TOUS les peuples ont chanté. Dès
leur origine, ils ont éprouvé le besoin d'émettre leurs sentiments et leurs
idées ; le mode d'émission qu'ils trouvèrent d'abord fut le Chant. Mais le
Chant, dans ces temps primitifs, dut se ressentir de la naïveté et de l'inexpérience
des chanteurs ; c'est donc cette forme inhabile et naïve qui, jointe à un
fond ordinairement sérieux, ou du moins pris au sérieux, constitue, à
proprement parler, le Chant populaire. Chaque
nation possède donc des Chants populaires ; et comme chez chacun ? d'elles
des causes analogues doivent avoir donné naissance à ces Chants, il en
résulte que ces Chants doivent aussi présenter entre eux une certaine
analogie. Ils furent toujours inspirés, soit par les événements publics, soit
par la religion, soit par les-joies ou les tristesses intimes ; de là, trois
principales catégories bien distinctes, qui renferment : les Chants historiques,
les Chants religieux et les Chants domestiques. Sans
vouloir remonter à l'origine des peuples, quoique les temps primitifs pussent
nous offrir de nombreux et mémorables exemples, ne seraient-ce que les
cantiques de Moïse, de David et des prophètes juifs ; sans nous égarer dans
le vaste champ des conjectures historiques, il y a pour nous bien assez
d'intéressantes études à faire, en ne nous occupant que des Chants populaires
du Moyen Age en France et en Europe. Il ne
faut pas remonter bien au-delà du douzième siècle pour trouver les premiers
monuments écrits de ce qu'on peut appeler le Chant populaire ; mais il est de
toute certitude que la tradition orale et même écrite — les manuscrits sont
aujourd'hui perdus — avait conservé quelques-uns de ces Chants longtemps
avant cette époque. Un rapide coup d'œil rétrospectif peut nous en fournir la
preuve. Au quatrième siècle, saint Augustin, tout en regrettant d'employer
des mots barbares pour plaire aux mariniers d'Hippone, se plaint de ce que
les Chants du peuple altéraient la belle langue de Virgile : il y avait donc
alors des Chants du peuple ? Au sixième siècle, saint Avise,
enchérissant sur saint Grégoire de Tours, qui s'écriait avec amertume : Vœ diebus noslris, quia periit studium litterarum à nobis
! — Malheur à notre temps, parce que l'amour des lettres se
perd pour nous ! dit,
à son tour, qu'il renonce à écrire en vers, parce que ses contemporains ne
comprennent plus ni le rythme ni la mesure ; le rythme et la mesure ne
sont-ils pas les éléments du Chant ? En 623, Clotaire II remporte une
victoire sur les Saxons, et aussitôt un Chant populaire, en vers latins
rimés, célèbre cette victoire ; l'évêque de Meaux, Hildegaire, nous en a
conservé deux stances, dont voici les premiers vers : De Clolario est canere
rege Francorum, Qui ivit pugnare contrà
Saxonum. On ne
contestera sans doute à ce début ni la naïveté, ni l'inexpérience de la
forme, ces deux qualités constitutives du Chant populaire. Du huitième au
neuvième siècle, on pourrait également citer trois ou quatre pièces écrites
en latin ou en langue franque, ayant trait à notre histoire nationale. Charlemagne,
au dire d'Eginhard, avait fait recueillir les Chants guerriers de son époque
; mais ce curieux recueil ne nous est malheureusement point parvenu. Au
neuvième siècle, la ville de Liège vit pour la première fois arriver dans ses
murs un de nos jongleurs (li jongleor), ces espèces de rapsodes ambulants qui portaient de ville en
ville les Chants et les contes de nos pères ; et Orderic Vital, en parlant
des chansons qui couraient sur Guillaume-au-court-nez, nous ramène au
douzième siècle, qui peut nous fournir, comme nous l'avons dit, les premiers
documents écrits du Chant populaire. La
pièce datée de ce siècle, laquelle sert de point de départ au savant
collecteur des Chants populaires français (M. Le Roux de
Lincy), est un
chant latin, divisé en strophes de quatre vers rimés, dont le refrain, par
une bizarrerie remarquable mais non inusitée en ce temps-là, est en vers
français. Cette chanson, adressée à Abélard par son disciple Hilaire qui lui
exprime la douleur que ses élèves ressentaient de son départ, est précieuse,
non-seulement à cause de l'homme célèbre pour qui elle a été faite, mais
encore comme un rare échantillon de ce qu'était la langue française à cette
époque : Tort
a vers nos li mestre ! dit ce
refrain, qui, avec le texte des couplets en mauvais latin, offre un ensemble
que l'on peut considérer comme le résumé des deux formes que les Chants
populaires affectaient alors ; c'étaient tantôt des Chants latins ne
rappelant guère la belle latinité du règne d'Auguste, tantôt des Chants
français ne laissant pas prévoir toutes les richesses que notre langue devait
acquérir. Jusqu'au douzième siècle, on avait donc presque toujours chanté en
latin, faute d'un autre idiome qui se prêtât aux conditions du rythme et de
la mesure ; si le peuple chantait dans son langage vulgaire qui n'était pas
fixé et qui n'avait jamais été écrit, ses Chants étaient sans écho et sans
durée ; mais, à partir du douzième siècle, une langue nouvelle se forme et
succède bientôt aux vagues et barbares tâtonnements de la langue franque :
cette langue romane des trouvères et des troubadours, qui va rivaliser avec
la langue latine, est merveilleusement propre à la poésie ; ce sont, en
effet, des Chants populaires qui signalent les premiers bégayements de cette
langue, divisée bientôt en deux idiomes distincts, celui d'oc ou du Midi, et
celui d'pïl ou du Nord. Nous n'attacherons pas cependant la dénomination de Chant populaire à toutes les pièces de vers qui se chantaient
parmi le peuple et qui obtenaient ainsi une véritable popularité. Le
Chant populaire, selon nous, loin d'être l'œuvre de tel ou tel poète dont on
puisse citer le nom (il faut cependant tenir compte de quelques rares
exceptions) est ordinairement l'œuvre d'auteurs inconnus qui l'ont faite,
presque sans s'en douter, ou bien aussi l'œuvre collective et même successive
des générations, qui, l'une l'autre apportant son vers ou sa strophe, ont
fini par enfanter ces chansons, ces légendes et ces ballades, dont personne
ne saurait revendiquer sa part, tant chacun l'a fondue dans la part d'autrui,
comme pour en faire le reflet anonyme de l'esprit public à telle époque ou en
telle circonstance. Voilà ce qui constitue véritablement le Chant populaire,
production primitive et nationale, où se reflètent coutumes, mœurs, passions,
langages et croyances des peuples qui l'ont créée, et où le manque d'art
offre lui-même quelquefois des charmes que toutes les combinaisons du génie
littéraire ne parviendraient pas à égaler. Ainsi,
laissons les trouvères ou jongleurs promener de château en château et de
ville et ville leurs romans et pastourelles ; la chanson de Geste, récit
très-populaire des légendes héroïques de guerre et d'amour, n'est point non
plus de notre ressort, avec ses quarante ou soixante mille vers chantés
partiellement par ces rapsodes errants qui s'accompagnaient de la vielle et
