L'EMPIRE CAROLINGIEN

LIVRE II. — LES GRANDES IDÉES ET LES GRANDS SYSTÈMES

 

CHAPITRE III. — Le Régime de la Concorde.

 

 

Bien que la ruine du système de l'unité soit consommée sans retour après le traité de Verdun, le mot unité ne disparaît pas des actes officiels et du langage courant, et la place de Charlemagne est occupée par des princes qui ont le souci de leur dignité. Sous l'influence de ces changements et de circonstances historiques qui seront élucidées au moment opportun, l'empire carolingien se transforme ; la conception littéraire et théologique des droits de l'empereur et de l'empire, telle que les premières générations l'ont connue, disparaît, et l'on se trouve en présence d'un état de choses qui se distingue du précédent par des caractères absolument tranchés.

 

I

Origines et caractères du nouveau régime. Le Liber revelationum d'Andrade et les doctrines de saint Augustin.

 

On se rappelle que les impérialistes, et l'Église qui était avec eux, n'avaient pas vu seulement dans le maintien de l'unité de l'empire un moyen de conserver la paix intérieure et les bons rapports de l'Église et de l'État ; ils espéraient accroître son prestige extérieur, et permettre qu'en réunissant toutes ses forces diplomatiques et militaires, il pût résister aux attaques des peuples barbares, les subjuguer et les convertir. Ils ne doutaient pas — leurs déclarations répétées en font foi — que l'abandon de leur politique eût pour conséquence une défaite de l'empire, c'est-à-dire un recul de ses limites et de sa mission civilisatrice.

Leur prédiction se réalisa bientôt, et, du vivant même de Louis le Pieux, l'intégrité des territoires, réunis par Charlemagne et légués intacts à son fils, fut menacée. Les Slaves assaillirent la frontière de l'Elbe, et les côtes de la Frise furent désolées par les pirates normands, que commandait Horic[1]. Du moins ces premières bandes furent-elles arrêtées par la terreur du nom de Louis et la fierté réelle que ce prince avait de sa race, lui inspira à l'occasion des décisions énergiques[2]. Les Slaves furent vaincus par un corps d'armée saxon, dans une grande bataille où leur roi fut tué, et ils perdirent une ville et onze châteaux ; Horic envoya en ambassade auprès de l'empereur l'un de ses neveux et son plus fidèle conseiller, les bras chargés de présents, pour solliciter paix et amitié[3]. A la faveur des guerres civiles qui suivirent la mort de Louis le Pieux, les envahisseurs reprirent presque simultanément l'offensive sur tous les points. En 844, pendant que Lothaire s'efforçait de prévenir la jonction de ses frères, les Normands franchirent le détroit du Pas-de-Calais, se jetèrent sur Rouen, et saccagèrent cette ville ainsi que plusieurs monastères ou localités situés sur les bords de la Seine[4]. En 842, au temps des conférences de Mâcon, une flotte normande pilla les villes de la Frise ; les pirates, descendus cette fois jusqu'à la Loire, assaillirent Nantes, et, après avoir commis d'affreux ravages, établirent leur quartier d'hiver dans l'île de Ré[5]. La même année ; les Sarrasins, introduits dans l'Italie du Sud par les habitants, mettaient en péril Rome, et le royaume lombard, et, débarqués à l'embouchure du Rhône, ravageaient la Provence sans rencontrer de résistance[6].

Grâce aux prédications incessantes des missionnaires et au concours actif des princes carolingiens, la conversion des infidèles n'avait cependant jamais cessé ; elle n'avait pas été seulement l'œuvre dé la royauté puissante et forte, elle avait continué sous le règne de Louis le Pieux, oh l'archevêque de Reims, Ebbon, se distingua par son ardeur entraînante, et il y aurait un beau chapitre à faire sur l'extension des croyances chrétiennes à cette époque[7]. On peut dire qu'il ne fut jamais tant écrit sur les conversions que dans les vingt années qui suivirent la paix de Verdun. Alors furent composées les Vies de Liudger par Altfrid, de Willehad par Anschaire[8] ; alors furent répandues à travers l'Europe ces saintes reliques dont la translation alimente également la littérature hagiographique, et qui étaient destinées, écrivait l'empereur Lothaire au pape Léon IV, à faire éclater par leurs signes et leurs vertus, aux yeux de tous, fidèles et infidèles, la majesté et la grandeur du Dieu tout-puissant.[9]. Les petits-fils de Charlemagne, Lothaire, Louis le Germanique, Charles le Chauve, pieux comme leur père et leur aïeul, se montraient acquis à la cause pour laquelle leurs ancêtres avaient combattu, et toujours prêts à accueillir les païens qui voudraient recevoir le baptême ; les évêques faisaient connaître à tous les règles suivant lesquelles les catéchumènes devaient être baptisés[10]. A quoi bon tant de bonne volonté, tant de zèle et de dévouement, si les guerres civiles ne cessaient pas ? Non seulement la propagande religieuse allait être ralentie, mais les résultats laborieusement acquis par Charlemagne étaient en péril. N'avait-on pas vu déjà, profitant de la guerre des trois frères, les Saxons abandonner en partie la foi chrétienne et renier leurs serments, pour revenir aux rites des païens, au culte des idoles ?[11]

Cette préoccupation du danger couru par la chrétienté apparaît chez tous les écrivains du temps. Se considérant avant tout comme des chrétiens, assistés du Christ, aimés de lui parce qu'ils lui sont fidèles[12], ils estiment que le péril de l'empire est un péril chrétien, et, quand ils s'apitoient sur les malheureux, victimes des envahisseurs, ils voient en eux des coreligionnaires plutôt que des compatriotes. Dans le sanglant combat de Fontanet dont le souvenir les hante, ce qu'ils déplorent, ce n'est pas seulement une lutte plus que civile, le massacre des nobles guerriers francs dont les vêtements de lin blanchissaient la campagne comme les oiseaux ont coutume de la blanchir en automne, mais un massacre de croyants, une bataille de chrétiens telle qu'il n'y en a pas eu de semblable depuis le jour où Charles Martel écrasa le maire Ragenfrid dans la plaine de Vinci[13]. Le bruit courut que les frères ennemis avaient été eux-mêmes si effrayés à cette pensée qu'ils avaient arrêté la poursuite des fuyards[14]. Et cependant, si une sincère concorde rivait régné, combien.de païens rebelles seraient tombés sous les coups de ces guerriers courageux qui succombèrent au cours de leurs funestes discordes ![15] La continuation des guerres civiles, c'étaient en perspective de nouveaux Fontanets, c'étaient de nouvelles invasions avec leurs conséquences, c'étaient, ô spectacle odieux ! les Francs subjugués par les ennemis de la foi, s'entendant avec ceux qui les tourmentaient, mais dont ils ne pouvaient s'empêcher d'admirer la beauté native et la force corporelle[16].

L'Église pensa qu'elle devait agir pendant qu'il était temps encore, empêcher que l'État franc, se conformant à la réalité brutale du traité de Verdun, ne restât divisé en présence de l'ennemi qui le menaçait, sans un effort commun, sans une action commune. Elle avait été récemment invitée à faire de la politique par les princes eux-mêmes[17] ; le peuple chrétien était son peuple[18] ; elle avait le droit et le devoir de se jeter dans la mêlée des partis. Sans perdre un instant, parce qu'ils estimaient remplir une fonction du Christ en exerçant une action publique, les évêques invitèrent tous les habitants de l'empire, princes, puissants et pauvres, par parole et par écrit, dans des entretiens publics et privés, dans des exhortations générales ou spéciales, à s'amender et à s'unir[19]. Ils s'adressèrent en particulier aux rois pour leur demander de déposer la discorde, cause de tant de maux qu'il était impossible de les énumérer au long, et les adjurer de revenir à la paix entre frères, qui est commandée par la nature et la religion[20]. Enfin, réunis en synode, ils montrèrent dans les invasions le péril de l'Église et de l'État, et affirmèrent leur volonté d'établir, suivant des règles fixes, un nouveau régime destiné à sauvegarder, comme par le passé, les intérêts primordiaux de la chrétienté[21].

Le Christ avait apporté au monde une idée féconde, capable d'exercer ses effets bienfaisants partout où elle serait introduite, et que le moyen-âge adopta dès le début, appliqua à la politique : l'idée de la fraternité humaine. Sans qu'aucun lien du sang les unit, les rois étaient frères ; sans qu'il fût besoin d'une entente spéciale ou d'un traité officiel d'alliance, ils avaient le devoir de vivre entre eux dans la concorde et la paix. Ces relations fraternelles, qui avaient existé jadis entre les rois barbares, francs ou gothiques, et les empereurs de Constantinople, n'avaient point disparu à l'époque carolingienne. Charlemagne traita en frères les souverains étrangers, non-seulement les empereurs byzantins, auxquels il avait des raisons particulières de donner ce nom, mais les autres rois connue ceux de la Grande-Bretagne[22]. Quand, à la fin de 835. Louis le Pieux réconcilia Lothaire et Charles, il exprima le vœu que ses deux enfants fussent désormais unis par la charité, et le partage de Worms eut pour objet de créer entre eux l'unité d'âme[23]. Plus tard, Charles et Louis, voulant se défendre contre leur aîné, se lièrent par un contrat de même nature : une déclaration solennelle fit connaître aux peuples les arrangements adoptés et le serment de Strasbourg ; puis, descendant le Rhin, les deux princes vécurent dans la même maison, à la même table, traitant en commun leurs affaires publiques et privées, donnant des jeux magnifiques auxquels ils conviaient leur jeune chevalerie[24]. Ce fut cette idée de la fraternité, déjà vieille de plusieurs siècles, que l'Église reprit, de manière à en faire la base d'une organisation politique ; ce furent les procédés de Strasbourg dont elle imagina de régulariser l'emploi.

Le 6 octobre 844, au synode de Thionville présidé par Drogon, évêque de Metz et fils naturel de Charlemagne, les évêques reprochèrent aux rois d'avoir affligé, troublé, brisé cette Église que leurs prédécesseurs avaient unie avec tant de peine, et ils les exhortèrent à pratiquer la charité, s'ils voulaient régner heureusement dans le présent et être sauvés dans l'avenir[25]. Il s'agit, leur dirent-ils, de cette charité que l'Apôtre enseigna d'un cœur pur, d'une honnête conscience et d'une foi sincère. Il ne suffit pas de la manifester par la parole et par la langue, mais il faut que vous renonciez aux machinations secrètes capables de nuire, et que vous vous secouriez les uns les autres. Au peuple qui vous est confié, donnez cette paix dont le Christ montant au ciel a fait présent à ses fidèles, disant : Je vous laisse ma paix, je vous donne ma paix, sans laquelle personne ne verra Dieu[26]. Les princes consentirent, et, suivant les termes d'une déclaration qu'ils devaient renouveler fréquemment dans la suite, ils s'engagèrent à ne jamais violer les droits de la charité et de la fraternité[27]. S'honorer mutuellement par des chasses, des festins et des présents, se prêter appui contre les ennemis du dedans et du dehors, dès qu'il y aurait nécessité et possibilité, éviter en un mot le scandale dont ils avaient donné le triste spectacle, telles furent leurs obligations[28]. Des réunions devaient avoir lieu de temps à autre, pour chercher, avec le concours de l'aristocratie, les mesures à prendre ; l'ordre des travaux était soigneusement réglé ; il comprenait une délibération en commun, une adresse au peuple pour lui annoncer les décisions prises, un échange de serments[29].

Remarquons la présence des grands à ces assemblées fraternelles et la communication faite au peuple. Cela prouve que la bonne entente ne devait pas régner seulement entre les princes, mais qu'elle devait descendre par les évêques, les comtes et les fidèles, jusqu'aux derniers rangs de la société. Et ainsi c'était encore l'unité qui triomphait, non celle d'autrefois, unanimement condamnée par le jugement de Dieu[30], mais l'union morale pour la paix et la concorde par la vraie fraternité et la vraie charité[31]. Ces mots, aujourd'hui dénués de sens pratique, qui se rencontrent sans cesse dans les déclarations des assemblées et des synodes, avaient alors une signification précise, dont il est impossible de douter. Les rois carolingiens, en créant un lien entre les royaumes et à l'intérieur des royaumes entre les hommes de toutes les classes, conservaient dans une certaine mesure l'homogénéité de l'ancien empire. Ce n'était pas seulement le régime de la fraternité des princes qui était institué, c'était le régime de la concorde entre tous les membres de la société chrétienne[32].

Bien que cette conception eût déjà de quoi satisfaire un idéal élevé, elle ne suffisait pas encore. Comme le disait un synode, la charité devait enflammer les princes, non-seulement d'amour les uns pour les autres ; mais d'ardeur contre les Normands[33] ; il fallait qu'ils s'entendissent, soit pour leur envoyer des ambassades pacifiques, soit pour les combattre[34]. Et les espérances se faisaient plus lointaines. Peut-être la défensive ayant réussi, pourrait-on reprendre l'offensive et achever la conversion des derniers païens. Cette idée se trouve développée dans un curieux petit traité rédigé par un certain Andrade dit Modicus, chorévèque de Sens et poète, vers 843[35]. On y voit le Seigneur, descendu avec tous les saints à la limite de l'éther et de l'air, appeler à lui Louis le Germanique, Charles le Chauve et Louis, leur neveu, fils de Lothaire et roi d'Italie. Que le partage des royaumes, tel qu'il a été décidé entre vous, lorsque je faisais fuir Lothaire devant vos yeux, subsiste, dit-il à Charles ; et que Louis n'empiète pas sur ta part, ni toi sur la sienne. Toi, Louis, tu vas faire le même pacte avec moi, et toi aussi, l'autre Louis, le roi d'Italie. Et qu'entre vous trois règne la paix perpétuelle, conformément à ces paroles et à ce pacte[36]. Après avoir exposé ainsi le Régime de la Concorde, Dieu donne à chacun des princes une partie du monde à délivrer des infidèles, et un guide pris parmi les saints pour le conduire. Charles aura saint Martin et devra soumettre l'Espagne Louis le Germanique, assisté de saint Paul, combattra les nations infidèles qui sont encore en Germanie ; quant à Louis d'Italie, il lui suffira d'écarter les peuples qui oppriment son royaume : saint Pierre l'y aidera. La conclusion du discours divin est la suivante : Sans la protection de ces guides, rien ne vous réussira ; mais, si vous observez le contrat que j'ai solennellement passé avec vous, les saints plaideront devant moi votre cause et celle de vos royaumes, et partout on vous ferez la guerre ou la paix, ils seront vos protecteurs invaincus[37].

Il est intéressant de voir par le traité d'Andrade que l'Église tendait à faire du régime qu'elle avait imaginé un régime révélé. Pour le consolider et le légitimer, elle s'appuya en outre sur une autorité religieuse considérable. Une évolution s'accomplissait depuis le début du siècle dans les études théologiques ; on abandonnait peu à peu l'Ancien Testament pour le Nouveau, et, parmi les Pères, saint Augustin jouissait d'une faveur croissante. Éginhard rapporte qu'entre tous les livres dont Charlemagne aimait entendre la lecture lorsqu'il était à table figurait la Cité de Dieu[38]. L'évêque d'Hippone tenait la première place dans les bibliothèques des évêchés et des monastères ; tous les prélats érudits du ixe siècle, de Théodulphe à Hincmar, se vantent de le relire constamment, et lui accordent les épithètes les plus louangeuses : docteur remarquable, docteur mirifique[39]. Non-seulement ils sont nourris de sa prose, mais ils le commentent sans cesse, et, suivant l'exemple donné par Prosper d'Aquitaine, ils extraient de ses ouvrages des sentences dont ils font de petits recueils[40]. Comparer un dignitaire de l'Église à saint Augustin est le plus grand éloge qu'on puisse lui faire : c'est ainsi que le biographe d'Adalhard, voulant vanter son héros, dit qu'il suivait les traces de saint Augustin et se montrait brillant imitateur de ses œuvres[41].

Contemporain et spectateur des invasions qui menaçaient de submerger l'Empire romain, saint Augustin avait imaginé, sur les malheurs qui frappèrent alors les hommes et les nations, une doctrine rigoureuse et inflexible, que l'on trouve exposée dans ses écrits et ceux de ses disciples. Elle découle de ce principe fondamental que le péché est cause de tout, et que le commencement des misères humaines coïncida avec la faute du premier homme[42]. Si les invasions se sont produites, c'est que la divinité n'était ni honorée ni satisfaite ; en pareil cas, elle suscite toujours en effet des ennemis ou des tyrans[43]. Théorie très commode pour l'Église : elle répondait à cette objection, qu'on ne pouvait manquer de lui faire, qu'il était étonnant que Dieu eût choisi, pour punir le monde et frapper de mort ses habitants, le moment où il se faisait chrétien. — Mais qu'est-ce que la mort ? répondait encore saint Augustin. Il n'y a pas de mauvaise mort si elle est précédée d'une bonne vie ; ce qui fait la mort mauvaise, c'est ce qui la suit[44]. D'ailleurs il ne se montrait pas impitoyable et ne disait pas que cette situation ne finirait jamais, mais il indiquait le moyen d'en sortir : la paix, disait-il, dans ce monde et dans l'autre, ne s'obtient que par la concorde[45].

Il y avait une analogie frappante entre la situation de l'empire carolingien dans la seconde moitié du Ve siècle et celle de l'empire romain dans la première moitié du ve, et l'on retrouve dans les Annales royales des lamentations qui rappellent beaucoup moins celles de Jérémie, malgré les prétentions de leurs auteurs, que celles de Paulin de Pella ou de saint Jérôme. Seuls, les noms des envahisseurs ont changé ; les Normands ont remplacé les Alamans ou les Burgondes, les Sarrasins ont succédé aux Vandales. Les écrivains ecclésiastiques de l'époque carolingienne furent ainsi amenés à adopter les conclusions de saint Augustin ; ils rejetèrent loin de l'Église chrétienne toute responsabilité des évènements, et répandirent dans leurs écrits ou dans les réunions des conciles cette idée, qui se trouve chez les princes, dans les légendes populaires, partout enfin, que Dieu, en frappant les hommes. les punissait de leurs péchés et de leurs crimes[46]. Tant que Charlemagne avait vécu, le peuple avait connu l'abondance et la joie, et il avait été heureux, parce qu'il marchait droit dans la voie du Seigneur, mais maintenant que l'on était sorti du bon chemin pour se jeter dans les rixes et les dissensions, il n'y avait plus que misère et tristesse[47].

En 839, un prêtre anglais eut une vision. Dieu lui apprit que, si les chrétiens ne faisaient pas rapidement pénitence de leurs crimes, un péril immense-et intolérable fondrait sur eux ; en trois jours et trois nuits, la terre qu'ils habitaient serait couverte de nuées épaisses, et des païens, montés sur une multitude de navires, surgissant à l'improviste, dévasteraient tout ce qu'ils possédaient et se débarrasseraient d'eux par le fer et par le feu[48]. Parce qu'ils n'avaient pas su se corriger à temps, la prédiction s'était réalisée. Seul un retour aux théories de saint Augustin pouvait modifier le sort de la chrétienté, seule la concorde était capable de ramener la paix[49].

 

II

L'empereur Lothaire travaille, sans grand succès, au maintien de la Concorde. Conséquences de sa défaite : prétentions de l'Église et de la papauté à la direction du monde chrétien.

 

La lecture des écrits de saint Augustin n'a pas suggéré à l'Église son système. Mettant à profit un rapprochement qui s'imposait, les théologiens ont seulement cherché, parmi les œuvres du Père le plus fameux de leur temps, des textes à l'appui d'opinions qui avaient leur point de départ dans les faits contemporains[50]. Le nouveau régime, plongeait par toutes ses racines dans le passé carolingien, et l'idée d'unir les royaumes francs par un lien moral et religieux fut en réalité une idée de Charlemagne, celle qui inspire la divisio regni de 806 et rend ses dispositions si remarquables[51]. Malheureusement il était douteux que les princes et leurs sujets, à peine sortis des troubles civils, se montrassent fidèles observateurs de la paix qu'ils avaient jurée. Les assemblées fraternelles avaient un vice fondamental ; elles n'étaient pas, comme les réunions prévues par la constitution de 817, périodiques et obligatoires, établies annuellement et à des dates fixes. Qui donc se chargerait de les convoquer ? Puisque la dignité impériale existait toujours, n'était-ce pas le rôle de l'empereur ?

