou brodequins, faits avec ce cuir de vache spongieux qu'on nomme baudrier, qui lui enveloppaient les pieds et les jambes jusqu'aux genoux : ainsi préparé, on le liait nu, en chemise, sur une table très-basse que l'on roulait près d'un grand feu de bois ou de charbon ; puis, un questionnaire, c'est-à-dire l'exécuteur chargé de donner la question, lui versait douze pintes d'huile bouillante sur les jambes et les pieds ; l'huile pénétrait à travers le cuir, brûlait et calcinait même parfois les membres du patient, au point de faire tomber les os des doigts de pied. Cette torture durait habituellement une heure et demie ou deux heures. Quelquefois aussi, lorsqu'on approchait trop la table du brasier, le feu gagnait les brodequins et carbonisait les jambes de façon à rendre l'amputation nécessaire.

A Orléans, on liait avec force les deux mains de l'accusé l'une sur l'autre, derrière le dos, après avoir mis entre elles une clef de fer ; ensuite, au moyen d'une poulie et d'une corde fixée à la clef, on élevait à un pied de terre le malheureux, portant un poids de cent-quatre-vingts livres suspendu à son pied droit. Ceci n'était que la question ordinaire ; pour l'extraordinaire, on l'enlevait jusqu'au plancher avec un poids de deux cent cinquante livres, puis on lui donnait trois secousses, c'est-à-dire qu'on le hissait jusqu'auprès de la poulie, d'où on le laissait ensuite retomber brusquement jusque près de terre. Ce genre de question, où la violence de la chute disloquait les bras, portait le nom d'estrapade. Nous verrons plus loin que celle-ci était aussi employée comme châtiment. A Besançon, on employait le même moyen ; seulement, le poids était attaché aux orteils.

A Toulouse, la question se donnait encore d'une manière analogue. Le patient était suspendu par une corde passée sous l'une de ses aisselles, ayant une pierre énorme attachée à ses pieds ; de plus, ses mains étaient liées derrière son dos, et des bâtons introduits dans les liens permettaient à deux hommes d'imprimer une torsion qui serrait les mains à volonté.

La question ordinaire, à Avignon, consistait à suspendre l'accusé par les poignets avec un boulet à chaque pied ; elle était rarement usitée. La question extraordinaire, ou la veille (veglia en Italie), était si forte, qu'il y avait peu d'exemples qu'un accusé pût la supporter. Elle était composée d'un poteau dont la partie supérieure était taillée en forme de diamant : on liait l'accusé par les mains et par les pieds avec des cordes attachées aux quatre murs, et on le suspendait sur ce poteau de manière que l'extrémité inférieure de l'échine (l'apophyse du coccyx) supportât tout le poids du corps ; le patient était lié de manière à ne faire aucun mouvement. Un médecin et un chirurgien avaient les doigts placés sur ses tempes, pour juger, par l'artère temporale, s'il pouvait continuer de supporter plus longtemps cette torture. Lorsque la faiblesse du pouls indiquait une prochaine défaillance, on le détachait, et il lui était administré des fortifiants ; il était ensuite remis à la question. Le temps fixé pour cette torture était de six heures. (M. CHAMBAUD, Notice sur l'organisation judiciaire dans l'ancien comtat Venaissin.)

A Paris, on avait d'abord employé presque exclusivement la question à l'eau ; mais la question aux brodequins lui fut ensuite préférée. Voici en quoi consistaient l'une et l'autre :

Pour la question à l'eau, l'accusé était assis sur une espèce de tabouret de pierre, les deux poignets attachés à deux anneaux de fer distants l'un de l'autre, scellés dans le mur derrière lui, et les deux pieds à deux autres anneaux fixés au plancher devant lui. On tendait toutes les cordes avec force, et, lorsque le corps du patient commençait à ne plus pouvoir s'étendre, on lui passait un tréteau de deux pieds de haut sous les reins. Puis, on tendait encore les cordes jusqu'à ce que le corps fût bien en extension. Ensuite, le questionnaire, aidé d'un homme qui tenait une corne de bœuf creuse, prenait le nez de l'accusé, et, le lui serrant pour le contraindre d'avaler, versait de l'eau dans la corne. La question ordinaire était de quatre coquemars, de deux pintes et demie chacun (neuf litres un tiers environ) ; la question extraordinaire, du double. En outre, dans cette dernière, on remplaçait le tréteau par un autre de trois pieds et demi de haut, qui serrait et étendait davantage le criminel. Dans beaucoup d'endroits, on avait encore compliqué les souffrances de ce genre de torture. L'exécution terminée, le patient était détaché et mené chauffer dans la cuisine, disent les anciens manuscrits.

La question aux brodequins était peut-être plus douloureuse encore. Le criminel assis et les bras attachés, on lui plaçait deux fortes planches aux deux côtés de chaque jambe, au dedans et au dehors, et on les serrait en les liant sous le genou et au-dessus de la cheville du pied. Ensuite on liait de même les jambes ensemble avec de fortes cordes ; puis on prenait des coins de bois ou de fer, que l'on faisait entrer à coups de maillet entre les deux planches du milieu. La question ordinaire était de quatre coins, et l'extraordinaire de huit. A mesure que l'on enfonçait les coins, les jambes se trouvaient serrées d'une manière si terrible, que quelquefois les os éclataient et que la moelle en sortait.

La question aux brodequins se donnait aussi au moyen d'espèces de bas de parchemin qui, étant approchés du feu après avoir été mouillés, se retiraient excessivement, serraient les jambes et causaient des douleurs insupportables.

Enfin, on peut encore rapporter au même genre de tourment l'acte de cruauté de ce moine inquisiteur qui, lors des persécutions exercées contre les Vaudois de Mérindol, en 1551, contraignait les malheureux hérétiques à chausser des bottes remplies de suif bouillant.

La question se donnait en présence de divers officiers de justice assistés d'ecclésiastiques, et de médecins et chirurgiens, par prévision, dans le cas où le patient ne pourrait pas supporter la rigueur des tourments. Quel que fût le genre de ceux-ci, les accusés, avant d'y être appliqués, devaient être restés huit ou dix heures sans manger. Damhoudère, dans sa Pracyique et Enchiridion des causes criminelles (1544), recommande aussi très-expressément de raser les accusés avant la question, dans la crainte qu'ils ne portent sur leurs corps quelque talisman qui les rende insensibles à la douleur. Le même auteur donne encore pour règle, lorsqu'il y a plusieurs délinquants à mettre sur le banc pour un même cas, de commencer par ceux dont on peut espérer de tirer plus aisément une révélation. Ainsi, s'il y a un homme et une femme, de commencer par cette dernière, comme étant plus faible et plus débile ; pareillement, de torturer le fils en présence du père : car naturellement le père craint plus pour son filz que pour soi-même. On voit que les juges du Moyen Age étaient experts dans l'art d'allier les tortures morales aux tortures physiques.

Après avoir enduré la question préalable, le condamné était enfin abandonné au maistre des haulles œuvres chargé d'exécuter la sentence prononcée contre lui. Mais, avant de passer à la description des divers genres de supplices en usage à cette époque, peut-être est-il à propos de nous occuper d'abord du personnage qui jouait le principal rôle dans ces lugubres scènes.