du luth ; il nous irait plutôt de recueillir sur notre route quelques
troubadours avec leurs cansons amoureuses qui étaient, à vrai dire, les
Chants populaires de la Provence ; mais le mieux sera de passer tout de suite
à l'espèce de Chants que nous avons définis plus haut. Nous n'avons pas
d'ailleurs à faire ici l'inventaire chronologique des Chants qui peuvent être
considérés comme l'expression la plus fidèle de la poésie populaire à toutes
les époques et dans toutes les provinces de France. Il faut
surtout être sobre de citations dans un pareil sujet : nous ne transcrirons
donc guère que des fragments de pièces, les plus propres à bien caractériser
chacun des genres que nous étudierons. Voici néanmoins la gracieuse chanson
de la Reine d'Avril — la Régine Avrillouse — en dialecte poitevin,
que nous choisissons, entre cent autres d'une physionomie historique plus
tranchée, et qui mérite d'être citée tout entière comme un chef-d'œuvre du
genre :
La date
de cette chanson, M. Le Roux de Lincy la fixe d'une manière irrécusable à la
fin du douzième siècle : Dans une des
chansons écrites à la même époque, dit-il, et sans doute par le
même auteur, qui se trouve quelques feuillets plus loin, dans le même manuscrit,
au dernier couplet, le poète, faisant l'éloge des trois sœurs qui sont au
château de Montauri, dit qu'il préfère une demoiselle avenante de Castille à
deux chameaux chargés d'or et à tout l'empire d'Emmanuel. Des deux empereurs
d'Orient qui ont porté ce nom, un seul peut être celui que l'on désigne ici :
Emmanuel Comnène, qui commença à régner en 1143 et mourut en 1180. Or, quand
notre chanson fut faite, ou cet empereur vivait encore, ou il était mort
depuis peu d'années, et son souvenir était dans la mémoire des poètes. De
plus, la chanson précédente sur la mort du roi Richard se trouve et dans le
même manuscrit et sur le même feuillet. Elle est écrite dans le même dialecte
et peut-être par le même auteur. Or, comme Richard mourut en 1199, il en
résulte que ces chansons furent composées dans les vingt dernières années du
douzième siècle. Assurément,
c'est tirer bon parti de son sujet, que d'amener une simple ronde de paysans
poitevins, d'ailleurs poétique et gracieuse, à l'état de document, de Chant
populaire historique. Et si, avec cette pièce, dénuée en apparence de toute
indication précise, on a obtenu un pareil résultat, nous laissons à juger
ceux que l'on pourrait tirer d'une foule d'anciens Chants plus significatifs,
empreints de la couleur du temps et tout retentissant encore des faits de
l'histoire. La
France est riche en poésies de ce genre ; et si les autres nations ont
rassemblé plus tôt qu'elle leurs recueils de Chants historiques et
populaires, ce n'est certes pas que les éléments de semblables recueils nous
aient manqué. Les croisades ont inspiré des chansons ou des lais aux trouvères
du Nord comme aux troubadours du Midi ; toutes les émotions du treizième
siècle ont eu aussi leurs chansons, et, depuis les Flagellans de 1349
jusqu'aux Ligueurs de 1590, tous les partis se sont fait des Chants de
propagande et de ralliement, Chants à eux, œuvres caractéristiques et
collectives, venant de tous plutôt que d'un seul, et répondant parfaitement à
la définition que nous avons donnée du vrai Chant populaire. L'importance
de ce Chant ne se mesurait pas toujours à celle de l'événement qui l'avait
fait naître ; ainsi, que les hauts barons de France se révoltent pendant la
minorité de saint Louis, que les Anglais occupent le territoire de Normandie,
que Duguesclin ou les ducs de Bourgogne viennent à mourir, les chansons, les
vaux-de-vire, les ballades prennent aussitôt naissance ; mais que des
rivalités individuelles s'élèvent, qu'un tournoi ou une fête se donne, qu'un
besoin de mordre ou de piquer se fasse sentir, qu'un éclair de gaieté passe
dans le cœur du poète, les ballades, les vaux-de-vire, les chansons
reprennent une nouvelle volée, et la poésie populaire trouvera des couplets
et des refrains, aussi bien pour célébrer les grandes choses de la patrie,
que les plus petites circonstances particulières de la vie des canteors eux-mêmes. C'est sans doute à l'aide de ces individualités qu'il
nous est permis d'étudier plus profondément les détails des mœurs et coutumes
du temps passé. Que si l'on remarque beaucoup de variété dans le choix des
sujets de ces Chants, on n'a pas à constater chez leurs auteurs moins de
variété d'opinions. Le pour et le contre se coudoient dans leurs vers ; l'un
fait l'apologie de l'événement qu'il chante, l'autre le blâme ; l'un en rit,
l'autre en pleure ; tel va plaisanter sur la mort de Charles IX, tel se
lamentera sur la même mort ; lorsque Jacques Clément assassine Henri III,
vous entendrez, d'un côté, un chant de triomphe : O
le sainct religieux, De
Sorbonne sa naissance, Jacques
Clément bienheureux, Des
Jacobins l'excellence. Qui,
par sa bénévolence Guidé par le sainct Esprit, A
mérité asseurance L'en
haut au ciel où il vist... et,
d'un autre côté, vous entendrez un chant de malédiction : Il
fut tué par un meschant mutin, Jacques
Clément, qui estoit jacobin. Jacques
Clément, si lu estois à naître, Las
! nous aurions nostre roy, nostre maislrc ; Tu
l'as occis avecques un cousteau, Tu
as faict pis que fit oncques bourreau. Pour
faire diversion à ces souvenirs de meurtre, jetons les yeux sur le chant
satyrique qui fut décoché à François Ier, prisonnier à la bataille de Pavie. Hélas
! La Palice est mort, Il
est mort devant Pavie. Hélas
! s'il n'estoit pas mort, Il
serait encore en vie ! Quant
le roy partit de France, A
la male heure il partit ; Il
en partit le dimanche, Et
le lundy il fut pris... Le
premier couplet nous remet sur une voie bien connue : il nous fait tomber en
plein dans cet autre Chant populaire connu sous le nom de Chanson de M. de la
Palisse, que le savant Bernard de la Monnoye, deux siècles plus tard, s'amusa
à niaisifier, tout en le trempant dans le
sel bourguignon. Nous sommes infailliblement à la source où le malin auteur
des Noëls, le pseudo-Barozay a dû puiser. Avant
d'en finir avec les Chants historiques, parmi lesquels on peut mentionner,
comme les plus curieux, le cantique latin des Croisés parlant pour la Terre
Sainte, la bizarre chanson de Jacquemin, la Guerre, sur la bataille de
Marignan, la chanson intitulée : Le Ciel, sur les dames de la cour de
François 1er, etc. ; avant, disons-nous, de laisser de côté cette première
catégorie que nous avons à peine effleurée ici, et pour donner le texte d'un
rapprochement encore plus piquant à faire, nous indiquerons le Convoi du duc
de Guise, dit Romance populaire, qui, malgré sa date de 1566, a grandement
l'air d'être, pour notre Malbrough, postérieur d'un siècle et demi, ce que la
chanson sur la bataille de Pavie fut pour notre La Palisse. En effet, il y a,
dans le Convoi du duc de Guise, des couplets entiers qui ont reparu dans le
convoi de Malbrough, entre autres celui qui termine le récit d'une manière
