L'EMPIRE CAROLINGIEN

LIVRE III. — LA LÉGENDE DE CHARLEMAGNE

 

CHAPITRE PREMIER. — Fin de l'Empire carolingien et commencement de la légende.

 

 

La période de vingt années (881-899), qui correspond au règne des deux derniers empereurs carolingiens, Charles le Gros et Arnulf, est celle où les malheurs les plus effroyables s'abattent sur l'Occident. Bien qu'il n'y paraisse peut-être pas au premier abord, le lien entre ces évènements et les destinées de l'Empire est cependant étroit. L'historien, qui ne voit que les hommes et les choses de la politique, a une idée incomplète et souvent inexacte de l'opinion. Il faut qu'il descende de temps à autre jusqu'aux classes inférieures de la société. Ainsi nous avons fait pour connaître les véritables origines de l'Empire carolingien ; ainsi nous ferons pour étudier la fin de cet empire.

Nous verrons alors qu'au temps où les territoires anciennement réunis par Charlemagne, et rendus distincts par les intérêts et les dynasties, se séparaient, tandis que la conception du fondateur disparaissait définitivement devant une autre, le culte de sa personne et de son œuvre était plus vivant que jamais. La légende ainsi formée n'est pas seulement intéressante au point de vue littéraire[1] ; elle a eu son action sur l'histoire, elle a dominé, rempli le reste du Moyen-âge. De même que l'imagination des peuples frappés par les grandes invasions des Ve et VIe siècles s'était reportée vers l'Empire romain, symbole de paix et d'unité, de même les hommes qui vécurent dans la seconde moitié du IXe siècle et plus tard se rappelèrent avec complaisance l'époque où le grand empereur franc pacifiait le monde sous ses lois. Charles doré — aureus Karolus — prit place à côté de Rome dorée[2], et aux jours sombres, lorsque les nations virent arriver un prince ayant quelques-unes des qualités qui conviennent à un chef de gouvernement, elles saluèrent en lui un nouveau Charlemagne. Avec Charles le Gros et Arnulf, c'est cette illusion qui commence, c'est l'espoir qui s'éveille, bientôt suivi de l'inévitable déception.

 

I

La Société et les invasions pendant la seconde moitié du IXe siècle : misère, pestes, vols et rapines, désordres dans la famille royale.

 

L'admiration pour Charlemagne avait commencé de bonne heure. On n'avait pas attendu sa mort pour proclamer que sur cette terre où les Francs dominaient maintenant, grâce à Dieu, on n'avait jamais vu, depuis le commencement du monde, un tel roi et un tel prince[3]. Contrairement à l'usage qui veut que les temps anciens soient toujours préférés au présent, les poètes déclarèrent qu'il n'y avait jamais eu d'époque plus heureuse que celle où le pacifique seigneur Charles gouvernait avec les plus grandes vertus l'empire de Romulus[4]. Lorsque le corps de l'empereur, descendu dans les caveaux d'Aix-la-Chapelle, eut été introduit, au milieu du deuil et des plaintes de tout un peuple, sous l'arceau doré orné de son image et de son épitaphe[5], les lamentations prirent une forme lyrique : il fut le plus grand des Augustes, le plus fameux des rois, incomparablement supérieur à tous ceux de son temps, d'une manière générale à tous les rois chrétiens et à l'humanité tout entière[6]. La politique des impérialistes est partie de là.

Cette admiration avait des causes exactes. La renommée que Charles s'était acquise sur terre et sur mer n'y était point étrangère ; les Francs lui étaient reconnaissants de la gloire qu'il avait donnée à son peuple, en lui permettant de porter le nom des Césars[7]. Ils le félicitèrent surtout d'avoir converti au Christ les peuples soumis à sa domination, détourné les Saxons de l'adoration des idoles, et discipliné les cœurs de fer des Francs et des Barbares que la puissance romaine n'avait pu dompter[8]. Mais ce culte ne se bornait pas à lui il s'étendait à cause de lui à ses parents, à ses proches, à sa famille entière[9].

Historiquement, les Carolingiens remontent à saint Arnulf, cet homme plein de vertus, ce pontife du Christ qui avait été le premier de tous les Francs devant Dieu et devant les hommes[10]. Arnulf avait assuré la gloire et la grandeur de sa descendance ; puis était venu Pépin, le roi bon et sage, honorant les églises et les gouvernant dans l'amour de Dieu, surpassé par son fils en vertus variées[11]. Ces origines franques ne suffisaient plus à l'illustration de la maison carolingienne, et telle était encore la force des souvenirs romains, si éclatante la renommée des antiques maisons sénatoriales jadis célébrées par Grégoire de Tours, qu'elle fut rattachée à l'une d'elles. Charlemagne raconta lui-même à Paul Diacre qu'Arnulf avait eu deux fils, Anchise et Chlodulf, dont le premier reçut son nom d'Anchise, père d'Enée, venu jadis de Troie en Italie ; Arnulf bénit Anchise qui était son plus jeune fils, mais bien supérieur à l'autre par la piété et la charité, et cette bénédiction, qui s'étendait à la postérité, donna les hommes énergiques et forts auxquels le royaume franc fut attribué[12]. Avec Louis le Pieux commencèrent les Généalogies, dont le texte devait se fixer définitivement au XIe siècle. Leurs auteurs, de plus en plus éloignés du point de départ, composant d'après la tradition orale et sous l'influence de leur propre imagination, introduisirent dans leurs tableaux un développement régulier qui n'avait jamais existé : ils rattachèrent Arnulf et sa postérité, d'une part aux Romains par le sénateur Anshert, d'autre part aux Mérovingiens par une fille de Clotaire[13].

Le terrain était bien préparé ; le travail de fermentation des esprits, qui précède et prépare l'éclosion de la légende, avait fait son œuvre, quand se produisit l'invasion des peuples païens sur l'Europe occidentale.

On a déjà vu les incursions étrangères, favorisées par les guerres civiles du règne de Louis le Pieux, s'étendre à tout l'Empire après la mort de ce prince ; les affaires d'Italie sous Louis II nous ont montré les Sarrasins établis en Sicile, s'avançant jusqu'au cœur de la péninsule et menaçant la Ville Éternelle par de continuels débarquements sur le littoral romain. Dans leur marche progressive, les infidèles touchèrent aux côtes de Provence et assiégèrent Arles, avant de s'installer à demeure au fond du golfe de Saint-Tropez[14]. Si l'Italie fut surtout la proie des Sarrasins, la France orientale et occidentale fut victime des pirates venus du Nord, que les habitants confondaient indistinctement sous le nom de Normands et de Danes[15]. Leur manière de procéder est bien connue. Quittant en masse la Scandinavie, franchissant les mers, ils arrivaient à l'embouchure des fleuves qu'ils remontaient, et ravageaient par le fer et par le feu les localités voisines, de préférence les monastères et les églises ; les moines, dont les couvents, au début surtout, étaient niai fortifiés, entourés à peine d'un mur ou d'un fossé, fuyaient, emportant les saintes reliques sur leurs épaules[16].

Tels sont les désastres que subit le pays entre le traité de Verdun et l'avènement de Charles le Gros. Aucune contrée traversée par l'un de ses grands fleuves n'y échappe. Les Normands suivent la Seine jusqu'à Paris, désolent les environs, brûlent les églises de Saint-Pierre et de Sainte-Geneviève ; Rouen, le canton de Meaux sont incendiés[17]. Les rives de la Loire, jusqu'à Blois et Angers, éprouvent le même sort ; Orléans est pillé ; mais Tours et Nantes, avec leurs temples et leurs richesses, sont surtout l'objet d'ardentes convoitises. Les églises de Tours, le monastère de Saint-Florent et le temple de Saint-Martin sont détruits ; le corps du martyr est transporté à Nantes, et cette dernière ville reçoit l'assaut le jour de Pâques, pendant que l'évêque officie[18]. Les barques remontent la Garonne jusqu'à Toulouse ; Bordeaux, deux fois assiégé, est pris, ravagé, réduit en cendres. Les païens vont encore à Périgueux, à Poitiers[19]. La mer du Nord, si proche de la péninsule scandinave et si accessible avec ses îles et ses embouchures fluviales, est le lieu favori de leurs exploits ; ses fleuves grands et petits, Meuse, Rhin, Escaut, Waal, Elbe, Yser, Aar, reçoivent successivement ou simultanément leur visite. Les ravages de la Frise ne se comptent plus, et, parmi les contrées voisines, la Batavie, les Flandres, le pays des Ménapes et celui de Thérouanne sont particulièrement éprouvés. Le monastère Saint-Bayon de Gand est pillé ; les passages de Dorestadt et de Nimègue sont pris et repris : les Annalistes citent encore Saint-Valéry, Amiens, Noyon, Beauvais, Cambrai[20].

Pendant que les attaques sur mer se multiplient de ce côté, la Germanie soutient l'effort des Slaves. Le mot tribu est trop faible pour désigner leurs subdivisions et donner une idée de leur force ; ce sont plusieurs peuples — populi Sclavorum[21] — : les Bohémiens, les Dalmates, les Moraves, les Sorabes[22]. Ceux-ci surtout infestent les frontières de l'empire, mais les Moraves les dépassent bientôt en puissance, et, sons leur grand chef Rastizès, harcèlent la Thuringe et la Saxe orientale[23].

Aucune entente ne se fait entre les princes pour arrêter le mouvement. Jamais, en vérité, il n'y eut plus de dissentiments dans la famille royale, plus de haines entre frères, entre parents et enfants, qu'en ce temps où l'on parlait sans cesse de fraternité, où l'on avait fait de ce mot le symbole d'un régime politique. Les fils de Louis le Germanique et de Charles le Chauve étaient constamment en rébellion contre l'autorité paternelle : tel ce malheureux Carloman, dont le sort émut tout l'occident, parce qu'il fut traité par son père avec une férocité qui dépassait celle des bêtes sauvages[24]. Il n'est pas jusqu'au diable qui ne s'en mêlât, se transformant en ange de lumière pour donner aux fils les pires conseils, dès qu'ils se tenaient à peu près tranquilles[25]. Les assemblées fraternelles, au lieu d'être un signe de paix, étaient toujours un signe de guerre ; elles apprenaient aux populations qu'une nouvelle lutte venait d'éclater. Pendant ce temps, les envahisseurs avaient beau jeu. C'est ainsi que Louis le Germanique rendit aux Normands un service signalé quand, répondant à l'appel de quelques révoltés qui lui demandaient de les délivrer de la soi-disant tyrannie de Charles le Chauve, il envahit le royaume de son frère avec une forte armée[26]. Non seulement il commit de telles abominations que les maux causés par les païens se trouvèrent dépassés[27], mais, grâce à lui, Charles, qui assiégeait Hastings dans l'île d'Oissel au péril de sa vie, dut interrompre la série de ses exploits[28]. D'autre part, le roi de Germanie avait diminué les contingents destinés à une expédition contre les Slaves, restreignant ainsi ses chances de succès[29].

Quelle misère résulta de cette invasion qui durait sans interruption depuis près de cinquante ans : les annalistes et les chroniqueurs, les poètes et les moines, nous l'apprennent avec précision[30]. D'abord, pour se débarrasser de leurs hôtes redoutables, il n'est pas de sacrifices que les populations ne s'imposent ou ne se laissent imposer. Les envahisseurs arrivés dans une contrée s'y installent, exigent pour s'en aller de fortes rançons, des bestiaux, du blé, de la farine, du vin[31]. Les habitants donnent tout ce qu'ils ont, soit spontanément, quand ils sont obligés de se défendre eux-mêmes, soit pour obéir au, roi, quand celui-ci a ordonné la levée d'un impôt de délivrance. Quelquefois sans doute, le roi paye lui-même, ou n'appelle à contribuer que les nobles, évêques, comtes, abbés, et en général les puissants ; ou bien il prend les trésors des églises[32]. Mais, si la somme est élevée, si elle atteint, comme c'est le cas bien souvent, trois, quatre, sept mille livres d'argent, sans compter les dons en nature, il faut que la nation entière contribue ; alors un impôt est mis sur tout le royaume, qui frappe non-seulement les terres nobles et les manses ingénus, mais les manses serviles et les trafiquants pauvres[33]. Empêchés par la guerre de cultiver leurs champs et obligés de donner leurs provisions, trouvant au retour leurs maisons brûlées, les habitants subissent d'effroyables famines. Après 843, il y en eut une presque chaque année, et les malheureux se nourrirent plusieurs fois de la viande de leurs chevaux ou de pain mêlé de terre et de farine, tandis que les troupeaux de loups affamés les guettaient et les suivaient jusque dans leurs demeures[34]. Les fléaux habituels au moyen-âge, incendies, pluies de sauterelles, achevaient de détruire ce qui restait des vignes et des moissons[35]. La mortalité était grande. En 874, la peste et la famine s'abattirent sur toute la Gaule et la Germanie, faisant disparaître, dit un chroniqueur, presque le tiers du genre humain[36].

La société réduite à cette condition devenait naturellement féroce. Les vols, les crimes, les rapts, se multipliaient. On dépouillait les orphelins, on ravissait les jeunes filles et les veuves, les femmes qui avaient fait leurs vœux[37]. La notion du péché, le sentiment filial, disparaissaient, et ces crimes ne répandaient pas un moindre trouble dans le peuple que les pillages des ennemis[38]. Que dis-je ! Les païens et les faux chrétiens finissaient par s'entendre, et l'on vit des nobles, des princes de sang royal, devenir les complices des brigands, des Normands et des Slaves[39]. Parmi les alliés des Normands figurent. Pépin II d'Aquitaine, Carloman et Louis, fils du Germanique. Pépin s'unit aux pirates en 855 pour dévaster Poitiers et plusieurs autres localités d'Aquitaine ; fait moine, il ne se contente pas de rejeter l'habit monastique, il apostasie[40]. Carloman, le futur roi d'Italie, ne craint pas de s'allier à plusieurs reprises avec Rastizès et d'expulser les ducs chargés par son père de la défense des marches[41] ; ses méfaits deviennent bientôt si nombreux et si grands qu'il est accusé de lèse-majesté[42]. Cependant il rentre dans l'obéissance. Alors son frère Louis, irrité d'avoir été dépouillé de certains bénéfices, s'entend à son tour avec Rastizès, ainsi que le comte Warnaire et plusieurs autres, et s'avance en pillant jusqu'en Bavière[43]. Quelques années après, Charles le Gros et lui rassemblent une forte année, s'emparent de Spire, et refusent, malgré les instances de leur père, d'aider Carloman contre les Venèdes[44]. De même que Jonas et Raban écrivirent aux fils de Louis le Pieux pour leur rappeler les obligations de la piété filiale, le pape Nicolas Ier envoya aux fils du roi de Germanie une lettre sur l'honneur dû aux parents.

Faut-il s'étonner dès lors que l'on trouve parmi les associés des envahisseurs de simples nobles et des ducs, comme ce Gundacar, vassal de Carloman, qui abandonna son seigneur au milieu du danger pour se joindre à Rastizès, et ce moine apostat, dont parle Hincmar en ses Annales, qui était devenu l'ennemi acharné des chrétiens, et, pris par eux, fut exécuté[45] ? D'après une opinion acceptable, le célèbre Hastings était lui-même un renégat originaire du bourg de Tranquille aux environs de Troyes et engagé parmi les païens par goût du pillage[46] ? En présence de ces faits, de ces chrétiens instruits à l'école de leurs ennemis, qu'ils finissaient par dépasser dans l'art de piller more nortmannico[47], on comprend le cri de détresse poussé par Hincmar, spectateur et victime des invasions, malade et âgé, obligé de fuir sa ville épiscopale, la nuit, en emportant le corps de Saint-Rémi et les ornements de son église : Qu'elles cessent, les rapines et les déprédations qui désolent ce royaume ! Que ce malheureux peuple, qui, depuis longtemps, souffre de ravages divers et continuels, qui est accablé d'impôts extraordinaires pour la délivrance des Normands, reçoive un remède à ses maux ! Que la justice et le tribunal, qui sont comme morts chez nous, revivent, afin que Dieu nous rende le courage contre les païens ! Car, depuis plusieurs années, il n'est pas un endroit dans ce royaume qui ait été défendu, mais il y a eu rachat et tribut ; et non-seulement les hommes pauvres, mais les églises autrefois riches sont ruinées[48].

