ON ne peut se faire une idée juste
des Patois, qu'en se figurant un fleuve primitif dont le lit n'est pas creusé
et qui s'épanche librement, couvrant de ses eaux les vallées et les plaines :
peu à peu, son cours se régularise, ses rives se forment et on ne voit plus
sur les terres, auparavant inondées, que des marais et des étangs. De même,
quand la langue romaine, parlée par des millions d'hommes, fut transformée,
régularisée, et se renferma dans les limites que lui traçait la civilisation,
il resta çà et là, en dehors de ces limites conventionnelles, de grands
lambeaux, plus ou moins dénaturés par le temps, le frottement de la langue
nouvelle et l'isolement, qu'on est convenu d'appeler Patois. Dans tous les
pays qui n'avaient pas de relations avec les villes, dans les districts des
montagnes, des villages, des campagnes, les Patois reproduisaient, au Moyen
Age, et ils conservent encore le type, les couleurs et l'originalité de la
langue primitive. On ne retrouvait même que dans ces vieilles sources le mélange
des divers idiomes qui ont passé depuis le commencement des temps sur les
lèvres de nos pères, et ces mots, aujourd'hui oubliés, qui viennent rappeler
comme des éclairs le génie et les mœurs des générations disparues. Les
Patois de France, dont nous traiterons d'abord, se divisaient, au Moyen Age,
en deux familles aussi tranchées que les races qu'ils représentent : celle
des Patois méridionaux parlés par la race romaine et gallo-romaine, et celle
des Patois français, idiomes vulgaires des populations établies en deçà de la
Loire. On compte douze dialectes principaux dans la première famille : le languedocien, le provençal, le gascon proprement dit, l'agenois, le bordelais, le béarnais, le quercinois, le rouergat, l'auvergnat, le limousin, le périgourdin et le dauphinois. Tous ces dialectes dérivent
directement du latin que Rome imposa jadis, après la conquête, comme langue
nationale. Il s'y mêle seulement, en quantité assez notable, des débris des
langues parlées avant l'arrivée des Romains, telles que le grec et le
celtique, car la variété des idiomes fut un des traits caractéristiques des
Gaulois, qui, au rapport de César, avaient autant de manières de s'exprimer,
que de tribus : Eddem non usque quoque
lingud utuntur, sed paululum variata. A cet élément celto-grec vint s'ajouter plus
tard, à la chute de l'Empire, une petite invasion de mots gothiques et
arabes, lesquels, perdus sous l'alluvion latine, achevèrent de constituer le
fonds des Patois actuels. Tous ces patois vécurent isolés et parlés par le peuple,
sans participer aux progrès des langues néo-latines, que les troubadours, au
midi, portèrent à un si haut point de perfection, que les trouvères firent si
piquantes et si pittoresques au nord. Ils dégénérèrent bien un peu, ils
laissèrent bien se faner quelques-unes de leurs vieilles couleurs : mais, en
définitive, comme le peuple est celui qui oublie le moins les traditions et
le langage de ses pères, ils traversèrent victorieusement le Moyen Age et la
Renaissance, où nous nous plaçons pour les peindre, en commençant par le
languedocien. Voici
comment Goudouli définissait ce Patois, au commencement du dix-septième
siècle, dans sa prose mignarde, si étrangement coloriée, si originale et si
inimitable : Repoussons tous ceux qui font la
grimace à la langue moundine (moundino, toulousaine), tant parce qu'il leur est impossible de se plonger dans
la connaissance de sa grâce (emprigoundi dedin la connaissenço de
sa gracio), que pour nous faire croire
qu'ils ont trouvé la fève au gâteau de la suffisance- Chassons le mépris avec
le mépris, et de toutes leurs paroles railleuses et moqueuses (uffludos et
trufandièros) faisons des bulles de savon
!. Car, je vous le demande, est-ce que la rose pompon (muscadèlo) cesse de nous chatouiller l'odorat et les yeux, parce que
le frelon enfouit son aiguillon dans ses feuilles vermeilles ?... Nourrisson de Toulouse, il me plaît de maintenir, son
langage beau et capable de débrouiller toute sorte de conceptions, et par ce
motif, tout à fait digne de se pavaner avec un plumet de prix et d'estime !
Un seul reproche on lui peut faire, c’est de devoir quelque chose au latin ;
mais, s'il lui a emprunté' comme le français, l'italien et l'espagnol, qui se
vantent avec raison d'avoir atteint le plus haut échelon de la perfection, ne
puis-je citer une foule de mots du pays qui vivent de leurs rentes, tels que bruc, bruyère ; cascal, babil
; carrinca, grincer, etc. Par ma foi, leur antiquité me ferait croire
que lorsque les langues se trouvèrent par le mandement de Dieu au tombeau de
Nemrod, la nôtre était du nombre. Si d'ailleurs Tolus, petit-fils de Noé, a,
selon l'opinion commune, fondé Toulouse, il n'y aurait rien d'extraordinaire
qu'elle eût servi à la construction de ce bâtiment, dont les girouettes
devaient raser le ciel et prévenir le débordement printannier (mayene) d'un autre déluge. Sans
remonter aussi haut que Goudouli, on peut établir, à l'aide de documents
historiques certains, l'antiquité du Patois de Toulouse, et démontrer combien
peu il a subi d'altérations dans sa marche à travers les siècles. Sans
parler ici des Serments, trop de fois cités, de 842, dont le Patois
toulousain aurait le droit de revendiquer la moitié des mots, il existe une
épitaphe qui lui appartient tout entière, car, aujourd'hui même, aucune des
expressions qu'elle renferme n'est bannie du langage usuel. Cette épitaphe
est celle de Bernhard, duc de Septimanie, poignardé par l'empereur Carie le
Chauve dans le cloître de Saint-Sernin de Toulouse : Aissijay
lo corns e'N Bernat, Fidel
credeire al sang sacrat Que
tos temps pros hom es estat. Preguem
la divina bontat Qu’aquela
fis que l'a tuat, Posca son at'm' aver salvat. Ici
Bernhird est enterré, Croyant
fidèle au sang sacré, Qui
toujours montra loyauté. Prions
la divine bonté, Que
cette fin qui l'a tué, Puisse
son âme avoir sauvée ! Retrouvée
au commencement du dix-septième siècle et communiquée à La Faille, auteur des
Annales de Toulouse, par M. de Masnau, conseiller au parlement, cette pièce
fut traitée d'apocryphe par Baluze, et a été regardée par M. Raynouard comme
se rapportant au milieu du douzième siècle. Nous l'avons restituée avec soin,
et maintenons qu'elle ne dépasse pas l'an 1000. En accordant, au surplus,
qu'elle est postérieure à cette époque, on ne peut nier que le Patois ne fût
formé depuis longtemps, puisque, malgré les huit cents ans écoulés, à
très-peu de différence près, la langue de cette inscription est la langue
vulgaire actuelle. Ce fait est surabondamment démontré par les monuments de
1230. On pourrait lire, au premier paysan venu des rives de la Garonne, de
l'Orb ou de l'Agout, le morceau suivant de l'histoire originale de la
Croisade, qu'il le traduirait sur-le-champ sans hésitation : Or dis
l'historia que can lodit comte Ramon fouec mort et aisso escumeniat Tan 1228,
se troba que lodit comte Jove volguet pacifikar et accordar tot et cascuns
del debats è questios qu'el è son dich paire avian agut. Or,
dit l'histoire, que lorsque le comte Raimon fut mort et même excommunié l'an
1228, il se trouva que ledit comte Jeune voulut pacifier et accorder tous et
chacuns des débats et différends que sondit père et lui avaient eus. Décalque
un peu pâle, mais fidèle du latin vulgaire, le Patois languedocien, pendant tout
le Moyen Age, la Renaissance et la période séculaire qui précéda et suivit
les guerres de religion, conserve sa clarté, son allure vive et ses
terminaisons romaines, comme le prouvent ces fragments empruntés aux
treizième, quatorzième, quinzième et seizième siècles. Que
neguna femna ni aulra dona de la villa ni de la honor de Montalba no corteja
ni auze cortejar neguna jazenl, si no era cosina seconda dela o de so marit o
cozina germana e daqui eri amont o comaires : e aquelas que o puosco far tan
solamen lo dimentge e no en un autre dia de la semena, exceptadas
Joglaressas. (Ordenansa dels vestirs de las donas de Montalba, Archives
de Montauban, livre Rouge, fol. 60, an 1291). Que
nulle dame ni autre femme de la ville ou de l'honneur (territoire) de Montauban ne fréquente ni ne
s'avise de fréquenter sa voisine, à moins qu'elle ne soit sa cousine germaine
ou celle de son mari, ou plus proche encore, ou sa commère, et que ces
fréquentations ne puissent avoir lieu que le dimanche et non un autre jour de
la semaine. Sont exceptées toutefois les baladines. L'an
1309 lo X jorn de jonoyer, lo rei de Fransa son cos propri fes cremazar
mestre J. de Betizac à Tolosa quar dis que era eretge. Item, sapchatz que lo
rei voliè que J. de Betizac perdes la testa, et J. de Betizac ausit que la
testa dévia perdre respondet al rei qu'el avié agut d'una Juzieva dos éfans è
que erelge era et la juslicia partenié al enqueredor è non al rei, item lo
rei ausit aquéstas paraulas de sohre dig. J. de Belizac comandet que fo ars è
cremat et ainsins fo fag 10 rei presens. (Mesa ires ms. de B. de Bovisset.) L'an
1309 et le dixième jour de janvier, le roi de France fit brûler son propre
cousin à Toulouse, maître J. de Bélizac, qui était, disait-il, hérétique.