très-morale : La
cérémonie faite, Chacun
s'alla coucher ; Les
uns avec leurs femmes, Et
les autres tout seuls. Le duc
de Guise et Malbrough, comme ils ont entre eux un air de famille ! Faut-il
pour cela crier au plagiaire ? Le Chant populaire, par le fait même qu'il est
l'œuvre de tout le monde, appartient à tout le monde ; et si, une fois, le
génie inventif des masses s'est trouvé à court, ou a jugé à propos de se
reposer, il a bien pu se servir plus lard des chansons qu'il avait composées
plus lot, au risque de se répéter, sans qu'on ait le droit de lui reprocher
les emprunts qu'il se faisait à lui-même. L'analogie des circonstances amène
d'ailleurs naturellement l'analogie des idées et des expressions. Ce ne
sont pas là les deux seuls exemples de ressemblance, sinon de parfaite
similitude qu'on remarque dans des Chants populaires bien différents
d'origine et d'époque ; mais nous trouverons un plus grand nombre d'exemples
identiques dans les Chants religieux, qui vont maintenant nous occuper. Le
Chant religieux n'a guère plus besoin d'être défini que le Chant historique
et le Chant domestique, que leur nom seul désigne assez clairement. Le Chant
populaire religieux, toutefois, ne s'est pas développé dans une sphère de
variété aussi étendue que le Chant historique et le Chant domestique ; mais,
tout restreint qu'il fut, de sa nature, aux croyances et aux cérémonies de
l'Église, il n'a pas eu moins de vogue ni moins d'éclat que les Chants des
deux autres catégories ; on pourrait peut-être avancer que, à un certain
point de vue, c'est celui des trois genres qui a été le plus fécond en œuvres
vraiment populaires. Nous ne demanderons pas s'il faut attribuer cette
fécondité à l'allure singulièrement pieuse affectée par ce Chant, du moins à
sa naissance ; nous craindrions trop d'avoir l'air de faire une épigramme
contre la dévotion de nos bons ancêtres ; mais, en présence des citations que
nous choisirons, le lecteur restera juge de la question, qu'il pourra
résoudre après, tout aussi bien que nous. Si un
Chant populaire peut être avec raison qualifié du nom solennel de Chant
religieux, c'est, sans contredit, celui que les chrétiens font entendre en
chœur devant l'autel où le prêtre célèbre le sacrifice de la messe. Eh bien !
il y a un ancien concile qui défend, surtout aux femmes, de chanter des
chansons obscènes dans les églises ; oui, des chansons obscènes ! et c'est de
ce concile que nous sommes obligés de partir pour trouver le Chant religieux
et le suivre dans ses phases ! Quelle conversion ce Chant ne doit-il pas
faire pour arriver à justifier son titre ! Aussi, ne sera-t-il jamais revêtu
d'une enveloppe bien édifiante, et restera-t-il, à quelques exceptions près,
toujours un peu grivois et goguenard, comme une contradiction bizarre au
milieu de cette époque où l'art, en général, avait la foi. Que ce ne soit
pourtant pas la condamnation du Chant religieux, que sa naïveté absoudrait au
besoin ? Hâtons-nous donc d'étendre un voile, s'il le faut, sur l'origine peu
canonique de ce Chant, et, montrons-le, échappé à peine aux foudres d'un
concile, passant par la Prose de l'âne, et devenant le Noël, le Noël
populaire, le Chant religieux par excellence, qui a pris tous les tons, tous
les caractères et toutes les formes. Après
l'abolition de la fête des Diacres et de toutes ces joyeuses saturnales de
nos candides aïeux, qui n'avaient pas toujours d'autre prétention que celle
d'y voir des fêtes religieuses, on chercha sans doute à les remplacer d'une
façon plus décente, et l'on prit goût alors à ces scènes pastorales, à ces
dialogues populaires, par lesquels on célébrait l'anniversaire de la
bienheureuse naissance du Christ. Ce fut encore une espèce de drame muet,
dont les personnages étaient animés d'abord des intentions les plus pieuses,
mais qui, comme le reste, dégénéra plus tard en cérémonie burlesque et
bouffonne. On se rendait en foule dans les églises ; une femme, souvent la
plus jolie, mais non toujours la plus digne, remplissait le rôle de la sainte
Vierge ; un jeune homme, celui de saint Joseph ; trois vieillards, ceux des
trois rois mages, et un petit enfant complétait la représentation en
remplissant innocemment le rôle de l'enfant Jésus. Cette mise en scène une
fois terminée, quelquefois avec les costumes et les accessoires nécessaires,
le peuple se mettait en marche processionnellement autour de l'église, à la
suite des acteurs de la Nativité, et il venait se prosterner aux pieds du
divin nouveau-né, en lui apportant des prières et des offrandes, le tout
accompagné du chant des Noëls en langue vulgaire. Un
couplet de Noël, que nous a légué le Moyen Age, mais dont nous aurions
quelque motif de croire la forme un peu rajeunie, nous montre la Joie des
Bêtes à la nouvelle de la naissance du Saint Enfant. Nous laissons à penser
ce que devaient faire les hommes, puisque les bêtes étaient si joyeuses ! Ce
singulier Noël demandait, de la part de celui qui l'exécutait, une grande
étude d'harmonie imitative, car il devait parodier successivement le chant
clair du coq, le mugissement sourd du bœuf, le cri tremblotant de la chèvre,
le braiment strident de l'âne et le beuglement rauque du veau : Comme
les Bestes autrefois Parloient
mieux latin que françois, Le
Coq, de loin voyant le faict, S'écria
: CHRISTUS
NATUS EST ; Le
Bœuf, d'un air tout ébaubi, Demande
: UBI, UBI, UBI ? La
Chèvre, se tordant le groin, Respond
que c'est à BETHLÉEM
; Maistre
Baudet, curiosus De
l'aller voir, dit : EAMUS ; Et,
droit sur ses pattes, le Veau Beugle
deux fois : VOLO, VOLO. On peut
voir encore, dans ce curieux couplet qui date du douzième siècle et qui a été
malheureusement renouvelé au seizième, ce que nous avons déjà fait remarquer
à propos de la chanson des disciples d'Abélard, c'est-à-dire le mélange, dans
le langage, de l'élément ancien et du nouveau, du latin et du français. Le
Noël, cependant, n'était pas toujours malin et goguenard comme un
vau-de-vire. Un certain nombre de ces chansons religieuses, au contraire, se
distinguait par une touchante naïveté ; plusieurs même pouvaient passer pour
de véritables cantiques. Ainsi, dans un Noël très-long, du temps de la Ligue,
on trouve ces trois couplets :
Assurément,
il y a là-dedans de la ferveur et de la foi, avec une forme presque poétique,
sous un rythme digne des odes de Ronsard. Le
caractère de piété simple et grave se retrouve surtout dans les Chants populaires
de la Bretagne, où l'on ne rencontre presque jamais cette teinte ironique qui
règne souvent dans les Noëls des autres provinces. Une des plus gracieuses
compositions bretonnes quoique ce ne soit pas précisément un Noël, est
intitulée : Ar Baradoz (le Paradis) œuvre charmante et mystique,
attribuée généralement à un missionnaire du dix-septième siècle, mais que M.
de la Villemarqué, le premier éditeur des Chants bretons, regarde comme bien
antérieure à cette époque. Ce chant est écrit dans le dialecte de Tréguier.