 

§ II. BOURREAU.

 

Le bourreau ! mot sinistre qu'on ne saurait prononcer sans horreur, qui traîne à sa suite le lugubre cortège des plus épouvantables tourments et qui semble les exprimer tous à lui seul ! Homme rejeté et maudit, que ses fonctions vouaient à l'infamie dans l'esprit des populations, malgré les plaidoyers faits de tout temps pour glorifier sa mission. En vain Damhoudère affirme-t-il que ce serviteur et ministre de la justice, voires (selon sainct Pol) le serviteur et ministre de Dieu, ne devant le monde, ne devant Dieu, pesche et mesfaict, jaçoit qu'il semble être cruel et sévère... ; vainement, de nos jours encore, un écrivain a-t-il essayé de le réhabiliter en le représentant comme l'honneur et le lien de l'association humaine (DE MAISTRE) : le sentiment de répulsion qu'inspire le bourreau conserve toujours sa même puissance.

Si l'on éprouva presque toujours, en France, de grandes difficultés pour remplacer un bourreau dont la place devenait vacante, il ne serait pas exact de dire cependant que tous les peuples attachèrent une idée d'infamie aux fonctions d'exécuteur des arrêts criminels. Sans remonter jusqu'aux Grecs, chez lesquels cet office fut une magistrature, il paraît, au témoignage d'Adrien Beyer, pensionnaire de Rotterdam, qu'autrefois, dans diverses parties de l'Europe, les juges exécutaient eux-mêmes les condamnés. En Allemagne, les bourreaux étaient loin d'être regardés comme infâmes, puisque, dans quelques endroits, ils acquéraient le titre et les privilèges de noblesse lorsqu'ils avaient tranché un nombre de têtes déterminé. Dans le même pays, leurs fonctions étaient parfois remplies par l'habitant le plus nouvellement établi dans la ville. A Reutlingen, en Souabe, on en chargeait le dernier conseiller reçu. En Franconie, chose étrange ! c'était le membre du corps de ville le dernier marié. Ailleurs, on donnait la vie au condamné qui consentait à exécuter ses complices. Il existait, diton, jadis, à Gand, deux statues d'airain représentant un père et un fils qui avaient été condamnés à mort pour le même crime : le fils servit d'exécuteur à son père.

Chez les Italiens et les Espagnols, au contraire, le bourreau était considéré comme un être immonde, et fréquemment en butte aux insultes de la populace. En Italie, quand il avait mérité la mort pour quelque méfait, on le pendait, par dérision, avec un lacet d'or au cou et une mitre sur la tête.

Le bourreau, autrement dit le tour menteur juré du roi, était, en France, le dernier des officiers de justice. Ses lettres de commission, qu'il recevait du roi, étaient enregistrées au parlement ; mais on les jetait, dit-on, sous la table, après les avoir scellées, pour marquer l'infamie du métier. La société le rejetait de son sein ; il lui était interdit d'habiter l'enceinte des villes, à moins que ce ne fût dans la maison du Pilori. Dans quelques endroits, il était tenu de porter un habit particulier, rouge et jaune. En revanche, il jouissait de certains privilèges. A Paris, il avait droit de havage, qui consistait à percevoir sur les grains, dans les marchés, autant qu'on en pouvait prendre avec les mains ; mais, en raison de sa profession infamante, il exerçait ce droit en faisant usage d'une cuiller de fer-blanc qui lui servait de mesure. Il jouissait encore de plusieurs autres droits sur les fruits, verjus, raisins, noix, noisettes, foin, œufs et laines ; sur les marchands forains pendant deux mois ; sur le passage du Petit-Pont ; sur les chasse-marées ; sur chaque malade de Saint-Ladre en la banlieue ; sur les gâteaux de la veille de l'Epiphanie ; cinq sous sur chaque pilorié ; sur les vendeurs de cresson ; sur la marée, les harengs. Il prenait cinq sous sur les pourceaux qui vaguaient dans Paris, hors ceux de l'abbaye Saint-Antoine. Il prenait aussi des droits sur les balais, sur le poisson d'eau douce, sur le chènevis, sénevé ; et, sur les suppliciés, tout ce qui était au-dessous de la ceinture, de quelque prix que ce fût (Ordonnances royaulx du Chaslelet de Paris, de l'an 1485). Dans la suite, la dépouille entière du patient lui appartint. Enfin, il avait le revenu des boutiques et échoppes qui entouraient le Pilori et où se faisait le commerce en détail du poisson.

La perception de ces divers droits devait nécessairement donner au bourreau un peu de cette considération qui accompagne toujours la richesse, et atténuer les préventions malveillantes dont il était l'objet. On est en droit de conclure qu'il en était ainsi, puisque, en 1418, le bourreau de Paris était capitaine de la milice bourgeoise de cette ville, et, en cette qualité, vint toucher la main du duc de Bourgogne lors de la rentrée de la reine dans sa capitale. D'ailleurs, le peuple attachait à ses fonctions le privilège de certains moyens curatifs : on allait chez lui acheter de la graisse de pendu, et l'habileté des exécuteurs des hautes-œuvres pour remettre les membres luxés est encore proverbiale de nos jours.

Il y eut aussi des femmes spécialement affectées à servir de bourreaux à l'égard des personnes de leur sexe. Dans l'ordonnance de saint Louis contre les blasphémateurs, rendue en 1264, il est dit que ceux qui seront reconnus coupables seront battus de verges, li homme par homme et li femmes par seules femmes sans présence d'hommes. Mais on ne voit pas que cet usage ait persisté, et les femmes continuèrent à demeurer écartées d'une profession peu compatible avec leur faiblesse. Ce n'est pas cependant par impossibilité d'en trouver qui se fussent proposées pour remplir cet horrible métier ; l'anecdote suivante en est la preuve.

Dans le courant de l'année 1562, le juge de la ville de Grave, en Brabant, appela le bourreau d'un lieu voisin pour décapiter trois malfaiteurs. Ce bourreau, se trouvant hors d'état d'exécuter lui-même la sentence par suite d'un accident qui lui était arrivé, voulut se faire remplacer par un sien compagnon et manda à sa femme de le faire partir. Celle-ci, excitée par l'appât du gain, prit aussitôt la détermination de suppléer, par son adresse, au défaut de son mari. Elle fit repasser l'épée affectée aux exécutions et en fit retourner le fil parce qu'elle était gauchère ; puis, elle se coupa les cheveux et revêtit les hardes de son mari, à l'exception du pourpoint, afin de rester plus libre de ses mouvements et dans la crainte qu'un habillement trop étroit ne trahît son sexe. S'étant ensuite couverte la tête d'un bonnet, la plume sur l'oreille et l'épée au côté, elle se présenta au juge de Grave, qui fut trompé par le costume, mais qui, la voyant sans barbe, lui demanda si, étant si jeune, elle oserait bien entreprendre de couper trois têtes en une fois. Elle répondit que oui, que c'était à elle à ce faire, et que ce n'était pas la première fois qu'elle avait expérimenté à ce passe-temps ; par quoi elle prit des cordes, desquelles elle lia les patients et les mena. Cependant le prévôt, ayant été averti que ce prétendu bourreau était une femme, fit ramener les condamnés en prison. Mais, si ce monstre du sexe féminin ne se fût sauvé et évadé, il était à craindre qu'il n'eût été jeté à l'eau par la commune des hommes ou bien assommé par les femmes de la ville. (J. WIER. Les Cinq livres de l'imposture et tromperie des diables, etc.)

