PREMIÈRE PARTIE. —
MŒURS ET USAGES
EN trois grandes classes, se
partageait la société, au Moyen Age : le clergé, la noblesse, le tiers état. Chacune
de ces classes, formant un corps au sein de l'État et vivant d'une vie
spéciale, présentait, dans la manifestation collective de son existence, une
physionomie particulière et des formes distinctes. Nous suivrons donc, pour
étudier le Cérémonial de cette époque, la division naturelle que l'on vient
de rappeler. I. — CÉRÉMONIAL DE L'ÉGLISE. Les
cérémonies de l'Église, c'est-à-dire les pratiques du culte religieux,
constituèrent de bonne heure une partie essentielle de la science sacrée.
Sous le titre de LITURGIE, CÉRÉMONIES
ECCLÉSIASTIQUES, elles forment la matière de
deux chapitres spéciaux de cet ouvrage, auxquels nous devons renvoyer le
lecteur. Il nous appartient toutefois de consigner ici quelques
renseignements relatifs à certaines solennités, dont les principaux acteurs
faisaient bien partie de l'ordre religieux, mais dont le caractère,
néanmoins, était loin d'être purement ecclésiastique. Cette désignation
s'applique, par exemple, aux pompes et cérémonies qui accompagnaient le
joyeux avènement de beaucoup de prélats, à la fois seigneurs temporels et
spirituels dans leurs diocèses. On
n'ignore pas que, selon l'exégèse des théologiens, l'épithalame oriental qui
se trouve dans l'Ancien Testament et qui porte le nom de Cantique de Salomon
ou Cantique des Cantiques, représente, sous un voile mystique, l'Église en la
personne de la Sulamite, et le Chef de l'Église, que le roi-poète appelle le
Bien-Aimé. Dans le Nouveau Testament, l'Église reçoit plus d'une fois, du
Révélateur, les noms de fiancée et autres semblables. Ces figures ont
évidemment exercé, au Moyen Age, une influence marquée sur le symbolisme de
certaines cérémonies, qui s'accomplissaient au grand jour entre les ministres
les plus élevés du sacerdoce et la communauté des fidèles. Telle était,
surtout en Italie, la prise de possession d'une foule d'archevêques et
évêques. Le 17 janvier 1519, au rapport de Michel-Ange Salvi, historien de
Pistoie, Antonio Pucci, nouvellement élu évêque de cette ville, y fit son
entrée solennelle, au milieu d'un brillant cortège et d'un immense concours
de spectateurs. Arrivé, selon l'usage, à une abbaye de filles dite de San
Pier Maggiore, il descendit de cheval et
entra dans l'église, qui avait été décorée de ses plus riches ornements.
Après y avoir fait sa prière, il se dirigea vers le mur qui séparait l'église
de l'abbaye et dans lequel une brèche avait été pratiquée. Là, se trouvait
préparé un lit de grande valeur. Il y épousa l'abbesse et lui laissa au doigt
un anneau très-beau et très-somptueux. Cela fait, il se rendit à la cathédrale,
où, après d'autres cérémonies, il fut mis par les bons vassaux en possession
de son évêché. A
Florence, lorsque l'archevêque y entrait pour la première fois, il se rendait
également à une abbaye de femmes, placée sous le vocable du premier vicaire
de Jésus-Christ, et là, il épousait aussi l'abbesse de Saint-Pierre. A cet
effet, une grande estrade, surmontée d'un riche baldaquin, s’élevait à côté
du maître-autel. Le prélat se plaçait au milieu des religieuses ; puis on lui
apportait un anneau d'or, qu'il passait au doigt de l'abbesse, dont la main
était soutenue par l'un des membres les plus âgés du clergé de la paroisse ;
puis, il couchait une nuit au couvent, où une chambre lui était destinée et
dans laquelle il était introduit par l'abbesse ; et le lendemain, on
procédait, dans la cathédrale, à son intronisation. Des formes analogues
étaient observées lors de l'installation de l'archevêque de Milan ; des
évêques de Bergame, de Modène, etc., etc. Tout le monde connaît cette
disposition du rituel propre au couronnement des papes, et par laquelle le
souverain pontife est conduit en grande pompe, à l'aide d'une sorte de
palanquin, porté sur les épaules d'un certain nombre de suppôts. Polluche,
auteur d'un traité sur l'intronisation des évêques d'Orléans, fait remonter
l'origine de la gestation des papes à Étienne II, qui, lors de son élection,
en 752, se fit porter sur les épaules du peuple jusqu'au temple de
Constantin. Ces
divers actes symboliques, qui se rapportent tous à une haute antiquité,
s'introduisirent de bonne heure en France à l'occasion de l'avènement des
évêques ; et le séjour des papes à Avignon contribua sans aucun doute à
entretenir parmi nous le goût de ces pompes méridionales. La première entrée
des archevêques de Rouen, de Tours, de Bordeaux ; celle des évêques de Paris,
d'Orléans, de Clermont, d'Autun, de Nantes, de Quimper, de Rennes, de Léon,
de Saint-Brieuc, etc., etc., réunissaient, avec certaines particularités
variables, les diverses circonstances qui se pratiquaient en Italie. Dans un
très-grand nombre de diocèses, l'évêque, au jour de sa venue, s'arrêtait à
une station, située le plus souvent à l'extérieur de sa ville épiscopale, et
y passait une nuit, comme pour y accomplir, à l'instar des chevaliers, une
sorte de veillée des armes. L'archevêque de Bordeaux, la veille de son joyeux
avènement, se rendait hors les murs, à l'église de Sainte-Eulalie, et jurait
préalablement d'observer les privilèges de cette collégiale. On voit encore
dans le chœur de cette église une chaire en pierre sculptée, d'un travail
admirable, qui atteste cette ancienne coutume ; ce siège monumental date du
quinzième siècle, et l'on y remarque surtout sa mitre archiépiscopale, qui
sert à la décoration : c'était là, en effet, que s'asseyait le prélat
lorsqu'il venait accomplir cette cérémonie. Ces lieux de station étaient,
pour les évêques de Paris, l'abbaye de Sainte-Geneviève ; pour ceux de
Clermont, le monastère de Saint-Allyre ; etc., etc. Le lendemain, quatre
seigneurs, vassaux de l'évêché, venaient lever le prélat, le portaient sur
leurs épaules jusque dans son église cathédrale, et acquittaient auprès de
lui le même office que les grands officiers de la couronne auprès de la
personne royale. Dans l'archevêché de Tours, ces quatre seigneurs étaient les
sires d'Amboise, de La Haye, de Preuilly et de Sainte-Maure. Le premier
servait de sénéchal ou dapifer ; le second, d'échanson ; le
troisième, de panetier, et le quatrième, d'écuyer. Ces mêmes vassaux
portaient aussi, en raison de ces offices, le titre de barons de la crosse,
de barons chrétiens ou de premiers barons de la chrétienté — ce dernier mot
étant pris autrefois pour diocèse —. Les seigneurs de Montmorency, qui
remplissaient auprès de l'évêque de Paris les fonctions que nous venons de
dire, tiraient de là l'antique signification que rappelle la devise bien
connue de cette famille : Dieu aide au
premier baron chrétien.
La famille de Talleyrand et celle de Bourdeille jouissaient, en Périgord, des
mêmes prérogatives et portaient de semblables dénominations. A Orléans et
ailleurs, l'évêque avait le privilège de délivrer solennellement tous les
prisonniers renfermés dans les geôles de la justice criminelle. Mais aucun de
ces usages n'offre peut-être, à l'observateur, de particularités plus
remarquables et plus singulières que celles par lesquelles se distinguait le
joyeux avènement des évêques de Troyes. Lorsqu'un nouveau titulaire venait
prendre possession de ce siège, il se rendait, en pompe et publiquement, mais
vêtu seulement du camail et monté sur une mule ou un palefroi, à l'abbaye de
Notre-Dame-aux-Nonnains, antique monastère de femmes, primitivement situé à
l'une des portes et en dehors de la ville. Arrivé au pourpris de l'abbaye,
c'est-à-dire aux limites du domaine de l'abbesse, il rencontrait celle-ci, qui
se présentait, pour le recevoir, à la tête de toutes ses religieuses.
Aussitôt le prélat mettait pied à terre ; un sergent de l'abbaye s'emparait
de sa monture, la conduisait toute sellée dans l'écurie abbatiale, et le
palefroi y demeurait comme propriété de l'abbesse. Cela fait, cette dernière,
en présence de tout le peuple, prenait l'évêque par la main et l'introduisait
dans son monastère. Là, l'évêque entrait au chapitre, s'agenouillait,
récitait une prière que l'abbesse lui indiquait ; puis, ayant dépouillé son
camail, il recevait de ses mains une chape somptueuse ; l'abbesse lui remettait
une crosse, lui ceignait la tête d'une mitre, et, lui présentant un
magnifique texte des Évangiles, couvert de nielles et de vermeil sculpté, qui
se conserve de nos jours à la Bibliothèque publique de la ville de Troyes,
elle lui faisait prêter à haute voix, puis transmettre par écrit, le serment
dont voici la teneur, inscrite en latin au premier feuillet de ce précieux
manuscrit : Moi, tel, évêque de Troyes, je jure
d'observer les droits, franchises, libertés et privilèges de ce monastère de
Notre-Dame-aux-Nonnains. Qu'ainsi Dieu me soit en aide et ces saints Évangiles
! L'évêque alors se
relevait et donnait au peuple sa bénédiction. Après ces formalités, l'abbesse
lui ôtait ses ornements épiscopaux, et, le reste de l'assemblée s'étant retiré,
elle-le conduisait à un logement préparé pour le recevoir, ou il devait
prendre son gîte. L'évêque y passait la nuit, et le lit sur lequel il avait
couché lui appartenait tout garni. Le lendemain, les quatre barons de
l'évêché de Troyes, à savoir : les seigneurs de Saint-Just, de Marigny, de
Poussey et de Méry-sur-Seine, venaient lever le prélat et le portaient sur
leurs épaules jusqu'à la cathédrale, où s'accomplissaient les autres
cérémonies de la prise de possession. Ces
privilèges tout à fait extraordinaires étaient le signe d'une prééminence et
d'une sorte d'autorité spirituelle que les abbesses de Notre-Dame
s'attribuèrent, pendant tout le Moyen Age, à l'égard de leur propre évêque.
