QUOIQUE la plupart des auteurs qui
parlent du parchemin en attribuent l'invention à Eumènes, roi de Pergame — sans
doute d'après l'étymologie du mot Pergamenum —, il paraît démontré que
l'usage en est beaucoup plus ancien, et que son origine se perd dans la nuit
des temps. Ainsi, plusieurs passages de l'Ancien Testament témoignent que,
longtemps avant Eumènes, fils d'Attalus Ier et contemporain de
Ptolémée-Épiphanes, selon Strabon, le parchemin était employé comme matière
subjective de l'écriture dans la Haute-Asie ; car le mot volumen, qui revient souvent dans la Vulgate, ne peut s'entendre que
d'un rouleau formé de peaux préparées ou de papyrus. Il est donc presque
constant que, depuis Moïse, les Juifs ont écrit les livres de la loi sur des
rouleaux de parchemin. Hérodote,
le père de l'histoire, prouve incontestablement l'antiquité du parchemin, en
disant (liv.
V) : Les Ioniens appellent aussi, par une ancienne coutume, les
livres diphtères, parce qu'autrefois, dans le temps que le biblos
(papyrus) était rare, on écrivait sur des peaux de chèvre et de
mouton. Diodore de
Sicile (liv.
II) rapporte que
les anciens Perses écrivaient leurs annales sur des peaux. Le célèbre passage
de Pline (liv.
XIII, chap. XI),
qui a fait attribuer à Eumènes la découverte du parchemin — Varro membranas Pergarni tradidit repertas —, semble indiquer plutôt que
ce roi de Pergame perfectionna un art, par le moyen duquel on pouvait
suppléer au papyrus, que Ptolémée-Épiphanes ne laissait plus sortir d'Égypte.
La privation totale de papyrus mit alors en grande activité la fabrication du
parchemin mieux préparé, et l'on en vit venir une quantité si considérable
des manufactures de Pergame, qu'on regarda cette ville comme le berceau de
cet art. On faisait des livres de deux espèces : les uns en rouleaux composés
de plusieurs feuilles cousues ensemble, sur lesquelles on n'écrivait que d'un
côté ; les autres en carré, écrits des deux côtés. Le grammairien Cratès,
ambassadeur d'Eumènes à Rome, passait pour avoir inventé le vélin. Le
vélin et le parchemin de l'antiquité ne différaient guère sans doute de ceux
du Moyen Age, quoique les procédés de fabrication des anciens ne nous soient
pas connus. Le parchemin ordinaire est une peau de mouton, de brebis ou
d'agneau, passée à la chaux, écharnée, raturée, adoucie à la pierre ponce ;
ses principales qualités sont la blancheur, la finesse et la roideur ; mais
le travail du corroyeur ou du fabricant devait être quelquefois
très-imparfait, puisque le calligraphe était obligé de dégraisser encore et de
polir lui-même le parchemin grossier qu'il destinait à recevoir de
l'écriture. Hildebert, archevêque de Tours au onzième siècle, nous apprend quid scriptor solet facere : Primo cum rasorio incipit pergamenum purgare de
pinguedine, et sordes magnas auferre ; deindè cum pumice pilos et nervos
omnino abstergere.
Sermo XV. Quant au parchemin vierge, qui imite très-bien la qualité du
vélin, il se fabrique avec des peaux d'agneaux ou de chevreaux avortés. Le
vélin, plus poli, plus blanc et plus transparent que le parchemin ordinaire,
est fait de peau de veau (vitulus), comme son nom l'indique. Au reste, les mots latins pergamenum, corium et membranœ étaient les noms génériques de toute espèce de peau préparée :
différentes épithètes ajoutées au mot membranœ caractérisaient seulement
différentes sortes de parchemin : membranœ
caprinœ, agninœ, ovillœ, vitulinæ, hœdinœ, etc. La dénomination de pergamenum a prévalu dans la langue des principaux peuples de l'Europe, car
on dit en allemand pergament, en anglais parchment, en italien pergamena, en espagnol pergamino, et en hollandais parckament. Dans le Moyen Age, on a dit,
par corruption, pergamentum et pergamerium. Voyez le Glossaire de DUCANGE. Quoique
la découverte dont on fait honneur à Pergame ait dû considérablement
multiplier le parchemin, il est présumable que le papyrus était d'un usage
plus fréquent chez les Grecs et les Romains, soit à cause de la cherté du pergamenum, soit à raison de la facilité de se procurer du papyrus.
