LA GUERRE DE 1870

 

V. — LE SIÈGE DE PARIS.

 

 

Depuis la bataille de Sedan, toute la guerre se concentra dans une opération, le siège de Paris. Prendre Paris, la capitale et le cœur de la France, délivrer Paris : ce fut l'enjeu suprême des deux partis. L'histoire des opérations de d'Aurelle de Paladines, Chanzy, de Faidherbe, forme autant d'épisodes du siège même de Paris.

Des préparatifs de défense de la capitale avaient été faits par le ministère Palikao, dès le milieu du mois d'août. Une grande difficulté à résoudre était la question des subsistances pour une population aussi nombreuse ; on fit entrer les plus grands approvisionnements en vivres que l'on put. Paris put ainsi se suffire pendant quatre mois. Quand Paris n'eut plus rien à manger, Paris capitula.

La capitale avait une enceinte et des forts détachés, qui avaient été construits en vertu de la loi de 1840. On les arma à la hâte avec de grosses pièces de canon qu'on prit dans les arsenaux de la marine. Le ministre de la marine, Rigault de Genouilly, fit venir aussi environ vingt-cinq mille matelots pour le service de ces pièces. Les marins du siège de Paris eurent une discipline excellente ; ce furent des troupes modèles, qui servirent dans les forts ou dans les camps comme elles auraient servi à bord des vaisseaux. Mais quelle inintelligence stratégique d'envoyer des marins se battre au fort de Montrouge ou au Bourget, quand leur véritable place de combat eût été aux embouchures de l'Elbe ou du Weser !

Le 17 août, le ministère Palikao avait nommé gouverneur de Paris le général Trochu ; celui-ci devint, après le 4 septembre, président du gouvernement de la Défense nationale. Excellent chef d'état-major, colonel à trente-huit ans, général de division à quarante-quatre, l'auteur de l'Armée française[1] était un écrivain militaire justement réputé ; l'indépendance même de ses jugements l'avait fait mettre par le gouvernement impérial dans une sorte de demi-disgrâce. Malheureusement, l'homme d'action n'égalait pas en lui l'écrivain ; se regardant un peu comme un Lamartine en uniforme, le général Trop lu lança proclamations sur proclamations ; il avait oublié l'énergique devise de Hoche : Res, non verba. Le sentiment du devoir ne lui manqua certes pas dans son rôle de gouverneur de Paris ; mais il n'avait pas confiance, ni dans certains de ses instruments militaires comme la garde nationale, ni dans le but suprême, la délivrance de la capitale. Alors, irrésolu, découragé, il se borna tout le temps à une défensive triste, inerte, passive, sans jamais songer à prendre le rôle d'assaillant, si ce n'est quand la pression de l'opinion publique lui imposa des opérations de sorties. Il parlait toujours de son fameux plan, qu'il n'exécuta jamais. On peut se demander si un homme de guerre se trouva jamais en présence d'une tâche aussi lourde que celle qui pesa sur ses épaules. Du moins, il semble que la responsabilité de la défense d'une ville comme Paris, de laquelle dépendait le sort de la France, ait paralysé dans ce général, d'une valeur morale et militaire incontestables, l'esprit d'initiative et la volonté.

L'armée active, réunie dans Paris, était forte de soixante-quinze mille à quatre-vingt mille hommes. Elle comprenait deux corps : le 13e et le 14e. Le 14e, commandé par le général Renault, était en formation au début du siège. Quant au 13e, commandé par le général Vinoy, il s'était trouvé à Mézières lors de la bataille de Sedan ; son chef avait pu le soustraire, par une retraite heureuse, à la poursuite des Allemands ; il avait été de retour à Paris le 7 septembre. Ce fut de beaucoup la partie la plus solide des troupes du siège, notamment la brigade des 35e et 42e régiments d'infanterie, qui venaient d'être rappelés de Rome.

Ces deux corps étaient sous les ordres de Ducrot. Ecce homo : Commandant du 1er corps à Sedan, mené en captivité en Allemagne, Ducrot s'était échappé à la gare de Pont-à-Mousson. Pour les Allemands, il est de tous les généraux français celui qui a le plus fait pour la défense de son pays. Chef d'une extrême énergie, admirable entraîneur d'hommes, ayant un vrai tempérament de soldat, il se souciait peu de faire sa cour aux clubs et aux journaux.

Malgré ses échecs, il fut l'homme de guerre du siège de Paris. S'il avait eu la direction générale de la défense, elle aurait pris un tout autre caractère. Mais il a dit lui-même avec vérité et sans amertume : Je n'ai jamais été écouté dans mes avis ni laissé libre dans mes mouvements.

En dehors de ces troupes régulières, le reste de l'armée de Paris n'était qu'un ramassis confus.

C'était la garde nationale mobile et la garde nationale sédentaire.

La garde nationale mobile cent quinze mille hommes se composait de deux éléments : les mobiles de la Seine, indisciplinés, pillards ; les mobiles des départements, sans instruction militaire, mais d'un meilleur esprit.