D'après la tradition locale, appuyée de textes fort anciens, l'origine de
cette étrange suprématie remontait à l'introduction même de la Foi dans la
contrée. L'abbesse de Notre-Dame-aux-Nonnains était, dans le principe, la
supérieure de chanoinesses séculières dont les traces historiques se suivent
jusques au-delà de l'an 650. Elle était collatrice de plusieurs paroisses de
la ville, dame d'un immense territoire, et même de celui sur lequel s'éleva
l'évêché ; elle passait enfin pour avoir recueilli les droits d'un collège de vestales établi en ce lieu dès le temps du paganisme. La
haute autorité et les prérogatives dont jouissaient, à Maubeuge, l'abbesse et
le chapitre noble des chanoinesses de Sainte-Aldegonde, offrent un autre
exemple qui mérite d'être rapproché du premier. Tous ces privilèges féminins
avaient très-vraisemblablement pour cause originaire la part que, dans les
premiers siècles, les femmes prenaient, sous le titre de diaconesses, aux
fonctions ecclésiastiques. II. — CÉRÉMONIAL DE LA NOBLESSE. Nous
allons retracer ici, en les comprenant sous ce titre commun, les principales
cérémonies relatives à la vie des classes les plus élevées de la société du
Moyen Age, depuis le couronnement des souverains, jusqu'aux actes analogues,
mais moins importants, qui concernaient les personnes appartenant aux rangs
inférieurs de la hiérarchie nobiliaire. Un des monuments les plus
intéressants qui nous soient restés de l'antiquité, le Notitia utriusque imperii,
rédigé vers la fin du quatrième siècle, sous le règne de Théodose, nous fait
connaître les rangs, les attributions et les insignes des nombreux
fonctionnaires qui administraient, en Orient et en Occident, sous l'autorité
des empereurs. Lorsque les Germains, et particulièrement les Franks, réussirent
à substituer leur domination à celle du peuple romain, ces nations presque
sauvages, et les chefs barbares qu'elles avaient à leur tête, sous le titre
de rois, empruntèrent nécessairement des vaincus les notions plus ou moins
raffinées que suppose un Cérémonial. L'exaltation du chef élu ou Kœnig sur le
pavois, la prise solennelle des armes et de la framée au sein de la tribu,
telles sont, en effet, les seules traces de cérémonies publiques que l'on
puisse constater chez les Germains. L'ordre merveilleux, le spectacle
imposant de la hiérarchie politique de l'empire romain, surtout dans ses
pompes extérieures, durent frapper sensiblement l'imagination de ces hommes
grossiers. Aussi, voyons-nous les rois franks se faire, aussitôt après la
victoire, les copistes naïfs et plus ou moins maladroits de cette
civilisation qu'ils avaient brisée. Clovis, revenu à Tours en 507, après
avoir défait Alaric, reçut dans cette ville le titre de patrice et de consul,
que lui envoya l'empereur Anastase. Dès lors, selon le témoignage des
historiens, il se para des marques de la souveraineté à l'usage des
empereurs, telles que la pourpre, la chlamyde et le diadème. Le même esprit
d'imitation s'appliqua au Cérémonial intérieur et extérieur des cours, au fur
et à mesure qu'il se développa auprès de la personne royale. Charlemagne,
cherchant avec la sagacité du génie aux sources presque taries de la
civilisation italique, pour y puiser tout ce qui devait orner et vivifier une
monarchie chrétienne, constitua autour de lui un ordre régulier, pour
l'administration générale et privée de son empire et pour le règlement de la
discipline intérieure de ses palais. Divers fragments que nous ont conservés
sur ce sujet les historiens de son règne, impriment à l'esprit une certaine
idée de grandeur et de majesté, unie à celle de l'autorité et de la
hiérarchie. Lorsque Charles prenait ses repas, dit le moine de Saint-Gall, il
était servi par les ducs, les rois et autres chefs de différentes nations.
Ces derniers lui succédaient à table et avaient pour serviteurs les comtes,
les préfets et les seigneurs revêtus des principales dignités du palais. Ceux-ci
étaient remplacés, a leur tour, par la jeunesse militaire et par les élèves (scholares) de la cour impériale. Venaient
ensuite les maîtres, puis les officiers subalternes des divers offices ou
emplois. Un autre document plus explicite, émané d'Adalhard, un des plus
proches alliés et favoris du grand empereur, recueilli et publié par le
célèbre Hincmar, document bien connu sous le nom de Lettre aux grands sur
l'ordre du palais, nous initie d'une manière plus approfondie à cette
organisation, qui embrassait à la fois la vie domestique du souverain et
l'administration générale de l'État. Après l'empereur et les princes, la plus
haute dignité du palais était celle de l'apocrisiaire, ou ministre secrétaire
d'État pour les affaires ecclésiastiques. Sous les Mérovingiens, il
s'appelait chapelain ou archichapelain. Il était assisté d'un grand
chancelier et de plusieurs clercs. A côté de lui s'élevait, à peu près égal
en puissance, le comte du palais, chargé des affaires
temporelles : politique, guerre et justice. Le chambellan ou grand chambrier, placé sous l'autorité directe
de la reine ou impératrice, avait soin de la tenue, du mobilier et de la
décoration du palais. Le sénéchal était préposé à la nourriture
et au service de la table ; il avait pour collègue le grand bouteiller, particulièrement chargé des breuvages : vin,
bière, hydromel, etc. Le connétable, qui venait ensuite, était
l'intendant des écuries et étables, et, par extension, de la cavalerie ;
cette fonction demeura un office essentiellement militaire et de premier
ordre. Le dernier des grands officiers était le maître d'hôtel ou fourrier (mansionarius), qui devait pourvoir au
logement de l'empereur et de la cour, dans leurs nombreux déplacements. Après
eux venaient les officiers suivants, d'un ordre de plus en plus inférieur :
les quatre grands veneurs, un fauconnier, l'huissier, le trésorier, le
dépensier, l'économe ; puis, les valets de vénerie, les valets de chien, les
préposés à la chasse des bièvres ou castors (beverarii), etc. Pour ce qui est de
l'ordre suivi dans l'administration des affaires de l'État, deux grandes
assemblées, l'une tenue à l'automne, l'autre, plus solennelle encore, au printemps,
servaient à élaborer, ou du moins à préparer et surtout à promulguer la loi,
dont le véritable auteur et arbitre était le roi ou l'empereur. Ces
assemblées avaient lieu, lorsque le temps le permettait, en plein air ; en cas
de pluie ou d'intempérie, elles se tenaient dans des édifices fermés et
partagés par diverses salles en trois grandes divisions. Dans l'une résidait
le souverain, assisté de ses familiers, à qui l'on se référait
perpétuellement, pour la délibération même des affaires ; la seconde était
occupée par les conseillers ecclésiastiques, et la troisième, par les
conseillers laïques, qui délibéraient ainsi par corps.
Quant au peuple, il restait dehors, et son rôle se bornait presque
exclusivement à l'acclamation. L'énumération
qui précède offre un tableau à peu près exact des titres et des fonctions les
plus élevés qui furent usités dans les cours, et particulièrement en France,
pendant la durée de la monarchie. En ce qui touche les actes et le procédé
qui constituaient l'accomplissement de ces fonctions diverses, c'est-à-dire
en ce qui touche le Cérémonial et l'étiquette proprement dits, les règles minutieuses qui en firent à la fois
une science et une loi, ne s'établirent chez nous que lentement et
tardivement. En 1389, lorsque le roi Charles VI, jeune encore, épousa la
fameuse Isabeau de Bavière, sa fiancée, âgée de quatorze ans à peine, il
voulut lui faire à Paris une entrée magnifique et qui répondît, par sa pompe
et son éclat, à la passion dont il était animé. Il pria donc la reine Blanche,
veuve de Philippe de Valois, de présider à l'ordonnance de la cérémonie en se
reportant aux souvenirs du temps passé ; et l'on se borna, en conséquence, à
consulter les records officiels, c'est-à-dire la Chronique du monastère de
Saint-Denis, en l'absence de toute règle fixe établie à cet égard. Le
premier corps de règles sur cet objet, à l'usage des classes nobles, qui ait
paru en France, ou du moins qui nous soit connu, est intitulé les Honneurs de
la cour. Il date de la fin du quinzième siècle, et nous aurons ci-après
l'occasion de nous y arrêter spécialement. En 1548, ces matières n'avaient
point encore été réglées par l'autorité législative, car, à cette époque, le
roi Henri II, désirant scavoir et entendre
quel rang et ordre, du temps de ses prédécesseurs, avoient tenu en toutes
grandes et solennelles assemblées les princes du sang, tant ducs que comtes,
les autres princes, barons et seigneurs du royaume, et semblablement les
connestables, mareschaux de France et admiral, donna commission à Jean du Tillet, greffier civil
en sa cour du parlement, de rechercher parmi les archives royales les divers
témoignages authentiques propres à éclaircir cette question et à servir de
loi pour l'avenir. (Godefroy, Cérémonial français, 1649, t.
Ier.) Enfin, ce fut
seulement Henri III qui, par ses lettres de provision datées du 2 janvier
1585, créa la charge de grand-maître des cérémonies de France, en faveur de
Guillaume Pot, seigneur de Rhodes ; ce dernier la transmit à sa famille, où
elle demeura héréditaire pendant plusieurs générations. Cependant
cette question du Cérémonial, et surtout des préséances, avait déjà plus d'une
fois éveillé l'attention des souverains, non-seulement au sein de leurs États
respectifs, mais aussi dans les relations internationales de la diplomatie.
La célébration des conciles, qui réunissaient en commun, avec les députés de
l'Église entière, les ambassadeurs de toutes les puissances chrétiennes,
avaient dû notamment susciter l'examen de -cette matière. Le pape Jules II,
en 4504, fit publier par son maître des cérémonies, Pierre de Crassis, un
décret qui déterminait comme il suit le rang hiérarchique dans lequel les
différents souverains de l'Europe ou leurs représentants devaient prendre
séance. 1°
l'Empereur. 2° le Roi des Romains. 3° le Roi de France. 4° le Roi d'Espagne.