Cependant il paraît qu'on se servait assez fréquemment du parchemin, surtout
pour la transcription des ouvrages les plus estimés ; on en fabriquait même
de très-fin, puisque Cicéron disait (PLINE, liv. VII, ch. xxi) avoir vu toute
l'Iliade copiée sur un rouleau de cette substance et renfermée dans une noix.
La bibliothèque de Cicéron, aussi remarquable par le luxe que par le choix
des livres, en contenait beaucoup écrits sur parchemin. Les livres de cette
espèce étaient encore plus nombreux, du temps de Martial, comme le prouvent
diverses épigrammes de ce poète. Malheureusement, il ne nous reste aucun
monument écrit sur parchemin sous le règne des douze premiers Césars. Le
Virgile du Vatican, le Térence de Florence et quelques manuscrits infiniment
rares, ne remontent pas au-delà du quatrième ou du cinquième siècle de l'ère
chrétienne. Deux causes ont contribué à ces pertes irréparables : le temps,
qui détruit à la longue tous les monuments de la main des hommes, et la barbarie,
qui porta le fer et la flamme dans l'empire romain durant plusieurs siècles. Les
savants auteurs de la Nouvelle Diplomatique disent que les plus anciens
manuscrits sont en parchemin et les plus anciens diplômes en papier d'Égypte.
La France ne possède pas, en effet, de diplômes originaux en parchemin,
antérieurs au septième siècle ; mais il est certain que l'Angleterre et
l'Allemagne ne firent usage que de parchemin pour dresser les actes publics,
avant la découverte du papier de coton. Le parchemin coûtait bien plus cher
que le papyrus et le papier de coton ; il semble aussi avoir manqué
totalement à différentes époques, en sorte que, pour suppléer à la disette de
cette matière, on imagina d'utiliser le parchemin écrit, soit en le raclant,
soit en le faisant bouillir dans l'eau, soit en le passant à la chaux vive
pour enlever l'ancienne écriture et le disposer à en recevoir une nouvelle.
Le parchemin était si rare au onzième siècle, que Guy, comte de Nevers, ayant
fait un présent de vaisselle d'argent aux Chartreux de Paris, ces religieux
lui renvoyèrent son présent, et ne lui demandèrent que du parchemin en
échange. Il n'y a pas de doute que la rareté et la cherté du parchemin
n'aient fait périr une foule d'excellents ouvrages qui ont été remplacés par
des traités insignifiants de liturgie et de dévotion. On aurait tort de
croire pourtant qu'il faille restreindre aux onzième, douzième et treizième
siècles l'usage de gratter le parchemin écrit, et renfermer cet usage barbare
dans les bornes de l'Église grecque. On a signalé de nombreux exemples qui
constatent que le mal avait gagné les Latins, et que dès le septième siècle,
en Occident, on effaçait, avec plus ou moins d'adresse, l'écriture sur le
parchemin, que l'on rendait susceptible de servir une seconde fois. Muratori (Antiq. Ital.,
t. III, col. 834)
cite un manuscrit de la bibliothèque Ambroisienne, qui comprend les œuvres du
vénérable Bède, et dont l'écriture, âgée de huit à neuf cents ans, aurait été
substituée à une autre de plus de mille ans. Les auteurs de la Nouvelle
Diplomatique citent un manuscrit du septième siècle (Opuscule de
saint Jérôme),
formé avec les débris palimpsestes de trois manuscrits des sixième, cinquième et quatrième siècles. L'emploi des anciens
parchemins grattés et lavés devint si fréquent en Allemagne aux quatorzième
et quinzième siècles, que les empereurs s'opposèrent
à cet abus dangereux en ordonnant aux notaires de n'user que de parchemin vierge et tout neuf. (MAFFEI, Istor.
diplom., p. 69.) En
général, la qualité du parchemin peut servir à faire apprécier le temps de sa
fabrication. Le vélin des manuscrits et des diplômes est très-blanc et
très-fin jusqu'au milieu du onzième siècle ; le parchemin du douzième est
épais, rigide et d'une couleur bise qui annonce souvent qu'on en a fait
disparaître l'écriture primitive, en le raclant avec la pierre ponce ou en le
lavant avec des drogues. La plupart des beaux manuscrits du quatorzième
siècle sont en parchemin vierge qui se prêtait plus particulièrement à la
délicatesse de l'art du calligraphe et de l'enlumineur. Le parchemin était
d'ailleurs très-commun en France au treizième siècle, témoin le statut de
l'Université de Paris daté de 1291 (BULÆUS, Hist.