La garde nationale sédentaire finit par comprendre une cohue de trois cent quarante-quatre mille hommes, avec beaucoup d'éléments impurs. Au mois de novembre, on organisa, avec cette garde nationale, des bataillons de marche. Suivant les bataillons et suivant les chefs, qui étaient nommés à l'élection, l'esprit fut bon ou détestable. Des éléments révolutionnaires de cette garde nationale devait sortir l'armée de la Commune.

Il faut encore citer quelques corps francs, pour la plupart peu utiles, à l'exception des francs-tireurs de la Presse, qui firent preuve de réelles qualités.

En somme, il y avait dans Paris une masse énorme de cinq cent mille combattants, masse incohérente, décousue, et dans laquelle il aurait fallu avant tout trier les éléments utiles. Pour organiser la défense, il aurait fallu commencer par organiser l'armée. Trochu n'y songea pas ou y songea trop tard.

 

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Dès le 16 septembre, onze jours seulement après Sedan, les premières troupes allemandes arrivèrent devant Paris.

L'armée du prince royal de Saxe, venue par Laon, Soissons, Compiègne, Pontoise, franchit la Seine en aval, vers Poissy ; elle s'établit au nord et à l'ouest de la capitale.

L'armée du prince royal de Prusse, venue par Reims, Épernay, Château-Thierry, franchit la Seine en amont, vers Villeneuve-Saint-Georges, Juvisy, Corbeil ; elle s'établit au sud de Paris.

Le 7 octobre, le roi- Guillaume et le grand quartier général s'installèrent à Versailles.

Au début de novembre, après la capitulation de Metz, la ligne d'investissement fut occupée par deux cent cinquante mille hommes et sept cents canons.

 

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Au début même du siège, il y eut un essai de négociations. Ce fut l'entrevue de Ferrières, du 19 septembre, entre Jules Favre, vice-président du gouvernement, et Bismarck. La Prusse n'avait-elle pas dit qu'elle faisait la guerre à l'empereur et non à la France ?

Dans une circulaire aux cabinets étrangers, Jules Favre avait déjà fait la déclaration fameuse que la France ne céderait ni un pouce de son territoire ni une pierre de ses forteresses. A Ferrières, il répéta à peu près ces paroles au chancelier ; il lui dit, les larmes dans la voix, que la France était décidée à refuser tout démembrement d'elle-même, mais qu'elle se résignerait à payer une indemnité pécuniaire. La réponse de Bismarck, précise, coupante comme la lame de l'épée, fut la cession immédiate, en guise de préliminaires, de la majeure partie de l'Alsace et de la Lorraine.

Jamais mieux qu'en ce dialogue, a dit Albert Sorel[2], on ne put mesurer la distance qui sépare le politique de l'orateur. M. Jules Favre était, dans le sens le plus large du mot, ce qu'on appelait, il y a cent ans, un homme sensible. Justement parce qu'il n'avait ni l'arrogance, ni le fanatisme d'un jacobin, il se rattachait par une descendance plus légitime à la lignée de Rousseau. Il lui manquait toutes les qualités du diplomate. Il ne possédait ni les connaissances pratiques, ni la fécondité de ressources, ni surtout le sang-froid qui font les négociateurs. Il était ému, il s'efforçait d'émouvoir : il en appelait à l'humanité, à la conscience, à la sympathie de son adversaire. Celui-ci était connu par son goût pour les réalités et par le tour positif de son caractère : il ne cherchait pas à toucher son interlocuteur, mais à deviner ses faiblesses et à en profiter ; à des considérations tirées du sentiment, il opposait la raison d'État. M. de Bismarck et M. Jules Favre suivirent constamment deux lignes parallèles : ils marchaient de front sans se rencontrer.

 

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Le jour même de la vaine entrevue de Ferrières, le 19 septembre, à Châtillon se livrait le premier combat du siège.

Pour conserver les hauteurs de Châtillon et de Meudon, qui n'étaient pas fortifiées à cette époque, Ducrot attaqua les colonnes allemandes pendant leur marche de Choisy-le-Roi à Versailles. Du plateau de Châtillon, il pouvait couper l'armée ennemie. Mais de honteuses défaillances se produisirent parmi ses troupes. Un régiment de zouaves, qui n'avait des zouaves que le nom et l'uniforme, se débanda dans le bois de Meudon, et rentra à Paris dans le plus grand désordre. Clamart, Bagneux furent évacués à la fin de cette journée malheureuse, qui pesa d'un poids très lourd sur le moral des troupes et de la population.

Les Allemands occupèrent aussitôt les hauteurs de Châtillon, Clamart, Meudon, d'où ils dominaient les forts de Montrouge, Vanves et Issy.

A partir du 20 septembre, l'investissement fut complet : de Saint-Germain à Choisy le-Roi, l'armée du prince royal ; entre la Seine et la Marne, la division wurtembergeoise ; entre la Marne et le Bourget, la division saxonne et la Garde ; du Bourget à Saint-Germain, l'armée du prince royal de Saxe.

