LE MOYEN-ÂGE ET LA RENAISSANCE

PREMIÈRE PARTIE. — MŒURS ET USAGES

MŒURS ET USAGES DE LA VIE CIVILE

 

UNIVERSITÉS, COLLÈGES, ÉCOLIERS.

 

 

§ 1. — UNIVERSITÉ DE PARIS ET PRINCIPALES UNIVERSITÉS DU MOYEN ÂGE.

 

ENSEIGNEZ les nations (Ite et docete, MAT., XXVIII, 19), avait dit aux apôtres le Christ ressuscité. Tel était le titre sur lequel reposait la mission dont l'Église prit l'initiative, et qu'elle accomplit presque sans partage pendant tout le cours du Moyen Age. Les écoles de Marseille, d'Autun, de Lyon, de Bordeaux, de Narbonne, de Clermont, de Toulouse, qui, jadis et sous la domination des vainqueurs, avaient jeté sur la Gaule un si vif éclat littéraire, grâce aux noms des Pétrone, des Trogue-Pompée, des Salvien et des Césaire, ces écoles, dès le sixième siècle, n'étaient plus même un souvenir. Avec le mérovingien Dag-Bert, ou Dagobert Ier (638), s'étaient éteintes les dernières lueurs des traditions publiques qu'avait laissées sur notre sol le génie de l'antiquité. Le clergé, tant régulier que séculier, était devenu le suprême et unique asile des lettres et des connaissances humaines. Et cet asile lui-même s'ouvrait à l'ignorance et a la barbarie. Telle était la situation des choses lors de la venue de Charlemagne On sait les efforts qui furent tentés et les mesures prescrites par ce grand homme pour y porter remède. Un de ses capitulaires, adressé à Baugulf, abbé de Fulde (BALUZ., Capitul., I, 201), ordonne la restauration des écoles épiscopales et cénobiales. Par ses soins, le moine anglais Alcuin et les plus célèbres clercs étrangers, dont la renommée était venue jusqu'à ses oreilles, furent mandés dans ses États. Il réunit autour de lui ces savants, dans une sorte d'académie, dont lui-même était un des membres les plus zélés. Les manuscrits des monastères furent révisés, multipliés et transcrits avec une critique plus sévère et plus éclairée. L'écriture enfin fut régénérée. Ces incontestables services rendus à la littérature, les bienfaits immenses qu'ils produisirent, agrandis encore par le prestige des âges et la reconnaissance des générations, valurent au nouveau césar le titre de fondateur et aussi de patron de l'Université ; double auréole, dont la gratitude des siècles, plus fidèle dans sa poésie que docile aux démonstrations de l'histoire, n'a point encore complètement découronné le front de saint Charlemagne. Cette première opinion, qui fut la pensée publique durant tout le Moyen Age, et qui trouva de graves soutiens jusqu'à la lumière de la critique moderne, est elle-même un fait trop important acquis à l'histoire, pour que nous n'en consignions pas ici l'expression, je ne dirai pas la plus pure, mais la plus pleine et la plus complète. Voici donc ce que rapporte à cet égard le compilateur Nicole Gilles, un des premiers écrivains qui, chez nous, aient tenté d'élever la Chronique à la hauteur de l'Histoire :

En ce temps vindrent d'Yrlande en France deux moynes qui estoient d'Escosse, lesquels estoient moult grans clercs et de saincte vie ; et par les cités et par les pays preschoient et cryoient qu'ils avoient science à vendre et qui en vouldroist achepter vînt à eulx. Ce qui vint à la cognoissance de l'empereur Charlemaigne, qui les feit venir devers lui et leur demanda s'il estoit vray qu'ils eussent science à vendre. Lesquels respondirent que voirement ils l'avoient par don de grâce de Dieu et qu'ils estoient venuz en France pour la prester et enseigner à qui la vouldroit apprendre. L'empereur leur demanda quel loyer ils vouldroient avoir pour la monstrer. Et ils respondirent qu'ils ne vouloient riens, fors lieux convenables à ce faire et la substance de leurs corps tant seulement, et que on leur administrast gens et enfans ingénieux pour la recevoir. Quant l'empereur les eut ouya, il fut bien joyeulx et les tint avec lui jusques à ce qu'il convint aller en guerre. Et lors commanda à l'ung d'eulx nommé Clément qu'il demourast à Paris et luy fist bailler les enfans de gens de tous estats les plus ingénieux que on sceust trouver, et fist faire lieux et escolles convenables pour apprendre, el commanda que on leur administrast tout ce qui leur seroit besoing et leur donna de grands privilèges, franchises et libertez. Et de là vint la premiere institution du corps de l'Universite de Paris, qui estoit à Rome, où, par avant, d'Athènes elle avoit esté translatée. (Annales, 1544, in-4°, f° lj, v°.)

 

La première rédaction de ce récit, reproduction altérée d'un passage du moine de Saint-Gall (De religiosit. Carol., cap. I), appartient à Hélinand, moine du douzième siècle, copié à son tour, et mis pour nous en lumière par le célèbre Vincent de Beauvais, auteur du Miroir historial. Cette opinion eut cours, et fut l'objet d'un crédit à peu près incontesté jusqu'à Étienne Pasquier, l'éloquent et impartial avocat de l'Université, qui, dans ses Recherches de la France (1723, in-f°, t. I, p. 891), démontra, de concert avec Loisel (Plaidoyer devant la cour du parlement, ap. BULLÆUM, Histor. Universitat. paris., t. i, p. 125.) et André Duchesne (Prœfat. ad B. Alcuini opp.), ses contemporains, le peu de fondement historique de cette légende. Près de cent ans plus tard, au siècle des Du Cange et des Mabillon, le docte annaliste de ce même corps, César Égasse Du Boulai (Hist. Univ. paris., t. I, p. 91 et seqq.), déployait une érudition désespérée à la défense d'une cause qui comptait encore de nombreux partisans. Et enfin, dans les derniers temps de la monarchie, à une époque où certes, pour les institutions du Moyen Age, le temps des illusions était passé, son dernier historien, l'honnête et timide Crevier (t. I. VII et passim), ne touchait qu'avec une réserve et un embarras marqués à cette tradition sacramentelle. S'il est vrai, en effet, comme nous l'avons ci-dessus indiqué, que l'empereur des Francs avait établi dans son propre palais, c'est-à-dire au sein de ses résidences variables, une véritable académie, ainsi qu'on en peut juger par les traces curieuses que les œuvres d'Alcuin nous en ont conservées (Alcuini opera, éd. Duchesne, 1617, in-f°, p. 1386 et passim), il est plus que douteux que cet institut nomade ait jamais fixé son siège à Paris, ville peu fréquentée par Charlemagne. Il est bien moins constant encore qu'on puisse voir là une institution concertée et durable, et surtout une suite de maîtres qui, sous l'égide du pouvoir royal, se soit régulièrement perpétuée jusqu'aux temps réellement historiques de l'Université parisienne.

Quels qu'aient été à cet égard, et à des intervalles bien éloignés, les efforts intéressés des universitaires, tout semble au contraire démontrer que ces remarquables tentatives du grand empereur, comme tant d'autres ébauches de son génie, ne survécurent pas à la main puissante qui les avait produites, et que les écoles de Paris, ainsi que nous le voyons dans l'histoire de toute la chrétienté, naquirent et se développèrent sous l'autorité et sous les auspices de l'Église. Quant à l'étymologie du mot Université, qui fournit en même temps l'origine de la chose, nous pensons que les divers auteurs qui ont traité ce point, depuis Étienne Pasquier lui-même jusqu'à Du Boulai, Sauvai et Crevier, n'en ont point saisi avec une exacte précision le sens primitif et l'histoire grammaticale. Dans la diplomatique du Moyen Age, le mot universitas s'applique à une collection ou catégorie quelconque de personnes à qui s'adresse un acte ou une pensée ; noverit universitas vestra : sachez tous. Peu à peu, cette formule de pur style, qui s'appliquait à tous les protocoles du monde, prit un sens restreint, spécial et détourné ; elle finit par indiquer individuellement l'université des étudiants de Paris ; puis, l'institution publique, le corps de l'État, que ces étudiants formèrent ; puis, le quartier de la ville qui leur était réservé. De même, pour choisir dans la langue un terme de comparaison sensible, ces mots : Votre Majesté ou Sa Majesté, simple périphrase, dans le principe, du pronom personnel, sont devenus, avec le temps, la dénomination consacrée de la personne royale.

Les annales de l'Université de Paris commencent à peu près avec Abailard, cette figure historique restée si vivement empreinte dans la mémoire populaire. En 1107, lorsque l'infortuné docteur vint pour la première fois dans cette ville, l'école était encore pendante au giron de l'Église. C'est au cloître de Notre-Dame qu'enseignaient maître Guillaume de Champeaux, le grammairien, archidiacre de la cathédrale, et le théologien maître Anselme de Laon, dont il suivit d'abord les leçons célèbres, et qu'il devait bientôt supplanter l'un et l'autre. En H 69, au rapport de Raoul de Dicet et de Mathieu Paris, Henri II, roi d'Angleterre, proposait de soumettre le différend qui le divisait avec Thomas Beket, archevêque de Cantorbéry, au jugement impartial des écoliers des diverses nations, étudiant à Paris — scholaribus diversarum provinciarum æqua lance negotium examinantibus. Ap. BULL., Hist. Univ. par., t. II, p. 364 — ; déférence remarquable qui témoigne à la fois de l'autorité de ces études, et qui accuse en même temps quelques premiers symptômes d'organisation. En 1195, le même Mathieu Pâris mentionne un abbé d'Angleterre qui, dans sa jeunesse, avait fait ses études à Paris et y avait été reçu dans la compagnie élective des maîtres. — In electorum magistrorum consortium. Vita Johannis de Cella, abbat. S. Albani. — Le diplôme de 1200, donné à Béthisy par Philippe-Auguste, et qui faisait le fondement des privilèges de l'Université, nous montre ce corps pourvu d'un chef (capitale), dont l'immunité, ainsi que celle de tous ses membres, par rapport à la justice laïque, est solennellement garantie. (BULL., t. III, p. 3. Ce chef fut ensuite appelé recteur.) Enfin, c'est seulement en 1260 (BULL., t. III, p. 358, 562 et seqq.), que nous voyons le corps universitaire muni de tous ses organes et parvenu à son complet développement.

 

Déroulons ici le tableau de cette organisation.

NATIONS. — Dès le principe, une division naturelle s'établit entre les jeunes gens que la réputation des écoles parisiennes y faisait affluer de tous les points de la chrétienté. L'analogie de langue, d'intérêts, de sympathies, les groupa tout d'abord par nations. Peu à peu, ces réunions spontanées prirent une forme plus régulière, et pourvurent au gouvernement de leurs intérêts communs. Il y avait quatre Nations : celle de France celle d'Angleterre, celle de Normandie et celle de Picardie.

La nation de France se composait de cinq tribus, qui comprenaient les évêchés ou provinces métropolitaines de Paris, Sens, Tours, Reims, Bourges, et tout le midi de l'Europe : ainsi, un écolier du diocèse de Barcelone, qui venait étudier à Paris, était de la nation de France.

La nation d'Angleterre, dont le domaine n'était pas moins étendu, embrassait toutes les contrées du nord et de l'est étrangères à la France actuelle. Elle se divisait en deux tribus : celle des insulaires et celle des continentaux. Le nom d'Angleterre étant devenu un objet d'exécration pour les Français au sein même de leur capitale, soumise à son autorité, on y substitua le nom d'Allemagne, et depuis la rentrée de Charles VII à Paris en 1436, cette nouvelle dénomination remplaça la première dans les actes publics. Ce changement avait été sollicité dès 1377, pendant le séjour à Paris de l'empereur Charles IV. (BULLÆUS, de patron. IV nat., p. 70. — PASQUIER, Recherches de la France, col. 939. — REG. MSS. DE L'UNIV., n° 8, lib. procur. nat. alleman., f° 56.)

La nation de Normandie n'avait qu'une tribu, correspondant à la province de ce nom.

La Picardie en avait cinq, qui consistaient dans les diocèses de Beauvais, d'Amiens, de Noyon, de Laon et des Morins ou de Thérouanne, évêché transporté depuis à Saint-Omer.

FACULTÉS. Arts. — Les quatre Nations réunies formèrent d'abord l'université des études, mais plus tard, lorsque les facultés se constituèrent, ces mêmes nations ne composèrent plus que la Faculté des Arts. Cette dénomination comprenait dans l'origine tout le cercle des connaissances qui s'enseignaient publiquement. Les arts libéraux, qui, dans notre division actuelle des connaissances classiques, correspondraient en partie au domaine des sciences et des lettres, embrassaient le trivium, c'est-à-dire la grammaire, la rhétorique et la dialectique, et le quadrivium, ou l'arithmétique, la géométrie, la musique et l'astronomie.

Théologie. — En 1259, les frères prêcheurs, ou dominicains, protégés par le crédit et l'affection particulière de saint Louis, finirent par obtenir d'être associés à l'Université, malgré la répugnance que ce corps manifesta toujours à l'égard du monachisme. Comme ces religieux ne pouvaient être assimilés qu'aux maîtres en théologie, ces derniers, secondés par l'assentiment de tous les autres maîtres ou docteurs en arts, et par la commune antipathie contre ces intrus, établirent une catégorie spéciale qui prit le nom de Faculté de Théologie. Ils furent bientôt imités par les décrétistes et les médecins, qui s'érigèrent en faculté de Droit et de médecine. Jusque-là, ces diverses spécialités d'études étaient restées confondues dans les attributions collectives des Nations, antique noyau, comme nous l'avons dit, de l'Université tout entière.