Univ. de Paris, t. III, p. 499.) On voit, dans ce statut, que,
bien avant cette époque, le commerce du parchemin avait pris un développement
considérable à Paris, et l'Université, se plaignant avec force et des fraudes
et des tromperies de ce commerce, essaye d'y remédier par de sages
dispositions que Crevier analyse en ces termes (Hist. de l'Univ. de Paris, t. II, p. 130) : Premièrement, il est défendu aux parcheminiers de Paris
d'acheter le parchemin ailleurs que dans la halle des Mathurins ou à la
Foire. L'Université avait chez les Mathurins une salle qui lui était prêtée librement
par les religieux de cette maison pour être le dépôt de tout le parchemin qui
entrait dans Paris. Le marchand forain qui l'y avait apporté, était obligé
d'aller sur-le-champ annoncer son arrivée au recteur ou de le faire avertir ;
et le recteur envoyait quelqu'un de sa part pour compter les bottes de ce
parchemin, et le faire visiter et taxer par quatre parcheminiers-jurés de
l'Université. Après cette opération, le marchand devait tenir son bureau
ouvert pendant vingt-quatre heures aux seuls écoliers, praticiens, ou autres
particuliers qui avaient besoin de parchemin, et ce n'était qu'au bout de ces
vingt-quatre heures, qu'il lui était permis de le vendre aux marchands de
Paris. A la foire du Lendit, -qui se tenait à Saint-Denis, et à celle de Saint-Lazare,
le recteur faisait pareillement visiter tout le parchemin que l'on y apportait,
et les marchands de Paris ne pouvaient en acheter qu'après que les marchands
du roi, ceux de l'évêque de Paris, les maîtres et écoliers de l'Université
s'en étaient fournis.
L'objet principal du statut de 1291 fut certainement d'empêcher que les marchands
ne s'emparassent du meilleur parchemin pour l'usage de l'industrie, au
détriment des sciences et des arts. Ce statut, néanmoins, nous permet de
supposer que la consommation du parchemin était immense à cette époque. Le
recteur de l'Université avait un droit sur la vente du parchemin, et ce droit
a été l'unique revenu du rectorat jusqu'à la fin du dix-huitième siècle. Bien
que la couleur naturelle du parchemin soit blanche et que cette couleur
semble plus favorable qu'aucune autre à l'écriture, l'antiquité et le Moyen
Age, en composant des encres de différentes couleurs, avaient donné aussi
différentes couleurs au parchemin. On connaissait surtout le parchemin jaune
et le parchemin pourpre (membrana crocea et purpurea). Ce dernier était destiné de préférence à recevoir
des caractères d'or et d'argent. Julius Capitolinus, dans son Histoire,
raconte que la mère de Maximin le Jeune donna à ce prince tous les livres
d'Homère écrits en or sur vélin pourpre. Le parchemin, teint en pourpre ou du
moins en cinabre, était une des prérogatives réservées aux empereurs, aux
rois et aux évêques ; ainsi, au quatrième siècle, l'évêque Theonas conseille
à Lucien, grand-chambellan de l'empereur, de ne pas faire écrire sur pourpre
en lettres d'or les volumes exécutés pour la bibliothèque impériale, à moins
d'un ordre exprès de la part du prince. Saint Jérôme, toutefois, dans sa
préface du livre de Job, a l'air de dire que, de son temps, les manuscrits en
vélin pourpre étaient assez répandus : Habeant
qui volunt veleres libros, vel in membranis purpareis auro argentoque
descriptos, vel uncialibus, ut vulgo aiunt, litteris, etc. Ces volumes devaient être
de grand prix. Ils étaient fort recherchés en Espagne au septième siècle,
selon saint Isidore de Séville, qui dit en parlant des livres : Inficiantur colore purpureo, in quibus aurum et argentum
liquescens patescal in litteris. Il est à remarquer que la barbarie des septième
