LA LÉGENDE de l’origine troyenne des Francs n’a rien d’épique. C’est une fiction d’érudit, qu’il n’y avait pas lieu de discuter dans ce livre. Toutefois, elle confine de si près à notre sujet, qu’il convenait de ne pas l’exclure entièrement du cadre de nos recherches. Voilà pourquoi je lui consacre, à cette place, un rapide examen. La plupart des peuples européens ont eu la prétention de descendre d’une des nations de l’antiquité classique. Dès avant notre ère, nous voyous, outre les Romains, les Vénètes et les Arvernes se réclamer d’une origine troyenne. Bien plus, il paraîtrait même qu’à l’époque de Tacite, les Germains occidentaux se confectionnaient des arbres généalogiques non moins respectables, si la légende qui attribue à Ulysse la fondation d’Asciburgium sur le Rhin est née parmi eux[1]. Il est assez intéressant de constater que ces futurs destructeurs de l’Empire aimaient mieux descendre des conquérants de Troie que de ses défenseurs. Les Germains orientaux ont obéi à la même inspiration en se rattachant aux Gètes, ces constants ennemis de la civilisation hellénique[2]. On ne doit donc pas être surpris de voir circuler chez les Francs, à partir d’un moment donné, une légende qui raconte l’origine troyenne de ce peuple. Et il, n’est nullement nécessaire, pour en rendre compte, d’admettre avec plusieurs critiques que le point de départ de cette légende se trouve dans le vague souvenir que les barbares auraient conservé de leur provenance asiatique[3]. Cette légende aura le caractère de toutes les fictions du même genre. Elle sera de provenance érudite et nullement populaire, elle se confinera dans le monde des livres, et elle ne se répandra jamais dans les masses. En un mot, ce ne sera pas une création vivante du génie poétique de la nation ; ce sera un fabricat du pédantisme des lettrés. D’abord, qu’on veuille bien le remarquer les traditions populaires, dès le VIe siècle, circulaient parmi les Francs au sujet de leur origine, excluaient formellement la légende d’une provenance troyenne. Suivant ces traditions, comme nous l’avons vu, les Francs descendaient de Mannus, l’ancêtre éponyme de tout le genre humain, ou du moins de toute la race germanique. Quant à leur dynastie royale, loin devoir le moindre lien avec celle de Troie, elle se rattachait, par la filiation mystérieuse de Mérovée, au sang des dieux nationaux. Voilà ce que nous apprennent les souvenirs épiques de ce peuple, et cela suffit pour permettre d’affirmer qu’il n’y a pas de place dans ce récit pour des ancêtres troyens. Il y a plus. Les premiers essais qui furent faits pour
expliquer le passé de la race autrement que par la mythologie barbare ne
s’appuyaient pas sur l’hypothèse d’une origine troyenne. De bonne heure, on
voit l’érudition s’évertuer à rendre compte du nom national des Francs. Ce
sont d’abord des jeux de mots auxquels leurs auteurs eux-mêmes sans doute, n’attachaient
pas d’autre importance, comme quand, par exemple, Vopiscus écrit : Franci quibus familiare est fidem frangere[4], ou quand
Libanius affecte d’appeler les Francs Φρακτοί,
et cela simplement pour pouvoir en tirer έθνος
πεωραγμένον
πρός τά τών
πολέμων έργα
(Oration.,
III, 317, Reiske). Plus tard, on en vient à imaginer un héros éponyme Francus. Il semble qu’on s’en soit tenu là
d’abord, et qu’on n’ait pas cherché les ancêtres de ce héros fictif. Du moins
Jean Lydus, qui est ici notre autorité, se borne-t-il à dire, en parlant d’un
projet d’expédition de Justinien contre les Francs[5]. Des écrivains postérieurs,
il est vrai, feront de ce Francus ou Francio un descendant de Priam[6], mais rien ne
permet de supposer que cette filiation fit déjà partie de la tradition connue
de Jean Lydus. Celui-ci se borne à nous apprendre que les France doivent leur
nom à un héros qui leur a laissé le sien, il ne dit rien de plus, et nous ne
sommes pas autorisés à rien ajouter à ses paroles. Ne contiennent-elles
qu’une simple conjecture personnelle de cet auteur, ou noua offrent-elles une
tradition recueillie par lui ? A le bien lire, il me parait que cette
dernière hypothèse est la plus probable : Lydus se fait l’écho des barbares