Malgré l'importance croissante et la supériorité relative que les trois facultés nouvelles prirent avec le temps, cette origine primitive du corps des Nations entraîna toujours pour lui une prépondérance évidente et la conservation de certaines prérogatives essentielles. Ainsi chaque nation nommait un procureur, et chaque faculté un doyen. Le mode d'élection des procureurs et le terme de leur emploi variaient suivant les nations. (BULL., III, 577.) La Faculté de Théologie, indépendamment de son doyen, qui était le docteur séculier le plus ancien en grade, élisait tous les deux ans dans son sein un syndic chargé de l'administration des affaires. Les deux autres facultés avaient deux doyens, l'un d'âge ou d'ancienneté dans le grade de docteur, l'autre en exercice et choisi tous les ans. Ces officiers, au nombre de sept, composaient le tribunal de l'Université et décidaient de toutes ses affaires. On voit donc que la Faculté des Arts avait à elle seule une part quadruple de représentation et possédait la majorité des suffrages ; elle jouissait en outre exclusivement du privilège de nommer le Recteur, ou chef de toute l'Université, qui ne pouvait être pris que dans son sein ; elle seule, enfin, avait la garde du trésor, des archives, l'administration du Pré-aux-Clercs et la nomination ou la présentation de tous les officiers non électifs de l'Université.

Droit. — En 1151, un clerc de Bologne, nommé Gratian, réunit en un nouveau corps, sous le titre de Décret, les diverses décisions des papes et des conciles, qui composaient la jurisprudence ecclésiastique, ou droit canonique. Ce recueil fut goûté du souverain pontife Eugène III, qui l'accueillit avec empressement, et en ordonna l'étude et l'enseignement dans les universités, ainsi que dans les églises. Telle fut parmi les écoles de Paris l'origine de la Faculté de décret, laquelle n'était d'abord qu'un démembrement de celle de Théologie. Vers la même époque, la découverte des Pandectes de Justinien, retrouvées en 1133 lors du siège d'Amalfi, vint augmenter les connaissances de l'Europe chrétienne en matière de droit, connaissances qui se bornaient alors à la possession du code Théodosien, des lois barbares et des capitulaires des rois de France. Cet événement ranima partout les études des jurisconsultes, et bientôt le droit civil vint prendre place dans l'Université de Paris, à côté du droit canonique. Mais les papes et les évêques, aux yeux desquels la théologie était la science suprême et la seule nécessaire, favorisèrent exclusivement le développement de cette faculté, et ne permirent l'exercice du Droit, qu'en tant qu'il se rapportait à la doctrine et aux intérêts de l'Église, c'est-à-dire du droit canonique. Vers 1210, Honorius III rendit une bulle célèbre (BULL., Hist. univ., part. III, p. 96) qui interdit l'enseignement du droit civil à Paris et dans les lieux circonvoisins, comme préjudiciable aux études théologiques. L'absurdité d'une telle prescription, en présence des besoins et des efforts croissants des études, n'en permit jamais la complète application, et la science du droit séculier ne cessa point d'étendre ses progrès. Ce ne fut toutefois qu'en 1679, sous le règne de Louis XIV, que le droit civil devint ou redevint en France l'objet d'un enseignement public et régulièrement constitué.

Médecine. — L'enseignement de la médecine paraît avoir pris naissance chez nous vers la fin du douzième siècle. Les religieux, qui, seuls, possédaient l'instruction nécessaire pour aborder avec fruit ces études, en furent les premiers dépositaires. Mais la discipline catholique ne tarda pas à contrarier ces premiers efforts. En 1163, le concile de Tours, présidé par Alexandre III, interdit aux moines, ayant fait profession, de quitter leurs couvents pour assister aux leçons de médecine et de droit civil — ad audiendum... physicam, leges ve mundanas ; PASQUIER, Rech., col. 911 —. Cette défense fut renouvelée, comme nous l'avons dit, à l'égard du droit civil, par le pape Honorius III, et reçut du reste la même inexécution. Les notions médicales de l'antiquité avaient été transmises au Moyen Age par les Grecs et les Arabes. L'école de Salerne et celle de Montpellier disputèrent et surpassèrent même, pendant longtemps, la renommée que la Faculté de Paris ne réussit que tardivement à conquérir. La médecine, d'ailleurs, science de faits et d'observations, ne pouvait réaliser de progrès sérieux, au milieu des préjugés de toute espèce, et sous l'aveugle autorité des catégories, des formules et des méthodes empiriques qui présidèrent si longtemps à toutes les études.

Par suite des idées morales introduites par le christianisme, sur la sainteté relative du célibat et de la société conjugale, le mariage fut, dans le principe et pendant la plus grande partie du Moyen Age, considéré comme incompatible avec la cléricature, et par conséquent avec l'exercice ou du moins avec l'enseignement public du droit et de la médecine. Vers 1447, un docteur en médecine de la Faculté de Paris, s'étant vu contester ses droits de régent ou professeur, comme ayant épousé récemment une veuve (BULL., V, 541 et seqq.), un procès s'engagea sur cette matière, et fut enfin soumis à la décision royale. Le roi Charles VII repoussa les motifs traditionnels allégués contre le docteur, et lui confirma la plénitude des droits qu'il réclamait. Quelques années plus tard, en 1452, lorsque, par les ordres du même prince, le cardinal d'Estouteville réforma l'Université, le principe de l'incompatibilité du mariage avec les fonctions universitaires fut définitivement rayé de la discipline, et ne fut plus appliqué par la suite qu'aux clercs engagés dans le sacerdoce.

RECTEUR ET SUPPOTS. — Le Recteur était élu par les Nations. La durée de son pou voir était d'abord d'un mois ou de six semaines. En 1278, le cardinal de Sainte-Cécile, légat en France, pour mettre fin aux abus qu'engendrait la brièveté du rectorat, réforma cet état de choses, et prescrivit qu'à l'avenir les fonctions du recteur s'exerceraient pendant l'espace de trois mois. (PASQUIER, Rech., p. 935.) Cet usage s'observa jusqu'à la fin du quinzième siècle, époque à laquelle le rectorat devint annuel, et même, par la suite, d'une durée encore plus prolongée. Les procureurs des Nations étaient d'abord chargés du soin d'élire le recteur ; mais des brigues scandaleuses s'étant produites, on commit quatre électeurs spéciaux pour déléguer cette fonction. Ces électeurs prêtaient serment de faire un choix honorable et utile à l'Université. Ils portaient le nom d’intrants, à cause du conclave dans lequel ils entraient pour cette nomination. Le recteur nouvellement élu recevait l'investiture du recteur sortant, et jurait à son tour de remplir son office pour l'honneur et le profit de l'Université.

De grands privilèges étaient attachés à la dignité de Recteur. Il exerçait sur toutes les écoles une juridiction souveraine, et ne reconnaissait point de supérieur sur tout le territoire de l'Université. Souvent appelé, pendant le cours du Moyen Age ; au conseil même des rois, il marchait de pair avec l'évêque de Paris et le parlement dans les cérémonies publiques. Il donnait à tous les écoliers, à tous les maîtres, les lettres de scholarité qui leur conféraient les privilèges de leur robe, et recevait d'eux le serment d'obéissance perpétuelle, à quelque dignité qu'ils pussent parvenir. Il nommait à tous les offices, tels que ceux de syndic, trésorier, greffier, grands et petits messagers, parcheminiers, libraires, relieurs, écrivains, enlumineurs, et enfin de bedeaux ou sergents de l'Université. Il ouvrait son avènement au rectorat et il célébrait la fin de son exercice par une procession solennelle, à laquelle il conviait, indépendamment de tous les suppôts que nous venons d'énumérer, les ordres religieux qui habitaient le territoire de sa juridiction. En 1412, dit Juvénal des Ursins, lors d'une procession de l'Université à Saint-Denis pour les malheurs de la guerre, le cortège était d'une telle étendue, que la tête de la procession entrait dans la ville de Saint-Denis, alors que le recteur était encore aux Mathurins. (Collect. MICHAUD et POUJ., t. II, p. 476.) En dehors de ces circonstances, tous les ans, le lendemain de la Saint-Barnabé (12 juin), avait lieu la célèbre fête du lendit, ou fête du parchemin, dont nous reparlerons plus tard. Ce jour-là, le recteur, vêtu de sa chape rouge et de son bonnet rectoral, monté sur une mule ou une haquenée, précédé de ses deux massiers, entouré des doyens, procureurs et suppôts, s'acheminait vers la foire de ce nom, qui se tenait à Saint-Denis. Il y prélevait, avant tous autres acquéreurs, la provision de parchemin annuellement nécessaire à l'Université et recevait des marchands une gratification qui, au seizième siècle, s'élevait à la somme de cent écus.

Le syndic, appelé aussi procureur, promoteur ou procureur fiscal, était, à proprement parler, l'administrateur de l'Université.

Le trésorier avait la gestion financière des revenus et des dépenses. Ces revenus consistaient notamment dans la taxe scolaire, dans quelques legs et fondations, dans le produit annuel du Pré-aux-Clercs et dans celui des messageries, dont nous allons parler.

Le greffier, secrétaire ou scribe, était chargé de tenir la plume, de lire dans les assemblées les pièces communiquées et de garder les registres de la compagnie.

On appelait grands messagers certains bourgeois notables, établis dans la capitale, qui servaient de correspondants aux nombreux écoliers venus à Paris de tous les pays de l'Europe. Accrédités par les familles, assermentés près l'Université, ils étaient exempts du droit de garde urbaine et partageaient les autres immunités universitaires. Ils devaient fournir aux étudiants, moyennant caution, l'argent dont ceux-ci avaient besoin, et veiller à leurs nécessites. Le nombre des grands messagers était limité à un seul par diocèse. Ils avaient sous leurs ordres, et sans nombre, de petits messagers ou simples facteurs, qui, sans cesse en route, portaient et reportaient perpétuellement de Paris à l'extérieur, et de l'extérieur à Paris, les lettres missives et autres envois, relatifs à l'enseignement ou aux élèves. Telle fut, à proprement parler, parmi nous, l'origine de la poste aux lettres et des messageries, qui ont été depuis élevées à l'état de services publics, la première par Louis XI, et les secondes par Louis XIV.

Les bedeaux, sergents, massiers, ou appariteurs, étaient au nombre de quatorze, deux par compagnie. Chaque Faculté, chaque Nation, avait deux bedeaux : le grand et le petit. Le recteur en exercice se faisait précéder des deux bedeaux de la nation qui l'avait fourni. Ces fonctionnaires, destinés dans le principe à un service de sûreté ou de cérémonie, finirent par tenir la plume dans les actes publics, et par devenir des personnages demi-serviles et demi-littéraires.

A ces officiers, grands et petits, il faut ajouter les deux conservateurs des privilèges de l'Université : l'un, conservateur royal, n'était autre que le prévôt de Paris, qui, lors de son installation, devait jurer de les respecter et de les maintenir ; l'autre, conservateur apostolique, était élu parmi les évêques de Meaux, de Beauvais et de Senlis. Il faut y joindre enfin les deux chanceliers, appartenant aux églises de Notre-Dame et de Sainte-Geneviève, sur lesquels nous allons revenir, en traitant des grades et de l'enseignement universitaires.

Quelques mots sur les patrons de l'Université trouveront ici une place naturelle et serviront à l'intelligence des sceaux usités en 1398 par les Nations et les Facultés de Paris : monuments inédits pour la plupart, que nous reproduisons pour la première fois, autant du moins que nous ayons su le faire, d'une manière exacte et complète.

L'Université de Paris reconnaissait deux classes de patrons : les uns dont l'invocation était commune au corps tout entier ; les autres qui recevaient seulement un culte spécial de la part des membres ou compagnies, telles que les Facultés et les Nations.

Nous traiterons d'abord des premiers. Au Moyen Age, la Vierge-Mère, ou, pour employer cette dénomination à la fois si gracieuse et si populaire, Notre-Dame, présidait, dans le culte des fidèles, à une multitude d'institutions non-seulement religieuses, mais civiles. On rencontre à chaque pas, dans les œuvres ou les souvenirs de cette période, la trace de cette poétique influence. Patronne de l'église et de la ville de Paris, Notre-Dame le fut aussi de l'Université parisienne ; son image se retrouve, à toutes les époques, sur les sceaux et autres emblèmes des écoles. Il faut y joindre sainte Catherine et saint Nicolas, qui figurent également sur le sceau le plus ancien de l'Université, et qui, du reste, étaient les patrons traditionnels, non-seulement de tous les clercs, mais de toute la jeunesse. A divers intervalles, des tentatives eurent lieu pour rendre les mêmes honneurs à saint Thomas Beket, archevêque de Cantorbéry, aux saints Côme et Damien, ainsi qu'à saint André. Quelques-uns de ces personnages devinrent à la longue les patrons définitifs de Nations ou de Facultés ; mais saint André resta seul, en compagnie de Notre-Dame, de sainte Catherine et de saint Nicolas, au nombre des patrons communs de l'Université.

Les Nations et les Facultés se choisirent de bonne heure, indépendamment de ce culte général, un certain nombre de saints protecteurs, en l'honneur de qui elles célébraient périodiquement des solennités religieuses, solennités auxquelles se mêlaient de très-mondaines réjouissances. En 1275, ainsi que nous aurons plus tard occasion de le rappeler, la multiplication excessive de ces fériés et les abus qu'elles avaient engendrés, firent reconnaître la nécessité de les restreindre. Un statut général de la Faculté des Arts ordonna donc que chaque Nation, en dehors des fêtes communes, ne pourrait en célébrer qu'une seule. (BUL., De Patronis quat. Nat., p. 47.) Cette règle, toutefois, ne reçut point une application rigoureuse, et nous allons seulement énumérer par ordre les noms des divers saints que les membres de l'Université invoquaient ou fêlaient séparément.