5° le Roi d'Aragon. 6° le Roi de Portugal. 7° le Roi d'Angleterre. 8° le Roi
de Sicile. 9° le Roi d'Ecosse. 10° le Roi de Hongrie. 11° le Roi de Navarre. 12°
le Roi de Chypre. 13° le Roi de Bohême. 14° le Roi de Pologne. 15° le Roi de
Danemark. 16° la République de Venise. 17° le Duc de Bretagne. 18° le Duc de
Bourgogne. 19° l'Électeur de Bavière. 20° l'Électeur de Saxe. 21° l'Électeur
de Brandebourg. 22° l'Archiduc d'Autriche. 23° le Duc de Savoye. 24°
l'Archiduc de Florence. 25° le Duc de Milan. 26° le Duc de Bavière. 27° le
Duc de Lorraine. Nous
devons ajouter que ce décret ne reçut jamais l'adhésion des parties
intéressées, dont elle blessait les prétentions rivales, et que, pendant tout
le Moyen Age, cette question des préséances resta, jusque dans les plus
humbles cérémonies publiques, une source perpétuelle de procès et de
querelles trop souvent sanglantes. Ainsi
donc, au Moyen Age, la tradition fut la plus ancienne et la principale
jurisprudence en fait d'étiquette et de cérémonial. C'est d'après elle
surtout, c'est-à-dire d'après les faits, que nous allons présenter un tableau
abrégé des solennités les plus importantes de la vie des rois, princes et
autres personnages appartenant à la classe de la noblesse. Il convient de
placer au premier rang, parmi ces cérémonies, celles qui avaient pour objet
l'institution même des souverains sur leur trône, et qui empruntaient en même
temps leur sanction morale et leur plus haute majesté, de l'intervention qu'y
apportait l'autorité religieuse. Parlons d'abord du sacre et couronnement des
rois de France. Quoi
qu'aient pu dire sur ce sujet, de nombreux écrivains, à des époques
d'enthousiasme et de foi crédule où la royauté était l'objet d'un culte
universel, Pépin-le-Bref, fils de Charles-Martel et fondateur de la seconde
dynastie, fut le premier de nos rois qui reçut l'onction religieuse ; et la
forme essentielle, ainsi que le théâtre de cette cérémonie, subit pendant
longtemps de nombreuses variations, avant que d'être consacrée par une loi
définitive ; c'est ce que démontrera clairement le résumé historique que nous
allons exposer. En 752, Pépin-le-Bref, ayant été élu roi des Franks, avec
l'approbation du pape Zacharie et au préjudice du roi légitime Childéric III,
se fit sacrer une première fois par l'archevêque de Mayence, saint Boniface,
dans la cathédrale de Soissons ; puis, une seconde fois, avec ses deux fils
Charlemagne et Karloman, en 754, dans l'abbaye de Saint-Denis, par le pape
Étienne III ; ce fut également le premier prince qui prit, dans ses actes, le
titre de roi par la grâce de Dieu. Après lui, Charlemagne, déjà sacré, comme
héritier/de son père, se borna à se faire oindre successivement par le
souverain pontife, d'abord comme roi des Lombards, puis comme empereur, et
procura la même consécration à ses fils, au titre de leurs principautés
respectives. Louis-le-Débonnaire, son successeur immédiat, fut sacré à Reims,
par le pape Étienne IV, en 816, en qualité d'empereur et de roi de France. En
877, Louis-le-Bègue, roi de France, reçut à Compiègne l'onction et le
sceptre, des mains d'Hincmar, archevêque de Reims. Deux années plus tard, ses
deux fils Louis III et Carloman furent associés à la même cérémonie, ainsi
qu'au trône de leur père, en présence d'Anségise, archevêque de Sens, et dans
l'église abbatiale de Saint-Pierre de Ferrières. Le sacre du roi Eudes, en
888, eut lieu à Compiègne, par les mains de l'archevêque de Sens. Charles-le-Simple,
en 893, et Robert Ier, en 922, furent sacrés et couronnés à Reims ; mais l'onction
et le couronnement de Raoul (923) se célébrèrent en l'abbaye de Saint-Médard de Soissons ; et ceux
de Louis d'Outre-Mer, fils de Charles-le-Simple (936), à Laon. De l'an 954 à l'an
1106, et depuis l'avènement du roi Lothaire jusqu'à celui de Louis VI dit le
Gros, le sacre des rois de France eut lieu tantôt en l'église métropolitaine
de Reims et tantôt dans d'autres églises, mais le plus souvent dans la
première. Louis VI ayant été sacré dans la cathédrale d'Orléans, par les
mains de l'évêque ordinaire, saint Sanson, le clergé de Reims réclama contre
cette prétendue infraction à la coutume et à ses privilèges. Mais le célèbre
Yves de Chartres, un des personnages les plus considérables de son siècle,
qui avait assisté comme prélat à la cérémonie d'Orléans, réfuta ces
prétentions dans une lettre curieuse, où il établit que nulle église n'est
investie, ni en droit, ni en fait, ni en équité, du privilège exclusif de
conférer au monarque nouvellement régnant la consécration religieuse. Il faut
avouer cependant qu'à défaut de titre juridique, la tradition et les
souvenirs historiques constituaient en faveur des réclamants une
recommandation particulière. L'Église de Reims était, en effet, la première
métropole chrétienne de toute la Gaule Belgique, qui embrassait dans sa
circonscription le domaine primitif des rois de France. La monarchie, en la
personne de Clovis, y avait reçu le premier sceau de la vie religieuse ; et,
jusqu'au sacre de Louis-le-Gros, lorsque le successeur de saint Remi,
archevêque de Reims, n'avait pas administré lui-même au roi, nouvellement
proclamé, le symbole de l'intervention divine, ce ministère, ainsi qu'on a pu
l'observer, fut presque toujours rempli par un suffragant de la province. Le
roi Louis-le-Jeune, fils de Louis-le-Gros, fut sacré à Reims, en 1131, par le
pape Innocent II ; plus tard, en 1179, voulant assurer à son fils Phi
lippe-Auguste, et par anticipation, la sanction de l'Église, pour ajouter au
prestige de son titre de roi, il le fit sacrer à Reims, et promulgua, pour cette
circonstance, sous le sceau de son autorité royale, un acte spécial qui fut
enregistré dans les archives de la Chambre des comptes. Ce décret authentique
prescrivit l'ordre à suivre dans des occasions semblables, et, depuis cette
époque jusqu'à la fin du règne des Bourbons de la branche aînée, la cérémonie
du sacre eut lieu invariablement, selon le rite légal, dans la métropole de
Reims ; à l'exception toutefois d'Henri IV, qui fut sacré et couronné à
Chartres par l'évêque de cette ville, au milieu des dissensions de la guerre
civile qui divisaient alors son royaume. Le
moment est venu de rappeler ici les principaux actes qui composaient le
Cérémonial de cette grande solennité. Le
sacre des rois de France devait s'accomplir un dimanche. Dès la veille, et quelque
temps auparavant, la métropole était préparée pour cette cérémonie. Le samedi
qui précédait le jour désigné, à l'issue de complies, la garde de l'église
appartenait aux officiers royaux, assistés des propres gardiens de la
cathédrale. Dans l'intervalle qui séparait le samedi du jour suivant, et, dans le silence de cette nuict, le monarque venoit y faire
son oraison, et, selon sa dévotion, y veiller une pièce en prières. Un vaste échafaud, surmonté
d'un trône, s'élevait entre le sanctuaire et la grande nef. Ils devaient
monter, avec le roi et ses grands-officiers, les douze pairs, savoir : les
six pairs ecclésiastiques, qui étaient l'archevêque duc de Reims, l'évêque
duc de Laon, l'évêque duc de Langres, l'évêque comte de Beauvais, l'évêque
comte de Châlons, l'évêque comte de Noyon, accompagnés des suffragants de la
province de Reims et des autres prélats qu'il plaisait au roi d'y convoquer ;
puis, les six pairs laïques : le duc de Bourgogne, le duc de Normandie, le
duc d'Aquitaine, le comte de Toulouse, le comte de Flandres, le comte de Champagne, et
d'autres officiers ou seigneurs ; Le roi, dès la pointe du jour, envoyait une
députation de barons à l'abbaye de Saint-Rémi de Reims, où était déposée la
Sainte-Ampoule, qui consistait, comme l'on sait, dans une fiole renfermant le
saint chrême destiné à l'onction royale. L'abbé de Saint-Rémi, accompagné de
ses moines et sous l'escorte de l'ambassade royale, apportait
processionnellement l'huile sainte et la plaçait sur l'autel. De son côté,
l'abbé de Saint-Denis en France avait semblablement apporté en grande pompe
et déposé sur l'autel les insignes royaux, qui se conservaient dans le trésor
de son monastère, à savoir : la couronne, l'épée enclose dans le fourreau,
les éperons d'or, le sceptre doré, la verge garnie de la main d'ivoire, les
sandales ou bottines de soie bleue fleurdelysées, la chasuble ou dalmatique,
et le surcot, ou manteau royal, en forme de chape sans chaperon. Le roi,
sortant du lit, entrait dans la métropole, et prêtait d'abord le serment de
maintenir la foi catholique et les privilèges de l'Église, et de rendre à son
peuple bonne et loyale justice. Puis, il arrivait au pied de l'autel et
dépouillait une partie de ses vêtements. Il se présentait, la tête nue, avec
une chemise ouverte à la poitrine, sur les bras, entre les épaules, et
refermée par des aiguillettes d'argent. L'archevêque de Reims, alors, tirait
l'épée du fourreau et la plaçait dans la main du roi, qui la remettait au
connétable. Il procédait ensuite à l'onction religieuse, à l'aide de l'huile
miraculeuse qu'il mêlait, en se servant d'une petite verge d'or, avec du
chrême de son église. Cela fait, le prélat, assis dans l'altitude de la
consécration, pratiquait, sur la personne du roi agenouillé devant lui, les
onctions, au nombre de cinq : l'une sur le front, la deuxième sur la
poitrine, la troisième au dos, la quatrième aux épaules, et la cinquième aux
jointures des bras. Le monarque ayant, avec l'aide de ses officiers, revêtu
ses habits royaux, l'archevêque lui remettait successivement l'anneau, le
sceptre, la main de justice, et enfin la couronne. A cet instant, les douze
pairs se groupaient, lès laïques en première ligne, autour du souverain, et,
portant la main à la couronne, ils devaient un moment la soutenir ; puis, tous
ensemble conduisaient le roi sur son trône. Le prélat consécrateur, déposant
sa mitre, s'agenouillait à son tour aux pieds du monarque, et donnait aux
autres pairs et feudataires assistants l'exemple de la prestation de
l'hommage-lige. En même temps, le cri de VIVE LE ROI !
proféré par l'archevêque, était répété trois fois à l'extérieur par la bouche
des hérauts d'armes, qui l'adressaient à la foule assemblée ; celle-ci
répondait en criant : NOËL ! NOËL ! NOËL ! et se disputait de menues
pièces de monnaie que les officiers royaux lui jetaient avec les mots : LARGESSE, LARGESSE AUX MANANTS ! Tous ces actes étaient
accompagnés de bénédictions et oraisons dont la formule se lisait au
Pontifical du sacre, et la solennité se terminait par le retour des diverses
processions dont se composait l'ensemble du cortège. La
reine de France, lorsque le prince était marié, participait aux honneurs du
sacre, de l'investiture symbolique et du couronnement ; mais elle ne
partageait les hommages rendus au roi que sous des formes restrictives et qui
indiquaient à son égard, avec une autorité moins étendue, un rang moins
élevé. Les
formalités et les pompes solennelles qui marquaient la prise de possession
des empereurs d'Allemagne, forment aussi un chapitre intéressant de l'histoire
du Cérémonial au Moyen Age. Le programme de ces cérémonies et le lieu où
elles étaient célébrées, restèrent également, pendant plusieurs siècles,
dépourvus de fixité. L'empereur Charles IV établit le premier les règles qui
devaient être suivies dans ces occurrences ; tel fut l'objet d'un diplôme
qu'il rendit solennellement, en 1356, au sein de la diète impériale de
Nuremberg. Ce diplôme, muni d'un sceau d'or pur, est resté, par cette raison,
connu sous le nom de bulle d'or ; il se conserve précieusement dans les
archives de l'antique ville sénatoriale de Francfort-sur-le-Mein, et se
montre à grands frais aux curieux qui visitent le Rômer et le Kaysersaal, où
se passaient jadis les cérémonies de l'installation des empereurs. Aux termes
de la Bulle d'or, lorsque l'empereur était décédé, l'archevêque de Mayence
convoquait, pour un jour marqué, les princes-électeurs de l'Empire.