et ne parle pas d’après lui-même. L’étymologie reproduite par Lydus n’était pas la seule. Dès une époque presque aussi ancienne, il y avait une seconde manière d’interpréter le nom des Francs. Au dire de saint Isidore de Séville, qui d’ailleurs rapporte aussi la précédente version, ils le devaient à leur naturel sauvage et farouche[7]. Tels sont les plus anciens essais qu’on ait faits pour rendre compte du nom national des Francs : ils sont indépendants l’un de l’autre, et fort antérieurs à la fiction de l’origine troyenne Celle-ci apparaît pour la première fois au VIIe siècle, dans la chronique de Frédégaire, sous deux rédactions, qui, tout en s’accordant pour le fond, varient un peu dans le détail[8]. La première se trouve dans le partie de la chronique de Frédégaire, qui a été écrite vers 613, et, que j’appelle Frédégaire I ; la seconde appartient à la partie du même ouvrage, qui n’est pas antérieure à 642, et qui est de Frédégaire II[9]. Les voici toutes les deux. Les Francs, nous dit Frédégaire, I, eurent pour premier roi Priam, le ravisseur d’Hélène, laquelle avait obtenu le prix de beauté d’un berger. On voit dans les livres des histoires qu’ensuite ils eurent pour roi Friga. Puis ils se partagèrent en deux groupes. Les premiers gagnèrent la Macédoine et ils y prirent le nom de Macédoniens, qui était celui du peuple habitant cette région : ils avaient été invités, par ce peuple, opprimé par ses voisins, à lui porter secours. Ensuite, unis à eux, ils se multiplièrent par un grand nombre de générations, et c’est leur race qui a rendu les Macédoniens de vaillants guerriers ; en dernier lieu, pendant les jours du roi Philippe et de son fils Alexandre, la renommée confirma ce qu’était leur valeur. Les autres, sortis de Frigie, et trompés par la ruse d’Ulysse, non faits prisonniers toutefois, mais chassés de leur pays, errèrent à travers beaucoup de régions avec leurs femmes et leurs enfants, et se choisirent un roi nommé Francio, duquel ils reçurent le nom de Francs. Enfin, ce Francio, qui passe pour avoir été très vaillant, et qui pendant longtemps fit la guerre à nombre de peuples, ayant dévasté une partie de l’Asie, se dirigea sur l’Europe et vint s’établir entre le Rhin et le Danube et la mer. Francio étant mort là, comme à cause des nombreux combats qu’il avait livrés il ne restait qu’un petit nombre de Francs, ils mirent à leur tête des ducs choisis dans leur sein. Frédégaire, après quelques mots sur l’histoire de ces Francs jusqu’à son temps, ajoute qu’un troisième groupe de Troyens fugitifs vint s’établir sur les bords du Danube entre la mer et la Thrace, et qu’il reçut de son chef Torquotus le nom de Turcs[10]. Ce récit de Frédégaire I est reproduit en substance par Frédégaire II, qui l’attribue à saint Jérôme, et qui nous apprend qu’avant celui-ci il avait déjà été consigné dans l’histoire du poète Virgile. Ses paroles sont à citer textuellement : De Francorum vero regibus beatus Hieronimus qui jam olym fuerant scripsit, quod Arius Virgilii poetae narrat storia[11]. Il y a là une double naïveté dont nous devons l’explication à M. Krusch. Le livre II de la chronique frédégairienne contenant la légende franco-troyenne est en effet un résumé de saint Jérôme, et porte même cet en-tête : incpt capitolares cronece Gyronimi scarpsum. L’affirmation de Frédégaire II est donc vraie en partie[12] ; seulement, cet écrivain ignore que le résumé en chargé d’interpolations, et que, précisément dans le passage qui nous occupe, sur trente-cinq lignes saint Jérôme ne peut revendiquer que les trois premières et la dernière. La mention de Virgile semble, à première vue, se justifier moins Tout le monde sait que l’Énéide — c’est elle en effet qui est désignée incorrectement sous le nom de storia — ne contient pas une ligne qui se rapporte, de près ou de loin, à la fable franco-troyenne[13]. Mais il faut remarquer que la gaucherie du langage de Frédégaire II a ici trahi sa pensée en lui faisant dire plus qu’il ne voulait. Voyant dans son pseudo-Jérôme que des livres d’histoire mentionnaient un roi Friga qui aurait été le successeur de Priam, et ne connaissant pas d’autre historien de la chute de Troie que Virgile, il se sera dit que c’était celui-ci que visait saint Jérôme. Il ne s’est pas avisé de rechercher si Virgile et saint Jérôme concordaient sur le fait qu’il nous raconte, il lui a suffi qu’ils racontassent tous les deux les événements postérieurs à la chute de Troie pour se persuader, dans sa simplicité, que leurs récits devaient être identiques[14]. Nous avons donc la preuve que le récit de Frédégaire II s’appuie sur celui de Frédégaire I, qu’il invoque et qu’il confirme. La seule variante un peu notable qu’on y remarque est la suivante. Frédégaire I s’était borné à nous montrer les Francs s’établissant entre le Rhin, le Danube et la mer. Frédégaire il affirme qu’ils occupèrent les rives du Rhin, et que non loin de ce fleuve ils se mirent à bâtir une ville à laquelle ils donnèrent le nom de Troie, à l’imitation de leur ville natale, mais, dit-il, l’ouvrage commencé resta inachevé[15]. Nous examinerons tout à l’heure la provenance de cette variante ; en attendant, constatons l’accord des deux versions dans leur partie substantielle, la seconde se bornant à commenter la première[16]. C’est, par conséquent, le récit de Frédégaire I qui reste en possession de notre attention. En l’étudiant de prés, on y remarque