La suite de l’histoire poétique de Childéric répond au caractère de ses débuts[1]. C’est, cette fois, Grégoire de Tours qui va nous la raconter. Childéric était très dissolu, et débauchait les filles des Francs. Irrités, ceux-ci se soulevèrent contre lui, et, sans une prompte fuite, il n’aurait pas échappé à la mort. Mais, avant de s’exiler, il avait partagé une pièce d’or avec un de ses fidèles, qui lui avait promis d’apaiser le peuple, et il avait été convenu, que quand l’heure serait venue pour le roi de rentrer dans son pays, l’ami lui enverrait la moitié de la pièce. Là-dessus, Childéric se retira en Thuringe auprès du roi Basin et de la reine Basine. Les Francs, cependant, avaient à l’unanimité pris pour chef Ægidius, le général romain. L’exil de Childéric dura huit années. Au bout de ce laps de temps, son fidèle étant parvenu à réconcilier en secret le peuple avec le souvenir de son roi, envoya à celui-ci le signe convenu. Childéric revint et fut bien accueilli par les Francs, qui le remirent à leur tête. Peu de temps après, la reine Basine abandonna son mari et vint le rejoindre : Interrogée par lui pourquoi elle avait fait un si long voyage, elle répondit : C’est parce que je connais ta valeur. Si j’avais cru qu’il y avait, même au delà de la mer, quelqu’un qui l’emportât sur toi[2], c’est à lui que je me serais donnée. Childéric joyeux en fit sa femme, et elle lui donna un fils qu’elle appela Clovis : celui-ci fut un grand et puissant guerrier[3]. Frédégaire et le Liber Historiæ, qui reproduisent le même récit avec des variantes dont il sera question plus loin, nous font connaître le nom de l’ami fidèle qui rendit tant de services à Childéric : il s’appelait Wiomad[4]. Cet accord des deux chroniqueurs est d’autant plus remarquable, que, comme je l’ai montré ailleurs[5], le Liber Historiæ ne procède en rien, de Frédégaire, qu’il n’a pas même connu : preuve que le Burgonde et le Neustrien ont trouvé l’un et l’autre le nom du personnage dans la tradition populaire. Mais pourquoi Grégoire de Tours s’obstine-t-il à éviter ce nom, et à désigner l’ami de Childéric par des expressions vagues comme hominem sibi carum, amicus ejus, amicus ille fidelis ? Serait-ce parce que sa source populaire ne lui fournissait pas le nom ? Une telle supposition est inadmissible : il n’y a pas d’exemple qu’une tradition épique fasse entrer en scène des personnages anonymes dans des rôles importants, et on ne peut douter que le nom de Wiomad ait été un des éléments constitutifs de la légende dont il est le héros. Si donc Grégoire ne nous l’a pas communiqué, ce ne peut être que parce qu’il éprouvait quelque scrupule à l’égard de la tradition. Sans doute, elle lui semblait trop peu sûre pour le déterminer à donner une place définitive dans l’histoire à un personnage qui n’était connu que par elle. Cet indice d’une faible mais réelle résistance de l’esprit critique doit être noté. Il atteste une fois de plus que, quand il s’agit de traditions orales, Grégoire ne se livre pas entièrement à ses sources, et que, dans le doute, il se décide à l’abstention. C’est ainsi que nous l’avons vu procéder plus haut envers la légende relative à la filiation de Mérovée : il n’en assume pas la responsabilité, et, forcé de la mentionner, il ne le fait qu’avec une formule dubitative (quidam adserunt). Nous aurons plus d’une fois encore, au cours de nos recherches, l’occasion de faire une constatation analogue. Le choix du signe convenu entre Childéric et son fidèle est bien germanique, et, à lui seul, il trahirait sous la plume de Grégoire de Tours sa provenance barbare. Les Germains ne connaissaient pas l’écriture ; lorsqu’il leur fallait vérifier l’authenticité d’un message venu de loin, leur embarras était souvent grand. Ils n’avaient pas de meilleur moyen que de partager par moitié un objet quelconque, dont les morceaux, rapprochés l’un de l’autre et se correspondant parfaitement, attestaient d’une manière irrécusable leur unité primitive. Le partage du sou d’or entre Childéric et Wiomad appartient à ce genre de correspondance rudimentaire : lorsque le roi exilé recevra de la main du messager le morceau qui, rapproché de celui qu’il garde, le complétera exactement (quando quidem hanc partem tibi misero, partesque conjunctæ unum efficerent solidum) ce sera la preuve que le message est bien envoyé par Wiomad, et qu’il peut avoir pleine confiance dans ce que dira le messager[6]. Ce procédé de vérification est resté en usage dans le peuple, et j’en retrouve un exemple curieux dans ces mêmes régions où, il y a quatorze siècles, Childéric et son ami se séparaient après avoir partagé le sou. En 1821, quelques jeunes prêtres flamands du séminaire de Malines partaient en qualité de missionnaires pour l’Amérique. Sur le point de les quitter, un ami qui les avait accompagnés jusqu’à Wælhem, demanda à l’un d’eux de lui donner un souvenir : N’ayant rien de mieux sur moi, écrit le héros de cette histoire, je tirai un sou de ma poche, le pliai en deux avec les dents, et le lui remis[7]. L’un de ces hommes, celui qui partait, était le P. Desmet, fondateur de la mission des Montagnes Rocheuses ; l’autre, Monseigneur de Ram, premier recteur de l’université de Louvain. Je ne doute pas que si les dents du P. Desmet avaient eu, cette fois, la puissance dont il fit preuve en une autre occasion, il n’eût remis à Mgr de Ram la moitié du sou en question, et n’eût gardé l’autre pour lui : il semble bien que ce fût son intention, et qu’il ait, très inconsciemment, voulu renouveler le partage épique des deux héros francs. Voici un autre exemple pris dans la légende. La chanson du duc de Brunswick, qui se chante encore aujourd’hui dans les provinces de l’ancien royaume de Childéric, nous montre le prince revenu après de longs voyages dans ses états, au moment même où sa femme célèbre la fête de son nouveau mariage. Sous le costume d’un mendiant, i ? lui fait demander à moire, et, dans la coupe d’or qu’elle lui a envoyée, il jette, après l’avoir vidée, la moitié d’une bague. A la vue de cet objet, la duchesse s’écria avec force : Cet homme, c’est mon propre époux ! Elle plaça la moitié de la bague près de celle qui lui était restée, et soudain les deux moitiés adhérèrent l’une à l’autre[8]. Sauf de légères divergences dans le détail, Frédégaire et le Liber Historiæ sont d’accord avec Grégoire sur le choix du signe convenu entre Childéric et Wiomad, sur le lieu où se retire le prince, et sur l’élection d’Ægidius comme roi des Francs pendant son absence. Mais, tandis que Grégoire est à peu près muet en ce qui concerne le moyen employé par Wiomad pour réconcilier le peuple avec son souverain, Frédégaire entre à ce sujet dans de longues digressions, et le Liber Historiæ, de son côté, dramatise l’action que Grégoire se borne à indiquer par ces mots : pacatis occultæ Francis. Évidemment, ces trois mots laissent deviner plus qu’ils ne disent. On ne peut pas croire que la légende omettait de faire connaître les artifices de Wiomad. Ce fidèle serviteur était pour elle l’âme du récit, et les ruses auxquelles il recourait devaient être considérées, par les auditeurs barbares, comme la partie la plus intéressante de l’histoire. Le mot occultæ est ici, encore une fois, un sommaire sous lequel un œil exercé peut entrevoir tout un développement épique. Si Grégoire le passe sous silence, c’est toujours à cause de sa défiance envers la légende populaire, surtout lorsqu’elle lui fournit des situations et des événements qui ne concordent pas avec les idées d’un Romain civilisé. Les ruses de Wiomad lui