En voici quelques strophes avec la traduction littérale de M. de la
Villemarqué :
Toutes
ces pensées, toutes ces images ne sont-elles pas délicieuses, même dans une
traduction littérale ? Et combien ne doivent-elles pas l'être davantage dans
l'original, revêtues de l'enveloppe lyrique, c'est-à-dire de la mesure, de la
rime, et surtout de la musique, presque constamment inséparable du Chant
populaire ! Le cantique du Paradis, ajoute M. de la Villemarqué, dont l'air est aussi suave et aussi charmant que les
paroles, nous a été chanté, pour la première fois, par une mendiante assise
au pied d'une croix, au bord d'un chemin. La pauvre femme avait peine à
contenir son émotion, et pleurait en nous le chantant. Dieu nous donnait en
elle un symbole touchant de la piété des Bretons. De tout
temps, pour revenir aux Noëls proprement dits, les chrétiens ont dû célébrer
par des Chants la nativité de Jésus et la venue du Messie sur la terre dans
la bienheureuse nuit de Noël ; mais les Chants en français ne remontent pas
plus haut que l'an 1200, c'est-à-dire à l'origine de la langue. On peut même
en citer un qui date du treizième siècle, et qui est encore en latin rimé.
Ce
cantique était psalmodié sur rai., d'une prose d'Église, à laquelle
d'ailleurs il ressemble assez. Les Noëls faisaient alors partie intégrante de
la liturgie et se chantaient dans les églises la nuit et le jour de Noël. Ils
se popularisèrent en passant dans la langue vulgaire, mais en même temps ils
perdirent de leur caractère solennel et ils tombèrent peu à peu dans le style
profane. L'usage en devint si fréquent et si général, que, au seizième
siècle, Clément Marot, le poète libertin et indévot, quoique enclin aux
doctrines de Calvin, céda lui-même à la force de l'exemple, et fit deux
Noëls, l'un en ballade, l'autre en chanson. Dans ce dernier, le rythme offre
un rapport piquant avec un de ceux employés plus tard par le docte et
malicieux La Monnoye :
Mais,
du temps de Marot et de La Monnoye, les beaux jours du Noël religieux étaient
déjà loin. Tant que les cœurs furent remplis de croyance, les Noëls s'en
tinrent à leur sainte mission. Le Messie seul remplissait le cantique ;
l'intention de l'auteur était vraiment pieuse, et c'est à peine s'il
consacrait un couplet final pour demander à Dieu de venir en aide à ses
humbles serviteurs. Mais peu à peu l'homme s'empara d'un plus grand nombre de
couplets, et en laissa moins pour le Rédempteur ; la dévotion aux choses de
la terre remplaça la dévotion aux choses du ciel, et alors les Noëls, tout en
conservant leur forme primitive, devinrent des requêtes pour les besoins de
l'homme, des allusions aux événements et aux personnages historiques ; il y a
même des Noëls politiques ! Dans quelques-uns, c'est tout à fait la chanson ;
c'est de l'actualité, de la satire, de la gaieté, de l'entrain, dans une
enveloppe benoite et sacrée. Mais il y a encore un point de vue plus piquant,
sous lequel ces chants peuvent être examinés. L'anachronisme est chose reçue
dans les Noëls. La crèche du Sauveur du monde devient un point central où
affluent indistinctement tous les siècles, toutes les générations anciennes
ou modernes d'Adam. Ce sont principalement des bergers qu'on y voit figurer ;
et, pour payer leur tribut au goût des contrastes, les auteurs ne manquent
jamais d'y amener les trois mages, qui, par ce seul fait, se trouvent
contemporains des personnages de tous les temps qu'on veut bien leur accoler.
Pour ne nous occuper que du côté burlesque de la chose, nous avons, par
parenthèse, devant les yeux un de ces Noëls qui fut fait pour le sacre de
Louis XIV, qu'on a si bien amalgamé avec Jésus, Marie, Joseph et les
personnages de l'antiquité et du Moyen Age, qu'il serait difficile de voir de
quel côté est l'anachronisme, c'est-à-dire si c'est le Fils de la Vierge qui
vient rendre visite au roi, ou si c'est le roi qui va se promener en Judée. Dans un
autre Noël plus ancien, tous les habitants de la ville et des faubourgs se
rendent en masse auprès de l'Enfant divin. Voici un couplet de ce Noël
bourgeois :
On peut
juger de la dévotion qui conduisait ces joyeux pèlerins au berceau de Jésus-Christ,
sur le mode d'une gamine chromatique. L'adulation vint aussi bientôt se mêler
à la mise en œuvre de ces pièces exclusivement profanes. Les bergers ne se
rendirent plus à l'étable de Bethléem, que pour y psalmodier l'apologie, le
panégyrique, la flatterie ; ce fut, la plupart du temps, le style mendiant
des plus humbles épîtres dédicatoires. On vit de tous côtés surgir des Noëls
de roy, Noëls de la royne, Noëls des princes, Noëls des ambassadeurs, Noëls
des bourgeois, etc. ; c'était à en rendre confus l'âne et le bœuf de
l'étable. Nous avons cru remarquer que ces Noëls apologétiques étaient,
d'ordinaire, les plus mauvais et les plus pauvres. Ils n'avaient d'intérêt
sans doute que pour les gens qu'on y louait en dépit de tout. Le Noël
proprement dit, qui varie de forme autant que de style, ne se restreint pas
toujours à un chant de courte haleine, à un récit du mystère de
l'Incarnation, à un voyage à Bethléem ; il agrandit parais son cadre ; il
semble affecter même les allures d'une petite épopée. Nous avons entre les
mains un des modèles du genre. Il n'a pas moins de quarante et un couplets,
qui alternent régulièrement de demande à réponse :
Et, à
chaque demande, revient le premier vers : Or,
nous dictes, Marie ?
Ce Noël, qui commence ainsi à l'Annonciation, se continue pendant toute la
vie du Christ, et se termine avec elle. Il y a des détails d'une touchante
simplicité. Quant à la forme, elle laisse singulièrement à désirer ; la rime
n'y paraît même pas toujours à l'état d'assonance. Le Noël
peut encore servir à donner des documents précieux sur les mœurs, les
productions, les ustensiles, les personnages de certaines provinces. La
Bresse en a conservé de précieux en ce genre. Voici quelques couplets d'un
Noël de l'Ile-de-France, qui donneront une idée de l'intérêt que présentent
souvent, en fait de couleur locale, les Noëls provinciaux :
Le curé
Jean Guyot (ou Guillot)
que nous avons déjà vu figurer dans un autre Noël, était nécessairement un
personnage très-connu au quinzième ou seizième siècle. Ici nous sommes à
Chartres (selon quelques antiquaires, ce serait Châtres en Champagne), à Montlhéry
; dans le Noël, rapporté précédemment, nous étions à Troyes. La popularité du
bon messire Jean Guyot était étendue de l’Ile-de-France à la Champagne, et
avec son tonneau et sa vinée, il présidait sans doute aux veillées bachiques
de la Noël. Cette dernière citation nous permet de couper court aux Noëls :
il faudrait, pour ces Chants, la plupart insignifiants et grossiers, des commentaires
semblables à celui du docteur Mathanasius sur le chef-d'œuvre d'un inconnu !