 

§ III. AMENDE HONORABLE.

 

Quel que fût le genre de peine infligé à un coupable, il était rare que l'exécution ne fût pas précédée de l'amende honorable. Celle-ci formait à elle seule un châtiment, mais souvent aussi elle n'était que le prélude du supplice capital. On appelait ainsi un aveu publie que le condamné faisait de son crime. Il y en avait de deux sortes : l'amende honorable simple ou sèche, et l'amende honorable in figuris. La première avait lieu, sans l'intervention du bourreau, dans la chambre du conseil, où le criminel, nu-tête et à genoux, devait dire que faussement il avait dit ou fait quelque chose contre l'autorité du roi ou l'honneur de quelqu'un, dont il demandait pardon à Dieu, au roi et à la justice. Pour l'amende honorable in figuris, le condamné avait derrière lui le bourreau ; il était, en outre, en chemise, pieds nus, la corde au cou, et tenait à la main une torche de cire d'un poids déterminé par l'arrêt, ordinairement de deux ou quatre livres.

On fait remonter l'origine de l'amende honorable à la coutume, usitée sous les rois de la première race, de condamner ceux qui étaient convaincus de quelque crime considérable à parcourir une certaine distance, nus en chemise, portant sur leurs épaules une selle de cheval ou un chien.

 

§ IV. SUPPLICES.

 

Il serait difficile de suivre un ordre méthodique dans la division des divers modes de supplices. Damhoudère, qui compte treize manières dont le bourreau faict son exécution, les range dans l'ordre suivant : le feu, — l'espée, — la fosse, - l'esquartelage, - la roue, — la fourche, — le gibet, — traisner, — poindre ou picquer, — couper oreilles, — desmembrer, — flageller ou fustiger, — le pellorin (pilori) ou eschaffault. A défaut de meilleur classement, nous adopterons celui-ci.

LE FEU. — Lorsqu'un criminel avait été condamné à être ars et bruslé, on dressait un poteau, de sept ou huit pieds de haut, au milieu de la place désignée pour l'exécution ; car il y avait dans beaucoup de villes, et notamment à Paris, un lieu plus spécialement affecté à chaque genre de supplice. Autour de ce poteau, on construisait un bûcher, de forme carrée, qui devait s'élever à peu près à la hauteur de la tête du patient, et qui était composé de lits alternatifs de bûches et de paille. On avait, en outre, attention d'y ménager la place d'un homme près du poteau, et un passage pour y conduire. Le criminel, ayant été déshabillé et revêtu d'une chemise soufrée, pénétrait dans le bûcher par cette ouverture, et était lié au poteau au moyen de cordes et d'une chaîne de fer qui lui embrassait le milieu du corps. Ensuite, on achevait la construction du bûcher en bouchant l'entrée avec du bois, des fagots et de la paille, de façon qu'on ne voyait plus le patient ; puis, on mettait le feu de toutes parts.

La manière dont se pratiquait cette exécution permettait d'en atténuer l'horreur pour quelques condamnés. Voici comment cela pouvait avoir lieu. Les exécuteurs avaient ordinaire de se servir, pour la construction du bûcher, de longs crocs de batelier, dont le fer a deux pointes, l'une droite, l'autre recourbée. Ils ajustaient un de ces crocs dans le bûcher, de telle sorte que la pointe aiguë se trouvât vis-à-vis du cœur du patient ; et, dès que le feu était mis, ils poussaient avec force le manche du croc. Le patient, ainsi frappé, expirait aussitôt. Quelquefois aussi le jugement portait que les accusés seraient étranglés avant d'être livrés aux flammes.

La sentence portait également parfois que les cendres du mort seraient jetées au vent. Dans ce cas, dès que l'on pouvait approcher du centre du bûcher, on prenait, avec une pelle, un peu de cendres, que l'on jetait en l'air.

On trouve, dans Sauval, de curieux renseignements sur la composition de ces bûchers. Ainsi, pour brûler un sieur Lancelot, en 1441, il fut employé deux cents et demi de cotrets et bourrées, tout bois sec et du meilleur, pour 35 sous parisis, et pour 12 deniers de fouerre (paille). On paya, en outre, 2 sous 8 deniers parisis une solive faisant attache (probablement le poteau). En 1525, pour brûler deux particuliers, on employa 300 de gros comptes (bûches), 400 bourrées et cotrets, 13 gluis de feure (bottes de paille), 2 boteaux de foin et pour 10 sous parisis de soufre en poudre. Deux ans après, au lieu de soufre, on voit figurer de la poudre à canon et autres drogues.

Le Compte de 1441, que nous venons de citer, mentionne une dépense de 12 sous parisis pour douze boulayes de cuir épaisses. Un compte analogue de l'année 1460 porte également : ... Furent faites douze boulayes qu'il convint avoir, pour faire serrer le grand nombre de peuple qui avoit été à l'exécution. Les boulayes étaient donc un instrument de police, une sorte de férule employée pour maintenir l'ordre et qu'il devenait nécessaire de renouveler dans toutes les occasions un peu marquantes.

On ne se contentait pas de brûler les vivants ; on livrait pareillement au feu les restes de ceux qu'une mort anticipée semblait devoir soustraire au supplice. Un individu de la secte des Turlupins ayant été condamné à être brûlé, en 1379, avec une certaine Jehanne Dabentonne, et étant mort en prison avant l'époque où il devait subir sa sentence, on garda son corps quinze jours dedans ung tas de chaux, et, au jour déterminé pour sa punition, fust bruslé. (GAGUIN, les Grandes Chroniques.) Le supplice du feu était presque toujours ordonné en matière de foi. L'inquisition en a fait un si fréquent et si cruel usage en Espagne, que le mot auto-da-fé, détourné de sa signification primitive, n'a plus servi qu'à désigner le supplice lui-même. En France, on y condamnait également tous ceux qui étaient convaincus d'hérésie et de sorcellerie. Cinquante-neuf templiers furent brûlés, en une seule fois, au quatorzième siècle, près de l'abbaye Saint-Antoine de Paris, et, trois ans après, le 18 mars 1314, le grand maître Jacques Molay et quelques autres grands dignitaires de l'ordre périrent aussi dans les flammes, à l'extrémité de l'île Notre-Dame, où est aujourd'hui la statue de Henri IV. Enfin, Jeanne d'Arc trouva des juges assez iniques pour la faire périr sur un bûcher comme hérétique et relapse. Son exécution, du reste, fut marquée par une précaution tout exceptionnelle, à laquelle on eut recours pour convaincre le peuple de la réalité de sa mort : Fut liée à une estache qui estoit sur l'eschafiault, qui estoit fait de piastre, et le feu sur lui ; et la fut bientost estainte et sa robe toutte arse, et puis fut le feu tiré arrière ; et fut veue de tout le peuple toutte nue... pour oster les doutes du peuple. Et quant ilz l'orent assez à leur gré veue toutte morte liée à l'estache, le bourrel remist le feu grant sus, etc. (Journal du règne de Charles VI et de Charles VII.)