auront paru trop grossières ou trop invraisemblables pour être admises, et il aura préféré les passer sous silence[9]. Cet expédient n’est certes pas de ceux qu’approuverait la critique moderne, mais il n’en est pas qui ait été plus souvent employé, et, de nos jours encore, on voit des historiens qui n’appliquent pas d’autre méthode à l’examen des traditions populaires. Il faut avouer que les artifices de Wiomad étaient bien faits pour exciter la défiance d’un homme élevé au sein d’une civilisation dont le mécanisme savant ne permettait pas de comprendre la puérile simplicité de la légende germanique. Si l’on peut s’en rapporter ici à Frédégaire et au Liber Historiæ, d’autant plus dignes de foi que leur accord ne provient pas d’un emprunt fait par l’un à l’autre, Wiomad aurait feint traîtreusement d’être l’ami d’Ægidius, et, après avoir gagné sa confiance, lui aurait persuadé de faire peser une dure oppression sur les Francs, puis, se retournant vers ceux-ci, il leur aurait reproché d’avoir chassé leur roi légitime et leur aurait suggéré l’idée de le rappeler. Voilà qui explique le pacatis occultæ Francis de Grégoire. Cette expression est manifestement une allusion à des faits de ce genre, et il faut admettre que, rapportés à la fois par Frédégaire et par le Liber Historiæ, ils formaient le fond d’une version qui était déjà sous les yeux de Grégoire de Tours au moment où il écrivait. Quant à la nature de l’oppression qu’Ægidius fait subir aux Francs, elle est décrite par le Liber Historiæ d’une manière sommaire, pax Frédégaire avec beaucoup de détails. D’après ce dernier, Ægidius, devenu souverain des Francs, nomme Wiomad sous-roi (subregulus). Celui-ci lui conseille de lever sur eux un impôt d’un sou d’or (aureus) par tète. Ægidius le fait, et les Francs paient. Wiomad lui persuade de tripler ce tribut pour mieux les dompter et humilier leur orgueil. Les Francs, ainsi accablés, s’exécutent cependant, se disant qu’il vaut mieux encore payer tribut que de supporter le joug d’un Childéric. Cela ne fait pas l’affaire de Wiomad, qui soutient à Ægidius que les Francs sont des rebelles, et que, pour avoir raison d’eux, il doit en faire périr plusieurs. Et lui-même en choisit une centaine qu’il envoie au roi, lequel, toujours plus aveuglé, les fait mettre à mort. Alors Wiomad s’adresse aux Francs et leur demande s’ils continueront de payer tribut, et de souffrir que les leurs soient immolés comme des troupeaux. Les Francs déclarent unanimement que, s’ils pouvaient trouver Childéric, ils le remettraient à leur tête, parce qu’ils n’en peuvent plus. Wiomad enchanté retourne auprès d’Ægidius, et lui affirme que cette fois les Francs sont décidément soumis. Toute cette suite d’intrigues manque dans le Liber Historiæ, mais il paraît bien que l’auteur de celui-ci l’a connue, et c’est par seul amour de la brièveté qu’il le résume en disant : Hortabatur (Wiomadus) Egidio aliquos Francos dolose oppremere. Ille audiens consilium ejus acrius cœpit oppremere eos[10]. Voilà, sans doute, une histoire bien invraisemblable, mais de cette invraisemblance épique qui n’avait rien de choquant pour les auditoires populaires. L’épopée germanique nous présente plus d’une fois le type du conseiller perfide qui, devenu le mauvais génie de son maître, le pousse à tous les crimes et le précipite finalement dans la ruine. L’une des plus caractéristiques parmi ces figures est le traître Sibich, qui, pour se venger du roi Hermanaric qui a outragé sa femme, l’amène à se défaire successivement de tous les membres de sa famille. Qu’on lise cette légende dans le poème intitulé : La fuite de Dietrich[11], et l’on sera frappé de l’identité de Sibich et du Wiomad, bien qu’il y ait entre le récit de Frédégaire et la rédaction de l’épopée un intervalle d’environ sept siècles. De part et d’autre, le traître est conçu d’une manière tout à fait enfantine. Les mauvais conseils qu’il donne sont tellement absurdes que la perfidie crève les yeux, bien que celui auquel ils s’adressent se garde de s’en apercevoir jamais. On comprend que Grégoire de Tours, qui avait lu des auteurs classiques, et qui avait été habitué à des types d’une bien autre vérité psychologique[12], ait été mis en défiance, et se soit refusé à regarder l’histoire des ruses de Wiomad comme authentique. Frédégaire, qui, comme on le sait déjà, n’avait ni la même éducation littéraire ni les mêmes scrupules de critique, s’est borné à reproduire la tradition telle qu’il l’avait entendue, et sans se préoccuper de ce qu’elle valait. Je continue maintenant l’examen de notre légende. Il semble bien qu’après avoir reconquis les sympathies du peuple pour Childéric, Wiomad n’ait plus qu’à lui renvoyer la demi-pièce d’or, pour lui marquer qu’il peut désormais revenir en toute sécurité. C’est ainsi, en effet, que les choses se passent dans Grégoire et dans le Liber Historiæ. Mais il en est autrement chez Frédégaire, qui intercale ici un stratagème nouveau, et bien inutile, pour faire revenir Childéric. Le rusé personnage qui mène décidément son Ægidius par le bout du nez, lui persuade maintenant d’envoyer une ambassade à l’empereur Maurice, pour lui réclamer une somme de 50.000 sous d’or, destinés à payer la fidélité des barbares du voisinage. Lui-même demande la permission d’adjoindre à cette ambassade un sien esclave, qui doit acheter de l’argent à Constantinople[13] ; en réalité, l’esclave est chargé de remettre la demi-pièce d’or à Childéric, qui se trouve dans la grande ville. Comment est-il arrivé là, alors que Grégoire et le Liber Historiæ ne parlent que de son exil en Thuringe, et que, dans le récit de Frédégaire lui-même, il n’a pas été question auparavant de son départ pour Byzance ? C’est ce que nous apprendrons tout à l’heure. L’ambassade part ; l’esclave de Wiomad s’en va avec elle, porteur d’un sac qui contient prétendument l’or destiné à l’échange, mais qui en réalité, est rempli de jetons de plomb. Ce qu’il a de plus précieux sur lui, c’est le demi-aureus que son maître l’a chargé de remettre en secret à Childéric. L’esclave a de plus reçu la mission de prendre les devants, et de prévenir sans retard Childéric que le malheureux Ægidius, au lieu d’envoyer à Constantinople les tributs de la Gaule, a l’audace d’en demander lui-même à l’empereur. Childéric court faire ce beau message à Maurice, qui, saisi d’indignation, fait jeter en prison les messagers d’Ægidius, et envoie Childéric en Gaule pour tirer vengeance du sujet infidèle. Childéric se met en route, comblé de cadeaux par Maurice. Wiomad, prévenu par son esclave revenu sur ces entrefaites, vient à sa rencontre à Bar, où le roi est reçu par ses sujets, et où, sur le conseil de Wiomad, il leur fait gracieusement remise de tous les tributs publics. Il est ensuite reconnu par tout le peuple franc, livre plusieurs combats à Ægidius et remporte de sanglants succès sur les Romains. Tel est le récit de Frédégaire. On voit qu’il se compose de deux légendes indépendantes, en partie contradictoires entre elles, d’ailleurs imparfaitement soudées l’une à l’autre, et dont l’une place l’exil de Childéric en Thuringe, tandis que l’autre lui assigne pour retraite Constantinople. Examinons d’abord cette dernière, qui est entièrement inconnue de Grégoire et du Liber Historiæ. Cette légende est manifestement postérieure à Grégoire de Tours, et elle fait partie de ce développement graduel auquel sont soumises, dans la bouche du peuple, les données de la tradition, lorsqu’elles ont obtenu quelque popularité. D’abord, c’est bien de Thuringe que Grégoire fait revenir