Toutes les relations furent dès lors interrompues entre Paris et la Fiance. Les seules communications se firent par les airs. Soixante-cinq ballons partirent de Paris ; les pigeons voyageurs qu'ils emmenaient rapportaient des nouvelles.

 

* * *

 

Après l'affaire de Châtillon, on avait cru à un assaut immédiat de Paris, et l'on ne voit pas ce qui aurait pu empêcher l'ennemi d'entrer dans la ville à la suite des fuyards. Mais pas plus à ce moment que plus tard, il ne songea à pénétrer dans Paris par force ou par ruse. Alors on reprit confiance. Trochu décida de réoccuper quelques-uns des points abandonnés. Mais tout cela décousu, par à-coups, comme au hasard, sans plan d'ensemble ni idées maîtresses.

Le combat de Villejuif, du 23 septembre, nous rendit les deux redoutes des Hautes-Bruyères et de Moulin Saquet. Cette occupation protégeait contre un bombardement Bicêtre, Ivry, Bercy et la partie sud-est de Paris.

Le 10 septembre, une sortie plus importante se fit dans la direction de Choisy-le-Roi. Le 13e corps s'élança sur Thiais, Chevilly, l'Hay. A Chevilly, le général Guilhem fut tué de dix balles dans la poitrine. Les régiments fléchirent. Après nous avoir coûté deux mille hommes, l'attaque échoua.

Le 13 octobre, Vinoy conduisit encore le 13e corps à l'assaut de Bagneux et de Châtillon. Bagneux fut pris par les mobiles de la Côte-d'Or et de l'Aube. Le capitaine Jean Casimir-Perier, des mobiles de l'Aube, qui fut plus tard président de la République, se signala par sa bravoure. Il arracha aux ennemis le comte de Dampierre, chef du bataillon de l'Aube, mortellement blessé, et il chassa de Bagneux les Bavarois. Il fut cependant impossible de gagner les hauteurs de Châtillon. A la fin de la journée, Vinoy reçut de Trochu l'ordre d'évacuer même Bagneux.

La journée du 13 octobre, dite du combat de Bagneux, fut une journée énergique, sans résultat.

Même caractère au combat de la Malmaison, le 21 octobre. Les troupes, que commandait Ducrot, s'honorèrent par l'attaque la plus vigoureuse, notamment les zouaves qui lavèrent la tache du 19 septembre. La Malmaison et Buzenval furent enlevés ; il y eut une terrible fusillade dans les bois de Saint-Cucufa. Mais l'ennemi amena des forces supérieures. Devant ses retours offensifs, il fallut battre en retraite. Triste dénouement, toujours le même.

Le combat du Bourget, du 28 au 30 octobre, fut plus important.

Les francs-tireurs de la Presse surprirent, le 28 octobre au matin, une compagnie de la garde royale prussienne et enlevèrent le Bourget. Trochu déclara que cette position était en pointe, qu'il était inutile de la garder ; on ne fit donc rien pour la défendre. Mais le 30 octobre, au matin, deux régiments de la garde, protégés par une forte artillerie, pénétrèrent dans le Bourget. Ce village n'était gardé que par dix-neuf cents hommes, abandonnés à eux-mêmes, sans chefs ni artillerie. Leur résistance fut héroïque. La rue centrale, l'église, les maisons se hérissèrent de barricades ; douze cents Français, parmi lesquels le commandant Banoche, se firent tuer dans ce terrible combat de rues. Le Bourget ressemblait à un charnier.

Que de sang versé sans résultat et au hasard des sorties partielles, qu'on improvisait de droite et de gauche, tantôt sur Bagneux, tantôt sur la Malmaison, tantôt sur le Bourget !

Paris était en proie à l'amer désappointement de ces échecs répétés, quand une nouvelle affreuse circula : Metz s'était rendu. La douleur patriotique des Parisiens fut exploitée par les révolutionnaires.

Le 31 octobre, huit mille gardes nationaux, conduits par Flourens, s'emparèrent de l'Hôtel de Ville et y retinrent prisonniers les membres du gouvernement, Trochu, Jules Favre, Jules Simon, Garnier-Pagès, Jules Ferry. Des décrets furent rédigés sur l'heure par Blanqui pour organiser une Commune. A la fin de la journée, un bataillon de gardes nationaux fidèles fit les insurgés prisonniers à leur tour. Puis émeutiers et membres du gouvernement sortirent pêle-mêle de l'Hôtel de Ville. Pas un coup de fusil ne fut tiré. Mais le triste symptôme que cette journée du 31 octobre ! Ce fut comme la première mobilisation des forces de la Commune.

Le gouvernement essaya de consolider sa situation, en provoquant le 3 novembre un plébiscite. Il eut pour lui cinq cent cinquante-neuf mille votes contre soixante-deux mille. En dépit de cette majorité si forte, il se borna à casser quelques commandants de bataillons. Le palliatif était insuffisant. Paris aurait eu besoin d'un chirurgien énergique, prêt à porter le fer dans les parties malades.

