LE MOYEN-ÂGE ET LA RENAISSANCE

TROISIÈME PARTIE. — BEAUX-ARTS

 

MINIATURE DES MANUSCRITS.

 

 

IL n'entre pas dans notre plan de remonter à l'origine de l'art d'orner les Manuscrits de Miniatures. Cet art, auquel nous sommes redevables de quelques chefs-d'œuvre de dessin et de peinture, est aussi ancien que l'idée de réunir en un corps, de matières et de formes variées, sous le nom de livre, des traditions verbales, des chroniques, des discours sur toute sorte de sujets. Nous nous bornerons donc à dire que, pendant toute la durée du Moyen Age, il fut d'un usage plus ou moins habituel, et à signaler ses principales phases de perfectionnement ou de décadence, dans les diverses contrées de l'Europe, et plus spécialement en France.

On doit faire remarquer d'abord qu'on possède encore des Miniatures de manuscrits, qui appartiennent au troisième ou au quatrième siècle de notre ère, c'est-à-dire au commencement même du Moyen Age. Elles existent dans un livre, dès longtemps célèbre parmi les savants pour l'autorité de son texte : c'est le Virgile, in-4° carré, de la Bibliothèque du Vatican, qui nous a conservé un exemple de peintures de cette ancienneté et de ce mérite. Ces peintures, en grand nombre, très-recommandables par leur exécution, ont été publiées par l'illustre cardinal Maj, à Rome. Mais la France peut revendiquer l'origine d'un autre manuscrit latin, également orné de peintures et non moins célèbre que le précédent, quoique moins ancien d'un siècle environ. Son texte contient aussi les œuvres du poète de Mantoue. Longtemps avant que ce précieux volume ne traversât les Alpes pour être offert en hommage au chef de la chrétienté, il était un des plus beaux ornements de la bibliothèque de l'abbaye Saint-Denis en France. Ses peintures, comme celles du Virgile du quatrième siècle, sont évidemment des copies de plus anciens modèles : telle est, du moins, l'opinion des maîtres de la science, opinion confirmée par l'exécution des dessins, par la forme des temples, des édifices, des vaisseaux birèmes, des bonnets phrygiens et autres costumes ou objets d'un usage vulgaire, qui y sont représentés. Nous avons reproduit une miniature tirée de ce Manuscrit. Ainsi donc, ces deux Virgile peuvent à eux seuls constater l'état de la peinture dans les manuscrits, dès l'origine du Moyen Age.

Il serait difficile d'indiquer des livres à Miniatures du sixième ou du septième siècle, dont l'exécution pût être attribuée à des artistes français : tout au plus, pourrait-on signaler des lettres majuscules, ornées de quelques traits de plume, dans un précieux manuscrit sur papyrus contenant les œuvres de saint Augustin (sixième siècle), et dans d'autres sur vélin, comme le Grégoire de Tours et le saint Prosper du septième siècle : mais ce sont plutôt des enjolivements calligraphiques.

Au huitième siècle, au contraire, les ornements se multiplient déjà, et quelques peintures assez élégantes peuvent être indiquées. Si leur exécution est remarquable et le dessin correct, on peut naturellement en conclure que l'artiste était contemporain de Charlemagne. C'est à ce règne, en effet, qu'il faut rapporter une renaissance momentanée dans les arts en France, comme aussi la réforme de l'écriture latine qui était devenue illisible : à la fin du huitième siècle et au commencement du neuvième, la peinture et l'écriture cherchèrent de nouveau à se régler sur les beaux modèles de l'antiquité. Ainsi, le manuscrit de la Bibliothèque Nationale, S. L. 626, constate la décadence de l'art du dessin et celle de la peinture avant Charlemagne ; il en est de même des volumes numérotés A. F. 281, 2110, 2706 et 2769. On ne peut imaginer des ornements plus lourds, plus disgracieux, ni un dessin plus incorrect. Il était donc bien temps que la salutaire influence exercée par l'illustre monarque se manifestât dans les arts comme dans les lettres. Le premier manuscrit qui paraît constater ce progrès, serait le Sacramentaire de Gellone (S. G. n° 163), dont les peintures allégoriques, pleines d'intérêt, sont dignes d'une étude spéciale pour les amateurs de la symbolique chrétienne. Un magnifique Évangéliaire, orné de peintures, que la tradition dit avoir appartenu à Charlemagne, serait un nouveau et plus positif témoignage de la renaissance des arts du dessin : ce volume est aujourd'hui conservé à la bibliothèque du Louvre. Puis, viendraient, pour le neuvième siècle, dans l'ordre des temps et du mérite d'exécution : 1° l'Évangéliaire, donné par Louis le Débonnaire à l'abbaye Saint-Médard de Soissons (S. L. 686), dans lequel on remarque des têts d'un très-beau type, des ornements d'une grande finesse, et le style byzantin dans toute sa pureté ; 2° l'Évangéliaire de l'empereur Lothaire (A. F. n° 266), dont l'élégante ornementation l'emporte sur la correction des peintures représentant les évangélistes : néanmoins, le portrait de l'empereur est très-finement exécuté ; 3° un autre Évangéliaire de la même époque (S. L. n° 689) : les peintures sont d'un coloris moins beau et l'exécution générale est moins soignée que celle du volume précédent, mais on doit y remarquer la forme des sièges sur lesquels sont assis les évangélistes, et le genre de boîte dans laquelle des livres sont enfermés ; 40 la Bible de Metz (A. F. n° 1) : on y trouve des peintures de la plus grande dimension connue pour cette époque ; ces tableaux se font remarquer encore par des personnages heureusement groupés et par la beauté des draperies, mais on doit avouer que le brillant des couleurs l'emporte sur la correction du dessin ; les personnages nus laissent beaucoup à désirer ; le type des tètes est peu varié : ce n'est pourtant pas le même artiste qui a exécuté toutes ces peintures, et il est facile de reconnaître, dans le nombre, une main moins habile que celle qui a peint les principaux sujets. Une de ces Miniatures excite un intérêt tout spécial : c'est David au milieu des six prophètes ; ce roi des Juifs, représenté une harpe à la main, n'est autre qu'un Apollon antique, autour duquel se trouvent personnifiés la Prudence, le Courage, la Justice, etc. On remarquera, de plus, dans ces peintures, la forme des édifices, des barques, des sièges, etc. Le portrait de l'empereur Lothaire recevant l'hommage de cette Bible, est une grande et belle composition qui termine glorieusement le volume ; 5° enfin deux Bibles, et un Livre de Prières (n° 1152), qui ont appartenu à Charles le Chauve. Les deux Bibles se recommandent par la riche ornementation des lettres capitales, du genre dit Caroline-Saxonne, et le Livre de Prières, par un beau portrait du roi Charles le Chauve, et par quelques autres peintures et lettres ornées : l'exécution de ce dernier volume est bien moins satisfaisante que celle des Bibles et de l'Évangéliaire de Lothaire ; les draperies y sont, en effet, moins habilement disposées ; du reste, ces peintures sont aujourd'hui un peu altérées. Après ces manuscrits hors ligne pour la beauté de leurs sujets peints, on peut cependant encore citer deux livres très-remarquables par la finesse et la facilité de leurs dessins au trait, la pose et les draperies des personnages, rappelant entièrement celles des statues antiques : ce sont un Térence, conservé à la Bibliothèque Nationale, sous le n° 7899, et un Lectionnaire de la cathédrale de Metz, duquel nous avons tiré la bordure de cette page.