On ne trouve rien de semblable dans les documents. L'empereur est considéré comme un roi ordinaire, et rien de plus. Le procès-verbal de l'assemblée de Mersen de 851, l'un des plus anciens qui nous soient parvenus, ne laisse aucun doute à cet égard. Qu'entre nous, disent les trois frères, règne désormais, avec le concours du Seigneur, la bienveillance de la vraie charité... Que la ruse et la feinte soient bannies ; que personne ne convoite le royaume de son pair, ni ses fidèles, ni ce qui touche à son salut, à sa prospérité, ou à son honneur royal[52]. Toutes les pièces postérieures sont dans le même ton ; il n'y est question que de rois, de royaumes, d'honneur royal, et le mot regnum suffit pour désigner l'ensemble des états francs : rarement on rencontre imperium ou respublica[53]. Quant à la mission de faire respecter la concorde, elle appartient à celui des princes qui est en mesure, quels que soient son âge et son titre, de proposer sa médiation de bon parent, et qui, voulant bien la proposer, est capable de la faire accepter[54].

La littérature politique se modifie dans le même sens. On n'y rencontre plus ces belles pages pleines des souvenirs de l'antiquité profane et chrétienne, dont les auteurs décrivaient en termes pompeux la noble origine de l'empire et la fonction de l'empereur ; il s'agit surtout des rois et de leurs devoirs. Qu'ils se défient des flatteurs ! Qu'ils choisissent de bons conseillers ! Qu'ils pratiquent toutes les vertus, surtout la piété et la justice ! Celles-là sont les vertus nécessaires, car la justice adoucie par la piété apprend à n'accabler personne de sa puissance et à bien juger[55]. Les vieilles institutions impériales dépérissent. L'Église proclame encore l'obligation d'envoyer des missi fidèles et courageux parcourir les cités et les monastères[56], et de fait on les voit transmettre les capitulaires, recueillir le serment, s'occuper des orphelins, des veuves, des religieuses, et en général de tout le peuple[57] : mais ces délégations, incapables de dépasser les limites des États du souverain qui les envoie et de circuler à travers tout l'empire, perdent leur efficacité. Il semble que l'Église s'en soit rendu compte et qu'elle ait voulu restituer aux missi quelque chose de leur ancien prestige, en leur conférant de nouvelles attributions : ils furent chargés de porter les propositions pacifiques des rois à leurs frères, et de communiquer au peuple les délibérations des assemblées fraternelles. Grâce à ce rôle d'officiers de paix, ils retrouvèrent quelque chose de leur gloire passée et devinrent un organe indispensable du nouveau régime[58].

Cette déchéance de l'Empire, suivie de la décadence des institutions qui avaient fait sa grandeur et sa force, est d'au= tant mieux marquée que Lothaire essaya, sans succès, de garder une certaine supériorité morale sur ses frères, et de jouer ce rôle de protecteur de la concorde que les règlements publics lui refusaient.

A défaut de grandes qualités politiques que personne ne pensera jamais à lui attribuer, le fils aîné de Louis le Pieux a eu des mérites modestes, qui n'ont pas toujours été reconnus de son temps ni du nôtre. Si l'on excepte les écrits d'Agobard et de Paschase Radbert et les courtes Annales de. Xanten, tous les documents de l'époque lui sont hostiles, parce qu'ils ont pour auteurs des hommes attachés au parti de son père ou de ses frères. Parmi les modernes, les Allemands ont été à peu près les seuls à s'occuper de lui ; mais, fidèles à leur coutume de rabaisser tous les parents de Louis le Germanique pour grandir ce dernier, ils ont fait consister l'histoire de Lothaire en un parallèle peu flatteur de ses actes avec ceux du roi de Germanie[59]. La physionomie de ce prince est cependant l'une des plus sympathiques parmi celles que le IXe siècle nous a laissées. Non-seulement il partage avec tous les membres de sa famille ces qualités de vigueur physique qui semblent : avoir été l'apanage de la maison carolingienne, mais il s'en distingue par des vertus exceptionnelles : la modération dans les idées, la loyauté, l'amour de la famille, un goût sincère pour la paix[60]. La fatalité des circonstances a pu faire de lui le symbole de l'impiété filiale, de l'esprit de désunion et de bataille : il n'en est pas moins vrai qu'il avait pour son père une affection profonde que ses frères ne partageaient pas, qu'il ne marcha jamais volontiers contre lui, et qu'au moment d'engager le combat il se trouvait toujours rempli d'angoisses, assailli de scrupules sur la justice de sa cause, hésitant à donner le signal de la mêlée où allait se décider sa fortune et celle de l'Empire. Une seule personne avait vu cela. Avec la finesse d'une femme et l'intelligence d'un esprit supérieur, Judith avait deviné quel cœur se cachait sous cette robuste poitrine de soldat, et, le jour où elle voulut donner un protecteur à son petit Charles, son choix ne s'arrêta ni sur Pépin, ni sur Louis le Germanique, mais sur Lothaire, au grand étonnement de Louis le Pieux qui ne comprit jamais rien à cette détermination[61].

Au lendemain du traité de Verdun, Lothaire avait toujours le titre d'empereur ; il était l'aîné des trois rois, le parrain de Charles. De la mer du Nord à l'Adriatique, ses États formaient entre la France occidentale et la France orientale une bande ininterrompue[62]. Il possédait Aix, Rome et l'Italie. Quittant Pavie, sa résidence habituelle, il s'installa à demeure dans la capitale de Charlemagne, tout en déléguant l'un de ses fils pour remplir auprès du souverain pontife les fonctions impériales[63]. Il aurait pu profiter de ces circonstances pour chercher à modifier sa situation, reprendre de quelque manière l'autorité qui lui échappait. Loin de s'attarder à des regrets superflus, Lothaire accepta le fait accompli. Dès 842, il avait fait dire à ses frères qu'il avait gravement manqué envers eux et envers Dieu, et qu'il ne voulait plus qu'il y eût d'altercation entre eux et le peuple chrétien[64]. Il resta fidèle à cette parole tout le reste de sa vie ; respectueux du régime dont il était la première victime, il voulut utiliser son titre impérial, sa qualité d'aîné, la position géographique de ses États, pour conjurer les causes de ressentiment qui surgissaient entre ses frères et les tirer de leurs embarras de gouvernement[65]. Cette manière d'entendre son rôle se montre dans deux lettres qu'il écrivit au pape Léon IV. Dans l'une, il disait que l'empire avait été divisé en trois parties égales ou plutôt distingué ; dans l'autre, il s'intitulait tuteur et recteur des peuples de la Gaule[66]. Mais ses intentions ont été tellement dénaturées que nous sommes obligés de prouver qu'il conforma ses actes à ses déclarations.

Deux ans après la paix de Verdun, deux évènements se produisirent presque simultanément dans le royaume de Lothaire : le duc d'Arles. Fulcrade, se révolta et entraîna la Provence dans sa rébellion ; un certain Giselbert enleva une fille de l'empereur et l'emmena en Aquitaine où il l'épousa[67]. Or non-seulement Giselbert était un vassal de Charles, auquel l'Aquitaine appartenait aussi, mais les Provençaux, qui se faisaient déjà remarquer par leur esprit particulariste, avaient des préférences pour le roi de France occidentale dont ils avaient adopté le parti à l'époque des guerres civiles[68]. La simultanéité des deux faits, même si elle était fortuite, frappa Lothaire et l'irrita. Après avoir apaisé la révolte des Provençaux dans une campagne qu'il dirigea en personne[69], l'empereur ne cacha pas son mécontentement contre son plus jeune frère. Il consentit encore à le rencontrer à Mersen en février 847, mais la convention qui fut signée, et dont un article punissait le rapt[70], ne suffit pas pour le calmer. Une réunion fraternelle, annoncée pour le mois de juin suivant à Paris, n'eut pas lieu, et, bien que Charles protestât avec énergie qu'il n'était pour rien dans l'enlèvement de sa nièce[71], Lothaire refusa de le voir[72]. Pas une seule fois cependant il n'attaqua son royaume, et, quand Giselbert eut fait amende honorable à Thionville au mois d'octobre 848, la réconciliation se fit naturellement[73]. Elle eut lieu à l'assemblée de Mersen de 851, après une entrevue préalable à Péronne[74]. Dans l'intervalle, l'empereur avait témoigné à plusieurs reprises son respect de la fraternité, en visitant le roi de Germanie dans sa maison et le recevant dans la sienne, en échangeant avec lui des chasses, des festins et des présents magnifiques[75].

Charles n'eut pas à se plaindre d'avoir fait la paix avec son parrain. Les deux rois venaient de séjourner ensemble à Saint-Quentin en 852, et ils s'étaient quittés en excellents termes, quand on apprit que le chef normand Godefrid, après avoir pillé la Frise et les bords de l'Escaut, s'était avancé jusqu'à la Seine[76]. Lothaire réunit une armée pour porter secours à son frère qui l'appelait, et, s'il revint sans avoir combattu, c'est que le roi de France occidentale, ayant secrètement changé d'avis, aima mieux acheter la paix aux Normands[77]. D'ailleurs, l'empereur ne montra aucune mauvaise humeur d'avoir été dérangé inutilement. Quelque temps après, il tint une des filles de Charles sur les fonts baptismaux[78], et c'est à ce moment que se place sans doute cette alliance monétaire entre les deux frères, dont les numismates ont retrouvé le vestige dans une pièce de monnaie où le nom de Lothaire est associé au monogramme de Charles[79].

La paix régnait en somme dans les trois États, et la modération de Lothaire n'avait pas peu contribué à l'assurer, lorsqu'une complication extrêmement grave menaça de la détruire. Les Aquitains n'avaient jamais consenti à accepter Charles le Chauve comme roi : Louis le Pieux avait dît le leur imposer ; pendant la guerre des trois frères, ils avaient marché sous les ordres de Pépin II, le fils de leur ancien roi, et, les hostilités terminées, ils avaient accepté sans enthousiasme le traité de Verdun[80]. En 848, une nouvelle révolte éclata. Les nobles réunis à Orléans proclamèrent roi Charles, frère de Pépin II, et lui firent donner l'onction par les évêques leurs complices : le prétexte qu'ils invoquaient pour justifier leur trahison était l'inertie du roi devant les attaques des Normands[81]. Charles le Chauve agit vigoureusement. Ses neveux, tombés entre ses mains, furent tonsurés et enfermés, l'un à Corbie, l'autre à Saint-Médard de Soissons[82]. Alors les Aquitains se donnèrent à Louis le Germanique, qui envoya au printemps de 851 son fils Louis le Jeune prendre possession de leur pays[83]. C'était une violation flagrante de la concorde, la plus audacieuse qui eût été commise depuis que des serments solennels avaient été échangés. Lothaire estima qu'il avait le devoir d'intervenir. Après deux entrevues avec Charles, à Valenciennes (novembre 853) et à Liège (février 854), où les deux frères se recommandèrent réciproquement leurs enfants, leurs fidèles et leurs royaumes[84], il se rendit en personne au-delà du Rhin, afin de rappeler Louis à ses devoirs. Le roi de Germanie entendit sans s'émouvoir un long discours sur la fraternité[85] : il fut insensible aux exhortations d'une ambassade envoyée quelque temps après[86]. Du moins l'attitude résolue de Lothaire et ses pressantes démarches empêchèrent la guerre d'éclater, et, pendant que les négociations diplomatiques se poursuivaient, Louis le Jeune, ne trouvant pas auprès des Aquitains l'accueil qu'il espérait, rentra chez lui[87].

Cette pensée de concorde chrétienne fut parmi les dernières de Lothaire. Une maladie grave qu'il fit à ce moment procura à ses frères l'occasion de revenir à de meilleurs sentiments[88]. Mais à quoi bon ces réconciliations qui ne duraient qu'un temps ? Les fils de Pépin II avaient réussi à sortir de leurs monastères ; la question d'Aquitaine renaissait[89] ; d'autre part l'empereur apprenait que, dans le royaume de Charles, auquel il avait tout sacrifié depuis plusieurs années, se faisaient des choses contraires à la foi[90]. Cette déception, jointe à toutes celles qu'il avait déjà éprouvées dans son existence et à la maladie, fut sans doute la cause qui le décida à sortir du siècle[91]. Pieux comme tous les Carolingiens, il avait en plus le goût des lectures théologiques, et Raban composa sur sa demande plusieurs Commentaires des Évangiles et des Prophètes[92]. Il se retira au monastère de Prüm, où il mourut le 29 septembre 855, pauvre et sous l'habit monastique, dit son épitaphe, lui qui avait commandé aux Francs, aux Italiens et aux Romains 2[93]. Une légende se répandit dans la suite, d'après laquelle une lutte se serait produite autour de l'âme du défunt entre les démons et les anges, lutte tellement acharnée que les personnes présentes voyaient le corps de l'empereur tiré dans tous les sens ; finalement, les démons furent mis en fuite[94]. Il y a quelque justice dans cette légende.

Dans tous les cas, l'échec de Lothaire était grave. Il semblait prouver que l'autorité laïque était désormais incapable d'exercer sur l'ensemble de la société une action sérieuse, et que l'Église devait veiller elle-même au bon fonctionnement des organisations politiques nouvelles. Les évêques le jugèrent ainsi, et leur intervention en matière de gouvernement se manifesta d'une manière incessante. Ce sont eux qui provoquent les assemblées fraternelles, poussent tel prince à intervenir dans telle affaire, mettent l'accord entre les parents qui se disputent, rappellent aux rois les engagements pris dans les réunions précédentes, à Coulaines, Beauvais, Thionville, Épernay, Mersen, Soissons, Liège[95]. Parallèlement aux assemblées fraternelles se tiennent des synodes, où la présence est rigoureusement exigée[96], et d'où partent les inspirations politiques auxquelles obéiront les rois, les projets qui seront transformés en lois par l'apposition du sceau royal et la signature des grands. D'ailleurs les chefs du clergé ne cherchent pas à dissimuler. N'est-ce pas leur devoir, malgré leur indignité, de veiller en ces temps périlleux sur le troupeau dominical dont Dieu leur a donné la garde[97] ?

Pour qui veut connaitre les intentions de l'Église à ce moment, pénétrer tous les détails de cette ambition qui la conduit peu à peu à sortir du domaine de ses attributions spirituelles pour entrer dans le temporel, la lecture des œuvres d'Hincmar, de ses traités et de sa correspondance, est singulièrement instructive. Primat entre les primats et l'un des premiers primats des Gaules, comme il s'intitule lui-même, ardent, passionné pour la grandeur de son église, Hincmar personnifie à merveille l'épiscopat de son temps, fortifié par la suppression des chorévèques au concile de Paris de 849 et l'abaissement des monastères[98]. Pour lui, comme pour tout le haut clergé de son temps, il y a toujours deux pouvoirs qui se partagent le monde, mais l'égalité de ces deux pouvoirs ne fait aucun doute. Les évêques sont les égaux et les conseillers des rois ; ceux-ci ne doivent pas empiéter sur les droits de l'Église, et ils sont en matière dogmatique, les exécuteurs de ses volontés[99]. C'est ce principe que l'archevêque de Reims établit dans la partie du De ondine palatii qui lui est personnelle[100], et, dans toutes ses lettres, depuis celles qu'il écrit au vieux Lothaire jusqu'aux dernières, adressées au jeune Louis III ; c'est ce principe qui inspire les actes hardis, les résistances imprévues à l'autorité royale dont est rempli son gouvernement épiscopal, et qui lui permet, tout en agissant de la sorte, d'affirmer qu'il reste fidèle à son prince.

Si celui-ci ne veut pas le croire, le Roi des rois et l'Évêque des évêques avisera[101]. L'empereur Louis n'a pas vécu tant d'années que son père Charles ; Charles, votre aïeul, n'a pas vécu aussi longtemps que son père. Quand vous êtes à Compiègne, à cette place où se sont tenus votre aïeul et votre père, inclinez les yeux vers l'endroit où gît celui-ci, et, si vous ignorez où repose votre aïeul, demandez-le. Alors, votre cœur ne s'exaltera plus contre celui qui est mort pour vous et pour nous tous. Soyez certain que vous mourrez. Vous ignorez quel jour et à quelle heure, et c'est pourquoi il est nécessaire que vous soyez tous prêts, et nous aussi, à répondre à l'appel du Seigneur... Vous mourrez donc bientôt. Seule la Sainte-Église avec ses recteurs, sous le Christ son recteur, demeurera, suivant la promesse de celui-ci, comme une lumière allumée pour l'éternité 1[102]. Tels sont les termes dans lesquels Hincmar parle à Louis III. Il va même plus loin encore. Les rois sont sacrés par les rois ; la dignité sacerdotale est donc supérieure à la dignité royale[103], et l'Église, qui a le privilège de faire le roi par l'onction, a aussi le pouvoir de le déposer. Un vieux proverbe le dit : Tu seras roi, si tu fais bien ; tu ne seras pas roi, si tu fais mal[104].

Mais où la doctrine de l'Église devient singulièrement intéressante, c'est quand on l'entend, elle qui ne cherche qu'à diminuer la royauté et à la subordonner à ses desseins, énumérer les prérogatives de la papauté. Au moment de Fontanet, Grégoire IV était souverain pontife. tétait lui qui avait fait le voyage de 833 pour défendre la cause de l'unité. Il envoya des légats auprès de Lothaire et de ses frères pour les exhorter à la paix[105], et, le jugement de Dieu une fois rendu, il se considéra comme chargé de veiller au maintien de la concorde. Ce fut pour la papauté l'origine d'une action politique considérable, qui se manifesta par une double série d'ambassades et de lettres, d'une part aux évêques pour les inviter à surveiller les rois, d'autre part aux rois pour leur rappeler qu'ils devaient respecter les droits et les biens de leurs voisins[106]. L'Église se serra autour de son chef. Rarement il y avait eu un tel enthousiasme dans ses rangs pour célébrer le souverain pontife de l'Église catholique et apostolique, le vicaire des Apôtres, et la Sainte-Église romaine, mère, mai tresse et nourrice de toutes les autres[107]. L'autorité du pape en matière dogmatique est jugée souveraine[108], et il est déclaré le chef de la hiérarchie à tous les degrés. Dès qu'il appelle un évêque à Rome, celui-ci doit se mettre en route, à moins que quelque, infirmité ou une impossibilité absolue prévue par les canons ne l'en empêche[109]. L'affaire d'Hincmar de Laon et celle du divorce du roi Lothaire II fournissent à Hincmar de Reims l'occasion de réunir les textes des Pères qui affirment les droits du Saint-Siège à la primauté[110]. Pour lui, c'est le devoir de tous, rois et évêques, de regarder comme un miroir celui que Dieu a placé sur un lieu élevé afin qu'il pût être vu de tous les fidèles ; il convient aussi de l'honorer et de lui obéir promptement, car, a dit saint Grégoire, si la tête languit, les membres qui lui sont soumis végètent inutilement ; mais, si la tête est couronnée de gloire et d'honneur, les membres brillent à leur tour de cet honneur et de cette gloire[111]. Vraiment il n'était pas besoin qu'un clerc intrigant fabriquât les Fausses Décrétales et qu'un Anastase laissât croire à leur authenticité[112]. Après de semblables déclarations, que pouvaient-ils ajouter à la puissance pontificale ?

Qu'on apprécie bien la portée lointaine des événements qui s'accomplissent alors. D'une part l'Église prend le gouvernement de la société chrétienne que les Carolingiens n'ont pas su garder, et d'autre part elle exagère la situation de la papauté ; elle met les rois au-dessous d'elle, le pape au-dessus. Cette combinaison donne la hiérarchie suivante : pape, évêques, rois. C'est le pape, chef de la chrétienté, véritable empereur, c'est le renversement du système de Charlemagne subordonnant l'Église à l'État, donnant des consultations aux évêques, réduisant le souverain pontife à prier pour le succès de ses entreprises.

Le contraste est saisissant, et il l'est bien plus encore si l'on sort des généralités pour entrer dans le domaine des faits, si à Léon III, humble, modeste, toujours empressé à servir le maître, on oppose un pontife de la seconde moitié du siècle, Nicolas Ier. Ce pape n'a pas laissé un grand renom seulement parce qu'il fut énergique et convaincu de son droit, il n'a pas été un produit spontané, l'un de ces hommes dont la venue étonne le monde parce qu'elle modifie le cours prévu des événements ; il a été le produit logique et complet d'une situation et d'une époque. C'est pour être venu à propos dans un terrain bien préparé qu'il a pu, dépouillant la mansuétude apostolique, adresser aux rois des lettres pleines de malédictions terribles, inouïes, et telles que le Saint-Siège n'en avait jamais écrit[113]. Le nouvel Hélie, l'athlète de Dieu, comme l'appelle son biographe, avait beau jeu[114] ; il lui était facile de commander aux rois et aux tyrans et de se comporter comme s'il eût été le maitre du monde[115], en présence de cette royauté décrépite, soumise à la domination des évêques. Jusqu'à lui, la papauté en somme avait été subordonnée de tous temps à la puissance séculière, que celle-ci fût représentée par l'empereur byzantin ou par son exarque, par les rois goths ou les empereurs carolingiens. Avec lui, elle s'élevait tout à coup à des hauteurs inconnues. Il n'est pas tout à fait exact de dire que Nicolas Ter posa ouvertement les bases de la théocratie[116], et l'on aurait tort de s'approprier la phrase célèbre des archevêques Theutgaud et Gonthaire dans leur manifeste : Nicolas, qui se dit pape, qui a pris la place d'un apôtre entré les apôtres, et se fait l'empereur du monde entier[117]. Il n'en est pas moins vrai que désormais l'empereur avait un rival.

