APRÈS l’histoire de la guerre de Thuringe, il n’y a plus aucune trace de chant épique dans la chronique de Grégoire de Tours, et nous mettons désormais le pied sur le terrain de l’histoire pure. Les faits qu’il va raconter sont trop rapprochés de lui pour avoir pu s’altérer. Sans doute, il ne les connaît que par la tradition orale, et même son livre III est, sous ce rapport, le plus populaire de tous, car, il ne repose ni sur des témoignages écrit ni sur l’observation personnelle, et il relève tout entier des rapports faits de vive voix au narrateur, par ses contemporains. Néanmoins, il n’a rien d’épique. Les données que le chroniqueur y a recueillies ne sont ni défigurées ni idéalisées, elles se présentent à nous avec toute la couleur de la réalité et sans mélange de fiction. Le trait anecdotique, il est vrai, y tient une grande place, et, en général, l’importance accordée à l’élément dramatique et pittoresque est une preuve de leur origine populaire, mais c’est aussi la seule. Ces traditions sont restées au même degré de développement que les traditions gallo-romaines relatives à la guerre des Visigoths au moment où Grégoire les consigna par écrit : c’étaient des germes épiques pouvant s’ouvrir ou pouvant rester inféconds, selon les circonstances. Par endroits, vous voyez comme un commencement de germination, et l’œil exercé ne s’y trompe guère. C’est Clotilde qui, appelée à décider du sort de ses petits-enfants, s’écrie : Je les aime mieux morts que tondus ![1] C’est Deutérie, figure éminemment poétique et annonçant de loin celle de Brunehaut, qui, ayant conquis le cœur de Théodebert et craignant de trouver une rivale dans sa fille, attache celle-ci à un char traîné par des bœufs indomptés qui, du haut du pont de Verdun, se précipitent avec elle dans la Meuse[2]. C’est Childebert qui après avoir si souvent exprimé le désir de voir la Limagne d’Auvergne qu’on dit si belle, s’en voit empêché, le jour qu’il l’envahit, par un brouillard intense que Dieu envoie pour le punir[3]. C’est un orage miraculeux qui empêche le même Childebert, uni à Théodebert d’Austrasie, de détruire son frère Clotaire, lequel était sur le point de succomber à leurs coups[4]. C’est la fuite si dramatique du jeune Attale, souvenir de famille raconté à Grégoire par ses parents du côté maternel[5]. C’est, la distance rétablissant les conditions nécessaires au développement épique, l’histoire d’Amalasonthe entièrement défigurée et devenue une sombre légende[6]. Mais, à part cet unique épisode qui n’appartient d’ailleurs pas aux annales franques, nous rencontrons l’histoire partout, l’épopée nulle part. Même une aventure comme celle de Mundéric[7], qui devait plus que toute autre intéresser le peuple, ne semble pas encore avoir été l’objet d’une véritable élaboration poétique. Il se peut qu’il ait existé une chanson sur ce sujet, au moment où Grégoire écrivait, mais ou bien le chroniqueur n’a pas cru devoir lui emprunter ce qui se rencontrait encore dans la mémoire de tout le monde, ou bien la chanson elle-même se sera tenue sur le terrain rigoureusement historique : en effet, l’épisode ne contient pas une ligne qui puisse faire reconnaître l’amplification poétique. Le seul passage où l’influence de l’esprit épique se trahisse encore, c’est l’histoire de la défaite de Clotaire Ier par les Saxons, en 556[8]. On n’en sera pas étonné : jamais une défaite n’a laissé l’imagination populaire passive ; toujours elle s’est évertuée à la pallier ou à l’expliquer. La défaite, a dit excellemment M. de Monge, c’est la muse épique par excellence[9]. Nous en avons un exemple bien frappant ici. La tradition est obligée de raconter le désastre subi par les Francs en Saxe : désastre incontestable, et trop récent encore pour qu’elle ait pu le nier ou le transformer en victoire. Que fera-t-elle ? Elle en enlèvera la responsabilité au roi, pour la reporter sur ce coupable collectif et peu intéressant qui s’appelle la multitude ; elle montrera le roi faisant à trois reprises des efforts pour détourner son armée d’une expédition funeste, et forcé par les clameurs de la foule d’y participer malgré lui ; d’autre part, elle ne nous laissera pas ignorer que les Saxons eux-mêmes ne s’attendaient pas à leur triomphe, et qu’ils avaient fait tout leur possible pour fléchir le roi Clotaire, tant il était redoutable. La défaite apparaîtra ainsi comme la juste punition de l’arrogance populaire ; elle mettra plutôt en relief la sagesse et la prudence du roi qui l’avait prévue. Et enfin, pour que, malgré son outrecuidance, le peuple franc ne sorte pas trop compromis de l’aventure, la légende qui racontera sa défaite saura aussi que du côté des ennemis le nombre des morts a été presque aussi considérable que du côté des Francs. Ainsi seront satisfaits à la fois, dans une certaine mesure, le sentiment dynastique et le sentiment national, et le roi franc pourra se consoler en se disant que tout est perdu fors l’honneur ![10] Voilà toute la part de l’épopée dans la chronique de Grégoire à partir de la guerre de Thuringe : désormais, jusqu’à l’année 591, à laquelle il s’arrête, notre historien, à supposer même qu’il rencontre encore parfois la chanson épique sur son chemin, ne lui demande plus rien, ou ne trouve pas chez elle des souvenirs plus altérés que ceux que garde la mémoire