Vers la même époque, on parlait d'un armistice. Thiers venait de terminer le douloureux voyage qu'il avait entrepris à travers l'Europe, en vue de provoquer une médiation étrangère. A Londres, à Vienne, à Saint-Pétersbourg, à Florence, partout il avait rencontré le même accueil courtois et sympathique, mais partout aussi la même abstention de parti pris. Cependant l'Angleterre avait prié la Prusse de conclure un armistice pour permettre l'élection d'une Assemblée nationale. Thiers eut à cet effet une entrevue à Versailles avec Bismarck. Celui-ci consentit à l'armistice, mais à la condition qu'un fort de Paris fût remis aux Prussiens et que Paris ne fût pas ravitaillé pendant la suspension des Hostilités. Thiers, découragé, vint apporter ces conditions — à Jules Favre et à Ducrot, le 5 novembre, dans une maison en ruines, près du pont de Sèvres. Thiers disait que la paix immédiate était nécessaire ; Favre s'y résignait aussi, tout en ajoutant que Paris n'accepterait jamais la cession de Strasbourg et de Metz. Mais Ducrot coupa court aux pourparlers. La France ne pouvait capituler encore.

Nous avons des vivres, s'écriait le général[3], nous avons des armes, des munitions, des troupes qui s'aguerrissent chaque jour ; nous devons défendre Paris aussi longtemps que possible pour donner au pays le temps de former de nouvelles armées ; la résistance de Paris rachètera la honte de Metz et de Sedan ; si les ruines matérielles s'augmentent, les ruines morales diminueront. — Vous parlez en soldat, dit Thiers, et non en politique. — Je parle en politique, repartit Ducrot. Une grande nation comme la France se relève toujours de ses ruines matérielles ; jamais elle ne se relèvera de ses ruines morales. Notre génération souffrira, mais la suivante bénéficiera de l'honneur que nous aurons sauvé.

 

* * *

 

On allait donc continuer à se battre, ou plutôt on allait commencer à le faire d'une manière sérieuse.

En vue d'une offensive énergique, on répartit en trois grandes armées les forces de Paris.

La 1re armée, composée de deux cent soixante-six bataillons de garde nationale, fut placée sous les ordres du général Clément Thomas ; il devait être, avec le général Leconte, la première victime de la Commune.

La 2e armée, forte de cent mille hommes et plus particulièrement destinée aux sorties, fut l'armée de Ducrot. Elle comprenait trois corps, Blanchard, Renault, d'Exéa.

La 3e armée, de soixante-dix mille hommes, fut commandée par Vinoy.

Enfin, une division de trente mille hommes, composée surtout de marins, fut placée à Saint-Denis sous les ordres du vice-amiral La Roncière le Noury.

De grands préparatifs furent faits pour une sortie dans la direction du nord-ouest, vers Argenteuil ; il s'agissait de gagner la basse Seine par Pontoise et par Rouen. Ce plan, très étudié, avait l'avantage d'attaquer l'ennemi à un endroit où ses lignes d'investissement étaient peu solides.

Sur ces entrefaites, on apprit, le 14 novembre, la victoire di Coulmiers. Des dépêches de Gambetta disaient qu'aux premiers jours de décembre l'armée de la Loire serait dans la forêt de Fontainebleau. Il fallait aller au-devant de l'armée de secours. Le plan fut ainsi changé du tout au tout. On décida que la sortie s'effectuerait par le front sud. Il s'agissait de passer la Marne entre Bry et Joinville.

C'était la grande trouée du siège. Si elle manquait, les Parisiens seraient définitivement emmurés dans Paris. Jusques à quand pourraient-ils y tenir ? Dès le 22 novembre, il n'y avait plus de parc à bestiaux ; on n'avait plus d'autre viande que la viande de cheval, rationnée à trente grammes, comme le pain était rationné à trois cents grammes. On appelait pain de la farine de blé non blutée, mêlée à du seigle, de l'orge ou du riz.

Le 28 novembre, Ducrot publia la fameuse proclamation que la sottise devait tant railler depuis, mais qui provoqua alors un véritable enthousiasme : Je ne rentrerai que mort ou victorieux. Vous pourrez me voir tomber. Vous ne me verrez pas reculer. Alors ne vous arrêtez pas ; mais vengez-moi !

L'opération avait été indiquée pour le 29 novembre. Mais il fallait commencer par rétablir les ponts qui avaient été détruits ; ils ne purent être terminés pour le 29. On décida alors de retarder l'affaire d'un jour.

Le 29, on fit du moins les diversions convenues. L'amiral Saisset s'empara du plateau d'Avron, sur la rive droite de la Marne, au nord de Bry ; le colonel Stoffel y établit de puissants ouvrages d'artillerie.

Au sud, Vinoy prit l'offensive en enlevant la Gare-aux-Bœufs, en avant de Choisy-le-Roi.

Ces mouvements, et le combat de Beaune-la-Rolande, qui est de la veille, 28 novembre, firent présager à l'ennemi une tentative de sortie du côté du sud-est. Une division saxonne vint renforcer la division wurtembergeoise qui gardait le pays entre la Marne et la Seine.