la préoccupation de le mettre d’accord avec le texte de Grégoire de Tours, évidemment connu de l’auteur. Grégoire dit avoir fait beaucoup d’efforts pour trouver les noms des premiers rois francs, mais n’avoir rencontré à l’origine que des ducs[17]. Frédégaire I a la prétention de remonter plus, haut que son prédécesseur, et de nous révéler des noms de souverains restés inconnus de Grégoire. D’autre part, il s’en voudrait de contredire formellement ce dernier. Que fait-il ? Il imagine, pour tout concilier, que les dues dont parle Grégoire avaient pris la place d’anciens rois à une époque où la nation décimée par les infortunes était réduite à des proportions insignifiantes. Qui ne voit que c’est là une hypothèse toute personnelle, dictée exclusivement par le besoin de ménager le témoignage de Grégoire, et ne faisant nullement partie du noyau de la fiction troyenne ? Je crois voir la trace d’un autre essai pour mettre la fiction d’accord avec Grégoire, là où Frédégaire nous dit que les Francs, arrivés en Europe, s’établirent entre le Rhin, le Danube et la mer. Cette notion, encore une fois, n’appartient pas à la légende de l’origine troyenne, je me persuade que Frédégaire aura voulu faire droit, dans la mesure de ses fort maigres connaissances géographiques, à Grégoire de Tours racontant que, d’après la tradition, les Francs seraient venus de Pannonie. De la sorte, on ne pourrait lui reprocher de contredire Grégoire ; il ratifierait tout ce que raconte celui-ci, seulement il aurait l’avantage de remonter plus haut que lui. Voilà pourquoi notre auteur a soin de placer tous les événements légendaires qu’il raconte dans une époque antérieure à celle qu’atteint Grégoire, et dans un pays où le regard de ce chroniqueur, guidé par ses sources romaines, n’avait pas pénétré. Si Grégoire nous apprend que les Francs avaient dans l’origine des ducs à leur tête, il ne dit pas d’inexactitude au sens de Frédégaire, il ignore seulement qu’avant d’être épuisés par les guerres et réduits de moitié par la sécession des races, ils a, aient eu des rois qu’il n’a pas connus. Voilà comment Frédégaire soude son récit à celui de Grégoire. La soudure ne manque pas d’une certaine habileté, mais il est important de bien la marquer ici, pour qu’on ne se trompe pas sur ce qui revient à la fiction troyenne et ce qui appartient au récit de Grégoire. Le héros éponyme Francio n’appartient pas davantage au noyau primitif de la fiction troyenne, puisque, comme nous l’avons vu, il avait été imaginé pour rendre compte du nom des Francs à une époque où la légende de la filiation troyenne n’existait pas encore. Il n’a pas été créé avec la légende ni pour elle ; il existait en dehors d’elle, avant elle, et c’est elle qui est allée le reprendre pour l’englober, parce qu’il fallait bien, si elle voulait rattacher les Francs aux Troyens, qu’elle y rattachât aussi leur héros éponyme. Aussi voit-on que, dans le récit de Frédégaire, Francio n’est pas donné comme un Troyen, ce qu’il sera plus tard ; c’est un personnage qu les Francs mettent à leur tête après qu’ils sont déjà sortis de Troie depuis longtemps, et que rien ne rattache au sang de Priam[18]. La fiction de l’origine troyenne est donc, à ses débuts, la fiction la plus pauvre du monde. Il ne s’y déploie aucun effort d’imagination, il ne e’y rencontre aucune trace de vitalité. Ce n’est pas une légende, c’est une conjecture. Elle peut se réduire tout entière à ces termes : Les Francs descendent des Troyens. Voilà tout. Encore est-ce la conjecture d’un homme prodigieusement ignorant, qui brouille de la manière la plus barbare les notions les plus élémentaires, et qui, avec une naïveté vraiment comique, se croit obligé de corriger ce qu’il prend pour des erreurs de sa source. Je remarquerai, en outre, que son langage ne laisse pas de doute sur sa nationalité. Il est de race franque, à preuve l’arbre généalogique par lequel il rattache les Francs non seulement aux Troyens, mais aux Macédoniens et à Alexandre d’une part, aux Turcs de l’autre ; à preuve encore l’étonnante emphase avec laquelle il se plait à noter, à diverses reprises, que les Francs n’ont jamais été domptés par personne. Pour retrouver un accent patriotique aussi fier, il faut lire le Grand Prologue de la Loi salique : toute la littérature mérovingienne ne contient pas une autre page qui rende le même son[19]. Mais où Frédégaire I, qui écrit vers 613, a-t-il trouvé l’histoire de l’origine troyenne des Francs ? En est-il l’inventeur : ou existait-elle déjà avant lui ? A cette question, les ingénieuses recherches de Heeger nous mettent à même de faire une réponse satisfaisante[20]. L’écrivain de 613 a inventé la légende de l’origine franco-troyenne, non d’une manière consciente et dans l’intention de tromper, mais, si