Pour l'Allemagne, l'état de l'art du miniaturiste au neuvième siècle est constaté par les sujets peints dans la Paraphrase des Evangiles, en langue théotisque, de la Bibliothèque Impériale de Vienne, et il est facile de juger qu'en cette partie de l'Europe, cet art était resté dans l'enfance, ou bien qu'il avait dès lors dégénéré sous tous les rapports. Il en fut à peu près ainsi de l'art anglo-saxon à la même époque ; cependant quatre sujets au trait, bien finement exécutés dans le Pontifical n° 943 de la Bibliothèque Nationale, sont là comme une heureuse et rare exception.

Mais si l'on veut se rendre compte des traditions réelles de l'art antique en Europe au neuvième siècle, il faut étudier les manuscrits de la Grèce chrétienne. Il en existe quelques-uns de premier ordre, à la Bibliothèque Nationale. Nous citerons, avant tous les autres, les Commentaires de Grégoire de Nazianze (Gr. n° 510), format grand in-folio, orné d'un nombre prodigieux de peintures. C'est l'art antique avec tous ses moyens appliqués à la représentation des sujets chrétiens. Les têtes des personnages sont d'une admirable expression et du type le plus beau. Les tons de ces Miniatures sont chauds et bien veloutés, l'entente des draperies est parfaite. De riches costumes d'empereur et d'impératrice, de grand-prêtre, de chevalier grec chrétien, de simples soldats ou d'hommes du peuple, en font un très-utile et très-intéressant sujet d'étude. On y voit aussi représentés, des vaisseaux, des maisons, des palais, des trônes, des lits, des vases, des candélabres, des autels, et tous les ornements, passés de l'usage de la société païenne aux chrétiens du Bas-Empire. Malheureusement, ces peintures sont exécutées sur un vélin préalablement enduit d'une pâte mince très-friable, et cette pâte ayant éclaté, les couleurs ont été enlevées dans un grand nombre de tableaux. On a donc aujourd'hui à regretter la dégradation et l'état déplorable d'un des plus beaux monuments de l'art grec chrétien : ce qu'il en reste d'intact témoigne de l'ancienne perfection de l'œuvre et légitime nos regrets.

Pendant le dixième siècle, c'est encore chez les artistes de la Grèce 4 qu'il faut chercher le beau dans l'art de la peinture des manuscrits. Le chef-d'œuvre de cette époque est certainement le Psautier avec commentaires, appartenant à la Bibliothèque Nationale (Gr. N° 139). Les nombreuses allégories païennes, dont il est orné, en font un monument de la plus grande rareté : on serait disposé à croire qu'il a été peint par un artiste encore attaché aux croyances du paganisme ; car cet artiste a personnifié dans ses compositions la Mélodie, la Valeur, la Douceur, la Force, le Courage, la Sagesse, la Patience, la Prophétie, la Nuit, l'Aurore, etc. Le coloris des Miniatures, les groupes, de personnages, le caractère des têtes, les draperies des costumes, tout montre l'art antique dans sa plus haute expression. La peinture que nous reproduisons d'après cet admirable livre, représente le prophète Ézéchiel recevant des inspirations pendant la nuit.

Les livres manuscrits du dixième siècle, exécutés en France et ornés de Miniatures, sont assez rares. Deux célèbres ouvrages de cette époque sont conservés à la Bibliothèque Nationale : l'un est la Bible de Saint-Martial de Limoges (A. L. n° 5), si riche en ornements d'une élégance remarquable ; et l'autre, la Bible, dite de Noailles, dans laquelle un grand nombre de dessins au trait et enluminés offrent des armes, des meubles, des ustensiles, des costumes civils et militaires ; mais l'exécution de ces dessins annonce une grande décadence dans l'art : les figures sont représentées habituellement de face, quoique le bas du corps soit de trois quarts ; le dessin est très-incorrect ; les teintes et les draperies sont des plus plates. Un autre manuscrit, contenant le Commentaire d'Harisson sur Ézéchiel (S. Germ. 303), renferme aussi trois pages peintes, dignes d'attention : l'une d'elles représente le siège d'une forteresse. Il faut donc mentionner ce manuscrit parmi les curieux monuments exécutés en France au dixième siècle.

Toutefois, si l'amélioration dans les arts, excitée par le génie de Charlemagne, s'était déjà sensiblement arrêtée en France au dixième siècle, il en fut de même parmi les artistes anglo-saxons et visigothiques de ce même période. Un Évangéliaire latin, exécuté en Angleterre (S. L. 693), prouve notre assertion ; mais on y reconnaît, en même temps, que l'art d'orner les livres était moins dégénéré que celui de dessiner des figures humaines : la figure de l'homme qui, dans l'opinion des artistes de ce pays au dixième siècle, était le symbole de saint Mathieu l'évangéliste. Cette figure est, en effet, d'une très-singulière composition, tandis que les ornements et les lettres capitales peuvent être cités comme des chefs-d'œuvre de finesse et d'élégance. Quant aux peintures visigothiques du manuscrit S. L. 1076, il serait difficile de détailler tout ce qu'elles ont de curieux. C'est un art tout à fait étrange, qui ne ressemble en rien à d'autres monuments contemporains. Les animaux fantastiques et les oiseaux, qu'on y voit représentés, se rapprochent souvent du style anglo-saxon. Ce précieux volume contient le texte de l'Apocalypse de saint Jean ; il est orné de nombreuses peintures, dignes à tous égards de la plus grande attention.