Item, sachez que le roi voulait que J. de Bétizac perdit la tête, et J. de
Bétizac voyant que la tête il devait perdre, répondit au roi qu'il avait eu
deux enfants d'une Jui ve et qu'il était hérétique et justiciable de
l'inquisiteur. Le roi, à ces paroles, ordonna que J. de Bétizac fût ars et
rôti, ce qui fut fait, le roi présent. Dona
Clamença se bous plat Jou
bous dire pla la bertat De
la guerra que sés passada Entre
Pey lou rei de Lèoun, Hanric
soun fray rei d'Aragoun È
dab Guesclin soun camarada. L'honor,
la fe, l'amour de Deus
Eran touts lous soulis mouteus Qu'els
portaron d'ana fa guerra Contra
lous cruels Sarrazis, Aquo
fac que nostres Moundis Se
bouteguen jouts la banera. Deus
! qu'ero aco en aquel temps ! Las
femnas qu'erou l'abets prens Bouleban
estar ajagudas, È
que lours efans fouron grans Per
poudè pourta lous carcans È las helas lansas agudas !... Dame
Clemence, s'il vous plaît, Je
vous dirai la verité De
la guerre qui s'est passée Entre
Pierre, le roi de Léon, Renry,
son frère, roi d'Aragon Et
Du Gruesclin son camarade. L'honneur,
la foi, l'amour de Dieu Étaient
les seuls motifs Qui
les portaient à faire la guerre Aux
cruels Sarrazins, Ce
qui fit que nos Toulousains Se
rangèrent sous leur bannière. Dieu
! le beau temps que c'était alors ! Jusqu'aux
femmes enceintes Qui
auraient voulu être mères, Et
que leurs enfants fussent grands Pour
pouvoir porter les colliers d'or Et les belles lances aiguës ! (Chanson dite la Vérité, faite au
commencement du quinzième siècle, sur la guerre d'Espagne). Dans
ces trois morceaux, entre lesquels il y a trois siècles, bien qu'appartenant
d’ailleurs aux trois principaux dialectes du languedocien, le toulousain, le
dialecte du Tarn et celui du Bas-Languedoc, on ne remarque, à part la
physionomie un peu romane du récit de Bovisset, que deux différences de
prononciation : la finale en è des verbes voliè, parteniè, aviè, et celle en a des substantifs passada, camarada, qui depuis le seizième siècle
est en o : En
bezen cos un camarado, Dan
qui souben aben rigut, Tout
l'esprit se m'es emaugut E ma gayetat retirado. (GOUDOULI, Noubèlo
flonreto del ramelet moundi,) En
voyant mort un camarade Avec
lequel nous avons souvent ri, Tout
mon esprit s'est troublé, Toute
ma gaîté s'est enfuie. Encore,
le premier idiotisme, pour confirmer ce qui a été avancé plus haut, savoir
que le Patois languedocien n'a presque pas changé depuis huit siècles se
retrouve-t-il intégralement dans le Patois contemporain : È
què quant aco Iou prenié, Tout braffant annav è venié. (Le Siège de Caderousse, 1er chant.) Lon
paiic de fum que sourtissié, A
rè de boun nou sentissié, (Id., 2e chant.) Te perdiei dins aquel michant souncbé mi fugissiés. (Le Tresor de Substantion. scène
4.) Et
que lorsque cela le prenait, Tout furieux il allait et venait. Le
peu de fumée qui sortait, A
rien de bon ne sentait. Je
te perdais dans ce mauvais rêve... tu me fuyais. Durant
tout le Moyen Age et dans la brillante période appelée Renaissance, le
dialecte du Languedoc fut le premier, sans contredit, des dérivés de la
langue rustique et du roman ; comme le climat influe largement sur le langage
d'un peuple, et que celui de l'Occitanie est un des plus beaux de la France,
l'azur de ce ciel admirable, les rayons d'or du soleil de Montpellier et de
Toulouse, les paysages ravissants de fraîcheur de Béziers et de Limoux, les
vertes collines du Minervois, les vallées délicieuses de l'Hérault et de
l'Aude se reflètent, pour ainsi dire, dans le Patois languedocien. On sent, à
sa douceur mélodieuse, qu'il naquit sous l'olivier et le platane ; la poésie
imagée de ses expressions, la vivacité de ses tournures, rappellent ces
terres si fécondes en moissons, en fruits et en fleurs, et au parfum
d'antiquité qu'il exhale, on reconnaît les souvenirs de Rome et de la Grèce,
comme, lorsque l'autan souffle au printemps, on reconnaît les senteurs
embaumées des Baléares. Le seul
dialecte qui pût lui disputer la palme au Moyen Age, était peut-être le
béarnais. Réfléchissant dans ses mots gracieux la riante nature des Pyrénées,
ce Patois du Béarn est, de tous les dialectes formés des débris du celtique,
du grec, du latin et de l'arabe, celui qui a le plus de suavité, de nombre,
d'harmonie et de mollesse. Ainsi que l'italien, il se plie très-facilement
aux compositions poétiques. Ce qui contribue surtout à lui donner une grâce
infinie, c'est que presque tous ses substantifs ont un diminutif et un
augmentatif. Il abonde en termes techniques, exprimant, d'un seul mot et
d'une manière énergique et pittoresque, ce qu'on ne saurait rendre en
français que par une périphrase. Riche en verbes qui se conjuguent
facilement, et dont les modes sont d'une régularité et d'une rapidité
singulières, car ils rejettent l'aide des pronoms, en participes qu'on forme
en ajoutant un mot, il doit, à l'abondance de ses voyelles, cette richesse
musicale et cette prosodie qui en font le Patois le plus doux des provinces
du Sud. (VIGNANCOURT, Notice sur les poésies béarnaises.) Voyez
si, en écoutant cette chanson que Gaston Phœbus écrivait au quatorzième
siècle, on trouve l'éloge exagéré : Aqueres
mountines Que
ta haütos soun Doundines Que
ta haiitos soun Doundoun. M'empachen
de bede Mas
amours oun soun Doundène Mes
amours oun soun Doundoun. Si
sahï las bède Ou
las rencountra Doundene, Ou
las rencountra Dounda. Passeri
l'aiguette Chen
poü de m'nega Doundène, Chen
poii de m'nega Dounda. Ces
montagnes Qui
si haules sont, Dondine
! Qui
si hautes sont, Dondon ! M'empêchent
de voir Mes
amours où ils sont, Dondène
! Mes
amours où ils sont, Dondon ! Si
je savais les voir, Ou
les rencontrer, Dondène
! Ou les
rencontrer, Dondé ! Je
passerais le Gave Sans
peur de me noyer, Dondène ! Sans
peur de me noyer, Dondé
! La même
douceur caractérise le cantique populaire qu'entonna courageusement Jeanne
d'Albret en donnant le jour à Henri IV : Nouste
Dame deü cap deü poun Ayudat
me à d'aquest hore : Pregats
per me aü Diou deü Ceii Qu'me
bouille bie delioura leii ; D'u
maynat qu'a m'fassie lou doun, Tout
dlnqullü haüt dous monte l'implore. Nouste
Dame deii cap deii poun Ayudat