je puis ainsi parler, fatalement, par suite de son énorme ignorance et parce qu’il s’est figuré la trouver dans sa source. Voici comment. Cette source est double. D’un côté, c’est la chronique de saint Jérôme, de l’autre, c’est un résumé partiel de cette même chronique, fait on ne sait quand ni à quelle intention, et dont l’auteur parait avoir lu encore d’autres écrits[21]. C’est ce résumé que Frédégaire I avait en vue quand il écrivit dans son saint Jérôme : Postea per historiarum libros scriptum est qualiter[22], etc. En effet, le renseignement qu’il dit emprunter à ces historiarum libri figure précisément dans ce résumé, comme on va le voir à l’instant. Voici donc ce que cet écrit, utilisé par Frédégaire I en même temps que la chronique de saint Jérôme, disait à l’endroit où il arrivait à l’histoire de la destruction de Troie : Primas rex Latinorum tunc in ipso tempore surrexit, eo quod a Troja fugaciter exierant, et ex ipso genere et Frigas : fuerunt nisi per ipsa captivitate Trojae et inundatione Assirioraum et eorum persecutione, in duas partes egressi et ipsa civitate et regione. Unum exinde regnum Latinorum ereguntur et alium Frigorum... Aeneas et Frigas fertur germani fuissent. C’est ce court paragraphe qui a été le point de départ des interprétations aventureuses de Frédégaire I. Dans ces Frigi de sa source, il a voulu voir les Franci, et de là toute la légende. Le Primus rex est devenu Priamus, Figa est devenu le chef des Francs. Les autres assimilations résultent d’autres bévues volontaires ou involontaires ; il nous suffira de noter celle-ci, qui contient en germe toute la fiction. C’est donc, comme cela est si soutient arrivé dans l’historiographie, la bévue et non la fraude, l’interprétation erronée et non l’invention voulue qui est l’origine de la fiction franco-troyenne. On comprend qu’une fois créée, celle-ci se développa et s’enrichit. On lui trouva partout des points d’attache et des confirmations inattendues. Les plus fallacieuses ressemblances de mots, les analogies les plus lointaines suffisaient à des esprits dominés par l’imagination, et dans lesquels la critique sommeillait encore. Je n ai pas pris pour tâche de retracer ici le tableau de ce long et curieux développement de la légende, je me suis borné à en exposer l’origine, et je n’ajouterai plus que ce qui s’y rattache directement : je veux parler des additions de Frédégaire II. Frédégaire II, qui reproduit en résumé, au livre III, la légende exposée plus au long par Frédégaire I, le fait avec quelques inexactitudes dont nous n’avons pas à nous occuper ici, et une addition qui mérite de nous retenir un instant. Après avoir raconté l’arrivée des Francs sur les bords du Rhin, il ajoute : Nec procul a Reno civitatem ad instar Trogiae nominis aedificare conati sunt. Certum quidem sed imperfectum opus remansit[23]. Voici l’explication de ces lignes énigmatiques : Non loin des bords du Rhin se dressaient, à l’époque de Frédégaire, les ruines d’une ville romaine qui avait porté pendant l’empire le nom de Colonia Trajana, et que la population continuait de nommera par abréviation, Trajana, ou, selon la prononciation locale, Trojana. Un pareil nom était suggestif : Trojana ne pouvait être autre chose qu’une colonie de Troja. Aussi, pendant le moyen âge tout entier, la ville de Xanten, née à proximité de la Trojana romaine, fut-elle désignée par les chroniqueurs sous le nom de Petite-Troie (Troja Minor, Klein Trojen)[24]. Or, il faut remarquer que cette localité, située au cœur du pays des Francs Ripuaires, a été l’un de leurs principaux centres poétiques : c’est là notamment que leurs chants nationaux placent la patrie de Sigfried, qui était fils d’un roi de Xanten[25]. Xanten était donc, tort au moins, la capitale légendaire de ce peuple dès le moment où se forma la tradition de Sigfried, et en conséquence, ses fondateurs étaient les chefs du peuple franc. D’autre part, si Frédégaire nous apprend que la ville commencée ne fat pas achevée, cela veut simplement dire, en transposant ces paroles en langage critique, que les ruines des monuments anciens font souvent aux peuples primitifs l’effet de constructions interrompues. Ce n’est pas une tradition que Frédégaire nous communique, il se borne à émettre une conjecture étiologique déjà ancienne au moment où il écrivait. Ainsi, pour me résumer, la légende de l’origine troyenne des Francs a été suggérée au commencement du VIIe siècle, à un Ripuaire peu cultivé, par de simples analogies de noms. Elle ne lui coûta pas de grands frais d’imagination[26]. Il n’eut pas même besoin d’inventer le nom du fondateur de la ville, le héros éponyme des Francs étant déjà connu depuis une ou deux générations[27]. Bien que tout semblât lui conseiller de faire de ce personnage un fils