L'élection devait avoir lieu à Francfort, le couronnement, à Aix-la-Chapelle,
et la première diète ou cour plénière, à Nuremberg ; mais ces fixations
n'étaient pas absolument obligatoires, et la ville libre de Francfort-sur-le
- Mein demeura, le plus souvent, le siège et le théâtre de ces diverses
solennités. Aux jour et lieu désignés, les électeurs devaient être présents,
escortés de leurs vassaux et de leur suite. Ces électeurs, pendant tout le
cours du Moyen Age, restèrent au nombre de sept, en l'honneur, est-il dit dans la bulle, des
sept chandeliers de l'Apocalypse. Voici
quels étaient leurs rangs, leurs noms et qualités : 1° L'électeur
- archevêque de Mayence, archichancelier du Saint-Empire romain en Allemagne
; 2°
L'électeur-archevêque de Trêves, archichancelier du Saint-Empire romain en
Gaule et dans le royaume d'Arles ; 3°
L'électeur-archevêque de Cologne, archichancelier du Saint-Empire romain en
Italie. Ces
trois princes ecclésiastiques étaient égaux en dignité et en préséance ; ils
occupaient alternativement, dans l'ordre de leurs fonctions, la présidence ou
la place d'honneur, lorsqu'ils se trouvaient dans la circonscription géographique
de leurs archi-chancelleries respectives. Ainsi, l'électeur de Mayence avait
le pas en Allemagne ; l'électeur de Trêves, dans l'ancien royaume de
Bourgogne, etc. Puis, les quatre électeurs laïques : 4°
L'électeur-roi de Bohême, archi-bouteillier du Saint-Empire romain ; 5°
L'électeur-comte palatin du Rhin, archi-sénéchal du Saint-Empire romain ; 6°
L'électeur-duc de Saxe, archimaréchal du Saint-Empire romain ; 7°
L'électeur-margrave de Brandebourg, archichambellan du Saint-Empire romain. Tous les
sept portaient le titre de sérénissimes 3 obtenaient le rang le plus élevé
après les membres de la famille impériale, et remplissaient auprès de
l'empereur le même office que les douze pairs à l'entour du roi de France. Les
électeurs une fois rassemblés, après avoir entendu la messe du Saint-Esprit
dans l'église de Saint-Barthélemy de Francfort, se retiraient, assistés de
leurs officiers et des notaires, dans la sacristie de la même église. Le
conclave avait trente jours pour délibérer ; au-delà de ce délai, et suivant
la teneur de la bulle, les électeurs ne devaient plus manger de pain, ni
boire d'eau avant que de s'être accordés, au
moins à la majorité des voix, pour donner un chef temporel au peuple
chrétien, c'est-à-dire un roi des Romains qui dût être promu empereur. En effet, dans la doctrine
primitive du Moyen Age, le globe entier, dévolu dès le présent, ou promis
pour l'avenir, au règne de l'Évangile, était soumis à deux puissances, qu'on
appelait symboliquement les deux glaives. L'une
de ces puissances, et la première, celle qui régissait les choses
spirituelles ou divines, était le Pape, vicaire de Jésus-Christ ; l'autre,
qui présidait aux affaires temporelles, était l'Empereur, et, depuis la
rénovation tentée par Charlemagne, l'empereur d'Allemagne était censé subrogé
aux droits et à la suzeraineté des antiques césars, sur toutes les nations
qui, jadis, avaient fait partie du grand Empire. L'un et l'autre, réunis,
complétaient, dans une vivante personnification, l'idéal suprême de l'autorité
sur la terre... Ces
deux moitiés de Dieu, le pape et l'empereur. Le
prince nouvellement élu n'était encore que roi des Romains, et ce titre fut
souvent porté par des personnages que les vœux des électeurs, ou les
conjonctures de la politique, destinaient seulement à l'Empire. Pour être
promu à la plénitude de son autorité et de sa puissance, il devait recevoir
encore la consécration religieuse et le couronnement. Primitivement, le sacre
des empereurs eut lieu tantôt à Aix, tantôt à Rome, et plus d'une fois par le
ministère du chef de la catholicité ; mais, à partir de la promulgation de la
Bulle d'or, cette cérémonie se passa la plupart du temps dans l'église de
Saint-Barthélemy de Francfort. A cet effet, l'on y apportait de Nuremberg les
insignes impériaux, qui se conservèrent longtemps dans cette ville. Ces
insignes, qui sont actuellement à Vienne en Autriche, consistaient dans les
objets que nous allons énumérer : la couronne impériale, fermée, composée de
huit plaques d'or garnies de pierreries et surmontées d'une croix sur
laquelle s'appuie un quart de cercle en diadème ; — le sceptre ; — la main de
justice ; — l'épée ; -- et le globe, ou pomme impériale, en allemand Reichs-appfel. Il faut y joindre les vêtements impériaux, qui ne
le cédaient en rien, pour la richesse, aux joyaux précédents et qui étaient
l'objet d'une vénération non moins grande. Ils se composaient de deux
tuniques, d'inégale grandeur, l'aube et la dalmatique, qui se plaçaient l'une
par-dessus l'autre et qui toutes deux, outre la richesse de la matière, or,
soie ou samit, offraient le produit d'un
travail aussi ancien que curieux ; puis, de l'étole et du manteau, ou
pluvial. Les pieds de l'empereur, armés d'éperons d'or, étaient en outre
chaussés de sandales à bandelettes ornées de pierreries, et ses mains,
couvertes de gants de soie pourpre, brodés en perles et ornés de plaques et
de pierres précieuses. La cérémonie religieuse présentait une grande
similitude avec celle que nous avons décrite pour le couronnement des rois de
France, et avec les cérémonies analogues usitées pour l'installation de tous
les princes de la chrétienté. L'archevêque-électeur
de Cologne officiait pontificalement à l'autel ; c'était lui qui plaçait la
couronne sur le front de l'élu et qui lui donnait la consécration suprême.
Les autres symboles de son autorité lui étaient remis par chacun des
électeurs ; cela fait, il était proclamé à haute voix devant le peuple réuni,
et salué des titres de César, Majesté très-sacrée, toujours auguste, Empereur
du Saint-Empire romain de la nation d'Allemagne, auxquels le prince ajoutait
ceux qu'il tenait d'ailleurs héréditairement, ou par voie d'élection,
d'alliance ou de conquête. En
sortant de l'église de Saint-Barthélemy, le cortège impérial se mettait en
marche à travers la ville. Le groupe dont l'empereur formait le centre se composait
ainsi :
Le
cortège se dirigeait ainsi vers l'Hôtel-de-Ville, ou Rath-haus, appelé particulièrement le Rœmer, par commémoration du grand nom
de Rome. Là, dans le Kaysersaal, ou salle des Césars, un festin
était préparé pour les principaux acteurs de cette cérémonie. Mais
préalablement les princes électeurs accomplissaient solennellement les
offices de leurs charges et dignités respectives, dans l'ordre suivant. Au
moment où l'empereur venait de pénétrer au Rœmer, l'électeur de Saxe,
archimaréchal de l'Empire, toujours à cheval, lançait sa monture à toute
bride vers un monceau d'avoine disposé sur la place : tenant d'une main une
mesure d'argent et de l'autre une racloire du même métal, qui pesaient
ensemble douze marcs, il emplissait la mesure d'avoine, la rasait avec la
racloire et la remettait au maréchal héréditaire ; le reste de l'avoine se
partageait tumultueusement entre les mains et sous les pieds du peuple,
témoin de ce spectacle. Puis, le comte Palatin, archi-sénéchal, venait
accomplir sa fonction. Il devait poser devant l'empereur, assis à sa table
impériale, quatre plats d’argent de trois marcs chacun et chargés de mets. Le
roi de Bohême, archi-bouteiller, offrait de l'eau et du vin à l'empereur,
dans une coupe d'argent de douze marcs. Enfin le margrave de Brandebourg
devait lui présenter à laver dans une aiguière d’argent et semblablement du
poids de douze marcs. Quant aux trois archi-chanceliers, c'était à leurs
frais communs que devait être fourni le bâton d'argent, toujours du poids de
douze marcs, sur lequel l'un d'eux portait suspendus les sceaux de l'Empire.
Lors du festin du couronnement, ou pendant la séance de la première diète
impériale, chacun des chanceliers, durant tout le temps qu'ils accompagnaient
l'empereur, portait suspendus à son cou les divers types des sceaux
impériaux, symboles de leurs dignités et de leurs charges. Lorsque ces
formalités étaient achevées, l'empereur, l'impératrice, lorsqu'il était
marié, les princes, et enfin chacun des Électeurs, s'asseyaient à autant de
tables séparées et se faisaient servir par leurs officiers particuliers ; sur
une table spéciale, étaient placés les insignes impériaux. La
cérémonie se complétait au dehors par des réjouissances publiques, telles que
l'ouverture de fontaines versant le vin, la bière et d'autres boissons ;
cuisines gigantesques, où des bœufs entiers rôtissaient sur des broches
immenses ; tables dressées en plein air et à tout venant ; en un mot, toutes
les largesses et divertissements qui composent depuis des siècles le
programme des fêtes publiques, et sur lesquels nous devons revenir en traitant
du Cérémonial populaire. Les
doges de Venise, ainsi que l'empereur d'Allemagne, le roi de Pologne et un
petit nombre de chefs d'États italiens différaient, comme on sait, du reste
et de la grande généralité des souverains de la chrétienté, quant au mode
constitutif de leur puissance. Les potentats que nous rangeons dans la
première catégorie tenaient leurs pouvoirs de la délégation exercée par un
nombre plus ou moins restreint d'électeurs ; tandis que, pour les autres
souverains, la source unique de cette autorité résidait fondamentalement dans
le droit héréditaire, appelé postérieurement droit divin. A Venise, depuis l'an
1268, un conclave formé de quarante électeurs, et désigné lui-même par une assemblée
de notables beaucoup plus nombreuse, était chargé de nommer le doge, ou
président de la sérénissime république. Laurent Tiepolo, qui exerça cette
dignité de 1268 à 1285, fut, aussitôt après son élection, porté en triomphe
par les marins de cette grande cité maritime. Depuis cette époque, l'usage
s'introduisit de porter de même les doges nouvellement élus. Pour cet effet,
les ouvriers du port faisaient monter le prince dans un riche palanquin, et
le promenaient en grande pompe sur leurs épaules, en parcourant tout le
circuit de la magnifique place de Saint-Marc. Une
autre cérémonie particulière et caractéristique s'accomplissait sous la
présidence de ce même magistrat : c'était le mariage du Doge et de la Mer. Le jour de l'Ascension, à
l'époque de la plus belle saison de l'année, par un temps pur et un vent
favorable, le doge, monté sur une grande galère nommée le Bucentaure,
magnifiquement équipée, resplendissante d'or, d'étoffes précieuses,
d'ornements de toutes sortes, aux couleurs pittoresques, franchissait les
lagunes, et s'avançait au son de la musique, entouré d'un immense cortège
nautique, à une lieue environ, au sein de l'Adriatique. Lorsque l'équipage
avait ainsi gagné la pleine mer, le patriarche de Venise bénissait l'onde ;
puis, le Doge, se plaçant au gouvernail, jetait à la Mer un anneau d'or en
disant : Ô Mer, je l'épouse au nom et en
témoignage de notre vraie et perpétuelle domination ! Aussitôt l'Océan se couvrait de
fleurs, les cris d'allégresse et les applaudissements de la foule se mêlaient
aux accords de la musique et au fracas de l'artillerie, tandis que le ciel
radieux et serein de ces contrées souriait à ce tableau poétique. Ce qui
rehaussait surtout l'éclat de ces solennités et l'impression morale qu'elles causaient
sur l'esprit des populations, c'était l'emploi solennel qu'on y faisait de
certains attributs, de diverses reliques qui se rattachaient aux souvenirs
les plus fameux de l'histoire nationale, et qui recevaient du prestige du
temps, aussi bien que de la vénération publique, une haute consécration.
Ainsi, lors du sacre des rois de Hongrie, on imposait sur la tête du nouveau
monarque la couronne du roi Saint Étienne ; en Angleterre, c'était le siège
antique de saint Edouard et des rois d'Écosse ; en Allemagne, les insignes
impériaux de Charlemagne ; en France, à partir d'une certaine époque, la
couronne et la main-de-justice de saint Louis : à une date plus reculée, les
éperons et l'épée de Charlemagne. Enfin la relique la plus vénérée chez nos
aïeux était la Sainte-Ampoule (Ampulla, fiole de verre), qu'une pieuse légende affirmait avoir été
apportée du ciel par une colombe à l'évêque saint Remi pour servir à
l'onction de Clovis, le premier roi chrétien de la monarchie. Lorsque
les souverains avaient reçu l'onction sacrée des ministres de la religion, il
ne leur restait plus qu'à prendre possession réelle de leurs États. Cet acte
définitif était souvent accompagné d'un dernier ordre de cérémonies que l'on
appelait joyeuse entrée, première entrée ou entrée
solennelle.