Une variété du supplice du feu, plus particulièrement réservée pour les faux-monnayeurs, consistait à faire bouillir les criminels, soit dans de l'eau, soit dans de l'huile, soit quelquefois dans un mélange d'eau et d'huile. A cet effet, on disposait une chaudière, de dimensions convenables, sur un trépied assujetti par un massif en maçonnerie. Lorsque le liquide était bouillant, on y précipitait les condamnés. On peut se faire une idée de la dimension de la chaudière par la quantité d'eau qu'elle contenait, et Sauval (Antiquités de Paris) nous donne encore ce renseignement à l'occasion de l'exécution de trois faux-monnayeurs, qui furent boulus en 1420. On employa une queue d'eau. La queue était une mesure de la contenance de cinquante-quatre setiers, ou environ quatre hectolitres. Pour faire bouillir cette eau, on consomma un cent et demi de cotrets et un demi-cent de bourrées.

Il paraît naturel de comprendre, dans la catégorie des exécutions par le feu, certaines peines qui n'étaient, pour ainsi dire, que le premier acte d'un plus grand supplice, telles que le brasier de soufre, au moyen duquel on brûlait la main des parricides et des criminels de lèse-majesté. Il convient aussi d'y rattacher divers châtiments qui n'entraînaient pas la mort après eux, mais qui n'en étaient pas moins cruels. De ce nombre était le bassin ardent, que l'on faisait passer devant les yeux et qui ôtait l'usage de la vue. De même encore l'application du fer rouge sur certaines parties du corps, usage qui s'est perpétué jusqu'à nos jours dans la flétrissure de la marque. Les ordonnances de saint Louis prescrivaient de marquer les blasphémateurs au front, de leur percer la langue ou de leur brûler les lèvres avec un fer ardent ; Joinville appelle cela leur cuire les lèvres et le nez.

L'ESPÉE. — Dans certains pays, la décapitation se faisait avec la hache ; mais, en France, elle avait lieu au moyen d'une épée fournie à l'exécuteur. Il fut payé 60 sous parisis à Henriet Cousin, maître exécuteur des hautes œuvres de la justice de Paris, en 1476, pour avoir acheté une grande espée à feuille, servant à décapiter les condamnés à avoir la tête tranchée ; et icelle fait garnir de fourreau et de ce qui y appartient : et pareillement a fait remettre à point et rabiller la vieille espée qui s'étoit éclatée et ébreschée en faisant la justice de messire Louis de Luxembourg. (SAUVAL, Comptes de la prévôté de Paris.)

Dans l'origine, on infligeait cette peine indistinctement ; plus tard, elle devint le privilège exclusif de la noblesse, qu'elle ne faisait pas déroger. Le condamné avait ordinairement la liberté de choisir s'il voulait avoir les yeux bandés ou non, à moins que le bandeau n'eût été prescrit par le jugement, ce qui était regardé comme ignominieux. Le patient était à genoux, la tête appuyée sur un billot de bois, et l'habileté des bourreaux était telle que, la plupart du temps, la tête était détachée d'un seul coup. Cependant cette adresse leur faisait quelquefois défaut, et l'on cite quelque cas où l'exécuteur fut obligé de s'y reprendre jusqu'à onze fois. D'ailleurs il arrivait parfois que les épées se cassaient dans l'exécution. Le désir de remédier à cet inconvénient fut, sans doute, le motif qui donna naissance à cet instrument de supplice, qui porte aujourd'hui le nom de guillotine, et qui n'est que le perfectionnement d'une machine beaucoup plus ancienne. Dès le seizième siècle, en effet, notre moderne guillotine existait déjà en Écosse sous le nom de maiden (la vierge, la pucelle), et les historiens anglais assurent que le comte de Morton, régent d'Ecosse pendant la minorité de Jacques VI, la fit construire sur le modèle d'une machine semblable qu'il avait vue à Halifax, dans le comté d'York, où elle fonctionnait depuis très-longtemps : ils ajoutent que Morton fut le premier qui reçut la mort de cette manière. D'autres prétendent qu'il rapporta d'Italie l'idée de la maiden. Il est certain, du moins, que, dans le même temps, on se servait à Gênes d'une machine qui offre l'analogie la plus complète avec l'instrument de supplice actuel. Le condamné estendit le cou sur le chappus (billot) ; le bourreau print une corde à laquelle tenoit attaché un gros bloc à tout une doulouère tranchante, hantée dedans, venant d'amont entre deux poteaux ; et tira ladite corde, en manière que le bloc tranchant à celui Gênevois (Génois) tomba entre la tête et les épaules, si que la tête s'en alla d'un costé, et le corps tomba de l'autre. (JEAN D'AUTON, Chroniques.) — Le P. Labat, qui, dans son Voyage d'Italie, décrit une machine tout à fait semblable, dit qu'elle porte dans le pays le nom de mannaia. Deux gravures allemandes, exécutées vers 1550 par Pencz et Aldegraver, offrent aussi la représentation d'instruments de mort presque identiques avec la guillotine. Enfin, celle-ci figure encore sur un bas-relief, de la fin du seizième siècle, placé dans la salle du tribunal de l'ancienne ville impériale de Lunebourg dans le Hanovre. Ces exemples suffisent pour prouver que l'invention du mode actuel de supplice doit être restitué au Moyen Age.

LA FOSSE. — Ce supplice, dont la barbarie révolte l'imagination et qui s'exécutait devant les fourches patibulaires, était particulièrement usité à l'égard des femmes. Il consistait à enfouir ou enterrer celles-ci vivantes. L'atrocité de ce châtiment a fait supposer à quelques personnes qu'on se bornait à mettre le condamné en terre jusqu'à mi-corps et à l'y laisser exposé un certain nombre d'heures, après quoi on lui rendait la liberté. Il n'en était point ainsi ou, au moins, cela ne se passait de cette façon que par exception. En 1460, une femme nommée Perette, accusée de plusieurs vols et de recel, fut condamnée, par le prévôt de Paris, à souffrir mort et à estre enfouye toute vive devant le gibet. Elle en appela au parlement, qui confirma la sentence. Alors elle chercha à éloigner le moment fatal en se déclarant enceinte ; mais, des ventrières et matrones l'ayant visitée et ayant déclaré qu'elle en imposait, la malheureuse fut immédiatement envoyée exécuter aux champs, devant le gibet. On rencontre de fréquents exemples de pareilles exécutions, et l'on voit qu'il était d'usage de creuser, dans ces circonstances, des fosses de sept pieds de long.

L'in pace était une autre manière d'enterrer vivant. Ce supplice fut surtout en usage dans les cloîtres espagnols. Il consistait à laisser un condamné mourir de faim dans un cachot souterrain dont l'entrée était murée sur lui sans retour.