me à d'aquesl hore !. Notre
Dame du bout du pont, Oh
! secourez-moi à cette heure : Priez
pour moi le dieu du Ciel, Qu'il
veuille bien me délivrer bientôt ! D'un
garçon qu'il me fasse don, Jusque
par-dessus les montagnes je l'implore ! Notre
Dame du bout du pont, Oh
! secourez-moi à cette heure !... Tel
était le Patois béarnais au Moyen Age, avant qu'il se fût encore adouci et
assoupli dans les vers mielleux de Despourrins. D'une nature complètement
opposée, le provençal vulgaire se teignit fortement, lors de la première
formation, d'une couleur hellénique. Le latin domina bien dans la
constitution générale de ce dialecte, comme dans celle de tous les autres,
mais sous l'enveloppe romaine, le radical grec, primitivement enseigné aux
Celto-Ligures par les émigrants de Phocée, s'était conservé et perçait
toujours. Ainsi, la plupart des mots qui expriment les actions de la vie
maritime ou pastorale des ancêtres furent purement ioniens. Le filet à
mailles larges porta le nom d'aragnaou, les filets ordinaires prirent
ceux de bregin, calen, gamgui, madrago, eissaougo, sengounaire. Comme les colons phocéens leurs pères, les Provençaux du Moyen
Age appelèrent la barque squifou, al hune gabis, le croc ganchou ; les chevilles pour les rames,
escaoume, en même temps qu'ils appelaient l'éclair, lan,
le pétrin, mastro, le bourgeon de la vigne, bourrou ; les clôtures de parc, cledos, et le pain artoun. Outre une grande partie des termes de la vie commune, les
Provençaux gardèrent encore des Grecs la prononciation gutturale et les
esprits rudes. A ces différences près, le Patois provençal du Moyen Age et de
la Renaissance se rapprochait singulièrement, et de manière à se confondre
avec les plus voisins, des autres dialectes méridionaux, ainsi qu'il est
facile de s'en convaincre en comparant ces trois morceaux qui remontent au
quatorzième, au quinzième et au seizième siècle. Le
premier est un extrait des Registres de la cour des comptes de Marseille,
daté de 1358 : Comte fayt entré mosseguor Folco de Agout, segnor
d'Assaüt et de Ralhana, senescal de Prœnsa en nom é per lo rei Loïs et madona
la regina d'una part, et mossegnor Jéhan, comte d'Armagnac d'autra part, per lamaniera
que sensiet. Prémieramen, deu lodit mossegnor Jo senescal en nom que dessus
al dit mossegnor d' Armanhac per las premieras convenansas faitas entre lor
so es essaber per lo servici que lodit mossegnor d'Armanhac a fayt en la
guerra de Prœnsa. Compte fait entre monseigneur Foulques d'Agoût,
seigneur d'Assault et de Ralhane, sénéchal de Provence, au nom et pour le roi
Louis et madame la reine d'une part ; et de l'autre, monseigneur Jehan, comte
d'Armagnac, ainsi qu'il suit : Premièrement, doit ledit monseigneur le
sénéchal audit monseigneur d'Armagnac, par les conventions entre eux faites,
savoir pour le service que ledit M. d'Armagnac a fait en la guerre de
Provence... Le
second monument, qui nous sert à établir parfaitement l'état du Patois provençal
au quinzième siècle, est le début des États de Provence, le 9 octobre 1473 : Lo nom de Nastre Senhor Dieus J.-C. é de la sia
gloriosa maire et de tola la santa cort celestial envocan, loqual eu tola
bona e perfecta obrasi deu envocar, car del processit tot bon é pacific
ensenhamen é pareillemen del Ires que haut é trés excellen prince é senhor
nostré rei Reignier per la gracia de Dieus, rei dé jérusalern, de Arago, de
ambas Jas Sirilias, de Valencia. (États de Provence sous le roi René,
registre Potentiœ.) Le nom.de Notre Seigneur Dieu J.-C. et de sa
glorieuse Mère et de toute la sainte Cour céleste nous invoquons, lequel se
doit en toute œuvre bonne et parfaite invoquer, car de lui procède tout bon
et pacifique enseignement et pareillement celui de notre très-haut et
très-excellent prince et seigneur le roi René, par la grâce de Dieu, roi de
Jérusalem, d'Aragon, des Deux-Siciles et de Valence. Et afin
qu'on ne dise pas que ces deux documents sont dans une langue différente de
celle du peuple, voici la formule des épousailles en 136 f, et une lettre
d'un ouvrier de Grasse, écrite au quinzième siècle, qui montrent s'il y avait
deux idiomes vulgaires en Provence : Yeu Rerenguiera done mon cos à tu Johan per lial
moller e per lial spoza. Moi Bérangère, je donne mon corps à toi, Jehan, en
qualité de femme loyale et de loyale épouse. A quoi
Jean répondait : Et ieu ti recebe et done moun cos à tu Berenguièra,
per lial marit é per iial spos. (Troisième cartulaire de Jean Delphin,
notaire à Draguignan.) Et moi je te reçois et te donne mon corps,
Bérangère, à titre de loyal mari et de loyal conjoint. La
lettre, datée d'Arles, était ainsi conçue : Senhe paire a vous de bon cor
tlli recomandi ; la present es per vous ayisar como y'eu ai resauput volro
lettro en laqual mi mandas belcop de besonhos ; yeu ai resauput ma roupo ambe
mas camisos et alcuns librés del magister Johan Maurel losquals los l'y ai
donats ; d’autra part, se non ages pensat et sauput que mon mestré non ages,
tengut botiquo ni esperanso de tenir, yeu non fosso pas vengut en Arle per
demorar embel, car jamai non teijdra boliquo. Yeu ai mandat à Bernart dos
otres lettros, é el non es vengut, car el era malaut. Mathiou tirant as Ais,
l'y passet de que lo trobet al liech, non poguet venir. mais lodit mon fraire
es tornat à Aïs lodit jorn que la leltro es facho, l'y ai dich que fesso
venir Bernart o si el non venie yeu non l'attendrai plus, car non delibéri de
perdre moun temps et veyraï de trobar qualque partit : Non autro al présent
voys que à Dieus sie en vos : m'y recommanderes si us plas, à ma maÏre, à mas
sorres et conhats et à tous nostres bouns amies. (BOUCHE, Essai sur
l'Histoire de Provence.) Seigneur
père, à vous de bon cœur je me recommande ; la présente est pour vous
annoncer que j'ai reçu votre lettre dans laquelle vous me mandez beaucoup de
détails ; j'ai reçu aussi mon caban, mes chemises et quelques livres du magister
Jean Maurel, que je lui ai donnés. D'autre part, si je n'avais pas cru et
pensé que mon maître avait une boutique, tandis qu'il n'est pas même dans
l'espérance d'en ouvrir, je me serais bien gardé de venir chez lui à Arles.