Nous ne dirons rien de plus des Chants populaires religieux ; nous devons
toutefois en recommander quelques-uns, tels que les cantiques que répétaient
les Flagellants dans leurs processions, et mentionner aussi d'une façon
particulière ces épopées triviales et naïvement touchantes, qui, sous le nom
de complaintes, nous font entendre les aventures, longuement psalmodiées,
d'un habitant quelconque du paradis, ces complaintes de sainte Geneviève de
Brabant, de saint Antoine, de saint Roch, etc., que chacun sait par cœur dès
l'enfance, que la tradition orale perpétue sans cesse, et que nos descendants
retiendront mieux peut-être que telle œuvre où la poésie a déployé toutes ses
merveilles : tant est puissante et durable la popularité qui s'attache aux
sentiments et aux croyances du peuple. Après les
Chants religieux, nous arrivons naturellement aux Chants domestiques, à ces
simples productions de la famille, fleurs écloses h la douce chaleur du
foyer, et parmi lesquelles on rencontre de véritables petits chefs d'œuvre.
Cette espèce de Chant pourrait se subdiviser à elle seule en plusieurs
catégories distinctes ; mais le lecteur les tracera lui-même à l'aide des
citations que nous allons mettre sous ses yeux. Le
Chant domestique est certainement celui qui offre le plus de variété, et
celui dont le bagage est le plus nombreux, les Noëls exceptés. C'est aussi
celui où l'on rencontre le plus de motifs gracieux et tendres, celui qui fait
le mieux résonner la corde simple, naïve et sensible. Il réunit tous les tons
cependant ; on y va de l'épigramme au madrigal et de l'élégie à l'épithalame
; toutes les humeurs s'y reflètent ; c'est, en un mot, une véritable
encyclopédie intime. L'amour en a inspiré la plus grande part ; les joies et
les douleurs de la famille y ont la leur ; les industries diverses y ont consigné
leurs peines et leurs plaisirs, et c'est en cela que le Chant domestique
français est encore celui où l'on trouve le plus d'analogie avec le même
Chant chez les autres peuples, car la tristesse, le bonheur, l'amour, les
sentiments et les passions se ressemblent partout, à quelques détails près,
tandis que les usages religieux et les faits historiques diffèrent d'une
nation à l'autre et ne peuvent, par conséquent, avoir les mêmes points de
ressemblance ou de rapprochement. La cérémonie des noces, par exemple, a
donné naissance à bien des Chants domestiques. En Bretagne, ce sont de
curieux et poétiques dialogues échangés, dans cette circonstance, entre deux
personnages qui représentent le marié et la mariée. La Bourgogne en a aussi
plusieurs du même genre. Voici un de ces chants peu connu, recueilli dans les
traditions du Morvan. Laissons parler M. Duvivier : Puis,
on entonne la chanson des Jolées, mot par lequel on désigne les cérémonies de
la nuit qui précède te jour de noce. Cette chanson est par demandes et par
réponses. Après chaque couplet, la musette joue un air, absolument comme,
dans nos cathédrales, l'orgue, après chaque verset d'un psaume : UN DES
grands garçons, POUR
l'épouseur. Ouvrez-moi
la porte, La
belle, si vous m'aimez ? UNE DES
grandes filles, POUR LA
jeune à marier. Je
n'ouvre point ma porte, A
l'heure de minuit : Passez
par la fenêtre La
plus proche de mon lit. LE MÊME. Si
vous saviez, la belle, Comment
nous sommes ici !... Nous
sommes dans la neige, Dans
l'eau jusqu'aux genoux ; Une
petite pluie fine Qui
nous tréfoule tous. LA MÊME. Allez
donc chez mon père Il
y a de bons manteaux, Ainsi
que des couvertes Pour
vous couvrir le dos. LE MÊME. Les
chiens de votre père Ne
font que d'aboyer, Disant
dans leur langage : Galant, tu fais l'amour ; Galant, tu perds ton temps. PAUSE. LA MÊME (sur un autre air). Galants,
qui êtes à la porte, Quels
présents nous apportez vous ? LE MÊME. Le
présent que je vous apporte, Belle,
le recevrez-vous ? LA MÊME S'il
est beau et présentable, Pourquoi
le refuserions-nous ? Cette
chanson ne rappelle-t-elle pas certains traits caractéristiques des noces de
nos anciens Gaulois ? Les deux musettiers ne sont-ils pas les deux bardes
qui, dans des Chants contradictoires, défendaient, l'un la virginité delà
mariée, l'autre les droits du mari ? Des
chansons de mariage, aux rondes à danser, il n'y a qu'un pas. Les recueils
inédits des quinzième et seizième siècles nous fournissent de précieux
exemples de ces dernières. En
feuilletant les albums de Marie de Bekerke, d'Hélène de Mérode, etc., on
distingue quelques pièces de ce genre, d'une fraîcheur et d'une touche
remarquables. Un couplet de chacune de ces rondes suffira pour en donner une
idée. L'une commence ainsi : Elle
s'en va aux champs, la petite bergière, Sa
quenouille fillant ; son troupeau suyt derrière. Tant
il la faict bon veoir, la petite bergière, Tant
il la faict bon veoir... L'autre
dit, sous un autre rythme et avec un autre ton : Nous
estions trois sœurs tous d'une volonté ; Nous
allismes au fond du joly boys iouer. Vray
Dieu ! qu'il est heureux, qui se garde d'aymeri. Ces
deux rondes, dont la première serait, dit-on, de Georges de Lalain, sont
délicates et charmantes. En les voyant figurer dans ces manuscrits, rehaussés
d'armoiries peintes et surchargés de noms nobles, on se persuade aisément que
les grandes dames dansaient aux chansons, selon l'expression consacrée, comme
les filles des champs. Quelques-unes
des rondes enfantines, qui se chantent et se dansent encore aujourd'hui,
datent de ce même Moyen Age, dont toutes les traditions artistiques ou même
seulement gracieuses sont bien loin d'être éteintes. Qui oserait soutenir que
la ronde de la Tour, prends garde ! n'est pas contemporaine du châtelain de
Coucy ? Nous
avons publié ailleurs un Chant de vignerons intitulé la Ronde de la vendange.