 

III

Louis II et Charles le Chauve ; valeur de ces deux princes. Ils transportent le centre de l'Empire en Italie et à Rome ; assemblées de Pavie et de Ponthion (janvier juin 876).

 

Il était indispensable d'exposer avec quelque détail l'évolution qui s'accomplit après le traité de Verdun dans l'organisation politique de la société chrétienne en Occident. Même au moment où l'empire semblait le plus éloigné des préoccupations des hommes, il était en effet directement intéressé à ce qui se passait. De quelque manière qu'on envisage le régime de la concorde, tout s'y ramène à cette simple constatation : en 800, la société a confié la direction de ses intérêts à un prince choisi dans la maison carolingienne ; cinquante ans après, l'Église s'empare de cette direction, et l'empereur perd la haute mission qu'il a reçue au début, qui a été la raison d'être de sa création et du maintien de son autorité dans le monde.

Ainsi donc, dira-t-on, l'empereur, ignoré des rois et dépouillé de sa fonction originelle par l'Église et la papauté, le titre impérial rayé des actes officiels et généraux, voilà le spectacle qui nous est offert dans la seconde moitié du IXe siècle, voilà ce qu'est devenue la fondation de Charlemagne et de ses amis ! N'exagérons rien. Une grande institution ne disparaît pas du jour au lendemain, sans laisser de traces, de souvenirs et de réalité. Fidèles à la pensée augustinienne, beaucoup considérèrent le sort de l'empire carolingien comme la punition des péchés de la terre[118] ; or, n'était-ce pas l'aimer encore que le regretter à ce point ? Personne ne supposa qu'il eût disparu, et des poètes, qui trouvaient dans son principe élevé une source féconde d'inspiration, continuèrent à célébrer le brillant César qui était l'opinion du monde, l'Auguste que Dieu avait appelé au gouvernement de la terre et dont il était à souhaiter que le Seigneur affermît et étendit la puissance[119]. Mais l'Empire ne rencontrait pas seulement des partisans chez les poètes ; il avait aussi ses fidèles dans le cercle de la politique. Il existait encore des hommes instruits, au courant des vieilles coutumes impériales, et capables à l'occasion de suggérer aux nouveaux césars l'idée de revendiquer la domination de leurs prédécesseurs[120]. L'Église avait pu usurper la place des empereurs ; elle ne pouvait oublier les services que l'Empire lui avait rendus, ni dissimuler la place qu'il avait occupée dans l'histoire politique et religieuse des derniers siècles, et, voulant exciter les rois à bien faire, elle allégua l'exemple des grands souverains attachés à la vraie foi et au dogme sain, depuis Constantin, qui, le premier des empereurs chrétiens, entreprit de défendre la religion et d'augmenter l'honneur des églises de Dieu[121]. Au nom de Constantin furent joints, comme par le passé, ceux de Théodose, Valentinien, Marcien et Justinien[122].

Ces vérités ont été négligées jusqu'ici, parce qu'il a semblé que les princes, auxquels elles s'adressaient, n'y avaient prêté aucune attention. Louis II est considéré généralement comme un brave soldat, en même temps un excellent homme, très religieux, très facile à mener, une bonne nature dominée par le génie de sa femme Engelberge[123]. Sur la foi des chroniqueurs germaniques, en particulier de Rudolphe de Fulde et de son continuateur Méginhard, Charles le Chauve est encore plus maltraité : c'est un incapable et un lâche, un incapable d'ailleurs qui a eu de la chance et auquel tout réussit à souhait[124].

Si l'on cherche à contrôler ces affirmations à l'aide des sources, on s'aperçoit bientôt qu'elles sont inexactes. Si, par exemple, au lieu de demander aux annalistes francs, qui ne l'ont point connu, ce qu'était Louis II[125], nous nous adressons aux Italiens qui ont été à même d'apprécier ses services et de les bien juger, nous entendons un concert d'éloges tel qu'il s'en produit rarement, presque sans une note discordante. Il est le glorieux empereur Louis, le sauveur de la patrie[126] ; devenu homme, il a tenu et même dépassé les espérances que sa jeunesse avait fait concevoir, il a combattu avec énergie les Sarrasins et débarrassé l'Italie de leur présence[127]. C'est seulement à la fin du règne qu'Engelberge réussit à jouer un rôle prépondérant[128]. Quant à Charles le Chauve, dont les efforts pour donner à ses sujets la paix et la sécurité ne furent pas aussi rares et infructueux que beaucoup le croient, il est aisé de démontrer que, loin de laisser défaillir entre ses mains l'autorité royale, il a fait son possible pour la consolider[129]. Le fameux capitulaire de Kiersy-sur-Oise ne constitue pas un abandon des droits régaliens, mais, comme le disait Hincmar, une série de préceptes utiles à la paix, à la concorde de tous, à la bonne administration du royaume[130], et, si Louis II est, toutes proportions gardées, celui des empereurs carolingiens dont la légende s'est le plus développée avec celle de Charlemagne, le seul qui après lui ait reçu le nom de grand[131], le souvenir de Charles se mêle, dans l'épopée française, à celui du glorieux fils de Pépin[132].

Il ne nous appartient pas de raconter en détail l'histoire de ces deux empereurs ; mais, comme il sera question plus loin de leur politique impériale, une appréciation préalable de leurs règnes était indispensable. Sans cette précaution, il eût paru téméraire d'affirmer qu'ils ont été de vrais Carolingiens, fiers de leur dignité et toujours disposés à la glorifier et à s'en servir, que leurs capitulaires sont pleins de dispositions intéressant l'avenir de l'Église et de l'Empire, que l'honneur impérial leur tient également à cœur, que leurs ordres sont déclarés inviolables, que leurs titres comme leur langage ne diffèrent en rien du langage et des titres de leurs prédécesseurs[133].

Louis II n'est qu'un soldat ; Charles le Chauve est un lettré, qui prodigue ses encouragements à la philosophie, possède de nombreux livres dans son trésor, s'intéresse aux études libérales avec tant de ferveur que les contemporains le mettent au-dessus de Charlemagne[134]. Ses lectures ont un autre résultat ; elles lui rappellent sans cesse le souvenir des empereurs chrétiens tant vantés par l'Église, dont la lignée commence avec Constantin et auxquels il se rattache, et, mieux que personne, il connaît leurs actes, leur ; coutumes et leurs droits[135]. Les oublierait-il d'ailleurs qu'il a un conseiller qui saurait les lui rappeler. Abbé d'un monastère du diocèse de Sens, Loup de Ferrières se rattache par ses goûts et ses tendances à la série des évêques et des abbés de la grande époque ; il a vécu à Fulde avec Raban, à Selingenstadt avec Éginhard ; il a été en correspondance avec l'empereur Lothaire, avec Hilduin et Paschase Radbert, le biographe de Wala[136]. Dans le commerce de ces nobles esprits, il a pris une idée de l'Empire qui se rapproche tout à fait de celle qu'on en avait autrefois ; il le croit créé de toute éternité pour exercer la tutelle et assurer la paix du peuple chrétien[137], et l'empire romain reste pour lui l'idéal des gouvernements. Vous devrez remarquer pour votre utilité et la nôtre, écrit-il à Charles le Chauve, de quels conseillers se servaient les Romains, maîtres du monde... Choisissez les vôtres, je vous prie, choisissez-les tels qu'ils préfèrent à leur commodité l'amour du bien public, c'est-à-dire de tout le peuple. J'ai eu soin d'offrir à Votre Majesté un résumé de l'histoire des empereurs romains, afin qu'elle vît rapidement les modèles qu'il convient de suivre et ceux qu'il convient d'éviter. Je lui conseille en particulier d'apprendre les vies de Théodose et de Trajan, parce qu'elle y pourra trouver de précieux exemples[138].

Ces vues, qui régnaient chez les empereurs et dans leur entourage au temps de la Concorde, montrent que l'Empire n'était point mort, malgré les décisions des rois approuvées par l'Église. Dès qu'un mot désigne une supériorité quelconque, a dit Guizot[139], cette supériorité fût-elle sans force, elle excite les désirs des hommes, et ils ont raison, car le nom seul d'un pouvoir illusoire est encore un pouvoir. Cette pensée se vérifia constamment dans la suite. Assurément Louis II et Charles le Chauve ne songèrent pas à devenir les protecteurs de la société : l'échec de Lothaire, le mieux placé à tous les points de vue pour jouer ce rôle, avait prouvé qu'il fallait y renoncer ; mais la charge dont ils étaient investis assurait à ses possesseurs assez de gloire pour qu'ils pussent travailler utilement à lui conserver son prestige et peut-être même quelques-uns de ses anciens droits. L'action qu'ils exercèrent en ce sens fut considérable : elle n'aboutit à rien moins qu'à changer la base du pouvoir impérial et modifier ses attributions.

Quand le traité de Verdun eut brisé l'unité réelle, sinon fictive, de la monarchie franque, la première question qui se posa fut celle de la transmission de l'Empire. Continent s'effectuerait-elle à l'avenir ? Cinq ans avant sa mort, Lothaire, toujours désireux de conserver la dignité souveraine dans sa famille, envoya, après consultation des grands, son fils aîné, déjà roi d'Italie, se faire couronner empereur à Rome. Le jeune prince reçut le diadème des mains de Léon IV au mois d'août 850 ; il devint l'empereur Louis II, et porta, jusqu'à la mort de son père, le titre suivant : Louis, par la grâce de Dieu, empereur auguste, fils du très invaincu seigneur l'empereur Lothaire[140]. C'était déjà une indication, mais ce fut seulement à l'avènement de Charles le Chauve que le débat fut largement ouvert et qu'une solution franche fut adoptée.

Louis II mourut le 12 août 825 sur le territoire de Brescia, et son corps fut porté quelques jours après à l'église St-Ambroise de Milan, où il reçut la sépulture[141]. Il laissait une fille appelée Hirmingarde, mais n'avait jamais eu de fils, et, quoi qu'on en ait dit. il n'avait pris aucune disposition testamentaire en faveur d'un héritier quelconque[142]. Aussi l'éventualité de sa succession préoccupait-elle depuis plusieurs années le monde politique. En 871, le bruit s'étant répandu que l'empereur avait succombé au cours d'une expédition dans le sud de ses États, Louis le Germanique se hâta d'envoyer l'un de ses fils imposer le serment de fidélité aux habitants des pays que ce prince possédait au-delà du Jura ; de son côté, Charles le Chauve s'avança jusqu'à Besançon, dans l'attente des évènements[143]. La nouvelle que le défunt était sain et sauf coupa court à ces espérances, mais les manifestations, auxquelles s'étaient livrés les oncles de l'empereur, n'étaient pas moins significatives. Louis le Germanique avait voulu profiter de l'occasion pour accroître l'étendue de ses terres et le nombre de ses sujets[144]. Fidèle aux habitudes de son esprit cultivé, Charles le Chauve avait poursuivi un but différent : il avait pensé à l'Empire. C'était là en effet sa suprême ambition, et nul ne l'ignorait, ni en Allemagne, ni ailleurs. Lorsqu'en 869, profitant de la mort de son neveu Lothaire II, il se fit sacrer roi de Lorraine par l'évêque de Metz, le bruit courut de l'autre côté du Rhin qu'il s'était fait mettre le diadème sur la tête et proclamer Auguste[145].

En 875, le roi de France occidentale aspirait plus que jamais à l'empire. Son royaume était tranquille, ses sujets soumis, l'invasion normande interrompue. Partant de ce principe juste que les Normands suivaient toujours le cours des rivières et qu'il suffisait, pour les arrêter, de barrer les vallées, Charles le Chauve avait pris des mesures excellentes. En 862, il s'était rendu à Pistes, au confluent de l'Eure et de l'Andelle, et y avait jeté les fondements d'une grande forteresse en bois et en pierre ; des carriers, des maçons, des paysans amenant leurs chars traînés par des bœufs, avaient fourni des prestations, et le roi lui-même avait surveillé les travaux pendant plusieurs années[146]. Maintenant tout était terminé, le château dominait fièrement les rives de la Seine, et en ce lieu, dont il pouvait dire qu'il avait été jadis le siège des Normands[147], Charles promulguait des édits relatifs à la défense du territoire et à l'amélioration du sort de ses sujets victimes des invasions[148]. De même, en 873, il s'était rendu à Angers, où les ennemis se croyaient solidement retranchés, et, après un siège en règle, il avait obligé leurs chefs à faire soumission[149]. Les deux fleuves qui conduisaient les envahisseurs au cœur de ses états se trouvaient ainsi maîtrisés, les évêques et les laïques venaient de renouveler le serment de fidélité, l'univers entier rendait hommage à sa sagesse et à sa justice, et l'on disait que, grâce à lui, les églises des Gaules avaient retrouvé leur antique prospérité[150]. Dans ces conditions, l'empire se présentait à lui comme l'achèvement naturel de sa carrière et comme un accroissement de puissance morale capable de servir à l'exécution de ses nombreux desseins. Mais en vertu de quel droit allait-il devenir le successeur de Charlemagne ?

Il existait trois manières de faire un empereur carolingien : le couronnement par le pape après consultation des Romains, l'acclamation des Francs, l'association. A une désignation par l'assemblée générale du peuple franc, il ne fallait pas penser, puisque, depuis le traité de Verdun, celui-ci était divisé, et les réunions fraternelles qui se rapprochaient le plus des anciennes assemblées, prétendaient ignorer l'existence même de l'empereur. Louis II, n'ayant légué sa puissance à personne, restait l'autre solution, celle qui consistait à passer les Alpes. Il y avait une raison majeure pour que Charles l'adoptât : c'est qu'elle s'offrait à lui naturellement. Depuis longtemps, la papauté avait pensé que le roi de France occidentale ferait un bon empereur ; tel avait été l'avis de Nicolas Ier[151] et d'Hadrien II[152]. Jean VIII, qui occupait le siège apostolique à la mort de Louis II, convoqua aussitôt l'aristocratie et le clergé de Rome pour savoir qui était le plus digne de succéder à l'empereur défunt, et, le nom de Charles ayant été accueilli avec une faveur marquée, trois évêques, Gadéric de Velletri, Formose de Porto et Jean d'Arezzo, furent chargés de lui porter le vœu des Romains[153]. C'était une occasion unique de se légitimer qui s'offrait à lui : il n'hésita pas à la saisir. Ses conseillers avertis, son escorte rassemblée, l'intérim du gouvernement confié à la reine Richilde, il se dirigea vers le monastère de Saint-Maurice et le Saint-Bernard[154]. Le 15 décembre, eut lieu son entrée solennelle dans l'église Saint-Pierre ; le 25, il reçut des mains de Jean VIII l'onction et la couronne impériales[155].

Cet évènement constitue une véritable révolution. L'empire de Charlemagne, de Louis le Pieux et de Lothaire, avait eu pour caractère essentiel d'être un empire franc ; il avait été fait par les Francs et à leur profit ; c'était l'esprit franc qui dominait dans les conseils impériaux ; c'est à une assemblée franque réunie à Aix que Charlemagne avait remis la désignation de son successeur, et la constitution de 817 avait transformé cet usage en loi. Maintenant, c'était une assemblée romaine, présidée et dirigée par le pape, qui faisait l'élection[156]. Il y avait une autre différence. Si Charlemagne avait été couronné par Léon III, il avait aboli dès 813 le principe de l'intervention apostolique, en posant lui-même la couronne sur la tête de son fils ; ses successeurs purent demander le diadème au souverain pontife : celui-ci ne fit que confirmer la dignité qui leur avait été octroyée par leurs concitoyens et doubler en quelque sorte la cérémonie laïque par une cérémonie religieuse[157]. Avec Charles le Chauve, la cérémonie religieuse devenait unique, et, l'emploi de l'huile sainte venant s'ajouter à l'imposition des mains seule usitée auparavant, le caractère saint de l'empire s'accentuait avec son caractère romain[158].

A part l'onction qui constituait à peu de choses près une nouveauté, on aurait pu croire cependant que l'élévation de Charles le Chauve s'était faite comme celle de Charlemagne.

trois quarts de siècle de distance, le roi de la France occidentale paraissait s'être assez bien conformé à l'exemple de son illustre aïeul, et la date de Noël choisie à dessein pour le couronnement complétait l'illusion[159]. Bientôt cette illusion ne fut plus permise.

Lorsque Louis II mourut, il n'y eut pas seulement vacance de l'empire, mais aussi de la royauté italienne. Les Italiens se partagèrent, et, tandis que la majorité se déclarait pour Charles le Chauve[160], un parti inspiré par l'impératrice Engelberge s'adressa à Louis le Germanique qui délégua son fils Charles[161]. La prompte décision de Charles le Chauve déconcerta ses adversaires. Charles de Bavière se retira après une courte apparition sur le territoire de Milan, et Carloman envoyé polir le remplacer, reconnaissant la supériorité militaire de son oncle, fit la paix avec lui[162]. C'est cet arrangement qui permit à Charles le Chauve d'aller à Rome recevoir l'Empire, mais, quelques jours après, entre le 5 et le 6 janvier, il quitta brusquement la ville pour se rendre à Pavie, où il avait convoqué d'urgence les évêques, abbés, comtes, et en général tous les seigneurs de la péninsule[163]. Pavie était depuis le règne de Lothaire la résidence officielle des rois d'Italie ; Louis II y avait établi son palais et sa cour[164], et c'est là qu'Engelberge avait réuni ses fidèles pour opposer à la candidature du prince français celle d'un prince germanique[165]. L'archevêque de Milan, Anspert, parlant au nom de toute l'aristocratie, présenta à l'empereur une résolution aux termes de laquelle le roi de France occidentale avait été unanimement choisi comme roi d'Italie parce que la divine piété se prononçant par l'intermédiaire du pape Jean, vicaire des apôtres, lui avait déjà confié la dignité impériale[166]. Les nobles prêtèrent serment, et Charles, ayant rédigé avec Leur concours plusieurs Capitulaires touchant l'honneur des églises, la paix et le profit de tout l'Empire[167], revint en France par le même chemin qu'il avait suivi à son arrivée[168].

Il ne rentrait pas seul. Trois légats apostoliques, Jean de Toscanella, Jean d'Arezzo et Anségise de Sens, le suivaient, et, rejoint par eux à Saint-Denis, l'empereur convoqua pour le mois de juin suivant un grand synode à Ponthion. Cinquante-et-un évêques, cinq abbés, et d'autres membres du clergé répondirent à l'appel qui leur était adressé en vertu de l'autorité apostolique, sur le conseil des légats et sous la sanction impériale[169], et assistèrent à l'ouverture d'un dossier qui comprenait des lettres du souverain pontife aux laïques, le procès-verbal de l'élection de l'empereur approuvé par les évêques et seigneurs italiens, les capitulaires rendus au palais de Pavie[170]. Après avoir pris connaissance de ces pièces, et sur l'invitation qui leur fut faite d'avoir à confirmer ce qu'avaient confirmé les évêques cisalpins, les assistants adoptèrent le 30 juin la motion suivante : De même que le seigneur Jean, pontife apostolique et universel, il choisi à Rome et institué par l'onction sainte notre glorieux seigneur Charles pour son protecteur et son défenseur, de même que tous les évêques, abbés, comtes du royaume d'Italie, et les autres réunis avec eux, l'ont unanimement choisi, nous, qui venons de France, de Bourgogne, de Septimanie, de Neustrie et de Provence, assemblés la veille des kalendes de juillet à Ponthion sur l'ordre du même seigneur et glorieux auguste, la XXXVIIe année de son règne en France et la première de son empire, l'élisons et le confirmons avec la même unanimité et le même dévouement[171].