J'ai écrit à Bernard deux lettres, mais il n'est pas venu, car il était
malade. Mathieu, qui tirait vers Aix, passa chez lui et le trouva au lit ;
mon frère, toutefois, étant retourné à Aix le jour où je finissais cette
lettre, je l'ai chargé de faire venir Bernard, car s'il ne venait pas, il me
serait impossible de l'attendre, mon intention n'étant, certes, de perdre ici
mon temps. Je délibérerai donc de prendre un parti définitif. Je n'ajouterai
plus rien, sinon que Dieu soit avec vous. Recommandez-moi, s'il vous plaît, à
ma mère, à mes sœurs et cousins, et à tous nos bons amis. Comme
pour contraster avec la rudesse native du provençal, et se liant par sa
douceur avec le languedocien, par l'harmonie de ses inflexions avec le
béarnais, le Patois gascon proprement dit, se développa au Moyen Age dans ces
vallées qui s'ouvrent, ainsi que les rayons d'un éventail, depuis le pied des
Pyrénées jusqu'à la Garonne et l'Océan. Dans ce vaste espace, les influences
locales le modifièrent à la longue et le partagèrent en deux dialectes
principaux : sur le dialecte supérieur, ce fut le béarnais qui agit ; sur le
dialecte inférieur, partant de la Réole et s'étendant dans tout le Bordelais
et l'entredeux mers, ce furent deux causes bien opposées : le climat mou,
pluvieux et humide qui détend les fibres et engourdit les populations, ou du
moins les rend lymphatiques, et la domination anglaise. Les Anglais de 1152 à
1457, c'est-à-dire durant trois cents ans, possédèrent ces belles contrées.
Or, la langue qu'ils employaient dans leurs relations privées et politiques,
était celle que parlaient nos pères du Nord. Nul doute à cet égard, car il
nous reste la plus grande partie de leurs actes, et particulièrement la
correspondance des gouverneurs et des princes, dont nous citerons en preuve
ce curieux spécimen échappé en 1355 à la plume du fameux Prince noir : Révérent père en Diex et très
foiable ami, voiliez savoir que puis la feisance de nos darreins lettres que
nous vous envoiasmes, accordé est par avys et consel de tous les seignours
estaunlz entour nous et de seignours et de barons de Gascoigne, par cause que
le comte d'Eminacke (d'Armagnac) estoit
cheveteyn des guerres nostre adversaire et son lieutenant en tout le pays de
Lange de Oke (Languedoc), nous veinmes à Carcassoun, qui est ville plus
graunt, plus fort et plus béai que York, et à Seint-Matan, aussi graunt que
Norwiche (Norwick). (ROBERT D'AVESBURY, p. 210.) Il
était donc tout naturel que cette langue septentrionale déteignît pendant ces
trois siècles sur le Patois du Bordelais, où régnait sans rivale l'influence
de l'Angleterre. tandis que les comtés plus éloignés comme l'Agenais, ou
soumis comme l'Armagnac et les sables du Landescot et à des féodaux
indépendants, conservaient pur et sans mélange l'idiome national. Ainsi,
en 1350, le comte d'Armagnac annonçait en ces termes, aux peuples de sa
juridiction, l'issue funeste de la bataille de Poitiers : Cars amies ab la plus gran trislor et dolor de cor
que avenir nos pngues vos fau assaber que dilus ac VIII jorns que lo rei
mossenhor se combattet ab lo prince de Gulas. Chers
amis, avec la plus grande tristesse et douleur d'âme qui pût nous advenir je
vous fais savoir que lundi, il y eut huit jours, le roi monseigneur livra
bataille au prince de Galles. Un peu
gourmé toutefois dans la bouche des grands et surtout dans celle des d'Armagnac
— car on se rappela longtemps, à la cour de France, la fière parodie du Quos
ejto, aux temps des guerres de la Croix Blanche : Se y dabati !... Si je descends !... —, le Patois gascon
reprenait toute sa gentillesse et ses grâces naïves sur les lèvres du peuple.
Peuton rien voir de plus gracieux que cette chanson, qui retentit, dans tout
le Moyen Age, sous les tourelles des seigneurs de l'Agenais, quand les blés
doraient les plaines ? Lou
boun Diou bous bailie tant de beous Goume
las pouios eren d'eous, Gentiou
Seignou ! Ah
! donnatz y la guilloneou As compagnous ! Lou
boun Diou bous baillè tant de poulels Coume
ias sègos han de brouquets Gentiou
Seignou ! Ah ! dounatz y, etc. Lou
boun Diou bous bailie tant de pitchous Coumo
de pletz as coutillous, Gentiou
Seignou ! Ah ! dounatz y, etc. E
jou ne un bastoun bien neit. Que
rollo le joun è la neil, Gentiou
Seignou ! Ah ! dounatz y, etc. Si
m'asseben bubo un cop, Pourtari
millou moun esclop, Gentiou
Seignou ! Ah ! dounatz y, etc. Le
bon Dieu vous donne autant de bœufs Que
nos poules nous feront d'œufs, Gentil
Seigneur ! Ah
! donnez donc la guionnée Aux compagnons !... Le
bon Dieu vous donne autant de poulets Que
les moissons ont de bouquets, Gentil
Seigneur ! Ah ! donnez donc, etc. Le
bon Dieu vous donne autant de garçons Qu'il
est de plis à ces jupons, Gentil
Seigneur ! Ah ! donnez donc, etc. Mon
bâton est bien fait : sans bruit, Il roule
le jour et la nuit, Gentil
Seigneur ! Ah ! donnez donc, etc. Mais
si je bois un coup bientôt, J'en
traînerai mieux mon sabot, Gentil
Seigneur ! Ah
! donnez donc, etc. Séparé
de ce doux idiome par la Garonne au sud et par les limites de l'Agenais à l'ouest,
le dialecte du bas Quercy et de la partie de l'Albigeois, située sur la rive
droite du Tarn, tenait le milieu entre l'euphonie agenaise et la dureté des
dialectes montagnards qui le pressaient au nord. Essentiellement latin, à tel
point que, dans certains cantons, à Castel-Sarrazin et à Campsas, par
exemple, la plupart des verbes se conjuguent comme à Rome : mi dixerunt (ils me dirent), mi fecerunt, etc., ce Patois offre la plus
grande clarté, et à la régularité de ses formes grammaticales, on s'aperçoit
qu'il a été fixé de bonne heure : nous comparerions, en effet, un de ses
monuments les plus curieux, le poème de Sainte-Foi, si populaire dans le
onzième siècle, que toute la Biscaye et l'Aragon et les contrées gasconnes — totci Basconh et Aragos e len contrada de Guascos — le savaient par cœur, à un
fragment pris dans le langage actuel, sans y trouver une divergence sensible.