Childéric (a Thoringia regressus) ne laissant aucune place à l’hypothèse que l’histoire de l’exil à Constantinople aurait déjà été en circulation de son temps. Le caractère parasite de l’épisode ajouté par Frédégaire est d’ailleurs si frappant, qu’on pourrait le découper comme à l’emporte-pièce dans sa propre narration, sans qu’elle en fût altérée ; au contraire, elle paraîtrait, après cette amputation, beaucoup plus logique et plus vraisemblable[14]. Enfin, la mention de l’empereur Maurice suffit pour assigner à l’épisode une date postérieure à Grégoire de Tours, car celui-ci est mort en 594, et Maurice monta sur le trône en 582, plusieurs années après que Grégoire avait écrit les premiers livres de sa chronique[15]. Il vaut d’ailleurs la peine, pour l’historien autant que pour le critique, de scruter un peu plus attentivement les origines de la, légende qui met en scène l’empereur Maurice. Évidemment, elle n’est pas née du vivant de celui-ci, qui ne mourut qu’en 602, et il est même peu probable qu’elle ait pris naissance sous le règne de son premier successeur Phocas (602-610). Même chez un peuple aussi barbare que l’étaient alors les Francs, on ne pouvait avoir oublié si vite le Maurice historique, dont on devait avoir parlé plus d’une fois en pays franc, à cause de ses fréquentes négociations avec les souverains de ce pays[16], et en particulier de certain conflit assez retentissant qu’il avait eu avec Childebert II[17]. C’est donc, tout au plus sous le règne d’Héraclius, c’est-à-dire après 610, que les notions chronologiques sur le règne de Maurice auront été assez brouillées en Gaule pour qu’on fit de cet empereur un contemporain de Childéric, qui avait vécu plus d’un siècle avant lui. Pourquoi l’imagination populaire a fait choix du nom de Maurice, c’est ce que pourra dire quiconque a un peu réfléchi à la formation des légendes nationales. On a pris, parmi les empereurs du passé, celui dont on avait conservé le souvenir le plus vif, et il se trouvait, pour les raisons indiquées ci-dessus, que c’était Maurice. Ce transfert épique, s’il m’est permis de baptiser de la sorte le procédé en question, l’imagination populaire le fait toujours en pareil cas, et l’épopée n’en a pas de plus familier. Un dernier point resterait à élucider dans l’histoire de l’épisode ajouté par Frédégaire. D’où vient cette singulière légende qui, née au VIIIe siècle, fait fuir le roi barbare à Constantinople, et montre la Gaule administrée pendant quelque temps au nom des empereurs ? Nous avons établi qu’elle est dépourvue de tout fondement historique ; il est, dès lors, parfaitement inutile de lui chercher un lointain point d’attache avec l’histoire dans le passage de Priscus, parlant d’un prince franc qu’il a vu à Rome. Par contre, on trouve dans l’histoire du VIe siècle quelques faits qu’on pourrait considérer comme ayant fourni des matériaux à. la fantaisie épique. Le premier de ces faits, c’est qu’un aventurier, nommé Gundovald, qui se disait fils de Clotaire Ier, après avoir fait quelque bruit chez les Francs, s’était réfugié auprès de Narsès et de là à Constantinople, d’où il était revenu au bout de quelque temps comme un véritable prétendant à la couronne (582)[18]. Il parait que le duc Gonthran Boson, un intrigant de la pire espèce, l’avait appelé, et qu’il avait même fait exprès le voyage de Constantinople pour le décider à tenter l’aventure[19]. Parmi les grands, il y en avait plusieurs, notamment les ducs Mummolus et Desiderius, qui avaient ouvertement embrassé la cause du prétendant[20]. Viens, lui avaient-ils dit, tu es attendu par tous les grands du royaume de Childebert, et il n’y a personne qui osera bouger devant toi. Nous savons tous que tu es le fils de Clotaire, et il ne reste personne en Gaule qui puisse gouverner le royaume, si tu ne viens[21]. De pareilles offres décidèrent Gundovald ; il débarqua à Marseille, où il fut bien accueilli par l’évêque. Il fut élevé sur le pavois par son parti à Brives-la-Gaillarde, et il commença ensuite à parcourir le pays en véritable souverain. Il entra dans plusieurs villes importantes, comme Angoulême, Toulouse, Bordeaux, et envoya sommer impérieusement le roi Gonthran de lui restituer sa part d’héritage[22]. Tous les traits de la vie de cet aventurier sont ici à noter. L’esprit public en avait été fort frappé, et en particulier de cette circonstance du voyage à Constantinople : elle est mentionnée nombre de fois. A cette date, en pays franc, on était un personnage quand on avait été à Constantinople, et qu’on avait vu l’empereur ! Ajoutons que ceci se passait sous l’empereur Maurice, et que même beaucoup d’historiens ont voulu voir, dans l’équipée de Gundovald, une ambitieuse tentative de Byzance pour remettre la Gaule sous ses lois[23]. N’est-ce pas dans l’histoire de cet aventurier que la légende de l’exil de Childéric à Constantinople s’est fournie de ses traits principaux ? Nous avons de part et d’autre un prétendant chassé du pays franc, réfugié à Constantinople, favorisé par l’empereur Maurice, rappelé par des Francs qui sont allés lui offrir de rentrer, enfin, revenant par mer en Gaule[24]. Certes, je ne soutiens pas que l’histoire de Gundovald soit devenue celle de Childéric, dont elle diffère d’ailleurs par son dénouement tragique, mais je dis qu’elle doit lui avoir servi de moule. Peut-être même est-ce du vivant du prétendant que la légende de Childéric s’est modelée sur la sienne. C’est du moins ce que laisserait croire la frappante analogie de certains traits, qu’on trouve à la fois dans le récit historique et dans la tradition légendaire. Ainsi, l’histoire des 30.000 sous d’or subtilisés par Childebert Ier à Maurice[25] a, très probablement, fourni à la légende l’idée de la même somme indûment réclamée par Ægidius au même empereur. D’autre part, il y a des aventures d’ambassadeurs francs envoyés à Maurice et maltraités en route, qui ont un singulier air de famille avec ce que nous lisons encore dans l’histoire de Gundovald[26]. Il n’est donc pas téméraire de voir, dans l’aventure réelle, le type sur lequel s’est modelé l’épisode légendaire ajouté par le chroniqueur du Vile siècle à l’histoire de Childéric[27]. La mention de la ville de Bar dans le récit de Frédégaire nous fournit une autre indication. Bar-le-Duc était la première ville du royaume d’Austrasie quand on y entrait par le sud c’est pour cela que Wiomad y vient à la rencontre de son roi, et que l’on mentionne l’accueil que les habitants font à celui-ci. En d’autres termes, la légende veut dire que Childéric, en revenant de Constantinople, est reçu aux frontières de son royaume Par son peuple, et la remise d’impôts qu’il leur accorde est un véritable don de joyeuse entrée (inicium receptionis)[28]. Ce détail atteste que la chanson provient d’un endroit où l’on connaissait la frontière qui séparait l’Austrasie de la Bourgogne, c’est-à-dire du pays de Bar-le-Duc même, et je n’hésite pas à dire que c’est cette ville seule qui avait intérêt à rappeler la prétendue remise d’impôts accordée par le roi Childéric. Qui sait même si le détail n’a pas été ajouté dans une intention satirique, à un moment où l’on se débattait contre les exigences assez fréquentes du fisc mérovingien ? Notre histoire est d’ailleurs bien dans le goût des récits francs. Nous en rencontrons encore une autre dans la chronique de Frédégaire, qui, bien qu’elle se rapporte à des faits beaucoup plus rapprochés de lui, sent également sa légende. Adaloald, roi des Lombards, avait fait très bon accueil à Eusebius, que l’empereur Maurice lui avait envoyé