 

II

La confiance dans les Carolingiens n'est pas ébranlée ; le Poète saxon. Première forme de la légende de Charlemagne, d'après le moine de Saint-Gall et le Libellus de imperatoria potestate in urbe Roma.

 

Pendant que ces événements s'accomplissaient, l'aristocratie et l'Église ne négligeaient aucune occasion d'accroître leur autorité. Déjà les nobles s'étaient opposés à la seconde expédition de Charles le Chauve en Italie, sous prétexte que le roi devait réserver toutes les ressources de l'État pour lutter contre les Normands[49]. L'avènement de Louis le Bègue et de ses fils leur permit de montrer mieux encore leur influence dans le royaume de France occidentale. De son côté, le clergé, malgré le désordre introduit par les guerres et qui avait amené la vacance de plusieurs sièges épiscopaux[50], continuait à s'intéresser aux affaires publiques. Les évêques prenaient part à toutes les délibérations importantes[51] ; plus que jamais, ils avaient à la bouche le mot de concorde et invoquaient la nécessité de réaliser l'union pour combattre avec succès le péril extérieur[52].

Il semblait que les populations, dans leur malheur, dussent se tourner vers les nouveaux défenseurs qui s'offraient à elles, et abandonner cette maison carolingienne, qui, après leur avoir assuré tant de gloire, paraissait désormais incapable de les défendre, de garantir la sécurité de leurs personnes et de leurs biens, de remplir en un mot le devoir le plus élémentaire de sa charge. Les sympathies populaires n'allèrent cependant ni à la noblesse ni au clergé. L'orgueil et la cupidité de l'aristocratie, sa politique intéressée, proclamée même par les partisans déterminés de sa puissance[53], n'échappaient pas au peuple. Celui-ci savait que, sous couleur de bien public, c'était leur intérêt que les seigneurs poursuivaient[54]. Si Hugues l'abbé et ses amis s'étaient montrés pleins de mauvais vouloir à l'égard de Charles le Chauve, n'était-ce pas qu'ils craignaient que, sous un empereur fort, l'autorité royale ne prit plus de consistance ? En ce sens, archevêques et abbés ne valaient pas mieux que les laïques[55]. Et puis l'Église avait si mal réussi depuis un demi-siècle avec ses doctrines, ses prétentions à assurer la paix par des formules, qu'on ne tenait pas à renouveler l'expérience. La conséquence fut que la foi dans la dynastie carolingienne resta aussi profonde, aussi intangible que par le passé[56].

En agissant de la sorte, le peuple n'obéit pas seulement à un sentiment de reconnaissance, il n'éprouva pas seulement la difficulté qu'il y a toujours à briser de vieux liens ; il fit œuvre de justice : il apprécia les services que, même en ces temps malheureux, les Carolingiens lui rendaient. S'il est en effet certain que les princes ne firent rien ou presque rien pour assurer en commun la sécurité de l'Empire, il n'est pas moins sûr que chez eux l'énergie individuelle ne perdit jamais ses droits. Incapables de s'unir pour la défense de leur héritage, ils surent du moins combattre, chacun séparément, pour la protection de leurs royaumes. Les efforts de Louis II pour délivrer l'Italie des Sarrasins et ceux de Charles le Chauve pour arrêter les Normands en sont la preuve, mais on peut en dire autant de Louis le Germanique, de ses fils et de ses neveux. Louis III gagne en 881 la victoire de Saucourt sur l'ennemi qui s'est emparé du monastère de Corbie, de la cité d'Amiens et d'autres lieux saints, et construit un château de bois, resté inutilisable d'ailleurs parce qu'il ne trouve personne pour le garder ; après sa mort, son frère Carloman se jette sur les païens qui se sont avancés jusqu'à Reims et en massacre un grand nombre[57]. De son côté, Louis le Germanique ne reste pas inactif. Préludant à l'organisation défensive contre les Slaves, qu'Othon le Grand reprendra et généralisera plus tard, il organise dès 849 le Sorabicus limes sous la conduite d'un duc[58]. Cela ne l'empêche pas de diriger des expéditions presque chaque année ou de les faire diriger par Carloman, et, s'il subit parfois des désastres, il remporte aussi d'éclatants succès, comme celui qui lui valut la soumission de Rastizès[59].

Voilà ce que virent les peuples de l'Empire, et voilà pourquoi leur foi dans les Carolingiens resta profonde comme la reconnaissance qu'ils leur devaient et qu'ils leur portaient. Ils s'en prirent des malheurs qui les frappaient, non à leurs chefs, mais au régime par lequel l'Église avait prétendu remplacer celui de Charlemagne et de ses disciples et faire tout aussi bien, régime dit de concorde et qui n'avait apporté que la discorde.

Les gens clairvoyants et sages — il y en avait encore n'y avaient jamais cru : tel Loup de Ferrières, qui allait tristement aux assemblées pour obéir aux ordres du roi et à la volonté de Dieu, et se consolait en profitant des relations ainsi créées avec les autres Églises pour se procurer des livres rares[60]. Sincèrement, naïvement, le peuple s'était imaginé qu'il en retirerait quelque avantage. Sa déception fut d'autant plus vive, et il ne douta pas que ses malheurs eussent commencé le jour où le nouveau régime fut institué, c'est-à-dire après cette bataille de Fontanet, où les forces des Francs furent tellement diminuées et leur fameux courage affaibli, qu'ils furent incapables, non seulement d'élargir les limites de l'Empire, mais même de protéger leurs propres demeures[61]. Quelques-uns continuèrent à attribuer leurs misères à leurs péchés[62], mais la plupart y virent le résultat des fautes de Louis le Pieux. Dès ce moment, celui-ci porta devant l'opinion la responsabilité de sa conduite et fut jugé avec une sévérité qui ne s'est jamais démentie. L'annaliste de Fulde raconte que Louis le Germanique, se trouvant à Francfort en 874, vit, pendant son sommeil, son père plongé dans les souffrances éternelles. C'est que cet empereur, ajoute l'annaliste[63], bien qu'il eût pris des mesures louables et agréables au Seigneur, permit cependant que beaucoup de choses contraires à la loi de Dieu se fissent dans son royaume. En conséquence, c'est justement que la divinité lui imposa un châtiment.

Comment Charlemagne dont le nom seul frappait comme d'un coup de foudre les ennemis de l'Empire[64] et qui s'était constitué à l'intérieur le défenseur et le protecteur après Dieu et les saints, des églises, des pauvres, des orphelins et des veuves[65], bénéficia de la situation et devint la source de fabuleux récits, il est facile de le comprendre. Doués d'une imagination féconde, faite de naïveté et de sublime, les hommes de cette époque avaient tous les défauts de peur, d'irréflexion, qui sont le propre des siècles d'ignorance et la source naturelle du merveilleux. Les phénomènes astronomiques les plus simples, l'apparition d'une comète, une éclipse de soleil, causaient chez eux des terreurs irrésistibles ou les suppositions les plus invraisemblables. On s'imaginait que certains hommes pouvaient faire tomber à volonté le tonnerre et la grêle, que des navires venus dans les nuées emportaient les fruits que l'orage avait fait tomber[66]. La main du diable se retrouvait partout, et, dès 847, une prophétesse allemande, nommée Thiota, prédit à Mayence la fin du inonde, causant ainsi beaucoup de terreur dans les gens du peuple des deux sexes[67]. Accablé de souffrance, superstitieux, crédule et misérable, le peuple se consola en parlant du bon vieux temps, c'est-à-dire du temps de Charlemagne, et de l'empereur il fit un martyr en attendant qu'on en fit un saint[68].

Des poèmes, des chants en langue vulgaire, tudesque et romane, des fragments d'histoire, circulèrent, célébrant le passé où il avait vécu, sa mémoire et celle de tous les Pépins, les Louis, les Carloman et les Lothaire[69]. Au coin du foyer, l'hiver, plus d'un entendit avec émotion les récits des anciens soldats qui avaient fait campagne sous Charles et ses officiers, et ces vieux, pour qui l'empereur était ce que fut plus tard Napoléon pour les grognards, devinrent les propagateurs les plus actifs de sa légende et de son culte. Tel le vieil Adalbert, qui avait fait campagne avec le comte Gérard contre les Huns, les Saxons et les Slaves, racontant au moine de Saint-Gall, alors petit enfant, monté sur ses genoux, les campagnes auxquelles il avait pris part[70]. Et plus l'époque présente était triste, plus l'ancien état de choses paraissait glorieux, plus grand semblait aussi celui qui l'avait créé.

Ce sont ces récits militaires, vulgarisés dans des chansons, mêlés à des documents exacts, capitulaires, écrits d'Eginhard et d'Adalhard, annales impériales, qui ont été la source de la légende de Charlemagne. La littérature, qui orne le tombeau de l'Empire comme elle a décoré son berceau, se fait ici merveilleuse d'originalité et de variété, d'une abondance telle que le moyen-âge carolingien n'a rien vu de semblable, si ce n'est à l'époque où le parti impérialiste dirigeait les destinées de la patrie, Ses œuvres naissent simultanément sur tous les points, en Allemagne, en Italie et en Saxe, en Souabe et en Lorraine, chez les vainqueurs et chez les vaincus. Mais, bien que de race différente, les auteurs sont animés du même souffle et des mêmes espérances, au point que les mêmes idées, presque les mêmes phrases, se retrouvent à chaque instant[71].

En lisant ces écrits, on se croit ramené de cinquante ans en arrière. Le point de vue universel, négligé depuis quelque temps dans les chroniques, reparaît[72]. Au moment où la dignité impériale semble prête à succomber, des voix s'élèvent tout-à-coup pour célébrer la majesté impériale et l'empereur auguste[73]. La base du pouvoir a pu être déplacée, et, de la noble Francie où Charlemagne l'avait mise, être transportée en Italie et à Rome ; plus vif que jamais est l'orgueil de la race franque, et plus vivante l'opinion que les Francs ont fait la grandeur de l'Empire. Les Gaulois, les Aquitains, les Éduens, les Espagnols, les Alamans et les Bavarois, se tenaient autrefois pour honorés d'être les esclaves des Francs, et les Grecs ainsi que les Romains en pâmaient de jalousie ; comment n'écrit-on pas l'histoire d'un tel peuple, alors qu'il y a eu des historiens des Hébreux, des Grecs et des Romains[74] ? Ainsi s'exprime Regino dans sa Chronique, qui fut pendant des siècles un livre classique, comme si les Francs avaient leur place marquée à la suite des grands peuples civilisateurs de l'antiquité. La gloire des princes carolingiens est d'ailleurs inséparable de celle de leurs sujets, et le silence des nouveaux historiens sur certains d'entre eux comme Pépin provoque une vive indignation[75].

Il est particulièrement intéressant de noter-ces sentiments, et la façon dont ils sont interprétés, dans les vers du Poète Saxon. On sait la manière dont l'œuvre a été composée : c'est une traduction des Gestes de l'empereur Charles, d'après la Vita Karoli d'Eginhard et les Annales impériales[76]. Le poète a-t-il modifié le texte de ces écrivains francs dans un sens favorable à sa Ration ? Point du tout. Il a éprouvé tous les sentiments de ses auteurs, et, comme eux, il palpite de crainte et d'espérance au souvenir de l'assemblée impériale de 813 qui émut si profondément ceux qui redoutaient la fin prochaine de l'Empereur. Un seul prince donnant aux peuples un même esprit et inspirant la terreur aux races étrangères : voilà ce qu'il souhaite ; que la mort de Charles diminue l'ordre admirable institué dans l'Etat : voilà ce qu'il redoute. Aussi bien, il ne tarit pas en lamentations sur le déplorable évènement. Pour lui, l'honneur de la Francie périt après que Charlemagne eut disparu[77], et telle est chez ce descendant de Witikind l'oblitération du sentiment national que la conquête saxonne elle-même ne le gêne pas. Lui, le fils des vaincus, qui devrait être dominé par le ressentiment, au moins à ce moment-là, il se montre reconnaissant à Charlemagne et à son peuple de ce qu'ils ont fait pour sa race ; il les remercie d'avoir illuminé les Saxons de la lumière de- la foi, au prix de quelles luttes, de quels dangers, et de quel zèle[78] ! et d'avoir permis que Saxons et Francs fissent un seul peuple, uni par la concorde et groupé sous le même roi[79]. En terminant, il met son espoir dans le successeur de celui qui fut supérieur à tous les anciens ducs et rois, même de Rome. qui soumit des nations dont le nom était inconnu aux Romains, et, plus grand que Scipion, plus grand que Camille, César, Caton, Pompée, et les Fabius morts pour la patrie, brille au ciel maintenant, de la vertu de David, à côté de Constantin et de Théodose[80].

Les anecdotes populaires, qui ont été reproduites pendant longtemps dans nos livres d'histoire comme pièces authentiques, permettent de se représenter avec une grande exactitude la physionomie que l'on attribuait à Charlemagne vers la fin du IXe siècle. A travers les actions merveilleuses que ses apologistes lui attribuent, l'Empereur apparaît orné des vertus les plus variées ; il sait se montrer, selon le cas, terrible, astucieux, énergique, belliqueux, glorieux, religieux, indulgent[81]. Son rôle est un rôle de bienfaisance, de charité et de protection, et cette protection s'étend à tout, aux lettres comme à la politique ; il exalte les humbles et humilie les superbes[82], préfère la science à la noblesse, place à sa droite les écoliers pauvres mais studieux, se montre impitoyable envers les évêques qui ne respectent ni le je fane ni l'aumône[83]. Déjà même on perçoit ce côté ridicule de son caractère, qui s'accentuera peu à peu dans les Chansons de Gestes[84], et l'incomparable Charles nous étonne quelque peu, toujours en tenue de guerre, roulant des prunelles qui font reculer Perses et Romains, et, d'un seul regard de ses yeux étincelants, prosternant les audacieux qui osent le contempler en face[85].

Au fond, — et c'est ce qui fait pour nous l'intérêt de la légende — il y a en tout ceci une part de vérité. Bien qu'il ait déjà trop de vertus pour être un personnage réel, Charles n'est pas encore le vieillard à barbe blanche, judicieux et sage, dépourvu de toute signification historique, qu'ont imaginé les siècles suivants[86] ; il symbolise un état de choses malheureusement disparu : l'Empire carolingien tel que les premières générations l'ont connu et pratiqué. Le grand empereur trône à la tête d'un régime unique par l'ordre merveilleux qui y règne ; et cette idée est rendue sous une forme anecdotique, mais vraiment saisissante, par le moine de Saint-Gall et l'auteur du Libellus de imperatoria potestate in Urbe Roma.

Les Francs viennent de recevoir l'empire, grâce à Charles. Aussitôt une organisation régulière s'étend partout, depuis les chambres du palais jusqu'aux territoires des nations soumises. L'Empereur se met à table : il est servi par les ducs et rois des différentes nations ; après son repas, ses officiers mangent à leur tour, servis par les comtes, les préfets et les fonctionnaires des diverses dignités, et ainsi de suite[87]. L'Empereur arrive à Rome : il s'installe dans le palais Saint-Pierre, restaure la justice, et la bonne administration de la ville est comparable seulement à celle qui régnait dans la cité impériale, lorsque les nations étaient soumises, l'empereur honoré, et que les consuls dirigeaient les affaires[88]. Mais si cette belle ordonnance de l'Empire est possible, Si ce bel équilibre de ses facultés permet à l'Empereur de gouverner avec équité et sagesse, c'est qu'il a préalablement assuré la tranquillité de ses États par la saine terreur inspirée aux ennemis de son nom. Si la mer ne l'eût séparé de l'Orient, dit le moine de Saint-Gall, il l'eût conquis tout entier avec ses richesses[89]. Le même auteur félicite Charlemagne de ce qu'il a interdit aux seigneurs de recevoir plus d'un bénéfice[90], et cette réflexion est curieuse, parce qu'elle montre que les contemporains se rendaient parfaitement compte de l'évolution qui s'accomplissait sous leurs yeux et transformait peu à peu la société impériale en une société féodale.