publique. On pourrait croire que ses deux continuateurs, Frédégaire et le Liber Historiæ, suppléent ici à son silence et nous apportent, encore une fois, l’écho de la poésie populaire sur ces sujets pour eux lointains. Mais non : ils se bornent à la résumer sèchement, ajoutait çà et là un détail assez suspect, mais n’enrichissant d’aucune légende le tissu de son récit. A part la tradition sur l’origine du nom des Lombards, qui appartient à un autre cycle, et une prétendue prophétie relative à Brunehaut, qui sera examinée plus loin, la légende épique est absente de toute la partie du résumé de Frédégaire relative à la période d’un demi-siècle qui s’écoule de 530 à 590. Et, bien qu’à partir de 584 Grégoire ait fait défaut au chroniqueur burgonde, et que ce fût une raison de plus pour qu’il demandât à la fiction populaire de suppléer à l’insuffisance de ses renseignements, il reste tout aussi sec pour les années 584-590 que pour les autres, et il en expédie l’histoire en quelques chapitres des plus sommaires. Quant au Liber Historiæ, pour cette même période de 530 à 590, il se borne également à marcher sur les pas de Grégoire. Sauf les légendes relatives à Frédégonde, qui vont être étudiées sans retard, il n’ajoute absolument rien à son auteur, sinon, çà et là, un détail que des circonstances tout à fait fortuites ou spéciales lui ont permis de connaître. Ainsi, il raconte d’une maniéré plus complète que Grégoire l’expédition de Childebert en Espagne, en ce sens qu’il nous apprend comment ce roi est entré en possession de l’étole de saint Vincent : mais qui ne voit qu’il se fait ici l’écho d’orne tradition monastique conservée dans l’abbaye que Childebert, au retour d’Espagne, avait bâtie pour abriter la précieuse relique ? Saint-Vincent, devenu plus tard Saint-Germain des Prés, était voisin de Saint-Denis où parait avoir vécu notre chroniqueur : on comprend donc qu’il connaisse assez bien les souvenirs de cette église[11]. D’autres additions peuvent sans doute s’expliquer par les mêmes raisons ; elles n’ont, dans tous les cas, rien d’épique, et n’autorisent aucunement à croire que pour cette période le Liber Historiæ ait puisé à une source populaire. Il n’y a d’exception qu’en ce qui concerne l’histoire de Frédégonde, l’héroïne qui fait les frais de ce chapitre. Il n’est pas étonnant que Frédégonde ait trouvé sa place dans la tradition populaire de la Neustrie. Peu de personnages devaient faire sur l’imagination de la foule une impression plus profonde que cette femme frénétique et endiablée, qui dépensait une somme prodigieuse d’énergie et d’intelligence à ourdir des intrigues et à préparer des crimes. Totalement dénuée de sens moral, mais animée des plus ardentes passions, toujours ivre d’ambition et altérée de vengeance, elle frappe sans pitié tout ce qui lui est obstacle, tout ce qui la menace, l’humilie ou la gêne. Souple et glacée comme la vipère, et possédant au plus haut degré cet art d’insinuation qui fut la cause de sa haute fortune et de son empire sur Chilpéric, elle a le talent de fixer le cœur de ce tyran luxurieux et mobile, bien plus, de le diriger à sa guise, et il n’est pas de crime qu’elle ne lui fasse commettre, puisqu’il va, sous son influence, jusqu’à sévir contre son propre sang et à exterminer sa race. Elle fera preuve des mêmes talents dans ses relations avec son beau-frère Gonthran de Bourgogne. Malgré les trop justes soupçons qu’elle inspirait à ce prince, et en dépit des charges accablantes qui pesaient sur elle, elle parvint, sinon à conquérir son entière confiance, du moins à lui inspirer une défiance incurable à l’endroit de son alliée naturelle, la reine d’Austrasie. Il n’était pas facile de prouver à Gonthran que Brunehaut, entourée d’ennemis et n’ayant d’autre espoir que dans le roi de Bourgogne, se fut avisée de comploter avec ses propres ennemis contre son unique allié. Eh bien, dès ses premières entrevues avec lui, Frédégonde avait obtenu ce grand résultat, et enfoncé dans l’esprit du roi le dard envenimé qui ne devait plus en sortir. En dépit de l’évidence, on le verra accueillir les calomnies les plus absurdes contre Brunehaut, lui prêter les projets les plus chimériques, et ne céder qu’à contrecœur à l’évidence de son innocence, tant il y avait eu de force persuasive et insinuante dans les calomnies de Frédégonde ! Mais Frédégonde savait jouer du couteau aussi bien que de la langue : par trois reprises, elle essaya, en armant des sicaires, de se débarrasser d’une rivale détestée, et ni sa propre détresse, ni l’indignation publique dont elle se sentait menacée ne purent arrêter le cours de ses forfaits. Cette misérable femme est toute dégouttante de sang : les fils de Chilpéric, leur mère, leur sœur, l’évêque Prétextat, le roi Sigebert, des hommes et des femmes de toute condition sont tombés sous ses coups ; néanmoins, elle meurt pleine de jours[12], et sans jamais avoir été inquiétée sérieusement par la vengeance de ses victimes. Telle est la Frédégonde que nous fait connaître l’histoire. On conviendra que la réalité pouvait fournir à l’imagination peu de types mieux faits pour la frapper fortement. Aussi la légende s’est-elle de bonne heure emparée de cette physionomie sinistre, pour la placer au centre de tableaux dignes d’elle. Car, chose curieuse ! alors que la plupart