Il était nécessaire de donner intégralement le texte des délibérations de Pavie et de Ponthion, pour faire ressortir les importantes conclusions qui en découlent. Il résulte de là que les Italiens ne se bornèrent pas à proclamer Charles le Chauve roi d'Italie, mais qu'ils se prononcèrent également sur l'empire. Telle fut l'impression des évêques réunis à Ponthion et rapportée par Hincmar, telle fut, à n'en pas douter, la pensée de Charles le Chauve, puisqu'aussitôt après que ses nouveaux sujets lui eurent prêté serinent, il s'entendit avec eux sur les mesures à prendre dans l'intérêt de tout l'empire. Au contraire, une fois rentré en France, le roi ne demanda pas à ses grands d'approuver son élection, il ne les réunit pas, il ne les consulta pas sur la situation générale ; il se contenta de faire enregistrer par une assemblée d'évêques, que dirigeaient des légats pontificaux, l'initiative du souverain pontife et des Italiens[172]. Ainsi il achevait de détruire la base franque de l'empire pour lui substituer une base italienne et romaine. L'empire apparaissait comme la conséquence d'une entente entre les Romains d'une part, les grands italiens de l'autre, et le diadème impérial comme inséparable de la couronne royale d'Italie.

Rien dans le passé de l'empire carolingien n'autorisait une pareille décision. Charlemagne avait possédé l'Italie, mais d'un couronnement spécial de ce prince comme roi des Lombards il n'est question nulle part : il ne fut pas honoré de la couronne de fer pour cette raison qu'elle n'existait pas encore[173]. Lorsqu'il partagea ses États en 806, il ne donna pas l'Italie à son fils aîné Charles, mais à Pépin ; elle devint ensuite l'apanage de Bernard le bâtard, et, sans la révolte de ce roi qui permit à Louis le Pieux de la reprendre, il est probable qu'elle aurait constitué, plus tôt que la France et l'Allemagne, un royaume indépendant avec une dynastie particulière à sa tête. C'était donc une nouveauté qui était introduite dans la composition du pouvoir impérial. une nouveauté explicable d'ailleurs et très logique dans le fond. L'Italie avait fait partie du lot des deux derniers empereurs carolingiens, Lothaire et Louis II. Celui-ci la reçut, peut-être dès 839, de son aïeul Louis le Pieux[174] : en tout cas il s'y installa en 844, n'ayant encore que vingt ans environ[175], épousa une Italienne, Engelberge[176], et devint un véritable Italien, Imperator Italiœ, disent les chroniques[177]. L'empire et le royaume d'Italie avaient été si bien unis depuis un demi-siècle qu'on pouvait les croire inséparables. Charles le Chauve s'empara de cette opinion ; il y trouva un second moyen de légitimer sa puissance, et peut-être aussi de corriger ce qu'il y aurait eu d'excessif et d'étroit dans une élection exclusivement pontificale et romaine.

Il va de soi que, si le pape et les Italiens faisaient Charles empereur et roi, ils lui demandaient quelques services en échange, et ici nous touchons ii une modification ou plutôt à une restriction des charges de l'empire.

Pour les habitants de l'Italie, il y avait alors un souci qui dominait tous les autres, celui de leur propre sécurité. Depuis que les Sarrasins s'étaient établis dans le sud, toute tranquillité avait disparu, parce que les dissentiments qui régnaient entre les ducs des grandes maisons les empêchaient de se liguer pour une action commune. La papauté, continuant la tradition de Grégoire le Grand, avait cherché à organiser la résistance, et Grégoire IX avait bâti à l'embouchure du Tibre la citadelle de Grégoriopolis[178]. Il était mort depuis deux ans et demi à peine qu'une flotte sarrasine de soixante-treize vaisseaux, négligeant sa forteresse, débarquait à Ostie, et, si les infidèles échouèrent contre Rome, ils saccagèrent ses faubourgs, détruisirent les greniers pleins de vivres, pillèrent la basilique de Saint-Pierre hors les murs ; ils emportèrent même l'autel élevé sur le tombeau du prince des apôtres avec tous les ornements et tous les trésors[179]. L'empereur Lothaire, bien soutenu par Léon IV, fit son possible pour prévenir le retour d'un semblable événement ; il chargea son fils Louis de la protection de la Péninsule, et, dans un synode tenu en Gaule au mois d'octobre 86, promulgua un capitulaire important, qui ordonnait la construction d'un mur d'enceinte autour de Saint-Pierre et traçait le plan d'une expédition[180]. Le mur, bâti à grands frais, fut l'origine de la cité léonine[181], et Louis II s'acquittant consciencieusement de sa mission, remporta en 852 près de Bénévent une grande victoire sur l'émir Almamasser[182]. Resté seul empereur, il rédigea à son tour en 866 un capitulaire analogue au précédent, qui fut l'origine d'une longue campagne sur laquelle nous aurons l'occasion de revenir[183].

La mort de ce vaillant soldat laissait vacante la charge de défendre Rome et l'Italie, et c'est du péril sarrasin qu'Italiens et Romains étaient surtout préoccupés lorsqu'ils cherchaient, les uns un empereur, les autres un roi. Jean VIII déclara formellement que celui qui serait couronné du diadème s'occuperait seul au besoin de la défense de l'Église, et, dans la suite, il répéta souvent à Charles le Chauve que, si Dieu l'avait choisi de préférence à d'autres, c'était pour qu'il débarrassât ses temples des païens qui les infestaient comme des brigands et ravageaient tout par le fer et par le feu[184]. Quant aux Italiens, ils exigèrent à Pavie même des mesures destinées à assurer la sécurité de leurs personnes et de leurs biens[185]. Les évènements, qui rappelèrent Charles le Chauve au-delà des Alpes, ne lui permirent pas de faire tout ce qu'il aurait voulu[186], mais il laissa derrière lui, pour le représenter, son beau-frère Boson, le frère de l'impératrice Richilde, qu'il affectionnait particulièrement et qui avait déjà rempli avec succès plusieurs missions de confiance. Boson reçut la couronne de duc, le titre d'archiministre du sacré palais et de missus impérial, et il eut tous les officiers qu'il voulut pour le seconder dans sa tâche[187].

En apparence, c'était toujours du salut commun, du profit général de l'Église et de l'Empire qu'il était question[188], mais en réalité l'empereur ne pouvait plus assumer une pareille responsabilité. La vieille formule, conservée par habitude, était bonne tout au plus pour les bureaux des chancelleries ; travailler pour la délivrance des églises de Dieu et le salut de la chrétienté, c'était arracher Rome et l'Italie aux mains des Sarrasins.

 

IV

Rapports des empereurs et des papes. Louis II et Nicolas Ier, Charles le Chauve et Jean VIII.

 

La transformation de l'empire carolingien en une sorte de royauté italienne, en fait avec Louis II, en droit avec Charles le Chauve, eut une autre conséquence. Tant que les empereurs avaient vécu hors de l'Italie, la question des rapports avec Rome et la papauté avait pu être réglée de part et d'autre avec plus de modération ; on y avait mis du côté de l'empereur moins d'âpreté, du côté du pape satisfait de rester seul dans la ville, moins d'intransigeance. A distance, les droits impériaux, pour n'être ni négligeables ni négligés, paraissaient moins importants, la contradiction avec les prérogatives pontificales moins éclatante. Maintenant il n'en était plus de même. Comme l'a écrit l'auteur du Libellus de imperatoria potestate in orbe Roma, l'Empire transporté en Italie, devenu plus proche de Rome, fut conduit à y exercer une action plus étendue[189]. Ainsi se posa, plus grave qu'il ne l'avait jamais été, le problème des relations entre la papauté et l'empire. Comment fut-il résolu ? Ici surtout il est possible de constater avec quelle énergie les successeurs immédiats de Lothaire travaillèrent à conserver ce qui restait des droits des anciens empereurs.

Les relations de Louis II avec la papauté avaient commencé de bonne heure. Lorsque son père l'envoya en Italie en 844, il le chargea spécialement des rapports avec le Saint-Siège, et le mit aux prises avec les difficultés de la situation en lui donnant à régler une question d'élection pontificale. Sergius II, successeur de Grégoire IV, avait été consacré avant que le légat impérial ne fût venu à Rome pour contrôler le vote populaire, et cette hôte semblait d'autant plus regrettable que des troubles avaient accompagné l'élection et que peut-être toutes les règles canoniques n'avaient pas été observées. Il s'agissait de faire respecter la constitution de 824[190]. Louis prit une attitude résolue ; il ne consentit à recevoir Fonction royale des mains de Sergius que lorsque celui-ci, entouré des nobles romains, eut juré fidélité à Lothaire[191], et même, si l'on en croit le Liber pontificalis dont l'autorité en pareil cas est loin d'être suspecte, un fait étrange se produisit en 817 : comme Sergius était imbécile et infirme, son frère Benoît s'empara du gouvernement de l'Église, peut-être avec le titre de misses pontifical, en tout cas avec l'assentiment de l'Empire, ce dont il se vantait très haut[192]. Léon IV ayant été élu au moment où les Sarrasins menaçaient Rome et consacré aussitôt sans la permission du prince, les Romains s'excusèrent d'avoir violé le privilège impérial, en invoquant la nécessité où ils s'étaient trouvés d'agir promptement pour leur salut[193], et l'intervention de l'empereur dans les élections pontificales finit par paraître si naturelle que le Liber pontificalis la considère, à l'avènement de Benoît III, successeur de Léon IV (855), comme une vieille coutume — consuetudo prisca[194].

Parmi les événements qui viennent d'être sommairement rapportés, aucun n'avait revêtu un caractère imposant comme rentrée de Louis II à Rome, le 8 juin 844. Les fonctionnaires s'étaient portés à neuf milles de la ville avec leurs enseignes pour le recevoir et chanter ses louanges ; les corporations, guidées par leurs patrons, se tenaient à un mille, et, parmi elles, celle des Grecs se faisait remarquer par son enthousiasme. C'était le même cérémonial qui avait été déployé soixante-dix ans plus tôt, à l'entrée de Charlemagne[195]. Lorsque le roi parut, escorté de son grand-oncle Drogon, le pape, inquiet malgré la présence des représentants du clergé et du peuple romain, se porta au sommet des gradins qui conduisaient à Saint-Pierre, et, prenant Louis par la main, le conduisit rapidement devant les portes d'argent qu'il avait fait fermer. Si tu viens ici, lui dit-il, avec un esprit pur et la volonté sincère de travailler au salut de la république, de toute la ville et de toute cette église, pénètre par ces portes : elles s'ouvriront sur mon ordre. Mais si tu es venu dans d'autres intentions, elles ne s'ouvriront, ni sur mon ordre, ni avec ma permission[196]. Le roi répondit en protestant de sa bonne foi, et alors seulement il put pénétrer dans la nef avec ses compagnons[197].

Quelle impression produisit sur un jeune homme de vingt ans cette frayeur ressentie en sa seule présence par le chef de la chrétienté qu'il voyait pour la première fois, quelle idée de son droit et de sa puissance ce spectacle lui suggéra : il serait facile de le supposer si des événements postérieurs n'étaient là pour le prouver. D'abord, tout en établissant sa cour à Pavie, Louis installa un de ses représentants à Rome pour se prononcer, conformément à la constitution de 824, sur toutes les causes litigieuses, et il exigea des évêques, laïques, et de tout le peuple, le serment qui faisait des Romains les hommes de l'Empire[198].On connaît le nom du missus impérial Jean, diacre, archichancelier et secrétaire de la cour impériale, plus tard évêque de Réate, mais le missus pontifical qui, toujours aux termes de la constitution de 824, figurait à côté de lui, était également choisi parmi les fidèles de l'empereur : tel le célèbre Arsenius, évêque d'Orta et apocrisiaire du Saint-Siège[199]. Bien d'autres officiers de la cour pontificale furent attachés au parti de l'empereur, comme Anastase, le fils d'Arsenius, et Rodoald, évêque de Porto[200]. Jusqu'ici du moins l'attitude de Louis II n'offrait rien de nouveau ; elle était strictement constitutionnelle, et son auteur continuait simplement à l'égard de la papauté la politique que son père lui avait enseignée, c'est-à-dire la vieille politique impérialiste de -Wahl et de ses amis. Il mit bientôt à soumettre la papauté un acharnement, une violence telle qu'on n'avait jamais rien vu de semblable.

La présence continuelle d'un missus impérial à Rouie était dangereuse, la fonction politique dont il était chargé dépassant de beaucoup son rôle judiciaire. Ses continuelles interventions ne pouvaient être également goûtées par tous les Romains et tous les fonctionnaires. En juin 855, un conseiller du pape, nommé Gratien, fut accusé par le maître des soldats, Daniel, de vouloir détruire la souveraineté des Francs sur la ville de Rouie pour lui substituer celle des Grecs. A la nouvelle qu'un officier pontifical osait conspirer contre l'empire, Louis II accourut furieux — immensi furore accensus — dans la ville, sans se faire annoncer, et s'installa dans la maison que Léon-IV s'était fait construire près de l'église Saint-Pierre. Gratien et Daniel comparurent devant un tribunal composé de nobles francs et romains, et, s'il fut démontré que l'accusation était mensongère, grâce fut laite cependant au délateur, coupable après tout seulement d'un peu de zèle[201]. Quelque temps après, le ff juillet, Léon IV mourut, et Benoit III ayant été régulièrement élu par le clergé et l'aristocratie romaines, le procès-verbal de l'élection fut porté, avant la cérémonie de consécration, à Lothaire qui vivait encore. Alors se place un évènement qui en dit long sur les intentions de Louis II.

Il existait, comme on l'a dit plus haut, parmi les clercs italiens dévoués à l'empereur, un personnage du nom d'Anastase, généralement connu sous le nom d'Anastase le bibliothécaire. parce qu'il fut plus tard secrétaire pontifical et bibliothécaire du Saint-Siège. C'était un homme d'une fertilité d'esprit remarquable et d'une instruction exceptionnelle. Presque seul parmi les hauts dignitaires du clergé romain, il savait le grec, ce qui rendait son concours indispensable pour les négociations avec Byzance ; sa famille était d'ailleurs très noble et très ancienne à Rome[202]. Prêtre-cardinal du titre de Saint-Marcel, Anastase avait été excommunié par Léon IV et frappé d'anathème dans un concile tenu à Rome le 19 juin 853, parce qu'il avait abandonné son siège et refusé d'y revenir, malgré plusieurs sentences rendues contre lui[203]. Les délégués du clergé et du peuple romain, chargés de porter à l'empereur le décret d'élection de Benoit III, Nicolas, évêque d'Anagni, et Mercurius, maître des soldats, s'entendirent avec Arsénius, le père d'Anastase, pour proclamer celui-ci souverain pontife. Des nobles romains, les maîtres des soldats Grégoire et Christophore, deux évêques, Rodoald et Agatho, se joignirent à eux, et la petite troupe marcha sur Rome. Le 21 septembre, Anastase entra au Latran et s'assit sur le trône pontifical, tandis que Benoit, jeté bas de son siège, dépouillé de ses vêtements pontificaux, accablé d'injures et de coups, était emprisonné[204].

Il n'est pas douteux qu'il faille voir dans cette création d'un antipape le résultat d'une intrigue impériale préparée de longue main. Les envoyés des Romains auprès de l'empereur étaient partis avec de bonnes intentions, et, s'il subsistait quelque incertitude sur l'action secrète de Louis II, l'attitude des missi envoyés par lui pour contrôler l'élection serait là pour la détruire[205]. Dès le premier jour, ils firent cause commune avec les partisans d'Anastase, et, entrés à Rome avec eux, non-seulement ils prirent part à tous les actes de la déposition de Be-boit III, mais ils cherchèrent à peser de toute leur autorité sur l'assemblée du peuple et chi clergé pour la décider à accepter la révolution accomplie : Frémissants et gonflés d'orgueil, dit le biographe de Benoit III[206], les légats d'Auguste entrèrent dans le sanctuaire, où les évêques étaient assis, chantant des psaumes avec le clergé ; comme des lions très féroces, ils gravirent les degrés, et, levant leurs bâtons, ils s'efforcèrent de renverser les assistants et de les frapper avec leurs épées, disant : Consentez, et Anastase sera élevé au souverain pontificat. Ce qui est certain, c'est qu'ils avaient des instructions de leur maître et qu'ils firent tout leur possible pour les exécuter. Il y avait longtemps que Louis II et Anastase avaient parti liée. Lorsque Léon IV demandait à l'empereur de faire comparaître le prêtre fugitif devant son tribunal, Louis II promettait toujours, mais il déclarait ensuite qu'il n'avait pu découvrir celui qu'il cherchait : cela dura pendant cinq ans[207]. D'autre part, l'acharnement incroyable avec lequel Léon IV poursuivit le Bibliothécaire ne s'explique pas, si l'on n'admet que le pape était au courant de ses coupables intrigues[208]. Louis II avait mesuré depuis longtemps les forces dont il pouvait disposer ; à son arrivée, en 844, il avait pour lui plus de vingt évêques, plusieurs comtes, une partie du peuple, la colonie franque, les Saxons et les Frisons[209], et depuis cette époque, le nombre de ses partisans s'était encore accru. Ainsi s'explique son audacieuse tentative. Elle échoua devant l'hostilité manifeste des Romains, et, le 29 septembre, une semaine après avoir été emprisonné, Benoit III sortit de son cachot pour rentrer triomphalement à Saint-Pierre et y être consacré en présence des légats impériaux ; quelques jours après, dans un synode réuni au Latran, Anastase.fut dépouillé de ses vêtements sacerdotaux et rejeté dans la communion des laïques[210]. L'entreprise avait avorté, mais elle n'en constituait pas moins une chose inouïe jusque-là dans l'histoire de l'empire carolingien, peut-être même dans l'histoire générale de l'empire, car il ne s'agissait pas seulement pour l'empereur de faire élire son candidat, mais de le substituer à un pape régulièrement élu.

Après cet échec, un autre se fuit peut-être découragé ; mais Louis II ne désespérait jamais, et lorsque Benoit III fut mort, le 7 avril 858[211], il crut bien qu'il allait aboutir. Un nouveau pontife fut nominé, qui devait sa haute fortune plutôt à la faveur de Louis et de ses grands qu'à la désignation du clergé[212]. L'empereur assista à l'élection, puis à la consécration[213] : plusieurs jours se passèrent en manifestations d'affectueuse tendresse : causeries intimes, festins, échange de baisers, rien n'y manqua[214]. On vit revenir tous les anciens complices d'Anastase, Arsénius, Rodoald, Anastase lui-même, et c'est à ce moment sans doute qu'Arsénius fut investi des fonctions de missus, tandis que son fils recevait la charge de bibliothécaire[215]. Cruelle illusion ! Le nouveau pape s'appelait Nicolas Ier, et, si l'idée élevée qu'il avait de sa puissance ne l'eût empêché d'accepter un rôle subalterne, certaines affaires comme celle de l'archevêché de Ravenne lui auraient bientôt montré où le système des concessions le conduirait. Quand l'archevêque Jean, en conflit avec le Saint-Siège et cherchant un appui dans le monde, s'en fut à Rome plein d'orgueil, accompagné des légats que l'empereur lui avait donnés, Nicolas Ier opposa aux sommations qui lui furent faites une douce résistance[216], et peu à peu les causes de conflits se multiplièrent jusqu'à ce que le divorce de Teutberge amenât l'éclat final.

On sait ce dont il s'agit. Lothaire II, le frère cadet de Louis II, avait répudié sans motif sa première femme Teutberge, pour épouser sa maitresse, Waldrade, avec l'autorisation du clergé de ses états. Deux archevêques, auteurs principaux de ce scandale, Theutgaud et Gonthaire, vinrent à Rome pour justifier leur conduite, mais Nicolas Pr, au lieu de les recevoir honorablement, les déposa[217]. Gonthaire intéressa habilement l'empereur à sa cause, en lui racontant qu'on n'avait jamais vu un métropolitain déposé sans le consentement du prince et des autres métropolitains[218], et Louis II, encore une fois furieux, partit pour Rome au début de l'année 864, avec les évêques déposés et l'impératrice Engelberge, bien résolu à forcer le pape à rétablir les évêques, ou, s'il ne voulait le faire, à mettre la main sur lui[219]. Nicolas avait ordonné des litanies et un jeûne général, pour obtenir de Dieu qu'il calmât toute cette colère, et il envoya au-devant de l'empereur, jusqu'à l'église Saint-Pierre, le clergé et le peuple portant des croix et chantant des psaumes, conformément à l'usage. Les soldats se ruèrent sur ces malheureux qui commençaient à gravir les degrés en se prosternant, et les rouèrent du coups ; ceux qui purent échapper prirent la fuite ; dans le tumulte, la vénérable croix fabriquée par sainte Hélène pour contenir le bois de la vraie croix offert par elle à saint Pierre fut brisée et jetée dans la boue[220]. Si Dieu ne s'y fût opposé, déclare un écrivain postérieur[221], l'empereur eût dépouillé le vicaire des Apôtres de son office, comme il eût fait d'un vil esclave. Le souverain pontife, qui était resté au Latran, gagna alors l'église Saint-Pierre en remontant le Tibre, et y passa deux jours et deux nuits en prières, sans boire ni manger, après quoi, sur les instances d'Engelberge, les deux ennemis se réconcilièrent et Louis II quitta Rome pour Ravenne[222]. Mais ses compagnons commirent avant de partir d'autres exploits, détruisant les maisons, dévastant les églises, tuant les hommes, violant les femmes et les religieuses. Theutgaud et Gonthaire rédigèrent contre le pape un violent manifeste qu'ils confièrent au clerc Hilduin, frère de Gonthaire, avec mission de le porter à Saint-Pierre et de le placer sur le corps même de l'Apôtre. Entouré d'hommes armés, Hilduin pénétra dans l'église, et, les gardes ayant voulu l'écarter, il les fit charger avec des bâtons si brutalement que l'un d'eux fut tué. Le manifeste fut déposé, et les assassins se protégeant avec leurs épées sortirent sains et saufs[223].