L'Allemagne voyait alors s'améliorer l'art de peindre les Miniatures ; elle devait ce progrès inattendu à l'émigration des artistes grecs, surtout à ceux de Constantinople, qui vinrent auprès des empereurs d'Allemagne chercher un refuge contre les troubles habituels de l'Orient. Ces artistes continuèrent d'appliquer leurs talents à la composition des sujets chrétiens, et il nous est parvenu quelques beaux manuscrits de cette époque. On peut citer, entre autres, deux Évangéliaires latins (Bibl. Nation., nos 817, A. F., et 140, S. Germ.), dont les peintures révèlent assez l'influence des artistes grecs, par la finesse des têtes : les pieds et les mains des personnages sont bien dessinés, et les draperies bien agencées. Aussi, le progrès est-il immense, si l'on compare ces peintures avec celles de l'Évangéliaire théotisque déjà cité. Il en est de même au siècle suivant. Le beau manuscrit (A. F. n° 275) de la Bibliothèque Nationale, qui est du commencement du onzième siècle et qui contient le texte des Évangiles. Un autre, à peu près contemporain, rappelle, dans une de ses peintures, l'usage, assez fréquent alors, de consacrer un livre en le déposant sur un autel à titre d'offrande, soit qu'il contint un texte sacré, soit qu'il perpétuât les immortels ouvrages de la latinité païenne. Le personnage qui avait fait exécuter ce beau volume (n° 1118, S. L.) est représenté au moment où, soutenu par deux anges, il va déposer son livre sur l'autel.

Mais, en France, le clergé prêchait la fin du monde pour le premier millénaire qui allait s'accomplir. On fut donc occupé à toute autre chose, qu'à orner des livres. Aussi, le onzième siècle est-il celui qui nous a légué le moins de monuments de peintures chrétiennes ou autres : le volume n° 821 de la Bibliothèque Nationale nous représente le dernier degré de l'abaissement de cet art. Rien au monde n'est plus barbare ; rien n'est s plus éloigné du sentiment (lu beau et même de l'idée du dessin. L'ornementation saxonne s’était cependant maintenue assez belle, quoique déjà sous des formes très-lourdes : on peut citer, pour ce genre d'ornements, le Sacramentaire n° 987 de la Bibliothèque Nationale, et celui d'Ethelgar, conservé à la Bibliothèque de Rouen.

Toutefois, la décadence dans les arts en France semble s'être arrêtée vers la fin du onzième siècle, si l'on en juge par des peintures de l'année 1060, exécutées dans un manuscrit latin n° 818 de la Bibliothèque Nationale. On pourrait regarder comme contemporains de cette même date les ornements et les peintures de divers autres-manuscrits, notamment ceux cotés 1049² S. Germ. lat. (Vie de saint Germain, évêque de Paris), et 2058 A. F. (Œuvres de saint Augustin) la Bible, tome I. L, n° 8, etc.

Dans les manuscrits du douzième siècle, on sent l'influence nouvelle des croisades et l'heureuse amélioration introduite par ces expéditions lointaines, dans les sciences, les lettres et les arts ; l'Orient régénérait l'Occident, et l'on doit reconnaître une imitation orientale dans les bizarres figures mêlées aux ornements des lettres capitales, et dans l'emploi habituel des belles teintes bleues d'outre-mer. C'est ce que paraissent indiquer les manuscrits latins de la Bibliothèque Nationale, n° 5058, 5084, 1618, 1721, et les curieuses peintures du n° 267 de la Sorbonne. Tout ce que peut inventer l'imagination la plus capricieuse et la plus fantastique se trouve mis en œuvre pour donner aux lettres latines une forme grotesque, ou du moins un caractère qui rappelle, avant tout, les ornements les plus déliés de l'architecture sarrasine. Ce système, cette mode d'ornementation dans l'écriture se répandit alors de telle sorte, qu'on la fit servir même aux actes publics : témoin le rouleau mortuaire de Saint-Vital, daté de l'année 1122, qui est aujourd'hui conservé aux Archives Nationales : les lettres de la première ligne (notamment le T), sont composées d'une agrégation de diables enlacés, bien dignes du crayon de Callot. La Grèce, à cette époque, conservait pourtant encore les belles traditions de la peinture antique ; mais ce fut le dernier période de la splendeur de cet art.

Enfin, au treizième siècle, l'art sarrasin ou gothique domine presque partout en Europe ; en France surtout, il déploie ses proéminences les plus aiguës, dans l'écriture comme en architecture. Dans le dessin, tous les personnages prennent des formes grêles et allongées ; les blasons envahissent le domaine des Miniatures : on y admire les coloris les plus beaux et les plus purs ; l'or, appliqué avec une rare habileté, se détache en relief sur des fonds d'un bleu admirable, qui de nos jours n'a rien perdu encore de sa vivacité primitive.

En examinant, par ordre chronologique, les manuscrits de ce temps-là qui sont à la Bibliothèque Nationale, et en nous attachant de préférence à ceux qui, écrits en langue française, portent une date certaine, nous citerons d'abord un volume, daté de l'an 1200, contenant des vies de saints en prose et en vers ; mais on n'y trouve que des lettres capitales ornées. Un autre manuscrit, à peu près contemporain, qui a pour titre Vrigiet de Solas (S. F. 112), demande une étude spéciale, à cause de ses grandes Miniatures, de leur singulière disposition et des sujets si variés de diableries et autres qui remplissent des feuillets entiers. On y voit représentés les sept arts libéraux, les sens, les âges de l'homme, les dix plaies d'Égypte, les commandements de Dieu, etc. Les fonds d'or sont damasquinés assez heureusement ; mais les couleurs, ayant perdu de leur éclat, sont aujourd'hui peu remarquables.