L'ESQUARTELAGE, ou TIRER À QUATRE CHEVAUX. — L'origine de l'écartèlement, l'un des plus horribles que la cruauté de l'homme ait pu inventer, remonte à une antiquité très-reculée. Ce supplice avait lieu alors de diverses manières ; mais, dans la suite, on n'y employa que des chevaux. Voici comment on y procédait : Le condamné, après avoir été amené dans un tombereau, nu en chemise, était couché sur le dos au milieu d'un échafaud dont la hauteur était seulement de trois pieds et demi. On l'y attachait avec des liens de fer, dont l'un lui entourait la poitrine vers le cou, et l'autre les hanches et le bas-ventre. Ces liens étaient solidement fixés à la plateforme de l'échafaud, afin que le corps ne cédât pas à l'effort des chevaux. Comme ce genre de supplice était habituellement infligé aux régicides, le patient subissait d'abord diverses tortures accessoires réservées pour ce genre de crime. On lui brûlait la main avec un brasier de soufre ; on lui arrachait des lambeaux de chair, avec des tenailles, aux mamelles, aux bras, aux cuisses et au gras des jambes, et on versait sur ces plaies palpitantes une composition de plomb fondu, d'huile bouillante, de poix-résine, de cire et de soufre mêlés ensemble. Cela terminé, on attachait une corde à chaque membre : celles des jambes prenaient depuis les genoux jusqu'aux pieds, et celles des bras depuis l'épaule jusqu'aux poignets ; le surplus de chaque corde allait s'attacher au palonnier de chacun des quatre chevaux, qui étaient harnachés comme ceux employés au tirage des bateaux. On faisait d'abord tirer les chevaux par petites secousses et en modérant leur ardeur ; puis, lorsque la douleur avait arraché des cris déchirants au patient, on faisait tirer les chevaux avec force et en tous sens, afin d'écarter tous les membres à la fois ; cependant, comme les tendons et les ligaments résistaient et ne pouvaient être rompus malgré la violence des efforts, le bourreau y aidait en pratiquant des entailles à chaque jointure, à petits coups de hache. La durée de ce supplice était ordinairement de deux heures. Lorsque chaque cheval avait arraché un membre, on réunissait ceux-ci dans un même bûcher, et, après les avoir brûlés, on en jetait les cendres au vent. Quelquefois, au contraire, le corps était mis au gibet et les membres exposés à quatre portes de la ville, ou bien envoyés en quatre villes aux extrémités du royaume. Et à chascun desdits membres estoit mise une épitaphe pour faire sçavoir la cause pourquoy lesdicts membres estoient mis et posez. (JEAN DE TROYES, Chronique scandaleuse.)

LA ROUE. — On trouve la mention de ce supplice dans les auteurs les plus anciens ; mais il signifiait alors un tout autre genre de tourment que celui qui fut en usage chez nos ancêtres. Dans l'antiquité, le patient était placé sur le cercle d'une roue que l'on tournait rapidement dans un sens, puis que l'on retournait brusquement dans le sens contraire. Au Moyen Age, la roue servait seulement à recevoir le corps d'un criminel qui avait été précédemment rompu. L'institution légale de ce supplice ne date, en France, que du seizième siècle. Par un édit daté du 4 février 1534, François Ier ordonna qu'il serait infligé aux voleurs de grands chemins ; dans la suite, on en étendit l'application à plusieurs autres crimes.

Lorsqu'il s'agissait de rompre un condamné, on attachait à plat, sur un échafaud, une croix de Saint-André faite avec deux solives assemblées dans leur milieu et se croisant obliquement. Deux entailles, distantes d'environ un pied l'une de l'autre, étaient pratiquées dans chacune des branches de la croix. Le patient était étendu sur celle-ci, nu en chemise, la face tournée vers le ciel. Après avoir relevé sa chemise aux bras et aux cuisses, on l'attachait avec des cordes à toutes les jointures du corps. Ensuite le bourreau s'avançait armé d'une barre de fer carrée, large d'un pouce et demi et arrondie à la poignée, qui se terminait par un bouton. Il donnait un coup violent de cet instrument dans la partie des membres comprise entre les jointures, en ayant soin d'assener le coup précisément à l'endroit qui portait à faux sur chaque entaille pratiquée à la croix. Les os se trouvaient donc ainsi brisés deux fois à chaque membre. Cette affreuse opération se terminait par deux ou trois coups de barre sur l'estomac. Aussitôt que l'exécution était achevée, on détachait le corps du supplicié ; on lui ployait les cuisses en dessous, de façon que ses talons touchassent le derrière de sa tête. Puis, on le posait, dans cette situation, sur une roue de carrosse, dont on avait scié la partie saillante du moyeu et qui était placée horizontalement sur un pivot, à l'un des bouts de l'échafaud. Il y demeurait exposé plus ou moins de temps.

Quelquefois les magistrats tempéraient la rigueur de la sentence, en ordonnant que le criminel serait étranglé avant d'être rompu. Dans ce cas on disposait au-dessous de l'échafaud, à l'endroit où devait être la tête du patient, un moulinet auquel s'enroulait une corde passée autour du cou du condamné, et que deux hommes serraient au moyen de leviers. Pour mieux assurer l'effet de cette corde, on avait soin de placer une pierre sous la tête du patient : ce qui rendait le cou plus libre.

MASSOLE. — Ce supplice en usage à Avignon, où il avait été importé d'Italie, et qui était inconnu dans le reste de la France, était hideux à voir. On frappait le condamné à la tempe avec un maillet ; on lui coupait ensuite la tête, les bras et les cuisses : ses membres étaient placés à des crochets fixés aux poteaux qui s'élevaient sur l'échafaud. Quelquefois, les membres du supplicié étaient, au contraire, livrés aux flammes et ses cendres jetées au vent. D'autrefois, ils étaient attachés à des fourches patibulaires ou bien placés sur les différentes portes de la ville. Enfin, dans certains cas, la tête seule était mise dans une cage de fer, et celle-ci enchâssée dans une des tours de l'enceinte delà ville. (CHAMBAUD, Notice sur l'organisation judiciaire, etc.)

L'ÉTRANGLEMENT. — La manière la plus ordinaire de le pratiquer en France était par la pendaison ; cependant on rencontre de fréquents exemples de personnes étranglées d'une autre manière, comme Marguerite de Bourgogne, épouse adultère de Louis-le-Hutin, que son mari fit étrangler dans sa prison avec une serviette. Le plus communément ce genre de mort était une faveur de la justice, qui épargnait par-là, à un condamné, les souffrances d'un autre supplice plus cruel. Le conseiller Anne du Bourg fut ainsi étranglé, avant d'être livré aux flammes comme hérétique.

Sous le nom de garrotte, la strangulation était jadis et est encore aujourd'hui, en Espagne, un supplice réservé à la noblesse. Le condamné s'assied sur un échafaud particulier, le derrière de la tête appuyé contre un poteau et un large collier de fer lui ceignant le cou. Le bourreau, placé en arrière du poteau, serre le collier au moyen d'un tourniquet et étrangle ainsi rapidement le patient.