 

* * *

 

Le 30 novembre enfin, l'opération projetée commença.

On l'appuya encore par des diversions : au sud, sur Montmesly, un peu au sud de Créteil ; au nord, sur Épinay-sur-Seine. La nouvelle de l'occupation d'Épinay amena par contre-coup le reprise de l'offensive de l'armée de la Loire. Une proclamation, du 1er décembre, apprit, en effet, à l'armée de d'Aurelle de Paladines que les Parisiens occupaient Épinay ; par suite, ils s'approchaient de Longjumeau. Or l'auteur de la proclamation avait confondu Épinay-sur-Seine et Épinay-sur-Orge, l'un auprès d'Enghien, l'autre auprès de Juvisy.

Franchissant la Marne sous la protection des batteries établies à Avron au nord, au bois de Vincennes au centre, à Saint-Maur au sud, l'armée de Ducrot devait enlever les coteaux de Villiers et de Cœuilly : le 1er corps (Blanchard), à droite, par une attaque de front sur Cœuilly, le 2e corps (Renault), à gauche, par une attaque de front sur Villiers, le 3e corps (d'Exéa), plus à gauche, par une attaque à revers, venue de Neuilly-sur-Marne et de Noisy-le-Grand.

L'attaque fut très vigoureuse, mais décousue et par suite impuissante. Ce fut la première journée de la bataille dite de Champigny, le 30 novembre.

A droite, le 1er corps occupa Champigny et monta au parc de Cœuilly. Arrivé devant le parc, il en trouva les murs fortifiés et crénelés. Trois assauts furieux furent sans résultat. Pris à revers par des régiments venus de Chennevières, le 1er corps dut se replier sur Champigny.

A gauche, le 2e corps, de Renault, eut le même sort. Arrivés sous la voûte du chemin de fer de Mulhouse, les soldats sont arrêtés par une barricade formidable. Ducrot se met à leur tête ; la barricade est enlevée. Ils gravissent alors le plateau de Villiers. Au sommet, le feu terrible des Wurtembergeois et des Saxons les arrête. Ducrot charge lui-même en tête ; il brise son épée dans le corps d'un ennemi. La fusillade fait rage. A un moment, notre gauche manque d'être tournée par Bry. Le général Renault est tué. Tous les assauts sont infructueux.

Cependant le 3e corps, de d'Exéa, faisait une suite de fausses manœuvres. Au lieu de tourner par Noisy-le-Grand l'imprenable Villiers, il ne franchissait la Marne que vers trois heures. Se portant sur Bry, il tentait l'assaut du parc de Villiers.

Vainement Ducrot, qui, dans cette journée du 30 novembre, fut partout, au four à chaux de Champigny, à Villiers et à Bry, essaya de recommencer l'assaut avec le 2e corps épuisé. Il conduisit ses régiments jusqu'à cent mètres du parc. Puis il fallut rétrograder. La journée coûtait aux Français quatre mille hommes. Pour prix d'efforts excessifs, ils n'avaient que deux positions en contre-bas, qui étaient très peu sûres, Bry au nord, Champigny au sud.

L'armée coucha sur ses positions. La nuit du 30 novembre au 1er décembre fut glaciale. Sans tentes, sans feux, nos soldats souffrirent cruellement.

Le 1er décembre il y eut une trêve pour ramasser les blessés et enterrer les morts. Les deux armées se ravitaillèrent et reçurent des renforts. La nuit du 1er au 2 décembre fut encore plus rude ; le thermomètre descendit jusqu'à dix degrés au-dessous de zéro.

La bataille recommença le 2 décembre. Dans cette seconde journée de 1 a bataille de Champigny, l'ennemi prit partout l'offensive.

Au nord, les Saxons fondirent à l'improviste sur Bry ; ils furent rejetés sur Villiers, après un terrible corps à corps où les régiments se fusillaient à bout portant.

Au sud, à Champigny, une brusque attaque des Wurtembergeois disloqua d'abord les mobiles de la Côte-d'Or et de l'Ille-et-Vilaine. Ducrot, pistolet au poing, arrête les fuyards. Ramenés au feu par ce chef énergique, ces soldats quelques heures après devaient mourir en héros.

L'intérieur de Champigny fut le théâtre d'une terrible bataille, dans chaque rue, presque dans chaque maison. Suivant le mot de Trochu, nos soldats tenaient comme des teignes. Mais tout le village, jusqu'à l'église, fut occupé par l'ennemi.

Entre Bry et Champigny, au grand four à chaux, la brigade Paturel montrait la plus grande solidité. Elle perdait son général, ses deux colonels, et elle tenait toujours.

La journée se termina par une violente canonnade. Il fut encore impossible pour les Français d'arriver au fatal Villiers.

Six mille hommes avaient été tués. Le monument de Champigny, le monument des mobiles de la Côte-d'Or, le monument du colonel de Grancey rappellent les victimes de cette terrible journée du 2 décembre.