de Priam, il ne parait pas même y avoir pensé, et c’est après lui que les légendaires ont pourvu à la nécessité de rattacher la généalogie de Francio à celle des souverains de Troie. Rien, on le voit, de moins épique, rien de moins populaire que cette aride et incolore fiction. Cette date assignée à l’origine de la légende ne permet pas de supposer que Grégoire de Tours en ait déjà eu connaissance. Je sais bien que beaucoup sont d’un avis contraire e : les termes de Grégoire, avec lesquels on voit ceux de Frédégaire s’accorder en comme, laissent supposer, d’après eux, que l’évêque de Tours a connu la légende, mais qu’il s’en est défié[28]. J’ai moi-même, à plusieurs reprises, indiqué les scrupules de l’esprit critique chez Grégoire ; j’ai montré que son procédé ordinaire, lorsqu’il rencontre une légende qui lui inspire des doutes, c’est de la passer sous silence, ou de n’en garder que les éléments vraisemblables. Je ne serais donc pas éloigné d’admettre qu’ici encore il applique le même procédé, si je pouvais me persuader que cela résulte de son texte. Mais comment un homme qui s’est donné tant de mal pour trouver les rois des Francs, et qui avoue avec chagrin qu’il n’a rencontré que des ducs, aurait-il omis de signaler tout au moins, fût-ce même pour contester leur existence, ces rois francs d’origine troyenne ? Je ne veux pas insister : ce point est assez obscur pour qu’un autre avis puisse se défendre avec succès, et j’avoue même que la mention de Pannonia dans le texte de Grégoire semble une allusion à la fiction troyenne qui fait, elle aussi, venir les Francs par le chemin du Danube sur le Rhin. Dans cette hypothèse, il faudrait reculer l’origine de la légende troyenne jusqu’au milieu du VIe siècle au moins. A quelque parti qu’on s’arrête, il n’en résultera aucune modification dans les conclusions formulées ci-dessus. Telle est la forme primitive de la légende franco-troyenne. Elle se ramène ordinairement à la supposition pure et simple que les Francs sont des Troyens ; ce que Frédégaire y ajoute est pure fiction, qui ne parvint jamais à la popularité. Tout ce qu’on savait et qu’on se disait sur les Francs, c’est qu’on avait pour ancêtres les rois de Troie. Sur cette base imaginaire on voit s’appuyer deux autres versions qui, tout en étant postérieures à celle de Frédégaire, sont indépendante d’elle. La première est celle du Liber Historiæ ; la seconde se ramifie en trois rédactions différentes que nous rencontrons, l’une dans le pseudo-Ethicus, l’autre dans un résumé du pseudo-Darès interpolé dans quelques manuscrits de Frédégaire, la troisième dans un Origo Francorum faisant partit d’une compilation du XIIe siècle. La version du Liber Historiæ date, comme on sait, du premier tiers du VIIIe siècle. Je dis qu’elle est indépendante de Frédégaire, parce qu’il est universellement admis : que l’auteur du Liber Historiæ n’a pas connu cet auteur[29]. Elle a cela de particulier qu’elle contient, en réalité, deux traditions parfaitement distinctes. La première de ces traditions, est la légende franco-troyenne dans une rédaction originale, qui donne les deux noms de Troie (Troja, Ilium), où Énée apparaît comme roi des Francs, où Anténor est donné comme compagnon de Priam dans sa fuite au Palus Meotides, et que termine le récit de la fondation de la ville de Sicambria par les Francs en Pannonie, près des rives du Palus Meotides (sic). La seconde, c’est une légende qui développe le mot de saint Isidore de Séville : Aliis eos (sc. Francos) a feritate morum existimant. D’après cette légende, qui apparaît ici pour la première fois, les Alains révoltés contre l’empereur Valentinien se sont réfugiés dans le Palus Meotides. L’empereur ayant concédé la remise de dix ans de tribut a qui voudrait les en expulser, les Troyens de Priam s’en chargent et s’acquittent de la tâche. Alors Valentinien les appela, en langue attique, Francs, c’est-à-dire sauvages, par allusion à la dureté et à la fierté de leurs cœurs. Mais, les dix ans passés, les Francs ne voulurent pas se remettre à payer tribut, et ils tuèrent le duc Primarius envoyé pour le leur réclamer. Une seconde armée, plus nombreuse, commandée par Aristarque, eut raison de leur résistance. Priam fut tué, et son peuple, fuyant Sicambria, vint s’établir sur les bords du Rhin sous Marcomir, fils de Priam, et de Sunno, fils d’Anténor. Après la mort de Sunno, Marcomir leur donna le conseil d’élire un roi : ils s’y conformèrent et choisirent Faramond. L’auteur du Liber Historiæ a fondu assez ingénieusement ces deux récits en un seul. Pour cela, il lui a suffi d’écarter le héros éponyme Francio, à qui la seconde légende enlevait toute raison d’être. Preuve de plus, soit dit en passant, que Francio ne faisait pas partie de la forme primitive de la légende