Charlemagne passait pour avoir rétabli en Occident l'ordre matériel et moral et s'être montré capable d'empêcher la dissolution de l'État. On comprend dès lors pourquoi les peuples désiraient ardemment un empereur semblable à lui, un prince sorti de son sang et qui portât le même nom. Ô roi ! disait un poète à Charles le Chauve, je te salue, recteur du monde, gloire du siècle, descendant du grand Charles !... Dites : à qui doit être accordée l'immense puissance de l'ancien Charles sur les peuples, si ce n'est au nouveau ? L'un fut un très grand César, redoutable à la guerre, faisant briller la foudre contre les ennemis de l'Église ; l'autre, plein de zèle pour le Seigneur, brûle d'abaisser les tyrans orgueilleux... L'image et les traits du magnanime Charles revivent dans son descendant ![91]

 

III

L'Empire de Charlemagne reconstitué au profit de Charles le Gros ; espérances que cet évènement fait concevoir. Politique impériale à Rome et vis-à-vis des Normands ; explication de sa faiblesse.

 

Un jour, on crut que le rêve allait se réaliser. Un roi carolingien, appelé Charles comme son bisaïeul, réunit entre ses mains tous les domaines qui avaient formé la monarchie de Charlemagne. Celui que les contemporains nommaient Charles le Jeune[92], et que nous avons coutume d'appeler Charles le Gros, était déjà maître de l'Italie, quand il obtint, par la mort de ses deux frères Carloman et Louis, tous les États de Louis le Germanique leur père[93]. L'autorité, qui résultait pour lui de cette accumulation de royaumes et de couronnes, fut jugée assez grande par les Francs occidentaux pour qu'ils s'adressassent à lui dans leurs embarras et missent les enfants de Louis le Bègue sous sa bienveillante protection[94]. La mort prématurée des deux jeunes princes transforma cette tutelle en souveraineté effective : au mois de juin 885, à Ponthion, l'aristocratie, guidée par son plus illustre représentant, Hugues l'abbé, prêta serment au roi de Germanie[95]. Il est intéressant de constater avec les contemporains que tous ces héritages vinrent aux mains de Charles le Gros sans difficulté[96], et l'on doit remarquer la décision des Francs de l'ouest écartant du trône Charles le Simple, l'héritier légitime de leurs anciens souverains, pour lui substituer son cousin d'outre Rhin[97].

En élevant un prince tel que depuis le grand Charles, aucun des rois francs ne parût l'avoir surpassé en majesté, puissance et richesses[98], les nations montraient leur intention de se ressaisir et de satisfaire leurs vœux par tous les moyens mis à leur disposition. Alors que les royaumes s'effondraient et que la race royale semblait destinée à périr, soit de mort prématurée, soit de la stérilité des femmes, il se trouvait un prince capable de recueillir le sceptre de l'empire franc[99] ! Sous le gouvernement de l'empereur Charles, roi après le Seigneur, et maître des puissants, le monde était rassemblé presque en entier[100], et, comme au temps béni du grand Charles, il était permis de contempler le spectacle admirable d'une armée composée d'hommes de toutes les nations. Les ennemis pouvaient trembler maintenant. Grâce à la protection du Christ qui s'étendait de nouveau sur elle, l'épée carolingienne, jadis teinte du sang des Normands, allait retrouver sa pointe et son éclat[101]. Qu'il vint seulement un héritier à cet empereur jeune par l'âge, mais dont les mœurs étaient celles des vieillards, et les derniers brigands, qui osaient encore lever la tête, seraient abattus[102] !

Ce fut un moment unique et décisif dans l'histoire du IXe siècle à son déclin. La mission impériale se relevait, sortait des limites restreintes où l'avaient enfermée les hasards de la politique. En présence du péril qui la menaçait à l'extérieur, la chrétienté reprenait conscience de son unité. Ce que les hommes n'avaient su faire, les nécessités de la situation, plus fortes, le faisaient, obligeant les intérêts particuliers à reculer. Il ne s'agissait plus seulement de défendre l'Italie et Rome contre les Sarrasins, comme l'avait voulu Jean VIII : c'était la fonction de Charlemagne qui incombait à Charles le Gros ; c'était l'œuvre entière du grand Empereur qu'il s'agissait de sauver, c'est-à-dire le dernier gain de la civilisation.

Le danger devenait de plus en plus imminent. Si le couronnement impérial du 12 février 881 avait rempli de joie les habitants de l'Empire, si la proclamation de Charles le Gros comme roi de la France occidentale leur avait enfin donné l'unité de gouvernement qu'ils souhaitaient, il ne paraît pas que ce double événement eût été soupçonné des ennemis, ni qu'il leur eût inspiré des craintes sérieuses. Du côté de l'Italie, les Sarrasins, mettant à profit la mort de Jean VIII, poursuivaient la série de leurs victoires[103] ; dans le Nord, l'invasion redoublait. Pendant que l'empereur était encore en Italie, où il venait d'être couronné, les Normands, traversant Cologne et Trèves, incendiant les monastères, entrèrent dans la capitale de Charlemagne ; ils osèrent faire de la chapelle d'Aix une écurie pour leurs chevaux. Maastricht, le Hasbain, le pays d'Arras et de Cambrai, une partie du diocèse de Reims, furent ravagés. Wala ; évêque de Metz, ayant pris les armes pour arrêter les envahisseurs, fut tué, et ses compagnons mis en fuite[104]. Quand Charles le Gros eut achevé l'unité de l'Empire, les Normands répondirent enfin par leur coup le plus audacieux : le siège de Paris. Quelle fut la politique impériale du nouveau César ? Comment s'acquitta-t-il de la charge qui lui était confiée ?

Il est incontestable que Charles avait le sentiment de sa dignité. L'acharnement avec lequel il voulut garder son titre, l'intention qu'il eut, avant de mourir, de confier sa succession au jeune fils de Boson, sont également la preuve de l'importance qu'il y attachait[105]. Ce fut lui qui, séduit par les récits du moine de Saint-Gall pendant un séjour qu'il fit au monastère en décembre 883, donna l'ordre de les écrire, montrant ainsi son respect pour l'illustre aïeul dont il portait le nom[106]. Comme Louis II et Charles le Chauve, ses prédécesseurs, il avait d'ailleurs autour de lui des conseillers qui avaient le même souci ou partageaient les mêmes idées : sa femme Richarde, et son ministre Liutward. Ce personnage a été fort maltraité par les nobles ses contemporains à cause de son humble naissance[107], et par les écrivains ecclésiastiques à cause de sa résistance aux prétentions des églises[108]. Il avait cependant décidé Charles le Gros à venir en Italie, et préparé avec le pape le couronnement de 881[109]. L'empereur fut assez ferme pour lui conserver sa faveur malgré une violente opposition, et, bien conseillé par l'impératrice Richarde, il l'éleva peu à peu au rang d'archichancelier et de confident intime[110], ce qui faisait dire à ses ennemis qu'il dépassait Aman par ses titres et ses dignités[111].

C'est à Rome en général, que les empereurs carolingiens se montrèrent le plus acharnés dans la défense de leur droit. Charles le Gros fut fidèle à la tradition. Certes il est difficile de parler avec quelque détail de ses rapports avec la papauté, faute de documents. Si on laisse de côté Jean VIII qui mourut presqu'aussitôt, trois papes occupèrent alors la succession de Saint-Pierre : Marin Ier, Hadrien III, Etienne V, et, pour le dernier seulement, on possède une Vie dans le Liber pontificalis avec quelques lettres[112]. Cependant nous en savons assez pour pouvoir affirmer que, tout en honorant le Saint-Siège comme il convenait, Charles le Gros établit et maintint comme base de ses relations avec lui la vieille Constitution de 824.

Hadrien III, obéissant à un ordre impérial, se rendait en France pour déposer quelques évêques qui avaient déplu, quand il mourut après le passage du Pô, au mois d'août ou de septembre 885[113]. Détail significatif : il avait laissé l'administration de la ville pendant son absence à Jean, évêque de Pavie et missus impérial[114]. Les Romains, forts de la présence de ce fonctionnaire, acclamèrent Etienne qui fut consacré le dimanche suivant[115]. Bien que son représentant eût contrôlé et approuvé tous les détails de l'élection, Charles le Gros fut irrité de ce que son assentiment n'avait pas été attendu, et il chargea Liutward de se rendre en Italie pour déposer le nouveau pape. Il ne renonça à son projet qu'après avoir reçu un procès-verbal portant les signatures de plus de trente évêques, prêtres et diacres-cardinaux, et des principaux laïques qui avaient élu Etienne V et souscrit à son ordination[116]. Le pape se montra d'ailleurs dans la suite très respectueux de l'empereur, lui envoyant aux approches de Pâques des rameaux accompagnés de la bénédiction apostolique, comme jadis les papes avaient adressé aux premiers Carolingiens les clefs de Saint-Pierre[117].

La fermeté de Charles le Gros vis-à-vis de la papauté était due en grande partie à Liutward. Très dévoué à son maître, celui-ci s'était chargé particulièrement des affaires de la péninsule où il avait rang comme évêque de Verceil, et il veilla avec un soin jaloux à la défense des droits impériaux au-delà des Alpes[118]. Ce n'était cependant qu'une partie de la tâche : il restait à déjouer les prétentions de la maison de Spolète. Le 27 novembre 883, l'empereur se trouvait à Ratisbonne, quand il apprit que Gui, fils de Lambert, venait de conclure avec les Sarrasins et l'empereur de Byzance une alliance dont l'objet n'était point douteux. Aussitôt il passa les Alpes, tint conseil à Vérone avec ses fidèles, et cita le rebelle devant son tribunal, sous l'inculpation de lèse-majesté. Le duc de Spolète échappa par la fuite à la peine capitale qui l'attendait, mais il fut dépouillé, ainsi que ses complices, de tous les bénéfices qu'il avait reçus antérieurement[119]. Il était malheureusement plus facile de rédiger la sentence que de l'exécuter. Bérenger, envoyé à la tête d'une armée, accomplit une partie de sa tâche, mais revint parce que la maladie décimait ses troupes[120]. Le fléau s'étendit, faisant d'innombrables victimes. Une armée bavaroise reçut l'ordre de marcher ; elle ne partit pas : il était imprudent de déplacer des troupes utiles ailleurs. Pour ces raisons, Charles le Gros dut adopter une solution pacifique. Il se rendit en personne en Italie, arriva à Pavie le jour de Noël 881, et Gui, s'étant disculpé de son crime par serment, fut reçu de nouveau dans la fidélité royale[121]. On attribuera aux mêmes inquiétudes causées par les agissements de la maison de Spolète et de l'empereur grec, un autre voyage que l'empereur fit en Italie aux mois de février-mars 886, accompagné par Liutward. Au cours de ce voyage, il fit décréter par le souverain pontife que les évêchés vacants seraient d'abord attribués aux évêques dont les diocèses étaient occupés par les barbares[122].

Il n'est pas difficile de trouver dans cette politique des faiblesses et des défaites regrettables ; mais il ne faut jamais oublier, pour la juger équitablement, que l'empereur ne pouvait s'occuper de l'Italie que de temps à autre, rappelé qu'il était sans cesse de l'autre côté des monts par les Normands et les Slaves. C'est ainsi que des envoyés de Gaule et de Germanie lui apportèrent la nouvelle de l'audacieuse expédition des Normands à travers la France, de Cologne jusqu'à Reims. Qu'il se hâtât, lui disaient-ils, de recouvrer les royaumes qui lui appartenaient par droit d'hérédité et de secourir l'empire en péril, car, privé de sa tête, celui-ci deviendrait un jouet aux mains des ennemis ![123]

Charles partit aussitôt, et, traversant la Bavière, arriva à Worms, où se tint, au mois de mai 882, une grande assemblée[124]. A la suite des décisions prises, une puissante armée, composée de Francs, d'Alamans, de Thuringiens, de Saxons, fut réunie, et, précédée d'une avant-garde bavaroise et franque commandée par Arnulf et le comte Henri, s'approcha des Normands retranchés à Elsloo, sous les ordres des rois Gotefrid et Sigefrid et des princes Wurm et Hals[125]. D'abord plusieurs soldats d'avant-garde trahirent ; les autres durent se replier sur le gros de l'armée, et cet incident déplorable marqua le premier contact avec l'ennemi[126]. Bien que les Normands fussent solidement retranchés[127], l'empereur prit position, et les cieux armées s'observaient depuis douze jours quand, le 21 juillet, un formidable cyclone éclata. On était en plein été, et la maladie décimait les deux camps. De part et d'autre vint l'idée d'un arrangement. Charles y fut décidé par Liutward, et Gotefrid vint en personne au camp impérial pour traiter[128]. L'entente se fit sur les bases suivantes : le chef normand s'installait dans la partie de la Frise auparavant attribuée à Horic le Danois[129] ; il recevait pour ses compagnons, qui rentraient dans leur pays, une somme de deux mille livres en or et en argent[130], et pour lui-même la main de Gisèle, fille de Lothaire et de Waldrade[131] ; en échange, il acceptait le baptême avec l'empereur pour parrain, et, devenu le fidèle de Charles, promettait, non seulement de respecter les terres de l'Empire, mais de les défendre contre ses compatriotes[132].

Après ce traité, l'empereur se tint pour satisfait. Il ramena son armée à Coblentz où il la licencia, et, par Mayence et Tribur, se rendit à Worms où eut lieu une nouvelle assemblée (1er novembre 882)[133]. Mais la Scandinavie justifiait toujours son surnom d'officina gentium, et, l'année suivante, les Normands apparurent simultanément dans la vallée du Rhin, où l'évêque Liutbert de Mayence chercha à les arrêter avec une poignée d'hommes, sur les frontières de la Saxe, et dans le royaume de Carloman qui venait de Mourir. Profitant de l'interrègne causé par cette mort, ils imposèrent aux habitants une contribution de douze mille livres en or et en argent, et comme les malheureux, désireux de prendre leur revanche, se concentraient à Louvain, ils leur dirent ironiquement : Pourquoi venez-vous nous chercher ? Ce n'était vraiment pas la peine ; nous savons qui vous êtes. Vous voulez que nous revenions vous voir. Eh bien ! nous irons[134]. D'autre part, poussé par son beau-frère Hugon et mettant à profit une absence de Charles le Gros, Gotefrid émit la prétention exorbitante d'avoir, outre la Frise, Coblentz, Andernach, Sinzig, et plusieurs autres localités renommées pour leurs vins[135]. Enfin les Slaves s'agitaient, et Zwentibold, neveu et digne successeur de Rastizès, incendiait et pillait la Pannonie[136].

L'empereur tint deux assemblées, l'une à Colesbourg en Alsace, vers le 2 février 884, et l'autre à Worms, au mois de mai suivant[137]. Une double victoire du comte Henri sanctionna les mesures adoptées, et, vers la fin de l'année, Zwentibold et ses lieutenants rejoignirent l'empereur à Cuméoberg. Comme avait fait précédemment Gotefrid, ils promirent à Charles d'être ses hommes et de ne jamais envahir ses états en ennemis tant qu'il vivrait[138]. Quant au chef normand, attiré dans un guet-apens avec ses compagnons, il fut massacré, et Hugon, qui avait cru recouvrer le royaume de son père, grâce à sa trahison, fut privé de la vue[139]. Il était temps, car le siège de Paris allait commencer (novembre 885).