pour le tromper[29]. Mais, après que sur le conseil d’Eusebius il s’était laissé oindre de divers onguents, il se trouva entièrement au pouvoir de ce dernier, et incapable de faire autre chose que ce qu’il lui disait. Instigué par lui, il donna ordre de faire périr tous les grands du royaume des Lombards ; il voulait, après s’être débarrassé d’eux, se livrer avec tout son peuple à l’empire. Une douzaine ayant déjà péri par le glaive sans être coupables, les autres, se voyant menacés à leur, tour, élurent roi le duc de Turin Charoald, qui avait épousé Gondeberge, sœur du roi Adaloald[30]. Cette historiette, qui nous offre, je crois, le plus ancien exemple de ce qu’on appelle aujourd’hui une suggestion, n’est autre chose qu’une légende. En effet, en 624, date prétendue de l’événement, l’empereur Maurice n’était plus de ce monde ; il avait péri dès 602 sous les coups de Phocas, et ce dernier lui-même avait succombé, en 610, à la vengeance d’Héraclius. D’ailleurs, toute l’histoire a une saveur légendaire qui suffît à la faire écarter[31]. Je ne l’ai mentionnée ici que pour montrer la conformité de l’épisode qui nous occupe avec d’autres qui sont sortis du même moule. Après cette digression, je reviens à la légende telle crue la raconte Grégoire de Tours,- suivi d’ailleurs par Frédégaire et par le Liber Historiæ. Childéric, nous disent-ils tous les trois, a trouvé, l’hospitalité chez Basin, roi des Thuringiens, et chez sa femme Basine. Après son retour au pays franc, Basine est venue le rejoindre, et elle est devenue sa femme. Ce récit porte sur lui la marque manifeste de sa provenance populaire, quand même le respondisse fertur, par lequel Grégoire de Tours introduit la repartie de Basine, n’en serait pas la preuve explicite. Après ce que j’ai dit plus haut au sujet de l’allitération dans les noms des quatre prud’hommes auteurs de la loi salique, il est inutile d’insister sur la parenté toute poétique créée entre le nom de Basin et celui de sa femme : à elle seule, elle suffit pour attester que nous nous trouvons ici sur le terrain de la fiction, et non sur celui de l’histoire[32]. Basine est d’ailleurs, comme l’a fort bien fait remarquer M. Rajna, le prototype de ces femmes amoureuses qui, dans les chansons de Geste, vont se jeter sans façon dans les bras des héros étrangers qu’elles aiment, en leur offrant leur amour avec plus de franchise que de dignité. Il faut noter de plus, dans le récit de Grégoire, une contradiction bien significative. Childéric a été pendant huit ans l’hôte de Basine ; or, en la voyant reparaître, il lui adresse la parole comme s’il ne se doutait pas de ce qui l’amène, presque comme s’il ne la connaissait pas. Et elle-même lui répond comme si elle le voyait pour la première fois, et que jusqu’alors elle ne l’eût connu que par la renommée. Bien plus, il se réjouit du compliment qu’elle lui fait, et il la prend pour femme, sans qu’il soit seulement question entre eux de Basin ni de leurs relations antérieures[33]. Est-ce bien ainsi que devait se passer la scène où se revoyaient deux personnages qui, dans tous les cas, étaient l’un pour l’autre de vieilles connaissances, et qui s’apprêtaient à trahir, elle son époux, lui son ami ? Évidemment non, et l’on eut dire sans exagération que le dialogue de Childéric et de Basine contredit le récit de Grégoire. Mais cette circonstance est précieuse parce qu’elle nous met sur la voie des diverses phases par lesquelles a passé l’évolution incomplète de la légende. Et d’abord, en cherchant à démêler ce qu’elle contient de réel et de fictif, nous devons constater l’existence historique d’un roi des Thuringiens portant le nom de Basin. Nous savons par Fortunat que la reine Radegonde était la petite-fille de ce roi[34], et il est impossible d’admettre, comme l’ont fait queique5-uns, que ce renseignement manque d’autorité[35]. Fortunat, en effet, était lié d’amitié avec la sainte, et c’est par elle-même qu’il a connu ses relations de famille. D’autre part, Basin est encore mentionné dans l’Origo Gentis Langobardorum, document italien du VIIe siècle, qui nous apprend qu’une de ses filles avait épousé Wacco, roi des Lombards — ; il est de plus nommé dans l’Edictum Rothari Regis, et indiqué dans l’Histoire des Lombards de Paul Diacre. Voilà un ensemble de témoignages plus que suffisant pour élever au-dessus de tout doute l’historicité du roi Basin[36]. D’autre part, il est difficile de contester le nom de Basine donné par la tradition à la mère de Clovis. A l’époque où cette tradition reçut sa forme actuelle, c’est-à-dire, si je ne me trompe, du vivant de Clovis ou peu après sa mort, ce nom n’était pas oublié[37], et il n’est pas admissible qu’on en ait imaginé un autre que celui que fournissait la réalité. Rien n’est plus vivace qu’un nom : il se perpétue avec le souvenir du personnage qui l’a porté, et il ne cesse de faire corps avec lui dans la mémoire de la multitude. Ajoutons que le vocable de Basine reparaît encore dans la famille mérovingienne : nous le trouvons porté par une fille du roi Chilpéric, religieuse à Poitiers, et il y a là tout au moins une présomption en faveur de son emploi antérieur ‘parmi les ascendants de cette princesse[38]. Je crois donc pouvoir conclure que la mère de Clovis s’est réellement appelée Basine, tout comme le roi des Thuringiens a porté réellement le nom de Basin[39]. Mais, s’il est certain que les populations franques du VIe siècle ont connu en même temps le roi Basin et la reine Basine, l’origine de la légende des amours de Childéric ne présente plus aucune difficulté. Fidèle à son procédé instinctif, l’imagination populaire aura rapproché les deux personnages qui portaient le même nom, le lien étymologique entre les noms étant pour elle la marque du lien qui reliait les personnes. Basine n’était et ne pouvait être, de par la loi de l’imagination épique, que la femme de Basin. Cette supposition native, qui se présentait d’elle-même à l’esprit populaire, il l’a accueillie sans défiance et sans arrière-pensée, et il a subi la tyrannie des noms sans même se rendre compte de son illusion[40]. C’est ainsi que naissent les légendes et que se font les contaminations épiques. Le point de départ du chant que nous analysons consista donc dans la supposition suivante Basine, femme de Childéric et mère de Clovis, avait été la femme de Basin, roi des Thuringiens. Mais comment était-elle devenue la femme de Childéric ? Relisez le texte de Grégoire, et la forme primitive du récit vous sautera aux yeux. Ayant entendu parler de la valeur de Childéric, elle était partie de chez elle comme une nouvelle reine de Saba, et était venue spontanément offrir son cœur et sa main au héros franc. Childéric, étonné d’un pareil honneur, lui en avait demandé le motif, et, avec une ingénuité toute barbare, elle lui avait fait la déclaration rapportée ci-dessus. Et lui, tout joyeux, la prit pour femme. Voilà l’histoire dans sa simplicité primitive, telle qu’elle reparaît encore, je le répète, dans le discours de Basine, et antérieurement à toute autre transformation. Il est manifeste que cette version première ne connaissait pas le séjour de Childéric en Thuringe, et ne comportait pas de relations antérieures entre lui et la reine Basine : tout consistait dans l’escapade spontanée de celle-ci. Le discours qu’elle tient au héros a quelque chose de si vif et de si pittoresque dans son archaïsme barbare, qu’il est devenu en quelque sorte le centre du récit, et la formule immuable qui donnait son prix à l’historiette. Nous aurons plus d’une fois l’occasion de constater