franco-troyenne, autrement le Liber Historiæ l’aurait conservé, et aurait écarté l’interprétation Franci a feritate. Je n’ai pas l’intention d’entrer dans l’examen du détail de chacune de ces deux légendes, cela m’entraînerait trop loin de mon sujet, qui est de prouver leur origine non populaire ; je m’en tiendrai donc à ces quelques indications, qui suffisent, je crois, pour la démonstration de ma thèse. On remarquera surtout la peine qu’a prise notre auteur, comme déjà Frédégaire avant lui pour raccorder son récit à celui de Grégoire : pour cela, il a fait de Marcomir et de Sunno les fils de Priam et d’Anténor, sans s’apercevoir, dirait-on, de l’écart prodigieux d’une douzaine de siècles au moins qui sépare ces personnages les uns des autres. L’autre version est, comme je l’ai dit, en trois rédactions. La première fait partie de la Cosmographia du pseudo-Ethicus, compilation du VIIe ou du VIIIe siècle, que plusieurs ont eu la naïveté de prendre pour une œuvre ancienne qui aurait été traduite par saint Jérôme, et qui serait la vraie source à laquelle fait allusion Frédégaire II[30]. Il est tout au contraire établi que le pseudo-Ethicus, qui cite saint Avitus de Vienne et qui a beaucoup mis à contribution les Étymologies de saint Isidore de Séville , est un produit de l’érudition mérovingienne et de valeur fort médiocre[31]. Un simple coup d’œil sur la légende qu’il raconte suffit, dans tous les cas, pour faire reconnaître la modernité de celle-ci comme on va le voir tout à l’heure. Une deuxième rédaction de cette même légende se trouve dans un pseudo-Darès qu’un copiste de Frédégaire a inséré dans la chronique de celui-ci, et qui est reproduite par plusieurs des manuscrits de cet auteur[32]. Ce pseudo-Darès, différent du pseudo-Darès que nous possédions déjà, présente une forte ressemblance avec le pseudo-Ethicus dont il a été question ; nous n’avons d’ailleurs aucun intérêt à constater ici le caractère spécial de leur rapport, et il suffira de noter, que, malgré quelques divergences de détail, leur récit est le même. J’en dirai autant de la troisième rédaction contenue dans une compilation juridique du XIIe siècle : elle présente, avec ses variantes propres, le même fond légendaire que les deux précédentes. La légende qui est à la base de ces trois rédactions a été évidemment imaginée pour rendre compte de deux termes de la langue politique des Francs à savoir Francus et Vassus. Francus et Vassus, d’après elle, sont deux princes troyens descendants de Priant, qui, après une série d’aventures diversement racontées dans nos trois rédactions, viennent fonder la ville de Sicambria, qui est la capitale des Francs Cette légende, dont j’omets les détails extravagants, date d’une époque où les deux termes Francus et Vassus s’opposaient l’un à l’autre comme les désignations des deux principales catégories d’hommes libres du royaume[33] ; elle ne peut donc pas être antérieure au VIIe siècle, et elle ne remonte probablement pas beaucoup plus haut que le VIIIe. Elle introduit d’ailleurs dans l’histoire légendaire des Francs un élément nouveau, qu’on y verra souvent figurer par la suite Tous les chroniqueurs du moyen âge qui ont rapporté la légende franco-troyenne se sont bornés à reproduire l’une ou l’autre de ces versions, parfois plusieurs à la fois, en cherchant, comme l’a déjà fait le Liber Historiæ, à les combiner entre elles. Il ne serait pas sans intérêt de les passer en revue pour se rendre compte de l’étonnante vitalité quia eue la légende inventée par un barbare ignorant du VIIe siècle, on verrait la ténacité avec laquelle, à la manière d’un lierre, elle a enfoncé ses tendons dans toutes les fissures de l’histoire pour s’y faire de nouvelles attaches. Mais ce travail appartient à un autre ordre de recherches. |
[1] Tacite, Germanie, c. 3.
[2] Jordanès, passim.
[3] Comme croient Pétigny I, p. 91, et Ozanam, Études germaniques, t. I, p. 31, n. Nul n’a plus exagéré ce point de vue que Roth, Die Trojasade der Franken (Germania, t. I). On peut lire dans Heeger (Ueber die Trojanersagen der Franken und Normannen, Landau, 1890, programme) l’intéressant historique de toutes les tentatives faites jusqu’à nos jours pour rendre compte de la tradition franco-troyenne, les uns admettaient que c’est une vraie tradition populaire et ancienne, comme Mone, Gœrres, Roth, en Allemagne ; Ozanam, Moët de la Forte-Maison, etc., en France ; les autres la rattachant à des faits historiques postérieurs, comme, par exemple, le retour des Francs établis sur la Pont-Euxin par Probus (Mascou), une prise de Troie par les Goths au IIIe siècle (Wormstall), la cohors sugambra de Tacite (Dederich), d’autres encore n’y voyant qu’une invention, mais se partageant en multiples avis sur la date et la nature de celle-ci.