et huitième siècles ne diminua pas la faveur qui
entourait ces splendides manuscrits. Saint Wilfrid, archevêque d'York au
septième siècle, fit don à son église d'une bible et d'un évangéliaire écrits
en lettres d'or sur vélin pourpre. L'art de teindre ce vélin ne laissa pas que
de tomber en décadence à la fin du neuvième siècle. Dès lors on ne vit guère
que des manuscrits en pourpre rembruni ; et encore, dans les manuscrits de
cette époque, le pourpre ne s'étend-il que sur quelques pages et même sur
certaines portions des pages, comme les frontispices, les titres, le canon de
la messe, etc. Il distingue çà et là des lignes, des mots, des initiales,
qu'on voulait mettre en évidence. Tels sont les Bibles et les Heures de
Charles le Chauve que possède la Bibliothèque nationale de Paris. Les
ouvriers qui teignaient d'abord le parchemin en pourpre, et qui plus tard ne
firent que marquer en rouge les majuscules, les chapitres et les alinéas,
s'appelaient rubricatores, miniatores, et formaient une profession distincte, dont les imprimeurs du
quinzième siècle ne dédaignèrent pas le concours pour les rubriques des bibles,
des missels et des livres de droit. Les
premiers livres produits par l'imprimerie furent d'abord une contrefaçon des
manuscrits : ils en affectaient la forme, les caractères, les ornements et la
matière. Les Bibles, que Jean Fust apporta en 1462 à Paris, étaient imprimées
sur vélin, avec initiales peintes en bleu, pourpre et or : l'illustre
faussaire les vendait comme manuscrits à raison de 60 écus d'or (550 fr.
environ) l'exemplaire,
jusqu'à ce qu'on se fût aperçu de la fraude du vendeur. Dès cette époque, le
parchemin avait en quelque sorte fixé les formats des livres. La dimension de
la peau entière de l'animal, taillée carrément et pliée en deux, représentait
l'in-folio, qui variait à proportion en hauteur et en largeur : cette même
peau, pliée en quatre, donnait l'in-quarto, et en huit, l'in-octavo. On a
tout lieu de penser que le papier, dès son origine, prit également la
dimension ordinaire du parchemin. Quant
au parchemin employé dans les diplômes, sa dimension varia suivant la rareté
de la matière et selon les besoins de son emploi. Chez les anciens, on
n'écrivait que sur un seul côté du parchemin, les peaux attachées l'une à
l'autre devant figurer des rouleaux appelés volumes, qu'on déroulait
successivement pour en lire le contenu. On conserva cette forme et cette
manière d'écrire pour les actes publics et les actes judiciaires, longtemps
après que l'invention du livre carré, codex, eut fait adopter l'écriture
opisthographe, c'est-à-dire tracée des deux côtés de la page. Dans les bas
siècles du Moyen Age, il était fort rare que l'on portât une partie de
l'écriture sur le dos des chartes : quand on se permettait cette infraction à
l'usage reçu, ce n'était que pour les signatures et autres formules finales ;
encore, n'en trouve-t-on presque point d'exemples antérieurs au dixième
siècle. L'écriture opisthographe n'était alors appliquée qu'aux cartulaires,
aux nécrologes, aux livres de compte et aux manuscrits. Peu à peu on
transporta cet usage aux titres ; puis, on s'habitua insensiblement à écrire
sur le verso comme sur le recto, surtout à partir du seizième siècle. Les
chartes opisthographes n'excédaient jamais la grandeur du parchemin ;
cependant elles étaient parfois composées de plusieurs peaux cousues
ensemble, ce qui formait des rouleaux d'une longueur prodigieuse. Le parchemin des diplômes, dit Lemoine (Dict. prat. de
Diplomatique, p. 57),
a été fort petit, particulièrement depuis le
règne de Philippe-le-Bel jusqu'au milieu du règne de Charles V. Il devient
plus grand en 1377.