Cette entrée se faisait naturellement dans la ville capitale. Les historiens
nous ont conservé d'innombrables relations des pompes qui se déployaient en
de telles circonstances. Le programme de ces fêtes, qui variait suivant les temps
et les lieux, offre une telle multiplicité de détails, que nous devons
renoncer à en présenter ici une analyse méthodique. Nous nous bornerons à
citer, comme un curieux échantillon, le récit d'un ancien chroniqueur de
notre nation, Jean Jouvenel ou Juvénal des Ursins. Il s'agit de l'entrée
solennelle que fit à Paris, en 1389, la célèbre Isabeau de Bavière, femme de
Charles VI. L'an
mille trois cent quatre-vingt et neuf, dit le chroniqueur, le roy voulut que la
reyne sa femme entrast à Paris, et ce il fit notifier et sçavoir à ceux de la
ville de Paris, afin qu'ils se préparassent. Et y avoit en chaque carrefour
diverses histoires et fontaines, jetant eaùe, vin et laict. Ceux de Paris
allèrent au devant, avec le prévost des marchands, à grande multitude de
peuple criant lVoël ! Le pont par où elle passa estoit tout tendu d'un
taffetas bleu à fleurs-de-lys d'or. Et y avoit un homme assez léger habillé en
guise d'un ange, lequel, par engins bien faits, vint des tours de Notre-Dame
de Paris à l'endroit dudit pont, et entra par une fente de ladite couverture,
à l'heure que la reyne passoit, et luy mit une belle couronne sur la teste,
et puis, par les habillements (mécanismes) qui estoient faits, fut retiré par ladite fente comme s'il
s'en retournast de soymesme au ciel. Devant le Grand-Chastelet, avoit un beau
lict tout tendu et bien ordonné de tapisserie d'azur, à fleurs-de-lys d'or,
et, disoit-on, qu'il estoit faict pour représentation d'un liet de justice,
et estoit bien grand et richement paré ; et au milieu avoit un cerf bien
grand, à la mesure de celuy du Palais, tout blanc, fait artificiellement, les
cornes dorées et une couronne d'or au col, et estoit tellement fait et
composé, qu'il y avoit un homme qu'on ne voyoit pas qui luy faisoit remuer
les yeux, les cornes, la bouche et tous les membres, et avoit au col les
armes du roy pendans : c'est à sçavoir l'écu d'azur à trois fleurs- de-lys
d'or bien richement fait. Et sur le lict, près le cerf, avoit une grande espée
toute nue, belle et claire, et, quand se vint à l'heure que la royne passa,
celuy qui gouvernoitle cerf, au pied de devant dextre luy fit prendre
l'espée, et la tenoit toute droite, et la faisoit trembler. Au roy fut
rapporté qu'on faisoit lesdits préparatoires, et dit à Savoisy, qui estoit un
de ceux qui estoient le plus près de luy : Savoisy,
je te prie, tant que je puis, que tu montes sur un bon cheval, et je monterai
derrière toy, et nous nous habillerons tellement qu'on ne nous connoistra
point, et allons voir l'entrée de ma femme. Et combien que (quoique) Savoisy fist bien son
devoir de le démouvoir, toutefois le roy le voulut et luy commanda qu'ainsy
fust fait. Si fit Savoisy ce que le roy lui avoit commandé, et se desguisa le
mieux qu'il pust, et monta sur un fort cheval, et le roy derrière luy, et
s'en allèrent parmy la ville en divers lieux, et s'avancèrent pour venir au
Chastelet à l'heure que la reyne passoit, et y avoit moult de peuple et
grande presse, et se bouta Savoisy le plus près qu'il put, et y avoit là
sergens de tous costez à grosses boulayes (baguettes de bouleau) ; lesquels, pour défendre la
presse et qu'on ne fist quelque violence au lict où estoit le cerf, frappoient
d'un costé et d'autre de leurs boulayes bien fort : et s'efforçoit toujours,
Savoisy d'approcher. Et lès sergens, qui ne connoissoient ne le roy
neSavoisy, frappoient de leurs boulayes sur eux, et en eut le roy plusieurs
coups et horions, sur les espaules, bien assis. Et au soir, en la présence
des dames et damoiselles, fut la chose sçue et récitée, et s'en commençait-on
h farcer, et le roy mesirie se farçoit des horions qu'il avoit receus. La
royne, à l'entrée, estoit en une lictière bien richement ornée et habillée,
et aussi estoient les dames et damoiselles, qui estoit belle chose à voir. Et
qui voudroit mettre tous les habillements des dames et damoiselles des
chevaliers et escuyers, et de ceux qui menoient la royne, seroit chose longue
à réciter. Et après souper, y eut chansons et danses jusqu'au jour, et faite
une très-grande chère, et le lendemain y eut joute et autres esbatemens. Après
les entrées des rois, reines, princes, lieutenants et gouverneurs, le Cérémonial
françois mentionne encore les lits de justice, les assemblées de
notables, les réceptions et entrevues de souverains étrangers ou de leurs
ambassadeurs, et les processions solennelles. Bornons-nous
à quelques développements au sujet des premiers. Les lits de justice, dont on a pu remarquer l'image symbolique parmi
les mystères qui figurent dans le récit qui précède, étaient l'un des
attributs, l'une des pompes les plus solennelles de la royauté On distinguait
trois catégories d'assemblées qui portaient ce nom. La première s'appelait
aussi et plus particulièrement plaidoyers ; c'était lorsque le roi, haut justicier de ses états, voulait assister en personne à l'une
des séances des tribunaux. Dans ce cas, le cours des opérations judiciaires
n'était nullement modifié, si ce n'est qu'au sein même de la magistrature,
une place d'honneur était ouverte au souverain. La seconde se nommait conseils ; elle avait lieu, quand le roi voulait présider à une délibération
judiciaire. Alors les magistrats siégeaient, comme de coutume, en robes
noires, et nul n'accompagnait le roi, sans avoir le droit d'opiner au
conseil. Enfin, la troisième, appelée par excellence lits de justice, et souvent cour
des pairs, se tenait,
lorsqu'il s'agissait de juger un pair de France ou quelque cause d'État ; ou
encore lorsque le roi voulait faire enregistrer un édit important, au nom de
son absolue souveraineté. On sait le rôle historique et fatal que jouèrent
ces sortes d'assemblées, principalement dans les derniers temps de la
monarchie. Ces lits de justice se tenaient avec un appareil imposant ; le
monarque y convoquait, d'ordinaire, les princes du sang et les officiers de
sa maison. Les membres du parlement y siégeaient en robes rouges, les
présidents revêtus de leurs mortiers et de leurs manteaux, et les greffiers
portant l'épitoge. Aux
pieds du roi s'asseyaient le grand et le premier chambellan, ainsi que le
prévôt de Paris. Le chancelier de France, les présidents et conseillers occupaient
le parquet ; les huissiers de la cour, à genoux. Nous
venons de passer successivement en revue les principales cérémonies qui se
rapportent à la vie politique des souverains. Il est une autre classe de
personnes dont l'existence publique donnait également lieu à de nombreuses
pompes et dont l'histoire se rattache directement au Cérémonial du Moyen Age :
nous voulons désigner la chevalerie. Mais il a été amplement traité de cette
institution dans un chapitre spécial du Moyen Age, et nous devons, sur ce
point, y renvoyer le lecteur. Pénétrons
maintenant d'une manière plus approfondie dans le Cérémonial intérieur des
classes nobles, en prenant pour guide un ouvrage dont nous avons ci-dessus
fait mention, les Honneurs de la cour. L'auteur de ce journal,
Éléonore ou Aliénor de Poitiers, était fille d'Isabelle de Souza, qui
descendait des rois de Portugal. Lorsqu'en 1429, Isabelle ou Isabeau, infante
de Portugal, vint en France, comme fiancée de Philippe-le-Bon, duc de Bourgogne,
elle amena avec elle, en qualité de dame d'honneur, Isabelle de Souza, qui épousa
depuis Jean de Poitiers, seigneur d'Arcis-sur-Aube, en Champagne. De ce
mariage naquit Éléonore ; celle-ci entra, dès l'âge de sept ans, à la cour de
Bourgogne, auprès de sa mère, et se maria à Guillaume de Stavèle, vicomte de
Furnes. Parvenue à un âge avancé, elle consigna, dans le livre qui nous
occupe, ses propres observations sur le Cérémonial des cours, accompagnées de
celles que lui avait léguées sa mère, Isabelle de Souza. Or, cette dame
Isabelle avait elle-même recueilli les renseignements et traditions à elle
transmis par une autre dame, qui l'avait précédée dans la carrière. Cette
dernière était Jeanne de Harcourt, née en 1372 et mariée en 1391 à Guillaume,
comte de Namur, fils de Guillaume, comte de Flandres. Par le fait de cette
alliance, elle avait occupé de très-bonne heure l'un des premiers rangs à la
cour de Bourgogne. La comtesse de Namur, selon l'expression de notre auteur, estoit la plus sçachante de tous estats — c'est-à-dire des rangs et
conditions — qui fut au royaume de France, et
avoit un grand livre où tout estoit escript. Et la duchesse de Bourgogne
Isabeau ne faisoit rien de telles choses que ce ne fust du conseil et par
l'advis de madame de Namur, comme j'ouïs dire à madame ma mère. Aliénor de Poitiers consignait
ses observations vers l'an 1484, et sa carrière se prolongea jusque vers 1504
ou 1508. Ces mémoires embrassent conséquemment une période d'au moins un
siècle, et toutes ces circonstances réunies concourent à en faire l'un des
documents les plus instructifs et les plus précieux qui puissent nous
éclairer sur ces matières. Il est donc tout à fait à propos de présenter ici
une analyse succincte, et le plus souvent textuelle, de ce recueil. L'un
des premiers chapitres traite de l'ordre et des préséances observés en des
occasions diverses. La principale règle qui résulte de ces différentes
remarques, c'est que, selon les estats de France,
les femmes vont selon les marits, quelque grandes qu'elles fussent, fust-elle
fille de roy. Nous aurons
occasion, plus tard, d'éclaircir ce théorème du Cérémonial par des exemples
sensibles. Aux noces de Charles VII et de Marie d'Anjou, qui furent célébrées
en 1413, il n'y eut oncques, au dire de
madame de Namur, tant de princes ne de grandes dames qu'il y avoit là. Mais, au banquet, toutes les
dames dînèrent avec la reine, et nuls hommes
n'y estoient assis.