La Nation de France, aux douzième et treizième siècles, adressa des hommages publics à saint Thomas de Cantorbéry. Mais cette dévotion, instituée par la politique et combattue par elle, n'étendit point sur les esprits un empire unanime et constant, Cette Nation solennisait aussi l'anniversaire de saint Guillaume de Bourges, mort en 1209, archevêque de cette ville, et ancien écolier de l'Université de Paris. La figure de ce saint est probablement celle que nous trouvons deux fois, à la face et au revers, sur le sceau de la Nation de France qui pend au fameux acte de 1398. (Arch. du roy., J. 515, 14.) La tribu de Sens se réclamait particulièrement de saint Antoine.

Saint Nicolas était le patron ordinaire de la Nation de Picardie ; mais la tribu d'Amiens honorait spécialement saint Firmin. A côté de ce dernier, on remarque sur le sceau de la Nation de Picardie, qui date de 1398, un autre personnage, dont le nom, très-fruste, est écrit sur le champ de l'empreinte : S. Piatus (saint Piat), apôtre de Tournay, ville dont le diocèse formait, à cette époque, une des tribus de la Nation. Ainsi se trouve révélé le nom d'un second patron de Picardie, que ne mentionne pas Du Boulai.

La Nation des Normands se recommandait en premier lieu de Notre-Dame, ou de la vierge Marie ; le sceau de cette Nation, de 1398, nous représente une scène fort curieuse, où des nochers, pour conjurer l'effort du diable, personnification de la tempête, adressent leurs prières h Y Étoile des mers. Ils se plaçaient, en outre, sous la protection de leur illustre patron local, saint Romain, archevêque de Rouen.

L'antique patron de la Nation d'Angleterre était saint Edmond, roi de Norfolk et. de Suffolk, mort en 1017, martyr de la foi chrétienne. La tête ceinte d'une couronne et portant à la main un sceptre fleurdelisé, il figure sur l'un des sceaux de 1398, associé à saint Martin et à sainte Catherine. Charlemagne, honoré comme saint dès le douzième siècle en Germanie, regardé d'ailleurs comme le fondateur de l'Université et de la clergie au sein de la chrétienté, fut, de tout temps, invoqué par les écoliers d'Allemagne. Lorsque ce nom devint celui de la nation qui le porta, cette dernière célébra avec une nouvelle pompe et une solennité plus générale encore, le culte de cet immortel empereur. Toutefois, ce fut seulement en 1480 que Louis XI en fit une institution régulière et légale ; l'an 1487, la Nation d'Allemagne en accomplit pour la première fois les cérémonies. (REG. MSS. DE L'UNIV., n° X ; BUL., De Patr. quat Nat., p. 72-73.) Saint Charlemagne était aussi le patron spécial des messagers de l'Université.

Il ne paraît pas que les Facultés supérieures se soient distinguées d'une manière aussi caractérisée, ni aussi mémorable, par des pratiques de dévotion distinctes. Du Boulai, qui a consacré une de ses petites monographies si intéressantes aux patrons des quatre nations de l'Université parisienne, n'a point fait entrer dans son cadre ces trois autres compagnies. On peut affirmer cependant que saint Cosme et saint Damien recevaient particulièrement les vœux des médecins, qui célébraient un office annuel en leur honneur dans l'église de ce nom, église qui, dès une époque très-ancienne, fit partie de la censive universitaire, et à laquelle fut longtemps annexé le collège même des médecins. Le sceau de 1398, délivré au nom de cette Faculté, présente d'un côté une dame de haute distinction, ce qui est indiqué par son costume, non nimbée, tenant d'une main un livre et de l'autre un bouquet de plantes médicinales. Sur le contre-sceau se voit le très-glorieux Hippocrate, assis dans une chaire et coiffé d'un bonnet de docteur. La Théologie portait pour emblème les signes représentatifs des dogmes de la foi : le Christ, assisté de ses anges, régnant sur la terre et dans le ciel ; autour de lui, l'ange et les animaux, figures symboliques des quatre Évangiles. Enfin le sceau de la Faculté de Décret est orné d'une représentation de Notre-Dame.

Les Nations et les Facultés avaient coutume de se dénommer dans les actes et annonces publiques, à l'aide de qualifications spécialement consacrées à chacune d'elles, et qui appartiennent à l'histoire.

La Faculté de Théologie prenait le titre de : Sacratissima divinorum, divinitatis, ou theologiœ Facultas ;

Celle de Droit : Consultissima decretorum ; puis, utriusque juris Facultas ;

Celle de Médecine : Saluberrima physicœ, ou medicinœ.

La Nation de France était : Honoranda Natio Franciœ, Gallorum, ou Gallicana ;

Celle de Picardie : Fidelissima Picardorum ou Picardica ;

Celle de Normandie : Veneranda Normanorum ou Normaniœ ;

Et celle d'Allemagne : Constantissima Germanorum ou Allemaniœ Natio.

Lorsque le recteur était désigné dans un acte français, on lui donnait le messire et l'amplissime ; quand il était harangué par l'un de ses suppôts, ce qui se faisait toujours en latin, on lui disait : Amplissime Rector ou Vestra Amplitudo.

Les armes du recteur, au nom de l'Université, étaient un livre de gueules feuillé d'or, tenu par un dextrochère, issant d'un nuage, au naturel, sur un champ d'azur, soutenu de trois fleurs de lis d'or. L'écu, dans les temps modernes, avait pour supports les deux palmes universitaires. On voit ces armes, au frontispice des derniers volumes de l'Historia Univ. Paris, de Du Boulai, entourées de ces palmes et soutenues en outre par deux Renommées.

Grades. Enseignement. Études. — L'usage des grades paraît s'être introduit du douzième au treizième siècle. Antérieurement, il n'y avait en réalité que deux degrés, celui des étudiants et celui des maîtres. Quiconque se sentait assez habile ou assez hardi pour affronter le jugement public ouvrait école, et le succès ou la chute était sa récompense. Toutefois, dès le temps d'Abailard, ses adversaires lui reprochaient de s'être institué, de sa propre autorité, maître en théologie. — Quod sine magistro ad magisterium divinæ lectionis accedere presumpsissem. ABEL. epist., ap. PASQUIER, Rech., p. 134. — Ces grades étaient au nombre de trois. Le titre de bachelier, auquel les écoliers aspiraient d'abord, mot de formation secondaire et corrompue, tire vraisemblablement son origine du mot baculum (bâton), et puise son analogie dans les luttes auxquelles s'exerçait la jeunesse militaire. Les plus anciens bacheliers furent les bacheliers-ès-arts. Après avoir étudié suffisamment son trivium, l'aspirant au baccalauréat déterminait, c'est-à-dire s'exerçait à exposer les diverses définitions des catégories, qui constituaient la matière de ce premier cours. Ces exercices avaient lieu publiquement en présence des maîtres, et se répétaient à diverses reprises, ordinairement pendant le temps du carême. Le candidat, s'il était reçu, entrait en possession du triple privilège : 1° de porter la chape ronde, distinctive de son grade ; 2° d'assister aux messes des Nations ; 3° de commencer-ès-arts (Incipiendi martibus. BUL., Hist., etc., t, II, p.684.), c'est-à-dire d'enseigner à son tour, sous les auspices et sous l'autorité d'un maître, les connaissances qu'il avait apprises. Pendant ce même temps, le bachelier, mêlant l'étude à l'enseignement ; poursuivait le cours de son instruction et s'appliquait à l'acquisition des matières du quadrivium. Puis, arrivé au terme de ses nouveaux efforts, c'est alors qu'intervenait l'autorité ecclésiastique. De tout temps, comme nous l'avons posé en principe, le droit d'enseigner avait été considéré comme l'attribut de l'Église. Primitivement, l'un des chanoines de la cathédrale, délégué de l'évêque et chancelier de cette église, avait été chargé de donner la licence, c'est-à-dire- ce droit lui-même, qui constituait en même temps le second grade universitaire. Lorsque la ville, franchissant la limite de la Seine, embrassa dans ses murs le mont Lucotitius, l'abbé de Sainte-Geneviève, souverain spirituel et temporel de ce territoire, sur lequel l'Université de Paris avait également transporté sa demeure, entra, comme l'évêque, avec lequel il rivalisait de puissance, en partage de ce privilège ecclésiastique, et l'exerça, comme lui, par l'organe de son chancelier. A une certaine époque, les deux chanceliers, égaux en droits, conféraient également, chacun sur son domaine, la licence des arts, de la théologie, du droit, de la médecine. Mais, par la suite des temps, la prépondérance fut acquise au chancelier de Notre-Dame, qui demeura seul en possession de créer des théologiens, des juristes et des médecins, aussi bien que des artiens ou humanistes ; tandis que celui de Sainte-Geneviève partageait seulement le privilège de créer ce dernier ordre de gradués. Le licencié, une fois approuvé par l'Église, revenait devant les maîtres de sa Faculté, et recevait d'eux, avec une pompe nouvelle, le bonnet et les autres insignes de son titre, qui était celui de maitre-ès-arts. Dans les Facultés supérieures, ainsi désignées parce que celle des Arts leur servaient à toutes d'introduction, les choses se passaient à peu près de la même manière, si ce n'est que le troisième degré était plus spécialement accompagné, chez elles, de la dénomination de docteur.

La société, au Moyen Age, n'ayant pas encore pris possession d'elle-même, par l'unité, ni par la constitution de véritables pouvoirs publics, tournait sur deux pivots, qui, s'appuyant chacun sur un point différent, souvent se contrariaient et compromettaient l'équilibre de la machine. Ce double pivot, c'était, d'une part, le pouvoir spirituel ou l'Église de Rome ; et, de l'autre, le pouvoir temporel, à savoir les chefs de la société même. Toute institution destinée à vivre, et à servir la société, dut emprunter à cette double puissance, source unique de toute force, la protection de ses commencements. Il en fut ainsi de l'Université parisienne, et le secours de l'un et l'autre pouvoir, c'est-à-dire les privilèges des papes et des rois de France, ne lui fit point défaut. Les papes aimaient et encourageaient en elle la voix éloquente de la France, cette fille aînée de l'Église, qui toujours, depuis sainte Clotilde, avait mis au service du catholicisme et de l'orthodoxie lé séduisant apostolat de son génie et de son caractère national. Les rois y voyaient, pour leur capitale, une source de richesse et un ornement ; pour leur conseil, une pépinière de sujets ; pour la politique et la diplomatie ultramontaines, un arsenal intellectuel. Dès le douzième siècle, les bénéficiés avaient été dispensés de la résidence pendant tout le temps qu'ils consacraient aux écoles, soit comme écoliers, soit comme maîtres. En 1194, Célestin III commit aux juges d'église toutes les causes des écoliers, même civiles. Honorius III, Grégoire IX, Innocent IV. Clément IV, Clément V, Clément VII, etc., confirmèrent et successivement étendirent ces avantages. L'école de Paris conférait à ses maîtres la mission d'enseigner dans le monde entier. Un prélat, dont le siège était situé à ses portes, avait la garde perpétuelle de ses immunités, de ses droits, et devait tenir prête pour leur défense l'arme redoutée de ses foudres ecclésiastiques. — Voilà pour les souverains pontifes. — La munificence des princes ne fut pas moindre à son égard. En 1200, à la suite d'une querelle entre un noble allemand, écolier de l'Université de Paris, évêque élu de Liège, et ses gens, contre un tavernier et des bourgeois de la Cité, Philippe-Auguste prit énergiquement en main la cause des premiers. Non content de leur procurer une éclatante réparation, au préjudice de son propre prévôt (qui finit par se tuer en cherchant à s'évader de la prison où il avait été confiné), le roi déclara inviolables pour l'avenir la personne du captai ou recteur, et celle des écoliers, sauf le flagrant délit ; de plus, il reconnut l'Université tout entière exclusivement justiciable de l'Église, à cause de sa cléricature. Ce privilège, naturel et nécessaire dans le principe, bientôt fécond en abus et en désastres, fut confirmé, durant le cours du Moyen Age, par tous les rois successeurs de Philippe-Auguste. Aux termes du diplôme de 1200, chaque prévôt de Paris, le premier ou le deuxième dimanche qui suivait son installation, venait, en présence de l'Université, réunie dans une de ses églises, jurer solennellement d'observer ces exemptions, dont lui-même était le conservateur royal. Cet usage s'observa jusqu'en 1592. Philippe le Bel, de 1297 à 1304 ; Philippe de Valois, en 1345 ; le roi Jean, en 1356 et 1.357 ; Charles V, à plusieurs reprises, renouvelèrent et agrandirent ces faveurs, en y joignant les -droits de garde-gardienne ; l'exemption de péage, de subsides, d'impôt, de contribution et de service de guerre, et même de simple milice urbaine ; sans compter le titre honorifique de fille aînée des rois de France qui lui fut octroyé par le dernier de ces princes, et dont elle ne cessa de se parer. (Voyez Recueil des privilèges de l'Université. Paris, in-4°, 1612, 1674, 1684, etc.)