Les chartes privées, les plus anciennes qui nous restent, sont écrites sur
des parchemins extrêmement petits. Encore, le
parchemin était-il souvent coupé inégalement, ajoute Lemoine, et sans observer
les angles droits, et cette espèce de mesquinerie dans la matière dont on se
servait pour écrire les actes a constamment duré pendant trois siècles, à
commencer au onzième. En 1233 et 1252, on voit des contrats de vente, des
donations, sur des parchemins de 2 pouces de hauteur sur 5 de large ; et en
1258, un testament écrit sur une bande de 2 pouces sur 3 et demi. En 1279, on
remarque déjà des parchemins d'un pied de hauteur. Depuis 1380, il n'y a plus
de petits parchemins. Le siècle suivant voit les actes judiciaires s'allonger
à l'excès : on a des rouleaux de vingt pieds de long !... Ce fut pour obvier à cette
dépense excessive de parchemin, qu'on adopta généralement l'écriture
opisthographe dans les diplômes, et qu'on renonça aux rouleaux, dont le nom
seul est demeuré attaché aux rôles de procédure. Dans des temps plus
modernes, on employait toujours au barreau le parchemin pour la plupart des
expéditions ; mais sa grandeur variait selon les divers usages auxquels on le
destinait. Par exemple, les feuilles du Parlement portaient 9 pouces et demi
de hauteur sur 7 et demi de largeur ; celles du Conseil, 10 pouces et demi de
haut sur 8 de large ; celles de Finance, qui servaient aux contrats, 12
pouces et demi sur 9 et demi. Les lettres de grâce devaient être sur des
peaux entières et équarriées, longues de 2 pieds 2 pouces, et larges d'un
pied 8 pouces, etc. Mais à
l'époque où le parchemin était ainsi employé dans les chancelleries et les
tribunaux, son usage avait cessé partout ailleurs : on imprimait à peine
quelques exemplaires de livres sur vélin ; on n'écrivait plus de manuscrits,
on ne peignait plus de miniatures. La foire du Lendit n'existait guère que de
nom, et l'Université n'y allait pas chercher de parchemin. Le papier, après
avoir longtemps rivalisé avec cette matière, si bonne gardienne de l'écriture
qu'on lui confie, avait fini par la remplacer dans la plupart des usages de
la vie intellectuelle. Le papier, moins durable, il est vrai, que le
parchemin, coûtait moins cher, et pouvait se multiplier à l'infini. Dès la
plus haute antiquité, le papyrus d'Egypte, soumis à divers procédés de
fabrication, avait rendu les mêmes services que le papier (Voyez l'art. MANUSCRITS, par M. Champollion-Figeac) ; toutefois, le papyrus, ainsi
que le liber, ou papier d'écorce d'arbre, qu'on préparait d'une manière
analogue, et qui résistait encore moins à l'action du temps, se cassait au
moindre contact. et tombait lentement en poussière.
Voilà pourquoi la plupart des manuscrits sur papyrus qui sont venus jusqu'à
nous présentent tant de lacunes et de détériorations. Quant aux manuscrits
sur écorce, ils ont à peu près tous disparu. On fabriqua pourtant du papyrus
jusqu'au moment où le papier de coton devint d'un usage général en Europe. Ce
papier, qui avait été inventé en Chine dès les premiers siècles de notre ère,
passa, des Arabes aux peuples de l'Occident, vers la fin du neuvième siècle
ou au commencement du dixième. Il contribua bientôt à faire cesser l'emploi
du papyrus et à diminuer beaucoup celui du parchemin. On pense que les Grecs
ont pu se servir de ce papier avant le temps où il fut répandu dans l'ouest
de l'Europe par les Maures d'Espagne. Les Vénitiens, qui l'avaient trouvé en
Grèce, l'apportèrent en Italie, et il arriva ensuite en Allemagne dès le neuvième
siècle, sous le nom de parchemin grec. Il a eu d'ailleurs différents noms.
Les Espagnols l'ont d'abord appelé : pergamino
di panno ;
quelques auteurs du Moyen Age : charta
gossypina ou xylona, parce que le coton est la production d'un arbuste ; d'autres : charta damascena, parce que celui de Damas était le plus estimé ;
d'autres encore : charta bombycina ou bombacina, cultunea ou colonia, serica, etc. Cependant ce papier n'eut
jamais autant de cours dans les pays du Nord que dans ceux du Midi. C'est surtout
en Espagne, en Italie et en Sicile, qu'on rencontre des manuscrits et des
diplômes sur papier de coton. Mais le papier, fabriqué en ces contrées-là aux
douzième et treizième siècles, est très-grossier et
bien inférieur à celui des anciens manuscrits arabes, qui était devenu
solide, lisse et lustré en passant sous la presse. Au reste, la mauvaise
qualité du papier de coton, sujet aux atteintes de l'humidité et des vers,
détermina l'empereur Frédéric II à rendre, en 1221, une ordonnance qui
déclarait nuls tous actes écrits sur ce papier, et qui fixait le terme de deux
années pour les transcrire sur parchemin. La
découverte du papier de coton amena bientôt celle du papier de lin ou de
chiffes, ou de linge. Mais où et quand cette découverte s'est-elle faite ?