Tel il était au Moyen Age, tel il est aujourd'hui. Ceux qui auraient désir de
l'étudier, en jugeront à ces quelques vers du poème de Sainte-Foi : Aprep
can Jesus Christz fo natz, Mes en cros e ressuscilatz. Altra
ves s'endevenc un dia Que
una pro femma issia E menet son efan per ma. Dieus
que farai de moun efan ! Lassa
captiva, com soy morta Que l'aiga moun efan n'eporta ! (Mss. de l'Arsenal, n° 10). Après
quand Jésus-Christ fut né, Mis en croix et ressuscité. Une
autre fois, il se trouva qu'un jour Une
femme arrivait, Menant son enfant par la main. Dieu
! que ferai-je de mon enfant ? Hélas
! malheureuse, je suis morte, L'eau
mon enfant emporte !... Un
autre caractère du Patois du Tarn, qui se rattachait par un nouveau lien à la
langue latine, c'est la richesse des diminutifs et des augmentatifs. Aussi
opulent sous ce rapport que le béarnais, il ne différait que par le son des
voyelles, sourdes quelquefois en Béarn comme l'e muet français et qui sonnent
toujours o et ou dans le Patois du Tarn. L'Albigeois, le Montalbanais,
voulaient-ils parler, au Moyen Age, d'un pré, d'un grand pré ou d'une vaste
prairie, ils rendaient leur idée sans le secours d'un adjectif, et disaient :
un prat, uno prado, uno pradayo. S'ils voulaient désigner, au
contraire, un petit pré ou un pré d'une extrême petitesse, leur Patois leur
fournissait deux mots parfaits : pradel, pradèlou. De même, au lieu de dire
un joli petit ange, un joli enfant, un petit troupeau, un petit agneau, un
petit oiseau, un petit chien, une pouliche, ils disaient un angèlou, un anfètou, un auzèlou, un cagnoultou, un troupèlou, uno cabalèto. (MASSOL, Histoire
du pays d'Albigeois.) Le
Patois du Tarn clôt la série des Patois méridionaux des plaines, et il ne
reste plus qu'à examiner le groupe des Patois montagnards. Il se compose de
quatre grands rameaux sortis également et provignés, comme disait le vieux
Caseneuve, de la souche romaine, le quercinois supérieur, le ruthénois ou
rouergat, le périgourdin et le limousin. Ce qui les distingua tous aux
époques dont nous nous occupons, et ce qui les distingue encore, ce fut
d'abord une sorte de rudesse originelle, due, à n'en pas douter, aux premiers
radicaux celtiques, rudesse dont ces idiomes ne se dépouilleront qu'en
mourant. Plusieurs causes empêchèrent que ce langage s'adoucît et se pliât à
des formes plus euphoniques : la première est l'isolement de l'homme ; la
seconde, l'âpreté du sol qui l'a vu naître, et sur lequel il se développe au
milieu des plus durs travaux. Sur ces plateaux calcaires fortement
accidentés, la vie est une lutte perpétuelle contre la nature, et le travail
un effort quotidien, une tension brutale de toute la force physique. A moitié
cultivé, désert par intervalles, et d'un aspect généralement sombre et sauvage,
tout ce réseau de montagnes qui tourne autour des bassins de la Dordogne et
du Tarn et va s'attacher aux pics granitiques de l'Auvergne, n'entendit
jamais qu'une langue moins douce, moins flexible, moins harmonieuse, que
celle des plaines, bien qu'elle ne fût dépourvue ni de vigueur ni de correction. En
premier lieu, il faut constater un fait important, je veux parler de la
similitude des quatre dialectes, au Moyen Age et jusque vers la fin du
quinzième siècle : celte similitude va résulter pour nous de la comparaison
de morceaux détachés de chacun des divers dialectes montagnards. Et
fo mandat al Rei per messatgè coren, Que
Quintia, l'avesque de Rhodes veramen, Era
fugit sa oltra per penre gandinem, Car
la gent de Rhodes a fag perseguimen, Disen
que la volia venre certanamen Al
noble rei de Fransa et era amaramen. (DOMINICI, Disquisitio de Praerogativâ
allodiorum in provinciis Narbonensi et Aquitanâ.) Il
fut mandé au roi par messager courant, Que
Quintilien, l'évêque de Rodez vraiment, S'était
enfui par-delà pour trouver asile, Car
le peuple de Rodez l'avait poursuivi, Disant
qu'il le voulait vendre certainement Au
noble roi de France, et cela lui était amer. De ce
morceau rimé en Rouergue, vers le milieu du treizième siècle, rapprochez
cette inscription, copiée par nous, en 1837, sur le mur intérieur de
l'oratoire de Rocamadour, en Quercy : Remambransa sia quod an No : dni : M. CC : LXXXX : VII. Lo Senhor de Beljoc : laissed : VI sols : de renda : per son : Aniversari : al : coven de
Rocamador : Loquals
: es : en : la r festa : Bli : Marcelli : Qu'il soit mémoire, que, l'année Du Seigneur 1297, Le seigneur de Beaujeu laissa 6 sols de renie pour son
anniversaire Au couvent de Rocamadour : Lequel anniversaire se trouve le Jour de la fête du bienheureux
Marcel. Ajoutez
ce fragment, dicté, le 22 septembre 1425, par Archambaud VI, comte de
Périgord : Premieramen, donan e recommandan nostra arma è
nostre cor a noslre seignor Dieu tout poderos. et a la Verges gloriosa maire
de nostre Salvador et a tota la cor celestial de paradis et en aprep ordenam
que quand se vendra que nos irem de vita a trepassamen volem et ordenam eslre
sebelit en la sepultura laqual mossenlior mon paire Archambault, comte de
Perigord, faix far en lo coven dels fraires minours de Mounlignac, laissau
mieg quintal de cera aldigs fraires per la luminarie del outare per far
quatlre torchos per ardre lo joun de nostra sepultura (Bibliothèque nationale, collection Doat, tom. 244.) Premièrement,
nous donnons et recommandons notre âme et notre corps à notre Seigneur Dieu
tout-puissant et à la Vierge glorieuse mère de notre Sauveur et à toute la
cour céleste du Paradis, et puis nous ordonnons qu'au moment où nous
passerons de vie à trépas, on nous porte dans le tombeau que monseigneur mon
père Archambaud, comte de Périgord, fit faire au couvent des Frères-mineurs
de Montignac, laissant un demi-quintal de cire auxdits frères pour le
luminaire de l'autel et pour quatre torches qui devront brûler le jour de
notre sépulture. Puis,
ce vieux forléal de la ville de Limoges, tracé vers la fin du quinzième
siècle : Le dijeou XII d'october foguet fag lo forleal deu
vi en 'a maniera acroustumado e publial a soun de Iroumpo : la cargo deu vi
27 sols 3 deniers. Le
jeudi 12 d'octobre, fut fait le forléal du vin on la manière accoutumée, et
public à son de trompe : soit la charge de vin 27 sols 5 deniers. Et la
comparaison de ces quatre morceaux achevés, personne ne pourra nier que les
quatre dialectes ne fussent identiques, au Moyen Age. Vers la fin de la
Renaissance, il s'opéra en eux un changement de prononciation
très-remarquable et qui fut simultané et général : toutes les terminaisons en
a sonnèrent o ; la voyelle a
céda presque partout la place à la voyelle o, ce qui rendit tout à coup les
quatre Patois sourds et lourds. Reconnaîtrait-on, par exemple, la langue
précédente, si dégagée et si lucide, dans cette chanson limousine de la fin
du seizième siècle ? Toleii
qn'oven piola l'oulado Goloupon
din lou settodour Oti
porlan de nostre omour, Ou
d'oquèlo que nous ogrado. Tan
que sen dret sen ebourlhia Per
une nivu de fumado Ma
l'io dous clès par s'ossita Eital
se passo lo viliado. Dès
que nous avons pelé la potée de châtaignes, Nous
galoppons dans le séchoir : Là,
nous parlons de notre amour Et
de celle qui nous plaît le plus. Tant
que nous sommes debout, nous restons aveuglés Par
un nuage de fumée, Mais
il y a de la paille pour s'asseoir ; Et
ainsi la veillée se passe. En
1150, la langue polie de l'Auvergne était celle de tout le midi. Pierre le
Troubadour chantait ainsi à cette époque : Bel
ha més la flors d'uguilen Quant
aug del fin joy la doussor Que
fan l'anzel novellamen, Pel
temps qu'es tornat en verdor E
son de flor cubert li ran Gruec
vermelh è vert è blan. Belle
n'est la fleur d'églantier, Lorsque
j'entends la douce joie Qu'exhale
l'oiseau printannier, Au
temps où la plaine verdoie, Et
qu'on n'aperçoit dans les champs, Que
bouquets rouges, verts et blancs. Or,
dans ces vers qui appartiennent, je le répète, à la langue romane, langue
poétique et politique de tout le midi, nul trait distinctif pour l'Auvergne.