des héros que l’épopée a célébrés ont été défigurés par elle et desservis dans leur réputation, la couleur des récits dont Frédégonde est l’héroïne ne se distingue en rien de celles que revêtent ses aventures dans l’histoire avérée. La femme perverse est restée dans le made de la fiction ce qu’elle était déjà dans celui de la réalité : elle est passée de plein pied, si je puis ainsi parler, de l’un dans l’autre, et même on peu, se demander si sa légende ne reste pas en deçà de l’histoire. Voici, dans la série des monstrueux exploits de Frédégonde, la part de la fiction poétique. Nous allons raconter, écrit l’auteur du Liber Historiae, comment Frédégonde trompa sa maîtresse, la reine Audovère. Frédégonde appartenait à la domesticité inférieure du palais. Chilpéric étant allé avec son frère Sigebert à la guerre contre les Saxons, Audovère, qu’il avait laissée enceinte, mit au monde une fille. Frédégonde, par ruse, la conseilla de la sorte : Madame, voici que mon seigneur le roi revient victorieux ; comment pourra-t-il accueillir avec joie sa petite fille non encore baptisée ? La reine, là dessus, fit préparer le baptistère et appeler l’évêque qui devait ondoyer son enfant. L’évêque étant arrivé, il ne se trouva pas de femme qui put tenir la petite sur les fonts. Alors Frédégonde dit à la mère : Trouverons-nous jamais mieux que vous pour remplir ce service ? Tenez-la donc vous-même. Audovère obéit. Quand revint le roi victorieux, Frédégonde alla à sa rencontre et lui dit : Dieu soit loué, de ce que le roi notre seigneur revient vainqueur de ses ennemis et de ce qu’il lui est né une petite fille. Avec qui le roi mon seigneur couchera-t-il cette nuit, puisque la reine est maintenant sa commère à raison de sa fille Childesinde ? Et le roi répondit : Si je ne puis coucher avec elle, je coucherai avec toi. Lorsque le roi fut entré dans le palais, la reine accourut à sa rencontre avec son enfant, et le roi dit : Tu as fait, dans ta simplicité, une chose bien funeste ; maintenant, tu ne peux plus être ma femme. Il lui fit prendre le voile avec sa fille, et il lui donna quantité de terres et de fermes ; il condamna à l’exil l’évêque qui avait fait le baptême ; quant à Frédégonde, il en fit sa reine[13]. Pour bien apprécier cette histoire, il faut d’abord se remémorer les prescriptions du droit canonique de cette époque en matière d’empêchements de mariage. A partir d’une certaine date, on vit prévaloir dans l’Église cette idée que la parenté spirituelle contractée dans le baptême était un empêchement au même degré que la parenté selon la chair, que dis-je, qu’elle avait même un’ caractère plus sacré. Or, il y avait du chef du baptême diverses catégories de parenté. D’abord venait la parenté spirituelle qui rattachait le parrain et la marraine d’une part à leur filleule de l’autre : cet empêchement était le plus ancien et le plus grand de tous, et, dès 530, Justinien l’inscrivait dans le code civil[14]. En second lieu, il y avait l’empêchement qui existait entre les parents selon la chair d’une part et les parents selon le baptême de l’autre : ainsi le parrain ne pouvait épouser la mère de son filleul, ni la marraine le ire de celui-ci, en vertu du canon 53 du concile in Trullo, tenu en 692[15]. En troisième lieu, le parrain et la marraine, en leur qualité de père et mère spirituels du filleul, étaient conçus comme des époux selon le baptême, et ne pouvaient, par conséquent, devenir époux selon la chair. Ce dernier empêchement, promulgué pour la première fois dans un concile romain de 721[16], fut introduit peu de temps après, par le roi Liutprand, dans la loi civile des Lombards[17]. Néanmoins, bien que promulgué une seconde fois au concile romain de 743[18], et rappelé en termes énergiques par le pape Zacharie, dans sa lettre de 747 à Pépin le Bref[19], il ne semble pas s’être introduit sans résistance. Comme on le voit, le cas d’Audovère appartient à la seconde catégorie d’empêchements de mariage celui qui s’oppose à l’union de la marraine et du père de l’enfant. Mais, si l’interdiction a été formulée pour la première fois en 692, l’histoire, qui est censée se passer vers le milieu du VIe siècle, perd toute vraisemblance, et trahit par, là même sa provenance récente. D’ailleurs, à supposer qu’un empêchement eut existé dès cette date, il est d’autres motifs pour faire rejeter l’anecdote. Audovère n’étant qu’une des nombreuses compagnes de Chilpéric, il est difficile de décider si elle était considérée comme sa femme légitime ou comme sa concubine. Dans le premier cas, une simple bévue commise par ignorance n’avait pas le pouvoir de dissoudre un mariage, qui était dé sa nature indissoluble. Dans le second cas, au contraire, les rapports entre Chilpéric et Audovère n’étaient d’aucune manière détruits aux yeux du roi, puisqu’ils n’avaient pas le caractère d’une union conjugale. Puis, le moyen de nous faire croire que ce barbare luxurieux, qui était habitué à violer tous les commandements de l’Église, eût été homme à renoncer à l’objet de sa passion pour une raison d’ordre théologique ! L’épisode est, de plus, en contradiction formelle avec l’histoire. Il est faux que jamais Chilpéric ait fait une expédition en Saxe avec Sigebert. Sigebert a combattu seul contre ce peuple qui, de même que les Thuringiens semble avoir troublé