Le manuscrit le plus important par ses Miniatures, celui qui surpasse, pour ainsi dire, tous les autres du même siècle, est, sans contredit, un Psautier à cinq colonnes, contenant les versions française, hébraïque et romaine, ainsi que des gloses : il porte le n° 1132 bis, Supplément français. Les peintures dont il est orné, sont très-nombreuses et d'une dimension inusitée alors. On reconnaît trois époques différentes dans leur exécution : la plus ancienne remonte probablement à la fin du douzième siècle ; ce sont les médaillons, au nombre de 96, qui couvrent le recto et le verso des quatre premiers feuillets : ils sont rangés sur trois colonnes par page, et ils représentent des sujets peints, tirés de l'Ancien et du Nouveau Testament. On discerne facilement, dès le premier coup d'œil, le caractère ancien de ces Miniatures, relativement aux autres parties de ce même volume : aucune trace de gothicité, les fonds en très-bel or, l'architecture à plein cintre, les draperies parfaitement agencées, la peinture vigoureuse, le dessin correct ; on y voit des maisons, dont la forme et la couverture en tuile ne diffèrent guère des nôtres ; divers instruments rustiques, certains costumes royaux ou populaires, méritent une attention particulière, surtout celui d'un homme revêtu d'un manteau assez semblable au vêtement gaulois connu sous le nom de cucullus. Après ces quatre feuillets, commence réellement le psautier : l'écriture et les peintures sont dès lors du treizième siècle, jusqu'au feuillet 72. On y compte trente-neuf grandes miniatures. L'or appliqué en relief, les belles teintes d'outre-mer, les armes et les armures des soldats, les costumes d'hommes et de femmes, enfin le texte du manuscrit, tout annonce une œuvre de la première moitié du treizième siècle. Entre les feuillets 72 et 93, se trouvent des Miniatures d'un style moins ancien, entremêlées toutefois de quelques-unes qu'on doit attribuer à l'artiste qui avait orné les premières pages de ce Psautier ; mais, à partir de ce feuillet 93, on ne rencontre, plus que des Miniatures dont l'exécution appartient au commencement du siècle suivant : les teintes y sont mieux fondues ; ce n'est plus le même système d'application pour l'or ; le dessin annonce une main plus exercée ; enfin les costumes des personnages rappellent ceux de l'Italie dans les premières années du quatorzième siècle. On doit donc attribuer ces bons ouvrages de peinture à deux artistes de siècles différents, mais ayant une commune patrie, l'Italie. Ce manuscrit est, sans contredit, un des monuments les plus précieux pour l'histoire de l'art aux douzième, treizième et quatorzième siècles. Il faudrait analyser la plupart des sujets peints dont il est orné, pour en faire ressortir toute l'importance ; nous signalerons seulement des sièges de ville, certaines forteresses gothiques, plusieurs intérieurs de banquiers italiens, divers instruments de musique, etc. Les grandes miniatures sont au nombre de 99, indépendamment des 96 médaillons. Il n'y a peut-être pas de manuscrits qui égalent celui-ci pour la richesse, le format, la beauté et la multiplicité de ses peintures. Il laisse bien loin une Bible, conservée à Moulins, que l'on dit avoir figuré au concile de Constance.

On doit placer, à la suite de ce Psautier, le Bréviaire de saint Louis, ou plutôt de la reine Blanche, conservé à la Bibliothèque de l'Arsenal sous le n° 145, B.-Latin. Ce volume, de 192 feuillets sur très beau vélin, offre une écriture gothique massive très-peu élégante ; quelques lettres capitales ornées de vignettes sont cependant sagement exécutées. Une miniature remplit toute la première page ; il n'y a que quelques peintures de même grandeur dans le volume. Les autres sont, en général, des médaillons, au nombre de deux par pages, de moyenne dimension eu égard au format du livre : les sujets ont été tirés du texte du Bréviaire ; dans quelques ornements, on remarque des fleurs de lys ; les fonds en or sont, du reste, très-beaux et admirablement appliqués. Le calendrier est orné de petits sujets empruntés aux saisons de l'année. On lit au folio 191 : C'est le psautier monseigneur Saint Loys, lequel fu à sa mère. CHARLES. La reliure, à tranche dorée et fleurdelysée, est du seizième siècle. Le caractère des Miniatures, annonce une exécution antérieure au règne de Louis IX. On croit que ce manuscrit a, en effet, appartenu à la mère du saint roi.

Il est encore un monument de peinture et de paléographie, qui constate d'une manière plus positive l'étal de l'art pendant le règne de saint Louis. C'est un admirable Psautier français et latin, qui fut réellement à l'usage de ce pieux monarque, ainsi que le constatent, non-seulement une rubrique en tête du volume, mais encore les fleurs de lys du roi, les armes de la reine Blanche de Castille, sa mère, et même peut-être aussi les pals de gueules de Marguerite de Provence, sa femme, que l'on retrouve parmi les encadrements du texte des prières. Rien n'égale la belle conservation des Miniatures de ce livre, l'éclat des couleurs, le brillant et le relief des fonds d'or. Les têtes des personnages sont presque microscopiques, et ne manquent pourtant ni d'expression ni de finesse. Les ornements, composés de chimères, etc., sont des plus gracieux ; l'architecture s'y découpe en merveilleuses dentelles ; les tapis d'Orient y resplendissent fréquemment. Chaque peinture occupe toute la hauteur d'un feuillet : les sujets sont tirés du texte de l'Ancien Testament, et une légende en français, écrite au verso de la peinture, les explique tous. Soixante-dix-huit miniatures ornent ce magnifique Psautier. La reliure, en brocard d'Orient, a été exécutée du temps du roi Charles V ; un document de l'époque nous en a conservé le souvenir authentique. Ce précieux et vénérable monument a eu la plus singulière destinée : transmis de monarque en monarque jusqu'à Charles VI, il fut alors donné par ce roi de France a sa fille Marie, religieuse à Poissy ; il resta donc déposé dans la bibliothèque de ce monastère jusqu'en 1789. Mais, à cette époque, un agent russe, du nom de Dombruschi, en fit l'acquisition à vil prix, puis le revendit avantageusement au prince Gourlouski ; celui-ci, ayant été obligé de s'en défaire, le céda au prince Michel Galitzin. Enfin, ce seigneur russe en fit hommage au roi Louis XVIII, en l'année 1818, par l'intermédiaire du comte de Noailles, son ambassadeur en Russie. Le roi, après avoir admiré la belle conservation de ce manuscrit, en ordonna le dépôt à la Bibliothèque de la rue de Richelieu, et chargea M. de Bure de l'y apporter en son nom. Nous tenons ces détails, de M. de Noailles, prince de Poix, qui voulut bien les extraire de sa correspondance diplomatique et nous les communiquer : ils donnent, pour la première fois, l'histoire complète des pérégrinations de ce célèbre volume.