Nous regrettons que la version, que nous en avons recueillie les premiers, ne
soit pas d'une forme assez authentique pour faire remonter cette pièce
jusqu'à l'époque dont nous nous occupons ; elle aurait servi de spécimen
piquant aux chansons spéciales des industries et métiers. Tel couplet, chanté
encore par les bouviers de l'Auvergne ou par les pâtres de la Beauce, se
rapporterait plutôt, par son origine, ou du moins par sa forme, au Moyen Age
; mais nous ne pouvons pas faire que citer, quoique le meilleur moyen
d'apprécier un Chant soit de le lire. La
complainte, dont nous avons déjà parlé dans les Chants religieux, ne brille
pas ici d'un moins vif éclat ; nommons seulement le Juif errant, Damon et
Henriette, le Comte Ory, la Châtelaine de Saint-Gilles, etc. Cette dernière,
moins connue que les autres, date du temps de saint Louis ; elle a trente-cinq
couplets, de forme inégale ; elle est à peine rimée, mais elle ne manque pas
d'un certain charme dans le récit. Nous possédons, en outre, le manuscrit
d'une chanson en cinquante-quatre couplets, espèce de complainte satirique
dirigée contre les hôteliers de Chalon-sur-Saône au seizième siècle. Elle n'a
pas de titre, mais la tradition nous a fait savoir qu'elle s'appelait les
Logis de Chalon. Ce n'est pas un Noël bien que les personnages des Noëls y
soient en scène. L'auteur anonyme suppose que Joseph et Marie arrivent à
Chalon pour se loger, et qu'on refuse partout de les recevoir :
Et
ainsi de suite, jusqu'au cinquante-troisième couplet, où les pauvres
voyageurs trouvent enfin un humble gîte. Cette complainte, essentiellement
locale, se termine par une assez singulière prière :
Si,
pour savoir ce qui se passe, J'ai
suivi Joseph tout le jour, Il
est bien juste que je fasse Aussi
ma prière à mon tour : Ô mon Dieu ! que l'exemple
suive La voix de vos commandemens ; Mouillés ses yeux de voire
salive, Avec l'élément de vos sens ! L'auteur
de ce Noël satirique contre les hôteliers de Chalon était peut-être un
hôtelier lui-même, que la jalousie de métier avait fait poète ? Si
plusieurs de ces Chants ont assez de couplets pour défrayer toute une
veillée, d'autres, en revanche, se bornent à une strophe ou deux, et n'en
sont pas plus mauvais pour cela. En voici un en patois bourguignon, dont
l'idée et le tour ne manquent pas d'originalité :
On a pu
voir, par les citations précédentes, que le degré de valeur littéraire était
bien différent parmi les trois sortes de Chants que nous avons examinées
successivement. Le plus grand nombre de ces pièces sont d'une facture simple
et grossière qui décèle l'inhabileté la plus absolue ; quelques autres
pourtant affectent une forme moins négligée et ne sont pas dépourvues d'une
espèce d'art. Il existe ainsi un Chant en dialogue sur la guerre de Philippe
le Bon, duc de Bourgogne, avec les Liégeois ; dans ce Chant historique,
composé de vingt couplets, on reconnaît la main d'un poète de profession qui
s'est étudié à trouver ces rimes équivoquées que Molinet, Chatelain et Guill.
Cretin avaient mises en honneur à la cour de Bourgogne : —
Et ces faulses gens des mesliers Seront-ils
tousiours mesdisans ? —
Leur party n'est double mès tiers, Non
pas pour ung jour mès dix ans. Et
s'ils gardent telx metz disans : Ceci est pour nous, qui qu'en
longue. De
ce me rapporte à Bourgongne. Cette
richesse de rimes n'était pas chose commune en fait de Chants populaires.
Dans la chanson de noces du Morvan, comme dans la plupart des Noëls, on a vu
l'exemple tout contraire : neige rimant avec belle, ici avec genoux, etc.
Dans certains autres Chants l'auteur a tenu un juste milieu entre ces deux
extrêmes : il a rimé en assonances, pour l'oreille et non pour les yeux. La
variété des rythmes employés ou inventés par les poètes de Chants populaires
est digne de remarque : ces rythmes, d'ailleurs, ont cela de précieux pour
l'histoire de la musique, que, ayant été moulés, pour ainsi dire, sur les
airs religieux alors en vogue, ils nous conservent encore ces mêmes airs,
qui, sans leur secours profane, ne nous fussent sans doute jamais parvenus.
C'est ainsi que l'on a reconnu que la célèbre chanson de Charmante Gabrielle,
attribuée à Henri IV, se chante sur l'air d'un Noël composé, dit-on, par le
père Ducaurroy, maître de chapelle de Charles IX. Quelquefois le rythme des
Noëls était imité des poésies contemporaines ; le peuple taillait volontiers
ses Chants favoris sur le patron des odes les plus pindariques de Ronsard et
de Remy Belleau, parce que ces odes étaient mises en musique et que les airs
de cour, passant de bouche en bouche, descendaient du Louvre dans la rue. Nous
avons cité plusieurs Noëls remarquables au point de vue du rythme et de la
rime ; nous pouvons même, dans une chanson du treizième siècle, composée par
Moniot d'Arras, trouver la scrupuleuse observation de l'entrelacement des
rimes masculines et féminines, que Jean Lemaire de Belges le premier érigea
en règle de prosodie, vers la fin du XVe siècle. Qui
aime sans trischerie, Ne
pense n'a trois n'a dos. D'une
seule est desiros, Cil
que loyax amors lie ; Ne
vouldroit d'autre avoir mie Ses
vouloir tout à estros. Toute
la pièce, en cinq couplets de dix vers chaque, est aussi régulièrement rimée.
Les faiseurs de chansons étaient donc quelquefois de vrais poètes, dignes
d'enseigner l'art de rhétorique ou la prosodie à leurs successeurs. Là doit
se borner le coup d'œil général que nous avons voulu jeter sur les divers
Chants de la France ; il nous suffit d'avoir indiqué le parti qu'on en peut
tirer pour l'histoire des événements, des hommes, des mœurs et de la
littérature. Mais, pour compléter la tâche que nous nous sommes imposée, une
rapide excursion dans les pays étrangers nous permettra d'apprécier le
caractère de leurs Chants populaires nationaux. Dans sa poétique introduction
aux Chants du Nord, M. Marmier avait dit : Ce
qui n'était primitivement qu'un cri de l'âme devient un sujet d'études, un
art astreint à des règles précises. Alors apparaît la poésie du monde lettré,
la poésie écrite, que l'on accueille dans les salons, que l'on couronne dans
les académies ; et la poésie populaire, qui devient le partage de la foule
ignorante, à mesure que cette foule s'éclaire, descend de degrés en degrés
les échelons de la société, jusqu'à ce qu'elle tombe enfin dans l'oubli. On conçoit dès lors que
certains esprits délicats se soient fait comme un pieux devoir de recueillir
cette poésie-mère, en l'empêchant de tomber dans l'oubli, en la soutenant, pour
ainsi dire, sur l'abîme de la destruction, et en conservant ses traditions
dernières avec le respect dont nous aimons à entourer le précieux souvenir de
nos grands-parents. Aussi, ce devoir a-t-il été compris, et, de nos jours, on
a vu revivre les Chants primitifs de toutes les parties du monde, rassemblés
avec amour par les poètes de chacune d'elles. Ces poètes étaient guidés dans
cette recherche, souvent ingrate et pénible, par un sentiment de
reconnaissance envers les sources de leurs propres inspirations ; et
maintenant, des jardins parfumés de l'Orient jusqu'aux solitudes glaciales de
la Finlande et de la Norvège, tous les peuples peuvent nous captiver par le
charme naïf et original de leurs Chants populaires. L'Allemagne,
qui dut sa veine lyrique du douzième siècle à l'influence méridionale, et
dont les légendes nationales inspirèrent la belle épopée du Livre des
héros (Nibelungen),
l'Allemagne, disons-nous, eut d'abord les Minnesœnger (chanteurs
d'amour), qui ont
laissé un grand nombre de chants, puis les Meistersœnger (maîtres
chanteurs), qui en
composèrent encore davantage. L'œuvre des premiers, du douzième au
quatorzième siècle, ne circula guère que parmi les chevaliers et les princes,
et fut toujours en concurrence avec les vieux Chants historiques du peuple,
que les moines envieux tâchaient de frapper de mort en les appelant diabolica carmina ; l'œuvre des seconds vint alors, se ramifiant
partout, et grandissant, au quinzième siècle, de manière à faire éclore les
germes de l'art du théâtre. La ballade, cette forme si poétique sous laquelle
nous apparaissent la plupart des Chants de l'Allemagne, est le produit
littéraire de la réunion des éléments lyrique, épique et dramatique ; c'est
ordinairement un petit drame encadré dans un chant. Le caractère de la
ballade allemande est, par-dessus tout, le sentiment, quelque chose de doux,
de senti plutôt que de jugé, d'agréablement vague et de touchant : c'est la
vierge pensive et mystique s'entourant d'un gaze légère, non pour se cacher,
mais pour se laisser deviner : partout où elle passe et s'arrête, elle se
trahit par son doux parfum. Nous ne pouvons songer, pour l'Allemagne pas plus
que pour les autres pays, à donner sèchement le titre des pièces les plus
intéressantes qui se rattachent aux trois catégories du Chant populaire ; il
faudrait faire une nomenclature considérable, qui n'en serait que plus aride,
car des titres seuls ne disent rien ; seulement, après la définition que nous
venons de donner du genre de la ballade allemande, nous indiquerons, comme
Chants historiques : des Chants guerriers, dont quelques-uns de Witt Weber ;
comme Chants religieux : plusieurs Noëls, dont un de Luther, et le
fameux Chant des Hussiles ; comme Chants domestiques : la Jeune
Fille et le Coudrier, Peine secrète, la Belle Enfant, etc.