par ses révoltes la première année de son règne, et qu’il força de se soumettre[20]. Il part bien que cette révolte fut déterminée par une invasion des Avares, rapportée par Grégoire de Tours, et que les tribus germaniques soulevées firent cause commune avec les envahisseurs, dont elles partagèrent la défaite[21]. Dans tous les cas, loin d’assister son frère dans ces difficultés, Chilpéric en profita pour lui enlever Reims et quelques autres villes, si bien qu’après son retour, Sigebert dut tourner ses’ armes contre lui et le mettre à la raison[22]. Ceci se passait en 562. Une seconde fois les Avares reviennent, sans que l’on puisse savoir s’ils ont eu les Saxons et les Thuringiens pour alliés. Sigebert, cette fois, fut vaincu, et se vit obligé de traiter avec eux. Est-il besoin de dire que Chilpéric se garda bien de lui porter secours ?[23] Par la suite, Sigebert eut encore à s’occuper des Saxons revenus d’Italie, qu’il rétablit dans leur ancienne patrie : mais ce ne fut pas une expédition qu’il fit contre eux[24], et d’aucune manière Chilpéric ne l’assista : il ne cessa de se comporter comme son ennemi, et la guerre entre les deux frères fut presque permanente. Le cadre dans lequel le Liber Historiæ place sa légende est donc entièrement faux. Je ne veux pas aller plus loin, et je crois en avoir assez dit pour faire écarter de l’histoire cet épisode qui appartient en réalité au domaine de la fiction. C’est encore une aventure de sérail qui fait le fond de la seconde légende relative à Frédégonde, mais, cette fois, la couleur en est sombre et l’accent tragique. La reine Frédégonde était belle et avait un esprit fécond en ressources, mais elle trahissait son époux. Landéric était alors maire du palais c’était un homme plein de talent ; la reine l’aimait beaucoup et entretenait des relations adultères avec lui. Un jour .que le roi partait de bonne heure pour aller chasser à Chelles, dans les environs de Paris, comme il aimait beaucoup la reine, il revint de l’écurie au moment où elle se lavait la tête dans sa chambre à coucher, et il lui donna un léger coup sur le dos. Elle, se persuadant que c’était Landéric : Que fais-tu là, Landéric ? s’écria-t-elle. En même temps elle se retourna, et elle s’aperçut que c’était le roi, et elle fut saisie d’épouvante. Lui, en proie à la plus vive indignation, partit pour la chasse. Cependant Frédégonde fit venir Landéric et lui raconta tout ce qui venait de se passer : Vois maintenant, dit-elle, ce qui te reste à faire, car les supplices nous attendent dès demain. Landéric, désespéré, s’écria en versant des larmes : C’est à la male heure que mes yeux t’ont vue ! Je ne sais que faire, et je me sens pris de tous côtés. — Ne crains rien, répondit-elle, écoute mon conseil, et nous ne périrons pas. Ce soir, quand le roi reviendra de la chasse, nous enverrons des assassins qui le tueront, et qui crieront que c’est un attentat de Childebert d’Austrasie ; et lorsqu’il sera mort, nous régnerons avec mon fils Clotaire. Et en effet, la nuit venue, comme Chilpéric rentrait de la chasse, des assassins gorgés de vin par Frédégonde lui plongèrent leur scramasax dans le ventre pendant qu’il descendait de cheval, et au moment où ses gens regagnaient chacun sa demeure. Il poussa un cri et tomba mort. Alors, obéissant au mot d’ordre de la reine, les meurtriers crièrent : Voilà ce que le roi d’Austrasie Childebert a fait du roi notre seigneur. Alors l’armée se dispersa dans tous les sens à la recherche des coupables, mais les soldats ne trouvèrent personne et rentrèrent chez eux[25]. Cette histoire, à première vue, n’a rien d’invraisemblable. On connaît les mœurs de Frédégonde. Grégoire de Tours l’accuse formellement d’avoir offert ses faveurs à un certain Eberulf[26], et le roi Gonthran n’était pas fort certain de la légitimité de la naissance de Clotaire II[27]. Mais l’important rôle politique attribué à l’amant de la reine cadre mal avec l’histoire. Grégoire de Tours ne prononce pas même le nom de ce personnage, ce qui est tout au moins une présomption contre le récit du Liber. Dans Frédégaire, il est vrai, Landéric nous apparaît avec le titre de maire à la date de 603[28], et ce témoignage est confirmé par un autre document du VIIe siècle, qui nous le montre exerçant le même office auprès du roi Clotaire II à Chelles[29]. Mais cela ne prouve pas pour 584 ; tout au contraire, on pourrait se demander si l’histoire racontée par le Liber n’a pas été imaginée après coup pour expliquer l’élévation de Landéric. L’histoire a d’ailleurs un autre défaut. Elle est trop intéressante, elle est trop dramatique, elle est, si je puis ainsi parler, trop flatteuse pour l’imagination et trop satisfaisante pour le sentiment moral du public : c’est ainsi qu’on doit souhaiter que les choses se soient passées, quand on veut que les fautes soient expiées ici-bas, et que la Providence intervienne par quelque coup de théâtre. On peut se demander comment Grégoire de Tours, si au courant des faits de son temps, aurait ignoré ce tragique épisode, ou pourquoi il n’aurait pas cru devoir le raconter. Ce n’était certes pas pour épargner Frédégonde, car il rapporte de cette reine des crimes si abominables que sa réputation n’avait plus rien à perdre. Lui-même d’ailleurs revient à plusieurs reprises sur le mystérieux assassinat