On voit par ce passage que les deux sexes n'étaient pas encore
indistinctement admis et confondus dans les divers actes de la vie intérieure
des cours. Cette introduction des femmes et leur immixtion avec les princes
et les courtisans n'eut lieu que plus tard, sous François 1er, et cette
modification des anciens usages exerça, comme on sait, l'influence la
plus grave et la plus complète non-seulement sur les mœurs, mais encore sur
la politique et les affaires publiques. Dans le
chapitre suivant, Aliénor raconte l'honneur
que la royne,
Marie d'Anjou, femme de Charles VII, fist
à madame la duchesse de Bourgogne Isabelle, quand elle fust à Châlons en
Champagne, devers elle,
en 1445. Madame
la duchesse, dit-elle, vint, elle et toute sa compaignie, à haquenées et en
chariots, tout dedans la cour de l'hostel où le roy et la royne estoient ; et
là descendit madame la duchesse ; et print sa première damoiselle sa queue — la
première dame d'honneur prit la queue de la robe de la duchesse —. M. de
Bourbon l'addrextroil (lui donnait la main) et les gentilshommes alloient
devant. Et en cest estat vint jusques en la salle, devant la chambre où la
royne estoit. Là, madite dame s'arresta et fit entrer M. de Créquy, lequel
estoit son chevalier d'honneur, pour demander à la royne s'il luy plaisoit
que madame la duchesse entrast, et mondit seigneur de Créquy retourné, madite
dame marcha jusques à l'huis de la chambre, là où la royne estoit. Tous les
chevaliers et gentilshommes qui l'accompaignoient entrèrent dedans ; puis,
quand mad. dame vint à l'huis, elle print la queue de sa robbe en sa main et
l'osta à celle qui la portoit, et quand elle marcha devant l'huis (la porte ;
d'où, huissier), elle la laissa traîner et s'agenouilla bien près jusqu'à
terre, et puis marcha jusques au milieu de la chambre. Là, elle fit encore un
pareil honneur (révérence)
et puis recommença à marcher tousjours vers la royne, laquelle estoit toute
droicte, et là trouva Madame (la reine) ainsy emprès le chevet de son lict ; et quand
madame la duchesse recommença à faire le troisième honneur, la royne démarcha
deux ou trois pas et Madame (la duchesse) se mit à genouil : la royne luy mit
une de ses mains sur l'espaule et l'embrassa et la baisa et la fit lever. La
duchesse vint ensuite à la dauphine, Marguerite d'Écosse, femme du dauphin,
depuis Louis XI, laquelle estoit à quatre ou
cinq pieds près de la royne, et lui fit les mêmes honneurs qu'à celle-ci, à l'exception que
la dauphine sembloit vouloir l'empêcher de
s'agenouiller jusqu'à terre. Puis, se dirigeant vers la reine de Sicile — Isabelle
de Lorraine, femme de René d'Anjou, beau-frère du roi par sa sœur, Marie
d'Anjou —, laquelle estoit à deux ou trois
pieds près de madame la dauphine, elle se contenta de la saluer ; elle en usa de même pour une
troisième princesse, madame de Calabre, qui n'appartenait au sang royal qu'à
un degré encore plus reculé. Puis, la reine, et, après elle, la dauphine,
baisèrent les trois premières dames d'honneur de la duchesse et les femmes
des gentilshommes. La duchesse en fit autant pour les dames qui accompagnaient
la reine et la dauphine. Mais, de celles de
la royne de Sicile, Madame n'en baisa non plus que celle-ci fit des
siennes. Et ne voulut madame la duchesse, pour rien, aller derrière la royne
de Sicile ; car elle disoit que monsieur le duc de Bourgogne estoil plus près
de la couronne de France que le roy de Sicile n'estoit, et aussy qu'elle
estoit fille du roy de Portugal, qui est plus grand que le roy de Sicile
n'est. (Voyez ci-dessus,
Préséance des souverains, n° 6 et 8.) Telle est l'application du principe que nous avons
annoncé précédemment, que les dames vont
selon leurs maris. Éléonore
de Poitiers raconte une autre circonstance fort curieuse, en ce que l'on y
voit que le code de l'étiquette n'avait pas encore été modifié, comme il le
fut plus tard, par l'idéal de la galanterie, c'est-à-dire par l'hommage volontaire
du sexe masculin envers l'autre, abstraction faite du rang politique des
parties. En 1456, lorsque Louis XI, alors dauphin, vint se réfugier chez le
duc de Bourgogne à Bruxelles, il fut reçu par la duchesse de Bourgogne,
assistée de la duchesse de Charolais et de la duchesse de Clèves, ses proches
parentes. Or, ces dames n'hésitèrent pas à donner au jeune prince toutes les
marques de soumission et d'infériorité qu'il aurait pu recevoir d'un vassal.
Par exemple, étant allée au-devant de lui et lorsqu'elle l'eut rejoint, la
duchesse de Bourgogne se mit en devoir .de marcher derrière lui. Le dauphin,
il est vrai, se refusa à accepter ces hommages... : Ils furent en ces paroles, dit Aliénor, plus
d'un quart d'heure, et à la fin, quand il vit que Madame, pour rien, ne
vouloit aller devant, il la print au-dessoubs de lui (sous son bras
gauche) et l'emmena, dont madite dame fit
fort parler ; car pour rien ne voulut aller à sa main (à son côté,
signe d'égalité), et disoit qu'elle ne le
devoit faire. Mais il lui plaisoit (au dauphin) qu'elle fît ainsy et pour ce elle le fit. Et en cest
estat Madame le mena en sa chambre, et au prendre congé de luy, elle
s'agenouilla jusques à terre, et pareillement mes autres dames de Charolais
et de Ravestein (duchesse de Clèves), et puis
toutes les autres. On a vu
ci-dessus que la duchesse de Bourgogne, après s'être fait porter la queue de
sa robe par une dame ou un gentilhomme, une fois arrivée devant la reine,
avait pris cette queue des mains d'autrui pour la tenir elle-même. C'est ce
qui se pratiquait à l'égard de plusieurs autres honneurs. Ainsi, le duc et la
duchesse, au sein de leur cour, faisaient couvrir tous les objets qui
servaient à la table, depuis l'aiguière à laver, que l'on couvrait d'une serviette,
jusqu'au cadenas où s'enfermaient la coupe ou hanap, le couteau et autres
meubles de bouche ; jusqu'au drageoir, fermé et de plus enveloppé, dans
lequel on servait les épices. (De là, le mot couvert ; mettre le couvert.) De même aussi, un écuyer
essayait (goûtait) les mets devant eux. Mais en présence du roi, c'est-à-dire du supérieur suprême, toutes ces
marques de suprématie leur étaient enlevées par l'étiquette et passaient au
roi, comme étant le privilège exclusif du souverain. Les Honneurs
de la cour s'étendent ensuite longuement, et dans une série d'articles
séparés, sur la gésine, c'est-à-dire sur les couches
des princesses et autres dames, et sur les marques de distinction qui doivent
accompagner le baptême de leurs enfants. J'ai
ouï dire, observe à
ce sujet dame Aliénor, à madame ma mère, que
madame de Namur disoit à la duchesse Isabelle que les roynes de France
souloient (avaient coutume de) gésir (faire leurs
couches) tout en blancq ; mais que la mère du
roy Charles (VII, Isabeau de Bavière) print à
gésir en verd ; et depuis, toutes l'ont fait. La reine de France et les grandes princesses
occupaient, pour leurs couches, trois chambres principales. La première
servait à la mère : c'était la chambre de
gésine. Indépendamment
de la couchette, qui était, selon la saison, la plus rapprochée du feu, il y
avait deux autres grands lits d'apparat, surmontés de riches courtines de drap d'or ou de soie, garnis de draps d'or rebrassés d'hermine et doublés
de drap de laine violet, le tout recouvert d'une sorte
de housse transparente en gaze légère. Les draps proprement dits, ou draps de
toile, n'étaient visibles qu'au chevet. Au surplus, deux, au moins, de ces
trois couchers restaient toujours inoccupés. Le sol, les parois et le plafond
étaient tendus de tapisserie. Entre les deux grands lits régnait une allée,
qui était close ou coupée par quatre rideaux pour la reine, et par trois pour
la duchesse de Bourgogne, rideaux qui se nommaient traversâmes. A l'une des extrémités de l'allée, on plaçait une grande
chaire, ou chaise massive en bois sculpté, surmontée d'un dais et garnie de
coussins. Auprès du lit de l'accouchée, se plaçait un petit banc également
garni de tapisserie — meuble que l'on nommerait aujourd'hui causeuse ou chauffeuse —, pour l'usage des personnes
qui étaient admises auprès d'elle. La chambre devait être, en outre, garnie
d'un dressoir ou étagère à cinq degrés pour la reine, et à quatre pour une duchesse. On étalait
sur ce meuble les pièces de vaisselle les plus magnifiques, telles que plats, assiettes, hanaps, pots, tasses, couppes de fin or
et autres bassins, lesquels on n'y met qu'en tels cas. A la nativité de
mademoiselle Marie de Bourgogne, laquelle eut lieu en la ville de Bruxelles
l'an M. CCCC. LVI (1456), entre autre
vaisselle, il y avoit sur ledit dressoir trois drageoirs d'or garnis de
pierreries, dont l'un estoit estimé à quarante mil escus et l'autre à trente
mil. Ces drageoirs
servaient à offrir des épices aux visiteurs. On voyait encore sur le même
meuble deux grands chandeliers portant des cires allumées, tant que l'accouchée restoit bien quinze jours avant que
l'on commençât à ouvrir les verrières de sa chambre. A côté de cette chambre, on en
disposait une autre, dont le principal meuble était le bers, surmonté d'un
dais, où reposait l'enfant. La troisième chambre, dite de parement, était
pour recevoir soit les visiteurs qui venaient s'enquérir de l'accouchée, soit
les personnes qui devaient, après un certain intervalle d'attente, pénétrer
dans la chambre de gésine. Pour ce qui touche le baptême,
lorsqu'il s'agissait de l'enfant d'un souverain ou d'un prince, les cloches
sonnaient à toute volée, les feux de joie s'allumaient ; quelquefois on
construisait un hourt ou galerie de bois, qui
conduisait à couvert le nouveau-né, de la chambre maternelle aux fonts
baptismaux de l'église voisine. Cette église elle-même était tendue, à
l'extérieur, de tapisseries, et décorée, à l'intérieur, de tous les ornements
possibles. Toutes
ces décorations, toutes ces marques de dignité variaient, en diminuant
hiérarchiquement, pour les femmes de diverses conditions. Ainsi, plusieurs comtesses peuvent gésir à deux grands licts,
mais ils ne doivent être couverts que de menu vair (et non
d'ermines) ; et sy peut avoir couchette
devant le feu ; mais elles ne doivent point avoir la chambre verde, comme la
royne et les grandes princesses ont. De même aussi pour elles, le dressoir n'est que
de trois degrés. Les femmes de chevalier n'ont qu'un grand lit et une couchette
à un coing de la chambre ; et ainsi de suite, pour les
femmes appartenant aux rangs inférieurs de la noblesse. Touttes fois, depuis dix ans en ça, aucunes dames du pays
de Flandres ont mis la couche devant le feu, de quoy l'on s'est bien mocqué ;
car, du temps de madame Isabelle de Portugal, nulles du pays de Flandres ne
le faisoient. Mais,
ajoute la dame Éléonore, chacun fait à celle
heure à sa guise : par quoy est à doubler (craindre) que tout irai mal ; car les estats sont trop grands,
comme chacun sçait et dit. L'historiographe
de l'Étiquette passe ensuite aux deuils. Le roi ne porte jamais le deuil en
noir, fût-ce de son propre père, mais en rouge, ou violet. La reine porte le
deuil en blanc en cas de veuvage, et doit garder pendant une année
l'intérieur de ses appartements : delà, le nom de château ou de tour de la
Reine - Blanche, que portent encore communément beaucoup d'édifices du Moyen
Age, abstraction faite du petit nombre de monuments qui ont pu recevoir des
reines du nom de Blanche leur origine et leur dénomination. Les diverses
salles doivent être tendues de noir. En grand deuil, comme de mari ou de
père, on ne porte ni gants, ni joyaux, ni soie. La tête doit être couverte de
coiffures noires, basses et à barbes traînantes, nommées chaperons, barbettes, couvrechefs et tourets. Les duchesses et banneresses (femmes de
chevaliers à bannières)
gardent la chambre six semaines ; mais les premières, pendant tout ce temps,
lorsqu'il s'agit d'un grand deuil, restent couchées, le jour, sur un lit
couvert de draps blancs ; tandis que les secondes, au bout de neuf jours, se
lèvent, et, jusqu'au terme commun, doivent se tenir assises, devant le lit,
sur un drap noir. Les dames ne vont point aux services funèbres de leurs
maris, mais elles doivent être présentes à ceux de leurs père et mère. Pour
un frère aîné, on porte le même deuil que pour le père ; mais on ne couche
point. En ce
qui regarde le cours habituel de la vie, les rois, princes, ducs et
duchesses, ceux-là seulement qui sont seigneurs et dames du pays, doivent
entre eux s'appeler monsieur et madame, en y joignant leurs noms de baptême
ou de terre. Quand le supérieur parle à ses inférieurs ou leur écrit, il peut
ajouter à leurs titres de parenté celui de beau et belle : mon bel-oncle, ma belle-cousine ; mais les gens de moindre état ne doivent pas
s'appeler monsieur Jean, ma belle-tante, mais simplement Jean et ma tante. Les rois, reines, etc., se font servir par des dames et des damoiselles d'honneur ; la gouvernante s'appelle la mère des filles. Les gentilshommes servants portent la
dénomination d'échanson, de panetier, d'écuyer tranchant. Le chef de la maison s'assied
sous un dais ou dosseret. Au repas, le centre de la
table royale doit être occupé par la salière couverte ; on dispose tout
autour quatre assiettes d'argent, pour y faire l'essai des viandes. Mais tous
ces privilèges sont interdits aux personnes de rang inférieur, telles que
comtes, barons, vicomtes, etc. Ce sont, dit Aliénor en terminant, les honneurs ordonnez, préservez et gardez, èz Allemaignes,
en l'Empire, aussi au royaume de France, en Naples, en Italie, et en touts
autres pays et royaumes où l'on doit user de raison. C'est ici le lieu d'observer
que l'Étiquette, après avoir pris naissance en France, se répandit de là chez
les autres nations de la chrétienté. Une fois acclimatée sur ce dernier
terrain, elle y acquit, il est vrai, une rigueur et une fixité qu'elle
conserva plus constamment qu'en France. Parmi nous, c'est seulement à partir
du dix-septième siècle, et particulièrement sous Louis XIV, que l'Étiquette
royale, ou Cérémonial de la cour, devint réellement une science et même une
sorte de culte assujetti à un rituel minutieux et sacramentel, où la pompe et
la précision conduisaient souvent à une gêne incroyable et à la puérilité.