Tandis que l'empereur était retenu en Italie par les intrigues de Gui de Spolète, une première armée placée sous le commandement du comte Henri partit au mois de février 886 pour délivrer les habitants. Elle échoua devant la supériorité numérique de l'ennemi[140]. Une seconde armée composée des Germains des deux royaumes fut encore confiée à Henri, et mise en route. La victoire dépendait en grande partie de l'entente de son chef avec Gozlin, évêque de Paris, et Hugues l'abbé, qui se trouvait à Orléans. Hugues et Gozlin moururent[141] : Henri, abandonné par les siens au milieu du combat, fut tué. Cependant Sigefrid, accouru avec de nouveaux compagnons, augmentait encore le nombre des robustes combattants de sa nation[142]. Charles le Gros, de retour en Allemagne et sollicité par Eudes, comte de Paris[143], vint à son tour ; mais il commençait la terrible maladie à laquelle il devait succomber, et la mort de son meilleur général l'avait considérablement affecté[144]. Il avait mis dans Henri tout son espoir, et la confiance, qu'il lui témoigna jusqu'au bout, ne prouve pas seulement qu'il était capable d'un choix éclairé, mais inaccessible à la jalousie mesquine[145]. Bien qu'il eût à sa disposition une armée considérable[146], il préféra traiter, et l'acte qu'il signa était indigne de la majesté impériale, comme dit Regino, car l'empereur ne se contentait pas de donner de l'argent aux Normands pour obtenir leur retraite, mais leur abandonnait toute une province. à piller, la Bourgogne, sous le mauvais prétexte que les habitants avaient refusé de reconnaître son autorité (novembre 886)[147].

Si ces évènements sont présentés d'une manière différente de celle qu'on adopte généralement, si Charles le Gros y apparaît sous un jour moins défavorable, le récit s'appuie pourtant sur des faits et des textes précis[148]. Sans tenter une réhabilitation de l'avant-dernier empereur carolingien, ce qui serait absurde, nous pouvons dire qu'on l'a trop méprisé de parti-pris. En France surtout, où l'histoire de Paris tient une si- grande place dans nos préoccupations nationales, on n'a vu que le roi qui abandonna, sans coup férir, la future capitale du pays. Et cependant, si nous limitons l'incident comme il convient, si nous examinons le gouvernement de Charles le Gros, non-seulement en France, mais en Allemagne, en Italie et partout, nous aboutissons à une révision partielle de ce jugement. Charles le Gros n'a pas été un prince lâche, uniquement préoccupé de ne pas combattre et d'obtenir la paix à tout prix. L'un des derniers rejetons de cette branche germanique de la maison carolingienne, abâtardie, ruinée par on ne sait quelle maladie, qui s'éteignait dans l'impuissance physique et morale, il a reçu une tâche au-dessus des forces que la nature lui avait données, et il a eu le mérite de s'en rendre compte[149]. Il a fait, en conséquence, la seule politique que son état lui permît : une politique de conciliation. Au lieu de chercher sur le champ de bataille la solution de la question pendante, il l'a cherchée, au moins à Elsloo et à Cuméoberg, dans une entente conditionnelle. Puisqu'il ne pouvait chasser les Normands et les Slaves des terres qu'ils occupaient, il les y établit, mais après leur avoir imposé le baptême et le serment solennel qu'ils travailleraient à défendre contre leurs compatriotes mêmes les frontières de l'Empire. II aboutissait ainsi à une solution utile, et après tout, à une extension nouvelle de la chrétienté[150].

Aveuglés par la passion, Méginhard et Hincmar ont accusé Charles le Gros d'avoir manqué de cœur[151]. Non-seulement ils n'ont pas compris ce qu'il y avait de sensé dans un contrat qui transformait en associés de l'Empire ses ennemis de la veille, mais ils lui ont reproché d'être sans précédents[152]. C'est une erreur. Lothaire, Louis II, Charles le Chauve, constatant qu'ils étaient incapables d'arrêter les Normands, à moins de les poursuivre jusque dans leurs repaires, eurent déjà le dessein de s'entendre avec eux ; Nicolas Ier l'approuva et les chefs normands y trouvèrent leur profit[153]. Le tort de cette politique fut d'être un peu prématurée, comme la trahison de Gotefrid le prouva[154]. D'une part, les Normands n'étaient pas encore fatigués de leurs courses et désireux de faire une fin ; d'autre part, les Francs étaient encore trop fiers, trop enflés du souvenir de leurs victoires passées, pour ne pas se sentir humiliés et rougir à la pensée que ceux qui avaient fait tant de mal aux chrétiens allaient devenir possesseurs de leurs terres, et que les persécuteurs de la foi chrétienne seraient les maitres des persécutés[155]. Avec plus d'habileté que de courage[156], Charles le Gros avait trouvé la solution qui triompha bientôt à Saint-Clair-sur-Epte, et à laquelle nous devons une de nos provinces les plus originales et les plus fortement trempées.

Aussi bien tous les contemporains n'ont pas eu, à l'égard du malade qui, le premier, employa résolument cette méthode, la sévérité dédaigneuse de l'Annaliste de Fulde et d'Hincmar. Charles ne fut pas déposé par les peuples dégoûtés de sa lâcheté, comme on aime à le répéter, mais à cause de la maladie qui avait atteint son esprit comme son corps, et le rendait incapable de gouverner[157]. Aucun des empereurs carolingiens n'eut une fin aussi lamentable. Les deux êtres qu'il aimait le plus au monde, l'impératrice Richarde et Liutward, l'avaient quitté ; Richarde s'était retirée dans un monastère[158] ; l'évêque, victime des grands, rendu par eux suspects de trahison et d'hérésie, dépouillé de ses bénéfices, avait été chassé du palais[159]. L'empereur n'était pas seulement abandonné, mais réduit à l'indigence la plus complète, quand il mourut, à Neidingen, le 13 janvier 888[160]. Lorsque la nouvelle se répandit, elle provoqua partout une immense pitié. Sans oser dire, comme le continuateur d'Erchanbert, que le très clément Charles égala son aïeul Charles le Grand par sa sagesse, son habileté et sa science militaire, et le surpassa par la paix tranquille et la prospérité qu'il assura à ses États[161], tous eurent sur lui un mot ému. Ils vantèrent ses vertus privées, sa piété envers Dieu et l'Église, sa charité, la résignation chrétienne avec laquelle il avait accepté la mort[162]. Abbon, le poète de la défense de Paris, ne trouve pas un vers pour le blâmer[163] : aux yeux de tous, il reste l'empereur, et ravis unanime est qu'il a mérité le ciel. On raconta qu'au moment où les moines descendaient son corps dans les caveaux du monastère de Reichenau, plusieurs parmi les assistants virent le ciel s'ouvrir devant lui, afin qu'il fût montré ouvertement, dit un chroniqueur[164], que celui qui avait été dépouillé par les hommes de la dignité terrestre qu'il méprisait, avait mérité d'être jugé digne par Dieu de la patrie céleste.

 

IV

Les deux voyages d'Arnulf en Italie. Mort du dernier empereur carolingien (8 décembre 899).

 

Les hommes qui vivaient vers la fin du IXe siècle avaient été grisés, en définitive, par le rêve qu'ils formaient depuis plusieurs années : le spectacle du vieil empire de Charlemagne, reconstitué sous un prince de sa famille et de son nom, les avait trompés. Pendant qu'ils songeaient, les grandes lois, qui précipitaient d'une manière fatale la dissolution de la monarchie franque, indépendamment de la volonté et de la valeur des empereurs, leur avaient échappé. S'ils avaient un peu réfléchi, ils auraient compris qu'il ne suffisait pas d'évoquer le souvenir de l'ancien Empire et de ressusciter le nom de Charles pour mettre en fuite les Barbares. Quels étaient les moyens dont l'empereur disposait pour écraser l'ennemi ? Que valaient ces armées composites, formées d'hommes de toutes nations, dont les chroniqueurs parlent avec tant d'admiration ? Où étaient les voies de communication, les moyens de transport et de correspondance qui eussent permis de faire face à un ennemi éparpillé un peu partout, et paraissant à l'improviste sur les points les plus éloignés !

Lorsque l'unité semblait reconstituée, se produisait en réalité l'évolution politique et sociale la plus contraire à l'unité qui fîit jamais : sous la pression extérieure des nations envahissantes et l'action intérieure de l'aristocratie, l'Empire carolingien tombait en morceaux qui ne pouvaient plus être rassemblés. Mais la chute fut d'autant plus lamentable que le rêve avait été plus haut : ce fut la condamnation irrémédiable de cette idée d'unité qui, née chez quelques hommes intelligents, avait pénétré peu à peu et trouvé dans le peuple un dernier asile. Aussi n'y eut-il pas de décision qui réglât le sort de l'Empire. Tout naturellement les territoires qui le composaient se séparèrent. Tandis que les Francs de l'Est proclament Arnulf, Bérenger prend le titre de roi d'Italie ; Rodolphe occupe la Bourgogne supérieure ; Louis, fils de Boson, est fait roi de Provence, et les Francs de l'Est acclament Eudes, le brillant défenseur de Paris[165]. Il ne s'agit plus de princes carolingiens, mais de rois nationaux[166]. Cette fois, le vers de Florus est vrai :

Pro rege est regulus ; pro regno fragmina regni.

Parmi ces rois, il en est un cependant qui appartient à la famille de Charlemagne, Arnulf, fils illégitime de Carloman et petit-fils de Louis le Germanique. Celui-là a encore quelque valeur militaire, la fierté de sa race et de sa maison. Les personnes de sa famille, comme Hirmingarde, veuve de Boson et fille de l'empereur Louis II, reçoivent à sa cour un accueil empressé[167]. Apprenant une défaite de son armée, écrasée par les Normands alors qu'il combat aux extrémités de la Bavière, il déplore que les Francs, jusque-là invaincus, tournent le dos à leurs adversaires, marche lui-même à l'ennemi, engage et gagne la bataille de Louvain[168]. Parce que, seul des princes régnants, il appartenait à la famille carolingienne, Arnulf ne douta pas un instant qu'il fût au-dessus des autres rois, et ceux-ci ne furent pas loin de penser comme lui[169]. Bérenger, désireux de garder l'Italie malgré l'opposition de Gui de Spolète, sollicita son appui et reconnut sa suzeraineté[170]. Rodolphe de Bourgogne, après une tentative de résistance, poursuivi l'épée dans les reins, se rendit spontanément à Ratisbonne au mois d'août 888 pour faire sa paix[171].

La compétition qui s'éleva en France entre Eudes, le nouveau roi, et le prétendant carolingien, ne favorisa pas moins les ambitions du roi de Germanie. Lorsque Eudes eut été proclamé roi par ses compatriotes, il sentit le besoin d'avoir le consentement d'Arnulf, et se rendit à Worms. Il obtint l'approbation qu'il désirait[172]. Mais, quelque temps après, Charles le Simple, parvenu à l'âge d'homme et soutenu par Foulques, archevêque de Reims, partit également pour Worms, afin de solliciter aide et protection. Le roi de Germanie fut bien embarrassé. D'une part, il était lié avec Eudes par sa promesse ; d'autre part, Charles était son cousin. Obligé de choisir entre sa parole et une parenté qui lui était chère, il se prononça d'abord pour Charles, et lui conféra de sa main le royaume des Francs[173], puis revint à Eudes[174]. Quoi qu'il en soit, il reste établi que les candidats au trône de France s'adressaient à Arnulf, et que celui-ci distribuait les couronnes[175].

Maitre des États allemands, ayant à plusieurs reprises affirmé sa supériorité, et l'ayant fait reconnaître en Italie, en France, en Bourgogne, Arnulf rappelait par plus d'un trait ses aïeux, les grands Carolingiens. Il portait le nom glorieux du très révérend évêque, d'où les princes francs étaient sortis, et ce détail important n'avait point échappé aux contemporains. L'un d'eux déclare que c'est en souvenir de l'évêque de Metz que le roi a reçu son nom[176] ; tous font le rapprochement et en augurent des résultats merveilleux[177]. Pour qualifier cette situation du roi de Germanie, le titre seul d'empereur convenait. Arnulf fut ainsi naturellement conduit à rechercher l'Empire. Dans quelles circonstances ? Comment réussit-il à l'obtenir ?

Profitant du trouble qui régnait partout après la mort de Charles le Gros, la maison de Spolète avait repris et nettement affirmé, cette fois, ses prétentions. Gui, fils de Lambert, après avoir vaincu Bérenger, s'était fait proclamer roi d'Italie au mois de février 889, par les évêques et les grands réunis à Pavie, et, deux ans après, le 21 février 891, il avait reçu des mains d'Etienne V, à Rome, le diadème impérial[178]. Le nouvel Auguste était loin d'être un ambitieux vulgaire ou un incapable ; il ne considérait pas seulement sa nouvelle dignité comme un honneur, mais comme une charge, un ensemble de droits anciens qu'il s'agissait de faire respecter. Il entra tout entier dans l'héritage carolingien. Ses capitulaires, faits sur le modèle de ceux de Charlemagne et de ses successeurs, reproduisent certaines dispositions législatives antérieures ; il parle avec orgueil de son impériale puissance, proclame la nécessité d'envoyer partout des missi pour faire régner la paix et le salut[179]. Afin d'assurer la perpétuité de l'Empire dans sa famille, il fait couronner de son vivant son fils Lambert, et inscrit son nom dans ses diplômes, à côté du sien, comme ont fait Charlemagne, Louis le Pieux et Lothaire[180]. Cependant Arnulf considérait Gui comme un usurpateur ; Bérenger l'entretenait dans cette idée et promettait de lui soumettre toute l'Italie[181] ; la papauté le sollicitait. Irrités de l'énergie de Gui, comprenant qu'ils s'étaient donné un maître au lieu d'un protecteur, Etienne V et son successeur Formose envoyèrent successivement au roi de Germanie deux ambassades, en 890 et 893, pour le supplier d'arracher le royaume d'Italie et les biens de Saint-Pierre aux mauvais chrétiens, c'est-à-dire à la tyrannie de Gui[182]. A ce moment, Arnulf était à peu près tranquille du côté de l'Allemagne. L'expédition se présentait sous les meilleures auspices : il jugea qu'il pouvait partir. Il dut cependant s'y prendre à deux fois pour aboutir, et le récit de sa double entreprise mérite d'être conté avec quelque détail[183].

Ce fut au début de l'année 891, en janvier probablement, qu'Arnulf pénétra en Italie, amenant avec lui une puissante armée[184]. Accompagné par Bérenger, il était entré sans difficulté dans Vérone, quand il fut brusquement arrêté par une énergique résistance, celle des habitants de Bergame. La ville était gouvernée par le comte Ambroise, l'un des fidèles de Gui, et elle avait confiance dans la solidité de ses remparts. Mal lui en prit. Les Allemands furieux s'établirent sur une hauteur qui dominait la place, bien décidés à s'en emparer, et, à l'occasion de ce premier mouvement, un combat d'avant-garde s'engagea le soir entre les assiégeants et les assiégés. Toute la nuit les adversaires demeurèrent sous les armes, et le lendemain matin, après avoir entendu la messe, Arnulf ordonna de donner l'assaut. Ce fut terrible. Le roi, établi au sommet de la montagne avec les étendards, afin de pouvoir se porter où sa présence serait nécessaire, dirigea l'attaque en personne ; sa garde, soutenue par ses exhortations, s'avança jusqu'au pied des remparts, et, un pan de mur s'étant écroulé, les soldats pénétrèrent comme un ouragan à travers les rues, égorgeant, massacrant tout sur leur passage, n'épargnant même pas les religieux. Ambroise, fait prisonnier, fut pendu devant une porte de la ville, revêtu de ses vêtements les plus précieux, de son épée, son ceinturon et ses bracelets ; sa femme, ses enfants, ses trésors, tombèrent aux mains de l'ennemi[185].