La pendaison, ou peine de la hart, était, en France, le châtiment que les juges ordonnaient le plus habituellement, et s'exécutait au moyen de la potence. Celle-ci se composait d'un montant en bois portant à son sommet une autre pièce de bois horizontale, à l'extrémité de laquelle était attachée la corde que l'exécuteur passait au cou du patient.

Le criminel condamné à être pendu était conduit au lieu du supplice, assis dans une charrette, le dos tourné au cheval, ayant son confesseur à côté de lui et le bourreau derrière. II portait au cou trois cordes : deux, de la grosseur du petit doigt et qu'on nommait tortouses, avaient chacune un nœud coulant à leur extrémité ; la troisième, le jet, ne servait qu'à jeter le patient hors de l'échelle, à le lancer dans l'éternité. Lorsque la charrette avait atteint la potence, à laquelle était appuyée et liée une échelle, le bourreau montait le premier à cette échelle, à reculons, et aidait le criminel à monter de même au moyen des cordes. Il attachait les deux tortouses au bras de la potence ; puis, d'un coup de genou et aidé du jet, il faisait quitter les échelons au patient, qui se trouvait ainsi suspendu. Il mettait ensuite ses pieds sur les mains liées du condamné, et, se soutenant en même temps à la potence, à force de secousses et de coups de genoux dans l'estomac il terminait le supplice par la mort.

La sentence de condamnation portait ordinairement : Sera pendu jusqu'à ce que mort s'ensuive. Ce n'était pas uniquement une formule : quelquefois on n'ordonnait la pendaison que dans le but de faire éprouver un état de gêne plus ou moins douloureux. Dans ce cas, on suspendait le patient sous les aisselles. Cela se faisait généralement à l'égard des très-jeunes gens ; mais il ne faut pas croire que cette simple suspension fût sans danger : le frère de Cartouche, qui avait ainsi été mis au gibet, mourut pour y être resté trop longtemps.

On faisait aussi une différence, en Angleterre, entre être pendu et pendu et étranglé, suivant le degré de culpabilité. Un individu, nommé Stony, fut condamné à être pendu, mais à ne rester à la potence que le temps qu'il faudrait à un homme pour faire dix pas. L'arrêt s'exécuta à la lettre, et l'homme en réchappa.

Il existait, presque toujours, auprès des grandes villes, un gibet permanent, où se faisaient les exécutions, ou bien où l'on portait les cadavres des suppliciés, afin de les y laisser exposés à la vue des passants. Ces sortes de gibets, nommés justices ou fourches patibulaires y et qui étaient la marque du droit de haute justice, consistaient ordinairement en des piliers de pierre réunis au sommet par des traverses de bois auxquelles on attachait les criminels. Ces fourches patibulaires, dont le nombre des piliers variait en raison de la qualité du seigneur justicier, étaient toujours au bord des chemins fréquentés et sur une élévation. La plupart existaient encore en 1789, et l'on trouve, dans le voisinage de beaucoup de villes, le nom de butte de Justice, ou simplement de Justice, conservé aux éminences où elles étaient placées.

Conformément à la règle, les fourches patibulaires de Paris, qui jouèrent un si grand rôle dans l'histoire de cette cité, s'élevaient sur une hauteur, à trois quarts de lieue, au nord de la ville, près de la route d'Allemagne. La butte portait le nom de Montfaucon, et ce nom servit, dans la suite, à désigner le gibet lui-même qui y avait été construit.

Le gibet de Montfaucon apparaissait sous l'aspect d'une lourde masse de 15 à 18 pieds de haut, composée de 10 ou 12 assises de gros quartiers de pierres brutes, et formant un carré long de 40 pieds sur 25 ou 30. Sa partie supérieure présentait une plate-forme, à laquelle conduisait une rampe de pierre, assez large, dont l'entrée était fermée par une porte solide. De cette plate-forme, et le long de trois de ses côtés seulement, s'élevaient seize piliers carrés, hauts de 32 à 33 pieds, formés de blocs de pierre d'un pied d'épaisseur. Ces piliers étaient unis entre eux par de doubles pièces de bois qui s'enclavaient dans leurs chaperons et supportaient des chaînes, de 3 pieds et demi de long, destinées à suspendre les condamnés. Au-dessous, d'autres traverses reliaient également les piliers, à moitié de leur hauteur, et servaient au même usage que les traverses supérieures. De longues échelles donnaient le moyen de monter les patients ou leurs cadavres au gibet. Enfin, le centre du massif était occupé par une cave destinée à servir de charnier pour les os des suppliciés.

Tel était l'aspect du gibet de Montfaucon, aspect lugubre si l'on songe à la quantité de cadavres qui y étaient constamment attachés. En une seule fois il fallut remplacer cinquante-deux chaînes, et ce nombre n'était pas suffisant ; on le comprendra aisément en se reportant à la rigueur des condamnations au Moyen Age ; en se rappelant que Montfaucon avait à remplir le double rôle d'instrument de supplice et de lieu d'exposition ; que l'on y portait les cadavres de tous ceux qui avaient été exécutés sur divers points de la ville, lors même que la nature du supplice qu'ils avaient subi, semblât devoir y apporter un empêchement insurmontable, car il est certain qu'on suspendait entre les piliers jusqu'aux restes des criminels qui avaient été bouillis ou décapités. Dans ce cas, on plaçait les corps dans des sacs de treillis ou de cuir. Ils pouvaient y demeurer un temps considérable : il y avait trois ans que le corps de Pierre des Essars, décapité en 1413, était au gibet, lorsque sa famille obtint la permission de donner à ses os la sépulture ecclésiastique.

Quand une exécution devait être faite en effigie, on y employait une représentation, aussi exacte que possible, du contumax. Sauval (Comptes de la Prévôté) nous en fournit un exemple à l'occasion d'un auditeur au Châtelet, nommé Claude Frolo, qui avait été condamné, en 1539, à avoir la tête tranchée, à être pendu au gibet de Paris, etc., et qui s'était soustrait aux recherches de la justice. On chargea un peintre de faire la figure du condamné absent : on acheta une torche de cire, pesant deux livres, pour faire faire à cette image l'amende honorable ; on acheta, pareillement, une chemise froncée pour mettre sur ladite figure, une paire de chausses noires (culottes), et l'on loua un pourpoint de velours noir, ainsi qu'une robe d'avocat doublée, pour les parements, de demi-ostade (étoffe de laine légère).

Près de Montfaucon était une croix en pierre, dont on attribuait l'érection à Pierre de Craon lorsqu'il eut obtenu de Charles VI, en 1396, que les condamnés à mort recevraient à l'avenir le sacrement de pénitence. Auparavant, la confession avait toujours été refusée aux criminels. On se contenta, depuis lors, de leur interdire la communion, et de priver leurs restes de sépulture. Sauf quelques rares exceptions, où le roi permettait de les ensevelir, leurs cadavres restaient exposés, pour l'exemple, jusqu'à ce que le temps se chargeât de les détacher des liens qui les retenaient. Les femmes seules n'étaient point mises aux fourches patibulaires.