de Chilpéric, nous communique toutes les versions qui ont circulé sur cet événement, nous montre les soupçons se portant tour à tour sur divers personnages, et formule sa propre opinion en des termes qui montrent qu’il ne sait trop que croire : Ce qui a causé la mort de Chilpéric, dit-il, c’est sa propre méchanceté[30]. Il met, comme on voit, Frédégonde ; hors de cause, et il faut bien que l’innocence de cette reine ait été, ici, bien réelle pour qu’il la décharge d’emblée. D’ailleurs, nul ne devait perdre plus que Frédégonde à la mort de son mari : on le vit bien aussitôt après, car elle tomba dans une détresse cruelle, et, pendant plusieurs années, elle vécut dans la situation la plus menaçante. Il n’y a donc aucune apparence qu’elle eût, de gaieté de cœur, créé elle-même la situation dans laquelle allait sombrer toute sa fortune. La légende, il est vrai, écarte cette objection en la montrant acculée, en quelque sorte, à la nécessité du meurtre pour échapper à la vengeance de son mari : mais, je le répète, pour ingénieuse qu’elle soit, cette explication tombe devant le silence de Grégoire de Tours. L’origine de la légende me semble claire. Il faut la chercher dans la série de raisonnements que l’imagination populaire a faits sur les événements pour les enchaîner d’une manière logique. Landéric était maire du palais sous la régence de Frédégonde pendant la minorité de Clotaire II : voila le point de départ. Quelle explication plus inévitable y avait-il de sa fortune, sinon qu’il était l’amant de la reine ?[31] Du coup, on trouvait le moyen d’expliquer aussi l’obscure histoire, de la mort de Chilpéric : il suffisait de supposer que lés relations coupables des deux amants étaient antérieures à. sa mort, et qu’elles en avaient été la cause. Il ne restait plus qu’à faire connaître l’occasion qui les força à se débarrasser du roi par un crime. Ici, une imagination un peu inventive avait libre jeu, et la scène du lavabo, si je puis l’appeler ainsi, fut créée. Les deux légendes que je viens de raconter sont-elles d’origine populaire ? Je ne sais, et je suis assez tenté de croire que non. Les histoires d’alcôve et les complots d’antichambre ne figurent généralement pas dans le répertoire populaire, et un mot comme : Finis donc, Landéric ! semble trahir le lettré plutôt que le rapsode. Tout au moins dirai-je que si les deux épisodes ont été racontés dans le peuple, ils auront subi quelques remaniements en passant par les milieux savants et monastiques où les a trouvés l’auteur du Liber Historiæ. Par contre, la troisième légende a tout à fait l’accent d’un de ces récits étranges et extraordinaires dont le merveilleux ne heurte pas l’esprit des gens du peuple ; je ne doute nullement qu’elle ait été recueillie dans les chaumières des paysans neustriens. Childebert, roi d’Austrasie, apprenant que son oncle Chilpéric avait péri par les maléfices de Frédégonde, rassembla son armée, qui comprenait les Burgondes et les Austrasiens. Sous le commandement des patrices Gundoald et Wintrion, cette armée, traversant la Champagne, pénétra dans le pays de Soissons qu’elle livra au pillage. Frédégonde, en l’apprenant, réunit ses troupes sous les ordres de Landéric et des autres chefs des Francs, et arriva à Brennacum, faisant de grandes largesses à ses guerriers pour les exciter à combattre contre l’ennemi. Apprenant que l’armée des Austrasiens était considérable, elle convoqua les siens et leur dit : Levons-nous la nuit et marchons contre eux des lanternes à la main ; les camarades qui seront en tête tiendront des branches d’arbre et attacheront des sonnettes au cou de leurs chevaux, pour que les sentinelles de l’ennemi ne puissent pas nous reconnaître. Puis, le jour venu, nous nous précipiterons sur eux, et nous pourrons remporter la victoire. On se rallia à cet avis. Il avait été convenu entre les deux armées qu’on en viendrait aux mains à tel jour, à Trucciacum, dans le Soissonnais[32]. Frédégonde, conformément au plan qu’elle avait fait prévaloir, se mit en marche au milieu de la nuit, précédée d’hommes portant des branches d’arbre et avec tout l’attirail décrit ci-dessus ; elle-même, montée à cheval, portait le petit Clotaire dans ses bras. C’est ainsi qu’on arriva à Trucciacum. Cependant les sentinelles austrasiennes, apercevant sur les hauteurs les branches vertes que portaient les Francs, et entendant résonner les sonnettes de leurs chevaux, se dirent de proche en proche : Est-ce que hier il n’y avait pas des champs découverts là où nous voyons maintenant des forêts ? Et le camarade en riant répondait à son camarade : Tu as bu à coup sûr, et tu déraisonnes. N’entends-tu pas les sonnettes de nos chevaux qui paissent auprès de la forêt ?