[4] Vopiscus, Proculus, 13
[5] Johan Lydus, De Magistratibus, III, 56 (Bonn).
[6] Comme fait Roth, Die Trosasage der Franken (o. c., p. 39) réfuté Zaracke, o. c., p. 281.
[7] Franci a quodam proprio duce vocati putantur. Alii eos a feritate morum existimant. Sunt enim illi mores inconditi, naturalis ferocitas animorum. Isid. Hispal., Etymol., IX, 11, 101.
V. plus loin la légende du Liber Historiæ sur les circonstances dans lesquelles le nom fut donné pour la première fois.
[8] Sur le prétendu témoignage du prétendu Prosper Tiro, v. Additions & corrections, L’historicité de Mérovée. Zarncke, lui-même, qui croit encore (p. 269) que Frédégaire l’a consulté, ne sait pas expliquer pourquoi il ne lui a pas emprunté son Pharamond, et se tire d’affaire en supposant qu’il ne l’a utilisé qu’indirectement.
[9] M. Krusch a démontré d’une manière magistrale (Neues Archiv., t. VII) que la chronique dite de Frédégaire est de trois auteurs différents, dont les deux premiers ont écrit aux dates citées, et dont le troisième, vers 658, a ajouté quelques chapitres à tendances carolingiennes.
[10] Frédégaire, II, 4.6.
[11] Lüthgen, Die Quellen und der historische Werth, der fraenkischen Trojasage, Bonn 1875 (dissertation).
[12] Lüthgen, Die Quellen und der historische Werth, der fraenkischen Trojasage, Bonn 1875 (dissertation).
[13] Je ne note ici que pour mémoire l’ingénieuse conjecture de Rathaïl supposant que le Virgile auquel fait allusion Frédégaire serait ce Virgile de Toulouse dont les œuvres ont été retrouvées et publiées par A. Mai, (Classicorum Auctorum, t. V, Rome, 1833), et qui aurait vécu vers le sixième siècle, dans le midi de la Gaule. Et, de fait, ce rhéteur bizarre, espèce de décadent à la moderne, raconte toutes sortes d’histoires fabuleuses au sujet des Troyens. Mais 1° à supposer que Virgile de Toulouse ait vécu avant Frédégaire, ce qui n’est pas encore démontré, il est peu probable que notre ignorant chroniqueur ait connu un écrivain de la Gaule méridionale qui n’a jamais eu la moindre notoriété ; 2° Virgile de Toulouse est un rhéteur et un grammairien, et non un poète, et il n’a rien écrit qui puisse justifier le titre de storia ; 3° la légende en question ne se trouve nulle part dans ses œuvres.
[14] Cf. Zarncke, o. c., p. 267.
[15] Frédégaire, III, 2.
[16] Heeger, o. c., p. 14 et 15, explique fort bien pourquoi Frédégaire II croit devoir redire ce que contenait déjà Frédégaire I : il le fait, en effet, à l’endroit même où dans son résumé de Grégoire de Tours il rencontre cette phrase : De Francorum vero regibus quis fuerit primas a munis ignoratur. Comme il croit savoir, lui, ce que Grégoire ignore, il se voit obligé d’intercaler ici sa rectification empruntée au prétendu saint Jérôme, et de là son résumé du récit de celui-ci.
[17] Grégoire de Tours, II, 9 : De Francorum vero regibus quis fuerit primas a multis ignoratur. Nam cum multa de eis Sulpici Alexandri narret historia, non tamen regem primum eorum ullatirus nominat sed duces eos habuisse dicit.
[18] Je tiens à bien préciser ceci en opposition avec Roth qui écrit : Nicht gleichgültig ist es dass diese Namen (Francus Francio Franco) überall nur im Zusammenhang mit einer Trojasage gefunden werden, o. c., p. 20. Lui-même se contredit en prétendant retrouver un Francus dans la table ethnique du VIe siècle ; mais cette autre erreur a été rectifiée à suffisance par Zarncke, p. 268, n. 5.
[19] Attamen semper alterius dicione negantes... Post haec nulla gens usque in praesentem diem Francos potuit superare, qui tamen eos suae dicione potuisset subjugare. Ad ipsum instar et Macedonis, qui ex eadem generatione fuerunt, quamvis gravia tolle fuissent ad trites tamen semper liberi ab externa dominatione vivere conari sunt... Franci hujus aeterneris gressum cum uxores et leberes agebant, nec erat gens qui eis in proelium posset resistere. Frédégaire, II, 6.
[20] Heeger, o. c., p. 18-23.
[21] Frédégaire I a fondu ce résumé partiel de saint Jérôme avec le sien (Frédégaire, I, 8) sans s’apercevoir que de la sorte il y avait une partie de la chronique de saint Jérôme qui était résumée deux fois : c’est cette circonstance qui a mis Heeger sur la voie de sa découverte.