Nous avons dit, plus haut, que l'on conduisait les condamnés au supplice, dans une charrette ; cette règle n'était cependant pas absolue. Quelques-uns y étaient menés à pied, d'autres à cheval : dans certains cas, on les y traînait sur une claie. Le patient était nu-tête. Lorsqu'il passait devant le couvent des Filles-Dieu, à l'extrémité de la rue Saint-Denis, on le faisait entrer dans la cour, on lui donnait de l'eau bénite, et les religieuses lui apportaient un verre de vin et trois morceaux de pain : vieille coutume, connue sous le nom de dernier morceau des patients. Arrivé près du gibet, on faisait une nouvelle halte devant la croix dont il a été parlé et le condamné y était exhorté une dernière fois par le religieux qui l'assistait. Après l'exécution, le confesseur et les officiers de justice revenaient au Châtelet, où ils trouvaient un repas préparé, dont la ville faisait la dépense.

TRAISNER. — C'était conduire les criminels ou leurs cadavres au gibet sur une sorte de grosse échelle en charpente attachée derrière une charrette.

FLAGELLER ou FUSTIGER. — La peine du fouet s'infligeait de deux manières : sous la custode, c'est-à-dire dans la prison, et par le geôlier, ce n'était alors qu'un simple châtiment ; le fouet devenait, au contraire, infamant, lorsqu'il avait lieu publiquement : le criminel, nu jusqu'à la ceinture, était promené par la ville, et, sur chaque place, il recevait, de la main du bourreau, un certain nombre de coups sur les épaules.

Passer par les baguettes était un châtiment militaire analogue ; le condamné passait entre deux haies de soldats armés chacun d'une baguette, dont ils le frappaient.

LE PILORI. — Lieu patibulaire où était dressé un poteau ou pilier, marque de la haute justice, garni de chaînes et de carcans, et portant les armes du seigneur. A Paris, on donnait ce nom à une tour, élevée et évidée, qui renfermait une roue horizontale tournant sur un pivot. Cette roue était percée de plusieurs trous destinés à recevoir la tête et les mains du patient, qui se trouvait ainsi exposé aux regards du peuple par les ouvertures de la tour. Ce châtiment notait d'infamie. Les piloris étaient toujours placés dans les lieux les plus fréquentés, tels que les marchés, carrefours, etc.

Les échelles étaient une autre sorte de pilori, et servaient pareillement aux expositions.

Damhoudère passe sous silence un grand nombre de supplices. Il ne parle pas de l'estrapade, décrite ci-dessus en traitant de la question ; mais qui était aussi employée comme châtiment et que l'on aggravait en laissant retomber les patients au milieu des flammes d'un bûcher. Il ne parle pas davantage du supplice de la croix ; ce dernier, si lent et si cruel, et qui avait été usité sous des formes si diverses au temps des martyrs, avait été à peu près abandonné au Moyen Age : cependant on s'en servait encore quelquefois contre les juifs ; et Jeanne, comtesse de Flandres, fit mettre en croix, en 1225, entre deux chiens noirs, l'imposteur qui se disait être son propre père. L'Enchiridion se tait encore sur la pratique de noyer, qui fut pourtant assez fréquente pour donner naissance à cette expression : gens de sac et de corde, parce qu'on jetait les condamnés dans la rivière, après les avoir renfermés dans un sac lié avec une corde. Il y aurait enfin à signaler une multitude d'autres genres de mort, tels que : étouffer ; arquebuser, c'est-à-dire passer par les armes ; chatouiller, empaler, écorcher vif, etc.

 

§ V. PRISONS.

 

Par le même sentiment qui portait à renchérir sur la cruauté des supplices, on dut, au Moyen Age, s'appliquer encore à aggraver le sort des prisonniers. Chaque justicier avait sa geôle particulière, entièrement soumise à son bon plaisir. Il n'existait, par conséquent, aucune règle fixe pour le régime intérieur des prisons. Ces dernières étaient généralement étroites et malsaines ; on peut en juger par celle que le prévôt des marchands et les échevins de Paris avaient, en 1383, dans la rue de l'Escorcherie (actuellement de la Tannerie) : c'était une logette ayant onze pieds de long et sept pieds de large.

Paris, à lui seul, renfermait plus de vingt-cinq prisons reconnues, sans compter les vade in pace des nombreuses corporations religieuses. Parmi ces prisons, les principales étaient celles du Grand et du Petit-Châtelet, de la Bastille, de la Conciergerie, du For-l'Évêque, ancien siège de la juridiction temporelle de l'évêque de Paris, etc. La plupart contenaient des cachots souterrains, presque entièrement privés d'air et de lumière, dont le séjour devenait bientôt mortel. Lors d'une visite des prisons du Petit-Châtelet, faite par ordre de Charles VI, en 1398, on constata qu'il s'y trouvait des chartres basses, tellement insalubres, que les prisonniers ne pouvaient y vivre faute d'air. Dans la prison de l'abbaye Saint-Germain-des-Prés, il existait un cachot, creusé à trente pieds au-dessous du sol, dont la voûte était si basse qu'un homme de moyenne taille pouvait difficilement s'y tenir debout, et où l'humidité était si grande que l'eau soulevait la paille qui servait de lit. C'était cependant des cachots de cette espèce qui s'employaient ordinairement comme oubliettes ; on y mettait les condempnés à demourer prisonniers en lieu ténébreux, et à avoir pour pitance, tant qu'ils y pourront vivre, le pain de douleur et eaue de tristesse. (JEAN DE TROYES, Chronique scandaleuse de Louis XI.) Ce mot d'oubliettes servait aussi à désigner des puits, plus ou moins profonds, que l'on rencontrait dans certains châteaux, et dont les parois étaient hérissées de lames de fer tranchantes ; une trappe couvrait habituellement l'orifice de ces puits, et s'ouvrait à l'improviste sous les pas de la victime.

Le Grand-Châtelet était une des plus anciennes prisons de Paris, et, peut-être, celle qui recevait le plus de détenus. Ceux-ci payaient, à leur entrée et à leur sortie, un droit de geôlage, qui variait suivant la condition des personnes, et qui avait été fixé, ainsi qu'il suit, par un Règlement de l'an 1425 : Se ung conte ou une contesse est mis en prison oudit Chastellet, sera paié, pour son geôlage d'entrée et d'issue, X livres parisis ; item, paiera, pour semblable cause, ung chevalier banneret ou une dame bannerette, XX solz ; item, un simple chevalier ou une simple dame, V solz ; item, un escuier ou simple demoiselle noble, XII deniers ; item, un Lombart ou Lombarde, pour ce mesme, XXII deniers ; item, ung juif ou une juive, pour semblable cause, Il solz ; item, tous autres prisonniers, pour ce mesme, VIII deniers.