Le pape eut-il l'idée de répondre à ces procédés par des procédés semblables et de remplacer Louis II par un autre empereur ? Nous savons qu'il pensait à Charles le Chauve pour l'empire, et qu'au lendemain des événements qui viennent d'être racontés, il envoya auprès du roi de France occidentale des légats chargés en apparence de régler certaines affaires ecclésiastiques. L'empereur refusa de laisser passer l'ambassade parce qu'il la croyait contraire à ses intérêts, et dès lors il ne négligea aucune occasion de témoigner sa défiance à son ancien ami ou de lui faire sentir son autorité[224]. Lorsque le roi des Bulgares, Michel, converti comme Clovis à la suite d'une victoire gagnée sur ses ennemis en invoquant le nom du Christ, eut envoyé à Saint-Pierre des présents et les armes dont il s'était revêtu au moment de la bataille, l'empereur ordonna au pape de lui faire parvenir immédiatement tous ces objets, et Arsénius en apporta une partie à Bénévent, où Louis II se trouvait, en s'excusant pour le reste[225]. Mais l'incident le plus significatif est celui qui se passa à la mort de Nicolas Ier.

En assistant à l'élection de ce pape, Louis II avait violé à son profit la constitution de 824 ; il s'était attribué un droit qu'il n'avait pas, dans l'intention évidente de constituer un précédent qui lui permît de disposer à son gré du trône pontifical. Aussi quand Nicolas mourut, le 13 novembre 867, les représentants de l'empereur à Rome ne manquèrent pas de déclarer qu'ils assisteraient à l'élection de son successeur, et, comme on avait négligé de les inviter, ils protestèrent, bien que l'entente entre le peuple et le clergé, sur le nom d'Hadrien II, ne fût pas pour leur déplaire. Les Romains répondirent avec fermeté qu'il n'y avait eu de leur part aucun mépris pour l'autorité impériale, mais qu'ils ne voulaient pas que la coutume s'introduisît ainsi d'attendre les envoyés de l'empereur pour procéder à l'élection des papes. L'incident n'eut pas de suite, et, Louis II ayant donné son consentement, le nouveau pontife fut consacré à Saint-Pierre le 14 décembre[226]. On peut se demander s'il eût capitulé aussi facilement dans le cas où le nouvel élu ne lui aurait pas été agréable[227]. En tout cas cette entreprise, la dernière de son règne, prouve qu'il n'avait pas désarmé.

Le pontificat d'Hadrien II, qui mourut cinq ans jour pour jour après sa consécration, ne donna lieu à aucun conflit, et les circonstances dans lesquelles Jean VIII lui succéda, le 14 novembre 872, sont restées inconnues[228]. Mais sous ce dernier pape un évènement grave se serait produit. D'après les Annales de Fulde, Charles le Chauve aurait acheté l'empire, argent comptant, au sénat romain et au pape[229], et, d'après l'auteur du Libellus de imperatoria potestate, les concessions auraient été plus importantes encore : l'empereur aurait signé avec les Romains un pacte, par lequel il leur abandonnait les revenus de trois monastères et les droits du fisc sur plusieurs autres, les domaines du Samnium et de la Calabre, les cités de Bénévent et le duché de Spolète avec les deux villes d'Arezzo et de Chiusi en Toscane, si bien que le duc de Spolète, qui remplissait jadis les fonctions de vicaire impérial, paraissait maintenant soumis aux Romains. Enfin ceux-ci auraient encore obtenu la suppression des missi et du droit d'intervention dans les élections pontificales[230].

Que le couronnement de Charles le Chauve fût le fruit d'un marchandage financier, cette opinion n'est pas soutenable. Le roi fit des présents au pape, comme c'était l'usage en pareil cas, et, s'il les fit plus beaux qu'à l'ordinaire, c'est qu'il surpassait les princes de sa génération par la finesse de son goût et son culte pour les arts[231]. Les faits ont été dénaturés à dessein par l'écrivain allemand jaloux du frère de Louis le Germanique[232]. Un peu plus loin, Rudolphe déclare qu'il vaut mieux se taire que d'avancer des choses inexactes ; c'est un sage précepte qu'il eût bien fait d'appliquer. Quant aux concessions faites aux Romains et connues par un document italien postérieur de quinze ans seulement au sacre de Charles le Chauve, elles sont indiscutables, à condition toutefois de ne pas les placer à Rome comme on faisait autrefois, mais à Ponthion[233], et d'écarter l'hypothèse d'un contrat humiliant entre l'empereur et les Romains[234]. Reste à savoir ce qu'elles valaient en réalité et ce qu'elles devinrent.

Quand on lit attentivement le texte du pacte de Ponthion, on remarque avec étonnement que la suppression des missi et du droit d'intervention dans les élections pontificales, qui est à notre point de vue la chose essentielle, ne vient qu'en seconde ligne. L'auteur commence par énumérer les terres et les revenus cédés par l'empereur, et ce qu'il considère comme un abandon des vieilles coutumes impériales, ce sont ces donations accomplies au détriment du duc de Spolète, dépossédé désormais de ses domaines et de son vicariat. Pourquoi ? Il n'est pas difficile de le comprendre, en revenant de quelques mois en arrière.

Lorsque Boson fut établi comme représentant de l'empereur dans toute la péninsule, Lambert de Spolète fut chargé de veiller spécialement à la sécurité du Saint-Siège et des provinces méridionales de l'Italie les plus exposées au péril sarrasin : Charles lui restitua, à cette condition seulement et sur la demande expresse de Jean VIII, son duché dont il avait été dépouillé autrefois par Louis II pour cause de trahison[235]. Or il arriva que le pape s'était trompé dans le choix de son protecteur[236]. D'autre part, Boson avait la tête tournée par les honneurs, et les intrigues, à la suite desquelles il épousa en 876 Hirmingarde, fille unique de Louis II et d'Engelberge, commencèrent à dévoiler chez lui d'ambitieux projets[237]. Hugues l'abbé, auquel Charles le Chauve pensa un instant pour le remplacer, aima mieux défendre la France de l'ouest contre les Normands que l'Italie du sud contre les Sarrasins[238]. Ne pouvant aller lui-même au-delà des Alpes ni trouver des officiers clignes de confiance, l'empereur fit le pacte de Ponthion afin de remettre aux mains du souverain pontife les droits réunis de Boson et du duc de Spolète.

Il est certain que c'était là une décision grave, que renoncer aux missi, même afin de donner plus de latitude au pouvoir pontifical dans certains cas urgents[239], était chose dangereuse ; mais il importe de remarquer que la constitution de 824, en ce qui concerne les élections pontificales, n'était point abolie. Seul le droit d'assistance à l'élection proprement dite, que Louis II avait voulu introduire, était écarté[240] : le droit de contrôle supérieur de l'empire restait intact. Le pacte de Ponthion était en somme un acte exclusivement italien ; il faisait partie du système de défense imaginé à ce moment pour sauver l'Italie des Sarrasins ; il n'a pas d'autre signification, et, dans ces conditions, il n'est pas difficile de justifier Charles le Chauve. N'était-ce pas son devoir de remplir les promesses qu'il avait faites naguère, au pape à Rome, aux Italiens à Pavie, et n'était-ce pas aussi son intérêt, lorsque ses rivaux de Germanie se montraient mal résignés à leur défaite, disposés à reprendre l'offensive ? Au fond, Charles n'avait pas été dupe, et il le prouva l'année suivante. La situation avait changé Louis le Germanique était mort, et ses fils étaient préoccupés de régler sa succession le Capitulaire de Kiersy paraissait assurer la tranquillité des pays francs[241] ; une expédition au-delà des Alpes pouvait être sans danger. Charles le Chauve prit une seconde fois la route de l'Italie, et, comme il se chargeait de diriger la guerre contre les Sarrasins, les concessions précédemment faites au Saint-Siège, jugées inutiles, furent annulées[242] : les missi revinrent[243], la donation des cités du duché de Spolète et de Bénévent ne fut pas exécutée, il n'en fut plus question. Tout. cela était oublié, tout cela était lettre morte. Comme l'a reconnu le dernier historien de Jean VIII, en définitive rien n'avait été changé dans la situation politique des Romains vis-à-vis du pouvoir impérial. Ils restaient dans l'empire et sous l'empire. Le pacte de Ponthion ne fit pas le mal que certains croient, pour la raison fort simple qu'il fut abandonné presque aussitôt que promulgué[244].

 

V

Politique impériale de conquêtes et d'agrandissement.

 

Si l'on jugeait superficiellement les événements qui précèdent, on pourrait se méprendre sur les sentiments véritables de Louis II et de Charles le Chauve. à l'égard de la papauté. En réalité, l'un et l'autre étaient profondément religieux et honoraient Rome. Louis II était pieux, vénérait les reliques, visitait fréquemment les couvents, et leur faisait des largesses en l'honneur de leurs patrons[245] ; le respect, qu'il portait aux serviteurs de Dieu, s'étendait à plus forte raison à son premier vicaire, et il promulgua plusieurs capitulaires pour faire respecter les pèlerins qui allaient prier à Rome et que des troupes de brigands assaillaient en chemin[246]. La piété de Charles le Chauve n'est pas plus contestable. Lorsqu'il devint empereur, son premier soin fut de proclamer la nécessité de vénérer la sainte Église romaine, tête de toutes les Églises, et d'exécuter les décisions de l'autorité apostolique[247] ; seulement par ces décisions il entendait celles qui concernaient le dogme et ne touchaient pas à la politique. Ainsi s'explique une contradiction apparente. Charlemagne n'avait jamais prétendu que le pape dût rester étranger aux intérêts temporels de l'empire ; il avait demandé au contraire que Léon III lui prêtât dans ses entreprises militaires et diplomatiques l'appui de sa parole, de ses lettres, de ses prières[248]. Telle fut également la pensée de Louis II et de Charles le Chauve. Ils s'aperçurent rapidement qu'à une époque où toute autorité défaillait, ils avaient sous la main une force morale considérable, capable de les bien servir s'ils savaient la régler. Voilà pourquoi Louis II travailla toute sa vie à rendre la papauté soumise et obéissante, et voilà pourquoi Charles le Chauve désira succéder à Louis II. Ils ne furent entraînés, ni par une vaine gloire, ni par le besoin de faire sanctionner des hérésies en cour de Rome, comme jadis les empereurs byzantins ; ils restèrent inébranlables dans leur foi, mais voulurent que la papauté devînt en toutes choses l'auxiliaire et le soutien de leur politique.

Il est un dessein surtout, à l'exécution duquel les papes pouvaient prêter un concours actif. En 842, Lothaire avait pensé que l'empereur devait avoir un lot plus gros que les autres rois : quand les négociations pour la paix s'engagèrent, il fit demander à ses frères s'ils voulaient augmenter sa part, à cause du titre impérial que leur père lui avait donné, et de la dignité de l'empire que leur aïeul avait ajoutée au royaume des Francs[249]. Cette doctrine ne fut pas acceptée par les princes, mais elle se répandit dans le peuple. Celui-ci estima que l'empereur, étant un roi supérieur aux autres, devait avoir des domaines plus étendus. Charlemagne n'avait-il pas été le chef de plusieurs nations et n'était-ce pas ce qui lui avait valu l'empire ?[250] Quand des voyageurs, mal renseignés, racontèrent que le roi de France occidentale s'était fait nommer Auguste à Metz, la nouvelle ne causa aucun étonnement, parce qu'on savait qu'il avait maintenant deux royaumes au lieu d'un[251]. Empereurs ou aspirant à l'être, Louis II et Charles le Chauve reprirent l'idée populaire, l'idée de Lothaire, et, à travers les efforts incessants qu'ils firent pour accroitre leur lot, on aperçoit aisément des tendances à la domination universelle. À l'un comme à l'autre il sembla que, plus ils rapprochaient les limites de leurs États de celles qu'avait eues la monarchie de Charlemagne, plus ils étaient dignes d'occuper sa place.

Louis II entra dans cette voie aussitôt après la mort de son père. Oubliant complètement ses vieux principes, Lothaire Ter avait partagé, en 855, ses États entre ses trois fils, plutôt en particulier disposant de ses domaines, qu'en souverain soucieux de la grandeur et de l'indépendance de son empire[252]. Charles, le plus jeune, eut la Provence et la Lyonnaise ; Lothaire II, l'Alsace, la Frise, quelques pagi bourguignons, et le pays compris entre le Rhin et la Meuse qui devait s'appeler de son nom la Lotharingie, c'est-à-dire la Lorraine ; Louis II parut suffisamment pourvu avec l'Italie[253]. Tel n'était pas son avis. Il réclama auprès de ses oncles, et obtint plusieurs comtés au-delà du Jura[254] ; puis, quand son frère Charles, le roi de Provence, mourut, il chercha à mettre la main sur cette riche contrée, et son intervention rapide lui valut la cession de la Provence et d'une partie de la Bourgogne transjurane[255]. Mais l'affaire importante fut celle de la Lorraine.

Le 8 août 869, Lothaire II disparut[256], laissant comme héritage une partie capitale de l'ancien empire : Aix et les contrées qui avaient été le berceau de la puissance carolingienne. L'empereur pensa immédiatement à s'en emparer. Malheureusement toutes ses ressources financières et militaires étaient engagées dans la guerre contre les Sarrasins, et, si l'opposition de Louis le Germanique, gravement malade en Bavière, n'était pas à redouter[257], il y avait tout à craindre de Charles le Chauve. Louis II jugea que, à défaut d'une armée, la diplomatie pontificale était capable de le conduire au succès, et il se tourna vers Hadrien II[258]. Ce pape était un vieillard de soixante-seize ans, faible de santé, d'un esprit naturellement enclin à la douceur ; selon lui, le meilleur moyen de gouverner l'Église consistait à vivre en bonne intelligence avec l'empereur[259]. Il chargea immédiatement deux légats, les évêques Paul et Léon, d'accompagner auprès de Charles le Chauve le missus impérial Bodrade, et il leur remit des lettres pour le roi, ses évêques et ses grands, où il déclarait que l'héritage de Lothaire appartenait à Louis et que personne n'avait le droit de le lui enlever. Si quelque prince téméraire osait passer outre à cette défense, il était frappé d'anathème et dépouillé du nom de chrétien : tout évêque, qui se faisait son complice par son inaction ou son silence, était considéré comme acheté et cessait de figurer au nombre des pasteurs[260].

Les motifs, pour lesquels Hadrien II se prononçait en ce sens, sont intéressants à relever. S'autorisant de sa qualité de protecteur de la concorde pour interpréter le traité de Verdun, il estimait que ce traité n'avait pas seulement établi la part des rois qui l'avaient signé, mais celle de leurs descendants, et que, dans le cas présent, Louis II n'héritait pas de son frère Lothaire II, mais de son père Lothaire Ier[261]. Entre les lignes, on lisait une autre raison, d'autant plus curieuse qu'elle cherche à se dissimuler davantage : c'est que Louis II s'était fait depuis son avènement le défenseur de la chrétienté menacée[262]. Hadrien n'osait dire aux rois que son protégé avait pris la fonction des anciens empereurs, au moins vis-à-vis du Saint-Siège, et que ce dévouement méritait quelque récompense : il eût été mal accueilli ; mais avec le peuple, il n'avait pas les mêmes scrupules, et, dans une lettre aux Lorrains, il déclare nettement que leur pays appartient à Louis II, parce que son père, jadis empereur, l'a fait empereur et ainsi l'héritier de tous ses Etats[263].

Lorsque la mission impériale et pontificale rejoignit Charles le Chauve à Gondreville, il était trop tard, et les beaux arguments n'étaient plus de saison. Charles, profitant de la maladie de son frère, s'était rendu à Attigny, où il avait reçu de l'aristocratie lorraine deux ambassades contradictoires. On lui demandait d'une part de ne pas traverser la frontière avant de s'être entendu avec Louis le Germanique, et d'autre part on l'invitait à venir à Metz sans retard. Naturellement ce dernier avis avait prévalu, et le roi de France occidentale avait été couronné roi de Lorraine le 9 septembre[264]. Les légats se trouvant en présence du fait accompli s'en retournèrent, et Charles le Chauve se jeta sur l'Alsace[265], mais, au milieu de l'année 870, de nouveaux envoyés du pape et de l'empereur partirent pour la France ; ils apportaient des lettres d'Hadrien II écrites le 27 juin 870, où le souverain pontife réprimandait sévèrement Charles le Chauve parce qu'il avait méprisé ses ordres et félicitait le roi de Germanie de n'avoir pas suivi un aussi mauvais exemple[266]. Ces compliments étaient de trop, car, lorsque les ambassadeurs rejoignirent Louis le Germanique, celui-ci avait signé depuis un mois le traité de Mersen, par lequel il partageait avec son frère la succession de Lothaire[267].

L'empire, semble-t-il, devait se tenir pour battu. Il n'en fut rien, et ici apparait toute la force que le titre impérial était capable de donner à celui qui le portait. A la suite d'une entrevue qui eut lieu à Trente, au mois de mai 872, entre l'impératrice assistée des légats pontificaux et Louis le Germanique, celui-ci céda à son neveu, sous la foi du serment, la part de la Lorraine qu'il avait reçue à Mersen[268]. Pourquoi ce revirement imprévu ? Il convient de l'attribuer aux embarras du Germanique engagé dans une guerre difficile contre les Slaves, attristé par la révolte de ses fils Louis et Charles[269], mais plus encore à la diplomatie d'Engelberge qui promit l'Empire au vieux roi pour son fils aîné Carloman[270]. Ainsi Louis II était venu à bout de ses desseins ; il avait une moitié de la Lorraine et il ne désespérait pas d'avoir l'autre. Charles le Chauve avait promis de se rendre à Saint-Maurice pour avoir une entrevue avec l'impératrice, et Engelberge, qui connaissait le faible de son adversaire, comptait bien triompher de ses hésitations, en faisant miroiter également à ses yeux éblouis la prestigieuse récompense ; mais le roi de France occidentale déclina l'invitation[271] : il avait d'autres moyens de se procurer, le cas échéant, la couronne de Charlemagne. Alors se place un évènement qui se rattache à toutes ces négociations, qui en marque le terme, et dont il importe de rétablir la portée, car elle a été singulièrement dénaturée.

Louis II avait trouvé moyen d'agrandir ses États autrement qu'en rassemblant l'héritage de ses frères. L'expulsion des Sarrasins, poursuivie avec opiniâtreté pendant tout son règne, devait avoir pour conséquence la conquête de l'Italie du sud, précédemment hostile à la domination impériale ; la soumission des habitants serait la juste récompense d'un aussi grand effort. Après une brillante campagne, dont le principal épisode fut la prise de Bari, l'empereur crut qu'il pouvait se considérer comme le maître du duché de Bénévent ; il s'installa dans la ville, fit frapper des monnaies à son nom, sans tenir compte de l'existence du duc Adalgise, et peut-être même pensa-t-il à l'exiler. Adalgise n'était pas homme à se laisser faire, et, profitant de ce que l'empereur avait imprudemment renvoyé ses troupes, il envahit le palais impérial à l'improviste. Louis, qui reposait, n'eut que le temps de sauter hors de son lit et de saisir ses armes, et, avec quelques gardes dévoués, il barra l'entrée aux assaillants. Réfugié dans une tour élevée, il tenait ses ennemis en respect depuis trois jours, quand Adalgise lui déclara qu'il allait mettre le feu à la maison, s'il ne lui promettait, sous la foi du serment, de ne plus jamais venir à Bénévent (17 septembre 871)[272]. L'empereur s'exécuta pour avoir la vie sauve, mais, de retour à Rome, son premier soin fut de préparer sa vengeance en utilisant toutes les ressources dont il disposait. Sur sa demande, le sénat proclama Adalgise tyran et ennemi de la République, et lui déclara la guerre[273] ; ensuite, comme Louis, engagé par sa parole, ne pouvait diriger l'expédition en personne, Hadrien II le délia de son serment au nom de Dieu et de saint Pierre, affirmant qu'une promesse faite pour échapper au péril de mort est nulle et que d'ailleurs on ne doit pas appeler serment celui qui est contraire au salut de l'État[274].