On passa encore au bivouac, par une température glaciale, la nuit du 2 au 3. Le lendemain 3, au matin, à la vue de ces misérables soldats, mourant de froid et de faim, épuisés de fatigue, Ducrot, sans se soucier de la colère de Paris, ramena sur la rive droite de la Marne les débris de sa malheureuse armée. Il n'avait pas pu briser le cercle de fer qui enserrait Paris.

 

* * *

 

Une communication officielle de Moltke apprit bientôt à Paris le résultat des batailles livrées auprès d'Orléans et la réoccupation de cette ville. Ducrot était d'avis de traiter. Trochu craignait un nouveau 31 octobre. Il fit afficher la lettre de Moltke pour surexciter le patriotisme, et l'on prépara un nouveau plan de sortie.

Cette fois, ce fut du côté du nord-est, dans la direction du Bourget. Pourquoi là plutôt qu'autre part ? Simplement parce qu'il fallait faire semblant de faire quelque chose.

Une grande attaque fut préparée, avec La Roncière le Noury à gauche sur le Bourget, Ducrot au centre sur Bondy, Vinoy à droite le long de la Marne. Elle eut lieu le 21 décembre.

Dans le village du Bourget, marins et soldats rivalisèrent d'ardeur ; mais comment faire tomber à coup de fusil des murs que l'artillerie ne parvenait pas à abattre ? Un millier d'hommes furent tués, et le Bourget ne put être enlevé. Par peur de l'opinion, Trochu n'osa pas faire replier les troupes. Ordre leur fut donné de camper en face du village. Mais dans la nuit qui suivit, le thermomètre descendit à quatorze degrés au-dessous de zéro. Neuf cents cas de congélation se produisirent. Il fallait fendre le pain à coup de hache ; on ne pouvait enfoncer les piquets dans la terre pour établir des tentes. Le camp du froid infligea aux malheureux Français d'inexprimables souffrances. Enfin, le 26 décembre, les troupes furent ramenées dans leurs cantonnements.

Le lendemain, 27 décembre, le bombardement de Paris commença.

Le quartier général allemand, irrité de cette longue résistance, si différente de la conduite que Berlin avait eue après Iéna, avait déclaré que, dans le siège de Paris, il ne se laisserait arrêter par aucune considération de sentimentalité. Car c'est le mot férocement officiel. L'Allemagne apprit donc avec une joie sauvage que Paris, avec ses hôpitaux et ses musées, Paris, avec ses vieillards, ses femmes et ses enfants, Paris allait être brûlé. Châteaudun avait été brûlé ; Strasbourg avait été brûlé ; et Toul, et Verdun, et combien de pauvres villages ! Mais c'est Paris qu'il fallait brûler, puisqu'on ne pouvait le prendre, et Paris brûlé, la France serait morte. Pas de sentimentalité !

Le 27 et le 28 décembre, le mont Avron reçut une grêle épouvantable de projectiles. La position que nous occupions depuis un mois, était devenue intenable ; elle fut évacuée dans la nuit du 28 au 29 décembre.

Le 5 janvier, le feu commença sur un autre point. Les batteries allemandes établies sur les hauteurs de Meudon, Clamart, Châtillon, Fontenay-aux-Roses, criblèrent de projectiles les forts d'Issy, de Vanves, de Montrouge, et les quartiers de la rive gauche. La pluie des obus tomba pendant vingt et un jours, du 5 janvier au 26 janvier B minuit. Les trois forts qui étaient juste sous le tir de l'ennemi, furent bientôt éventrés. Mais les marins qui les gardaient montrèrent une contenance admirable. Pendant la nuit, ils réparaient les brèches de la veille ; ils tinrent jusqu'au bout.

Dans Paris même, trois à quatre cents obus tombaient chaque jour sur la rive droite, à Auteuil et à Passy, sur la rive gauche, dans tous les quartiers. L'ennemi avait pris pour point de mire les édifices les plus élevés, même quand ils étaient protégés par l'étendard de la croix de Genève, comme l'hospice militaire du Val-de-Grâce.

Le criminel bombardement du Muséum amena deux protestations célèbres. Le 9 janvier, dans une séance de l'Académie des sciences, Chevreul flétrit le vandalisme et l'infamie de nos ennemis. Pasteur, qui fut un patriote ardent, comme il est une des plus pures gloires françaises et un des bienfaiteurs honorés de l'humanité, Pasteur renvoya ç la Faculté de médecine de Bonn le diplôme de docteur en médecine qu'elle lui avait décerné en 1868 pour ses travaux sur les fermentations.

Aujourd'hui, écrivait-il au doyen de la Faculté de médecine de l'Université de Bonn[4], aujourd'hui la vue de ce parchemin m'est odieuse, et je me sens offensé de voir mon nom, avec la qualification de virum clarissimum dont vous le décorez, se trouver placé sous les auspices d'un nom voué désormais à l'exécration de ma patrie, celui de Rex Guillelmus.