Ce ne fut pas toutefois sans de grandes traverses, ni sans une croissante difficulté, qu'elle put mettre à profit toutes ces belles prérogatives. L'histoire de la capitale est remplie d'épisodes singuliers, et plus d'une fois sanglants, qu'engendrait à chaque pas la turbulence de cette jeunesse, enhardie par le bénéfice d'une semblable inviolabilité. L'Université avait en main trois moyens de revendication, ou, comme dit du Boulai, trois remèdes contre les infractions de ses privilèges. Premièrement, si la violation venait du pouvoir laïque, elle s'adressait directement à la personne du roi, à qui ressortissait nûment sa juridiction. Si, ecclésiastique, elle recourait, sans intermédiaire, au pape. Elle députait à Rome une ambassade, prise parmi ses docteurs ; qui, plus d'une fois, retrouvait sur le trône pontifical, en la personne du successeur de saint Pierre, la filiale sympathie d'un ancien disciple. Le pape se refusait-il à donner satisfaction, elle en appelait à l'Église universelle et au futur concile. Mais elle possédait une dernière voie, bien autrement sûre et efficace, pour arriver au but de ses prétentions ; c'était la cessation des études, ou ce qu'on pourrait appeler l'excommunication universitaire. En pareil cas, elle suspendait subitement toute lecture, tout enseignement public. Les maîtres et docteurs de théologie s'abstenaient de monter en chaire dans toutes les églises. Toute une portion de la vie morale et religieuse était frappée d'interdit. Si la crise persistait, les docteurs, bacheliers et régents des quatre Facultés fermaient toutes leurs écoles et menaçaient d'émigrer en masse, entraînant avec eux tout un peuple de suppôts et de clients, qui faisait à lui seul plus du tiers de la capitale. Il n'y avait pas de puissance, au treizième siècle, qui pût résister à des hostilités de cette nature. En 1221, l'évêque de Paris, justicier de l'Université, ayant voulu lui dicter des lois, celle-ci lui tint tête résolument et mit pendant six mois les écoles en interdit. En 1225, le légat du pape fut encore moins respecté dans une circonstance analogue : les écoliers prirent les armes, assiégèrent sa maison et blessèrent les gens de l'ambassadeur pontifical, qui ne dut son salut qu'à la fuite. A la fin du carnaval de 1228 — époque solennellement chômée de tout temps par les écoles —, une sédition naquit encore dans un cabaret. Le dimanche et le lundi gras, des écoliers, étant sortis de la ville pour se divertir, se dirigèrent dans la campagne, vers le bourg de Saint-Marcel (aujourd'hui faubourg Saint-Marceau). D'aventure, ils entrèrent chez un tavernier, où, trouvant le vin à leur gré, ils en burent plus que de raison. Une querelle s'engagea sur le prix. Des mots on en vint aux mains, aux cheveux, aux armes, et de sanglantes représailles se commirent, comme de coutume, entre les bourgeois et les écoliers. La reine Blanche, alors régente pendant la minorité de saint Louis, obéissant aux instigations de l'évêque de Paris et du légat, peu favorables en ce moment à l'Université, fit sévir énergiquement contre les écoliers. Les sergents royaux opérèrent une descente, et des innocents payèrent pour les coupables : les uns furent jetés à la rivière ; les autres blessés, d'autres tués sur place ; parmi ceux-ci, deux écoliers de distinction, le premier, Normand, le second de la Nation de Picardie. L'Université, ayant inutilement adressé au roi des remontrances, se dispersa, laissant la capitale en interdit. Cet état de choses dura deux années entières, au bout desquelles le pouvoir royal, cédant aux instances du pape, qui, de concert avec de grands personnages, appuyait ouvertement les écoliers et traçait la marche à leur résistance, finit par capituler avec les écoles insurgées, et rappelant les maîtres avec mille caresses, leur accorda enfin toutes les réparations demandées. (Voyez la bulle du 29 novembre 1229. BUL., Hist., t. III, p. 135.) Dans une autre bulle du même pape, adressée aux écoliers en 1231, on trouve le passage suivant, qui sanctionne de toute l'autorité du siège apostolique ce mode étrange d'opposition légale : Si forte vobis vel alicui vestrum injuria vel excessus inferatur enormis, ut pote mortjs vel membri mutilationis, nisi congruâ monitione premissâ, infrà quindecim dies fuerit sltisfactum, liceat vobis usque ad satisfaclionem condignam suspendere lectiones, et si aliquem vestrum indebitè incarcerari contigerit, fas sit vobis, nisi monitione præhabitâ cesset injuria, statim à lectione cessare, si tamen id videritis expedire. (BUL., ibid., p. 556.)

Toutefois, l'Université n'achetait la victoire qu'à un prix fatal pour ses privilèges et pour sa propre existence. Les villes d'Oxford, en Angleterre, d'Angers, de Poitiers, d'Orléans, où s'étaient rendus les maîtres dispersés, frappés d'un ostracisme volontaire, recueillirent et conservèrent une partie de ces exilés, qui vinrent de la sorte y semer les germes d'autant d'Universités rivales. Cependant, au moment même où l'Université, désertant la capitale, lançait sur elle son interdit, les dominicains y ouvraient des chaires de théologie. Ce grief sanglant, plus encore que l'antipathie qu'inspiraient les doctrines et le régime ultramontains de ces moines mendiants, leur valut, de la part des maîtres de l'Université, une irréconciliable animosité et une lutte implacable. Enfin, en 1257, comme nous l'avons indiqué ci-dessus, les dominicains, invariablement soutenus par le roi, leur élève, et par les papes, leurs confrères ou leurs supérieurs, firent brèche dans l'Université, qui, contrainte et forcée, daigna ouvrir ses rangs à un Thomas d'Aquin, à un Bonaventure, et leur accorder le bonnet de docteur ! Charles VII, en 1445, porta un nouveau coup à la constitution de ce corps antique : non-seulement il confirma l'existence des Universités de Poitiers et de Cæn, récemment instituées, mais encore il refusa de déférer au vœu de l'Université parisienne, qui ne voulait reconnaître d'autre tribunal que le conseil du Roi, ou Grand Conseil, et renvoya simplement ses causes à la compétence du Parlement. C'était, comme le témoigne l'historiographe de ses annales et de ses préjugés, faire de la sœur et de la rivale (BUL., Histor. Universitat. Parisiens., t. V, p. 852) une justiciable ; c'était, de plus, lui donner une règle et un tuteur. Enfin le roi Louis XII, par un édit du 31 août 1498, déférant au vœu des étals généraux convoqués sous le règne précédent, réduisit les privilèges universitaires en ce qu'ils avaient de plus monstrueux, et les ramena vers la limite du droit commun. L'Université ne laissa pas de recourir à ses foudres habituelles ; le recteur lança, le 1er juin 1499, un mandement qui ordonnait une cessation générale de leçons et de sermons... Mais en vain : le pouvoir royal n'était plus assez débile pour plier devant cette menace. Le roi, qui se trouvait absent de Paris, reçut d'un visage sévère les ambassadeurs de sa fille aînée. Puis, revenant dans sa capitale, il traversa l’Université à la tête de sa maison militaire, armée de toutes pièces, la lance en arrêt, — et se fit obéir.

Ce fut la dernière campagne que tenta l'Université en faveur de ses immunités féodales.

 

Plusieurs phases distinctes partagent naturellement l'histoire propre de l'Université. Dans la première, on voit en elle une émanation de l'Église, qui prend racine dans le siècle, destinée de plus en plus à se séculariser. L'institution se fonde, se constitue, se combine avec les besoins et les autres institutions publiques. Une activité des plus vivaces, une prospérité florissante, un succès brillant, caractérisent ses heureux débuts. Parmi ces populations d'auditeurs, que la parole d'Abailard entraînait en plein champ, avides de recevoir cette manne intellectuelle, se trouvaient un pape de la chrétienté (Célestin II), vingt cardinaux, cinquante archevêques et évêques ; et, si l'on veut savoir quels hommes au douzième siècle, dans l'État, dans la science, dans l'Église, présidèrent aux destinées de leurs contemporains, il faut ouvrir le tome II de Du Boulai, et y parcourir les soixante pages in-folio (715-778) qui contiennent en abrégé la liste des élèves sortis alors de nos écoles. Dès la fin du siècle suivant, le haut clergé de France était exclusivement composé de sujets qu'elle avait formés. Simon de Beaulieu, archevêque de Bourges, haranguant, en 1281, ses collègues de l'épiscopat, réunis à l'Université pour résister, par une ligue commune, à l'invasion des moines mendiants, dans le double domaine de l'instruction et du sacerdoce, Simon de Beaulieu s'écriait : Ce que nous sommes, vous le serez un jour ; car je ne crois pas qu'il y ait parmi nous un seul prélat qui n'ait été pris du sein de cette Université. (BUL., Histor. Univ. Par., t. III, p. 455, 466.) Au quatorzième siècle, son autorité, son importance morale et politique, s'étendent et s'affermissent. De 1297 à 1304, elle prête à Philippe-le-Bel un secours et un point d'appui contre les prétentions de Boniface VIII. En 1316 et en 1328, son suffrage est invoqué et pèse d'un grand poids dans la balance, pour la question de la successibilité des femmes au trône, et pour la fondation de la jurisprudence du royaume à l'égard de la loi salique. C'est le terme de son apogée, l'époque de sa plus grande splendeur. Conseillère des rois, institutrice de l'Europe, concile permanent des Gaules, elle poursuit noblement une haute mission. L'Église, en proie à l'esprit d'examen et d'indépendance, avait conservé, au prix du fer et du feu, en se mutilant elle-même, sinon l'intégrité, du moins l'unité de son orthodoxie. La France, fidèle à cette unité, ouvrait au Saint-Siège, dans Avignon, une seconde Rome. Par l'organe de l'Université, elle continuait à élaborer, à faire rayonner et resplendir la pensée religieuse ; elle donnait des docteurs à toutes les chaires ; elle perpétuait la tradition du dogme et de la discipline, et, en même temps, elle fondait notre droit public sur ces principes d'indépendance qui ont fait d'elle, qui ont fait de la France, non-seulement politiquement, mais religieusement et moralement, une nation. Le code de ses croyances et de son enseignement, imparfait sans doute et sujet à l'erreur, du moins n'avait pas encore été souillé de ces abominables doctrines de régicide, d'hypocrisie, de théocratie et d'obscurantisme, qu'elle devait plus tard professer et combattre tour à tour : professer, en la personne des Jean Petit, des juges de Jeanne Darc, des ligueurs et des persécuteurs de Ramus ; combattre, en combattant, parmi les vicissitudes d'une longue et opiniâtre rivalité, les redoutables efforts d'une secte fameuse.

 

Avec la fin du quatorzième siècle, commence pour elle la période de la décadence. A cette époque, la vénalité, puis, à sa suite, le sophisme et le fanatisme de parti, entrent dans son enceinte. Dès l'année 1380, l'or de la maison de Bourgogne stipendiait parmi ses docteurs des créatures politiques. Après les Bourguignons et l'apologie du meurtre de la rue Barbette, vinrent les Anglais, l'avilissement du joug étranger et la honte ineffaçable d'avoir trempé dans la sentence qui fit périr la vierge de Domrémy sur un bûcher. Au siècle suivant, siècle de l'imprimerie et de la Réforme, elle avait perdu le sceptre de l'empire intellectuel, que pendant quatre cents ans elle avait exercé. Désormais, la science ne sort plus d'une source unique ; Paris n'est plus la Mecque intellectuelle vers laquelle se tournent tous les esprits, ni, comme elle s'appelait au Moyen Age, la ville des lumières, la Kariath sepher de l'Écriture. Rome elle-même n'est plus l'oracle incontesté de la vérité. A entendre le protestantisme, chaque homme trouve dans sa propre conscience un arbitre suprême. La science, grâce à la découverte de Gutenberg, s'épanche par mille canaux qui vont abreuver jusqu'aux plus obscures intelligences. Fidèle aux pompes de l'ancien culte, la France, tout en sympathisant avec l'esprit de la réformation, poursuit sous une autre forme, son rôle civilisateur : par les investigations de ses philosophes, de ses libres penseurs et par la constante propagande de sa littérature.

L'Université de Paris avait précédé dans le temps, de même qu'elle éclipsa par sa renommée, toutes les autres Universités de l'Europe. Un tableau, rangé par ordre chronologique, de ces écoles rivales, presque toutes créées à son imitation ou émanées d'elle, soit sur le territoire actuel de la France, soit à l'étranger, formera le complément nécessaire de la peinture que nous avons essayé de retracer.