que bien souvent, dans les traditions épiques reproduites par des chroniqueurs, ce sont les paroles du héros principal qui sont le mieux conservées sous leur forme primitive. Pourquoi ? Parce qu’elles sont la moelle de l’histoire, et que toute la signification de celle-ci peut se résumer en elles. Il en est arrivé ainsi dans l’histoire de Basine : voilà pourquoi les paroles mises dans sa bouche se sont conservées sans altération, et qu’on ne s’est pas avisé d’y toucher, même alors que les développements nouveaux de la légende ont mis, entre ces paroles et le contexte, une contradiction dont la naïveté populaire ne s’est d’ailleurs jamais aperçue. Mais qui ne voit que, dans son état primitif, tel que nous venons de l’étudier, la légende appelait nécessairement une nouvelle évolution ? Le premier venu, ou, pour mieux dire, tout le monde la fois, dut imaginer de bonne heure une explication plus dramatique de la fugue de Basine. Si elle se laisse entraîner à un pareil oubli de son devoir, c’est évidemment — ainsi raisonne l’esprit populaire — parce qu’elle avait pour Childéric une passion ancienne, qui pouvait atténuer le caractère répugnant de sa démarche. Et cette passion supposait forcément un séjour prolongé des deux amants dans le même endroit. C’est ainsi que l’histoire de la résidence de Childéric à la cour de Thuringe est venue se souder à celle de l’escapade de Basine, sans que les auteurs de cette contamination aient songé à remanier le discours de celle-ci pour le mettre d’accord avec la nouvelle invention[41]. Est-ce l’obligation de faire résider Childéric à la cour de Thuringe assez longtemps pour expliquer ses relations avec Basine, qui a donné naissance à la fable de l’exil forcé de ce roi et du soulèvement de son peuple contre lui ? Ou bien le fait de sa déposition temporaire était-il constant, et l’esprit épique s’est-il borné à le rapprocher de l’histoire de Basine pour fondre les deux récits en un seul ? Je ne sais, et il me parait difficile de résoudre la question avec les éléments qui sont dans nos mains. S’il s’agissait de se déterminer d’après de simples impressions, je serais assez porté à admettre une légende de la fuite de Childéric qui aura existé, pendant quelque temps, indépendamment de celle de Basine : du moins le rôle du fidèle Wiomad et celui d’Ægidius, qui auront été difficilement créés par des nécessités de pure logique, semblent le faire croire. Il aurait donc existé, dès l’origine, deux traditions collatérales et indépendantes l’une de l’autre, à savoir d’un côté l’exil de Childéric et de l’autre l’équipée de Basine, et l’élément fictif qui leur aurait servi de trait d’union, ce serait le choix de la Thuringe par Childéric comme lieu d’exil[42]. Je ne veux d’ailleurs pas me porter garant de l’authenticité de la tradition relative à la royauté franque d’Ægidius. La légende elle-même, avant de se contaminer avec celle de Basine, pouvait avoir passé par des phases qui avaient déjà modifié sa forme première. Et, s’il en fallait chercher les éléments dans l’histoire, je crois qu’on les trouverait dans les rapports militaires qui semblent avoir existé entre le général romain et le chef barbare. Childéric, qui, comme nous le voyons par Grégoire de Tours, livre des combats victorieux au centre de la Gaule romaine, à Orléans et à Angers notamment[43], Childéric, que le Vita Genovefæ nous montre maître incontesté de Paris[44], ne paraît pas être resté en possession d’un pouvoir si étendu. Il meurt à Tournai, comme qui dirait refoulé jusqu’aux extrémités septentrionales du domaine conquis par Clodion, et son fils Clovis est obligé de reprendre à Syagrius toutes les provinces où son père avait commandé. Cela semble attester que les dernières années de Childéric furent assombries par des revers, et que les Romains ont, pendant un certain temps, sous Ægidius ou sous Syagrius, repris quelque avantage sur les barbares[45]. La légende franque, à qui, comme bien l’on pense, il ne convenait pas de présenter ces faits humiliants sous leur vrai jour, aura expliqué la fuite de Childéric par la colère des Francs, et les succès d’Ægidius par le libre choix des barbares eux-mêmes. Cette légende, en se contaminant avec celle de Basine, trouvait d’ailleurs dans celle-ci la justification de l’expulsion temporaire de Childéric : Childéric devenait un séducteur de femmes ! L’esprit populaire tenait enfin, ici, un tout poétique vraiment fait pour servir de sujet à une chanson, et la chanson, sans aucun doute, n’aura pas tardé à naître. Il semble qu’on en retrouve encore les paroles finales dans cette phrase de Grégoire, qu’on pourrait croire traduite de la conclusion : Quæ concipiens peperit filium vocavitque noinen ejus Chlodovechum. Hic fuit magnus et pugnator egregius. La troisième légende childéricienne que je vais étudier se rattache à la précédente d’une manière trop intime pour pouvoir en être séparée. Cette légende pourrait être intitulée : La vision de la nuit nuptiale. La voici d’après Frédégaire : La première nuit de leurs noces, Basine dit à Childéric : Cette nuit, nous nous abstiendrons de relations conjugales. Lève-toi en secret, et viens redire à ta servante ce que tu auras vu devant la porte du palais. Childéric, s’étant levé, vit comme des lions, des rhinocéros et des léopards qui cheminaient dans les ténèbres. Il revint et raconta sa vision à sa femme. Retourne voir encore, seigneur, lui dit-elle, et viens redire à ta servante ce que tu auras vu. Childéric obéit, et cette fois il vit circuler des bêtes comme des ours et des loups. Une troisième fois, Basin le renvoya avec le même message. Cette fois, Childéric vit des bêtes de petite taille comme des chiens et mitres animaux de ce genre, qui se roulaient et s’entre-déchiraient. Il raconta tout cela à Basine, et les deux époux achevèrent la nuit dans la continence. Lorsqu’ils se levèrent le lendemain, Basine dit à son époux : Ce que tu as vu représente des choses réelles, et en voici la signification. Il naîtra de nous un fils qui aura le courage et la force du lion. Ses fils sont représentés par le léopard et le rhinocéros ; ils auront eux-mêmes des fils qui, par la vigueur et par l’avidité, rappelleront les ours et les loups. Ceux que tu as vus en troisième lieu sont les colonnes de ce royaume, ils règneront comme des chiens sur des animaux inférieurs, et ils auront un courage en proportion. Les bêtes de petite taille que tu as vues en grand nombre se déchirer et se rouler représentent les peuples qui, ne craignant plus leurs rois, se détruisent mutuellement. — Telle fut la prophétie de Basine[46]. Je ferai d’abord remarquer que cette légende, dont nous ne trouvons pas l’équivalent dans les littératures classiques, paraît bien reposer sur une donnée absolument germanique[47]. Dans, l’innombrable quantité de songes et de visions qui peuplent l’épopée française, jamais on ne retrouve le songe prophétique d’un fondateur de dynastie voyant l’avenir de sa famille sous la figure de diverses espèces d’animaux ; jamais non plus ce n’est une femme qui est l’interprète du songe[48]. Par contre, c’est aux traditions des Germains que Frédégaire a emprunté son autre exemple de ce genre d’épisodes. Les parents de Théodoric le Grand, Theudemir et Lilia[49], sont au service du patrice Idacius et de sa femme Eugenia. La nuit de leurs noces, Eugenia dit à Lilia : Lorsque tu partageras la couche de ton mari, aie soin de me raconter le lendemain ce que tu auras vu pendant ton sommeil, car c’est la croyance que ce que de nouveaux mariés voient la nuit de leurs noces