[22] Heeger, p 24, suppose, non sans vraisemblance que ce résumé contenait des extraits d’Idatius, d’Orose, etc., et portait le titre de Historiarum libri. Ainsi s’expliquerait la citation de Frédégaire II.
[23] Frédégaire, III, 2.
[24] V. les témoignages recueillis par Braun, Die Trojaner am Rheine, Bonn, 1856. Le plus ancien est celui d’un diplôme de Henri III, daté du 7 septembre 1047. Trojae quod et Sonctum dicitur. Puis celui du Annolied :
Franko
gesaz mit den sini
Vili
verre nidir bi Rini
Da
worhtin si du mit vrowedin eini lüzzele Troie
Den
Bach hizin si Sante
Nach demi wazzer in iri lante.
Pendant le même siècle, Otton de Frisingue écrit dans sa Chronique III, 45, en parlant des martyrs de la légion thébéenne : Victorem etiam cum 360 in urbe Troia, quae nunc Xantis dicitur interemerunt.
On remarquera que l’Annolied trouve un nouveau lien étymologique entre les deux localités : Xanten (dont le nom est proprement ad Sanctos, à cause des reliques des martyrs thébéens qu’on y gardait dans l’église dédiée à l’un deux, saint Victor) devrait son nom à son ruisseau, qui aurait été baptisé lui-même en souvenir du fleuve Xanthos de Troie. Cette légende a été amplifiée à plusieurs reprises au moyen âge.
[25] Cette tradition a été consacrée par le poème des Nibelungen av. II :
Do
wuohs in Niderlanden eins edelen Küniges kint
Des
vater der hiez Sigemund sin muoter Sigelint
In
einer richen bürge witen wol bekant
Nidene bi dem Rine, diu mas ze Santen genant.
[26] Selon Heeger, il n’en serait pas ainsi : Frédégaire II devrait absolument tout ce qu’il sait sur la tradition franc-troyenne à Frédégaire I, et, par conséquent, la phrase qu’il ajoute ne pourrait avoir son origine que dans Frédégaire I mal compris. Mais la manière dont Heeger cherche à prouver cette affirmation p. 15 et 16 ne me satisfait nullement, et l’objection qu’il fait p. 16 à l’identification de Xanten avec Troja dès le VIIe siècle est oiseuse : Xanten wird erst spaeter mit der Trojanersage in Verbindung gebracht p. 16. C’est justement ce qu’il s’agirait de démontrer.
[27] Heeger a donc tort d’écrire p. 18 : Der Namen Francio bildete sick Fred. I selbst um davon den Namen Franci abzuleiten. Francio (Francus) est, comme nous l’avons vu, l’éponyme des Francs depuis le VIe siècle au moins.
[28] C’est notamment l’opinion de Roth, p. 40 de Lœbell, Gregor von Tours und seine Zeit, et de Giesebrecsht dans sa traduction de Grégoire de Tours II, p. 65 et suiv. Elle est combattue par Lüthgen, p 12, et par Heeger, p. 9.
[29] G. Kurth, Étude critique sur le Gesta reg. franc. Le seul Rajna, p. 74, n., se demande s’il est impossible que l’auteur du Liber historiæ ait connu l’Historia Epitomenia, et n’ose se prononcer.
[30] Par exemple H. Wuttke dans son édition de la Cosmographia, et S. Pertz, De Cosmographia Ethici Libri III, p. 142 et suiv.
[31] V. sur cette question Teuffel, Geschichte des rœmischen Literatur, 4e édition, p. 1194, et les autorités qu'il cite. Teuffel se trompe seulement sur un point, à savoir lorsqu'il prétend que le saint Jérôme dont parle Fédégaire II serait ce pseudo-Ethicus ; il se trompe surtout en attribuant cette opinion à Lüthgen, qui l'a au contraire victorieusement réfutée.
[32] Ce texte a été publié pour la première fois par G. Paris, Romania (1874), p. 129-144, puis d'après un plus grand nombre de manuscrits par Krusch, Script. Rer. Merov., II, p. 194-200. Il faut lire sur ce texte les observations de ces deux savants.
[33] Francus a signifié, jusqu’à Clovis, un barbare appartenant au peuple des Francs. A partir de Clovis, tout en conservant ce sens primitif, il s’est enrichi d’un autre plus large, désignant tout homme libre faisant partie du royaume mérovingien. Vers le VIIIe siècle, se greffant sur ce second sens, apparaît le troisième qui signifie simplement homme libre. Vassus, d’autre part, est un terme d’origine celtique qui a signifié primitivement esclave, et qui, dans le royaume franc, a été employé vers le VIIIe siècle pour désigner l’homme libre dans ses relations avec celui dont il dépendait.
Il est manifeste que dans notre légende ces deux termes sont employés l’un et l’autre dans leur sens le plus récent, et épuisent à eux deux toute la classe libre du royaume franc. La légende n’est donc pas antérieure à l’époque où est né ce sens dérivé.