 

II. — COLLÈGES.

 

EN 1107, lors de la venue d'Abailard à Paris, les deux maîtres célèbres qu'il y trouva enseignaient dans la maison de l'évêque. C'est dans le voisinage de cette résidence et du cloître de Notre-Dame, où demeuraient Fulbert et sa belle pupille Héloïse, que lui-même établit son école. Puis, à quelques années de là, Guillaume de Champeaux quitta son archidiaconat de la cathédrale, et se retirant avec quelques disciples au prieuré de Saint-Victor, situé de l'autre côté du fleuve, hors des murs de la ville, il y ouvrit une nouvelle école publique. (ABELARD., epist. Histor. calamitat. Voyez PASQUIER, Rech., liv. IX, c. 5.) Abailard, de son côté, chassé de l'école qu'il occupait en la maison épiscopale, se réfugia sur la montagne Sainte-Geneviève, où il rallia de nouveau ses disciples. — Extra civitatem in monte sanctæ Genovefæ scholarum nostrarum castra posui, quasi eum obsessurus, qui nostrum occupaverat locum. Rech. de la Fr., l. IX, c. 6. — Cependant les écoles de la cathédrale subsistant et s'accroissant de jour en jour, elles se divisèrent en deux parts. L'une, composée des artiens, passa le petit pont, et vint s'établir à Saint-Julien le Pauvre, charmante petite église, encore aujourd'hui subsistante, quoique presque inconnue, si ce n'est des archéologues, et qui, dès lors, servait de succursale à la mère-église. Les études théologiques conservèrent leur siège à Notre-Dame. Bientôt les nations se construisirent quatre grandes salles ou écoles dans la rue du Fouare ou du Feurre, située à peu de distance, et ainsi nommée de ce que les écoliers, pour assister aux leçons, n'avaient d'autre siège que de la paille, sur laquelle ils s'étendaient autour de la chaire où seul siégeait le maître. (Rech. de la Fr., l. IX, c. 6.) Indépendamment de cette sorte d'école générale, quiconque était muni de la licence louait une salle et appelait le public à ses leçons. C'est ainsi que, de proche en proche, le quartier latin se peupla de maîtres et d'écoles. (Rech. de la Fr., l. IX, c. 13.) Bientôt on sentit la nécessité de consacrer des hôtels ou demeures particulières destinées à recueillir les écoliers, surtout au début de leurs études, et de leur offrir un asile. De là, en général, l'origine des collèges.

Dès une époque peu éloignée des commencements de l'Université, c'est-à-dire vers la fin du douzième siècle, ou au commencement du treizième, on voit naître à Paris, sous le nom de collèges, divers établissements habités par de jeunes religieux qui se livraient à l'étude. De ce nombre, vraisemblablement, furent les deux couvents des bons enfants Saint-Victor et Saint-Honoré, les deux communautés de Saint-Nicolas du Louvre et du Chardonneret. D'autres, comme les collèges de Dace ou des Danois, etc., recevaient des clercs plus ou moins âgés, attirés de leur lointaine patrie par la renommée littéraire de notre capitale et par les ressources uniques qu'elle offrait à leur instruction. Ces derniers étudiants appartenaient à des ordres religieux. Or, on sait qu'au Moyen Age, dans les grandes familles monacales, telles que Cîteaux, les Bernardins, et autres, les maisons-mères entretenaient à de grandes distances, sur divers points de la chrétienté, indépendamment des filles de leur ordre, certaines maisons hospitalières, désignées alors sous les noms d'hostels ou hospices (hospitia), tantôt pour recevoir leurs entrepôts de commerce, tantôt dans un but d'étude ou de santé.

Mais nous devons nous attacher principalement ici, sous le nom de collèges, aux établissements d'instruction fréquentés par de jeunes écoliers appartenant au monde. Ces établissements, dans le principe, étaient aussi, comme le fait remarquer Grancolas (Histoire de l'Église et Université de Paris, t. I, p. 359 et suiv.), de véritables hospices ou maisons de charité ouvertes à des pauvres, sous les auspices de la religion, avec la faculté d'étudier. Ce double caractère de dévotion et de misère est fortement empreint dans leur constitution primitive, et n'a cessé d'influer, jusque dans les temps modernes, sur leur physionomie et sur leur destinée. Rien de plus triste, ni de plus piteux, et cependant rien de plus digne d'intérêt, que ces collèges du Moyen Age, dans lesquels un Principal, assisté de- quelques maîtres, endoctrinaient, morigénaient et fustigeaient de leur mieux une douzaine d'écoliers, avec lesquels ils partageaient une vie souffreteuse et famélique ; ayant à peine, pour subsister, trois ou quatre sous par semaine, et se voyant contraints, les uns et les autres, de joindre à ces misérables ressources quelque office ou métier servile, ou d'invoquer la bienfaisance publique. Tels étaient les écoliers du collège des Bons-Enfants (Saint-Victor, ou Saint-Honoré, peut-être les uns et les autres). Le dit des crieries de Paris, qui date du quatorzième siècle, nous les montre errant dans la Cité, où ils venaient chaque jour mendier leur subsistance :

Les Bons-enfants orrez crier :

Du pain ! n'es veuil pas oublier.

Le premier collège ouvert à des laïques ou du moins à des séculiers, qui resta longtemps le plus célèbre de tous, dut son nom et son origine à la libéralité d'un clerc, chapelain, et, selon quelques-uns, confesseur de Louis IX, nommé Robert Sorbon ou de Sorbonne. Par lettres patentes de 1250, le saint roi contribua à cette fondation, et donna, pour l'usage du futur collège, une maison et des étables y contiguës, situées à Paris, rue Coupe-Gueule, devant le palais des Thermes. (In vico de Coupe-Gueule ante palatium Thermarum. Rech. de la Fr., IX, 15.) Ce collège était destiné à un certain nombre de pauvres écoliers qui, après avoir pris leurs degrés ès-arts, se vouaient à l'étude de la théologie. La Sorbonne, singulièrement agrandie par le cardinal de Richelieu, devint par la suite le chef-lieu de la Faculté de théologie.

A l'imitation de cet exemple, un nombre considérable de collèges institués par des personnages éminents, soit du monde, soit de l'Église, s'élevèrent, comme à l'envi, pour l'instruction de la jeunesse, sur tous les points du territoire que désigna, jusqu'au siècle dernier, la dénomination d'Université ; nous voulons dire ce vaste amphithéâtre, dont la base était la Seine, et qui s'étend, d'une part, au pont de la Tournelle, de l'autre, à celui des Saints-Pères. L'un des plus importants et qui mérite une mention spéciale, le collège de Navarre, eut pour fondatrice, en 1304, la reine Jeanne de Navarre, femme de Philippe le Bel, comtesse de Champagne et de Brie. Il fut destiné à recevoir soixante-dix pauvres écoliers, savoir, vingt grammairiens, trente artiens et vingt théologiens. Trois maîtres, pris naturellement au sein de l'Université, présidaient à ces trois classes d'études. L'un d'eux, celui de la théologie, était investi de la surintendance générale. Aux termes du testament, il devait être élu par la plus grande et la plus saine partie des maîtres de cette Faculté, solennellement assermentés à cet effet, et gouverner à la fois le temporel et le spirituel de l'établissement. Il portait le titre de grand maître de Navarre. Toutefois, on ne tarda pas à lui associer un aide, qui, sous le nom de proviseur, administrait les affaires de la maison. Le collège de Navarre s'acquit bientôt une haute renommée. Il devint, en son genre, le modèle des établissements littéraires et comme le chef-lieu de l'Université. Ce fut dans sa chapelle, dédiée à saint Louis, l'un des aïeux de la royale fondatrice, que, longtemps, reposa le trésor, c'est-à-dire les archives de cette grande compagnie. Les fils des plus nobles familles, et souvent même des enfants du sang de France, y reçurent les premiers bienfaits de l'instruction. Guy Coquille, en son Histoire du Nivernais, rapporte que le roi de France était le premier boursier de Navarre, et que sa bourse servait à payer les verges du collège. Un des hommes les plus éclairés du quinzième siècle, Nicolas Clémangis, avait été proviseur de Navarre. Il fut enseveli dans la chapelle, qui reçut également les cendres de plusieurs autres personnages célèbres. Au dix-septième siècle, le savant docteur Jean de Launoi ne dédaigna pas d'écrire l'histoire de ce collège : Regii Navarrœ collegii historia. Paris, 1677, 2 vol. in-4°.

Le collège de Montaigu mérite aussi une mention particulière. Fondé au quatorzième siècle, par deux membres de la famille Montaigu, dont l'un était archevêque de Rouen, les libéralités réunies de ces deux bienfaiteurs formaient une somme de dix livres annuelles de revenu, pour l'entretien et la nourriture de chacun de ses élèves. Le désordre, et la mauvaise administration, bien loin d'accroître ce produit, furent tels, qu'en 1483 il s'élevait en totalité à onze sous de rente. A cette époque, le collège passa entre les mains d'un nommé Jean Stondonck, ou Stondouck, personnage fameux à juste titre, de son vivant, et l'une des figures les plus originales que fournisse l'histoire de la pédagogie. C'était un homme d'un caractère ardent, d'une force de volonté peu commune, et d'une opiniâtreté remarquable. Il était fils d'un tailleur de Malines. Venu à Paris sans autre ressource qu'une lettre de recommandation pour l'abbaye de Sainte-Geneviève, il y fut admis par charité, en payant toutefois l'hospitalité des moines par des offices domestiques qu'il remplissait à leur service, et il trouva de la sorte le moyen de puiser aux écoles de Paris cette instruction dont le goût décidé l'avait attiré au sein de la capitale. On raconte qu'à cette époque de sa vie, il montait, un livre à la main, dans le clocher, pendant les claires nuits, pour y étudier, aux rayons gratuits de la lune. Devenu, en 1483, Principal de Montaigu, il sut y rétablir l'ordre, fonder douze bourses nouvelles et subvenir à toutes les dépenses. Mais il ne réalisa ces bienfaits, qu'en imposant à ses écoliers une discipline plus que spartiate, et en leur léguant, pour ainsi dire héréditairement, la vie de labeurs et de tribulations, que lui-même avait traversée. La règle der la maison était effectivement des plus austères. Tâches ardues, jeûnes fréquents, maigre pitance, discipliné rigoureuse, telle était la condition, devenue proverbiale, des écoliers de Montaigu ; condition que résumait spirituellement leur devise traditionnelle :

Mons acutus, ingenium acutum, dentes acuti.

Vêtus d'une cape de gros drap, ouverte par devant et surmontée d'une sorte de cagoule qui se fermait par derrière, le peuple les nommait les pauvres capettes de Montaigu, et journellement on les voyait, conformément à leurs statuts, prendre part aux distributions de pain que les Chartreux du voisinage faisaient aux indigents. Érasme, ce Voltaire bénin du seizième siècle, à l'âge de vingt-cinq ans, avait étudié à Montaigu sous l'autorité de ce même Stondonck : il connut par expérience les rigueurs de cet asile. Dans l'un de ses ingénieux Colloques, où l'idée philosophique circulait, goûtée, savourée, dévorée, sous l'enveloppe légère d'une forme frivole (le dialogue de la Chair et du Poisson), il stigmatise en termes piquants les traitements inhumains, le gîte insalubre, la nourriture malsaine, par lesquels il vit lui-même sa santé compromise pour le reste de sa vie ; et, passant de ce propos à des considérations plus élevées, il glisse, à l'adresse de l'éducation de son temps, les traits acérés d'une critique hardie. Peu d'années après Érasme, notre gai Rabelais venait, au même lieu, faire semblable épreuve et puiser des souvenirs analogues, que lui aussi devait immortaliser, mais à sa manière. Ses ouvrages, comme ceux de la plupart des moralistes, ses contemporains, sont remplis d'allusions satiriques à l'ignorance, au pédantisme des maîtres ; à l'absurdité des méthodes et des doctrines ;' à la sottise, à l'ignominie ou au ridicule qui, à cette époque, caractérisait la tenue de nos écoles. Qui ne se rappelle, en souriant, ces esparviers de Montagu, tombant, gros comme boulets de canon, de la tête du jeune Gargantua, en présence de son précepteur Pronocrates ? (Gargantua, I, 37.) C'est encore au digne successeur de Stondonck, Pierre Tempête, ce grand fouetteur d'escoliers au collège de Montagu, que frère Jean des Entomeures, à l'aide d'une libre traduction, applique ce vers tiré, dit-il, de la légende de monsieur Saint-Nicolas :

Horrida Tempestas montem turbavit acutum.

(Pantagruel, IV, 21.)

Quant au régime intérieur des collèges ainsi qu'à l'instruction de la jeunesse, nous rappellerons ici, d'après Étienne Pasquier (Recherches, IX, 17), que, de son temps, il y avait trois sortes de maistres : le superintendant de tous les autres, que nous appelons principal ; les régents, qui enseignent aux classes ; et les autres, qui, sans faire lectures publiques, tiennent chambres à louage du principal, que Ion nomme pédagogues, parce qu'ils ont charge et gouvernement sur quelques enfants de la maison. Ces escoliers, nous appelons pensionnaires, ceux qui sont à la pension du principal, et caméristes, les autres qui sont nourris par leurs pédagogues. Outre ceux-là, il y a encore les escoliers qui demeurent en ville, hors des collèges, qui vont Il ouïr les leçons d'uns et autres régents, ou aux maistres qui les gouvernent : les uns appelés martinets, et les autres, du nom de galoches.