est la vérité[50]. C’est donc, on le voit, une croyance populaire relative aux visions nuptiales qui a donné naissance à la légende de Frédégaire. Quant au songe prophétique en lui-même, et au symbolisme des animaux qui y figurent, un autre chroniqueur germanique m’en fournit l’exemple suivant. Le duc Bernard I de Saxe (mort en 1011) connaissait, dit-on, l’avenir, et plus d’une fois il déclara en gémissant que ses fils étaient nés pour la destruction de l’église de Brême. Il vit, dans un songe, sortir du fond de sa maison et entrer dans l’église, des ours et des sangliers, puis des cerfs, et enfin des lièvres. Les ours et les sangliers, dit-il, c’étaient mes parents, armés de leur courage comme de dents. Les cerfs, c’est moi et mon frère, qui ne nous distinguons que par une vaine ramure. Pour les lièvres, ce seront nos fils, gens timides et de peu de valeur : je crains qu’en attaquant l’Église ils n’encourent la vengeance céleste[51]. Il n’est pas difficile d’interpréter la vision de Basine. Nous voyons qu’elle prédit d’abord un lion, qui est, dit-elle, le fils de son mariage avec Childéric : il s’agit donc de Clovis. Le léopard et le rhinocéros représentent les fils de Clovis (filii viro ejus). Les ours et les loups représentent la génération issue de ces princes : ce sont donc, tout particulièrement, outre Théodebert fils de Théodoric I, les quatre fils de Clotaire I, à savoir Charibert, Chilpéric, Sigebert et Gonthran. Enfin, les chiens représentent les fils de ces derniers, et notamment Childebert II, fils de Sigebert, et Clotaire II, fils de Chilpéric, les seuls qui aient régné. La prophétie ne va pas au-delà, si ce n’est pour acter I anarchie et le désordre qui succèdent à ces colonnes du royaume. Cette dernière expression pourrait faire croire qu’aux yeux de l’auteur de la prophétie, la sécurité du royaume dépendait d’eux, et cela est très exact en ce qui concerne l’Austrasie et la Bourgogne. En effet, après la mort de Childebert II, ces deux pays ne connurent que des jours sombres sous la régence despotique et mal respectée de Brunehaut. Cette interprétation, dans laquelle j’ai serré du plus près possible le texte de Frédégaire, écarte l’opinion assez répandue qui voudrait voir, dans notre légende, une espèce de satire contre la dynastie mérovingienne[52]. Il n’en est rien Sans doute, la vision établit une gradation entre les diverses générations de princes issus de Clovis, mais cette gradation correspond à la réalité des faits, et n’a aucune portée satirique. Au contraire, les derniers Mérovingiens sont présentés comme les colonnes du royaume, et leur disparition a pour conséquence l’anarchie. Il suit de là que la sinistre fiction doit être née, soit en Bourgogne, soit en Austrasie, dans les dernières années du VIe siècle ou dans les premières du VIIe. Je crois, avec M. Rajna, qu’elle est d’origine littéraire et non populaire[53] ; elle appartient à cette littérature sibylline qui nous a donné également la prophétie relative à Brunehaut. Si Frédégaire l’avait puisée à même la source orale,’il nous en aurait donné la suite jusqu’à son temps ou du moins jusqu à sa génération. Quant à supposer qu’elle a pu exister d’abord sous une forme plus brève, et ne viser que les premières générations des rois francs, si bien .que Grégoire de Tours l’aurait peut-être connue, c’est une hypothèse qui me semble dénuée de vraisemblance[54]. Toute l’histoire, en effet, converge vers le tableau final, c’est-à-dire l’état lamentable du pays sous la minorité des petits-fils de Brunehaut : c’est ce tableau qui a, si je puis ainsi parler, engendré le reste, et la vision prophétique de Basine n’est imaginée que pour l’encadrer. C’est cette vision qui donne à la narration son caractère et son originalité. Si on en fait honneur à la reine Basine, de préférence à toute autre, c’est parce qu’il a fallu faire remonter la prophétie le plus haut possible pour augmenter sa portée, et que Basine est la plus ancienne reine dont les Francs aient gardé le souvenir. On sait d’ailleurs que, chez les barbares germaniques, le don de prédire l’avenir était un attribut spécial du sexe féminin : inesse quin etiam sanctum aliquid et Providum putant[55]. CONCLUSION. — Il y a eu trois légendes ou chansons populaires sur le règne de Childéric. La première a laissé peu de traces, et n’a pas exercé une grande influence sur l’historiographie franque. Quant aux deux autres, elles ont été, au cours des générations, développées et chargées d’éléments nouveaux. Plus tard, elles Ont été cousues ensemble, de manière à. nous présenter l’histoire de Childéric comme un seul tout. De ces deux légendes, la première est celle de l’expulsion de Childéric et de son retour ménagé par le fidèle Wiomad. Sur cette histoire, dont le fonds est assez ancien, est venu se greffer, au commencement du VIIe siècle, l’épisode de la fuite de Childéric à Constantinople, suggéré lui-même, en partie, par les récentes aventures du prétendant Gondobald. L’autre légende, c’est celle du mariage de Childéric. Sur la foi de sa réputation de bravoure et de valeur, une reine étrangère, une reine de Thuringe vient lui faire l’offre de sa main. Il l’accepte avec joie, et elle devient la mère de Clovis. A ce récit, qui prit sa forme dernière vers le milieu du VIe siècle, s’ajouta, vers la fin du règne de Brunehaut, l’épisode de la vision nuptiale de Childéric. Antérieurement aux interpolations qu’ils ont reçues l’un et l’autre, les deux récits avaient déjà été réunis par quelque rhapsode, qui avait supposé entre Childéric et Basine des relations précédant l’équipée de celle-ci. Le long exil du roi franc offrait à cette conjecture un point d’appui, et il suffisait de supposer que le séjour de Childéric pendant son exil avait été la Thuringe, pour que l’épisode de ses amours avec Basine cadrât de toutes pièces avec le reste de son histoire légendaire. L’histoire de Childéric nous met donc en présence des principaux éléments qui contribuent à la formation de l’épopée. Des faits mémorables engendrent des légendes, ces légendes rattachées entre elles, et continuant de se charger d’épisodes nouveaux de manière à constituer un tout poétique, voilà bien les diverses phases du développement de toute épopée. Il n’a manqué à celle-ci qu’un Homère. |
[1] Je tiens à prévenir le lecteur que toutes les conclusions de ce chapitre étaient tirées lorsque je pris connaissance du livre de M. P. Rajna, Le Origini dell’ epopea francese, qui était arrivé aux mêmes résultats plusieurs années avant moi. Je fus moins contrarié de me voir devancé sur un terrain que je croyais avoir exploré le premier, que charmé de constater l’accord entre mes vues et celles du maître de Florence : cette rencontre inattendue de nos recherches respectives, parties de points de départ bien différents, était pour moi, comme elle le sera pour le lecteur, une garantie assez sérieuse de la justesse de leurs résultats.
[2] Si in transmarinis partibus aliquem cognovissem utiliorem tibi. Cf. Grégoire de Tours, III, 22 : Matrona Deoteria nomine utilis valde atque sapiens. Pétigny, II, 359, se trompe étrangement sur la valeur de ce terme dans la bouche de Basine ; après l’avoir traduit par brave, il ajoute : L’expression de Grégoire de Tours, virum utiliorem, est beaucoup plus naïve et ne peut se traduire. Il n’y a de naïf ici que l’étrange remarque de cet auteur.
[3] Grégoire de Tours, II, 12.
[4] Frédégaire III, 1 ; Liber Historiæ, c. 6 et 7.
[5] Étude sur le Gesta Regum Francorum, dans les Bull. de l’Acad. royale de Belgique, IIIe série, t. XVIII, 1889.