Ce Règlement de 1425, qui détermine ce que chaque prisonnier avait à payer journellement, fait connaître, en même temps, les noms des diverses prisons du Grand-Châtelet :

Se ung prisonnier gist ès cheynes, en Beauvoir, ou la Mote, ou en la Salle, il paiera chascune nuit, pour lit, IIII deniers, et, pour place, II deniers ; et, s'il veut faire venir ung lit de sa maison, faire le pourra, et ne paiera que II deniers pour place. Chascune personne qui sera emprisonnée en la Boucherie, en Beaumont ou en la Grièsche, qui sont prisons fermées, paiera pour la nuit IIII deniers pour place. Se ung prisonnier est mis en Beauvais, et il gist sur nates ou sur couches de paille ou de feurre, il doit, pour chascune nuit, II deniers. Se ung prisonnier est mis en la Fosse, il doit, quand il a de quoy paier, pour chascune nuit, 1 denier ; et, s'il est mis ou Puis, en la Gourdaine, ou Berceuil (berceau), ou en Oubliette, il doit autant que s'il étoit en la Fosse. Se une personne est mise en Barbarie ou Gloriette, il doit autant que cellui qui est mis en Beauvoir ; et, s'il a lit, IIII deniers pour lit. Se ung prisonnier est mis entre deux huis (portes), il paiera autant comme en la Fosse, c'est assavoir ung denier.

 

Le geôlier ne devait mettre que deux personnes dans un même lit, ou trois au plus. Il était tenu de bailler et livrer, à ses dépens, pain et eaue, aux prisonniers qui n'auroient pas de quoi vivre ; et il lui était interdit de donner autre chose aux prisonniers criminels. Enfin, il lui était enjoint de tenir pleine d'eaue la grande pierre qui est sur les carreaulx, afin que les prisonniers en puissent avoir sans dangier. Pour se couvrir de ces frais et de ceux qu'entraînait l'entretien d'un clerc et de trois valets, le geôlier percevait les divers droits énumérés plus haut. Il était autorisé, en conséquence, à retenir en prison quiconque ne les aurait pas acquittés, nonobstant sa mise en liberté prononcée par les juges. Il recevait une indemnité, lorsque des circonstances extraordinaires obligeaient de mettre des prisonniers hors du Châtelet sans qu'il en eût été payé, comme cela eut lieu, en 1467, à l'occasion de la pestilence et mortalité qui avoient cours en la ville de Paris et ès environs.

Le Règlement de Henri VI ne mentionne pas quelques cachots du Châtelet, dont le séjour était horrible ; ou, du moins, il les indique par des noms qui diffèrent de ceux sous lesquels ils étaient généralement connus dans le peuple. De ce nombre, étaient : la Chausse d'hypocras, où les prisonniers avaient perpétuellement les pieds dans l'eau et ne pouvaient se tenir ni debout ni couchés ; le cachot appelé Fin d'aise, réceptacle d'ordures et de reptiles, etc. Quant à la Fosse, il n'avait été ménagé aucun escalier pour y descendre : les Comptes de l'ordinaire, de l'année 1492, nous apprennent qu'on se servait d'une poulie de cuivre, pour y devaler les prisonniers.

Les cachots du bas des tours de la Bastille étaient remplis d'un limon infect et ne différaient guère des précédents. Il s'en trouvait aussi de semblables à la Chausse d'hypocras, c'est-à-dire dont le fond, en forme de pain de sucre renversé, ne permettait pas à ceux qu'on y renfermait de se dresser sur leurs pieds. Louis XI fit occuper ces cachots par les fils de Jacques d'Armagnac, duc de Nemours, décapité en 1477. Il avait ordonné, en outre, qu'ils en fussent tirés deux fois par semaine, pour être frappés de verges sous les yeux du gouverneur de la Bastille, et que, tous les trois mois, on leur arrachât une dent !... C'est également Louis XI qui fit construire, en 1476, la fameuse cage, dite de fer, placée dans une des tours de la Bastille et où Guillaume de Haraucourt, évêque de Verdun, fut enfermé durant quatorze années. Cette cage était formée de barreaux de bois fort épais, revêtus de fer, et très-serrés. Les Comptes de la prévosté de Paris portent : Pour avoir fait de neuf une grande cage de bois de grosses solives, membrures et sablières, contenant neuf pieds de long sur huit pieds de lé, et de hauteur sept pieds, entre deux planchers, lissée et boujonnée à gros boujons (boulons) de fer. Il fallut, pour cette cage, quatre-vingt-seize solives de couche, cinquante-trois solives debout, et dix sablières de trois toises de long. Dix-neuf charpentiers furent employés, pendant vingt jours, à écarir, ouvrer et tailler tout ledit bois dans la cour de la Bastille. Il entra dans la confection de la cage deux cent vingt boulons, dont quelques-uns avaient neuf pieds et les autres huit. Ces boulons, les équerres, crampons et autres ferrements accessoires, ne pesaient pas moins de 3,953 livres et coûtèrent 317 liv. 7 s. 5 d. Enfin, la dépense totale qu'entraîna l'établissement de la cage se monta à la somme de 367 liv. 8 s. 3 d., y compris les travaux de consolidation qu'il fallut faire au plancher de la chambre dans laquelle on la plaça.

Le château de Loches avait aussi sa cage de bois, recouverte de plaques de fer en dedans et en dehors. On prétendait qu'elle avait servi de prison au cardinal Jean Balue, et on lui donnait, pour cette raison, le nom de Case-Balue. Il est plus certain que Philippe de Commynes l'occupa quelque temps : lui-même déclare, dans ses Mémoires, qu'il en a tasté pendant huit mois. Avant l'invention des cages, Louis XI avait fait fabriquer des fers très-pesants qu'il faisait mettre aux pieds de certains prisonniers, au moyen d'un anneau qui serrait le bas de la jambe. Les chaînes auxquelles étaient fixés ces anneaux s'attachaient, par leur autre extrémité, à une grosse boule de fer, et les appeloit l'on les fillettes du roy. (COMMYNES, Mémoires.) Quant à la cage qui se voyait au mont Saint-Michel, elle était construite à l'imitation de celles de la Bastille et de Loches.

Nous ne ferons que mentionner les Plombs de Venise : leur triste célébrité dispense d'en donner la description. Nous signalerons, en passant, un genre de séquestration qui n'avait souvent pour cause, à la vérité, qu'une dévotion exagérée. On sait qu'au Moyen Age beaucoup de femmes se renfermaient dans des oratoires attenant à des églises ou chapelles, et y vivaient entièrement séparées du monde. Or, il y eut aussi des recluses par autorité de justice. Une dame noble, Renée de Vendomois, veuve d'un écuyer, ayant été condamnée, en 1485, à être brûlée pour adultère et pour meurtre de son mari, et ayant obtenu du roi des lettres de rémission, le parlement commua la peine de mort prononcée par le prévôt de Paris. Il condamna seulement Renée de Vendomois à demeurer perpétuellement recluse et emmurée, au cimetière des Saints-Innocents, à Paris, dans une petite maison qui lui sera faite à ses dépens... pour icelle faire sa pénitence et finir ses jours. Conformément à l'arrêt, au mois de septembre suivant, Renée de Vendomois fut conduite, en grand appareil, dans la cellule qui lui avait été préparée, et dont la porte fut ensuite fermée au moyen de deux serrures. L'une des clefs resta entre les mains des marguilliers de l'église des Innocents, et l'autre fut déposée au greffe du parlement.

 

A. DE LA VILLEGILLE, de la Société des antiquaires de France, Secrétaire du Comité des monuments écrits de l'histoire de France, au ministère de l'instruction publique.