Indépendamment des Universités et des Collèges, il existait encore, au Moyen Age, en France et dans toute la chrétienté, certaines catégories d'écoles que nous ne pouvons passer sous silence. Les unes, élémentaires, étaient ouvertes aux deux sexes ; les autres, d'un ordre plus élevé, ne recevaient que de jeunes hommes. Les premières s'appelaient ordinairement, chez nous, petites écoles ou écoles françaises : on n'y enseignait point le latin, mais seulement à lire, à écrire, quelques éléments de langue vulgaire et le chant ecclésiastique. Les secondes portaient le nom de grandes écoles ou écoles latines. Les unes et les autres avaient le plus souvent, dans chaque diocèse, ou dans le ressort d'une église importante, abbatiale ou séculière, un intendant commun, placé sous la haute autorité de l'évêque, et nommé ordinairement par le chantre, lorsque ce dernier ne remplissait pas personnellement les fonctions de cette charge. L'intendant prenait le titre de recteur ou grand-maître des écoles (Voyez CL. JOLY, Traité historique des écoles épiscopales, etc. Paris, 1678, in-8°). Il recevait, de chaque écolier ou écolière, une taxe qui se payait en deux termes, et qui, en général, s'éleva, jusqu'au seizième siècle, à la valeur de cinq ou six sous tournois par an. Chaque élève payait, en outre, un supplément d'un sou : savoir, six deniers pour l'entretien du matériel de l'école, dont le soin incombait au maître-prévôt, et six deniers pour les verges, commises aux mains du maître-portier ou fouetteur. L'instruction littéraire, que distribuaient ces grandes écoles des diocèses, s'adressait à des élèves libres, qui restaient sous la conduite et la direction privée de leurs parents. Elle était à peu près la même que celle des collèges, ainsi qu'on en peut juger d'après un règlement rendu en 1436 par Jean Lesguisé, évêque de Troyes, et qui contient un programme de ces études. (Voyez Arch. histor. du Départ. de l'Aube, 1841, in-8°, p. 426.) Mais les Universités seules conféraient, comme de nos jours, les grades des Facultés. Dans tous ces établissements de divers degrés, il y avait toujours sous le patronage de quelques particuliers, et plus souvent sous celui des chapitres, un certain nombre de bourses on de gratuités, offertes à la jeunesse studieuse et indigente. Quelquefois cette exemption ne s'accordait qu'en échange d'un service utile, ou d'une sorte de corvée. Tels étaient, dans les écoles de Troyes, les primitifs, écoliers pauvres et robustes, ainsi nommés sans doute à cause de l'assiduité matinale à laquelle ils étaient astreints. Deux fois par semaine, ils devaient balayer et nettoyer les salles d'études, et moyennant cette prestation, ils étaient dispensés de toute contribution pécuniaire. (Arch. histor. du Départ. de l'Aube, p. 436.) Quelques institutions, au contraire, faisant de la gratuité le principe général, admettaient un certain nombre de sujets pour les adopter complètement, et pourvoyaient sans réserve à leur éducation ainsi qu'à leur avenir. Nous citerons pour exemple les escaliers ou boursiers du chapitre de Notre-Dame de Saint-Omer. (Voyez Mémoires de la Soc. des antiq. de la Morinie, t. VI. Essai sur les archives historiques, etc., passim.)

Nous avons ci-dessus parlé d'écolières, et nous aurions voulu présenter au lecteur quelques développements sur ce point si intéressant et si peu connu de notre histoire morale. Mais le titre de cet article : Universités, Collèges, Écoliers, nous trace des limites infranchissables. A ce sujet, nous devons donc nous contenter de renvoyer aux notions instructives renfermées dans une récente publication de M. Le Roux de Lincy : Les Femmes célèbres de l'ancienne France. Paris, 1848, in-18, t. I, chap. VI.

Parmi les vitraux qui décorent actuellement la bibliothèque de Strasbourg, il en est un, aux armes de cette ville, qui se rapporte à l'état de ses écoles au seizième siècle, et qui provient, selon toute vraisemblance, du collège ou université protestante de Saint-Thomas, fondée vers 1550 par le magistrat de Strasbourg. Ce curieux dessin, qu'a déjà reproduit le bel ouvrage de M. Ferd. de Lasteyrie (Histoire de la peinture sur verre par les monuments, in-f°, t. II, pl. XCI), porte la date de 1589, et peut fournir à nos lecteurs l'objet de plus d'une remarque intéressante dont nous laisserons l'initiative à leur sagacité. Pour nous, nous ne voulons, en passant, invoquer ce témoignage, que pour le point spécial dont nous avons à traiter en ce moment, a savoir les diverses connaissances que l'on enseignait alors publiquement à la jeunesse. La science ou l'instruction, comme on le voit, est représentée dans ce tableau sous l'emblème d'une forteresse (Palladis arx), dont les jeunes écoliers doivent progressivement s'efforcer de conquérir la possession. Une double enceinte, où se tiennent, les uns au-dessus des autres, les bacheliers, baccalarii, puis les maîtres, magistri, semble défendre l'accès de la citadelle. Les assaillants ont à franchir successivement sept degrés, correspondant aux sept divisions classiques, savoir : la grammaire (grammatica) ; la dialectique (dialectica) ; la rhétorique (rhetorica) ; la sphère (sphœrica) ; l'éthique (ethica) ; la physique (phisica), et les mathématiques (mathematica). Ils parviendront ainsi jusqu'au dernier terme des études littéraires, c'est-à-dire la théologie (theologia), qui, grâce à une combinaison de symboles, plus poétique qu'orthodoxe, se voit personnifiée sous les traits de Minerve (Minerva).

Un autre document non moins curieux, et vraisemblablement inédit, nous fait connaître les principaux ouvrages élémentaires employés au Moyen Age dans les classes de commençants. Il est tiré d'un compte de l'argenterie, pour l'année 1454-1455, de la reine Marie d'Anjou, femme de Charles VII : nous y trouvons la liste ou catalogue des livres qui composaient la bibliothèque d'écolier de Charles, duc de Berry, prince du sang de France, alors âgé de huit ans. Voici ce catalogue :

1. Ung A, B, C ;

2. Ungs sept pseaulmes (de la Pénitence). C'était une des premières prières que l'on faisait apprendre par cœur aux enfants, avant qu'ils fussent capables de lire dans les Heures, et ils devaient la réciter mentalement ou à voix basse, soit en assistant à l'office, soit en suivant la procession.

3. Ung Donast ; il s'agit ici d'Ælius Donatus, grammairien romain du quatrième siècle, auteur du Traité de octo partibus Orationis, etc. (Des huit parties du Discours).

4. Ungs Accidens ; autre ouvrage de grammaire, traitant des cas et des conjugaisons ?

5. Ung Caton. On attribue cet ouvrage à Dyonisius ou Valerius Cato, poète et grammairien, mentionné par Suétone et mort avant l'ère chrétienne. C'était un recueil de distiques moraux, conçu tantôt en latin, tantôt en français, et tantôt entremêlé de l'un et de l'autre. Il se distinguait, suivant son étendue, en grand et petit Caton, ou Chatonnet, ainsi qu'on en jugera par l'exemple qui va suivre : celui dont nous parlons ici n'est probablement que le Chatonnet.

6. Ung Doctrinal ; grammaire latine, extraite de Priscien et mise en vers léonins, pour venir en aide à la mémoire, par Alexandre de Villedieu, moine breton de l'ordre des frères Mineurs, originaire de Dol, qui, en 1209, régentait avec éclat dans les écoles de Paris. Les deux Caton et le Doctrinal, ainsi que le Donat, se trouvent en multiples exemplaires manuscrits dans les grandes bibliothèques protypographiques ; ils furent au nombre des livres que propagea l'imprimerie dès ses premiers débuts.

Ces six volumes bien escripz en beau parchemin et richement enluminés, avaient été prins et acheptés de maistre Jehan Majoris, chantre de Saint-Martin de Tours, pour faire apprendre en iceulx mondit seigneur Charles, et furent payés cent livres tournois. Le même article nous apprend que ces mêmes ouvrages avaient servi à l'instruction de Louis, frère aîné de Charles, qui régna depuis sous le nom de Louis XI — ès quelz monseigneur le dauphin avoit appris à l’escolle —, et qu'ils furent délivrez à maistre Robert Blondel, maistre d'escolle de mondit seigneur Charles. Jean Majoris, comme on sait, avait été successivement précepteur et confesseur de Louis (DUCLOS, Hist. de Louis XI, 1745, in-12, 1. l, p. 11). Robert Blondel remplit à son tour, auprès du frère puîné du dauphin, le premier de ces deux emplois. Ce Blondel est connu des érudits comme l'un des historiens de la mémorable campagne qui, en 1450, chassa pour toujours les Anglais de la Normandie.

Le royal écolier possédait, en outre, au témoignage du présent compte : ung autre grand Caton, que feit maistre Guillaume de Pargamo, lequel est escript en beau parchemin, de bien bonne lettre, bien et richement historié et enluminé, prins et acheté de lui, délivré à maistre Robert Blondel par la cause dessusdicte, et payé à Guillaume Lalement, marchant, demeurant à Bourges, par ordre de monsieur le trésorier de la reine, la somme de cent livres tournois. (Archives du Royaume, K. ; registre 55, f. CXIX verso).

Ces différents ouvrages, et quelques autres analogues, étaient d'un usage à peu près universel dans les écoles de la chrétienté. Un livre fort curieux de cette espèce, et de la même époque, a été remis récemment en lumière par le Camden society d'Angleterre, sous le titre de Promptorium parvulorum sive clericorum, auctore, GALFRIDO, etc. Ad fidem codicum recensuit, ALB. WAY. Tomus prior ; Londini, 1843, in-4° (tiré à petit nombre, pour les membres de ce club ou association littéraire). C'est un Dictionnaire anglais-latin, composé vers 1450 dans le dialecte du Norfolkshire, et qui servait, comme son titre l'annonce, aux compositions des jeunes écoliers. Nous nous bornerons, pour ce genre d'indications bibliographiques, à celles qui précèdent. Nous les avons choisies à dessein parmi les moins connues, et d'une date relativement ancienne. A partir du seizième siècle, en effet, les livres de classe, multipliés eux-mêmes par l'imprimerie, laissent des traces de plus en plus répandues, et dans les Bibliothèques, et dans les autres ouvrages qui les mentionnent. On en trouve notamment, au premier livre de Gargantua, une abondante énumération ; et telle était, au Moyen Age, la force de conservation qui animait toute chose, que ces traités, amèrement critiqués depuis si longtemps, se perpétuèrent dans l'enseignement et ne cessèrent d'être réimprimés, jusque vers la fin du dix-septième siècle.

Le latin, durant le Moyen Age, était à la fois la langue de l'église, la langue littéraire, celle de la science, et enfin l'idiome commun des nations chrétiennes. Ces considérations expliquent facilement pourquoi, de tout temps, le latin fut employé, à l'exclusion des dialectes vulgaires, dans les anciennes universités, les collèges et les grandes écoles. Mais lorsque peu à peu l'esprit moderne eut ouvert à l'entendement humain comme un monde nouveau ; lorsque des principes moraux, inconnus à l'antiquité, eurent créé, dans les relations sociales, une multitude d'idées et d'habitudes de l'âme, que les idiomes anciens n'avaient jamais dû traduire ; lorsqu'enfin les nations, devenues adultes, furent définitivement formées ; alors, il s'établit, entre le latin et les langues vivantes, une sorte de lutte, dont il est curieux d'étudier les péripéties dans les annales de la pédagogie, et dont l'issue devait être, après d'héroïques efforts en faveur de l'idiome immortalisé par Tacite et Virgile, de réduire à peu près universellement le latin à l'état de langue morte. Dès la première moitié du quinzième siècle, on voit se déployer, au sein des écoles, un appareil de prohibitions et de châtiments, pour repousser l'invasion ou l'empiétement du français, que l'enfant y apportait avec les primitives influences de l'éducation maternelle. Le règlement de 1436, que nous avons cité plus haut, admet deux sortes de latin : le latin congru, que devait parler tout élève parvenu à l'étude du Doctrinal ou syntaxe latine, et le latin incongru, à l'usage des écoliers qui suivaient les classes élémentaires. Mais l'emploi du français, même pour la conversation et hors des écoles, est généralement interdit. (Voyez Arch. de l'Aube, p. 432, art. XXXII et XXXIII.) Vers la fin du même siècle et au commencement du seizième, quand les chefs-d'œuvre littéraires de l'antiquité, recherchés, commentés avec une nouvelle ardeur par les érudits, multipliés à l'aide de la presse, reçurent, au milieu de l'Europe régénérée, cette ovation enthousiaste que l'histoire a nommée la Renaissance, le langage scolastique, retrempé lui-même à cette source vive, y puisa de nouvelles forces pour soutenir la lutte dont nous avons parlé. On vit alors des hommes, même d'une haute valeur intellectuelle, composer, à l'usage de l'enfance, des dialogues familiers, où la langue du siècle d'Auguste servait d'interprète à de jeunes garçons du temps de Charles-Quint et de François Ier. Nous nous bornerons à citer, parmi ces curieuses tentatives, les Colloques d'Adrianus Bollandus de Cologne, ceux du Hollandais Erasme, et chez nous, ceux du célèbre Mathurin Cordier. Mais ces efforts devaient être à peu près vains, et l'on peut faire, à l'égard du dernier de ces auteurs, une remarque singulière : c'est que le seul de ses ouvrages qui lui ait survécu dans nos écoles, fut précisément écrit en français. Il parut d'abord sous ce titre : Miroir de la jeunesse, pour la former à bonnes mœurs el civilité de vie. Poitiers, 1559, in-16. C'est le livre aujourd'hui encore si connu sous le nom de Civilité puérile et honnête.