; on en citerait une foule d'autres dont le charme est indéfinissable. Il en
est un, la Vision, qui offre plusieurs traits de ressemblance avec un
Chant breton intitulé : le Départ de l'âme. Contentons-nous de
signaler, entre deux pièces composées si loin l'une de l'autre, cette
singulière analogie qui peut être toute fortuite, mais dont on pourrait
induire que les idées et les sentiments du peuple sont les mêmes dans tous
les pays et dans tous les temps. L'Angleterre
aussi est riche en ballades anciennes, dont plusieurs ont servi de thème inspirateur
aux poètes allemands modernes ; elle a eu aussi ses ménestrels, qui allaient
de château en château, célébrant dans leurs chants les hauts faits des
chevaliers saxons et normands. Moins lyrique qu'en Allemagne, la ballade
anglaise conserve, de préférence, le genre épique ; simple, familière et
naïve, elle se laisse aller volontiers à la prolixité ; parfois elle prend la
dimension d'un poème divisé en plusieurs chants ; mais quelle que soit son
étendue, la couleur poétique, dont elle est empreinte, décèle toujours le
sentiment le plus tendre et le plus délicat. Elle raconte surtout avec un
grand charme les aventures d'amour. Les ballades des provinces du Sud sont
reconnaissables à ceci, qu'elles offrent presque toujours un tableau, une
description de la nature embellie par les rayons du soleil qui perce si
rarement le chapeau de brumes de la joyeuse Angleterre, comme on l'appelait
alors, avant qu'elle eût le spleen sans doute. Dans ce pays, où la chasse a
toujours été en honneur, la tradition avait répandu une foule de légendes
merveilleuses, en peuplant les forêts de lutins et d'êtres fantastiques : les
braconniers du temps de Guillaume le Conquérant donnèrent naissance aux
délicieuses ballades que le peuple chante encore sur le fameux Robin-Hood. L'Écosse,
dont les ballades sont également nombreuses, présente des sites plus sauvages
que ceux de l'Angleterre ; et sa poésie se ressent, en quelque sorte, de la
pénétrante froidure qui règne dans ses tristes montagnes couvertes de
bruyères et de sapins. Les contes de la
tradition, dit
Walter Scott dans son Introduction aux Chants des Écossais, les chansons accompagnées de la flûte ou de la harpe du
ménestrel étaient probablement les seules ressources contre l'ennui, pendant
les courts intervalles où les Highlanders se reposaient de leurs aventures
militaires. On
reconnaît la source où Mac-Pherson a cherché les créations si mélancoliques
de son Ossian. La ballade écossaise n'est plus la vierge mystique de
l'Allemagne ; ce n'est plus la ballade anglaise, cette jeune fille simple,
avec sa fraîche robe d'innocence et de candeur ; ou si c'est la même jeune
fille, elle nous apparaît, bien attristée et refroidie, sa gaze humectée par
la brume, et laissant plus volontiers rouler sur sa joue une larme rêveuse.
Dans les ballades de la vieille Angleterre, citons la Folle, la Chasse de
Cheviot, que Ben-Johnson eût voulu avoir faite, disait-il, plutôt que tous
ses ouvrages, le Chant de la fée, la série des Robin-Hood, etc. Quant aux
ballades de l'Écosse, nous renonçons à en citer une seule parmi tant de
petits chefs-d'œuvre, quand Walter Scott, dans quatre volumes, n'a recueilli
qu'une partie des Chants des frontières ! Dans
les régions du Nord, dans le Danemark, la Suède et la Norvège, le Chant
populaire a été longtemps la seule histoire qui passât de bouche en bouche.
Là, des hommes errants et belliqueux, aux yeux desquels la force 'physique
était tout, s'inspiraient de leur enthousiasme pour célébrer leurs héros dans
des Chants grossiers sans doute, mais naïfs et solennels. Ces poètes furent
les scaldes qui chantaient sur les champs de bataille, et qui animaient les
guerriers au combat. Le peuple aussi trempa son imagination aux mêmes sources
poétiques ; marins, soldats, chasseurs, chacun laissait vibrer la corde de la
harpe éolienne qu'il avait au fond de l'âme, et de ces œuvres anonymes, souvent
collectives, se forma le recueil connu sous le nom de Kœmpeviser. Plusieurs critiques pensent que les Chants du Nord revêtirent
au quatorzième siècle une nouvelle rédaction ; mais le fond du moins a été
fidèlement conservé, et l'on y trouve toujours la peinture rude et
saisissante des mœurs de ces anciennes peuplades. Les Chants populaires de la Suède, dit M. Marmier, ressemblent beaucoup à ceux d'Ecosse, d'Allemagne, de
Hollande et de Danemark. Les Danois ont été pendant assez longtemps en
relation immédiate avec l'Angleterre, pour y répandre ou pour y puiser des
faits héroïques, des légendes d'amour ou de religion. Un grand nombre de ces Chants
ressemblent tellement à des Chants originaires d'autres contrées, qu'ils n'en
diffèrent que par la forme et l'idiome ; on serait tenté de les regarder
comme des traductions ou des imitations. Nous rappellerons seulement que
Goëthe leur a emprunté sa célèbre ballade du Roi de Thulé. Parmi les Chants
du Nord les plus remarquables, indiquons, en passant, le Retour d'une mère,
le dramatique récit d'Axel et Valborg, la Princesse enchantée, la
Petite bergère, etc. Que si l'on veut se représenter la ballade de ces
froides régions, on peut la comparer à une jeune fille à demi sauvage,
ouvrant bien son cœur à l'amour, mais peu avancée dans la forme qu'elle donne
au sentiment, et rêvant, solitaire, assise au foyer domestique, tandis que la
bise souffle et gémit dans les steppes glacées. La
Servie, que nous ne devons pas oublier, a également son Danitza,
recueil de Chants tendres ou guerriers, dans lesquels règne une exquise
délicatesse. Seulement, il est difficile de préciser leur âge. Quelques-uns
doivent remonter à une haute antiquité, quelques autres sont tout à fait
modernes. La plus gracieuse partie de ces Chants est celle qu'on appelle
Chants des femmes. Les Serviennes sont douées, à un haut degré, de la faculté
poétique, et tous leurs petits poèmes qui traitent des soucis et des plaisirs
du cœur, sont des fleurs suavement écloses et qu'un doux sentiment a
parfumées. On rencontre pourtant çà et là des lacunes évidentes, des
rapprochements heurtés, des refrains bizarres, des allusions
incompréhensibles, qui peuvent servir à en constater l'ancienneté.