[6] Ainsi s’explique également, en diplomatique, l’usage des chartes connues sous le nom de chirographes, et dont le procédé de vérification consiste également à rapprocher l’un de l’autre deux exemplaires du même acte (chartæ pariclas) écrits sur la même feuille de parchemin, puis détachés l’un de l’autre. la coupure traversant dans le sens longitudinal une ligne d’écriture contenant le mot cyrographum ou toute autre suite de lettres, v. Lebeuf, Dissertation sur l’époque de l’établissement des Francs dans les Gaules, p. 317. C’est en pays germanique, à savoir en Angleterre, que nous rencontrons les plus anciennes traces de ce genre de documents publics. Chifflet, Anastasis Regis Childerici, p. 65, reproduit par Lebeuf, l. l., avait déjà signalé l’usage, datant de l’époque romaine, de casser des monnaies dont les morceaux servaient de gages aux amis séparés par l’absence.
[7] Lettres choisies du R. P. Dermet, 2e série, p. 219.
[8]
Zy heeft zonder verzet het stuk van den ring
verheven,
‘T een tegen ‘t ander gezet : ‘t is vast aan malkær gebleven.
E. de Coussemaker, Chants populaires des Flamands de France, Gand, 1856, p. 160.
[9] C’est avec une vraie satisfaction que je vois ce point de vue affirmé encore par Fauriel, dont j’ai déjà, eu l’occasion de constater la remarquable perspicacité : Il y a toute apparence, écrit-il, que ces traditions fabuleuses, relatives à Childéric, étaient déjà en circulation, du temps de Grégoire de Tours qui doit en avoir eu connaissance, car il semble s’en être défié et avoir en le dessein formel de les faire disparaître de son récit. Mais ce n’est pas chose facile que ce départ de la vérité et de la poésie dans les documents primitifs où elles ont été une fois confondues, et il n’est pas étonnant que Grégoire y ait mal réussi. Il n’a donné un certain air de vraisemblance historique à son récit qu’en y laissant tout également dans le vague et dans l’obscurité. (Histoire de la Gaule méridionale sous la domination des conquérants germains, I, p. 273.)
[10] Liber Historiæ, c. 9.
[11] Dietrichs Flucht, éd. E. Martin dans le Heldenbuch, t. II, Berlin 1866.
[12] Il devait connaître au moins le Sinon de l’Enéide : or, entre un Sinon et un Sibich ou un Wiomad, quelle distance !
[13] Addens disitque ad eum : Aliquantulum solides tuæ instantiæ locum accipiens militavi ; parum servus tuus argentum habeo. Vellebam cura tuis legatis puerum dirigere, ut melius Constantinopoie mihi argentum mercaret. Tunc acceptis ab Eiegio quingentos in munere aureos, quos ad hoc opus emendum transmitteret, misit puerum creditarium sibi etc. Frédégaire, III, 11. Ce passage ne manque pas d’intérêt pour l’histoire monétaire des Francs.
[14] Mettez entre crochets tout le passage qui commence à Dans idemque consilio et qui s’arrête à multis muneribus a Mauricio dilatus, et lisez le reste d’un trait, l’évidence alors sera éclatante.
[15] Je vois par une note de l’édition Arndt-Krusch, que Labarte (Histoire des arts industriels au moyen âge, I, p. 454) constatant l’anachronisme, veut corriger Frédégaire, en mettant Marcianus à la place de Mauricius. C’est une erreur, il ne faut pas corriger les traditions épiques, il faut se borner à en prendre acte et à constater leur procédé.
[16] Grégoire de Tours, VI, 42 ; VIII, 18 ; IX, 23 ; X, 24. Paul Diacre, III, 17, 22, 29, 31.
[17] Voir sur cette affaire Grégoire de Tours, X, 2 et 4.
[18] Grégoire de Tours, VI, 24.
[19] Id., VI, 26. Cf. VII, 14, 32 et 36.
[20] Id., VII, 10.
[21] Id., VII, 10.
[22] Id., VII, 32.
[23] Deloche dans les Mémoires de l’Acad. des Inscript., t. XXX, 2e partie, contre Robert, ibid. A. Gasquet, L’Empire byzantin et la monarchie franque, p. 186.
[24] Evicto navale revertit in Galliis (Frédégaire, III, 11). Gundovald rentre par Marseille. Grégoire de Tours, VII, 36.
[25] Grégoire de Tours, VI, 42 : (Childebertus) ab imperatore autem Mauricio ante hos annos quinquaginta milia soledorum acceperat, ut Langobardos de Italia extruderit. Audito autem imperator quod cum his in pace conjunctus est pecuniam repetibat, sed hic fidus a solaciis nec responsum quidem pro hac te voluit reddere.
[26] Par exemple Grégoire de Tours, X, 2.
[27] Sicchè, conchiudendo, a me pare verosimile un rifacimento del poema di Childerico sullo scorcio del secolo VI, o al piu tardi nei primi anni del VII. Rajna, p. 67.
[28] Rajna, qui n’a pas vu cela, croit à tort qu’il s’agit de Bar-sur-Aube, qui est en Bourgogne (p. 58), et qui ne répond point par conséquent aux indications de Frédégaire.
[29] Ingeniose ad se venientem. Ingenium a déjà dans les textes mérovingiens le sens qu’il a plus tard dans l’expression française : par fraude et mal engien.
[30] Frédégaire, IV, 49.
[31] Has fabulas esse patet, dit Krusch dans une note l. l.
[32] Cf. P. Rajna, p. 54.
[33] Cette contradiction arrive à son comble dans les récits de Roricon (Bouquet, III, p. 5) et d’Aimoin, I, VIII (ibid., p. 32) qui, d’une part, amplifient sur Grégoire et sur Frédégaire en parlant des relations adultères que Childéric aurait eues avec Basine à la cour de Thuringe, et, qui, de l’autre, montrent Childéric fort étonné de la visite de cette reine, et celle-ci parlant comme si elle ne l’avait jamais vu.
[34] Fortunat, Vita Radegundis, c. 1.
[35] Comme fait M. Rajna, d’après qui (p. 54, n. 4) sainte Radegonde était venue en Gaule trop jeune pour se rappeler le nom de son grand-père. Donc, l’assertion positive de Fortunatus émanerait, elle aussi, de la tradition poétique. Mais de deux choses l’une : ou bien Fortunat tenait son renseignement de la sainte elle-même, et alors qui s’avisera d’en contester l’authenticité ? ou bien il l’avait dû demander ailleurs, et quelle apparence qu’il eût été connu autour de lui, tout en restant inconnu de la principale intéressée ?
[36] Nous possédons deux rédactions de l’Origo Gentis Langobardorum. La première, c. 4, écrit : Wacho habuit uxores tres : Ranicundam filia Fisud tamis Turingorum, etc. L’autre, conservée dans le Codex Gothanus du IXe siècle, dit : Wacho habuit uxores tres : Ranicunda filia Pisen regis Turingorum.
L’Edictum Rothari Regis : Wacho habuit uxores tres ; una Ratecunda, filia Pisen regis Thuringorum.
Paul Diacre, Hist. Langob., I, 21 : Ranicundam filiam regis Turingorum.
Remarquez en outre ce nom de Radegonde porté par une tante de la sainte : la fidélité bien connue des familles germaniques à certains prénoms est ici, sinon une preuve, du moins un indice.
[37] Il nous parait, en effet, indubitable que la Basine dont parle le poème a bien réellement donné le jour à Chlodovech. Comment supposer qu’un faux nom ait pu se répandre quand le véritable était connu ? Comment admettre surtout que celui de la mère de Chlodovech puisse être tombé dans l’oubli dès le temps de la mère de Grégoire ? Junghans, Histoire critique des rois Childéric et Clovis, trad. Monod, p. 11.