Le caractère général de la langue romano-méridionale était l'unité et
l'uniformité la plus rigoureuse, soit qu'on la parlât au sud, à l'est, à
l'ouest ou au nord de la partie Aquitanique. Il n'en était pas de même des
Patois qu'une teinte locale distinguait toujours. Ainsi, le Patois auvergnat,
congénère avec les Patois montagnards, et composé des mêmes éléments
gallo-romains, plus mêlés de grec toutefois, était séparé des dialectes
voisins par une série d'idiotismes qui lui donnaient une couleur toute
particulière. Profusion de voyelles, grand penchant à l'élision, emploi
fréquent du z reproductif du S des Grecs, adoucissement des consonnes fortes,
et, de préférence, pour les finales en a et en ia
; voilà ce qui, au Moyen Age, caractérisa d'abord le Patois d'Auvergne. Il
était le premier d'ailleurs qui eût substitué le v
à l’s et le c même, comme il fait encore
aujourd'hui. Quant
au Patois dauphinois qui ferme le cercle des Patois méridionaux, il se
présentait, quoique dans une zone bien éloignée, avec les mêmes teintes
françaises que le bordelais. Comme ce dernier, en effet, il avait l'e muet
pour terminaison, là où les autres dialectes employaient rigoureusement les
voyelles o ou a, et de plus il fourmillait d'une terminaison en i qui lui était
propre : Table
qui brande, Filli
qui landre E
feuna qui parla Inli, Fara
toujou n'a mala fi. Table
qui branle, Fille
qui court Et
femme qui parle latin, Feront
toujours mauvaise lin. Le
fonds, du reste, se composait, comme chez les autres, d'un mélange de celtique,
de grec, de latin, parsemé de mots barbares en état d'insurrection contre
toutes les règles grammaticales de l'ancienne latinité, ce qui lui avait
mérité, à très-juste titre, le nom de rustique. Ita nempe rusticam appellabant quia latinitatis legibus
absens esset prorsus et barbaris polissimum aspersa vocabulis. (DUCANGE, Glossarium
mediœ et infimœ latinitatis, t. I.) Telle
était la famille méridionale des Patois de France, au Moyen Age. Celle des
Patois purement français, du septième au seizième siècles, s'y rattachait par
les liens les plus étroits, comme le prouvent les conciles de Mayence, de
Tours, de Reims, un capitulaire de Charlemagne, Orderic Vital, Helganct,
l'auteur de la Vie de saint Suger, Rheginon, saint Eloy, Pascase Radbert,
Gérard de Corbie, Bérenger, Mabillon, Ducange, Fleury, auteur de l'Histoire
ecclésiastique, etc. Ainsi, Marie de France appelait l'agneau aignel, et Giraud Riquier le troubadour, anhel ; août, dans la traduction du
Castoiement, se dit aost, et dans Mathieu de Quercy, agost. Verjus s'exprime, dans les Ordonnances
des rois de France, par aigrest, et dans la traduction
d'Albucasis, par agras, nom méridional actuel.
Rabelais appelle aguar (hagard), ce que le Breviari d’amor
(le
Bréviaire d'amour)
appelle aguer. L'eau, dans le nord, est, en
1266, comme on le voit dans un vieux titre conservé par Pérard, aigue, et au midi, aigua (Vie de saint Honorât). Dans la traduction du Psautier
de Corbie, aube se dit albe, et dans le troubadour Bertrand d'Alamanon, alba, de même pour aries bélier, bague bagage, baube bègue, balme grotte, barri faubourg, barnaige noblesse, batail battant, bésil renversement, chamel chameau, cainsil chemise, capitani capitaine, cive oignon, astèle éclat de bois, colp coup, cors cœur, mont monde, mes mois, clerciet clergé, negim personne, pareil mur, piel cheveux, plusor plusieurs (Cartulaire d'Auchy), doneor prodigue, escars avare, relinquir laisser, qu'on trouve simultanément dans les Prophéties de
Merlin, le Roman de Fier-à-Bras, la Récollection des histoires de France, la
Vie de saint Carpentier, les Ordonnances des rois de France, les Vigiles de
Charles VII, Rabelais, le Roman de Brut, celui de la Violette, les
Ordonnances de Philippe VI, le Roman de la Rose, la deuxième Chanson d'Audefroy-le-Bâtard,
le Roman de Rou, les Sermons de saint Bernard, la lettre de Cancy à Édouard
Ier, roi d'Angleterre, l'Histoire de Metz, par D. Tabouillet, Villehardouin,
Benoit de Saint-More, le poëme de saint Brandaines, J. de Meung, l'Histoire
de Cambrai, par Le Carpentier, les Statuts de Montpellier de 1204, la
Chronique des Albigeois, celle des Apostols de Roma, Isarn l'inquisiteur,
Bertrand de Born, Marcabrus le Gascon, Pierre Vidal de Toulouse, le Roman de
Jaufre Pavre le troubadour, le Bréviaire d'amour, Arnaud de Marsan, Estève,
Pierre, cardinal du Puy, l'Histoire vulgaire de la Croisade albigeoise,
Guilhem Figuieras, Alegret, et Pons de Capdueil. D'où l'on peut conclure avec
l'abbé Lebeuf (Histoire littéraire de France, t. IX), que dans la plupart des
provinces anciennement gauloises, on parlait au Moyen Age une langue vulgaire
peu différente de celle des Limousins, des Périgourdins et des Provençaux.