[33] Cependant le jour venait, et les Francs, se précipitant à grand son de trompettes sur les Austrasiens et les Burgondes endormis, en massacrèrent un grand nombre, tant grands que petits. Gundoald et Wintrion ne durent leur salut qu’à la rapidité de leurs chevaux. Quant à Frédégonde, elle arriva avec son armée jusqu’à Reims, pillant et saccageant, puis elle retourna chargée de butin à Soissons[34]. Tel est le récit du Liber Historiæ. Remarquons d’abord que la guerre dont il v est question eut lieu réellement en 592, et qu’elle se termina, comme dans noire épisode, par la victoire de la Neustrie. Les témoignages de Frédégaire et de Paul Diacre corroborent ici celui du Liber Historiæ[35]. Celui-ci, il est vrai, s’écarte déjà de la réalité en nous montrant Clotaire II porté à la bataille dans les bras de sa mère : en 592, Clotaire II avait huit ans, ce qui gâte un peu la vraisemblance de ce pittoresque épisode. Au surplus, ni Frédégaire ni Paul Diacre ne disent mot d’un détail aussi remarquable, et cela est significatif, au moins en ce qui concerne le premier de ces deux auteurs. Peut-être la légende n’existait-elle pas encore de son temps ; peut-être aussi ne s’était-elle pas encore répandue en dehors de son lieu d’origine. Localisée à Troussy, il paraît bien qu’elle a été trouvée sur place par le moine de Saint-Denis, qui avait, comme je l’ai montré ailleurs, une connaissance spéciale du Soissonnais, et qui était peut-être même un enfant de ce pays. La fraîcheur naïve et le parfum tout rustique qui règnent dans le récit attestent qu’il a été puisé à même la source populaire : dans toute l’histoire poétique des Mérovingiens, il n’y en a pas un, je crois, qui ait un caractère aussi accentué et un pareil goût de terroir. La vivacité dramatique y est extrême : il semble qu’on assiste à ces préparatifs nocturnes qui ont lieu dans le camp de Frédégonde, qu’on soit transporté ensuite dans celui des Austrasiens, qu’on entende le dialogue des soldats, qu’on perçoive dans le lointain le son des clochettes pendues au cou des chevaux pâturant dans la forêt, qu’on voie apparaître ces feuillages mouvants qui descendent du haut des coteaux, puis soudain voilà Frédégonde qui apparaît avec son armée, et le carnage qui commence ! Cette histoire de la forêt qui marche était d’ailleurs un mythe répandu chez tous les peuples du Nord, et nous en retrouvons, chez plusieurs, des versions étonnamment semblables à celle que nous venons d’exposer. La plus célèbre est celle du roi l’Écosse Macbeth, immortalisée par le génie dé Shakespeare[36]. Un contemporain de Macbeth, l’évêque Conon de Trèves, imposé aux Tréviriens par son oncle Annon de Cologne, périt victime du même stratagème employé par ses sujets rebelles (1066), au dire du Gesta episcoporum Treverensium[37]. Enfin, le chroniqueur danois Saxo Grammaticus, qui écrivait à la fin du XIIe siècle, nous montre le roi Hacon surprenant et vainquant ses adversaires à la faveur d’une ruse semblable[38]. Voilà donc, à quatre reprises, le motif de la forêt qui marche reparaissant dans les annales des peuples, et sans que l’on puisse constater la parenté des diverses versions. Ce qui est certain, c’est que la légende du Liber Historiæ est la plus ancienne de toutes. Je n’oserais dire que c’est elle qui a le mieux conservé les traits primitifs de la tradition, si toutefois, comme je le pense, nos quatre versions peuvent être ramenées à un type unique. A mon sens, dans l’esprit de ceux qui ont les premiers mis en circulation la légende, la forêt qui marche n’était autre chose qu’une illusion produite par la science magique du personnage principal, et avait pour effet de jeter l’épouvante dans l’âme de l’ennemi, qui reconnaissait à ce signe l’action d’une puissance surnaturelle et irrésistible. Il semble qu’il soit resté quelque chose de cette donnée très ancienne dans l’histoire de Macbeth, telle qu’elle est reproduite par Boethius et vivifiée par Shakespeare. Macbeth, sans doute, voit dans la marche de la forêt l’accomplissement d’une prophétie funeste, mais cette prophétie elle-même n’était si redoutable que parce qu’un signe surnaturel devait en précéder l’accomplissement. Du moment que ce signe se produit, Macbeth doit reconnaître qu’il est perdu, car à quoi bon lutter contre une puissance qui dispose d’une force merveilleuse, et qui fait marcher la forêt contre le vaincu du destin ? Et ne serait-ce pas là aussi la forme première de la légende de Frédégonde ? Qu’est-ce qui nous interdit de penser que, dans l’idée poétique des contemporains, cette reine, riche en inventions et en ruses, avait employé un charme magique pour laisser croire aux Austrasiens terrifiés que toutes les forces de la nature marchaient contre eux sous les ordres de leurs ennemis ? L’histoire des Francs du VIe siècle nous montre Sigebert d’Austrasie vaincu par les artifices magiques des Huns, qui font apparaître aux yeux de son armée des visions fantastiques, grâce auxquelles ils lui infligent un sanglant désastre[39]. Et, dans d’autres traditions épiques, nous voyons également la victoire expliquée par des artifices du même genre. Dans la bataille de Moytura, lorsque Lug, le roi des Tuatha Dé Dannan, demande à ses deux sorcières ce qu’elles peuvent faire pour lui, elles répondent : Nous ensorcellerons les arbres, les pierres et les mottes de terre qui, aux yeux des Fomoré, prendront l’apparence d’une troupe de soldats, et les Fomorés tout effrayés, fuiront en tremblant[40]. D’autre part, on pourrait aussi trouver l’origine de la légende dans une intention satirique des vainqueurs. Les ennemis Austrasiens auraient été conçus comme des gens tellement bornés et stupides, qu’ils ne se seraient pas même aperçus du mouvement de la forêt, ou qu’ils ne l’auraient remarqué que lorsqu’il était trop tard pour se défendre ! Il y aurait là quelque énorme plaisanterie épique semblable à l’illusion de Ragnacaire dans la chanson