Tous les manuscrits du treizième siècle n'approchent pas de la perfection ni de la richesse du Psautier de saint Louis ; quoique contemporain, le Livre de Clergie, qui porte la date de l'année 1260, ne mérite pas, à- beaucoup près, autant d'attention. Il en est de même du Roman du Roi Artus (n° 6963 A. F.), exécuté en l'année 1276. Quant aux vignettes peintes en l'année 1279, dans la Bible de Sorbonne n° 1, elles sont plus finement et plus habilement exécutées. On fit aussi usage très-fréquemment, vers cette époque, des lettres capitales placées en tête des chapitres : on développait les ornements de ces initiales sur toute la hauteur de la page ; afin d'y représenter, par la peinture, des sujets analogues au texte du livre. L'Évangéliaire latin, numéro 665 du Supplément, en est un des plus beaux exemples. On doit encore regarder comme un des plus beaux manuscrits de la même époque, le Roman du Saint-Graal, n° 6769. Tels sont les principaux exemples de l'art de la Miniature, d'après des manuscrits datés qui peuvent servir à son histoire en France pendant le treizième siècle.

L'Allemagne n'avait pas encore subi au même degré l'influence gothique, dans l'ornementation et la peinture de ses manuscrits. Cependant on y voit déjà apparaître les premières formes de ce genre nouveau, qui tendait alors à remplacer les traditions de l'art roman ou byzantin. Deux beaux volumes latins, exécutés en Allemagne, servent à constater ce fait : tous deux sont ornés de grandes lettres à personnages, et contiennent le texte des Décrétales de Gratien (Bibl. Nat., n° 3884 et 3884-²). On peut encore citer, pour la belle exécution de ses lettres ornées, un autre manuscrit latin, qui porte le n° 796 (Lectionnaire). Mais l'œuvre la plus remarquable, attribuée à un artiste allemand de la fin du douzième siècle ou du commencement du treizième, se trouve dans le volume coté 2287, de la Bibliothèque Nationale : c'est une figure de saint Grégoire, dont le style tout particulier est d'un beau caractère, quoique d'un coloris plat et terne. L'Italie était alors à la tête de la civilisation en toutes choses. Elle avait complètement hérité de la Grèce, qui avait bien dégénéré pour l'art de la peinture. Le génie de la Grèce s'éteignit bientôt pour ne plus se rallumer.

Après avoir étudié les peintures de manuscrits exécutées en France, au treizième siècle, il est impossible de n'être pas frappé par un fait qui se reproduit habituellement : c'est que toutes les Miniatures des livres de théologie sont évidemment d'une exécution bien plus belle et plus soignée, d'un dessin bien plus correct, que les Miniatures des romans de chevalerie, des chroniques, etc., du même temps. Doit-on en conclure que l'inspiration religieuse produisait seule cette supériorité de l'art religieux, et que les idées mystiques étaient assez élevées chez les artistes pour surexciter leur talent lorsqu'ils avaient à traiter des sujets pieux ? Faut-il croire plutôt que les monastères avaient seuls assez d'argent pour payer les travaux des artistes les plus renommés ? On a pu remarquer, en effet, que la plupart des Miniatures que nous avons choisies, afin d'indiquer les variations de l'art d'orner les manuscrits jusqu'au treizième siècle, sont tirées des bibles, des évangiles, des missels et des traités théologiques. Mais il faut bien reconnaître aussi que, jusqu'au treizième siècle, ce sont là les seuls ouvrages dans lesquels on puisse trouver des peintures de quelque mérite. N'oublions pas que les corporations monastiques absorbaient presque entièrement la richesse et le pouvoir : elles seules pouvaient donc faire exécuter et récompenser tant de chefs-d'œuvre, aujourd'hui à peu près inconnus, qui font toutefois l'orgueil de nos établissements publics. Les seigneurs étaient, en ce temps-là, absents pour de lointaines expéditions, ou occupés en France par des querelles intestines qui leur laissaient peu de loisir, et peu d'argent surtout, pour encourager les lettres et les arts. Dans les abbayes et les couvents, il y avait des hommes, simplement soumis à la règle de l'ordre, qui n'avaient fait aucun vœu, et qui rachetaient leurs péchés, non par de longues et dévotes pénitences, mais en enrichissant de magnifiques peintures les livres destinés à ces communautés ; ils recevaient, en échange de leur labeur, toutes les choses nécessaires à la vie : ils pouvaient ainsi employer une partie de leur existence, s'il le fallait, à l'ornement d'un seul livre.

Voilà ce qui explique aussi l'absence habituelle des noms d'artistes dans les livres à Miniatures, principalement dans ceux écrits en latin. Cependant, dès le treizième siècle, lorsqu'on songea à représenter, dans les chroniques et dans les romans de chevalerie, les combats et les scènes agitées du monde civil et militaire, il se trouva des artistes tout prêts à se livrer à ce nouveau genre de composition. Pour les époques plus récentes, on ne sait pas, néanmoins, les noms de ceux qui exécutèrent de si belles peintures historiques ; mais on peut supposer, d'après la multiplicité des manuscrits, et surtout des romans et chroniques, dès le treizième siècle, que le goût des livres naquit alors parmi les seigneurs, que ceux-ci créèrent des bibliothèques particulières, et que des artistes laïques existaient déjà en grand nombre. — On connaît le peintre Henry qui a exécuté le volume n° 7019-³ de la Bibliothèque Nat. — Mais si les noms des artistes sont restés ignorés, c'est que, en général, ils avaient toujours des fonctions plus ou moins relevées dans la maison d'un prince ou d'un grand personnage, et que, à ce titre, des pensions leur étaient assurées, qui leur permettaient de se livrer à tout leur amour de l'art, pour complaire à leur maître ou seigneur.