Mais, à travers les perpétuelles variations des temps et des usages, ce qui
distingua toujours la nation française entre toutes les autres, dans les
relations de la société polie, ce furent la noblesse et la dignité, tempérées
par l'esprit et la grâce. III. — CÉRÉMONIAL DES CLASSES POPULAIRES. Le
tiers état, comme son nom l'indique, était au Moyen Age la troisième et
dernière classe de la société. Cette classe, qui, pour rappeler une
expression célèbre, était destinée à devenir tout dans notre état politique moderne,
n'était alors comptée pour rien. Et
cependant sa véritable importance se révèle surtout aux observations de
l'historien, lorsqu'il pénètre, comme nous le faisons en ce moment, d'une
manière quelque peu approfondie, dans les mœurs des générations qui nous ont
alors précédés. Le tiers état, lui aussi, avait sa part de pompes, de
cérémonies, ses manifestations de la vie morale. Aux fêtes aristocratiques et
religieuses, sa présence imprimait un caractère de grandeur qu'elles n'auraient
point obtenu sans lui. Bien plus, il défrayait seul tout un monde de
solennités variées. Cette variété même est tellement étendue, qu'un vaste
album et une volumineuse monographie suffiraient à peine à la retracer. Le
tiers état, en effet, constitue, après tout, dans notre histoire, l'aspect
non pas le plus brillant et le plus avancé, mais le plus général et le plus
essentiel de la famille humaine. Contraint à nous resserrer en des limites
restreintes, commençons par donner dans son ensemble une idée de notre sujet,
à l'aide de quelques divisions, lesquelles pourraient se multiplier pour
ainsi dire à l'infini. Le
Cérémonial des classes populaires serait susceptible de se répartir d'abord
entre les catégories suivantes. 1° FÊTES RELIGIEUSES.
Indépendamment
des solennités réglées par le rituel de l'Église, il faut comprendre sous ce
titre une multitude de pratiques et de cérémonies qui, après avoir pris leur
source, soit dans les religions de l'antiquité, soit dans le christianisme, se
sont perpétuées, à côté et quelquefois à l'encontre de l'orthodoxie, sous la
protection toute-puissante de la coutume et de la tradition. Telles étaient,
entre autres : Les cérémonies de la Fête-Dieu, à Aix, instituées, en 1474,
par le roi René d'Anjou ; La
procession et le jubilé de Saint-Macaire, à Gand ; Ceux de
Saint-Rumold, à Malines ; Le
Lundi du Parjuré, à Douai ; Les
Fêtes et Processions du dragon Bailla, à Reims ; de Bonne-Sainte-Vermine ou de Sainte-Radegonde, à Poitiers ; de Saint-Loup ou de la Chair salée, à Troyes ; de la Gargouille ou de la Fierte de
Saint-Romain, à
Rouen ; du Graouilli à Metz ; de Lucia, à Bayonne ; de la Tarasque, à Tarascon ; Les
Danses de Saint-Quiriace et de Saint-Thibaut, à Provins ; Le Convoi de Carême prenant, l'Enterrement
d'Alleluia, la Sépulture des cloches, dans beaucoup de villes ; Le Loup-Vert, de Jumièges ; La Diablerie et la Fête des Trois-Maries, à Chaumont et ailleurs ; Les
Fêtes de l'Ane, de l'Epiphanie, des Innocents, de Saint-Etienne, etc., qui se célébrèrent dans toute la
chrétienté. 2° FÊTES MORALES ET BURLESQUES.
Un lien
d'analogie bizarre, mais évident, rattache à la catégorie qui précède celle
des Fêtes de la Bazoche ; Fêtes
des Badins, Turlupins, Enfants sans souci,
Clercs de la table de marbre, à Paris ; Fêtes
des Couards ou Cornards de Rouen ; Fêtes
de la Mère-Sotte ou de la Mère-Folle de Dijon, Châlons et autres lieux ; Fêtes
de l'Abbé de Maugouverne, à Poitiers ; du Prince de Plaisance, à Valenciennes ; de l'Empereur de la jeunesse, à Lille ; de l'Abbé
de Liesse, à
Arras ; du Gaillardon, à Chalon-sur-Saône. 3° FÊTES MILITAIRES OU GYMNASTIQUES.
Solennités
des confréries dites de l'Arquebuse, des Archers, des Arbalétriers, du Papegaut, de Saint-Georges, etc. Les
Fêtes du Roi de l'Épinette, à Lille, et du Forestier, à Bruges. 4° FÊTES NATURELLES.
Des Béhours. Bihourdis, des Bourres, des Brandons, des Champs-Golot d'Épinal, et analogues ; des Laboureurs, de Montélimar ; du Guy-l'an-neuf, en Anjou ; des Fontaines, en Bretagne ; du Mai, de la Gerbe, du Printemps, des Roses ; les Feux de la Saint-Jean, etc., etc. 5° FÊTES HISTORIQUES OU COMMÉMORATIVES.
Il faut
sans doute ranger dans cette classe les solennités si multipliées, si
persistantes et d'une origine si obscure, telles que, pour citer, parmi tant
de semblables, un petit nombre d'exemples : Celle
de Bara ou de la Vara, à Messine ; du géant Reuss, à Dunkerque ; de Gayani, à Douai, à Cambrai, etc. ; la
Fête du Guet de Saint-Maxime, à Riez, en Provence ; de Pepezuch, à Béziers ; des Mitouries, à Dieppe ; les processions de Jeanne Darc, à Orléans ; de Jeanne
Hachette, à
Beauvais, etc., etc. Il
conviendrait d'énumérer ici les innombrables 6° FÊTES DE CORPS ET DE COMMUNAUTÉS.
Fêtes
des Écoliers, des Nations, des Universités, des Écoles de tous genres, telles
que le Lendit, la Fête du Mai, la Saint Charlemagne, la Saint-Guillaume,
etc., etc. etc. ; Fêtes
des Valentins et des Valentines ; Fêtes
de Sainte-Catherine, de Saint-Nicolas ; Baillées des Roses aux membres du parlement ; Fêtes
littéraires des Puys de Rhétorique ; de Clémence-Isaure ; du Capitole, à
Rome, à Florence, etc. ; Fêtes
de corporations : Serments, Métiers,
Devoirs, Confréries industrielles, etc. ; Fêtes
patronales, appelées aussi Assemblées,
Dukasses, Folies, Foires, Kermesses, Pardons, etc., etc., etc. Il
faudrait enregistrer et étudier enfin, sous le titre vague de Réjouissances
publiques, toutes ces pratiques, tous ces divertissements qui, s'appliquant
aux solennités les plus diverses et variant selon les pays, plus encore que
selon les temps, constituèrent le fonds commun et pour ainsi dire perpétuel
du Cérémonial populaire. On
n'attend pas de nous assurément qu'avec le peu d'espace qui nous est ici
mesuré, nous tentions de remplir un cadre aussi vaste. D'ailleurs, sur bien
des points que nous venons de toucher, les lecteurs de cet ouvrage y
trouveront, répandus en divers chapitres, des renseignements spéciaux qui
doivent nous dispenser de redites. Nous allons donc succinctement terminer
notre tâche, en nous bornant à quelques développements relatifs aux
solennités les plus importantes, ou à des particularités moins connues du
Cérémonial civil. Les
solennités et cérémonies les plus usuelles, celles qui se conservent au
milieu de nous le plus persévéramment, ne sont pas celles qui remontent à la
moins vieille origine. Ainsi, l'usage de célébrer joyeusement le commencement
de l'année ou de consacrer au plaisir certains jours de l'hiver, le Jour de l'an, les Étrennes, les Rois, le Carnaval, sont aussi anciens
qu'universellement connus et pratiqués. La coutume de s'envoyer des présents,
à la première de ces époques, se retrouve dans la civilisation orientale,
aussi bien que dans la nôtre. Au Moyen Age, les princes, et notamment les
rois de France, recevaient de leurs familiers, à titre d'étrennes, des
cadeaux intéressés, auxquels ils devaient répondre avec usure. Aujourd'hui,
telle est encore la spéculation qui préside à plus d'un présent, que les
serviteurs ou subalternes offrent à leurs supérieurs ou à leurs maîtres :
telle n'est-elle pas aussi la raison suprême de ces souhaits, plus économiques
encore et non moins productifs, qui souvent y suppléent ? En Angleterre, ces
échanges de libéralités ont lieu le jour de Noël, sous les noms de Christmas gift et Christmas day ; en Russie, c'est le jour de
Pâques, et ils sont accompagnés de cette formule, que les passants même
s'adressent dans la rue : Christ est
ressuscité ! Ces
pratiques, ainsi que beaucoup d'autres, nous ont été léguées, comme personne
ne l'ignore, par l'antiquité. Il en est de même d'une foule d'autres usages,
plus ou moins locaux, plus ou moins connus ou expliqués, qui se sont observés
pendant des siècles en diverses contrées. Autrefois, à Ochsenbach, en
Wurtemberg, à l'époque du carnaval, les femmes célébraient seules un festin
dans lequel elles étaient servies par des hommes, et se soumettaient entre
elles à une sorte de jugement, dont les hommes étaient également exclus. Les
historiens attribuent l'origine de cette coutume au culte antique de la Bonne
déesse. A Rameru, petite ville du comté de Champagne, pendant le Moyen Age,
tous les ans, au 1er mai, les gens de cette ville se rendaient, jusqu'au
nombre de vingt, en chassant sur la route, au hameau de Saint-Remy, qui en
dépendait. C'étaient les fous de Rameru ; le plus fou menait la bande.