Tout en protestant hautement de mon profond respect envers vous et envers tous les professeurs célèbres qui ont apposé leurs signatures au bas de la décision des membres de votre Ordre, j'obéis à un cri de ma conscience en venant vous prier de rayer mon nom des archives de votre Faculté et de reprendre ce diplôme, en signe de l'indignation qu'inspirent à un savant français la barbarie et l'hypocrisie de celui qui, pour satisfaire un orgueil criminel, s'obstine dans ce massacre de deux grands peuples.

A aucune époque de son histoire peut-être, la France n'a mieux mérité d'être appelée la grande nation, l'initiatrice du progrès, la lumière des peuples.

Votre roi ne connaît pas la France. Il a pris pour son caractère naturel les effets et l'empreinte passagère d'une prospérité matérielle inouïe et de quatre-vingts ans d'instabilité politique. On voit des plantes qui, après avoir éprouvé le tourment factice de la main de l'homme et l'action énervante des serres chaudes, modifient leurs allures à ce point que des naturalistes d'un esprit étroit vont jusqu'à changer leurs noms ; mais, replacées dans leurs conditions naturelles, elles reviennent bientôt aux types de leur espèce. Ainsi fait la France en ce moment ; le génie de sa race réapparaît, et Dieu seul connaît le terme de ses efforts.

Voilà le peuple qui se lève devant tous, prêt à pousser jusqu'au bout et à tout oser, parce qu'il a conscience de la justice et de la sainteté de sa cause.

L. PASTEUR, Membre de l'Institut.

P.-S. Écrit à Arbois (Jura), le 18 janvier 1871, après la lecture du stigmate d'infamie inscrit au front de votre roi par l'illustre directeur du Muséum d'histoire naturelle. M. Chevreul, dans la séance de l'Académie des sciences tenue à Paris le 9 janvier 1871.

L. P.

 

* * *

 

Loin d'abattre la population de Paris, les privations et le bombardement ne firent que la surexciter. On voulait une sortie en masse ; la garde nationale demandait à avoir sa journée. Trochu s'y résigna, comme à l'acte du désespoir qui devait précipiter la capitulation de Paris.

Une nouvelle tentative de sortie fut donc préparée, avec quatre-vingt-dix mille hommes, composés pour une moitié de gardes nationaux, pour une autre moitié de mobiles et de troupes de ligne. Le plan était d'attaquer le plateau de Garches, sous la protection du mont Valérien, pour déboucher sur Versailles par les bois de Ville-d'Avray : opération difficile, même pour des troupes très entraînées, à cause de la succession de plateaux qu'il fallait gravir.

Le 18 janvier 1871, à Versailles, dans la galerie des Glaces, avait eu lieu la proclamation solennelle de l'empire d'Allemagne, au jour anniversaire du couronnement du premier roi de Prusse en 1701. Le rêve que Bismarck poursuivait depuis la guerre des duchés s'était réalisé : l'Allemagne s'était unifiée au profit de son maître, le roi de Prusse. Et cela en pleine France, à Versailles, dans le palais du grand roi ! Quelle vieillesse glorieuse pour le souverain dont la vie avait commencé par la catastrophe d'Iéna et les humiliations de Tilsitt !

Le 19 janvier, le lendemain de ce jour triomphal, fut livrée la bataille de Montretout-Buzenval. Elle fut engagée avec beaucoup de retards, à cause de la confusion des troupes en mouvement.

Vinoy commandait l'aile gauche vers Montretout ; le général de Bellemare, le centre, vers Garches ; Ducrot, la droite, vers Buzenval.

A gauche et au centre, la bataille débuta assez bien, par la prise de la redoute de Montretout et du château de Buzenval. Mais, comme à Cœuilly et à Villiers, les Français vinrent se heurter aux murs du parc de Buzenval tout crénelés, derrière lesquels les ennemis tiraient à coup sûr. Notre artillerie, embourbée dans un sol détrempé, ne put gravir la côte ; l'infanterie seule pouvait donner.

Ducrot, entré le dernier en ligne, attaqua à droite avec sa vigueur coutumière, mais il fut arrêté par un obstacle infranchissable, la porte de Longboyau par où monte le chemin de Rueil à Saint-Cucufa. La brigade Miribel est décimée. Dans ces assauts furieux périssent l'explorateur Gustave Lambert, le peintre Henri Regnault, un volontaire de soixante-treize ans, le marquis de Coriolis.

On ne pouvait plus avancer. En certains points, la confusion était extrême. Les gardes nationaux, étourdis par cette bataille, pour eux la première, tiraient au hasard ; à ces tireurs maladroits on attribue le huitième de nos pertes.

Vinoy avait repoussé à gauche, à Montretout, un retour offensif des Allemands ; mais là aussi la position était intenable. En présence de ces troupes épuisées et découragées, Trochu ordonna la retraite. Aussitôt, à gauche et au centre, ce fut une vraie débandade, heureusement voilée par la nuit. Seules, les troupes de Ducrot firent jusqu'au bout bonne contenance.

