SAINTE CLOTILDE

CONCLUSION.

 

 

Sainte Clotilde a dans l’histoire du monde moderne une place d’honneur. Cette âme généreuse a livré une des grandes batailles de la civilisation et remporté une de ses grandes victoires elle a triomphé du paganisme en lui arrachant son époux, et elle a contribué à fonder la société moderne en devenant l’agent le plus actif de la conversion de Clovis et de son peuple. Quiconque comprend que l’existence d’une Europe chrétienne est un bienfait pour l’humanité doit une part de sa reconnaissance à sainte Clotilde.

Une gloire si haute n’échoit d’ordinaire qu’à ceux qui la méritent. Les grandes œuvres de la civilisation chrétienne ne sont pas dues au génie et à la force elles sont les filles de la sainteté. Ce sont ses vertus chrétiennes qui ont donné à Clotilde l’énergie patiente et l’indomptable confiance qu’il fallait pour ne pas désespérer du salut de Clovis, et pour entreprendre de l’arracher au paganisme et de le protéger contre l’hérésie. La conversion des Francs est due à sa foi en Dieu, à sa résignation quand il lui prit son enfant, à ses prières que rien ne décourageait. Clovis n’aurait pas invoqué le Dieu de Clotilde, s’il ne l’avait entrevu aussi grand que bon à travers les vertus de sa femme. Et nous aurions le droit de la proclamer sainte, rien que pour avoir obtenu de Dieu, par ses prières et par ses larmes, le baptême du peuple franc.

Mais du sein des grandes œuvres, il sort un rayonnement qui est un danger pour les élus. Se complaire dans l’éclat des choses qu’ils ont faites et oublier qu’à Dieu seul en revient l’honneur, voilà l’écueil des âmes que leur élévation met à l’abri des tentations vulgaires. Dieu vient à leur secours en leur envoyant l’adversité, et en les faisant passer au creuset de la souffrance. Au prix de combien de cruelles douleurs Clotilde n’a-t-elle pas acheté sa gloire impérissable ! Il semble que ses épreuves en soient comme la rançon. Le glaive mortel a percé son âme à plusieurs reprises, et cette couronne royale de France, sur laquelle elle avait posé la croix de Jésus-Christ, s’est changée pour elle en une couronne d’épines qui a déchiré son front.

A vrai dire, ces épreuves, supportées avec un courage héroïque, sont devenues à leur tour de nouveaux gages de perfection et de nouveaux titres à la gloire éternelle. Ce chemin de la croix qu’elle gravit sur ses genoux meurtris, c’est celui qui la rapproche tous les jours du ciel. Elle dit un éternel adieu aux consolations terrestres, et sa vie désormais se résume en trois mots : souffrances, prières et charité. Mais les gémissements qui sortent du cœur de la chaste tourterelle, comme l’appelle un de ses vieux biographes[1], n’ont rien d’amer ; ils ne s’exhalent que dans ses conversations avec Dieu, et ne montent à lui qu’avec ses prières. Ceux-là même qui lui brisent le cœur n’en font pas couler une goutte de fiel. Après chacun de leurs sinistres exploits, elle passe, silencieuse et résignée, pour fermer les plaies qu’ils ont faites, comme la sœur de charité qui, sur le champ de bataille, marche sur les pas des combattants, pour soigner leurs blessés et pour ensevelir leurs morts. Elle rassemble toutes ses tribulations au pied de la croix, et, dans un grand effort de résignation, elle les offre à Dieu comme le sacrifice de propitiation qui obtiendra la grâce de son sang et de son peuple. C’est dans cette suprême attitude qu’elle apparaît pour la dernière fois dans l’histoire. De la reine glorieuse et triomphante, de l’heureuse épouse du puissant Clovis, de la mère des rois, il ne reste que cette pénitente en deuil, prosternée dans la nuit, devant un autel, et expiant, victime innocente, les crimes qu’elle n’a pas commis en achevant cette biographie de sainte Clotilde, nous ne pouvons nous dissimuler tout ce qui manque à l’image que nous avons essayé de tracer d’elle. Sans doute, nous avons pu effacer les traits vulgaires ou odieux que la légende lui avait attribués, et nous osons nous flatter d’avoir fait sous ce rapport une besogne définitive. Mais il ne nous a pas été donné de rétablir la physionomie qu’ils ont fait disparaître. On dirait d’une de ces nobles fresques d’autrefois qui trônaient dans l’or de leur auréole et avec l’éclat de leurs couleurs vives, et qu’une époque de décadence a recouvertes d’un badigeon barbare. Les soins pieux de l’érudition moderne peuvent bien enlever cette couche de fard, mais ne restituent pas ce que le temps et le vandalisme ont détruit. Les traits les plus délicats ont disparu à jamais, et ce serait témérité de prétendre les reproduire dans leur suavité primitive. Ce qui en subsiste toutefois, cette allure si gracieuse sous les longs voiles de la veuve, ce geste plein de dignité pudique et de majesté royale, cette haute spiritualité que révèle la modeste beauté des contours, voilà ce qui vit et parle avec assez d’éloquence pour s’imposer à la pieuse vénération des fidèles et au respect des indifférents.

 

FIN DE L'OUVRAGE

 

 

 



[1] Le P. Modeste de St-Amable, la Monarchie chrétienne.