sur les meurtres de Clovis, mieux encore, à celle des Hérules vaincus par les Lombards, lorsque, dans leur affolement, ils se jetèrent au milieu des champs de lin et s’y mirent à nager, croyant être en pleine mer[41]. Dans la forme qu’elle revêt sous la plume de l’auteur du Liber Historiæ, la légende de Frédégonde s’harmonise plutôt avec cette dernière conjecture ; de fait, l’écrivain semble se plaire à bien accentuer la niaiserie de ces bonshommes australiens, qui sont témoins du stratagème, et qui, jusqu’au dernier moment, ne savent rien deviner. Mais on pourrait également voir, dans le dialogue imaginaire qu’il leur prête, la préoccupation qu’aurait eue l’auteur monastique d’enlever à son récit toute trace de paganisme : or, une Frédégonde disposant des forces de la nature, et demandant son triomphe aux ressources infernales de la magie, choquait probablement les idées religieuses du chroniqueur anonyme qui écrivait sous les voûtes de Saint-Denis. Quoi qu’il en soit, la multitude de traits pittoresques conservés dans le récit ne permet pas de croire à un remaniement bien profond du sujet. Ces clochettes suspendues au cou du bétail dans les forêts, et cette Frédégonde qui chevauche au milieu de son armée, ce sont là des coups de pinceaux vifs et rapides auxquels notre froid annaliste ne nous a pas habitués, et qui semblent bien plutôt tracés par la main de ce grand peintre qui est l’imagination populaire. Si notre narrateur les a reproduits plus fidèlement, cela tient sans doute, comme je l’as supposé, à ce que la légende, recueillie par lui dans son pays natal et sur les lèvres des vieillards, avait pour le vieux moine tout le charme d’un souvenir d’enfance, et qu’elle s’est gravée dans sa mémoire avec une vivacité particulière. Telle est la place de Frédégonde dans les souvenirs légendaires des Neustriens. Deux histoires d’alcôve dont on n’oserait pas garantir l’origine populaire, et une légende locale dont le parfum épique est des plus prononcés, nous attestent dans tous les cas que cette femme étonnante n’a pas manqué d’occuper l’imagination de ses contemporains. |
[1] Grégoire de Tours, III, 18.
[2] Id., III, 22-26.
[3] Id., III, 9.
[4] Id., III, 28.
[5] Id., III, 15.
[6] Id., III, 31.
[7] Grégoire de Tours, III, 14.
[8] Id., IV, 14.
[9] L. de Monge, Études morales et littéraires, t. II, p. 67.
[10] Rajna, o. c., p. 125 a fort bien reconnu, d’un côté, que ce récit est historique, d’autre part, qu’il revêt déjà un coloris poétique.
In essi (particolari) c’é innegabilmente del poetico ; et direbbe di sentire l’eco di un canto sassone. Particolarmente ci suona coma qualcosa di epico la triplice ambasciata dei Sassoni col crescendo delle offerte, e il triplice rifiuto dei Franchi. E manifesta esagerazione, in cossa dove appunto l’epica ama sempre di esagerare, sarà la moltitudine dei morti, e sassoni e franchi, tale che nec aestimari nec numerari possit. Questo precisamente l’anno appresso che la massima parte dei Sassoni era stator distrutta dal medesimo Clotario : Chlotacharius rex.... mazimam eoram partem delevit !
Ces observations sont fort justes, et en particulier celle qui est relative à la triplicité des offres des Saxons. L’épopée, comme le dieu de Virgile, aime ce numerus impar. Rajna rappelle ici le triple conseil de Wiomad à Aegidius ; de mon côté, je signalerai la triple exhortation de saint Anian au peuple d’Orléans (Grégoire de Tours, II, 7), laquelle, comme j’aurai l’occasion de le démontrer ailleurs, est d’origine épique et non historique.
Je ne saurais d’ailleurs pas accorder à M. Rajna qu’il y ait ici trace d’un chant saxon. M. Rajna allègue les sentiments hostiles aux Francs, et le fait que solo il rè è accarezzato ; mais pour l’épopée populaire, c’est le roi et non son peuple, c’est le héros individuel et non la collectivité qui concentre l’intérêt et qui a toujours raison. Les poètes épiques ont de tout temps préféré les rois à leurs peuples ; quand ils présentaient à la multitude un des siens, il s’appelait Thersite, et elle n’en était pas offusquée.
[11] V. G. Kurth, Étude critique sur le Gesta Regum Francorum.
[12] Eo enim tempore mortua est Fredegundis regina senex et plena dierum. Liber Historiæ, c. 37.
[13] Liber Historiæ, c. 31.
[14] Ea videlicet persona omnimodo ad nuptias venire prohibenda quam aliquis... a sacrosancto suscepit baptismate, quum nihil aliud sic inducere potest paternam affectionem et justam nuptiarum prohibitionem, quam hujusmodi nexus, per quem Deo mediante eorum animas copulatæ sunt. Cod. Justin., V, IV, 26.
[15] Héfélé, Conciliengeschichte, t. III, p. 337. Il renvoie au commentaire d’Assemani dans sa Bibliotheca juris orientalis, t. V. p. 166 et suiv. Il faut remarquer que ce canon était resté inconnu en Angleterre jusqu’au VIIIe siècle. Saint Boniface, qui avait autorisé le mariage d’un homme avec la mère de sa filleule, fut fort troublé d’apprendre que les Romains considéraient une union de ce genre comme un péché mortel, et il recourut aux lumières de plusieurs de ses amis d’Angleterre pour rassurer et éclairer sa conscience. Jaffé, Bibl. Rer. Germ., III, 29-31, p. 95 et suiv.
[16] Id., o. c., III, p. 362.
[17] Leg. Liutprandi, c. 34 (Pertz, Legg. IV, p. 124).
[18] Héfélé, o. c., III, p. 516.
[19] Codex Carolinus, ep. 3 dans Jaffé, Bibl. Rer. German., IV.