Tous les historiens modernes admettent que la cérémonie eut lieu le 18 mai 872, jour de la Pentecôte, et qu'elle coïncida avec le couronnement de Louis II par Hadrien, tel qu'il est rapporté, la même année, par les Annales de Saint Bertin[275]. Ils concluent à une corrélation entre les deux faits, et, d'après le plus grand nombre d'entre eux, ce fut le diadème impérial que le pontife romain posa de nouveau ce jour-là sur la tête de cet empereur déjà sacré depuis longtemps, mais que le malheur semblait avoir découronné. C'était une façon de raviver aux yeux de tous le prestige affaibli de l'Empire, une sorte de réinvestiture destinée à restituer des droits qui pouvaient paraitre perdus[276]. On saisit facilement l'importance d'une pareille opinion. Louis II demandant au pape de lui rendre ses droits avec sa couronne, c'était la papauté mettant la main sur l'élection impériale, l'empereur avouant son impuissance et reniant tout un passé de fierté et d'indépendance.

Le texte des Annales de Saint Bertin ne dit rien de semblable. La veille de la Pentecôte de l'année 872, lit-on[277], l'empereur Louis vint à Rome. Le lendemain, il fut couronné par le pape Hadrien, et, la messe célébrée, il se rendit solennellement avec lui au palais du Latran, couronne en tête, à cheval, suivi d'un nombreux cortège. Ensuite, ayant réuni son armée, il quitta Rome pour se rendre dans le pays de Bénévent. Pas un mot n'autorise à penser qu'il s'agit de la couronne impériale, et il n'est pas question du tout du serment prêté à Adalgise. Si l'on a recours au contexte, comme il est d'une bonne méthode, la chronologie des évènements est la suivante : Au mois de septembre 871, Louis II sort des mains d'Adalgise, et, se rendant de Bénévent à Ravenne par Spolète, fait demander immédiatement au pape de venir le rejoindre en cours de route et de le délivrer de son serinent[278] ; en 872, après Pâques, qui tombe cette année-là le 3o mars, Charles le Chauve se dispose à rejoindre Engelberge à Saint-Maurice, mais il apprend que celle-ci a eu, au mois de mai, l'entrevue de Trente avec Louis le Germanique, et il revient sur sa décision ; la veille de la Pentecôte, Louis II arrive à Rome, et le lendemain, 18 mai, il est couronné par le pape. Comment admettre que l'empereur ait attendu neuf mois, du mois de septembre 871 au 18 mai 872, pour se débarrasser de ce serment qui le gênait tant et qu'il jugeait urgent d'annuler ? Un simple raisonnement permettrait de rejeter cette hypothèse, si l'on n'avait le témoignage de Regino qui place la cérémonie de l'affranchissement du serinent, à Rome, aussitôt après le retour de Bénévent, en même temps que la proclamation du sénat qui déclare Adalgise ennemi de l'Etat[279].

De quel couronnement il s'agit, la brillante chevauchée, que l'empereur accomplit après la messe, à travers les rues de la ville, le dit clairement. Louis II n'aurait pas été aussi triomphant s'il était sorti d'une épreuve humiliante qui l'aurait ravalé au rang d'un Louis le Pieux[280]. Conformément à l'opinion ancienne de Dom Bouquet et de Baronius[281], le couronnement du 18 mai 872 est tout à fait semblable à celui qui eut lieu à Metz en 869, lorsque Charles le Chauve fut couronné roi d'une partie de la Lorraine, parce que, dit l'évêque Advence[282], on lit dans les historiens sacrés que les rois, quand ils obtiennent des royaumes, se mettent des couronnes sur la tête, une pour chaque royaume. A son tour, Louis II était couronné roi de la partie de la Lorraine qui venait de lui être cédée à Trente, et ce fut sur la nouvelle rapidement transmise du beau succès remporté par Engelberge que la fête fut décidée. Hadrien, qui avait pris une part active aux négociations engagées et soutenu de toutes ses forces les droits de l'Empire, fut naturellement désigné pour consacrer, par une cérémonie officielle et conforme à la loi ancienne, la victoire remportée par la diplomatie impériale et pontificale[283]. On comprend maintenant que Louis II partit joyeux pour Bénévent : l'Empire se rapprochait de ses limites d'autrefois du côté du nord, et il avait toute facilité d'en faire autant vers le sud, en soumettant l'Italie méridionale.

Nul n'était plus capable que Charles le Chauve de comprendre le système de Louis II et de le continuer. Son ambition d'agrandir ses états était ancienne et connue de tous. Elle s'était révélée à Lothaire Ter et à son fils Charles par certaines intrigues en Provence, et Lothaire II, voyant son oncle prendre parti contre lui dans l'affaire de Teutberge, avait été convaincu qu'il allait profiter de ses embarras pour lui enlever son royaume[284]. L'Empire permit au roi de France occidentale d'élargir cette politique, de l'appuyer par des moyens nouveaux, plus efficaces. Bien qu'il n'ait fait que passer sur le trône impérial, il y resta assez longtemps pour montrer ce qu'il aurait pu faire s'il avait vécu et si son armée ai-ait été à la hauteur de sa diplomatie.

Le traité de Trente fut pour Louis le Germanique une immense duperie. Non-seulement Engelberge ne réussit pas à imposer Carloman aux Italiens et aux Romains, mais. la Lorraine orientale étant devenue la propriété de Louis II, Charles le Chauve empereur acquit quelque droit à la revendiquer comme une partie de l'héritage de son prédécesseur. Il n'eut garde d'y manquer. Plus adroit que son frère, il n'avait pas seulement évité le piège dans lequel avait voulu le faire tomber l'astucieuse Italienne, mais il avait résisté jusqu'au bout aux sollicitations directes dont il était l'objet[285] ; il s'était ménagé ainsi la possibilité de recueillir tout l'héritage de Lothaire II. Quand les ambassadeurs de Louis le Germanique, chargés d'apporter les protestations de leur maître contre de pareilles prétentions, arrivèrent à la cour de France, ils y trouvèrent des légats pontificaux qui leur communiquèrent une lettre du pape aux évêques de Germanie, par laquelle Jean VIII approuvait complètement les projets de l'empereur[286] ; deux des légats, Jean de Toscanella et Jean d'Arezzo, restèrent même pour assister au règlement définitif de l'affaire[287]. La mort de Louis le Germanique, survenue sur ces entrefaites, permit à Charles le Chauve de demander, outre la Lorraine, toutes les cités situées sur la rive gauche du Rhin, c'est-à-dire la limite naturelle de l'ancienne Gaule[288]. La vieille capitale de Charlemagne fut occupée par ses troupes[289], et il fallut, pour arrêter cette ambition démesurée, l'union étroite des princes germaniques qui se prêtèrent serinent dans leur langue nationale, la victoire de Louis le Jeune à Andernach le 8 octobre 876, la seconde expédition d'Italie, enfin la mort prématurée du roi de France occidentale[290].

D'autre part l'alliance pontificale fut utile à Charles le Chauve pour consolider sa puissance à l'intérieur de ses États et diminuer cette église de Reims, dont les prétentions, servies par un homme audacieux et trop bien versé dans la connaissance des Saintes Ecritures, commençaient à devenir insupportables. A son instigation, Jean VIII confia la primatie de Gaule et de Germanie à Anségise de Sens. Cette décision rendue publique à l'assemblée de Ponthion[291], Hincmar et ses amis purent déplorer l'ingratitude du roi et insinuer qu'il avait pris la place du souverain pontife[292]. Ils auraient mieux fait de reconnaître que la revanche de la royauté était bonne, et que, cette fois au moins, elle s'était trouvée bien servie.

 

VI

Nouveautés intéressantes dans le costume et le cérémonial de la cour.

 

Quand on étudie de près la politique impériale de Louis II et de Charles le Chauve, et en particulier les rapports de ces deux princes avec la papauté, on voit combien l'Église était loin de ses désirs, et quelle idée fausse on aurait de l'empire carolingien dans la seconde moitié du neuvième siècle, si l'on s'en tenait pour le juger à quelques délibérations de synodes ou à certains évènements décisifs en apparence comme le traité de Verdun et le pontificat de Nicolas Ier. Que l'Empire fût le Romuleum imperium per Francos comme autrefois, ou qu'il fût attaché à l'onction romaine et à la royauté d'Italie comme maintenant, il n'abdiquait pas, et les populations de leur côté se montraient tout à fait réfractaires à l'établissement du régime théocratique. On en trouve la preuve dans une lettre d'Hincmar au pape Hadrien. — Et lorsque nous voulons leur insinuer, dit-il, que le pouvoir de lier et de délier, conféré à saint Pierre, premier des apôtres, et par lui à ses successeurs, a été également donné aux autres apôtres et par eux aux évêques, ils répondent ; Eh bien, défendez par vos seules prières le royaume contre les Normands et ses autres ennemis, et ne sollicitez pas notre défense. Mais si vous voulez avoir notre secours, de même que nous désirons avoir l'appui de vos prières, ne cherchez pas notre dommage. Le pape ne peut être roi et évêque à la fois, et, si ses prédécesseurs ont disposé de l'Église qui leur appartient en effet, ils n'ont pas disposé de l'État qui appartient aux rois. Dites-lui donc qu'il ne nous ordonne pas, à nous, Francs, de prendre un roi incapable de nous défendre contre les attaques subites et fréquentes des païens, et de nous faire esclaves, car les autres papes n'ont jamais imposé un joug semblable à nos aïeux ; et d'ailleurs il nous est impossible de le porter, vu qu'il est écrit dans les Livres Saints que nous devons lutter jusqu'à la mort pour nos biens et notre liberté[293].

Ces fières paroles, où respire comme au temps glorieux de Charlemagne l'orgueil de la race franque, n'auraient pas été déplacées dans la bouche de Louis II et de Charles le Chauve. Ces deux princes comprirent que rien n'était perdu, tant que les nations sur lesquelles ils régnaient gardaient au fond du cœur de si nobles sentiments, et l'on peut dire qu'ils gagnèrent les sympathies de la société, autant par leur fermeté dans la défense de ses droits que par l'illustration de la maison à laquelle ils appartenaient. Ils séduisirent encore d'une autre façon l'imagination populaire.

Charlemagne avait une autorité assez grande pour qu'il pût l'exercer avec simplicité, et l'on sait qu'il se plaisait dans des habits modestes d'où la parure était à peu près exclue ; son fils Louis le Pieux imita son exemple ; l'un et l'autre portèrent le costume franc et manifestèrent une vive répugnance pour les vêtements romains que les papes voulaient leur faire prendre. Leurs successeurs, qui vécurent sous le régime de la concorde, voulurent au contraire rendre manifeste par les insignes et la pompe cette majesté impériale qui, avec Charlemagne, résidait dans la personne du souverain, et ils s'y employèrent avec une ingéniosité d'esprit qui ne fut point perdue. Déjà Lothaire et Louis II s'étaient entourés d'une cour brillante, et l'on garda longtemps, sur les rives du Pô, le souvenir des fêtes qu'ils donnaient, de la dignité avec laquelle Lothaire surtout y présidait, ayant à ses côtés sa gracieuse femme, l'impératrice Hirmingarde[294] ; mais Charles le Chauve inaugura vraiment un cérémonial nouveau, à l'occasion de l'assemblée de Ponthion. La salle avait été préparée avec magnificence ; les murs et les bancs étaient tendus d'étoffes, et le trône impérial s'élevait au milieu, vis-à-vis du lutrin portant les Saints Évangiles ; les évêques et les clercs portaient leurs ornements sacerdotaux. A la première séance, Charles fit son entrée dans un habit doré, mais coupé à la mode franque[295] ; à la dernière, il parut costumé comme les monarques orientaux, c'est-à-dire qu'il avait le diadème sur le voile de soie enveloppant la tête, la dalmatique, et le baudrier par dessus descendant jusque sur les pieds ; dans ses mains étaient placés un sceptre et un bâton dorés que les légats pontificaux venaient de lui offrir de la part de leur maitre. Il en fut de même désormais tous les dimanches et jours de fêtes. Enfin, nouveauté non moins considérable, l'impératrice Richilde se tenait, couronnée, auprès de son époux[296], en attendant que le pape la consacrât l'année suivante, à Tortone en Italie[297].

Devant cet abandon des coutumes franques pour celles des Grecs, les railleries ne manquèrent pas. En Allemagne, Charles fut accusé d'orgueil démesuré, de trahison, et l'annaliste de Fulde se fit l'écho de ces accusations, dont il est difficile de dire si elles provenaient d'une grande jalousie ou d'un manque de perspicacité[298]. La conduite du roi de France n'avait pourtant rien d'extraordinaire ou de ridicule : elle était parfaitement raisonnée. Par ce changement de costume, Charles le Chauve laissait entendre qu'il changeait de condition, que le roi avait fait place à l'empereur, et qu'empereur il entendait être, à l'image de ces grands Romains dont il avait appris l'histoire dans les livres de sa bibliothèque ou dans l'abrégé de Loup de Ferrières. Combien il dut être heureux quand il se vit, siégeant au milieu des évêques, assisté des légats pontificaux, comme jadis Constantin au concile de Nicée ! Charlemagne, lui aussi, s'était intitulé Auguste, mais on a vu combien il était loin de la vérité historique ; plus proche en était Charles le Chauve, créé empereur à Rome par les Romains, acceptant leur costume, plaçant la base de l'Empire dans la ville des Césars[299]. Par les souvenirs que sa physionomie évoquait aux jours de fêtes solennelles, il n'achevait pas seulement de modifier le caractère extérieur de l'Empire, il contribuait à lui conserver sa grandeur apparente, son prestige, et quelque chose de sa force.

 

 

 



[1] Ann. Bert., a. 834, 836, 837, 838. — En somme, on peut considérer l'année 834 comme le point de départ des invasions normandes, c'est-à-dire qu'elles commencèrent aussitôt après la défaite de l'impérialisme. La Frise surtout, qui était le grand débouché commercial de la vallée du Rhin, fut attaquée (PARISOT, o. c., p. 53 sq.).

[2] Ann. Bert., a. 837.

[3] Ann. Bert., Fuld., a. 839. — Les envoyés d'Horic vinrent trouver Louis le Pieux pacis amicitiœque arctius stabitiusque gratia confirmandæ ; ils furent accueillis hilariter.

[4] Ann. Bert., a. 841.

[5] Ann. Bert., a. 842 ; Ann. Fuld., a. 843 ; NITHARD, IV, 3.

[6] Ann. Bert., a. 842 ; NITH., IV, 6 ; ERCHEMPERT, Hist. Langob., 6 (MGH. Ser. rer. ital., p. 240) ; Chron. Sancti Benedicti casinensis, 5. (MGH. Ser. rer. ital. p. 470 ; Ann, Xanten., a. 843). — L. P. Gregorius IV, 38. — D'après l'ensemble de ces documents, les Sarrasins furent appelés en 842 par Radalgise, prince de Bénévent, en lutte contre Siconulfe, prince de Tarente. Il n'y a d'obscurité que sur le lieu d'origine des pirates. Venaient-ils d'Afrique, comme le disent les Ann. Bert., ou de la Sicile, dont le gouverneur grec Euphemios leur avait ouvert l'accès depuis 827 ? Cette dernière opinion est la plus vraisemblable. Quoi qu'il en soit, ils avaient déjà attaqué Marseille et pillé les côtes provençales en 838 ; en 842, ils remontèrent le Rhône jusqu'à Arles (Ann. Bert.).

[7] Voir sur ce sujet de bonnes pages dans HAUCK, Kirchengeschichte Deutschlands, t. II, p. 612 sq.

[8] SS. II, p. 403 sq., et 370 sq. ; Cf. EBERT, t. II, p. 370 sq. ; GREGOROVIUS, t. IV, p. 72 sq. ; AMPÈRE, Histoire littéraire de la France, t. III, p. 103 sq.

[9] Transl. S. Alexandri, 4. SS. II, p. 677.

[10] HICMARI Opera (MIGNE, P. L., t. CXXVI, col. 506-507). — On a conservé trois lettres de Lothaire, relatives à un certain Waltpert, qui fut chargé d'aller chercher à Rome des reliques destinées à raffermir le christianisme des Saxons ébranlé par le voisinage des Normands et des Obodrites. L'empereur expose à Léon IV l'objet du voyage de Waltpert, il écrit à son fils Louis de protéger le noble comte pendant son séjour en Italie, à tous les évêques et fonctionnaires de le soutenir (Transl. S. Alexandri. SS. II, p. 677 sq.). En 845, Louis le Germanique reçoit quatorze chefs des Bœmani, qui désirent embrasser le christianisme avec leurs hommes, et les fait baptiser (Ann. Fuld., a. 845).

[11] Il s'agit de la formation de la Stellinga, c'est-à-dire de la confédération des Saxons, serfs et ingénus, contre les nobles, dont il est question dans NITHARD, IV, 2, 6. Ce soulèvement eut à la fois des causes sociales et religieuses (Ann. Xanten, a. 841, SS. II, p. 227. — NITH., IV, 2. — Ann. Bert., a. 841). La Stellinga fut d'ailleurs complètement écrasée (NITH., IV, 6).

[12] SEDULIUS SCOTTUS, Carm. XVI, vers 8 (Poet. lat., t. III, p. 184).

[13] HINCMARI, Epist., 21. BOUQUET, t. VII, p. 551 A. — Ann. Lugd., SS. I, p. 110. — Ann. Xanten., SS. II, p. 227. — Ann. Fuld., a. 853, 858. — Le point de vue chrétien est constant dans les Annales de Xanten. Voir encore ANGILBERTI Carmina (Poet. lat., t. II, p. 138-139) ; Ann. Bert., Fuld., a. 841 ; Ann. lemocicenses. SS. II, p. 251 ; Chron. aquitanicum. SS. II, p. 253 ; NITH., III, 1.

[14] Ann. Bert., a. 841. — NITH., III, 1.

[15] ANDREÆ BERGOMATIS, Hist., 12.

[16] Voir le portrait des Normands, tracé par ERMOLD LE NOIR, l. IV, vers 11-19.

[17] Lorsque les préliminaires de la paix, qui devait être signée un an plus tard à Verdun, furent engagés, les rois consultèrent l'Église (NITH., IV, 3). Les évêques se rappelèrent ce précédent quand, au synode de Thionville de 844, ils s'adressèrent aux rois (KRAUSE, Cap., p. 113).

[18] Adnuntiatio Lotharii apud Marsnam, févr. 847. KRAUSE, Cap., p. 70. — Adn. Hlud. apud Marsnam, 851 été. KRAUSE, Cap., p. 74. — Pactiones mettenses, a. 867. KRAUSE, Cap., p. 168.

[19] Concilium meldense-parisiense. Pref. KRAUSE, Cap., p. 396. — Synodus mettensis. KRAUSE, Cap., p. 442.

[20] Concilium vernense, a. 844 déc. Prel. KRAUSE, Cap., p. 383.

[21] Voir dans KRAUSE, Cap., p. 253, 112, 382, les actes de ces synodes, réunis à Coulaincs pris du Mans au mois de novembre 843, à Thionville en octobre 844, à Ver au mois de décembre de la même année. La communauté des intérêts de l'Église avec ceux de l'État, est dès lors constamment affirmée et acceptée (KRAUSE, Cap., p. 73, 74, 90).

[22] Lettre de Charlemagne à Offa de Mercie, MIGNE, P. L., t. CII, col. 1035.

[23] Vita Hlud., 54. — NITHARD, I, 7.

[24] NITHARD, III, 6. — Ann. Bert., a. 841-842. — Sur les origines et les caractères du gouvernement confraternel, voir : FAUGERON, De fraternitate seu colloquiis inter filios et nepotes Ludovici Pii ; POUZET, La succession de Charlemagne et le traité de Verdun, p. 61 sq. ; BOURGEOIS, Le Capitulaire de Kiersy-sur-Oise, chap. VII.