Disons enfin quelques mots des jeux. La bibliographie des jeux en général, formerait à elle seule une encyclopédie. Rabelais, au livre Ier, chapitre 22, de son Odyssée bouffonne, sous le titre captieux de Jeux de Gargantua, nous donne une longue énumération des divertissements, qui se pratiquaient de son temps, non-seulement parmi les écoliers, mais dans le monde. En ce qui concerne spécialement les jeux usités dans les écoles, ces dialogues familiers dont nous nous occupions il y a peu d'instants (ERASM., MATH. CORDER. ; et LUD. VIV., Lusus pueriles, Paris, 1555, in-8°), nous en fournissent une nomenclature, qui, sauf la forme de quelques termes, nous semble être demeurée à peu près exacte et complète. La voici en français du seizième siècle : La boule, courte ou longue ; la mousche, les barres ; le chevau-fondu ; la savatte ; le pot-cassé ; le sault, ou course à pieds-joints, à cloche-pied, à toutes jambes ; le palet ; la dance morisque, fol de morisque ; le ject de la pierre, la luicte (combat à bras-le-corps) ; la clicquette, ainsi que faict un ladre, formée de deux os plats, ou crecelle ; les quilles, la balle, la paulme, le ballon, la crosse ou balle crossée ; la toupie, le sabot ; la fossette avec des noix (et plus tard avec des billes) ; le per ou non ; les onchets, les cartes, les dames et les échecs. En 1589 (même date que le vitrail de Strasbourg), un éditeur d'estampes, nommé Nicolas Prévost, qui demeurait a Paris, rue Montorgueil, à l'image Saint-Antoine, mit en vente une sorte d'Album imprimé, sous ce titre : Les trente-six figures contenant tous les jeux qui se peuvent jamais inventer et représenter par les enfans, avec les amples significations desdites figures, mises au pied de chacune d'icelles, en vers françois, etc. (in-4° oblong, gravures sur bois). Cet opuscule, aujourd'hui rarissime, est au nombre des joyaux bibliographiques dont se compose le cabinet de M. Jérôme Pichon. Ici se bornent les renseignements que nous devions présenter au lecteur sur les jeunes habitants de nos anciens collèges. Pour les élèves des classes supérieures, qui s'y préparaient directement à l'exercice des professions libérales, ils doivent être assimilés à ceux des Facultés : les uns et les autres, sous le titre commun d'écoliers, trouveront ci-après un chapitre que nous leur consacrerons spécialement.

 

III. — ÉCOLIERS.

 

EN tout temps, Paris offrit aux amis de la dissipation et du plaisir un lieu plein de séductions et de ressources. En tout temps, des hommes supérieurs, des écrivains illustres, de graves magistrats, de vertueux citoyens, voire de saints et religieux personnages, préludèrent aux travaux de leur âge mûr par les folies de l'adolescence et par toutes les incartades des fils de l'Université. Au douzième siècle, un révérend abbé, guidant les premiers pas d'un jeune clerc prêt à commencer ses études au sein de la capitale, lui signale ces dangers dans une lettre de morale, que Du Boulai nous a conservée (Hist. Univ. par., t. II, p. 687), modèle antique du genre ; mais, hélas ! aussi inutile que vénérable, puisque tous les tuteurs n'ont jamais cessé de le reproduire et, quoique sans le savoir, de se répéter. Il faut d'ailleurs sérieusement reconnaître qu'à une époque où la police de la ville était dans l'enfance, et les mœurs publiques, barbares, cette population d'étudiants, parquée sur un territoire qui semblait inféodé à la tyrannie de leurs passions, composée de jeunes gens dans toute l'activité, toute la force de l'âge (au treizième siècle, nul ne pouvait recevoir la licence ès-arts avant vingt-un ans, et en théologie, avant trente-cinq ans d'âge, y compris huit années d'études), devait constituer, pour la vie des familles paisibles, un voisinage particulièrement redoutable.

A cette époque, où les collèges n'existaient point encore, la sûreté publique et privée de la ville entière était à chaque instant compromise par les habitudes violentes et indisciplinées de ces hôtes terribles. Un grave cardinal, Jacques de Vitry, qui, à la fin du douzième siècle, avait été leur condisciple, retrace d'eux un portrait peu flatteur, et nous apprend que des rixes, des séditions éclataient fréquemment dans ce tumultueux empire. Ces collisions avaient pour causes, tantôt les partis littéraires et les jalousies d'écoles, qui se formaient autour des chaires rivales ; tantôt des motifs beaucoup moins poétiques, nés de la pétulance et du désordre. Les qualifications suivantes témoignent de l'estime qu'ils s'accordaient réciproquement et de l'universelle aménité de leurs mœurs. Les écoliers s'accusaient entre eux, savoir : les Anglais, d'être buveurs et couards ; les Français, orgueilleux et efféminés ; les Allemands, colères et obscènes dans leurs repas ; les Normands, charlatans et glorieux ; les Poitevins, traîtres et adulateurs ; les Bourguignons, brutes et stupides ; les Bretons, légers et médisants ; les Lombards, avares, lâches et perfides ; les Romains, tumultueux et violents ; les Flamands, hommes de sang, incendiaires, routiers, voleurs, etc., etc. (BUL., Hist. Univ. par., t. II, p. 388).

La prostitution, semblable à ces créations parasites qui se développent spontanément dans des milieux impurs, pullulait sur leurs domaines. La Cité, le Val de Glatigny, et, de proche en proche, tout le faubourg des écoles, regorgeaient de filles perdues qui, faisant métier de la débauche, provoquaient à chaque pas ces jeunes gens, dont elles rançonnaient le libertinage. Les curieux peuvent consulter, à ce sujet, entre autres documents, un petit poème du seizième siècle, fort recherché des bibliophiles, et intitulé : Les Ténèbres du Champ-Gaillard, composées selon l'estat dudit lieu ; lesquelles se chantent sur le chant des Ténèbres de karesme (Paris, par Nicolas Buffet, près le collège de Reims, quatre feuillets in-16, sans date ; cabinet de M. J. Pichon. Voyez aussi Pantagruel, liv. II, chap. VI). Au douzième siècle, quelques-unes de ces malheureuses établissaient leurs tripots dans les maisons mêmes des maîtres ; si bien, dit un témoin oculaire déjà cité, que, sous le même toit, et séparés par un simple plancher, les graves disputations de la science se croisaient avec le dialogue et les objurgations des lupanars. Enfin, un autre contemporain, Jean de Salisbury, dans son poème intitulé de Miseriis scholasticorum, ajoute à cette peinture repoussante les derniers traits, les plus hideux, ceux de la saleté, de la misère et de l'opprobre. (BUL., ibid., t. II, p. 688).

Aux termes des canons, la personne d'un clerc étant particulièrement inviolable, se rendre coupable de voies de fait envers l'un d'eux, c'était commettre un crime qui entraînait l'excommunication, et que le pape seul pouvait absoudre. Or, les écoliers appartenant tous à cette condition, ce genre de sacrilèges mutuels était chez eux extrêmement multiplié. En 1211, ils exposèrent au souverain pontife, que le voyage de Rome leur occasionnait un déplacement et des difficultés impraticables. Innocent III condescendit à leurs désirs, et commit à l'abbé de Saint-Victor le pouvoir de délier de cette catégorie d'anathèmes. Cet acte d'indulgence fut comme une prime offerte à l'audace et à l'indiscipline. Sept ans après, l'officiai de Paris devait recourir aux excommunications générales et aux inhibitions les plus sévères, pour réprimer les débordements des écoliers qui, marchant de nuit et de jour, armés et en troupes, s'introduisaient violemment dans les maisons pour y enlever les femmes, mettre à mal les filles, et commettre toutes sortes de forfaits. (BUL., Hist. Univ. par., t. III, p. 95.)

L'établissement des collèges mit seul une fin ou du moins une restriction sensible à ce genre de vie, et, postérieurement à cette heureuse innovation, le tableau des mœurs universitaires apparaît sous de moins sombres couleurs. Nous voyous qu'en 1275 les écoliers prenaient texte de la moindre circonstance, plus ou moins religieuse ou littéraire, pour multiplier les fêtes, et pour les célébrer à l'aide de festins, de rasades, d'illuminations, de déguisements, de bals et de cavalcades. L'époque des Déterminances, à laquelle les candidats élisaient entre eux un capitaine ; celles de l'Épiphanie et des Innocents, qui donnaient lieu à la création d'un évêque et d'un roi, fournissaient l'occasion la plus fréquente de ces tumultueuses réjouissances. Toutes ces solennités furent réduites à deux rafraîchissements (potationes), l'un pour le commencement, l'autre pour la fin de la Déterminance, et à une fête patronale pour chacune des Nations, sans compter la Sainte-Catherine et la Saint-Nicolas, fêtes générales des clercs et de la jeunesse. (BUL., III, 420. Voyez aussi le Ménagier de Paris, publication de la Société des Bibliophiles ; Paris, 1847, in-8°, tome II, page 52, note 3.)

Il y avait surtout deux localités, que les écoliers de Paris aimaient, avec une prédilection particulière, à prendre pour théâtre de leurs bruyants ébats.

La première était le Pré-aux-Clercs, vaste prairie dont le parcours se mesure aujourd'hui par la longueur totale des rues Saint-Dominique et de l'Université, et qui, depuis les temps les plus reculés, constituait le domaine des écoles. Du Boulai (Factum, ou Remarques sur l'élection des officiers de l'Université de Paris. Paris, 1668, in-4°), et après lui, le syndic et recteur Pourchot (Mémoire touchant la seigneurie du Pré-aux-Clercs. Paris, 1694, in-4°, réimprimé en 1737), ont écrit, sur l'histoire et sur la topographie de cet ancien fief universitaire, plusieurs dissertations, auxquelles nous devons nous contenter de renvoyer le lecteur.

La seconde était la fameuse foire du Lendit. L'église de Paris étant devenue en 1109 possesseur de quelques fragments de la 'Vraie-Croix, l'évêque de cette capitale, cédant aux vœux de la population qui se pressait pour contempler ces reliques, se rendit en grande pompe, à la tête de son clergé, vers un certain endroit de la plaine de Saint-Denis, afin que dans ce vaste espace on pût donner satisfaction à l'immense concours des fidèles. Peu à peu, une solennité religieuse, puis un marché, s'établirent périodiquement en ce lieu. Telle fut l'origine de cette fête célèbre, dont le savant abbé Lebeuf a si bien démontré les commencements historiques (Hist. du dioc. de Paris, in-12, 1754, t. III, p. 246 et suiv.) Un petit poème français, le dit du Lendit, écrit de 1290 à 1300, et publié dans cette histoire (t. III, p. 259), contient une peinture précieuse de ce qui s'y passait alors ; et ce même tableau, ou du moins le pendant, se trouve retracé dans un autre document analogue, également en vers, composé à près de deux siècles de distance, mais beaucoup moins connu. Nous voulons parler de l'Estat du Lendit, opuscule de huit feuillets in-16, qui commence par un prologue en prose, et qui fut imprimé à Paris vers 1530, sans date ni frontispice, probablement pour être vendu sur le lieu même de la foire (Bibliothèque de M. J. Pichon). Nous avons mentionné ci-dessus, en traitant du recteur, la visite solennelle qu'y faisait ce personnage, et le rôle qu'il y jouait au nom de l'Université. Ce même jour, les écoles chômaient universellement ; et tous, docteurs, régents, écoliers surtout, prenaient part à cette festivité. Le Lendit, qui tombait toujours, ainsi que nous l'avons indiqué plus haut, à l'époque de la saison la plus belle et la plus ardente, était comme le Longchamps des écoliers. Le matin, de bonne heure, la jeunesse des écoles, vêtue de ses plus beaux habits, se réunissait à cheval sur les hauteurs de Sainte-Geneviève ; puis, le cortège, traversant toute la capitale au milieu des bourgeois qui se mettaient aux fenêtres et qui s'esbahissaient à ce spectacle, se rendait à la fameuse foire, laquelle se tint jusqu'au seizième siècle, au lieu nommé le Champ-du-Lendit. C'est là qu'après avoir mis pied à terre, les jeunes pèlerins se livraient aux festins, aux divertissements, aux séductions et aux appâts de tout genre que la foire du Lendit étalait avec prodigalité sous leurs yeux. Des rixes, des désordres, des accidents de toute espèce ne tardèrent pas à se produire et ne cessèrent point, pendant tout le Moyen Age, d'accompagner ces voluptueuses excursions. Du quinzième au seizième siècle, les arrêts du parlement, sans cesse renouvelés, sans cesse méconnus, contre le port des armes des écoliers, et les excès innombrables qu'ils y commettaient, témoignent à la fois de ces abus et de la difficulté que la magistrature éprouvait à y mettre un terme. Enfin, en 1556, la foire fut transportée dans la ville fermée de Saint-Denis : vers la même époque, l'usage du papier commençant à remplacer le parchemin, les écoliers furent destitués de tout prétexte pour accomplir leur promenade favorite, et le Lendit tomba en désuétude. Au dix-huitième siècle, il n'en restait plus d'autre vestige, qu'un congé général donné par le recteur, tous les ans, le premier lundi qui suivait la Saint-Barnabé, et que l'on appelait le congé du Lendit.

On connaît les cérémonies burlesques qui accompagnaient les fêtes des Fous, de T Ane et des Innocents, et qui, nées dans l'Église, durent s'attirer par la suite des répressions et les anathèmes de l'Église. Ces singulières pratiques, indépendamment de leur côté pittoresque et curieux, offrent à l'indulgence de l'archéologue et de l'historien cette considération atténuante, qu'elles furent chez nous les premiers germes de la comédie moderne. Peu à peu, le progrès des mœurs et celui des institutions adoucirent ce qu'il y avait de plus excessif dans les habitudes des écoliers. Les représentations théâtrales à l'intérieur des collèges, les jeux en plein air ; les promenades périodiques à la campagne, qui se faisaient avec grande pompe et en cortège, accompagné de fifres et tambourins telles que la promenade de Notre-Dame-des-Vignes ; celle de Notre-Dame-des-Champs ; celle du Mai, qui se terminait en plantant un arbre de ce nom à la porte du recteur, et autres divertissements analogues (Voyez Recueils des privilèges de l'Université ; édition de 1684, p. 211), remplacèrent insensiblement ces pratiques désordonnées. Cependant il fallut bien des années pour effacer ces traditions d'insubordination et de violence. Les récits de nos conteurs français du seizième siècle, notamment les Nouvelles de la Reine de Navarre, et les Joyeux devis de Bonaventure Desperiers, nous représentent, en la personne des écoliers, les "héros de certaines aventures, où les bornes d'une aimable espièglerie et d'une galante façon de vivre sont très-fréquemment dépassées. Enfin, battre le pavé la nuit, sans trop de respect pour l'asile des citoyens, pour le repos de leurs femmes et la pudeur des filles ; rosser le guet à l'occasion et jeter les sergents en Seine, passaient pour des prouesses qui, en plein dix-septième siècle, se reproduisirent encore ailleurs que dans les souvenirs universitaires dont s'entretenaient les écoliers. (Voyez DULAURE, Hist. de Paris, sous Louis XIII, édit. de 1837, t. v, p. 5 etc.)