Ceux de Saint-Remy devaient les recevoir gratuitement, eux, leurs chevaux et
leurs chiens ; leur faire dire la messe, et souffrir toutes les folies du
capitaine ; ils devaient leur fournir, en outre, un bélier beau et bien cornu, que l'on ramenait en triomphe.
De retour à Rameru, les fous saluaient de coups de feu ou d'artifice, lorsque
la poudre fut en usage, la porte du curé, du bailli, du procureur fiscal ;
puis, on se rendait sur la place de la halle, et l'on dansait autour du
bélier couronné de rubans. A Bar-sur-Aube et aux environs (ainsi qu'il se
pratique aussi dans d'autres localités), à certains jours de l'année, des jeunes filles se
rendent sur la colline de Sainte-Germaine, à l'endroit où la tradition porte
que cette martyre fut ensevelie, vers le cinquième siècle de l'ère
chrétienne. Là, elles enfouissent en terre des épingles, espérant obtenir,
par ce sacrifice et par l'intercession de sainte Germaine, un époux selon
leur gré. Une
solennité plus singulière encore, et que l'on croit pouvoir faire remonter
aux fêtes dionysiennes du paganisme, s'observa jusqu'en 1790, et même depuis
cette époque à Béziers ; elle porte les noms de fête de Pepézuch, ou le Triomphe de Béziers, ou encore des Charitachs, c'est-à-dire des Charités. On voit à Béziers, au bas de la rue Française, une statue mutilée adossée à un mur et qui, malgré les outrages
de toute espèce dont elle porte les traces, dénote visiblement un travail
antique et même des beaux temps. Cette statue est connue sous le nom de Pepézuch,
attribué, par une tradition vague et évidemment de seconde origine, à un
citoyen de Béziers qui aurait victorieusement défendu la ville contre les
Goths, d'autres disent contre les Anglais. Quoi qu'il en soit, cette statue
jouait un rôle important dans la fête des Charilachs, qui se reproduisait tous les
ans à l'époque de l'Ascension. Le jour de cette fête, un immense cortège,
composé de la grande masse des habitants, parcourait la cité des Biterrois.
On y distinguait surtout trois machines remarquables. La première était un
chameau colossal fait de bois et mû par des artifices, de telle sorte qu'il
marchait et remuait ses membres et ses mâchoires. Le chameau était confié à
la garde d'un guide, appelé Papari, dont un poète local peint ainsi le portrait
: Papari,
del camel lou fidel curatou, Soun
hoste, soun counsel, soun mestre, soun tutou, Uno
escharpo al coustat per pourta soun penart (étendard) Et
dessus soun bounet la cougo (queue) d'un reynart. La
seconde était une galère roulante, montée et escortée d'un nombreux équipage. La
troisième consistait en un char, sur lequel était placé un théâtre ambulant. Les
consuls et autres autorités de la ville, les corporations de métiers (les
pâtres et les bergers en tête), à pied, les maréchaux ferrants, à cheval,
tous portant leurs insignes et étendards respectifs, formaient le reste du
cortège. Une double troupe, composée d'une faction de jeunes garçons et d'une
autre de jeunes filles, armée de cerceaux blancs décorés de rubans et de
bandelettes aux vives couleurs, était précédée d'une jeune fille couronnée de
fleurs, à demi voilée et portant une corbeille. Ce cortège s'ébranlait au son
de la musique. Par intervalles, les couples de jeunes gens se réunissaient et
exécutaient, à l'aide de leurs cerceaux, des figures chorégraphiques appelées
la Danse des treilles. Le chameau et les autres machines s'arrêtaient
successivement en divers lieux. Il entrait notamment à l'église de Saint-
Aphrodise, premier apôtre de Béziers, qui, suivant la tradition locale, était
venu, monté sur un chameau, évangéliser la contrée et y recevoir la palme du
martyre. Arrivés devant Pepézuch, la jeunesse ornait d'un phallus sa statue.
Sur la place de la ville, le théâtre stationnait, comme jadis le chariot de
Thespis, et débitait quelques soties satiriques renouvelées d'Aristophane.
Sur la galère, étaient placés des jeunes gens qui lançaient en l'air des
dragées et autres sucreries, et qui en recevaient des spectateurs. Enfin, des
hommes vêtus en sauvages, couronnés de feuillage vert, portaient chacun sur
leur tête un pain qui devait être, ainsi que d'autres provisions chargées sur
la galère, distribué entre les pauvres de la ville. Parmi
les fêtes les plus éclatantes et les plus caractéristiques du Moyen Age, il
est impossible de ne pas s'arrêter un instant à ces processions de corps de
métiers, dont le souvenir impressionna si vivement les populations, que ces
pompes ont survécu à presque toutes les institutions de cette période. Voici
la description abrégée de l'une de ces solennités, qui eut lieu à Anvers en
1520, le dimanche qui suivit l'Ascension. Nous en empruntons le texte à un
ouvrage moderne, Histoire de la Peinture flamande et hollandaise, par
M. Alfred Michiels (1847, in-8°, t. III, p. 154) : Tous les corps de métiers s'y trouvaient, chaque membre
revêtu de ses plus riches habits ; en tête de chaque guilde, flottait une
bannière, et, dans l'intervalle qui les séparait l'une de l'autre, brûlait un
cierge énorme. De longues trompettes d'argent, des flûtes, des tambours
réglaient la marche. Les orfèvres, les peintres, les maçons, les brodeurs en
soie, les sculpteurs, les menuisiers, les charpentiers, les bateliers, les
pêcheurs, les bouchers, les corroyeurs, les drapiers, les boulangers, les
tailleurs et les hommes des autres états défilaient ainsi sur deux rangs.
Puis, venaient les tireurs d'arbalète, d'arquebuse et d'arc, les uns à
cheval, les autres à pied. Après eux, s'avançaient les ordres monastiques ;
ils étaient suivis d'une foule de bourgeois en costume splendide. Une nombreuse
troupe de veuves fixait particulièrement l'attention : elles étaient
habillées de blanc depuis les pieds jusqu'à la tête, et formaient une sorte
de confrérie se nourrissant du travail de leurs mains et observant une
certaine règle. Les chanoines et les prêtres étincelaient d'or et de soie.
Vingt personnes portaient une statue de la Vierge tenant son Fils et
pompeusement ornée. Des chariots et des navires roulants terminaient le
cortège. On y voyait toute espèce de groupes qui représentaient des scènes de
la Bible et de l'Évangile, comme la Salutation angélique, la Venue
des Mages, assis sur des chameaux, la Fuite en Égypte, et autres
épisodes. La dernière machine simulait un dragon que sainte Marguerite
conduisait avec une bride somptueuse ; ayant derrière elle saint Georges et
quelques brillants chevaliers. Quant à
la classe générale et indistincte des fêtes et divertissements publics, ils
variaient, nous le répétons, autant par le sujet que par la forme. En
Allemagne et en France, il était généralement d'usage, lorsque l'on recevait
un personnage de distinction, de lui offrir les vins de la ville. A Langres,
par exemple, ces vins étaient renfermés dans quatre vases d'étain appelés
cimaises, qui se conservent encore à la maison commune ; ils étaient ainsi
désignés : vin de lion, vin de singe, vin de mouton, vin de cochon. Ces
dénominations symboliques exprimaient les divers degrés ou les divers
caractères de l'ivresse produite par le fruit de la vigne, c'est-à-dire le
courage (lion), la malice (singe), la débonnaireté (mouton) et la bestialité (cochon). En Espagne et dans tout le
midi de l'Europe, il n'y avait point de fêtes sans courses hippiques, sans
combats de taureaux, d'ours ou d'autres animaux. Le carnaval de Venise était
célèbre dès le temps du Moyen Age, ainsi que les spectacles d'acrobates et
les pantalonnades italiennes. A Florence et dans le reste de la Péninsule,
les mascarades, les représentations dramatiques, les cavalcades, le jeu du
calcio ou ballon à repaumer, faisaient partie intégrante de toute solennité
publique. Enfin, il est un dernier genre de divertissement qui, depuis
l'invention de la poudre à canon, a pris dans le monde moderne une extension
constante et qui demeure de nos jours un des ornements obligés d'une grande
fête quelconque ; nous voulons parler des feuz
d'artifice.
Celui qui fut tiré à Anvers, lors de l'entrée du roi d'Espagne Philippe II
dans cette ville, fut probablement un des premiers qui émerveilla la foule assemblée.
C'est ce qui nous semble résulter de la curieuse description qui va suivre et
que nous reproduisons textuellement ; elle est extraite de la relation
intitulée : La très-admirable, très magnifique et très-triumphante entrée
de très-hault et très-puissant prince Philippes, prince d'Espaignez, filz de
l'empereur Charles Ier, en la très-renommée et florissante ville d'Anvers,
anno 1549 (in-f°, fig. sur bois). Après avoir soigneusement analysé toutes les pompes de cette
journée, l'historiographe flamand consacre à la dernière le chapitre qu'on va
lire : UNG MERVEILLEUX SPECTACLE NOCTURNE : Après
estre ledict bancquet finé, cependant que l'on s'esbatoit en danses et
aultres déduictz, voici que soubdainement et invisiblement s'est apparut et
demonstrez ung merveilleux spectacle. Sur
le marchiet estoit un arbre subtillement faict, de hauteur raisonnable, bien
branchiet et fœuillet, plein de fruictz, auprès d'icelluy arbre avoit deux
statues, ou ymages nues, artificiellement entaillées de bois. L'une estoit
Adam et l'aultreEva ; entre yceulx pendoit à icelluy arbre ung grandt,
horrible et espoventable serpent. Tous les membres d'Adam et Eva, toutes les
fœulles et pommes d'ycelluy estoient creuses et vuides par dedens, emplies de
petittes fusées de pouldre à canon et sy ingénieusement composées que l'on ne
les povoit pas bien (et principallement de nuict) veoir ne discerner. Ainsy
doncques cependant que ungchascun regardoit et considéroit ycelluy spectacle,
voicy que invisiblement et soubdainement, de entour les pieds d'Eva, est
montée petit à petit une flammette, ou estincelle de feu et subtillement
entrée au ventre d'Eva, lequel incontinent s'est crevez, rendant un son moult
horrible et espoventable ou de chà (au loin). De là en sont venues et produictes
plus de cent aultres flammes, après venant à Adam, puis après au serpent, et
conséquemment audict arbre. Yllecque se sont crevez Adam, Eva, le serpent ;
toutes ensemble sont crevées les fœulles de l'arbre. Là se povoit ouyr ung
bruict merveilleux, estrange et espoventable : à l'heure estoit Eve quasi
toutte arsse ; puis brusloit Adam, ensemble le serpent, qui tost furent
consumez en cendres. Aultant
de pommes et fœulles qu'il y avoit sur ledict arbre, avecques tant de flammes
voyoit-on ycelluy brusler. (On voyait l'arbre brûler d'autant de flammes
qu'il avait de pommes et de feuilles.) D'ung seul regardt l'on voioit mille
flammes ; d'une ouye oyoit-on le bruict de mille coups de hacquebutes. Ceulx
qui estoient là auprès, tant pour la soubdaine multitude du feu saultant, que
pour le soubdain bruict de tant de tonnoires, estoient sy très-espoventez
que, de craincte etpaour, comme d'ung coup detonnoire, tomboient à terre,
horriblement bravant et criant ; l'ung de chà, l'aultre de là — à quy mieulx
mieulx — hastivement fuyant, sans attendre nullement les ungz les aultres. A. VALLET DE VIRIVILLE, Professeur adjoint à l'École nationale des Chartes. |