Mentionnons, entre autres pièces, l'Anneau vrai gage de la foi, le
Secret découvert, la Foi des hommes, Les servir tous, Un
seul aimer, etc. Ce ne sont pas de véritables ballades ; la forme en est
plus capricieuse et le ton non moins varié. La poésie de ces Chants est comme
une jeune fille qui goûte pieusement les joies de la famille, tout en étant
désireuse de devenir bientôt amante, et qui, dès qu'elle se sent éprise,
passe par toutes les phases de l'amour : l'angoisse, la jalousie, l'espoir,
le bonheur. Chaque
pays a donc ses Chants populaires, qui lui appartiennent en propre, et qui
sont l'expression la plus fidèle de ses mœurs primitives. Ainsi, nous
pourrions citer, parmi ceux de la Grèce moderne, une ballade intitulée l’Enlèvement
de la fiancée, dont le récit, entrecoupé de dialogue, conserve un parfum
d'antiquité sous la forme d'une légende du Moyen Age. Une autre ballade
grecque, Mavrogène, qui date du quatorzième siècle, raconte l'aventure
d'un roi Charles, prince de la famille d'Anjou, et roule sur la loi féodale
qui faisait tomber en servitude l'homme libre épousant une esclave. Cette
ballade dramatique se rapporte sans doute à l'époque des royaumes de Chypre
et de Sicile. Que
dirons-nous maintenant de l'Italie, qui avait au Moyen Age ses diseurs en
rimes, ses fidèles d'amour, poètes passés maîtres en l'art de sophistiquer
les sentiments du cœur ? Nous ne pouvons que nommer quelques-uns de ces poètes,
célèbres à d'autres titres, et qui, dans leurs canzones péniblement élaborées, se plaisaient a embrouiller et à
obscurcir ce qu'on appelait la science amoureuse. Ce n'est plus là le vague
et touchant mysticisme de l'Allemagne ; c'est un voile épaissi sur des
pensées subtiles et alambiquées qui n'avaient cours que chez les adeptes de
cette science singulière. Aussi, ces canzones ne sont-elles pas de nature à
être classées parmi les Chants populaires, et les noms célèbres des Guido
Cavalcanti, de Cino da Pistoja, des Guido Orlandi, des Salvi Doni, des Ricco
de Verlungo et des autres fidèles d'amour, n'ont pas servi à populariser
leurs productions énigmatiques ; et pour trouver des poésies vraiment
populaires en Italie, il faudrait les chercher dans le peuple même qui chante
encore certaines strophes de Torquato, et qui n'a-peut-être jamais chanté les
chansons que nous venons de citer. Au J'este, il y a des Chants populaires
dans tous les patois dont la langue italienne est, pour ainsi dire, bigarrée,
et depuis les lagunes de Venise jusqu'aux montagnes de la Calabre, la
tradition s'est perpétuée par des Chants. L'Espagne,
plus que toute autre contrée de l'Europe, a des Chants populaires, d'une
physionomie bien tranchée, bien nationale. La forme de ces Chants n'est plus
celle de la ballade ; ce n'est pas de la grâce et de la fraîcheur qu'on y
trouve d'ordinaire, c'est de l'élévation et de la grandeur. Nous sommes ici
dans la mère-patrie de la romance. Rien ne répond mieux à la définition que nous
avons donnée du Chant populaire, que la série des romances espagnoles, œuvre
successive des générations qui se sont succédées pendant huit siècles, œuvre
immense que n'a pas enfantée le génie d'un seul poète, mais le génie complexe
de tous les hommes d'une population ardente et généreuse. L'épopée admirable
du Cid, ce monument élevé petit à petit à la mémoire du grand guerrier par
les chantres de tous les âges, ne pouvait naître qu'en Espagne. M. Damas-Hinard
a écrit plusieurs pages savantes et auxquelles nous empruntons cette citation
: De même que les romances sont la véritable
histoire du Moyen Age espagnol, elles en sont également la véritable poésie.
Le peuple espagnol, le poète des romances, a composé avec amour ces Chants
dont il était lui-même le sujet et le héros. Durant plusieurs siècles et dans
chaque génération, les hommes les mieux doués se sont appliqués à l'envi à
les orner et à les embellir. C'est donc ainsi que s'est composé le Romancero
espagnol, qui respire d'un bout à l'autre ces grands airs de bravoure et de fierté,
qu'on ne rencontre chez aucun autre peuple. La portion la plus importante de
ce recueil se compose des Romances du Cid, divisées en quatre parties,
et qui datent du onzième siècle. Mais cette époque n'est pas le premier point
de départ de ces œuvres populaires ; on en possède depuis le roi Rodrigue, au
huitième siècle, jusqu'à la conquête de Grenade, au quinzième, et la
collection en est tellement nombreuse, qu'on doit renoncer à signaler les
plus remarquables. On ne saurait élever le plus léger doute sur leur
ancienneté, que prouveraient, nu besoin, le détail des mœurs, la forme des
pièces et l'assonance des rimes. Pour se bien représenter la romance
espagnole, qui n'est plus, cette fois, la jeune vierge candide et simple,
timide dans ses manières et craintive dans son amour, il faut se figurer une
fière amazone, drapée cavalièrement dans son manteau, qui marche, le front
haut, la main sur la garde de son épée : cette jeune fille-là, aux allures un
peu matamoresques, compte parmi ses ancêtres un Bernard de Carpio ou un Cid
Campéador. L'examen
sommaire que nous avons fait des Chants populaires en Europe a suffi pour
montrer combien, chez les différents peuples, ces Chants se ressemblent, du
moins quant au fond, et combien, sous une enveloppe grossière ou habile,
simple ou apprêtée, on retrouve, à de grandes distances de lieu et de temps,
le même thème, la même source d'inspiration et souvent le même sujet. C'est,
nous l'avons déjà dit, que les Chants populaires sont le reflet fidèle des
événements et surtout des sentiments, et que les sentiments sont bien près
d'être les mêmes chez toutes les nations disséminées sur notre globe.
L'amour, l'amitié, la vaillance, par exemple, seront toujours et partout la
vaillance, l'amitié, l'amour ; il n'a donc pu jamais être question que d'une
légère différence de forme, quand il s'est agi d'exprimer des sentiments, de
peindre des passions, de flétrir le vice et d'honorer la vertu. Après avoir
essayé de donner, par quelques extraits, le caractère et la couleur des
Chants populaires, nous sommes forcés, à regret, de laisser les longues
citations aux recueils spéciaux. Le peuple fut toujours riche en poésie, et
quoique le plus grand nombre de ses Chants aient été perdus, ceux qu'on a
recueillis forment encore une collection assez volumineuse, pour qu'on puisse
les considérer comme une branche importante de la littérature nationale de
chaque pays. F. FERTIAULT, Membre correspondant de
l'Académie de Dijon. |