 

En général, le costume des écoliers proprement dits fut le costume de la jeunesse. Des vignettes qui ornent les registres manuscrits de l'Université nous montrent qu'en dépit des édits sans cesse renouvelés, le port des armes, autorisé pour beaucoup par leur qualité de gentilshommes, faisait partie intégrante de leur habillement. Quant aux gradués, voici le curieux article que nous offre un statut de 1215, promulgué pour les écoles de Paris, par le cardinal Robert de Courson : Que nul maître lisant ès-arts ne soit autrement vêtu que d'une chape ronde et noire, longue jusqu'aux talons, du moins lorsqu'elle est neuve ; il lui est toutefois permis d'y joindre le manteau. Qu'il n'ait pas, sous sa chape, des souliers lacés, et jamais en forme de liripipion ; c'est-à-dire largement recourbés au bout et semblables à l'appendice du chaperon des élégants de ce temps-là, appendice nommé liripipion (Voyez ce mot dans le Dictionnaire de Ménage et dans Du Cange, Glossar. med. et infime latinit., au mot liripipium. Nullus magistrorum legentium in artibus habeat cappam, nisi rotundam, nigram et talarem, saltem dum nova est. Pallio autem bene potest uti. Soculares non habeat sub cappa rotunda laqueatos, nunquam liripipiatos. (Hist. Univ. par., t. III, p, 82.) Il s'agit ici de formes proscrites comme mondaines et dissolues. Ces mêmes prohibitions, ces mêmes règles somptuaires furent pour ainsi dire renouvelées, de siècle en siècle (Voyez notamment la réforme de 1452, Hist. Univ. par., t. V, p. 504, 575). C'est dire les rudes combats que, dès ces époques reculées, la Mode livrait incessamment à la Discipline, pour l'ajustement de la jeunesse. Nous avons vu que la chape ronde était l'insigne de la licence. Les docteurs se couvraient la tête d'un bonnet, et revêtaient une sorte de mozette ou capuce doublé d'hermine. En 1334, Jacques Fournier, né en France et élève de l'Université, devenu pape sous le nom de Benoît XII, permit aux docteurs en droit, comme marque de leur dignité, de porter un chaperon de couleur rouge. (E. DUBARLE, Hist. de l'Univ., 1829, 2 vol. in-8°, t. I, p. 143). Ce chaperon, attaché par une vaste draperie autour du cou, se rabattait sur l'épaule ; telle est l'origine de l'épitoge de quelques-uns de nos insignes universitaires, et notamment de ceux qui appartiennent à la magistrature, comme les insignes de licencié et de docteur en droit.

Le costume des autres fonctionnaires : procureurs, receveurs, etc., paraît avoir été le costume du grade universitaire dont ils étaient respectivement revêtus. Toutefois, chacun de ces fonctionnaires, au moment où il était élu, recevait comme signes de son investiture, divers objets, instruments et symboles, tout ensemble, de ses nouvelles fonctions. Ces objets consistaient, pour les receveurs, dans une bourse qu'ils portèrent primitivement à la ceinture. En ce qui touche les procureurs, le passage suivant, que nous empruntons aux archives mêmes de l'Université, nous fera connaître à la fois quels étaient les emblèmes de leur office et le cérémonial de leur prise de possession. Le 21 octobre 1478 (nous traduisons), fut élu pour procureur, maître Jean Lucas, du diocèse d'Arras ; lequel, après s'être excusé de diverses manières, confiant dans l'appui de Dieu et de chacun des suppôts de la Nation, muni du signe de la croix, au nom de l'indivisible Trinité, le Père, le Fils et le Saint-Esprit, a accepté l'office de procureur, et a reçu, comme marques de vraie et réelle possession, le Livre des Statuts, le Sceau et les Clefs de la Nation, etc. (Liber conclusionum fideiissim. nation. Picard. Arch. de l'Univ., Minist. de l'Instr. publique. Reg. n° XI, f° lxxv.)

Indépendamment de ces descriptions, les nombreux monuments, dont la reproduction peinte ou gravée accompagne cet article, ont pu offrir à tous les yeux une fidèle représentation des divers membres et suppôts qui composaient la hiérarchie universitaire, à différentes époques du Moyen Age. Mais il n'en est pas de même du personnage qui occupait le sommet de cette hiérarchie ; nous voulons parler du recteur, dont les images se rencontrent beaucoup moins fréquemment parmi les œuvres d'art de cette période. Le témoignage le plus ancien à cet égard, dont la trace ait subsisté jusqu'à nous, consiste en un parement d'autel peint à l'aiguille ou brodé sur velours, appartenant jadis au couvent de Saint-Victor, sur la rive gauche de la Seine, et représentant les funérailles d'un chanoine de ce monastère : le recteur, accompagné de ses suppôts, assiste à la cérémonie. Ce monument, qui paraît avoir été certainement exécuté avant 1520, ne nous est point connu en original ; mais il a été gravé habilement à la manière noire par un auteur anonyme, vers le commencement du dix-neuvième siècle, époque où il existait encore, et M. Guénebault possède actuellement dans son cabinet une épreuve de cette intéressante estampe. Il y a quelque lieu de penser que, dès le temps de Du Boulai, ce genre de monuments était déjà très-rare. Dans l'une de ses plus curieuses monographies, consacrée à la dignité rectorale, dont il fut lui-même revêtu, il allègue, pour unique autorité en ce qui concerne le costume que portait ce personnage dans les temps anciens, il invoque exclusivement la vignette initiale peinte du Cartulaire, ou Livre des procureurs de la Nation de France ; manuscrit qui remontait au moins, selon toute vraisemblance, au delà du quinzième siècle, et qui malheureusement n'a pas été conservé jusqu'à nous.

Ces diverses circonstances rendent d'autant plus précieuse la description de visu que Du Boulai nous a laissée de cette antique peinture, et nous font un devoir de reproduire textuellement le passage en question, dans lequel il s'exprime ainsi :

L'on voit, dit-il, dans l'ancien livre en parchemin des procureurs de la Nation de France, au commencement des privilèges royaux, une image enluminée, où l'Université demande à Philippe-Auguste justice des excès commis par les gens du prévôt de Paris en 1200 (Voyez ci-dessus, fol. VIII, verso). Le roy y est dans un fauteuil, la couronne sur la teste, etc. Le recteur s'approche de luy, et lui montre les suppôts de sa suite, le genou en terre, pour lui demander justice. Il y est vêtu d'une robe assez serrée et ceinte, et d'un chaperon de même couleur par-dessus. Le roy lui frappe dans la main comme s'il lui accordoit ce qu'il lui demande. Les procureurs des Nations y paroissent vêtus de robes rouges comme ils sont aujourd'hui, mais avec des chaperons à la capucine (Voyez ci-dessus le monument de 1440, fol. IX, recto), et leurs bedeaux, de chaperons rouges estendus sur leurs espaules.

Or, quoique la couleur soit un peu déchargée dans la plupart des personnages qui y sont représentez, l'on voit bien néanmoins que la robe du recteur y est bleue ou violette.

Le chaperon du recteur est comme un petit mantelet rond, qui descend jusques à la ceinture, et qui est agrafé par le devant ; on l'appelle ordinairement la fourrure, parce qu'il y a une fourrure blanche sur un fond d'écarlate violette ; et quant à la forme, nous la voyons semblable dans l'image susdite, hormis qu'anciennement il y avoit une espèce de queue pendante un peu plus large que la main.

Nous appelons cette fourrure-là chaperon, parce qu'il y a bien de l'apparence que le recteur couvroit anciennement sa tête comme d'un camail ; mais aujourd'hui il n'y reste plus que ce qui couvre les espaules.

Le recteur porte encore une grande bourse violette à la ceinture, dans laquelle le vulgaire croit qu'il y a tousjours cent escus d'or ; je ne sais sur quel fondement. Il est certain qu'anciennement les procureurs des Nations et autres officiers portaient aussi des bourses, comme nous voyons dans la susdite image ; mais aujourd'hui il n'y a plus que le recteur qui en porte pour conserver cette marque de l'antiquité.

(DU BOULAI, Remarques sur la dignité, préséance, autorité el juridiction du recteur de l'Université de Paris. Paris, 1668, in-4°, pages 24 à 26.)

 

Nous ne terminerons pas cette notice sans consacrer quelques lignes à certains écoliers illustres, qui, indépendamment de tout mérite en tant qu'hommes d'État ou du inonde, se sont acquis chez nous, dans le cours même de leur carrière universitaire, une longue et notable renommée. Au quinzième siècle, notre vieux Villon, le poète des traditions parisiennes, dans sa charmante ballade de Dames du temps jadis, où il passe en revue nos légendes nationales, mentionne deux de ces personnages auxquels nous devons à notre tour un souvenir. Où est, s'écrie-t-il,

Où est la très-sage (très-savante) Héloïs

Pour qui fut chastré et puys moyne

Pierre Esbaillart, à Saint-Denis ?

Pour son amour eut cette essoyne (récompense) !

Semblahlement où est la reyne

Qui ordonna que Buridan

Fust getté en ung sac en Seyne ?

Mais où sont les neiges d'antan (de l'an passé) ?

 

Nous n'ajouterons rien relativement au premier de ces anciens maîtres de l'Université parisienne ; relativement à cet Abailard, dont la science, les malheurs et les romanesques amours défraient, depuis si longtemps, les compositions de la littérature et des arts. Deux mots seulement sur la seconde de ces traditions. On racontait donc, au quinzième siècle, qu'au temps jadis une reine de France guettait, de son logis, sis en la tour de Nesle, au bord de la Seine, les écoliers qui passaient par ce détroit de l'Université, choisissait les plus beaux et les attirait dans sa demeure ; puis, qu'après avoir fait servir ces jeunes hommes à ses plaisirs, cette reine, aussi cruelle que lascive, les faisait précipiter de sa propre chambre dans les flots de la rivière, où s'ensevelissaient à la fois la victime et le témoin. On racontait encore que l'un de ces écoliers, plus heureux que les autres, nommé Jehan Buridan, était parvenu à s'échapper et que, s'appuyant sur le fait même qu'il prêchait pour exemple, il avait préconisé cet axiome : qu'il pouvait être bon de tuer une reine. Ces rumeurs avaient pour origine évidente les soupçons d'immoralité qui planèrent sur les trois femmes des fils de Philippe le Hardi ; soupçons qui, pour deux d'entre elles, Blanche, femme de Charles le Bel, et Marguerite de Bourgogne, femme de Louis le Hutin, se convertirent en témoignages avérés d'adultère. Mais on attribuait les orgies de la tour de Nesle à Jeanne de Navarre, épouse de Philippe le Bel, la même qui fonda le collège de Navarre, et contre laquelle l'imputation judiciaire ne put être prouvée. Robert Gaguin, contemporain de Villon, raconte à son tour ces détails, et, traitant de rêverie cette légende, cherche à établir un anachronisme entre Jeanne et Buridan, les deux héros de l'aventure. (R. GAG., Compendium supra Francor. gestis, lib. VII.) Mais, comme Bayle (Dictionn. critiq., au mot Buridan) l'a judicieusement remarqué, cet anachronisme n'est point démontré par le pieux compilateur d'une manière absolument irréfragable, et le mutisme des chroniqueurs officiels, pour qui sait la manière dont alors s'écrivait l'histoire, est loin de fournir un démenti tout à fait sans réplique à ces allégations de la voix populaire. Il faut avouer cependant que ce silence unanime des écrits contemporains, combiné avec les dates mêmes de l'histoire, contribue, plus encore que l'énormité de l'attentat supposé et de la répugnance morale qu'il inspire, à rendre ce fait incroyable. Jeanne de Navarre mourut en 1304, âgée de trente-trois ans. Ainsi que nous le fait voir Du Boulai, d'après les registres de l'Université, Jehan Buridan, né à Béthune en Artois, de la nation de Picardie, fit ses études dans la capitale, où il s'acquit, par ses ouvrages, par son enseignement, une immense réputation qui se perpétua dans l'école pendant des siècles ; il s'y distingua surtout comme métaphysicien et dogmatiste ; à diverses reprises il fut investi de dignités universitaires, et mourut vraisemblablement vers 1358, au moins sexagénaire (Non minor quam sexagenarius. Hist. Univ. par. t. IV), ayant plusieurs fois rempli les fonctions de receveur, de procureur, et enfin de recteur, charge qu'il occupait dès 1327.

On le voit donc, cette légende parisienne de Buridan et de la tour de Nesle, semblable à ces antiques édifices qui souvent cachent à demi leur front dans la brume, se présente également à nous entourée de doute, d'incertitude, et pour ainsi dire voilée de cette mystérieuse auréole qui prête ailleurs son charme vague à d'anciens récits, mais que le temps semble avoir laissée sur le nôtre, comme pour atténuer l'horreur d'un grand crime.

 

A. VALLET DE VIRIVILLE.