Nous avons acquis la preuve de ce dernier fait, en étudiant avec attention les Etats de la maison des ducs d'Orléans aux quatorzième et quinzième siècles. On y voit que le peintre de prédilection du prince Louis d'Orléans, Colard de Laon, avait le titre de son valet de chambre ; un autre artiste était en même temps huissier de salle : il se nommait Pietre André. Ces artistes distingués exécutaient toute espèce d'ouvrages de leur profession : après les manuscrits, c'étaient les tableaux sur bois, les armoiries, les harnois de joute, etc. Mais les devoirs de leur charge pesaient toujours sur eux ; ils n'en étaient nullement dispensés, et l'on peut constater même que l'on ne craignait pas de les détourner de leurs occupations de peintre pour des motifs assez frivoles. Ainsi, Pietre André était envoyé en mission, tantôt de Blois à Tours, pour quérir certaines choses pour la gésine de Madame la duchesse ; tantôt de Blois à Romorantin, pour savoir des nouvelles de Madame d'Angoulême, que l'on disoit estre fort malade.

Quant aux artistes qui vivaient exclusivement de leur profession, les uns exécutaient des ouvrages plus vulgaires, des tableaux benoist ou autres, que l'on vendait aux passants, à la porte des églises : on désignait ces peintres par le nom peu ambitieux d'enlumineur. Quelques-uns travaillaient de leur métier, sous la direction du peintre en titre d'un seigneur, et alors leur nom ne figurait que sur la cédule qui ordonnait de leur payer quelques sols parisis pour leur besogne. De là, sans doute, l'ignorance dans laquelle on est resté à l'égard des noms de tant d'artistes éminents dont l'existence ne nous est révélée que par leurs œuvres.

L'étude des Miniatures exécutées pendant le quatorzième siècle, offre un intérêt tout particulier : les scènes de la vie intime, les usages et les croyances populaires, comme les grandes cérémonies publiques, sont représentés en regard des textes historiques ou des récits chevaleresques de cette époque. On y remarque déjà quelques portraits. Enfin la caricature, cette arme qui de tout temps a été si puissante parmi les Français, commence à se montrer avec sa finesse railleuse et caustique. Le clergé et surtout les femmes, en font ordinairement les frais. La chevalerie et les mœurs des seigneurs n'y sont pas non plus épargnées. La royauté seule semble être un peu à l'abri de ces atteintes satiriques.

En remontant aux premières années du quatorzième siècle, nous trouvons, dans un manuscrit daté de 1313 (Bibl. Nat., n° 8504, F. Lat.), des Miniatures, plus intéressantes par les scènes qu'elles retracent, que par leur exécution, laquelle laisse beaucoup à désirer. Toutefois, l'artiste a déployé tout son talent dans les six premières : elles représentent le roi de Navarre armé chevalier par son père Philippe le Long, et diverses cérémonies qui se rapportent à cet événement. Mais on doit citer de préférence, comme d'un intérêt tout spécial, les peintures qui représentent les docteurs de l'Université, des philosophes discutant, des juges rendant la justice, diverses scènes de la vie conjugale, des chanteurs s'accompagnant sur le violon, et divers instruments d'agriculture, tels que charrue, char, etc. Comme on le voit, ces sujets de la vie privée ajoutent au mérite matériel du volume que nous venons de mentionner. Indépendamment de la même particularité qui recommande aussi une Vie de Saint Denis, traduite de l'espagnol et dédiée au roi Philippe (de Valois), ces manuscrits, n° 7953-7955, nous montrent, d'une manière bien plus positive, l'état de l'art au commencement du quatorzième siècle, où le gothique du siècle précédent était encore dans toute sa vigueur, du moins en France. Ce que nous avons dit des Miniatures du Psautier de Saint Louis peut s'appliquer à celles qui datent de la première moitié du quatorzième siècle. Toutefois, le style gothique perd déjà de son caractère, et tend évidemment à arrondir ses angles multipliés : les brisures sont moins nombreuses, les enroulements de l'ornementation plus fréquents, et ils se développent sous des formes plus légères et plus élégantes. C'est ce qu'on peut voir dans un manuscrit du fonds de La Vallière, n° 41, et dans une Vie de Saint Louis, no 10309-3, à la Bibliothèque Nationale. Mais, à partir du règne du roi Jean II, le progrès dans les arts est notable ; les teintes des Miniatures sont mieux fondues, le dessin est plus correct, les animaux sont plus exactement représentés. Plusieurs documents de ce temps nous ont conservé le nom de Jean Costey (ou Coste), excellent peintre de manuscrits et de tableaux, sous ce règne et sous celui de Charles V. Entre autres volumes exécutés à l'époque du roi Jean, il faut citer une Chronique universelle, no 6890, destinée au dauphin Charles. Enfin, un autre volume se recommande par ses peintures satiriques ; c'est le Roman de Fauvel, n° 6812, dans lequel on remarque des charivaris populaires très-originaux.

Mais la période, pendant laquelle Charles V occupa le trône de France, est une de celles qui ont produit les plus beaux monuments de peinture et de paléographie : on les reconnaît facilement, soit au portrait de ce roi, qui revient sans cesse dans les Miniatures, soit aux bandes tricolores qui entourent ces peintures. Il suffit de citer quelques-uns de ces manuscrits pour indiquer les plus belles de cette époque ; telles sont celles de la Bible n° 6701, d'un Rational n° 7031, d'une traduction de Valère Maxime, S. F. 2794, et d'un admirable exemplaire des Chroniques de Saint-Denis, n° 8395.