[25] Synodus ad Theodonis villam, cap. 1. KRAUSE, Cap., p. 113.

[26] KRAUSE, Cap., p. 113. — On remarquera la présidence conférée à Drogon, le membre le plus âgé de la famille carolingienne et en même temps l'un des plus hauts dignitaires de l'Église. Ce fait prouve qu'il y avait accord des trois rois entre eux et avec les évèques. Le synode de Thionville ne fut d'ailleurs pas à proprement parler un synode (FAUGERON, o. c., p. 21).

[27] Ann. Bert., a. 844.

[28] Ann. Bert., a. 844 ; Ann. Fuld., a. 847 ; Ann. Xanten., a. 850. — Très instructif est le procès-verbal de l'Assemblée de Mersen de février 847 (KRAUSE, Cap., p. 69 et sq.) — Que l'oubli de la fraternité soit capable d'amener un scandale dans l'Église, la chose est affirmée à plusieurs reprises non seulement dans les actes des synodes, mais dans les lettres des papes (Lettres d'Hadrien II à Hincmar et Charles le Chauve, dans MIGNE, P. L., t. CXXII, col. 1295, 1298). Il est intéressant de constater que c'est pour le même motif que Louis le Pieux a été invité autrefois à faire l'Ordinatio de 817, et que l'Église lui a prêté son concours dams la circonstance. Pourquoi les évêques ont-ils changé d'avis ? Parce qu'il leur a semblé, aussitôt après la bataille de Fontanet, que l'ancienne politique, qu'ils avaient inspirée et soutenue, n'était plus possible (NITH., IV, 1. Cf. POUZET, p. 62).

[29] Conventus apud Saponarias, 832. KRAUSE, Cap., p. 160. — On peut citer, comme modèle des serments prêtés dans les assemblées fraternelles, celui qui fut prononcé par Louis le Germanique à Coblentz en 860, et dont le texte (KRAUSE, Cap., p. 154) rappelle celui des serments de Strasbourg (NITH., III, 5). La communication au peuple s'appelait Adnuntiatio ad populum (KRAUSE, Cap., p. 68, 70, 71, 74, etc.). L'assemblée elle-même ne portait pas de nom bien défini : on disait indifféremment conventus, colloquium, conlocutio, pactio, pactum, firmitas (FAUGERON, p. 18). Les pactes de fraternité étaient enfin entourés de sauvegardes fournies par les principaux seigneurs de la cour des parties contractantes : ainsi, lors du pacte de Tusey conclu entre Louis le Germanique et Charles le Chauve, se présentèrent, pour Charles, Hincmar de Reims et le comte Engelran, et pour Louis, l'archevêque Liutbert et l'évêque Altfrid (Ann. Fuld., a. 864).

[30] La bataille de Fontanet avait été considérée par Charles et Louis comme le jugement de Dieu (NITH., III, 1, 4, 5 ; Ann. Fuld., a. 841), et acceptée à ce titre par les évêques (NITH., IV, 1).

[31] Assemblée de Mersen de 847 et 851, dans KRAUSE, Cap., p. 69, 73-74. Cf. Concilium moguntinum, a. 847 (MANSI, t. XIV, col. 904).

[32] Conventus apud Marsnam, a. 851, cap. 7. KRAUSE, Cap., p. 73. Conventus Leodii habitus, a. 874. Adn. Lotharii, KRAUSE, Cap., p. 77. — Voir en particulier le long capitulaire de Coulantes (Conventus in villa Colonia, KRAUSE, p. 252 sq.), qui est une suite de règlement, de concorde pour le royaume de Charles le Chauve. — On a des exemples de pactes conclus entre les rois, les évêques et les abbés (KRAUSE, Cap., p. 296 ; Lettre de WÉNILON, évêque de Sens, à Amulus, évêque de Lyon, parmi les Lettres de Loup de Ferrières, éd. Desdevises du Dézert, p. 103), et par les évêques entre eux. Ainsi les évêques, réunis en 859 à Savonnières, déclarent qu'ils se' sont unis dans la vie et dans la mort : pendant leur vie, ils célébreront des messes, les uns pour les autres, le mercredi de chaque semaine, et ils diront des prières pour les morts (Concil. apud Saponarias, art. 3, 13. MANSI, t. XV, col. 528-529). Des abbés concluent un fœdus, une societas, dans un but de charité et d'amitié (LOUP DE FERRIÈRES, Lettre XXXIII.) Le Concile de Mayence de 852 discute de concordia episcoporum comitumque fidelium (KRAUSE, Cap. p. 183). Rétablir l'accord entre la royauté et l'aristocratie, tel est le but du De ordine palatii (éd. Prou, p. XVII, XXXVIII). GFRÖRER, Geschichte der ost und west-fränkischen Karolinger, t. I, p. 59, croit même que les conditions d'une entente entre les rois et leurs sujets furent réglées par le traité de Verdun, dans le sens d'un accroissement des droits des peuples. Cette affirmation est fantaisiste, comme d'ailleurs la plupart de celles qui se rencontrent sous la plume de cet extraordinaire historien.

[33] Epist. synodi carisiacensis ad Hludowicum regem Germaniæ, 6, dans KRAUSE, Cap., p. 431. — HADRIANI II Epist., dans MIGNE, col. 1264-1265.

[34] Tel fut l'un des objets de l'assemblée de Mersen de février 847. L'article 2 spécifiait que les trois frères devaient se secourir contre leurs ennemis et ceux de la Sainte Église ; l'article 10 décidait l'envoi d'une ambassade commune au duc des Bretons (KRAUSE, Cap., p. 70). Les Ann. Bert., a. 847, nous apprennent que ce roi était Horic.

[35] On trouvera le texte de ce traité intitulé Liber revelationum et dont il ne nous est parvenu que des fragments, soit dans DUCHESNE, Historia Francorum scriptores, t. II, p. 399, sq., soit dans MIGNE, P. L., t. CXV, col. 23-30. Andrade est également l'auteur de poèmes, d'ailleurs sans intérêt historique, qui se trouvent au t. III des Poetæ latini. Cf. ÉBERT, t. II, p. 301-302.

[36] Liber revelationum, 9. Il semble résulter de ce passage que le traité a été écrit après la mort de Lothaire. On remarquera, toutefois, que Louis II est appelé roi d'Italie et non empereur.

[37] Liber revelationum, 9.

[38] EINH., Vita Karoli, 24. — Plus tard, le moine de Saint-Gall raconta que Charlemagne, poursuivant dans ses États la restauration des études, aurait dit : O utinam haberem duodecim elericos tales, ita doctos et omni sapientia tam perfecte instructos, ut fuerunt Hieronimus et Augustinus ! (MON. S. GALLI., I, 9). Pour l'étude de Saint-Augustin à la cour de Charlemagne et son influence sur les doctrines politiques dès cette époque, voir KETTERER, Karl der Grosse und die Kirche, p. 124 et sq.

[39] HINCMARI Opera. MIGNE, P. L., t. CXXV, col, 51, 52, 69, 70, 75. — THEODULPHI Carmina. De libris quos legere solebam. Au monastère de Saint-Gall, Saint-Augustin occupe la première place ; on trouve la Cité de Dieu, les Confessions, etc. (RATPERT., Casus S. Galli, SS. II, p. 70). De même, à l'abbaye de Fontenelles, au temps d'Anségise qui mourut en 833, les livres du divin Augustin constituent à eux seuls une bonne moitié de la bibliothèque (Gesta abbatum Fontanellensium. SS. II, p. 295-297).

[40] MIGNE, P. L., t. LI, col. 427-498 et 498-532, où il se servait, pour combattre le pélagianisme, d'arguments tirés des écrits de Saint-Augustin, de même que Saint-Augustin avait tiré sa politique de l'Écriture sainte. Cette méthode resta en honneur pendant tout le Moyen-Age, et Hincmar l'a exposée dans la Préface du De regis persona et regio ministerio (MIGNE, P. L., t. CXXV, col. 833). Le De doctrina christiana de l'évêque d'Hippone resta pour le clergé une sorte de manuel (EBERT, t. I, p. 266), et, parmi ceux qui composèrent des recueils de ses pensées, nous citerons notamment Amulus et Florus de Lyon, surtout Claude de Turin.

[41] Vita Adal., 14, 21.

[42] OROSE, Hist. univ., I, 1. MIGNE, P. L., t. XXX I, col. 659. — De civ. Dei, I, p. 9.

[43] OROSE, Hist. univ., IV, 6, VII, 1, 41. Cf. BOISSIER, La fin du paganisme, t. II, p. 465 sq.

[44] De Civ. Dei., I, 11.

[45] De Civ. Dei, XIX, 13. BOURGEOIS, p. 286-287, et DUBIEF, Essai sur les idées politiques de Saint-Augustin, p. 17, (Paris, 1859).

[46] Concilium meldenseparisiense. KRAUSE, Cap., p. 396. — Déclarations de Lothaire et de Charles le Chauve dans KRAUSE, Cap., p. 65-66, 303.

[47] C'est sur cette triste constatation que se terminent les histoires de Nithard (NITHARD, IV, 7).

[48] Ann. Bert., a. 839.

[49] Conventus apud Marsnam. 847, KRAUSE, Cap., p. 60. — Concilium moguntinum, a. 847. KRAUSE, Cap., p. 177. — Concilium moguntinum, a. 852. KRAUSE, Cap., p. 185. — Lettre de WÉNILON parmi les Lettres de Loup de Ferrières, éd. Desdevises du Dézert, p. 103.

[50] BAYET, Compte-rendu critique de la thèse d'Émile Bourgeois (Revue hist., t. XXXII, p. 183).

[51] N'y a-t-il pas un rapprochement à faire en particulier entre l'article 18 de la Divisio regni de 806 et l'article 9 de la Convention de Mersen de 847 ? (KRAUSE, Cap., p. 69). — On trouve aussi des souvenirs de 806 dans la rédaction du traité de Verdun. Les Ann. Fuld., a. 843, rapportent que, le traité une fois signé, singuli ad disponendas tuendasque sui regni partes revertuntur, et les mêmes termes sont employés par ADON dans sa Chronique (SS. II, p. 322). Or ils sont littéralement empruntés au Préambule de la Divisio regni de Thionville (BORETIUS, Cap., p. 126). POUZET, p, 75, se demande si ce n'était pas là une formule consacrée, pour dire que chaque roi était le seul maitre de son territoire.

[52] Conventus apud Marsnam secondus, a. 831, cap. 2, 3. KRAUSE, Cap., p. 72. — Conventus Leodii habitus, a. 854. KRAUSE, Cap., 77. — KRAUSE, Cap., p. 169.

[53] On trouve cependant dans les Capitulaires : Sacrum quoque monasticum ordinem.... per istud imperium a vestris piæ memoriæ prædecessoribus propagatum (Synodus ad Theodonis villam, a. 844 oct. KRAUSE, Cap., p. 114). Principes et respublicœ potentes. (Concilium meldense-parisiense. KRAUSE, Cap., p. 396) ; mais ce sont là des cas exceptionnels. Cf. FAUGERON, p. 30, 67-68.

[54] La qualité de parent est, avec celle de roi, la seule qui soit mentionnée dans les procès-verbaux des assemblées fraternelles et les récits que les annalistes nous ont laissés de ces assemblées. Ainsi, après la mort de Lothaire, les grands de la Lotharingie, voulant Lothaire II comme roi, se rendent auprès de Louis le Germanique patruum ejus (Ann. Fuld., a. 855). Deux ans après, à la réunion de Saint-Quentin du 1er mars 837, Charles le Chauve déclare que, depuis la mort de Lothaire son aîné, il a toujours trouvé appui auprès de son cher frère Louis (KRAUSE, Cap., p. 293). Louis le Germanique reçoit son neveu Lothaire II, la même année à Coblentz (Ann. Fuld., a, 857), et déclare dans cette ville, en 860, qu'il secondera de tous ses efforts sou frère et ses neveux (KRAUSE, Cap., p. 154).

[55] HINCMAR (Ad episcopos de institutione Carolomanni ; De regis persona et regio ministerio, 2. MIGNE, P. L., t. CXXV, col. 1016-1017, 835-836), et HADRIEN II (Epist. ad Carolum calvum. MIGNE, t. CXXII, col. 1329) recommandent la piété et la justice. LOUP DE FERRIÈRES (lettre XLI) insiste sur la nécessité de se délier des flatteurs. HINCMAR revient fréquemment sur la question du choix des conseillers des rois (Instr. ad Hlud. Balbum, 1, dans MIGNE, t. CXXV, col. 984-985 ; De ondine palatii, 31-33). L'idée qu'on se faisait alors de la royauté est d'ailleurs bien exposée dans le De reetoribus ehnistianis de SEDULIUS SCOTTUS, écrit moitié en prose, moitié en vers, qui est remarquablement analysé par ÉBERT, t. II, p. 221-226, et dont la partie poétique a été récent éditée dans les Poetæ latini, t. III, p. 154-166.

[56] Concilium meldense-parisiense, cap. 20, 42. KRAUSE, Cap., p. 403, 408. Cf. HINCMAR, De coercendis militum rapinis, et Capitula in synodo apud S. Macram, 4. (MIGNE, P. L., t. CXXV, col. 954-955, 1073).

[57] Conventus apud Marsnam, février 847, cap. 7 (KRAUSE, Cap., p. 69). — Ce n'est pas une déclaration platonique, car plusieurs capitulaires des rois francs sont relatifs à l'envoi de missi (Conventus apud Valentianas, nov. 853 ; adnuntiatio domini Hlotharii, cap. 1-5 (KRAUSE, p. 75). Capitulare missorum suessionense, avril 853. KRAUSE, p. 267). L'article Ier du Capitulaire de Soissons débute ainsi : Ut missi nostri per civitates et singula monasteria... una cum episcopo parrochiæ... inquirant. Le Capitulare missorum silvacense de Charles le Chauve, promulgué en novembre 853, donne une longue liste de missatica pour la France occidentale, avec les noms des missi (KRAUSE, Cap., p. 275). Pour l'Italie, on a une définition assez complète de la fonction du missus (Capitulare in missorum, a. 865, après le 5 février (KRAUSE, Cap., p. 93) et aussi une liste de missatica (Constitutio de expeditione beneventata, a. 866, cap. 3. KRAUSE, p. 65).

[58] BOURGEOIS, Le Capitulaire de Kiersy, p. 240-241. — BAYET (Revue hist., XXXII, p. 183), trouve la théorie ingénieuse, mais subtile. Elle est cependant conforme aux textes. En 853, à la suite de l'assemblée de Valenciennes où il s'est rencontré avec Lothaire, Charles le Chauve envoie ses missi dans tout le royaume avec des instructions trés précises (KRAUSE, Cap., p. 270-276), et nous possédons l'une des allocutions que les envoyés du roi adressèrent au peuple dans la circonstance (Allocutio missi cuiusdam divionensis. KRAUSE, Cap., p. 291). Après l'assemblée de Coblentz, en 860, Charles le Chauve encore décrète : Hæc missi nostri discurrentes faciant. Cap. 1 (KRAUSE, Cap., p. 297). En 852 il enjoint à ses missi de relire les capitulaires rendus précédemment à la suite de l'assemblée de Valenciennes (Capitula pistensia, cap. 4. KRAUSE, p. 309). Non moins indiscutable est le rôle des missi au point de vue des relations des différents royaumes. Lors du conflit entre Louis le Germanique et Charles le Chauve, Lothaire II voulut réconcilier les deux oncles (KRAUSE, p. 134). Enfin, lors de l'affaire de Tentelierge, voir comment Charles et Louis s'expriment au sujet de leur neveu (Hlud. et Karoli pactum tustacense, cap. 7. KRAUSE, p. 167).

[59] MÜHLBACHER, Deutsche Gesch. unter den Karolingern, p. 460-462 ; DÜMMLER, Gesch. des ostf. Reiches, t. I, p. 223, t. II, p. 293 ; WENCK, Das fränkische Reich nach dem Vertrag von Verdun, passim. — Les louanges qui ont été adressées à Lothaire s'adressent à peu près uniquement à sa haute-dignité, et non à sa personne, dit Dümmler ; et ailleurs : Les douze années qui suivirent le traité de Verdun furent employées par lui, soit à inquiéter ses frères, soit à ne rien faire contre les Normands et les Sarrasins qui attaquaient ses États par le nord et par le sud.

[60] ERMOLD LE NOIR, l. IV, vers 501-510, vante la majesté de Lothaire ; AGNELLUS le montre à la bataille de Fontanet, debout sur son cheval, au plus profond de la mêlée, abattant les ennemis de sa hache vigoureusement maniée (Lib. pont. eccl. Ravenn., 174). Il existe un portrait de Lothaire reproduit dans BALUZE (Capitularia, t. II, p. 1279), mais auquel on ne saurait accorder aucune espèce de valeur. D'autre part, les vertus morales de ce prince ont été célébrées par SEDULIUS SCOTTUS (Poet. lat., t. III, p. 216).

[61] SIMSON, Jahrb. d. Jr. Reiches unter Ludwig dem Frommen, t. II, p. 13, a remarqué que Judith avec la ténacité qu'ont les femmes, est toujours revenue à l'idée d'utiliser Lothaire pour la réalisation de ses plans. Il s'est demandé si c'était affection pour la personne de Lothaire, ou confiance dans sa grande puissance, ou respect pour ses droits de premier-né et pour l'acte de partage de 815. Il est plus probable que Judith comptait sur la bonté naturelie de ce prince, bonté qui allait parfois jusqu'à la faiblesse.

[62] Ann. Fuld., a. 843. — Sur l'étendue du royaume de Lothaire, voir DÜMMLER, t. I, p. 203, n. 1.

[63] Lorsque la paix eut été signée, Lothaire rentra à Aix, où un diplôme du 21 octobre 843 dénonce officiellement sa présence (BŒHMER-MÜHLB., Reg. n° 1075). Dès lors, il ne quitta plus guère le palais de Charlemagne, si ce n'est pour habiter temporairement quelques localités voisines, comme Düren, Thommen, etc. (BŒHMER-MÜHLB., Reg. n° 1076 sq.) et faire visite à ses frères. S'il se rendit en Provence au milieu de l'année 845 (BŒHMER-MÜHLB., Reg., n° 1087 2), c'est qu'il y fut contraint par les événements.

[64] NITHARD, IV, 3.

[65] ZELLER a observé le premier que Lothaire se servit de sa prééminence pour conjurer les causes de dissentiments qui s'élevaient quelquefois entre ses deux plus jeunes frères et conserver entre eux ou approprier aux besoins du temps ce pacte de fraternité destiné à sauver les restes de la constitution carolingienne. (Entretiens sur l'histoire du moyen-âge, p. III, p. 5.7-58). Après lui, PARISOT a reconnu, malgré les accusations calomnieuses de certains historiens allemands, que Lothaire respecta les engagements souscrits en 843 et chercha à vivre en bonne intelligence avec ses frères (Le royaume de Lorraine, p. 37, 41). Cependant les efforts de l'empereur pour obtenir du pape le rétablissement d'Ebbon et la nomination de Drogon au vicariat de Gaule et de Germanie ont paru à PARISOT et à DOIZÉ (p. 269), comme à GFRÖRER (t. I, p. 131) et à WENCK (p. 101 sq.), une tentative destinée à rétablir dans une certaine mesure l'unité de l'Empire. Les démarches de Lothaire en faveur d'Ebbon ne s'expliquent-elles pas suffisament par la reconnaissance qu'il avait envers l'homme qui s'était compromis pour lui, et, quant à Drogon, ne lui suppose-t-on pas des vues politiques en contradiction avec le rôle qu'il joua au synode de Thionville ? Mais, même en admettant qu'il en ait été ainsi, il y aurait une période d'un an au plus, pendant laquelle Lothaire aurait mal supporté son échec après quoi il fut irréprochable pendant onze années, c'est-à-dire jusqu'à son abdication.

[66] Transl. S. Alexandri, 4. SS. II. p. 677. — BOUQUET, t. VII, p. 565-566.

[67] Ann. Bert., a. 845. — Ann. Fuld., a. 845. — Ann. Fuld., a. 846.

[68] DÜMMLER, t. I, p. 295. — L'importance de la révolte des Provençaux a été signalée par WENCK, Das fränkische Reich, p. 113-125. On ne voit pas sur quoi cet historien s'appuie pour affirmer un peu plus loin (p. 155) que Lothaire fut heureux de l'enlèvement de sa fille, parce qu'il trouvait une occasion de chercher querelle à Charles.