 

* * *

 

C'étaient les dernières convulsions de l'agonie de Paris. Dans la ville même, dans toutes les classes de la société, surtout chez les petites gens, la misère était effroyable. Plus de pain ; plus de bois ; plus de gaz. Le soir et la nuit, Paris paraissait mort.

Le 22 janvier, les révolutionnaires voulurent de nouveau mettre la main sur la capitale. Vinoy, devenu gouverneur de Paris à la place de Trochu, qui s'était dépouillé de ce titre le jour même, agit avec rigueur. Cette fois, le sang coula ; mais la victoire resta au parti de l'ordre.

Paris n'avait plus que pour une semaine de vivres. La faim, et non la défaite, obligea Paris à renoncer à la défense. Le 28 janvier, Bismarck et Jules Favre signèrent un armistice : Paris avait capitulé.

Le supplice moral de la présence des Prussiens ne fut infligé à la ville de Paris que pendant trois jours, du 1er au 3 mars, dans le quartier des Champs-Élysées. Un conte d'Alphonse Daudet, le Siège de Berlin, qui est un chef-d'œuvre d'émotion patriotique, rappelle l'entrée de l'ennemi dans la capitale de la France.

Gambetta à Bordeaux, Chanzy à Laval, parlaient encore de résister ; mais dans la France, atterrée par tant de catastrophes, il n'y avait plus qu'un immense besoin de repos et de paix.

Les préliminaires de paix, arrêtés le 26 février à Versailles entre Thiers et Bismarck, furent adoptés le 1er mars par l'Assemblée nationale, réunie à Bordeaux, dans la séance dramatique où Napoléon III fut déclaré responsable de l'invasion et du démembrement de la France.

Le 10 mai 1871, le traité définitif fut signé à Francfort-sur-le-Mein. La France perdait l'Alsace, à l'exception de Belfort, le cinquième de la Lorraine, avec Metz, Thionville, Château-Salins. A côté de cette plaie qui saigne toujours à notre flanc, qui saignera tant qu'elle n'aura pas été pansée, qu'étaient les deux autres conditions imposées par le vainqueur : payement d'une indemnité de cinq milliards, occupation d'une partie du territoire jusqu'à l'entier acquittement de cette rançon !

 

* * *

 

Les Français, grands ou petits, qui ont vécu ces semaines terribles de la guerre en province ou du siège de Paris, en ont gardé, au plus profond de leur mémoire, la vision affreuse. Pour ceux qui sont nés depuis, ils savent que s'il est une page de leur histoire qu'ils doivent apprendre en détail, pour laquelle ils doivent se passionner, c'est celle qui porte le millésime fatal de 1870-1871. Celui de mes enfants que j'aime le plus, disait à Napoléon sa mère dans un mot admirable, c'est celui qui souffre le plus. La France de 1870, parce qu'elle fut profondément malheureuse, sera toujours par nous profondément aimée. Le souvenir de ses souffrances passera de génération en génération comme une affection sainte qui en fait l'unité.

Des vers qui ont été récités bien des fois après 1870 feront la conclusion de ces entretiens sur la guerre franco-allemande. La Chanson du petit pioupiou[5] évoque d'abord l'image des années de gloire et de bonheur ; puis elle parle de l'Année tragique, pour nous rappeler le plus sacré de nos devoirs.

Petit pioupiou,

Soldat d'un sou,

Qu'as-tu rapporté de Crimée ?

C'était le temps où notre armée,

Toujours sans trêve ni repos,

Portait à travers la fumée,

Troués de balles, nos drapeaux !

Mais de ces vingt champs de victoire,

Où l'aigle ardent prenait son vol,

Qu'as-tu rapporté pour ta gloire ?

— J'ai rapporté Sébastopol.

Petit pioupiou,

Soldat d'un sou,

Qu'as-tu rapporté d'Italie ?

C'était le temps de la folie,

Nous nous battions comme des preux.

A quoi bon ? Comme on vous oublie

Quand viennent les jours malheureux !

Mais de ces vingt champs de victoire,

De l'Adriatique à l'Arno,

Qu'as-tu rapporté pour ta gloire ?

— J'ai rapporté Solferino.

Petit pioupiou,

Soldat d'un sou,

Qu'as-tu rapporté d'Allemagne ?

C'était le temps où la campagne

De notre pur sang s'arrosa :

La Guerre, ayant pris pour compagne

La Déroute, nous écrasa.

Mais de l'invasion infâme

Qui t'assombrissait l'avenir,

Qu'as-tu rapporté dans ton âme ?

— J'ai rapporté le souvenir.

 

FIN DE L'OUVRAGE

 

 

 



[1] Livre paru en 1867.

[2] Histoire diplomatique de la guerre franco-allemande. Cité d'après les Tableaux de l'Année tragique.

[3] Arthur CHUQUET, la Guerre, 1870-71.

[4] Cité d'après les Tableaux de l'Année tragique.

[5] Albert DELPIT, Les Dieux qu'on brise. Cité d'après les Tableaux de l'Année tragique.