[20] Fortunat, Carm. VI, I, 73 :
Hic nomen avorum
Extendit bellante manu, cui de patre virtus
Quam Nablis ecce probat, Thoringia victa faletur.
Id., VI, II, 9 :
Cujus rapta semel sumpsit victoria pinnas
Et tua vulgando prospera fada volat.
Sagone Thoringo resonat, sua damna moventes
Unius ad laudem tot ceciddisse viros.
[21] Id., VII, 16, 47 : Quæ fuerit virtus, tristis Saxonia cantat.
[22] Grégoire de Tours, IV, 23.
[23] Id., IV, 29.
[24] Id., IV, 42.
[25] Liber Historiæ, c. 35. Cf. Aimoin, III, 56 (Bouquet III, p. 92). Hildegaire, Vita Faronis, c. 25 (Mab. saec., II, p. 586).
[26] Id., VII, 21 : Rogatus enim fuerat ab ea, ut post mortem regis cum ipsa resederet, sed optenere non potuit.
[27] Id., VIII, 9.
[28] Frédégaire, IV, 25 et 26.
[29] Vita Gaugerici, dans Bouquet III, p. 486 ; Anal. Boll., VII, p. 393 : Viro illustri Landerico, tunc tempore majorem domus præfati principis.
[30] Grégoire de Tours, VIII, 5. Cf. mon étude sur la Reine Brunehaut, p. 26, n.
[31] On verra expliquer de la même manière, en Austrasie, l’arrivée au pouvoir de Protadius. Cf. mon étude sur la Reine Brunehaut, p. 48.
[32] Le point d’honneur germanique défendait d’attaquer un adversaire sans l’avoir défié, c’est-à-dire sans l’avoir prévenu de son attaque et lui en avoir fait connaître le jour et l’heure ; tomber sur lui à l’improviste était considéré comme une lâcheté. On se souvient que Clovis, sur le point d’attaquer Syagrius, lui avait demandé de faire choix d’un champ de bataille. Nous avons donc ici une preuve de plus que notre récit est d’origine populaire, c’est-à-dire né de la tradition orale et non de l’histoire savante, qui n’aurait pas conservé ce trait.
[33] Sur les clochettes au cou du bétail v. Fortunatus, Carmina II, 16, 49.
[34] Liber Historiæ, c. 36.
[35] Frédégaire, IV, 14 : Eodem anno Quintrio dux Campanensim cum exercito in regno Clothariae ingreditur. Clotharius cum suis obviant pergens, hostiliter Quintrione in fugam vertit, sed utrosque exercitus nimium trucidatus est.
Paul Diacre, IV, 4 : Childepertus quoque bellum gessit cum consobrino suo Chilperici filio ; in quo prœlio osque ad triginta milia hominum caesa sunt.
[36] Hector Boethius, Scotorum Historiæ libri XIX, Paris, 1754, f. 254 v.
[37] Continuat., c. 8 dans Pertz, Scriptor., VIII, p. 182. Il faut remarquer que la vie de Conon, écrite par Thierry à la fin du XIe siècle, raconte la fin tragique de Conon sans mentionner l’épisode des branches d’arbres : la légende sera née depuis la rédaction de la vie.
[38] Saxo Grammaticus, V, p. 150 (Holder).
[39] Chuni vero iterum in Gallias venire conabentur. Adversum quos Sigibertus cum exercitu dirigit, habens secum magnam multitudinem virorum fortiam. Cumque confligere deberent, isti magicis artibus instructi, diversas eis fantasias ostendunt et eos valde superant. Grégoire de Tours, IV, 29.
[40] Dans d’Arbois de Jubainville, La littérature épique de l’Irlande, p. 431.
[41] Les Mabinogion du pays de Galles nous offrent un curieux épisode où la comparaison d’une flotte avec une forêt devient l’occasion d’une espèce d’énigme. Beindigeit Vran, roi de Bretagne a mis en mer pour se venger d’un prince d’Irlande, et sa flotte apparaît en vue des côtes de ce pays.
Les porchers de Matholvoch, qui étaient sur le bord des eaux, retournèrent auprès de lui : Seigneur, dirent-ils, porte-toi bien — Dieu vous donne bien, répondit-il, apportez-vous des nouvelles ? — Oui, seigneur, des nouvelles surprenantes. Nous avons aperçu un bois sur les eaux, à un endroit où auparavant nous n’en avons jamais vu trace. — Voilà une chose surprenante : c’est tout ce que vous avez vu ? — Nous avons vu encore, seigneur, une grande montagne à côté du bois, et cette montagne marchait ; sur la montagne un pic, et de chaque côté du pic un lac. Le bois, la montagne, tout était en marche. — Il n’y a personne ici à rien connaître à cela, si ce n’est Branwen ; interrogez-la. Les messagers se rendirent auprès de Branwen. Princesse, dirent-ils, qu’est-ce que tout cela, à ton avis ? — Ce sont, répondit-elle, les hommes de l’île des Forts qui traversent l’eau.... — Qu’est-ce que ce bois qu’on a vu sur les flots ? — Ce sont des vergnes et des mâts de navire. — Oh ! dirent-ils, et la montagne que l’on voyait à côté des navires ? — C’est Bendigeit Vran, mon frère, marchant à gué. Il n’y avait pas de navire dans lequel il prit tenir. — Et le pic élevé et les lacs des deux côtés du pic ? — C’est lui jetant sur cette île des regards irrités ; les lacs des deux côtés du pic sont ses yeux de chaque côté de son nez. — D’Arbois de Jubainville et Loth, Cours de litt. celt., III, p. 83.