Telle fut la terreur répandue dans toute l'Italie par ces nouvelles, que les principales cités et les chefs de l'aristocratie se hâtèrent de se soumettre. Milan et Pavie, terrifiées, se livrèrent spontanément ; Adalbert de Toscane et ses trois frères, Boniface, Hildebald et Girard, firent acte d'obéissance[186]. Arnulf, arrivé à Pavie sur ces entrefaites, fut-il proclamé roi d'Italie ? On l'ignore. Mais il est certain qu'il se considéra désormais comme le maître de la péninsule, témoin la nomination de Maginfred, comte de Milan, à la dignité de comte palatin d'Italie, et celle de l'évêque Waldo de Frisingue aux fonctions de missus[187]. Cependant la maladie décimait son armée[188] ; Rodolphe de Bourgogne profitant de son éloignement se révoltait : le roi renonça au voyage de Rome, bien que la cité pontificale fût l'objectif de sa marche en avant, et, dès le milieu de mars, il rentra en Allemagne, sans être allé plus loin que Plaisance[189].

Ce n'était que partie remise, et quand, en juillet 895, Arnulf reçut de Formose une nouvelle ambassade l'invitant à venir à Rome, il fut vite décidé[190]. Gui venait de mourir, et son fils Lambert, resté seul empereur, avait toujours à redouter l'opposition de Bérenger[191]. Après avoir pris conseil de ses évêques, le roi déclara qu'il partirait au mois d'octobre. Le 1er décembre il était à Pavie. Le Pô une fois franchi, il divisa son armée en deux corps : l'aile gauche, composée des Francs et placée sous son commandement, traversa l'Apennin et s'avança jusqu'à Luna, où elle se trouva pour célébrer les fêtes de Noël ; l'aile droite, composée des Alamans, se dirigea sur Rome par Bologne et Florence. A partir de ce moment, les choses commencèrent à se gâter. Les pluies et les épidémies arrivèrent le bruit se répandit qu'Adalbert de Toscane et Bérenger lui-même se soulevaient, et, quand l'armée se présenta devant Rome, elle trouva les portes fermées, l'accès de Saint-Pierre interdit : les soldats durent se contenter d'entendre la messe dans la basilique de Saint-Pancrace. L'impératrice Ageltrude, veuve de Gui et mère de Lambert, assistée par deux des sénateurs les plus illustres de Rome, Constantin et Etienne, dirigeait la résistance. Il fallut pénétrer de force, et ce fut seulement après un assaut en règle qu'Arnulf put occuper la ville et faire son entrée dans la basilique des Saints Apôtres. Alors, dit l'annaliste de Fulde[192], le pape, lui mettant la couronne sur la tête, lui donna la consécration impériale selon la coutume de ses prédécesseurs, et rappela César et Auguste. Après quoi, tous les Romains se rendirent à Saint-Pierre, où ils promirent sous serment leur foi à l'empereur.

On était à la fin de février 896 — il est impossible de préciser davantage[193]. Quinze jours après être entré à Rome, l'empereur, laissant la ville sous la garde d'un de ses compagnons nommé Farold, marchait contre Ageltrude établie à Spolète, lorsqu'il fut frappé d'une attaque de paralysie, comme son père Carloman et son oncle Charles le Gros[194]. Ses soldats avaient commis de tels excès pendant leur court séjour dans la péninsule[195], que l'Italie éprouva un vif soulagement à les voir partir et ne chercha même pas à dissimuler son sentiment[196]. Ratolf, un bâtard d'Arnulf, que celui-ci avait laissé à Milan, afin de s'assurer la fidélité du pays, fut trop heureux de pouvoir regagner la Germanie[197]. Quant à l'empereur, après ce triste retour, il vécut encore misérablement pendant quelques années, mais ne revint plus en Italie, et mourut à Ratisbonne le 8 décembre 899, à l'âge de quarante-neuf ans[198].

Cette histoire d'Arnulf en dit long sur l'état où les derniers successeurs de Charlemagne laissèrent l'institution impériale. Les mésaventures du prince allemand en Italie sont le résultat inévitable de cette transformation de l'Empire carolingien, commencée sous Louis II et Charles le Chauve, favorisée par le règne de Charles le Gros, consacrée par Arnulf lui-même allant demander au pape, et à quel pape, le diadème des Césars. On ne saurait en douter : l'évènement qui substitua à l'ancien droit fondé par Charlemagne et Wala un droit nouveau fut pour l'Italie et l'Empire un évènement malheureux. A une situation relativement simple succédait une situation compliquée, féconde en conflits, dangereuse. Les deux puissances, impériale et pontificale, mises face à face, ne pouvaient vivre en bon accord, devaient se heurter. Des deux maîtres de Rome lequel aurait le dessus ? Serait-ce le pape ? Il créait l'empereur, et ce privilège lui donnait une certaine supériorité ; mais l'usage, énergiquement maintenu par tous les Carolingiens, y compris Charles le Gros, voulait qu'il ne fût pas consacré avant que l'empereur eût vérifié le procès-verbal de son élection. Enfin, le nouveau droit, tel qu'il est exposé dans la soi disant lettre de Louis II à Basile, est-il si clair ? Le pape donne le diadème et l'onction ; mais les Italiens choisissent leur roi. Qui prononcera le premier ? La question, posée par Jean VIII, put être tranchée une fois à l'amiable, mais, comme elle n'était pas réglée d'une manière définitive, il était impossible qu'elle fût toujours résolue avec la même facilité. Arnulf s'en aperçut. Ce qui fit son malheur, c'est qu'il fut le candidat de Formose contre Gui de Spolète soutenu par les Italiens et les Romains. De cette opposition naquit la résistance des villes comme Bergame et Rome, et le roi de Germanie, obligé de tirer l'épée à chaque pas, vit ses forces s'user sans gloire dans une guerre sans profit[199].

Comment s'en étonner ? Pourquoi vouloir que les Italiens aient accepté, d'un cœur léger, la perte définitive de leur liberté, le sort qui les condamnait à devenir, pendant plusieurs siècles, la proie de l'étranger ? Autant et plus que les autres peuples qui s'étaient donné des rois nationaux, ils avaient conscience de leur personnalité[200]. Ils avaient leur capitale, qui n'était point Rome, mais l'opulente cité de Pavie, ainsi nommée parce qu'elle surpassait en richesses, non-seulement les villes voisines, mais d'autres plus lointaines encore : elle eût dépassé Rome elle-même, si celle-ci n'eût possédé les corps précieux des bienheureux apôtres[201]. Une féodalité puissante, organisée de longue main, et corn prenant déjà les trois éléments auxquels appartenait l'avenir, princes, évêques, villes, imprimait à la nation italienne une unité de direction, un esprit particulariste qui est surtout visible dans les œuvres de littérature[202]. A cette féodalité, l'idée qu'elle était conquise, soumise à perpétuité, parut insensée.

On répète trop complaisamment le méchant propos de Liudprand, l'évêque de Crémone, disant de ses compatriotes qu'ils aimaient toujours avoir deux maîtres, afin de les tenir l'un par l'autre[203]. Si, en effet, les habitants de la péninsule furent souvent partagés entre deux dominations, c'est qu'il y avait celle qui prétendait d'imposer à eux, et celle qu'ils souhaitaient. Tous gardaient, à l'image des Romains, le sentiment de leur grandeur passée, et se montraient incapables d'abdiquer[204]. Arnulf ne fut pas seul à s'en rendre compte. La présence de Charles le Gros en Lombardie fut difficilement supportée, et une bataille sanglante eut lieu le 20 mars 886, à Pavie, entre ses soldats et les habitants, pendant qu'il se trouvait à Corteleone[205]. Avec Arnulf et ses bandes, qui se comportèrent comme en pays conquis et osèrent prendre Rome à main armée, ce qu'on n'avait jamais vu depuis l'époque où les Gaulois Sénonais arrivèrent sous le commandement de Brennus[206], l'indignation fut à son comble. Benoit de Saint-André, racontant une prétendue défaite de Louis II par les Sarrasins, déclare qu'à partir de ce moment les Italiens eurent les Francs en dérision et n'admirent aucun de leurs rois à régner sur eux[207].

L'Empereur, au moins, se trouvait-il bien du nouveau régime ? Non, car dès qu'il arrivait dans la plaine du Pô, quelque soulèvement éclatait derrière lui. La succession chronologique des séjours de Charles le Gros et d'Arnulf en Italie, en Allemagne et en France, est curieuse à ce point de vue. Il en résulte que l'Italie était soulevée et le Nord mal administré. Quant à l'Empire, il avait tellement changé depuis sa naissance que Charlemagne ne l'aurait pas reconnu, lorsqu'il tomba des mains affaiblies de ses descendants. Le programme impérial n'avait plus rien de son antique splendeur. Il ne s'agissait plus d'un empereur unique, possesseur incontesté du pouvoir, dont la noble tâche consistait à faire régner à l'intérieur des nations la paix morale, tandis qu'à l'extérieur les frontières de la chrétienté s'élargissaient sans cesse. En droit, cette idée d'une magistrature supérieure existait encore, mais, en fait, l'empereur n'était qu'un roi plus puissant que les autres ou simplement plus ambitieux, dont les forces s'épuisaient à faire accepter par les Romains et les Italiens son autorité détestée. Le temps n'était plus où le pape priait, tandis que les troupes impériales combattaient. Le violent conflit, qui se produisit entre Louis II et Nicolas Ier, est le premier acte de la lutte du sacerdoce et de l'empire ; le voyage d'Arnulf enlevant d'assaut les villes qui lui fermaient leurs portes, égorgeant, pendant, violant, avec le concours d'une armée allemande, appartient beaucoup plus à l'histoire de l'Empire germanique qu'à celle de l'Empire carolingien.

 

 

 



[1] Voir GASTON PARIS, Histoire poétique de Charlemagne, 1 vol. Paris, 1865, et LÉON GAUTIER, Les Épopées françaises, t. III, éd., Paris, 1880.

[2] SEDULII SCOTTI Carmina (Poet. lat., t. III, p. 183).

[3] DUNGAL, Lettre sur l'éclipse de soleil de 810 (Epist. carol., 30).

[4] DUNGAL (Hibernicus exul). Versus Karoli imperatoris (Pœt. lat., t. I, p. 400-401).

[5] EINH., Vita Karoli, 31.

[6] Vita Walæ, I, 1. Vita Hlud., 1. NITH., Hist., I, 1. EINH., Vita Karoli, Préf. — Parmi les lamentations causées par la mort de Charlemagne, on remarquera principalement celles d'AMALARIUS de Trèves dans le récit de son ambassade à Constantinople (Poet. lat., t. I, p. 428), et le poème anonyme intitulé Planctus de obitu Karoli (Poet. lat., t. I, p. 435-436). On n'entend qu'une note discordante au milieu de cette adoration universelle. Elle est donnée par l'évêque de Bâle, HAITON, dans le Liber de visone Wettini, où l'on voit Charlemagne retenu dans le Purgatoire à cause de ses mauvaises mœurs, malgré les services éminents qu'il a rendus à la foi catholique et à l'Église (De visione Wettini, 8. MIGNE, P. L., t. CV, col. 775). L'évêque ajoute d'ailleurs que Charlemagne est destiné quand même à prendre rang parmi les élus.

[7] ERMOLD LE NOIR, l. IV, vers 35-36.

[8] Hist. transl. S. Viti., 4 (SS. II, p. 577). — NITH., Hist., I, 1. — Ibid., IV, 2.

[9] Lettre de DUNGAL à Théodrade, fille de Charlemagne, écrite aussitôt après la mort de l'empereur, Epist. carol., 46. En 844, les évêques réunis au concile de Ver, après avoir cité comme modèles à Charles le Chauve, Salomon, David, Ézéchias, ajoutèrent : Sed est domesticum lumen imperator Karolus qui nomen, quod familiæ vestræ peperit, clarissimis actibus adornavit. (KRAUSE, Cap., p. 384).

[10] THÉGAN, I. Cf. Ann. Mettenses, a. 687 (SS. I, p. 316).

[11] ERMOLD LE NOIR, Deuxième Élégie, à Pépin, fils de Charlemagne, vers 147 et sq.

[12] PAUL DIACRE, Gesta episcoporum mettensium (SS. II, p. 261-264).

[13] Domus carolingicæ Geneologiæ, éd. par Pertz, SS. II, p. 307-314 ; De exordio gentis Francorum (Poet. lat., t. II, p. 14 :2-143) ; HINCMAR, Capitula electionis Karoli (KRAUSE, Cap., p. 340). — BONNELL a très bien montré la formation de cette légende, dont on trouve la première trace dans la Vita Clodulfi, 2, et qui a peut-être commencé dans le midi de la France, autour de Cassinogilum, le lieu de naissance de Louis le Pieux (Die Anfänge des Karolingischen Hauses, p. 6-8, 36). WARNKÖNIG et GÉRARD, t. I, p. 109-121, ont combattu avec succès la théorie de l'origine romaine de Saint Arnulf et la fiction par laquelle on a prétendu rattacher les Carolingiens aux Mérovingiens. Voir aussi un article récent de l'abbé VACANDARD sur Saint-Wandrille, qui aboutit aux mêmes conclusions (Revue des quest. hist., 1900, t. I, p. 214-228). FUSTEL DE COULANGES croit cependant que l'impossibilité n'est pas absolue (Les Transformations de la royauté à l'époque carolingienne, p. 123 et suivantes).

[14] Ann. Bert., a. 849-850. — L'établissement des Sarrasins à Fraxinetum a été longuement raconté par LIUDPRAND (Antapodosis, livre I). Cf. POUPARDIN, Le Royaume de Provence sous les Carolingiens, p. 248 et suivantes.

[15] ERMOLD LE NOIR, l. IV, vers 11-13.

[16] Voir la Translation des reliques de Saint-Waast dans BOUQUET, t. IX, p. 112.

[17] Ann. Bert., a. 845, 851, 857, 861.

[18] Ann. Bert., a. 853 ; REGINONIS Chron. SS. I, p. 568-569 ; Ann. Bert., a. 856.

[19] Ann. Bert., a. 844, 848, 849.

[20] Ann. Bert., a. 846, 850, 852, 857, 859, 864. — Les pirates normands finirent par trouver le chemin du détroit de Gibraltar, el, faisant le tour de l'Espagne, débarquèrent dans la Camargue où ils donnèrent la main ans Sarrasins (Ann. Bert., a. 848, 859-861, 869). Cf. DELARC, Les Scandinaves en Italie, 859-862 (Rev. quest. hist., t. XXXI, p. 193-217).

[21] Ann. Bert., a. 844.

[22] Ann. Tiliani (SS. I, p. 223-224) ; Ann. laur. met. 2, a. 782, 822.

[23] Ann. Bert., a. 844, 848, 851, 857 ; Ann. Fuld., a. 849, 851, 855, 856, 858-860, 864, 869.

[24] HADRIANI II Epist. (MIGNE, P. L., t. CXXII, col. 1307-1308).

[25] C'est de cette façon que les Annales de Saint-Bertin expliquent la révolte des fils de Louis le Germanique contre leur père en 873. Le vieux roi tenait son assemblée à Francfort, et il avait auprès de lui ses fils Charles et Louis. Charles effrayé s'enfuit dans une église, mais le diable le suit, finit par lui donner la communion et par prendre possession de son âme (Ann. Bert., a. 873). En réalité, le futur Charles le Gros eut une attaque d'épilepsie, dont on peut reconnaître aisément les symptômes, en analysant le texte des Annales de Fulde qui confirme et complète celui des Annales de Saint Bertin.

[26] Ann. Fuld., a. 858.

[27] Lettre du synode de Kiersy à Louis le Germanique, 5 (KRAUSE, Cap., p. 430). Plus tard, les soldats de Louis, fils du Germanique, qui avait envahi les Etats de sort cousin Louis de France jusqu'à Verdun, commirent, eux aussi, de tels exploits (Ann. Bert., a. 879).