Tout ce qui distingue, en effet, d'une façon tranchée, les Patois purement
français des Patois romans du midi, c'est la terminaison sourde, c'est l'e
muet, c'est ensuite la couleur terne et froide des idiomes sur lesquels
semble déteindre le ciel bas et nuageux de l'ouest et du nord. Voici quelques
exemples qui suffiront à démontrer notre assertion, en mettant en regard des
fragments des principaux Patois reproduisant le même texte, soit la première
phrase de la parabole de l'Enfant prodigue : Un
homme avait deux enfants, le plus jeune desquels dit à son père : Père,
donnez-moi la part qui me revient de vos biens, et le père fi t le partage. Nous
soulignons tous les mots appartenant en même temps au roman méridional : PATOIS DE CAMBRAI (NORD) In
horn avau deux fins ; e 1' pus josne di à sin père : Min père, done'm cheu si
peu mi revnir d'us bien, et chin père lie us a fez le partage de sin bin. PATOIS D'ARRAS (PAS-DE-CALAIS). Ain
home avouait deuss garcheons ; l1 pus josne dit à sain père : Main père,
bailie me cheu qui doit m'revenir ed vou bien ; et leu père partit sain bien. PATOIS ARDENNAIS. Ou
n'oum avo deu s'afan ; dou l'pu jaun di à s'per : Mu per, bayo me c'qui do
m'revéneu d'vo bin. PATOIS DE LA MOSELLE. Ain
oume aiven daoz (duos) offans ; lou pu jonne de daut
deheu ait se pairre : beilleume ce que deu m'revenain de vole bain ; et le
pairre li ao feyen le partaigc de se bain. PATOIS DU HAUT-RHIN. In
haume aivait doux fès, et lo pu juenediait à son père : Baye me lai pait du
bin que m'revinl. PATOIS DE LA HAUTE-SAÔNE. In
home avot dous boubes ; lo pu june dizi (dixit) à sen père : Baillie me la pa
de bin que m'venin. PATOIS DU DOUBS. N'home
aiva dous offants ; don lou pu juene diset à son père : Baillame ce qu'doit
m'reveni. PATOIS PICARD. Eun
homme avœt deux fieu ; el pu jeune di à son père : Men père, baillemme ce qui
est à mi de vot' bien. PATOIS DU MORVAN (NIÈVRE). Ein
homme aivot deux renfans ; le pu jeune das deux dié ai sin père. PATOIS DE LA CHARENTE. Un
hom' avid dou afan ; et le pus joiine disse à son paire : Moun paire,
baillais m'la part deux bien : et le paire lour partagé son bien. PATOIS GAVACHE, DE LA GIRONDE. Un
home avai deu gouya ; don le pu jeune dissit à sm père : Baillez men ce que
je dioui augere de votre bien. LIGNE SÉPARATIVE
DES DEUX LANGUES D'OC ET D'OYL, DANS LE CANTON DE LA VALETTE, DÉPARTEMENT DE LA CHARENTE. Un
home avo dou éfan ; e lou pu jaoune d'ou disse à sown paï : Moun pai,
baillame la par d'aou bè que m'revè ; et lou pat li partagd soun bé.,. Que si
nous franchissons les frontières, nous trouverons, dans les pays limitrophes,
le même dégagement du latin, et dans les Patois de Flandre et de la Suisse
romane, partout les mêmes traits et la même couleur. PATOIS DE LIÈGE. In
homme aveut deux fils ; li pus jône des deux l'y dit : Père, dine m'gou qui
m'vint ; et volà qu'ilz y fait leur partèche.. Po de jour après li pus jone
pate et va bin long. PATOIS WALLON. Jun
yaveva oun homme qaaveva deux fils, et 1'pu jonè des deuss dilia atou s'père
: Père, duno me la part do l'heritetge qui m'vint, et i partiha s'bin inte
leux deux ; nin binco d'jours aprèt l'pu jone valet, ramassa to ço qu'il
aveva, et in alia bin long. PATOIS DE SAINT-MAURICE EN VALAIS. On
n'omo aveive dous meniots ; don le pie djouveno a det à son père : Bailie mey
le bin que me dey venir. PATOIS DE DELEMONT (CANTON
DE BERNE). In
haume avait doux fès ; le pus d'jeune de doux prayet son père de yi bayie le
pait quel povar prétendre. PATOIS DE GENÈVE. On
omo avai dou garçons ; le pè djouane dezai à san pare : Bailli me ceu que dai
me revegny de noutron bein. PATOIS DU
CANTON DE VAUD. On
ommo avait doux valets ; dont le derrai deyà à son pairè : Mon pairè, baillè
me la funda de bin. PATOIS DU CANTON DE FRIBOURG. On
omo li u dou fe ; le plie dzoueno d'intre lau deje a schon pare : Baliide me lu pa. CANTON DES GRISONS. Un
hom avaiva duos fils ; et il juven d'el dichet al bap : Bap,
dom' la part della faculted chf iun po tucher. Tous
les Patois français du centre, du nord, de l'est ou de l'ouest, offrent la
même ressemblance avec les Patois méridionaux ; dans les Vosges, on chantait
au Moyen Age les chansons de Thibault le roi de Navarre, où abondaient les
expressions purement romanes : Mauvais arbre ne peut florir. On
récitait, aux veillées des châteaux et des villages, ces vers du Fabliau de
la châtelaine de Coucy et de l'ermite qui s'enivre : Tant
vos am el vos prie bonnement Ne
por olre ne puis estre amouroux, Nus jenolz à terre se mist. Le
dialecte de Metz était enrichi, à la même époque, par des expressions
caractéristiques qui, existant seulement au midi de la Loire, attestaient, de
la façon la plus éclatante, l'étroite parenté des deux familles de Patois. Trop
friand à manger la soupe Séchaulde la langue et les pottes (lèvres, de potus, boisson). (Chronique de la noble cité de Metz.) Avec tous des hostieux servants ou fait de taverne
est assavoir nappes, pois, mesures, hanaps, bans, taüls (tables). (Chirographe du 25 février 1590.) Ce
dernier exemple est précieux, en ce sens qu'il prouve que les Patois du nord
subirent les mêmes règles de formation que les Patois du midi ; ainsi,
partout où figurait primitivement le b, l'élision le fit disparaître. Les
romans méridionaux construisirent ainsi leur mot taillas de tabulas, et
furent imités, comme on le voit, par les romans du nord. Au reste, plus on
creuserait la question, el plus le parallèle rendrait l'analogie frappante.
Ces deux couplets, dont la Bresse et le Jura revendiquent la propriété,
seraient entendus encore dans les trente-sept départements du sud : Vettia
veni lo zouli moa ; Laisso
brotonno lo boa. Veltia
veni lo zouli moa Lo
zouli boa brolonne. Faut
laisso brotonno lo boa, Lo
boa dou zintilhomme. On
dzor d'aderri Que
la na vola vcni, Las
ouaisais de ny, Cuideron
se reilzoÏ, O
se son butas Tout
en un ebas. Voici
venir le joli mois. Laissons
reverdir le bois ; Voici
venir le joli mois, Le
joli bois reverdit. Il
faut laisser reverdir le bois, Le
bois du gentilhomme. Un
jour d'automne Où
le ciel était neigeux, Les
oiseaux de nuit, Voulant
se réjouir, Se
mirent tous En
un monceau. Et
qu'on ne croie pas les autres dialectes moins riches en preuves. Au Moyen
Age, les paysans de la Bretagne, qui ne parlaient pas le celto-breton,
appelaient, comme le Toulousain et les habitants de Quercy et de l'Auvergne,
les pièces de bois, billes ; les balayures, bourriers
; les morceaux de bois, du grec, bronchons ; la lessive, buée ; les guêtres, gamache, du germain kamaschen ; le juchoir pour les poules, joc ; les chiffons, peillot ; l'homme grossier, tocson ; l'oseille, vinette. Les Beaucerons exprimaient, comme dans le midi, par bader, l'action de perdre son temps ; et nommaient : bondar, gaviaux, gourre, l'oustaux, paquant, le tampon, le gosier, la maison, les endroits profonds des
rivières et les méchants drôles. Enfin, à Courtisols, dans la Marne, de même
qu'en certains districts de la Normandie, dont les dialectes, selon Orderic
Vital, sortent évidemment du latin, l'idiome vulgaire revêtit une forme
gréco-romaine. Là, tomber se dit trezi (cadere) ; s'enivre, pionna, du grec boire ; la jument, egga (equa) ; la belette, matella (mustella) ; le soc, reilla, la marmite, aula (olla) ; beau, galé, du grec ; bière, va,
du celtique vas, tombeau. Aux
deux grandes familles françaises se rattachent les deux groupes principaux
composés des autres Patois européens, le groupe méridional dans lequel
s'embranchent les Patois corses, espagnols, portugais, italiens, suisses,
romans et valaques, et le groupe septentrional, dont les rameaux immenses
couvrent la Belgique, l'Angleterre, 1 Allemagne et les pays Slaves. Les
Patois corses, dégagement brusque du latin parsemé de mots grecs, ce qui
s'explique par l'origine phocéenne des premiers habitants, se développèrent
parallèlement et dans les mêmes conditions que les Patois d'Italie et de
Provence. En général, si la couleur italienne dominait au Moyen Age, comme on
le voit par le testament du comte Polverello, qui, en 1126, légua aux évêques
d'Ajaccio ses terres du Frasso, les vassaux, l'étang, les eaux, la maison et
le port : Frasso et vasali, con stagno et
acqup, terre, casa sua, porto ; au fond, la plupart des mots étaient les mêmes qu'en Provence.