Un prince rivalisait seul alors avec Charles V, par ses largesses envers les habiles artistes de son temps, et par sa passion pour les bâtiments, les bijoux, les reliques et les objets d'art : c'était le duc Jean de Berry, frère du roi. Mais si Christine de Pisan a célébré les louables dispositions du sage monarque à l'égard des lettres et des arts, d'autres annalistes plus sévères ont, au contraire, épuisé tous les mots de la langue pour faire au duc Jean une renommée moins flatteuse. Nous ne pouvons cependant nous empêcher aujourd'hui d'excuser et même d'honorer tant de fastueuses prodigalités, qui ont enfanté de si nombreux chefs-d'œuvre de peinture. Ces inestimables monuments, contre lesquels la moralité de l'histoire ne peut plus rien à présent, forment une des principales richesses de nos collections nationales. La librairie du duc Jean était déjà très-célèbre de son temps : sa réputation, bien méritée, n'a fait que s'accroître depuis l'époque où ce prince, instruit et libéral, la composait à grands frais, quoique cette splendide bibliothèque ne soit pas venue tout entière jusqu'à nous. C'est à peine si l'art moderne, avec toutes ses ressources et tous ses perfectionnements, pourrait se flatter d'égaler les prodiges de l'art du quatorzième siècle. Nous nous contenterons de citer quelques volumes, dont les peintures représentent l'état le plus avancé de l'art de la Miniature à cette époque, et il n'y a rien à dire pour les recommander à l'admiration des hommes de goût et de savoir. Ce sont : 1° deux livres de prières, l'un latin, n° 919, et l'autre français et latin, n° 2015 S. F. ; 2° les Merveilles du Monde, no7892, etc.

La maison royale, au quatorzième siècle, était la source de tous les encouragements décernés aux arts et aux lettres (voyez la bordure n° 15, tirée des Heures du duc d'Anjou, F. La Vall., n° 127) : l'infortuné Charles VI ne ralentit point cette impulsion donnée par le roi, son père ; le second des fils de Charles V, Louis, duc d'Orléans, partageait vivement la noble sympathie de ses ancêtres pour les sept arts libéraux.

Parmi les manuscrits qui ont été exécutés par ordre de ces deux princes, il en est plusieurs qui constatent l'état de la peinture jusqu'aux premières années du quinzième siècle. C'est d'abord, pour Charles VI, le Livre des Demandes et Réponses de P. Salmon, admirable volume, dont tous les personnages peints sont de véritables portraits, d'un travail achevé.

Toutefois, les chefs-d'œuvre de l'école française à cette époque sont les Miniatures de deux traductions des Femmes illustres de Boccace (n° 7091 et S. F. 540-8) de la Bibl. Nationale : le coloris est des plus beaux, le dessin assez correct, et déjà la perspective s'y manifeste. Quant aux livres de la librairie de Louis d'Orléans, on peut facilement les reconnaître au milieu de nos bibliothèques, soit par le portrait de ce prince que l'on retrouve en tête de quelques-uns, soit encore par ses armes ayant deux loups pour support.

Le progrès dans les arts du dessin était donc alors très-déclaré en France depuis un demi-siècle environ. Deux genres nouveaux apparurent durant cet intervalle de temps : les Miniatures en camaïeu et les Miniatures en grisaille. Dans le premier genre, les plus belles peintures sont celles des Petites Heures de Jean, duc de Berry ; les Miracles de Notre-Dame, etc. Les grisailles sont moins soigneusement exécutées ; on en trouve pourtant de remarquables dans les Manuscrits n° 6916, 6986, 7020, etc. Quelques noms d'artistes nous sont connus, entre autres ceux de Pierre Remiot (en 1396), Jean de Saint-Eloy, Perreis de Dijon, Colin de Lafontaine, Copin de Gant (en 1397).

Mais, dans les autres parties de l'Europe, l'art d'orner les manuscrits n'était pas également développé. Les Miniatures, ouvrage d'un peintre anglais, dans le volume n° 765 (Bibl. Nation.), manquent de goût : les personnages ont le corps étroit, roide et long : les têtes sont démesurément grosses ; l'ornementation est lourde, et l'architecture affecte des formes moins gracieuses que celles qui étaient usitées en France. En Allemagne, les articulations gothiques, dans les contours de l'architecture, sont encore plus accusées ; elles le sont, à la même époque, presque autant que durant le règne de saint Louis : les Miniatures du manuscrit n° 511 (Bibl. Nation.), attribuées à un artiste allemand, quoique d'un dessin correct, ont un aspect barbare. Ce ne fut donc qu'en Italie, que la perfection dans l'art de la Miniature se développa au plus haut degré ; du moins, on en juge ainsi à la finesse des figures, à la régularité du trait et à l'élégance des ornements de la Bible du pape Clément VII, conservée à la Bibl. Nationale, Lat., n° 18, ainsi que par les volumes n° 6069 T. et 7242 A. L.

Mais les peintures des cérémonies de l'ordre du Saint-Esprit, fondé par ! Louis d'Anjou, roi de Sicile, en l'année 1352 — que l'on trouve dans le volume n° 36 bis, F. La Vallière —, sont évidemment les plus belles de cette époque. On remarque surtout, dans le même manuscrit, les beaux portraits en camaïeu du roi et de la reine. Un précieux exemplaire du Roman de Lancelot du Lac, se recommande encore à l'attention des connaisseurs par une rare particularité, car on peut y suivre les divers travaux préparatoires des artistes : d'abord, le dessin au trait ; puis, les premières teintes, habituellement uniformes, exécutées par l'enlumineur ; ensuite, les enduits pour l'application des fonds d'or ; enfin le travail réel du miniaturiste, dans les têtes, les costumes, etc.

Il y eut donc dès cette époque, c'est-à-dire pendant la seconde moitié du quinzième siècle, un perfectionnement réel des arts en France, à travers les troubles qui l'agitèrent et les guerres qu'elle eut à soutenir. On peut citer avec le plus grand éloge les Miniatures de Jean Fouquet, l'habile peintre du roi Louis XI. Ce sont des tableaux, dans toute l'acception du mot, et des tableaux dignes d'exciter encore l'admiration : ils servent d'ornement au manuscrit n° 6891, et les sujets sont tirés des Antiquités des Juifs de l'historien Josèphe. Tout annonçait dès lors la grande Renaissance qui devait se réaliser au seizième siècle, et depuis le quinzième jusqu'aux temps de Raphaël, on peut suivre aussi les progrès successifs de la peinture, en les étudiant dans les Miniatures des manuscrits.