[28] Libellus proclamationis adversus Wenilonem, 5 (KRAUSE, Cap., p. 451) ; Ann. Bert., a. 858. — Cf. DELARC, art. cité, p. 200.

[29] Ann. Fuld., a. 858.

[30] Nous citerons en particulier les récits d'AIMOIN, moine de Saint-Germain près de Paris, et les Lamentations sur la désolation du royaume, d'ALMANN, moine de Hautvillers (ÉBERT, o. c., t. II, p. 390, t. III, p. 216-218). Nous laisserons de côté ces écrits, en raison de leur caractère déclamatoire et de leurs exagérations, pour nous borner à repose des faits essentiels d'après les Chroniques et les Annales.

[31] Ann. Bert., a. 845, 869 ; Ann. Fuld., a. 845.

[32] Ann. Bert., a. 858.

[33] Ann. Bert., a. 860, 861, 864, 866. — Cf. Edictum compendiense de tributo nortmannico (KRAUSE, Cap., p. 354).

[34] Ann. Bert., a. 843, 845, 846 ; Ann. Fuld., 850, 868, 874 ; Ann. Xanten., a. 852-853.

[35] Ann. Fuld., a. 874 ; REGINONIS Chron. (SS. I, p. 585).

[36] Ann. Fuld., a. 874. Ce fut la famine la plus terrible avec celle de 868 (Ann. Fuld., a. 868 ; Annales Sanctæ Columbæ senonensis, a. 868. SS. I, p. 103).

[37] Le document le plus complet sur ce sujet est fourni par la lettre qu'Hincmar écrivit au roi Charles le Chauve communi episcoporum nomine... de coercendo et exstirpando raptu viduarum, puellartum, ac sanctimonialium, art. 4-8 (MIGNE, P. L., t. CXXV, col. 1020-1023).

[38] HINCMARI Opera (MIGNE, P. L., t. CXXVI, col. 129). Cf. De coercendis militum rapinis (MIGNE, P. L., t. CXXV, col. 953).

[39] HINCMARI Epist. XII, ad Nicolaum papam (MIGNE, P. L., t. CXXVI, col. 90). Charles le Chauve, dans les Capitula pistensia, et Jean VIII, dans l'une de ses lettres, parlent, aussi des troubles causés par les faux chrétiens (KRAUSE, Cap., p. 303 ; MIGNE, P. L., t. CXXVI, col. 60).

[40] Ann. Bert., a. 837, 864.

[41] Ann. Bert., a. 861-864 ; Ann. Fuld., a. 831-863.

[42] Ann. Fuld., a. 863.

[43] Ann. Bert., a. 836 ; Ann. Fuld., a. 865-860.

[44] Ann. Fuld., a. 871-872 ; Ann. Bert., a. 872.

[45] Ann. Fuld. ; Ann. Bert., a. 869.

[46] RAOUL GLABER, Hist., I, V, 19, éd. Prou. — On repousse généralement le témoignage de Glaber pour lui préférer ceux de Dudon et de Guillaume de Jumièges qui font d'Hastings un Normand, sans penser que le moine bourguignon était à même d'être bien renseigné sur ce qui se passait en Champagne et pouvait connaître un détail que les autres chroniqueurs ignoraient.

[47] Ann. Bert., a. 878.

[48] HINCMAR, Instructio ad Ludowicum balbum, 8 (MIGNE, P. L., t. CXXV, col. 987). Cf. Ann. Bert., a. 881.

[49] Sur les causes de l'opposition faite par les grands à la seconde expédition de Charles le Chauve en Italie, consulter BOURGEOIS, Le Capitulaire de Kiersy-sur-Oise, p. 81 sq. — On sait très exactement comment. Louis le Bègue, Louis III et Carloman furent élevés à la royauté grâce, aux Annales Bert., ann. 877 sq., et au procès-verbal de l'élection de Louis le Bègue à Compiègne, qui nous est heureusement parvenu (KRAUSE, Cap., p. 364-365). Louis le Bègue s'y intitule roi par la miséricorde de Dieu et l'élection populaire. Or, par peuple, il faut entendre depuis longtemps l'aristocratie avec sa clientèle (FAUGERON, De fraternitate..., p. 51). Le principal personnage du royaume, qui a supplanté Hincmar dans la direction des affaires, est Hugues l'abbé (BOURGEOIS, Hugues l'abbé, p. 35 ; PROU, De ordine palatii, p. XI-XVII), et il s'est fait une spécialité de la guerre contre les Normands.

[50] HINCMAR, Lettre au pape Hadrien II (MIGNE, P. L., t. CXXVI, col. 641).

[51] Elections de Louis le Bègue, de Boson, de Louis de Provence (KRAUSE, Cap., p. 364, 367, 376).

[52] C'est le fond de toutes les lettres et de tous les traités d'HINCMAR. Voir en particulier le début du De ondine palatii. Ailleurs il parle avec émotion de : Quando in amplitudine et unitate regni prospere agebantur interfui (Ad proceres regni, MIGNE, P. L., t. CXXV, col. 993).

[53] HINCMAR, Instructio ad Lud. balb., 6 : Ad episcopos de institutione Carolomanni (MIGNE, P. L., t. CXXV, col. 986, 1015). Le sentiment que l'archevêque de Reims prête le plus généralement à l'aristocratie est la cupidité (cupiditas).

[54] La manière dont les seigneurs s'arrangeaient pour s'emparer subrepticement des villas royales devait surtout frapper l'attention des habitants et les édifier. On a un exemple du procédé dans l'histoire de la villa Noviliacum, qui appartenait en dernier lieu à l'archevêché de Reims (HINCMAR, De villa Nociliaco, MIGNE, P. L., t. CXXV, col. 1224).

[55] BOURGEOIS, Le Capitulaire de Kiersy-sur-Oise, p. 261.

[56] Un poème, dont l'auteur est resté inconnu, célèbre en pleine anarchie Pépin, Charlemagne, Louis le Pieux et ses fils, comme des sauveurs, comme ceux grâce auxquels le principe d'autorité fut et demeure respecté (De principibus Francorum. Poet. lat., t. II, p. 672-974).

[57] Ann. Bert., a. 881-882 ; Ann. Fuld., a. 881 ; REGINONIS Chron. SS. I, p. 593. Voir le poème en langue tudesque sur la bataille de Saucourt (texte et traduction dans WARNKÖNIG et GÉRARD, t. II, p. 286-302).

[58] Ann. Fuld., a. 849.

[59] Rastizès fut pris en 870 et privé de la vue (Ann. Fuld., a. 870), mais sa disparition ne mit pas fin à la guerre, et les années qui suivirent comptèrent au contraire parmi celles où Louis le Germanique rencontra le plus de difficultés et subit les plus grands malheurs. Ainsi deux armées bavaroises furent complètement massacrées en 871 et 872 (Ann. Fuldenses). Brave comme ses cousins, les fils de Louis le bègue, Louis II de Germanie se rendant à l'entrevue de Gondreville, tailla en pièces les Normands qui voulaient l'empêcher de passer (Ann. Bert., a. 880) ; la même année, Poppo comes et dux Sorabici limitis remporta une grande victoire sur les Slaves (Ann. Fuld., a. 880). D'ailleurs, pour toutes ces guerres, il n'y a qu'à lire les trois volumes de DÜMMLER, dont elles occupent une bonne partie.

[60] DESDEVISES DU DÉZERT, Loup de Ferrières, p. 3.

[61] REGINONIS Chron. (SS. I, p. 568).

[62] AIMOIN, De miraculis sancti Germani, I, 1 (MIGNE, P. L., t. CXXVI, col. 1029) ; Ann. Xanten. SS. II, p. 233.

[63] Ann. Fuld., a. 874.

[64] MONACH. SANGALL., II, 12.

[65] Capitulare missorum generale, 802, cap. 5 (BORETIUS, Cap., p. 93).

[66] Voir notamment le curieux traité d'Agobard intitulé : Contra insulsam vulgi opinionem de grandine et tonitruis (MIGNE, P. L., t. CIV, col. 147 sq.), l'Indiculus superstitionum (BORETIUS, Cap., p. 223), plusieurs lettres adressées par les évêques à Charlemagne (JAFFÉ, Monumenta carolina, p. 396, 411, 459), la partie de l'Episcoporum ad Hl. imp. Rel. de 829, intitulée : De his quæ populo adnuntianda sunt, surtout les §§ 35 et 38 (KRAUSE, Cap., p. 39-40) etc., etc.

[67] Ann. Fuld., a. 847. C'est un texte à ajouter à tous ceux qui prouvent que la terreur de la fin du monde est bien antérieure à l'an mil.

[68] Charlemagne figure à la date du 28 janvier dans les martyrologes de RABAN et d'USUARD (MIGNE, P. L., t. CX, p. 1130, CXXIII, p. 705). RIMBERT écrivant après 865 la Vie de Saint Anschaire, raconte que celui-ci quitta le monde et entra au couvent, quand il apprit la mort de Charlemagne (Vita Anskarii, 3. SS. t. II, p. 691).

[69] Poeta Saxo, l. V, vers 117-120. — Terminant la première partie de sa chronique, REGINO déclare : Hæc quæ supra expresse sunt, in quodam libello reperi, plebeio et rusticano sermone cornposita, quæ ex parte ad latinam regulam correxi (REGINONIS Chron. SS. I, p. 566). Or, cette partie est conforme au texte des Annales de Lorsch. Cf. PARIS, Histoire poétique de Charlemagne, p. 48-51.

[70] MON. SANGALL., De gestis Caroli Magni, l. II, Préface.

[71] Comme importance, le moine de Saint-Gall occupe incontestablement le premier rang (G. PARIS, p. 38 et suivantes ; ÉBERT, t. III, p. 228 et suivantes). La Continuatio Erchanberti, dont l'auteur était vraisemblablement Souabe, offre avec le De Gestis Caroli magni de curieuses analogies (SIMSON, Iahrb. d. fr. Reiches unter Karl dem Grossen, t. II, p. 612-615). Le Libellus de imperatoria potestate in urbe Roma, composé en Italie en 897 ou 898 (LAPÔTRE, L'Europe et le Saint-Siège, p. 196) présente un Charlemagne déjà très légendaire. Le Poète saxon versifie et répand sous la forme nouvelle qu'il lui a donnée la Vita Karoli d'Éginhard. Enfin, la Chronique du moine lorrain REGINO, faite en grande partie, au moins depuis 813, d'après les traditions recueillies par l'auteur et ses propres observations (ÉBERT, t. III. p. 243) restitue bien les espérances ou les regrets que l'empire carolingien suggérait encore vers la fin du IXe siècle.

[72] Le point de vue universel est constant dans la Chronique de REGINO ; de même dans la Chronique d'ADON DE VIENNE (SS. II, p. 315-323).

[73] MON. SANGALL., II, 16 ; REGINONIS Chron., SS. I, p. 593, 597.

[74] REGONONIS Chron., Pref. (SS. I, p. 513). Cf. MON. SANGALL., I, 10.

[75] MON. SANGALL., II, 16.

[76] MONOD, Sources de l'histoire carolingienne, p. 161-165 : Le Poète saxon.

[77] Poeta saxo, livre V, vers 413-414.

[78] Poeta saxo, livre V, vers 23-28.

[79] Pœta saxo, l. IV, vers 113-114.

[80] Poeta saxo, l. V, vers 635-662.

[81] MON. SANGALL., I, 25, 26, 27 ; II, 9, 17.

[82] MON. SANGALL., I, 16.

[83] MON. SANGALL., I, 3, 18-20.

[84] Voir LÉON GAUTIER, Les Épopées françaises, t. III, p. 156-160.

[85] MON. SANGALL., I, 33,26, 19. Charlemagne est encore transformé en une sorte d'épouvantail aux § 26 du t. I et 11 du t. II.

[86] Voir LÉON GAUTIER, Les Épopées françaises, t. III, p. 119-120.

[87] MON. SANGALL., I, 11.

[88] Libellus de imperatoria potestate (SS. III, p. 720-721).

[89] Le moine de Saint Gall place ces paroles dans la bouche de Charlemagne recevant une ambassade byzantine : O ! utinam non esset ille gurgitulus inter nos ; forsitan divitias orientales aut partiremur, aut pariter participando communiter haberemus ! (MON. SANGALL., I, 26). Ailleurs, II, 8, il raconte que des ambassadeurs persans venus à la cour, adressèrent à l'empereur le petit discours que voici : Magna quidem est, o imperator, potentia restra, set multo minor rumore quo apud Orientalia regna diffamati pollens. Bref, le seul souvenir de son nom suffit pour qu'après sa mort les Normands, vigoureusement comprimés par lui, continuassent à honorer son fils, pacifique Salomon, et à lui payer tribut (MON. SANGALL., II, 19).

[90] MON. SANGALL., I, 13.

[91] SEDULII SCOTTI Carmina, XII, XIV (Poet. lat., t. III, p. 180-183). Le même poète s'adressant à Charles, fils de Lothaire, le loue en ces termes : Hic novus est Karolus Karoli de semine magni (Poet. lat., t. III., p. 189).

[92] JOANNIS VIII Epist. CXV, MIGNE, P. L., t. CXX VI, col. 789 ; Ann. Wirtzburgenses. SS. II, p. 240. C'est au XIIe siècle seulement que Charles reçut le surnom de crassus (Voir les textes rassemblés à ce sujet par DÜMMLER, t. III, p. 291, n. 2).

[93] Après la mort de Carloman, survenue le 22 mars 880 (BŒHMER-MÜHLB., Reg. 1505 c), ses États avaient été recueillis par Louis, son frère cadet (Ann. Fuld., a. 879). Lorsque celui-ci fut mort à son tour, le 20 janvier 882 880 (BŒHMER-MÜHLB., Reg. 1554 a), Charles le Gros recueillit d'un seul coup tout ce qui lui manquait de l'héritage paternel (Ann. Fuld., a. 882). Cet évènement s'accomplit à la fin du mois d'avril 832 880 (BŒHMER-MÜHLB., Reg. 1503 a).

[94] HINCMARI Epist. ad Carolum III imperatorem (MIGNE, P. L., t. CXXV, col. 989).

[95] Ann. Fuld. contin. ratisbon., a 885. — Ann. Vedastini, a. 885. SS. II, p. 201). — REGINONIS Chron., a. 884 (SS. I, p. 594). REGINO se trompe, en plaçant la prestation de serment à Gondreville (BŒHMER-MÜHLB., Reg. 1657 a). — Charles le Gros avait déjà rencontré Hugues l'abbé et les chefs de l'aristocratie franque à Worms en 832, quand ils vinrent lui demander de restituer à Carloman une partie de la Lorraine, comme il Pavait promis (Ann. Bert., a. 882 Cf. PARISOT, o. c. p. 455, 464). A la fin de 835, il eut, encore à Worms, un entretien avec plusieurs évêques et comtes de son nouveau royaume (Ann. Fuld., a. 885).

[96] REGINONIS Chron., a. 888 (SS. I, p. 598).

[97] FAUGERON (De Fraternitate, p. 11-22) a apprécié cet évènement en excellents termes.

[98] REGINONIS Chron. (SS. I, p. 597).

[99] REGINONIS Chron., a. 880 (SS. I, p. 591).

[100] ABBON, Bella paris acœ urbis, l. I, vers 48-50.

[101] MON. SANGALL., II, 14. — Il n'est pas douteux que la France occidentale se donna à Charles, parce qu'elle espérait de la sorte être plus facilement délivrée des Normands. (REGINONIS Chron. SS. I, p. 594 ; ABBON, Bella parisiacœ urbis, l. I, vers 48-50, l. II, vers 163-166).

[102] Ce vœu est exprimé à la fois par le moine de Saint Gall, II, 14 et le continuateur d'ERCHANBERT (SS. II, p. 330).