Dans cette dernière contrée, par exemple, un des termes les plus usités au
Moyen Age, fut celui de solier, qui voulait dire galetas ; or, en Corse, ce
même mot était employé pour dire le premier étage ; maison d'un étage, casa à solajo. Les Patois corses formaient deux branches :
celles d'en-deçà et celle d'au-delà des montagnes. Les populations placées
sur les versants opposés du Monte-Rotondo ou du Monte delle Oro, dont la
chaîne coupe l'île dans sa plus grande largeur du nord-ouest au sud-est,
employaient des expressions toutes différentes pour rendre la même idée. D'un
côté, ils disaient et disent encore gustare pour souper, et de l'autre cœnare. Quant aux habitants de Bonifacio, qu'on pourrait séparer de
l'île (au
dire du baron de Beaumont)
sans qu'ils daignassent s'en apercevoir, ils ont retenu, des Génois, maîtres
de la Corse de 1452 à 1561, un dialecte particulier, et de ces vieux mots
qu'on ne retrouve dans aucun des deux autres Patois corses. Ceux-ci se distinguent
toutefois par un idiotisme assez remarquable et qui remonte au treizième
siècle ; alors, comme dans les siècles derniers, certaines finales en o
se changeaient en u : fattu pour fatto, departimentu pour dopartimento. Les principales compositions
auxquelles se pliaient merveilleusement les Patois corses, étaient ces
improvisations poétiques sur les morts (vocerare) et ces chants sauvages qui depuis tant de siècles font retentir
les makis des menaces de la vendetta. L'origine
des dialectes espagnols fut celle des dialectes corses ; issus du latin,
mélangés de débris ibères, gothiques et surtout arabes, ils se formèrent lors
des guerres de Charlemagne et de ses successeurs contre les enfants du
Prophète. Forcés de reculer devant la croix, les Arabes, si l'on s'en
rapporte à la chronique Barcine, furent remplacés en Catalogne par des
colonies d'Aquitains. Celles-ci transplantèrent sur leur nouveau sol et leurs
mœurs et cette langue vulgaire qui ne tarda pas à y jeter de fortes racines. Le
même système de colonisation militaire la propagea dans le royaume de Valence
: après l'expulsion des Maures, les soldats de l'armée victorieuse, qui
succédèrent aux fils d'Allah, étaient, en majorité, catalans. Selon Ducange,
au reste, ce Patois, nommé tantôt catalan, tantôt limousin, fut en usage à
Tolède, dans le royaume de Léon, dans les Asturies, dans l'Estramadure, le
royaume de Grenade, la Galice, l'Andalousie et l'Aragon. Les jésuites de
Trévoux en ont signalé l'existence dans le royaume de Valence, dans les îles
de Mayorque, de Minorque et d'Yvice. Telle était la vogue de ce dialecte
catalan ou limousin, au Moyen Age, que James, roi d'Aragon, eut un instant la
pensée, au rapport de Bernard Gomez, de l'employer à la transcription de ses
décrets, et qu'il ne recula que devant la fierté nationale des Aragonais. Il
ne paraît pas inutile d'observer, avec Mariana, Calça, Escolan et André
Bosch, que ce dialecte était le Patois du Languedoc. Sans
outrer l'opinion de Bembo et de Cittadini, qui ont écrit que la langue
vulgaire italienne existait au temps même de la splendeur du latin, il est
impossible denier l'antériorité de cet idiome rustique ou Patois, Muratori,
dit-on, en a cherché en vain les restes ; d'abord, le savant historien avoue
lui-même que, s'il n'a pas découvert de charte contenant quelque fragment de
cette ancienne langue, il a trouvé quelques recettes pour teindre les
mosaïques, où, parmi un latin fort grossier, se rencontrent, aux dates des
huitième, neuvième et dixième siècles, des mélanges de langue vulgaire. (MURATORI, Dissert. 32.) Puis, un auteur du dixième
siècle, le plus compétent par conséquent, Gonzon, n'affirme-t-il pas le fait
en ces termes ? Le Moine de Saint Gall
m'accuse à faux d'ignorer les règles de la grammaire, bien que je sois gêné
quelquefois en écrivant par l'habitude de notre langue vulgaire qui est voisine
du latin. Cette
langue vulgaire fut la mère de tous les Patois d'Italie qui se rapprochaient
extrêmement des Patois provençaux, comme l'avoue Sperone Speroni — ella monstra nella fronte d'aver avuta la origine da
Provenzali —, et
qui n'offrent entre eux, à part quelques idiotismes particuliers ou
piémontais et quelques débris de l'ancien étrusque en Toscane, que d'assez
légères différences de prononciation premièrement — d'où le proverbe, lingua Toscana in boca romana —, et ensuite de terminaison.
Le Savoyard, qui côtoie le piémontais d'un côté, et le Patois français de
l'autre, participait de ces deux langues, au Moyen Age, ainsi que le prouve
cette vieille chanson : Noutrhon
prinschou de Tchavoya Lie
Mardjuga ! un bon infant ! Ah
! vertuchoux ! gare ! gare ! gare ! Ah
! rantamplan ! Gare
de devant !... Ab
por sa cavalaria Quatro
piti caion blan (quatre petits cochons blancs). Ah
! verluchoux ! etc. Arriva
sur la montagna. Grand
Diou ! que Iou mondc est gran !... Ah
! vertuchoux ! etc. E
finide la campagna : Garrion,
retornons-nos-en ! Ah
! vertuchoux ! etc. Quant
aux dialectes portugais, tout ce que nous venons de dire de l'espagnol et de
gal, en effet, avait suivi les l'italien leur est applicable de point en
point. Le Portugal, en effet, avait suivi les mêmes fortunes ; il avait été
celte, il avait été romain, il avait obéi aux Goths, aux Arabes : l'affinité
fut complète jusqu'en 1072. A cette époque, une révolution militaire vint
modifier la langue vulgaire du Portugal dans le sens languedocien et béarnais.
Enflammés par la brillante renommée du Cid, Henri de Bourgogne et son cousin
Raimond traversèrent la France pour aller conquérir en Espagne gloire et
butin sur les Infidèles. Le mal des
ardents décime
en chemin leur petite armée ; elle se recrute dans le Béarn. Cinq cents
chevaliers du pays suivent le Bourguignon sous la bannière de Gaston le Noir.
En Espagne, ils firent des prodiges. Alphonse de Castille les récompensa par
la main de sa fille et par le gouvernement du Portugal érigé en comté. Guimaraëns
fut la capitale d'Henri. En prenant possession de cette ville, il y
naturalisa l'idiome béarnais, qui s'étendit de là, grâce aux établissements
de ses chevaliers, et déteignit complètement sur le Patois portugais, dont
ceux qui avaient ignoré ce fait historique ne s'expliquaient pas l'étroite
ressemblance avec les Patois du Béarn. Que si
l'on excepte maintenant les Patois valaques et moldo-valaques, qui sont de pure
origine romano-méridionale, et les Patois romano-français de la Belgique, les
autres Patois du nord n'avaient pas cette unité, cette physionomie tranchée
qui distinguaient les Patois du sud. En Angleterre, à la vérité, on trouvait,
dans le Yorkshire, le Somersetshire, le Lancashire, le Devonshire et le
Cumberland — nous ne parlons ni du gaélique ni de la langue erse —, quelques
Patois servant surtout à des compositions satiriques et à ces sortes de
plaisanteries appelées squib par les Anglais ; mais, à
travers l'anglo-saxon qui en hérissait les termes, on reconnaissait
promptement l'invasion normande. On en peut dire autant des Patois germaniques
qui disparaissent au Moyen Age, dans cette langue allemande, grand et
magnifique fleuve coulant à pleins bords pour les Minnesinger, et des Patois
russes, trop effacés dans un pays où la langue d'ailleurs n'a pu devancer la
civilisation et a dû rester barbare comme les boyards jusqu'à Pierre le
Grand. MARY-LAFON, De la Société des Antiquaires
de France. |