Il faut surtout mentionner, pour cet intervalle de temps, comme ayant puissamment contribué à ce brillant résultat, l'école flamande des ducs de Bourgogne. Les monuments de peinture de cette école sont nombreux, et le talent des artistes s'y montre déjà d'une rare perfection. Nous devons citer le Roman de Gérart de Nevers (L. n° 92) ; un livre d'Heures, n° 1166 ; la Vie de Sainte Catherine, en grisailles ; les Miracles de Notre-Dame ; enfin un autre livre de Prières, n° 1173, dans lequel sont des gravures coloriées d'Israël Meckel, gravures dont on ne connaît pas d'autres épreuves.

L'Angleterre et l'Allemagne n'approchèrent pas de la perfection des écoles de peinture de France et de Flandre, si l’on en juge, à l'égard du premier de ces pays, par les Miniatures d'un volume, n° 1158, représentant des personnages de la race royale d'Angleterre, et, pour le second, par celles qui ornent le recueil des Troubadours allemands, n° 7265.

L'Espagne, au contraire, était déjà en voie de progrès ; du moins, les Miniatures du manuscrit n° 772, et les ornements du n° 6520, paraissent l'indiquer.

Mais l'Italie marchait toujours à la tête de la civilisation pour toute chose, et les Miniatures qui méritent une attention particulière, parmi celles des manuscrits que possède la Bibliothèque Nationale, sont surtout trois beaux portraits des ducs de Milan (Lat. 6246, 5041 D., et Fr. 994) ; un jolie peinture représentant le couronnement d'un autre duc de Milan (n° 5888) ; un très-curieux enfer, au commencement du poème du Dante, n° 7256 ; un admirable livre de Prières, n° 627 S. L., où la finesse et l'élégance de l'ornementation le disputent à la beauté et à la belle composition des peintures ; enfin, un autre manuscrit précieux, très-élégamment orné, qui appartient à M. le baron d'Hervey, et qui a été exécuté pour Hercule d'Este. Nous pourrions encore indiquer ici une foule de très-belles bordures italiennes (le n° 16 est tiré d'un Ovide n° 8016), dans les genres les plus variés. Nous nommerons encore un peintre illustre, contemporain de Raphaël, Julio Clovio, qui voulut mettre le sceau à l'art du miniaturiste, en Italie, par ses peintures si riches en coloris et si fines d'exécution, comme par la hardiesse de son dessin : ces merveilles sont réunies dans un admirable Dante, conservé à la bibliothèque du Vatican.

On ne doit point oublier, parmi les usages singuliers des artistes de la fin du quinzième siècle, en France, en Italie ou en Flandre, celui d'inscrire, dans les frises des palais qu'ils représentaient, et aussi sur les draperies des personnages, soit des mots arabes du Coran, soit des mots latins du Rituel ; témoin le Missel du roi René II, no 547 S. L., et les manuscrits n° 5888, 772 et 7201-².

Enfin, avec le règne de Louis XII, en France, s'achève la complète régénération des arts. On doit y reconnaître deux écoles : celle qui conservait les traditions du goût gothique, fort amoindri, il est vrai, comme le montrent les grandes et belles peintures des manuscrits n° 6811 (Miracles de la Vierge), 7231 (Epistres d(Ovide), et 7584 (Chants royaux) ; tandis que l'autre école, au contraire, s'inspirait entièrement de l'influence italienne. Aussi, ses derniers ouvrages sont-ils caractérisés par un dessin plus correct, un coloris des plus parfaits et des plus harmonieux, et par des groupes de personnages habilement composés. Telles sont les peintures du volume n° 6808, contenant les Echez amoureux ; du n° 6877, qui est une traduction des Triomphes de Pétrarque ; du n° 7079, autre traduction du même ouvrage ; du n° 7083, traduction des Épîtres. d'Ovide, et celles du Missel du pape Paul V.

Cet immense progrès semble parvenu à son dernier degré de perfectionnement, dans l'œuvre si remarquable, connue sous le nom Heures d'Anne de Bretagne, reine de France. Rien n'est comparable à ces Miniatures, dont on fixe l'exécution vers l'année 1499. On peut difficilement trouver des expressions assez exactes pour caractériser la finesse des figures, leur grâce et leur délicatesse ; mais, au milieu de ces nombreux tableaux, d'un si grand effet, d'une touche délicieuse, et dont quelques-uns ne seraient pas indignes du pinceau de Raphaël, il se trouve cependant quelques groupes d'une médiocre composition, roides, maniérés, et d'un coloris sec. La figure de la vierge Marie se fait remarquer, entre toutes les autres, par son admirable expression de douceur ; les têtes d'ange ont quelque chose de surhumain. Enfin, les ornements qui encadrent les pages de ce livre incomparable sont composés de fleurs, de fruits et d'insectes : c'est la nature même avec toute sa fraîcheur et tout son éclat.

Telle fut la fin glorieuse de l'art d'orner les manuscrits. Cet art se perdit en même temps que l'imprimerie fit disparaître la classe nombreuse des écrivains et des enlumineurs du Moyen Age. Il ne se raviva depuis, que pour satisfaire à de rares exceptions, nées de la fantaisie plutôt que de la nécessité. Pour le seizième siècle., on peut citer quelques beaux manuscrits et quelques belles Miniatures ; mais il n'en est pas moins vrai que les uns et les autres ne comptaient plus parmi les produits habituels des arts en France. On peut mentionner, comme ayant de l'intérêt pour l'histoire de l'art, deux livres d'Heures, A. F. 1409 et S. L. 677, qui ont appartenu au roi de France Henri II, le Recueil des rois de France, par Jean Du Tillet, présenté h Charles IX ; le Splendor Solis, du British-Museum ; un livre de poésies, dédié à Henri IV ; enfin, le livre de Prières du marquis de Bade, exécuté par Brentel. C'est le dernier chef-d'œuvre des miniaturistes, quoiqu'on n'y trouve que des copies de tableaux des grands maîtres d'Italie, de Flandre, etc. Dans ces peintures, la pureté du dessin le dispute au brillant du coloris. N'oublions pas enfin les magnifiques Heures de Louis XIV, hommage mémorable offert au grand roi, par des compagnons de sa gloire militaire, réunis à l'Hôtel royal des Invalides, mais indigne de rivaliser avec les Heures d'Anne de Bretagne, que l'artiste semble avoir prises pour modèle.

 

AIMÉ CHAMPOLLION-FIGEAC, de la Bibliothèque Nationale de Paris.