[103] Voir les dernières lettres de Jean VIII à Charles le Gros, où il l'adjure d'aller plus loin que Pavie, et lui déclare que l'Italie n'a jamais tant souffert que depuis son avènement à l'empire (MIGNE, P. L., t. CXXVI, col. 929, 935, 948, 957).

[104] Ann. Bert., a. 882 ; Ann. Fuld., a. 881-882.

[105] Lorsqu'en 887 Charles le Gros vit qu'Arnulf allait le dépouiller, il se prépara à combattre, mais la trahison se mit parmi ses troupes et l'obligea accepter sa destinée (Ann. Fuld. contin. ratist., a. 887). On lui prêta un moment l'intention de choisir comme héritier un entant du nom de Bernard, qu'il aurait eu d'une concubine, et de vouloir s'entendre pour cela avec le pape ; mais c'était un simple bruit (Ann. Fuld., a. 885). Ce qui est certain, c'est qu'à la fin de son règne, l'empereur voulut léguer tous ses États à un petit prince carolingien, le fils de Boson et d'Hirmingarde, par conséquent le petit-fils de Louis II (Ann. Fuld. contin. ratisbon., a. 887).

[106] MON. SANGALL., I, 18. Cf. RATPERT, Casus S. Galli., II, 74.

[107] Ann. Fuld., a. 887.

[108] Les sources de l'histoire de Charles le Gros et de Liutward sont au nombre de cinq principales : les Annales de Saint Bertin et de Saint-Waast, la Chronique de Regino, la continuation d'Erchanbert, les Annales de Fulde et leur continuation désignée sous le nom de Continuation bavaroise ou de Ratisbonne et d'Altaich. Les Annales de Saint Bertin donnent peu de choses, et elles sont nettement hostiles à l'Empereur ; la Chronique de Regino qui est bien documentée, et la Continuation d'Erchanbert qui l'est moins, lui sont au contraire favorables ; les Annales de Fulde, dont l'importance est supérieure à celle des autres sources, représentent les deux opinions. Il est curieux que ce soit l'Annaliste malveillant pour Charles le Gros qu'on ait toujours suivi, sans tenir compte des excellentes raisons qui le rendent suspect. Comme l'ont montré Rethfeld et Kurze, cet annaliste n'est autre que Méginhard, un moine dévoué à l'archevêque de Mayence, Liutbert, l'ennemi acharné de Liutward et son rival dans l'exercice du pouvoir (RETHFELD, Ueber die Ursprung des zweiten dritten und vierten Theils der sogenannten Fuldischen Annalen, Halle, 1886 ; KURZE, Uber die Annales fuldenses. N. Archiv., t. XVII, p. 83-138, et Préface de l'édition des Annales Fuldenses in usum scholarum, p. V-VII). Méginhard, qui a été chargé de la rédaction des Annales de Fulde après la mort de Rudolfe (864), reste modéré dans ses appréciations sur le gouvernement jusqu'en 882, c'est-à-dire jusqu'au moment où Liutbert doit céder la place à Liutward ; alors il change de ton pour complaire à son protecteur, et c'est ce changement de ton qui a fait croire pendant longtemps qu'il y avait aussi changement d'auteur (WATTENBACH, t. I, p. 215 ; ÉBERT, t. III, p. 237). Peut-être encore le moine de Fulde et son évêque étaient-ils mécontents, parce que les Églises étaient appelées à fournir une partie de l'argent donné aux Normands (Ann. Fuld., a. 882. Cf. EBERT, loc. cit.) L'irritation d'Hincmar contre Charles le Gros, qui se manifeste avec excès dans les dernières pages des Annales de Saint-Bertin (Ann. Bert., a. 882), n'aurait pas eu d'autre cause.

[109] JOANNIS VIII Epist, CCLX, CCCI (MIGNE, P. L., t. CXXVI, col. 893, 914). Cf. JAFFÉ, Reg. n° 3288, 3327, 3336.

[110] Ann. Fuld. contin. ratisbon., 887. — REGINONIS Chron., 887.

[111] Ann. Fuld., a. 887. — On ne manqua pas d'accuser Richarde d'avoir avec Liutward des relations coupables (REGINONIS Chron. SS. I, p. 597), mais cette accusation avait des causes politiques, comme celle qui fut portée contre Judith, et elle ne semble pas reposer sur un fondement plus sérieux.

[112] La plupart des lettres d'Étienne V ont été récemment découvertes et publiées dans la collection britannique (EWALD, Die Papstbriefe der brittischen Sammlung. N. Archiv., t. V, p. 399-414). Voir aussi JAFFÉ, Reg. n° 33S6-3472, et L. P. Stephanus V (éd. DUCHESNE, t. II, p. 191-196). — Sur l'élection de Marin, on ne possède que des renseignements contradictoires. Méginhard dit que Marin fut substitué à Jean VIII contra statuta canonam, mais le Continuateur bavarois raconte les choses comme si elles s'étaient passées normalement (Ann. Fuld., a, 882-883). Il est impossible d'expliquer cette contradiction. BAYER croit que le consentement impérial fut attendu (Les Élections pontificales, p. 100) ; GREGOROVIUS, t. III, p. 208, se résigne à ne rien savoir. Quant à Hadrien III, les circonstances de son élection sont entièrement ignorées.

[113] On remarquera les raisons du voyage d'Étienne V, telles que les donne Méginhard (Ann. Fuld., a. 885). De même qu'Hadrien III, Marin et Étienne V furent convoqués par Charles le Gros aux assemblées qu'il tenait, soit en Germanie, soit en Italie (Ann. Fuld. contin. ratisbon., a. 883 ; JAFFÉ, Reg. 3428).

[114] L. P. Stephanus V, 4.

[115] L. P. Stephanus V, 4-5.

[116] Ann. Fuld., a. 885. — Lorsque les Romains étaient venus chercher Étienne dans la maison où il se tenait enfermé, afin de l'acclamer, le missus impérial était avec eux (L. P. Stephanus V, 4).

[117] JAFFÉ, Reg. n° 3412, — Cet usage d'envoyer des rameaux bénis aux princes et aux rois semble avoir été très en honneur à la cour pontificale pendant la seconde moitié du IXe siècle (Voir lettres de Léon IV et de Jean VIII dans EWALD, N. Archiv., t. V, p. 307, 312, 378).

[118] Le lieu de naissance de Liutward est inconnu. Il apparaît pour la première fois dans une lettre de Jean VIII du 16 août 879, qui le nomme évêque, sans une désignation précise (JOANNIS VIII Epist. CCLX ; JAFFÉ, Reg., 3288). DÜMMLER, t. III, p. 100, n. 4, croit qu'il était souabe, mais les preuves, que cet historien donne à l'appui de son affirmation, ne sont pas très concluantes. Au mois d'octobre 879, Joseph, évêque de Verceil, fut déposé et remplacé par un certain Kospert, dont le choix fut ratifié le mois suivant par Charles le Gros (JAFFÉ, Reg. n° 3305-3306, 3313). Le nouveau prélat ne resta pas longtemps en fonctions, car Liutward est appelé évêque de Verceil dans une lettre de Jean VIII du 20 juin 880 (MIGNE, P. L., t. CXXVI, col. 902). L'influence qu'il exerça sur le règlement des affaires italiennes, ressort de tous les documents et en particulier des Lettres des papes. Ou bien il remplace l'empereur, ou bien il le précède, et, dans tous les cas, c'est à lui qu'on s'adresse (JOANNIS VIII Epist. MIGNE, t. CXXVI, col. 883, 902, 914, 949-950 ; STEPHANI V Epist. JAFFÉ, Reg. n° 3413 ; Ann. Bert., a. 882 ; Ann. Fuld., a. 881 ; Ann. Fuld. contin. ratisbon., a. 886).

[119] Ann. Fuld. contin. ratisbon., a. 883 ; Ann. Fuld., a. 883 ; ERCHEMPERT, Hist. Langob., 79.

[120] Ann. Fuld. contin. ratisbon., a. 883.

[121] Ann. Fuld. contin. ratisbon., a. 884-885.

[122] Ann. Fuld. contin. ratisbon., a. 884. Cf. BŒHMER-MÜHLB., Reg. n° 1672 b.

[123] REGINONIS Chron. a. 882 (SS. I, p. 593).

[124] Ann. Fuld., a. 882.

[125] On ignore le chiffre exact des contingents rassemblés par Charles le Gros, mais tous les chroniqueurs et les annalistes s'accordent pour reconnaitre qu'ils formaient une troupe considérable.

[126] La trahison des Francs d'avant-garde est rapportée par le Continuateur bavarois des Annales de Fulde. Il fallait qu'elle fût sérieuse pour faire reculer des soldats comme Arnulf et Henri, dont personne n'a jamais songé à nier le courage militaire.

[127] Ce n'était pas un abri provisoire et construit à la hâte : c'était un fort (munitio, firmitas).

[128] Tel est le récit très simple des évènements, tel qu'il est fait par le Continuateur bavarois des Annates de Fulde. Nous le préférons, sans hésiter, au réquisitoire haineux de Méginhard. D'après ce dernier, c'est Liutward, un soi-disant évêque (pseudoepiscopus), de complicité avec un autre fourbe, le comte Wibert qui, payé par les Normands, présenta Gotefrid à Charles le Cros à l'insu des autres conseillers de l'empereur. Pendant que celui-ci négociait avec le chef normand en ami, quelques soldats qui, confiants dans la trêve, s'étaient introduits dans le camp ennemi pour faire du négoce, furent massacrés. Ces soldats étaient-ils aussi bien intentionnés que Méginhard le prétend ? Il n'y parait pas, puisqu'il y en avait dans le nombre qui désiraient surtout connaître la position des Normands. En tout cas, l'empereur considéra l'injure comme négligeable, tint Gotefrid sur les fonts du baptême.

[129] Ann. Fuld., a. 882. Cf. Ann. Bert., a. 882 ; Ann. Vedastini, a. 882.

[130] Ann. Fuld., a. 882 ; Ann. Fuld. contin. ratisb., a. 882 ; Ann. Bert., a. 882. — Seul l'annaliste hincmarien raconte que Charles le Gros abandonna une partie de son royaume et de celui de son cousin Carloman aux Normands pour la piller (Ann. Bert., a. 882).

[131] Ann. Vedastini, a. 882 ; REGINONIS Chron., a. 882. — DÜMMLER, t. III, p. 203 n. 1, rejette sans raison suffisante le témoignage de ces deux sources.

[132] Ann. Fuld. contin. ratisb., a. 882. — Le baptême de Gotefrid est rapporté par toutes les sources. Plus tard, lorsque le chef normand révolté contre l'empereur et craignant un châtiment demanda le pardon, il fit savoir que, si l'on voulait in ea quam pollicitus fuerat fidelitate perseverraret, finesque regni sibi commissos ab incursione propriæ gentis defenderet (REGINONIS Chron., a. 885).

[133] Ann. Fuld. contin. ratisb., a. 882 ; Ann. Bert., a. 882. — Il y eut encore à ce moment une campagne heureuse du comte Henri contre les Normands.

[134] Ann. Vedastini, a. 885. Cf. REGINONIS Chron. SS. a. 884 ; Ann. Fuld. contin. ratisb., a. 883-884.

[135] REGINONIS Chron., a. 885 ; Ann. Fuld., a. 883-885.

[136] Ann. Full. contin. ratisb., a. 884.

[137] BŒHMER-MÜHLB., Reg. n° 1633 d, 1638 a.

[138] Ann. Fuld. Contin. ratisb., a. 884.

[139] REGINONIS Chron., a. 885 ; Ann. Fuld. contin. ratisb., a. 885 ; Ann. Fuld., a. 885.

[140] Ann. Vedastini, a. 886. REGINONIS Chron. (SS. I, p. 596). — Le siège de Paris, qui commença le 24 novembre 885 et dura jusqu'au mois d'octobre de l'année suivante, a été raconté par DÜMMLER (t. III, p. 259-273) et surtout par FAVRE (Eudes, comte de Paris et roi de France, p. 68). Selon Favre (p. 51), Henri réussit du moins à ravitailler la place.

[141] Gozlin mourut le 16 avril, et Hugues l'abbé un mois après, le 19 mai (FAVRE, Eudes, p. S4 ; BOURGEOIS, Hugues l'abbé, p 42).

[142] Ann. Fuld., a. 886.

[143] Ann. Vedastini, a. 836 ; cf. ABBON, Bella parisiacæ urbis, II, vers 163-165. On était alors dans la seconde moitié du mois de mai (FAVRE, p. 53).

[144] L'impression factieuse produite sur Charles le Gros et sur toute l'armée par la mort d'Henri et l'arrivée de Sigefrid, est rendue dans les Annales (Ann. Vedastini, a. 886 ; Ann. Fuld., a. 886).

[145] On s'est demandé pendant longtemps quelle était la situation officielle du comte Henri. Les Annales et les Chroniques le qualifient de dux Austrasiorum ou simplement de dux (Ann. Vedastini, a. 886 ; REGINONIS Chron., a. 884). Il y a accord aujourd'hui pour admettre qu'il fut une sorte de généralissime des armées impériales (DÜMMLER, t. III, p. 168-169 ; PARISOT, p. 469).

[146] REGINONIS Chron. a. 887. — Ann. Vedastini, a. 886.

[147] REGINONIS Chron. a. 867. — Ann. Fuld., a. 886. — Ann. Vedastini, a. 886. Il semble bien que la Bourgogne, qui était en train de se constituer à l'état de duché, refusa d'envoyer son contingent à l'armée de secours qui se trouvait sous les murs de Paris (WENCK, Die Erhebung Arnulfs, p. 12, n. 5). Ainsi s'explique le mot d'Abbon : Pigra o Burgundia bello (ABBON, Bella parisiacæ urbis, II, vers 344).

[148] DÜMMLER, t. III, p, 181, définit justement Charles le Gros un prince pieux et pacifique, mais, comme il part de ce principe qu'il fallait à la tête de l'empire un soldat toujours prêt à tirer l'épée, il ne le comprend pas ; d'autre part, il adopte dans l'affaire d'Elsloo la version de Méginhard. Il en est de même de MÜHLBACHER (Deutsche Gesch. unter den Karolingern, p. 59S-599) et de PARISOT (Le Royaume de Lorraine, p. 463-468). Et cependant, l'attention de ce dernier, qui reconnaît (p. 48) que Charles n'a pas été un souverain inactif, s'est trouvée un moment attirée par l'invraisemblance de certains faits On a peine à comprendre, dit-il (p. 466), que Charles le Gros ait pu écouter les conseillers qui l'engageaient à se couvrir de déshonneur, qu'Arnulf et le comte Henri n'aient pas su empêcher la conclusion de cette paix humiliante. A signaler un jugement plus modéré et qui se rapproche du nôtre : L'accusation la plus grave qu'on ait portée contre Charles le Gros, c'est de s'être montré pusillanime et biche devant les Normands, surtout en n'osant pas les attaquer sous les murs de Paris. Il est peut-être perlais de se demander s'il n'avait pas été condamné plutôt à l'impuissance par la maladie dont il souffrait depuis longtemps (ECKEL, Charles le Simple, p. 4).

[149] REGINONIS Chron., a. 887. — Ann. Fuld., a. 886. — Ann. Fuld. contin. ratisb., a. 887. — Est-il besoin de rappeler qu'à la même époque l'empereur déclara publiquement qu'il n'avait jamais eu aucun rapport charnel avec sa femme ? (REGINONIS Chron., a. 887). Au reste, Charles le Gros avait ressenti depuis longtemps les premières atteintes de son mal, témoin la terrible crise attribuée à une influence diabolique, qu'il eut à Francfort en 873, en pleine assemblée. Six hommes vigoureux purent à peine le contenir, et il cherchait ales mordre, en polissant des cris affreux (Ann. Fuld. ; Bert. ; Xanten., a. 873).

[150] C'était une politique analogue à celle des Romains installant les barbares comme fédérés sur les frontières de l'Empire. A quelques siècles de distance, les mêmes causes produisaient les mêmes effets.