Polydore Virgile (De invent. rerum, lib. II, cap.
8) avoue n'avoir
jamais pu le savoir ; Scaliger attribue aux Allemands l'honneur de
l'invention ; Scip. Maffei, aux Italiens ; d'autres, à quelques
Grecs-réfugiés à Baie. Le P. Duhalde croit que ce papier vient des Chinois,
et le docteur Pndeaux, qu'il a été porté d'Orient en Europe par les Sarrasins
d'Espagne. Cette variété d'opinions ne fait qu'épaissir le voile qui couvre
l'origine de ce papier. Ce voile s'étend également sur l'époque de cette
origine. Mabillon croit que c'est dans le douzième siècle ; Montfaucon, qui
parle de plusieurs manuscrits du dixième siècle sur papier de lin, n'a trouvé
pourtant ni en France ni en Italie aucun livre ni aucun feuillet de ce
papier, qui ne fût postérieur à la mort de saint Louis (1270). Maffei prétend qu'on ne découvre
pas trace de papier de chiffes avant 1300, et Conringius est de cet avis.
Cependant Pierre le Vénérable, abbé de Cluny, qui vivait au douzième siècle,
s'exprime ainsi dans son traité contre les Juifs (Bibliot.
Cluniac., col. 1069 et sq.) : Sed cujusmodi librum ? Si
talem, quales quotidiè in usu legendi habemus, utique ex pellibus arietum,
hircorum, vel vitulorum, sive ex biblis vel juncis orientalium paludum ; aut
certè ex rasuris veterum pannorum, seu ex qualibet alia forte viliore materia
compactos. Ces
mots : ex rasuris veterum pannorum, peuvent-ils signifier autre
chose que du papier de chiffes, celui qui est fait de vieux linges broyés et
réduits en pâte, viliore materia compactos ? A
l'appui de cette autorité irrécusable, le Journal étranger, du mois de
novembre 1756, a signalé deux anciens documents écrits sur papier de
chiffons, que possédait Pestel, professeur à l'Université de Rinteln, et que
l'Université de Gottingue avait examinés : l'un daté de 1239, signé
d'Adolphe, comte de Schaumbourg ; l'autre, daté de 1320, et accompagné de
sceaux. Le plus ancien titre sur papier de chiffes ; que Mabillon ait
rencontré, est une lettre de Joinville à Louis X, qui n'a régné que deux ans,
de 1314 à 1316. Le P. Bohuslas dit, dans son Histoire de Bohême, que les
bibliothèques de ce pays offrent quantité de livres écrits sur papier de
chiffons, avant l'an 1340. L'archiviste Camus avait vu dans les archives de
Bruges un recueil de gros volumes in-folio sur papier, contenant les comptes
de la ville depuis 1367 ; mais il n'osait pas affirmer que ces registres
fussent en papier de chiffes, quoique ce papier lui eût paru moins lisse,
plus épais, et surtout moins émoussé vers la tranche, que le papier de coton.
On peut citer avec certitude, comme écrits sur papier de lin, un inventaire
des biens d'un prieur Henry, mort en 1340, conservé dans la Bibliothèque de
Cantorbéry, et plusieurs titres authentiques remontant à 1335, dans la
Bibliothèque Cottonienne, à Londres ; bien que la
première papeterie établie en Angleterre soit, dit-on, celle d'Hertford, qui
date seulement de 1588. Des papeteries importantes existaient en France dès
le règne de Philippe de Valois, notamment celles de Troyes et d'Essonne. Le
papier qui sortait de ces fabriques, offrait, dans la pâte, différentes
marques ou filigranes, telles que la tête de bœuf, la croix, le serpent, la
rose, l'étoile, la hache, la couronne, etc., selon la qualité ou la
destination du papier. Les mêmes filigranes étaient, au reste, usités dans
toutes les papeteries de l'Europe, déjà nombreuses et florissantes au
quatorzième siècle. C'est à partir du milieu de ce siècle, qu'on trouve dans
les archives et les bibliothèques publiques un assez grand nombre de
documents écrits sur papier de chiffes : l'invention de ce papier devait
ainsi précéder de plus d'un siècle l'invention de l'imprimerie. GABRIEL PEIGNOT, de la Société nationale des
Antiquaires de France. |