V. encore Rajna p. 54, n. 4 : Che una moglie di Childerico, e propriamente la Madre di Clodoveo si chiamasse realmente Basina, non mi pare improbabile, etc., etc.
[38] Grégoire de Tours, X, 39.
[39] C’est donc bien à tort que Bangert, dans son compte rendu du livre de Rajna, p. 113, prétend trouver aux noms du roi et de la reine de Thuringe un cachet tout romain (ein auffallend romanisches Gepraege) et qui voit la preuve que, longtemps avant Grégoire de Tours, les Gallo-romains auraient déjà appris, à l’école des Francs, à inventer des chants épiques. La première assertion est réfutée ci-dessus ; la seconde le sera dans le chapitre final de ce livre.
[40] Voici, sans sortir du cycle mérovingien, un autre exemple du même phénomène. Amalaberge, femme du roi des Thuringiens et fille de Théodoric le Grand, devient dans Widukind (I, 9) la fille de Clovis. Pourquoi ? Sans doute parce que Clovis a un fils nommé Théodoric, que l’on a commencé par confondre avec le roi des Ostrogoths : chose d’autant plus facile, en l’espèce, que c’est Théodoric l’Austrasien qui remplit l’histoire des Thuringiens, et que Théodoric l’Ostrogoth reste pour eux un étranger.
[41] Au reste, dans Grégoire et dans Frédégaire, qui en ceci ne font sans doute que reproduire fidèlement leur source, la passion de Basine pour Childéric est seulement sous-entendue ; dans Roricon et dans Aimoin, au contraire, elle est attestée formellement. C’est que la légende a marché et s’est développée selon la nécessité de la logique, et il faut remarquer que ce développement s’est produit en dehors de la version populaire, laquelle ne semble pas avoir raconté l’adultère.
[42] Lorsque Junghans écrivait son livre, la mode était encore d’expliquer toutes les légendes par la mythologie, et ce savant n’a pas manqué de voir dans l’exil de Childéric en orient un mythe de Wodan, on est moins excusable aujourd’hui de reprendre avec enthousiasme un point de vue aussi vieilli, comme fait Tamassia dans son article intitulé Egidio e Siagrio (Rivista storica italania, 1886, 2). L’article de Müller et Schambach dans Niedersaechsische Sagen unit Maerchen aus dem Munde des Volkes gesammelt, Gœttingen, 1854, p. 389, qui semble décisif au savant italien, ne prouve absolument rien pour le cas présent.
[43] Grégoire de Tours, II, 18.
[44] Vita Genonefæ, c. 6, éd. Kohler dans Bibl. de l’École des Hautes Études, fasc. 48, Paris, 1881.
[45] Ægidius était d’ailleurs un vaillant, qui, avec une énergie digne d’un meilleur sort, défendit les restes de la culture romaine en Italie. Fils de la Gaule occidentale, il tient tète aux Goths qui la menacent, en même temps que lui-même menace l’Italie où Ricimer vient de massacrer Majorien ; dans sa lutte contre les Goths, Priscus le montre s’illustrant par de grandes et belles actions. (Priscus, Fragm. 14, p. 156.)
[46] Frédégaire, III, 12.
[47] C’est aussi l’avis de M. Rajna, p. 60.
[48] V. R. Menti, Die Traeume in den altfrenzoesischen Karls-und Artusepen, Marburg, 1887, (dissertation), p. 50-53.
[49] Il est inutile de prévenir le lecteur que ce sont des personnages imaginaires : le père de Théodoric, Vidimir, était en réalité roi des Ostrogoths.
[50] Frédégaire, II, 57, Cum ad viri cœtum accesseris, quodcumque eadem nocte sopore somnii visaveris, mihi in crastinum narrare non sileas, qui, creditur veritate subsistere, quod nubentes prima nocte visaverint. V. la même histoire dans le Gesta Theodorici, c. I (dans Monn. Script. Meror. éd. Krusch, t. II, p. 202).
[51] Adam Brem, III, 41. Le passage semble d’ailleurs interpolé.
[52] Comme le croit notamment Pétigny 1 p. 391, d’après lequel le songe de Basine n’a pu être inventé que dans les derniers temps de la dynastie mérovingienne, et dans I’intérêt des Carolingiens, et qui en place la composition au VIIe siècle, alors que nous le trouvons dès le milieu du VIIe dans la chronique de Frédégaire ! Cf. Rajna p. 61 et 63.
[53] Rajna, p. 63.
[54] C’est l’opinion de Brosien, p. 14 et de Rajna p. 61.
[55] Tacite, Germanica, c. 8.
Saint Basinus. A Tronchienne, près de Gand, on vénère un saint du nom de Basinus. Sa vie, reproduite dans les Bollandistes (14 juillet t. IV) nous apprend que c’était un roi chrétien, et qu’il avait fondé une ville qui, de son nom, fut appelée Basotes. Un cerf, qu’il avait poursuivi pendant trois jours et trois nuits, finit par s’arrêter sur les bords de la Lys, à Tronchienne, où il lui déclara qu’il était son ange, et lui ordonna d’y bâtir trois églises. Le roi obéit, et depuis lors il se fit beaucoup de miracles dans cet endroit ; sa propre fille Aldegonde y retrouva la vue. Plus tard, les barbares ayant envahi le pays, le roi marcha contre eux et périt au Melsvelt en les combattant. Ses reliques sont conservées à Tronchienne. Molanus parle de sa châsse, où il est représenté portant sur la poitrine une fleur de lys : Inde suspicio est, ajoute-t-il, eum non quidem Franciæ, sed in Francia regem fuisse sive regulum. (Natales Sanctorum Belgii, p. 151) Déjà avant lui, Rosweyde et Saussay avaient parlé du saint comme d’un roi, mais ils étaient les premiers à lui donner ce titre. Le Martyrologe de Gelesinius, en 1578, se bornait à dire : Truncinii ad Gandavum sancti Basini martyris. En 1569, Corneille Jansen, 1er évêque de Gand, dans la lettre de visitation qu’il laissa à Tronchienne, le qualifiait également de martyr mais non de roi. La Chronique de Tronchienne, qui nous parle d’un oratoire ce saint Basin martyr consacré en 1412 (dans Desmet, Corpus Chronic. Flandrias, I p 625) et qui mentionne le même saint sous la date de 1569 (ib. p. 655), ne fait nulle part allusion à sa qualité de roi. Qu’en faut-il conclure, sinon qu’il n’a rien de commun entre le saint en question et le roi des Thuringiens, sauf le nom, et que c’est ce nom même qui, vers le XVIe siècle, a donné à des érudits l’idée de faire un roi du saint de Tronchienne, sans oser toutefois aller jusqu’à l’identifier avec le roide Thuringe ? Plus tard, faisant un pas de plu dans la voie de l’identification, un commentateur a écrit au bas de la chronique de Tronchienne ces lignes. Quod cum Flandri non recte efferrent vel non bene intelligerent, dixere Tronghen, forte Toringhen a Turingia quæ antiquitus Toringia et Thoringia dicta. Sic nomen obtinuit a tempore sancti Basini, qui hic primum sacellum cœpit. Quum vero conjecturis hac in re sit agendum, non vides cur huic minus, quam ceteris lotis sit dandus, præsertim cum nihil olim familiarius fuerit antiquis temporibus, quam procerum aut locorum nomina arcibus oppidisque dace, etc. (Desmet, l. l., 592 D. 2.) V. sur saint Basinus sa vie avec le commentaire de G. Cuperus dans les Acta Sanctorum, l. l., et Lippert, o. c., dans Zeitschs. für thür. Gesch. und Alterth., t. XII (Neue Folge IV) p. 91-96.