[151] Ann. Bert., a. 882.

[152] Ann. Fuld., a. 882.

[153] Voir les termes dans lesquels Nicolas Ier légitime la politique d'entente avec les barbares ; il rappelle aussi qu'elle a été pratiquée par Charlemagne (NICOLAI I, Epist. CXIV, ad Ludovicum II imperatorem (MIGNE, P. L., t. CXIX, col. 1119, a. 858-867). Dès 838, Horic le Danois demandait à Louis le Pieux comme prix de ses services sibi dari Frisianos atque Abodritos (Ann. Bert., a. 838). Lothaire installa, en 841, dans l'ile de Walcheren et aux environs, un certain Hérold, probablement celui qui avait été baptisé à Ingelheim (Ann. Bert., a. 841. Cf. PARISOT, p. 60-61).  Charles le Chauve accueillit de même le Normand Gotefrid (Ann. Fuld., a. 850), et, après la victoire d'Angers de 873, permit aux Normands baptisés de rester sur la Loire pour faire le commerce (Ann. Bert., a. 873). Nous ne sommes pas assez bien documentés sur Charles le Gros pour pouvoir dire jusqu'à quel point il appliqua cette politique, mais il semble qu'il y ait eu entre lui et les envahisseurs de fréquentes négociations auxquelles étaient employés des Normands convertis (Ann. Vedastini, a. 883-884).

[154] D'ailleurs, lorsque Charles le Gros se rendit compte que c'était un ennemi qu'il avait introduit en réalité dans l'empire, il n'eut qu'un souci, celui de s'en débarrasser par tous les moyens (REGINONIS Chron., a. 885).

[155] L'horreur, que l'Annaliste de Fulde éprouve à cette pensée, parait sincère ; elle explique et excuse en partie son hostilité contre Charles le Gros. Un demi-siècle avant, lorsque les premiers essais de rapprochement eurent lieu entre les Normands et l'Empire, Prudence, évêque de Troyes, qui rédigeait alors les Annales de Saint Bertin, ne les jugea pas autrement (Ann. Bert., a. 838, 841).

[156] REGINONIS Chron., a. 883. — L'analogie, qui existe entre le traité conclu à Etsloo par Charles le Gros avec Gotefrid et celui que signèrent plus tard Charles le Simple et Rollon, est frappante. En 921 comme en 882, le chef normand promet de renoncer à ses courses dévastatrices, moyennant la cession d'un territoire, d'ailleurs perdu pour la France comme la Frise l'était depuis longtemps pour l'Empire ; il accepte le baptême et le reçoit eu effet l'année suivante des mains de l'archevêque de Rouen ; son union avec Gisèle est seule douteuse (Voir ECKEL, Charles le Simple, p. 75-85).

[157] REGINONIS Chron., a. 887. — Ann. Fuld. contin. ratisb., a. 887. — Ann. Vedastini, a. 887. — On remarquera qu'il ne s'agit que de l'Allemagne, et que la conduite des grands n'est pas unanimement approuvée (Ann. Fuld. contin. ratisb., a. 887).

[158] REGINONIS Chron., a. 887.

[159] On découvre très bien les éléments du complot dirigé par Liutbert, archevêque de Mayence, puis successeur de Liutward comme archichancelier, en rapprochant le texte de Méginhard et celui du continuateur bavarois (Ann. Fuld. ; Ann. Fuld. contin. ratisb., a. 887). Le soi-disant hérétique mourut toujours évêque de Verceil, en cherchant à arrêter les Hongrois qui avaient envahi l'Italie (REGINONIS Chron. SS. I, p. 609). Charles le Gros regretta de l'avoir abandonné, mais il était trop tard (BŒHMER-MÜHLB., Reg. n° 1713).

[160] REGINONIS Chron., a. 887. Cf. BŒHMER-MÜHLB., Reg. n° 1717 c.

[161] ERCHANBERTI Contin. SS. II, p. 330.

[162] REGINONIS Chron., a. 888.

[163] Bella parisiacæ urbis, II, vers 330-342.

[164] Ann. Fuld. contin. ratisb., a. 887. — Ann. Vedastini. a. 887. — REGINONIS Chron., a. 888.

[165] Ann. Fuld. contin. ratisb., a. 888 ; REGINONIS Chron., a. 888.

[166] REGINONIS Chron., a. 888. C'était la conclusion logique du traité de Verdun et des divers évènements, comme la lutte pour la possession de la Lorraine, qui, depuis un demi-siècle environ, avaient peu à peu donné réveil au sentiment national (Voir MONOD, De l'Opposition des races et des nationalités dans la dissolution de l'Empire carolingien, p. 8-17).

[167] Ann. Fuld. contin. ratisb., a. 890. Cf. BŒHMER-MÜHLBACHER, Reg. n° 1767, 1865.

[168] REGINONIS Chron., a. 891. Il y a un long récit de la bataille de Louvain dans les Ann. Fuld. contin. ratisb., a. 891, et DÜMMLER, t. III, p. 345 sq., a minutieusement raconté les campagnes d'Arnulf contre les Normands et les Slaves. Le combat des bords de la Dyle eut lieu entre le 9 octobre et le 1er novembre 891 (PARISOT, p. 497).

[169] Voir les excellentes pages que FAVRE a écrites sur ce sujet (Eudes, comte de Paris et roi de France, p. 110 sq.) Cf. DÜMMLER, t. III, p. 312 sq.

[170] Ann. Fuld. contin. ratisb., a. 888. — Cf. BŒHMER-MÜHLB., Reg., 1758 b.

[171] Ann. Fuld. cont. ratisb., a. 888 ; REGINONIS Chron., a. 888 ; BŒHMER-MÜHLB., Reg. 1753 a.

[172] Ann. Vedastini, a. 888. REGINO dit qu'Eudes fut fait roi cum consensu Arnolfi (SS. I, p. 593). FAVRE ne doute pas qu'il se fût reconnu l'homme du roi de Germanie (Eudes, p. 113).

[173] REGINONIS Chron., a. 893. — Ann. Vedastini, a. 894. — Ann. Fuld. contin. ratisb., a. 894.

[174] Arnulf avait ordonné aux évêques et aux comtes qui circa Mosam residebant, de prêter main-forte à Charles-le-Simple : mais ils s'y refusèrent (REGINONIS Chron. SS. I, p. 605 : cf. Ann. Vedastini, SS. II, p. 207), Eudes réunit son armée sur les rives de l'Aisne et empêcha les soldats d'Arnulf d'avancer. Deux ans après, il se rendit à Worms où le roi de Germanie tenait sa cour, et fut bien accueilli (Ann. Vedastini, SS. II, p. 207 ; REGINONIS Chron., SS. I, p. 606). Les Annales de Fulde considèrent cette démarche comme une sorte d'hommage de fidélité (Ann. Fuld. contin. ratisb., a. 895).

[175] Si l'on en croit l'Annaliste de Saint-Waast, un parti en France aurait même à un certain moment offert la couronne à Arnulf (Ann. Vedastini, SS. II, p. 204). Quant à l'équipée de Zwentibold, fils d'Arnulf, qui attaqua le royaume d'Eudes sous prétexte de secourir Charles le Simple et qui fut repoussé avec pertes, elle est toute personnelle à son auteur (REGINONIS Chron., a. 894 ; ABBON, Bella parisiacæ urbis, II, vers 577-579).

[176] REGINONIS Chron., a. 830.

[177] MONACH. SANGALL, II, 14 ; Pœta saxo, l. V, vers 124-123, 415 sq.

[178] Les circonstances, à la faveur desquelles Gui de Spolète devint roi d'Italie, sont assez bien connues. Voir : Ann. Vedastini, a. 888 ; REGINONIS Chron., a. 888 ; Gesta Berengarii, l. II (édition MGH. Pœtæ Latini) ; LIUDPRAND, Antapodosis, I, 14-17. Widonis Capitulatio electionis, dans KRAUSE, Cap, p. 104-106. — On ne possède aucun renseignement précis sur son couronnement impérial. La date du 21 février 891 est établie d'après un diplôme (JAFFÉ, Reg. n° 3464).

[179] WIDONIS imperatoris Capitulare papiense legibus addendum, 1er mai 891, art. 1 et 4. KRAUSE, Cap., p. 107.

[180] JAFFÉ, Reg. n° 3479. C'est par erreur que Regino (SS. I, p. 606) place le couronnement de Lambert après la mort de Gui. La date est celle du 30 avril 892 (JAFFÉ, Reg. n° 3479 ; Gesch. des ostfr. Reiches, t. III, p. 372, n. 2).

[181] LIUDPRAND, Antapodosis, I, 20-22 ; REGINONIS Chron., a. 888 ; Ann. Fuld. contin. ratisb., a. 888.

[182] Ann. Fuld. cont. ratisb., a. 893. Ibid., a. 890.

[183] Les sources sont : la Chronique de Regino et les Annales de Fulde (continuation bavaroise), dont les récits sont à peu près identiques, les Gesta Berengarii, l. III, et l'Antapodosis de Liudprand.

[184] REGINONIS Chron., a. 894. — Ann. Fuld. contin. ratisb., a. 894.

[185] LIUDPRAND, Antapodosis, I, 23 ; Gesta Berengarii, l. III, vers 80 sq. ; REGINONIS Chron., a. 894.

[186] LIUDPRAND, Antapodosis, I, 23-24. — REGINONIS Chron., a. 894. — Ann. Fuld. contin. ratisb., a. 894.

[187] BŒHMER-MÜHLB., Reg., n° 1842 a.

[188] Ann. Fuld. contin. ratisb., a. 894.

[189] Le séjour d'Arnulf à Plaisance est connu par la Chronique de Regino (SS. I, p. 606), les Annales de Fulde (continuation bavaroise) a. 894, et tel diplôme du 11 mars (BŒHMER-MÜHLB., Reg. n° 1843). Il n'est pas douteux que le roi de Germanie se fût rendu à Rome, si la chose eut été possible. Cf. LIUDPRAND, Antapodosis, I, 24.

[190] Ann. Fuld. contin. ratisb., a. 895.

[191] REGINONIS Chron., a. 894 ; Ann. Fuld. contin. ratisb., a. 594 ; LIUDPRAND, Antapodosis, I, 37.

[192] Ann Fuld. contin. ratisb., a. 896. — REGINONIS Chron., a. 896. — Au récit très détaillé de l'expédition d'Arnulf, tel qu'il existe dans les Annales de Fulde, il faut joindre, pour la résistance de Rome les renseignements donnés par LIUDPRAND, Antapadosis, I, 26-27. Le serment des Romains à leur nouvel empereur est dans KRAUSE, Cap., p. 123.

[193] BŒHMER-MÜHLB., Reg. 1861 h.

[194] REGINONIS Chron. a. 896. — Ann. Fuld. contin. ratisb., a. 896.

[195] LIUDPRAND, Antapodosis, I, 33. Même en admettant, ce qui est incontestable, qu'il y a dans ce récit une part d'exagération, il s'accorde trop bien avec ce que l'on sait du sac de Bergame en 894 pour être rejeté entièrement.

[196] LIUDPRAND, Antapodosis, I, 35.

[197] Ann. Fuld. contin. ratis., a. 896.

[198] BŒHMER-MÜHLB., Reg, n° 1903 b ; DÜMMLER, t. III, p. 473.

[199] Le procès-verbal de l'élection de Gui de Spolète, qui nous est heureusement parvenu, permet de se rendre exactement compte des conditions dans lesquelles ce prince fut élevé à la royauté et désigné du même coup pour l'Empire. Il apparaît comme un roi national, choisi par ses concitoyens parce qu'il est le plus brave et le plus capable de les protéger contre le péril extérieur (KRAUSE, Cap., p. 106). On devait craindre le mécontentement de la papauté irritée de ce que sa prérogative n'avait pas été reconnue, et c'est sans aucun doute pour prévenir son opposition que les évêques italiens imposèrent comme premier devoir au nouveau roi celui de conserver les privilèges de l'église romaine (WIDONIS Capitulatio electionis, art. 1. KRAUSE, Cap., p. 101). Étienne V et Formose consacrèrent Gui et Lambert, mais n'en restèrent pas moins hostiles à ces empereurs créés en dehors d'eux. Et c'est pourquoi, tout en protestant de leur dévouement à la maison de Spolète (Lettre de Formose à Foulques, archevêque de Reims, JAFFÉ, Reg. n° 3500), ils lui opposèrent un concurrent redoutable dans la personne d'Arnulf, sans se préoccuper de l'opinion des Italiens. — Sur Rome et Spolète, voir LAPÔTRE, L'Europe et le Saint-Siège à l'époque carolingienne, p. 177 sq., et DÜMMLER, t. III, p. 364-373.

[200] De bonne heure, dès l'année 869 où le péril sarrasin atteint sa plus grande intensité, on trouve le mot patrie employé par les chroniqueurs italiens (Chron. sancti Benedicti casinensis, 2, 3 ; ERCHEMPERT, Hist. Langob., 32). Liudprand parle à chaque instant des Italiens, du peuple italien, de l'aristocratie italienne (Antapodosis, I, 35, 37, 39 ; II, 32, 37, 39, 57, 60 ; III, 8, 14). Il est intéressant de constater cependant que les Italiens du Sud restent distincts de ceux du Nord, et qu'ils considèrent ceux-ci comme des Franci. Aller dans le Nord, c'est aller in Franciam : les Spolétains sont des Franci (Chron. sancti Benedicti casinensis, 5, 18, 22, 23).

[201] LIUDPRAND, Antapodosis, III, 6. — Ailleurs, Liudprand qualifie Pavie de tête du royaume (III, 8), et il déplore l'incendie dont elle a été victime (Ibid., III, 8). La renommée de cette ville était universelle au commencement du Xe siècle ; les Français et les Allemands contemporains de Liudprand ne s'expriment pas autrement que lui à son sujet (FLODOARDI, Annales, a. 924. SS. III, p. 373. — WIDUKIND, Res gestæ saxonicæ, III, 9).

[202] Dans l'Antapodosis de Liudprand, les Italiæ principes font bloc (I, 37, 39 ; II, 37, 39 ; III, 14). Ses membres les plus illustres sont : Adelbertus... Eporegiæ civitatis marchio, atque Odelricus palatii comes, Gislebertus predives comes... Lampertus etiam Mediolanensis episcopus (Antapodosis, II, 57). Les Præloquia de RATHIÉRIUS de Vérone, l. III-IV surtout, sont intéressants pour connaitre les doctrines de l'épiscopat italien sur les rapports de l'Église avec le pouvoir royal ou central (MIGNE, P. L., t. CXXXVI, col. 218 sq.) WATTENBACH, t. I, p. 284-293, a un bon tableau, mais sommaire, de la littérature italienne à cette époque.

[203] Antapodosis, I, 37. Cf. BENEDICTI Sancti Andreæ monachi Chronicon, 37 (SS. III, p. 718). En général, Liudprand n'est pas tendre pour ses concitoyens, surtout pour les Romains, qu'il considère comme très accessibles à la corruption (Historia Ottonis, 16).

[204] Voyez ce qui se passa un peu plus tard, vers 932, quand Albéric, rappelant aux Romains la dignité de leur ville, les souleva contre Hugues de Provence, ce Bourguignon dont les ancêtres avaient été les esclaves de leurs ancêtres (LIUDPRAND, Antapodosis, III, 14-45).

[205] Ann. Fuld. contin. ratisb., a. 886. — Liudprand, qui place à tort la révolte des habitants de Pavie à la fin de la seconde expédition d'Arnulf, raconte que le nombre des impériaux massacrés fut tel que les cloaques de la ville en furent complètement remplis (Antapodosis, I, 32). — La conclusion est donnée par les Annales de Fulde (Ann. Fuld., p. 100).

[206] REGINONIS Chron., a. 896.

[207] BENEDICTI sancti Andreæ Chron., 26-27 (SS. III, p. 513).