[69] Ann. Bert., a. 845. Ann. Fuld., a. 845. Lothaire se trouvait encore à Aix le 13 juin, et y signait un diplôme (BŒHMER-MÜHLB., Reg. n° 1087) ; le to octobre, il était de retour (BŒHMER-MÜHLB., Reg. n° 1088). La campagne de Provence se place entre ces deux dates.

[70] Conventus apud Marsnam, cap. 8. (KRAUSE, Cap., p. 69).

[71] Ann. Fuld., a. 846.

[72] Ann. Fuld., a. 847. — On s'est demandé si le texte des Annales Fuldenses devait être placé avant ou après l'assemblée de Mersen de février 847. BALUZE, et, après lui, MÜHLBACHER (Reg., n° 1096 2) ont admis qu'il devait être placé après, et cette opinion est la plus vraisemblable. Cependant DÜMMLER (t. I, p. 299, n. 3), s'appuyant sur les mots ita ut voluit, pacifi care non potuit, regarde l'entrevue de février 847 comme l'une des tentatives inutiles faites par Louis le Germanique pour réconcilier les deux frères, et son avis est partagé par PARISOT (o. c., p. 38), qui voit une nouvelle preuve de l'échec des négociations de Mersen dans la décision prise par les rois de se retrouver en juin à Paris (Adn. Karoli, 1, dans KRAUSE, Cap., p. 71).

[73] Ann. Fuld., a. 848.

[74] Ann. Bert., a. 849. Cf. Fragm. chron. fontanell., SS. II, p. 322. — Le procès-verbal de l'assemblée de Mersen de 851 (été) est dans KRAUSE. Cap., p. 72-74.

[75] Lothaire et Louis, dont la familiarité n'avait jamais cessé (Ann. Bert., a. 847), se rencontrèrent à Coblentz en février 848 (Ann. Fuld.) ; ils chassèrent ensemble pendant plusieurs jours dans la forêt de Westphalie et séjournèrent à Cologne en 850 (Ann. Xanten., SS. II, p. 229 ; BŒHMER-MÜHLB., Reg. n° 1109).

[76] Ann.  Bert., a. 852.

[77] Ann. Fuld., a. 850. — D'après le récit des Ann. Bert., plus développé que celui des Ann. Fuld., les deux rois, ayant réuni leurs armées et tenant l'ennemi assiégé sur les bords de la Seine, auraient été obligés de renoncer à la guerre, parce que les soldats de Charles le Chauve ne voulaient pas marcher. Dans tous les cas, ce n'était que partie remise, et, au mois de novembre 853, Charles et Lothaire se concertaient à ce sujet. (Conventus apud Valentianas, cap. 10. KRAUSE, Cap., p. 76). Y eut-il alors une nouvelle expédition ? On trouve dans les poésies de SEDULIUS SCOTTUS une allusion à un triomphe de Lothaire sur les Normands, qui pourrait bien être de cette époque là (Poet. lat., t. III, p. 217).

[78] Ann. Bert., a. 853.

[79] Tel est l'avis d'ENGEL (Traité de Numismatique, p. 255-258), d'après GARIEL. PROU n'ose s'y rallier (Introd. aux monnaies carolingiennes, p. XIX).

[80] La campagne de Louis le Pieux en Aquitaine se place après le partage de Worms de 839 (Ann Bert., a. 839 ; Vita Hlud., 61 ; NITH., I, 8 ; ADONIS chron., SS. II, p. 321 ; REGINONIS (Chron., SS. I, p. 589. Cf. SIMSON, o. c., t. II, p. 218-222). Elle avait pour but la spoliation de Pépin II, qui était soutenu par une partie de la nation, tandis qu'une fraction importante de l'aristocratie, dirigée par Ebroïn, évêque de Poitiers, était pour Charles (SIMSON, o. c., t. II, p. 211-212). L'empereur parti, une anarchie effroyable régna dans le pays (Vita Hlud., 61), et le traité de Verdun, qui dépouilla officiellement Pépin II au profit de Charles le Chauve, fut loin de la faire cesser. A la suite de l'assemblée de Thionville de 844, les trois rois envoyèrent une ambassade au jeune prince pour le sommer d'obéir à son oncle, qui consentait à lui céder l'Aquitaine à titre de vassalité (Ann. Bert., a. 844-845). MONOD estime que l'esprit d'autonomie des Aquitains provenait en partie de l'hostilité de la population gallo-romano-gothique contre les Franks (De l'opposition des races, p. 7). Ce qu'il y a de sûr, c'est qu'ils voulaient avoir une dynastie particulière.

[81] Ann. Bert., a. 848.

[82] Ann. Bert., a. 848-849, 852 ; Ann. Fuld., a. 851.

[83] Ann. Bert., a. 853-854 ; Ann. Fuld., a. 853.

[84] Ann. Bert., a. 854 ; Hlotharii et Karoli conventus apud Valentianas, a. 853, nov. (KRAUSE. Cap., p. 75-76 ; p. 76-78.) — Il est à remarquer que, dans le procès-verbal de l'assemblée de Liège, Lothaire est qualifié exceptionnellement de serenissime imperator, tandis que Charles n'est que gloriosissimus rex. On sent que celui-ci a besoin de son frère et qu'il est heureux de trouver son appui. D'ailleurs il rappellera toujours dans la suite avec une certaine émotion, le souvenir de son senior frater (Adn. Karoli, a. 857. KRAUSE, Cap., p. 293).

[85] Ann. Bert., a. 854. — Cette entrevue eut lieu probablement au mois de mai (BŒHMER-MÜHLB., Reg., n° 1130 2).

[86] Ann. Bert., a. 854.

[87] Ann. Fuld., a. 834. — Voici cependant comment DÜMMLER apprécie l'attitude de Lothaire et celle de Louis le Germanique dans les affaires d'Aquitaine. Ce n'est pas sans une joie maligne que Lothaire dut contempler les embarras survenant sans cesse dans le royaume de son jeune frère, parce qu'ils faisaient naître chez lui l'espoir de renverser une fois encore l'odieux traité de Verdun et de renouveler avec un meilleur succès sa tentative pour détruire le royaume d'Occident. Quant à Louis, sans doute il a porté atteinte à des conventions sacrées, mais il y avait bien une sorte de responsabilité réciproque des trois rois relative aux actes de leur gouvernement, et les sujets d'un roi, qui avaient été lésés par des promesses communément données et réciproquement consenties, pouvaient se plaindre auprès d'un autre... Charles n'avait jamais possédé l'Aquitaine d'une manière durable et entièrement, et en fait il y avait toujours eu là un royaume séparé... En tout cas Louis se considéra comme ayant des raisons sérieuses de soupçonner les dispositions hostiles de Charles et de rompre l'union de Strasbourg. (Gesch. d. ostfr. Reiches, t. I, p. 248-249, 381-382). Singulière façon d'écrire l'histoire ! Plus singulière encore est celle de WENCK, qui, sans aucun motif, accuse Lothaire d'avoir créé la brouille entre ses frères. (Das fränk. Reich., p. 238). D'ailleurs, ce qui caractérise les accusations de Wenck, c'est qu'elles reposent sur des raisonnements et rarement sur les faits.

[88] Ann. Bert., a. 855.

[89] Ann. Bert., a. 854.

[90] Ann. Bert., a. 855.

[91] Ann. Bert., a. 855.

[92] RABAN MAUR. Homiliœ in evangilia et epistolas ; Commentariorum in Ezechiel libri XX, précédés d'une lettre de Lothaire à Raban, où l'empereur fait preuve d'une science consommée des saintes écritures ; Expositionis super Jeremiam prophetam libri X (MIGNE, P. L., t. CX, col. 135, 494-495. CXI, col. 793). Cf. RABANI Epist., 38-39, 49-51 (MGH Epist., t V, p. 455-455, 503-505).

[93] Poet. lat., t. II, p. 240. — Ce texte fixe l'âge de Lothaire en 855 (soixante ans), et la date de sa naissance, qui est 795. C'est donc par erreur que l'auteur de la Vita Hlud. met le premier mariage de Louis le Pieux en 798, mais on sait combien la chronologie de cet auteur est défectueuse (SIMSON, o. c., t. II, p. 301). Lothaire avait perdu le 20 mars 851 sa femme Hirmingarde (Ann. lanbacenses, SS. I, p. 15 ; Ann. Bert., a. 853 ; Ann. Xanten., SS. II, p. 229 ; REGINONIS chron., SS. I, p. 568). Il s'était brouillé dans les derniers temps avec Ebbon (Epist. concil. tric. BOUQ., t. VII, p. 591). Arrivé à Prüm au mois de septembre, il y mourut peu de jours après (BŒHMER-MÜHLB., Reg. n° 1143 a-b).

[94] ADEM., Hist., III, 19 (SS. IV, p. 222.)

[95] Consilium optimatum Karolo II datum (KRAUSE, Cap., p. 44). Cf. Conventus apud Confluentes. Adn. Karoli. On y voit Lothaire II intervenant entre ses oncles Louis et Charles monentibus episcopis. (KRAUSE, Cap., p. 153.)

[96] Concilium meldense. Tit. XXXIII, MANSI, t. XIV, col. 826.

[97] HINCMARI Opera. MIGNE, P. L., t. CXXV, col. 1017. Plus loin, dans la même pièce, Hincmar déclare l'Église le dernier asile de l'unité.

[98] FLODOARD, Hist. rem. eccl., III, 10. — Le troisième livre de Flodoard est extrêmement précieux pour connaître la biographie d'Hincmar (EBERT, t. III. p. 444-445). On sait que ce personnage a été souvent étudié, notamment par SCHŒRS (Hinkmar. Sein Leben und seine Schriften. Fribourg-en-Brisgau, 1884) et NOORDEN (Hinkmar. Bonn., 1863). BOURGEOIS a cherché à définir son caractère et ses aspirations (Le Capitulaire de Kiersy-sur-Oise, p. 109-126). Enfin, le De ondine palatii, écrit par Hincmar quelques mois avant sa mort et qui n'est qu'un complément des canons de Saint-Macre, résume les vues politiques de l'archevêque de Reims, telles qu'il les a exposées dans ses traités antérieurs (PROU, De ordine palatii, Introd. p. XXIII). Les œuvres d'Hincmar sont dans MIGNE, P. L., t. CXXV-CXXVI.

[99] Synodus ad Theodonis villam 844. KRAUSE, Cap., p. 114. — La fameuse lettre du pape Gélase à l'empereur Anastase sur la séparation des deux pouvoirs est citée plusieurs fois par Hincmar, notamment : De ondine palatii, 5 ; De fide Carolo regi servanda, 38-39. MIGNE, P. L., t. CXXV, col. 982 : Juramentum apud Pontigonem. MIGNE, P. L., t. CXXV, col. 1125. On en trouvera le texte p. 72, n. 1, et il sera intéressant d'en rapprocher ce passage d'une lettre de Wénilon à Amulus de Lyon (Lettres de Loup de Ferrières, p. 103.)

[100] Les onze premiers chapitres du De ondine palatii et le dernier (c. XXXVII) sont de lui (PROU, p. XVIII).

[101] MIGNE, P. L., t. CXXVI, col. 265-265. — Dans une lettre à Louis III, Hincmar s'exprime avec non moins de hauteur sur le même sujet (MIGNE, t. CXXVI, col. 115.)

[102] MIGNE, P. L., t. CXXVI, col. 117.

[103] HINCMAR, Ad episcopos de institutione Carlomanni. MIGNE, P. L., t. CXXV, col. 1009. Cf. Capitula synodalia (MIGNE, P. L., CXXV, col. 1071) et Electionis Karoli Capitula (KRAUSE, Cap., p. 340-341).

[104] HINCMAR, Ad episc. de inst. Carlomanni (MIGNE, t. CXXV, col. 1016).

[105] Ann. Bert., a. 841. — Au reste, Prudence se trompe sur le rôle de Georges de Ravenne. Celui-ci s'était joint aux envoyés pontificaux malgré le pape, avec l'espoir qu'en donnant de l'argent à Lothaire il obtiendrait de l'empereur des privilèges pour son église. Il fut fait prisonnier dans la bataille, perdit ses trésors, et faillit perdre son siège ; mais Charles le Chauve, au camp duquel les soldats le conduisirent, lui pardonna. (AGNELLUS, Liber pont. eccl. raven. MGH. Ser. rer. ital., p. 389).

[106] Les lettres de ce genre sont particulièrement abondantes pour les pontificats de Nicolas Ier et d'Hadrien II. En 865, Nicolas envoie en France une ambassade ob pacem et concordiam inter Hludowicum et Karolum fratrem eius necnon Hludharium nepotem eorum renovandam atque constituendam... (Ann. Fuld., a. 865. Cf. L. P.). La même année, il écrit à Charles le Chauve, pour l'exhorter à la concorde avec son neveu l'empereur Louis II, la lettre la plus complète qui ait été faite dans ce genre (MIGNE, P. L., t. CXIX, col. 912). Hadrien II s'exprime à peu près dans les mêmes termes (MIGNE, P. L., t. CXXII, col. 1264, CXVII, col. 1292). Voir ce qu’il écrit aux évêques (MIGNE, P. L., t. CXXII, col. 1300). Antérieurement à Nicolas Ier et à Hadrien II, voir une lettre de Léon IV (EWALD, Leonis IV Epist., 10. N. Archiv., t. V).

[107] HINCMAR, Epist. ad Nicolaum papam et De divortio Lotharii. MIGNE, P. L., t. CXXVI, col. 26, t. CXXV, col. 623.

[108] HINCMAR, Epist., MIGNE, P. L., t. CXXVI, col. 271.

[109] HINCMAR, Epist., MIGNE, P. L., t. CXXVI, col. 33.

[110] MIGNE, P. L., t. CXXVI, col. 331-337, 384 et sq.

[111] HINCMARI Epist. (MIGNE, P. L., t. CXXVI, col, 33).

[112] LAPÔTRE, De Anastasio bibliothecario, p. 132 et sq. — MÜLLER, Zum Verhältaisse Nicolaus I und Pseudo-Isidors (N. Archiv., a. 1900, t. XXV, p. 652-663). — DÜMMLER, Gesch. des ostfr Reiches, t. II, p. 97 et sq.

[113] Ann. Bert., a. 855.

[114] Liber Pontificalis, Nicolaus, 83. — Après la mort de Nicolas, on voit une assemblée, réunie sous la présidence de son successeur Hadrien II, acclamer sa mémoire (L. P. Hadrianus II, 19). Cf. REGINONIS Chron. (SS. I, p. 579).

[115] REGINONIS Chron., SS. I, p. 579.

[116] ROCQUAIN, La papauté au moyen âge, p. 3 ; Cf. GREGOROVIUS, t. IV, p. 155. Rocquain reconnaît ailleurs (p. 74) que l'ascendant que le pape exerça sur ses contemporainsascendant prouvé par le témoignage de Reginone vint pas uniquement de lui-même, mais du prestige attaché à la papauté et que rehaussait le spectacle de la faiblesse et de la désorganisation naissante des gouvernements réguliers. Voilà la note juste.

[117] Ann Bert., a. 864.

[118] Ann. Xanten., SS. II, p. 233, a. 869.

[119] SED. SCOTTI Carmina (Poet. lat., t. II, p. 670). Ibid. (Poet. lat., t. II, p. 216).

[120] Libellus de imperatoria potestate in urbe Roma. SS. III, p. 721. Il s'agit de l'empereur Louis II.

[121] Concilium moguntinum (KRAUSE, Cap., p. 75).

[122] Concilium meldense-parisiense, cap. 73. (KRAUSE, Cap., p. 416). — NICOLAI I Epist. (MIGNE, P. L., t. CXIX, col. 930-931). — Le Synode général, tenu à Constantinople en 869, termina ses séances par ces acclamations, que rapporte Anastase le bibliothécaire : Novo Constantino multos annos ! Novo Theodosio multos annos ! Novo Marciano multos annos ! (MIGNE, P. L., t. CXXIX, col. 130). Cela montre que le culte des empereurs chrétiens était toujours vivant, en Orient comme en Occident.

[123] Ce sont les propres termes dont se sert LAPÔTRE (L'Europe et le Saint-Siège à l'époque carolingienne, p. 205, 216). — DÜMMLER, t. II, p. 386, dit à peu près la même chose ; GASQUET au contraire voit dans Louis II un prince plein de la fierté de son nom et de sa race, estimant sa puissance inégale à son rang (L'empire byzantin et la monarchie franque, p. 334-335).

[124] DÜMMLER, t. III, p. 54-55 ; PARISOT, p. 420 ; WARNKÖNIG et GERARD, t. II, p. 194, 226, 231 ; MÜHLBACHER, Deutsche Gesch. unter den Karolingern, p. 462, 570-577. — Le portrait, que Parisot trace du roi de France occidentale, est des moins flatteurs. Il le représente intelligent et lettré, mais fourbe et menteur, soldat et général médiocre, cherchant querelle constamment à ses frères et à ses neveux, quitte à tourner les talons dès qu'il se trouve en présence d'un adversaire décidé à lui résister. Pour Dümmler, Charles le Chauve est avant tout un roi qui a eu de la chance. Gest la chance qui a voulu qu'il laissât sou royaume intact malgré les bouleversements qu'il avait subis ; c'est la chance qui lui a valu la moitié de la Lorraine ; c'est elle qui, en lui donnant la couronne impériale, a réalisé le rive de sou enfance ; c'est elle enfin qui a permis qu'il une époque de guerres continuelles un prince reconnu lâche et sans qualités guerrières pût garder le trône.

[125] Les Annales de Fulde nomment à peine Louis II, et affectent d'ignorer sa qualité d'empereur (Ann. Fuld., a. 855, 858, 859, 865, 870). Les Annales de Saint-Bertin sont plus abondantes à son sujet, et un peu plus impartiales. Les Annales de Xanten le condamnent en quelques mots (SS. II, p. 253).

[126] Chron. casinense, 5, 18. — ERCHEMPERT. Hist. langob., 34 (MGH. Ser. rer. ital., p. 247). — Chron. salern., III (SS. III, p. 528). — Les sources italiennes sur Louis II se trouvent réunies dans WAITZ (MGH. Scriptores rerum langobardicarum et italicarum sæc. VI-IX, 1 vol in-4°) On consultera aussi la Correspondance des papes, et en particulier celle d'Hadrien II, qui fait à deux reprises un éloge magnifique de la valeur guerrière de Louis II et de son énergie contre les Sarrasins (HADRIANI II Epist., MIGNE, P. L., t. CXXII, col. 1264 et 1291).

[127] Epitaphium. Hlud. II (Poet. lat., t. III, p. 405). Cf. Gesta episc. neapol., 61 ; Bonæ adolescentiæ juvenem (MGH.Scr. rer, ital., p. 433).

[128] Jusqu'à l'affaire d'Adagise, c'est-à-dire jusqu'en 871, la volonté d'Engelberge s'efface devant celle de son mari, mais, depuis cette malheureuse aventure qui semble avoir brisé l'énergie morale de Louis II, celui-ci abandonna à l'impératrice la conduite de l'armée et de la diplomatie (REGINONIS Chron., SS. I, p. 584-585), non sans que l'aristocratie protestât contre ce gouvernement d'une femme (Ann. Bert., a. 873).

[129] Voir plus loin.

[130] BOURGEOIS, Le Capitulaire de Kiersy, p. 1-6, 153-154. Cf. LAPÔTRE, L'Europe et le Saint-Siège, p. 256 sq., et FUSTEL DE COULANGES, Nouvelles Recherches sur quelques problèmes d'histoire, p. 415 sq.

[131] Libellus de imp. potestate. SS., III, p. 721. — Sur la légende de Louis II, on consultera surtout le Libellus de imperatoria potestate et la Chronique de Salerne ; mais il existe bien d'autres preuves de sa popularité au-delà des Alpes. Cf. LIUDPRANDI legatio, 7 (SS., III, p. 348) ; Poet. lat., t. III, p. 404. — Sa mort est accueillie lacrimabili fletu, dit un contemporain, l'historien André de Bergame, qui eut l'honneur de porter le corps de l'empereur le jour des funérailles (ANDREÆ BERGOM. Historia, 18), et l'invasion sarrasine, qui suit presque aussitôt, est considérée comme la punition du crime des Bénéventins (ERCHEMPERT. Hist. langob., 34. SS. III, p. 252).

[132] Le Charles Martel de Girard de Roussillon est sans doute Charles le Chauve. (GASTON PARIS, Histoire poétique de Charlemagne, p. 437). Richet dit : Karolum calvum, Germanorum atque Galliarum imperatorem egregium (Hist., I, 4, SS. III, p. 569).

[133] A Pavie, le 4 février 855, Louis II donne communication à ses optimates des Capitulaires qu'il a composés (KRAUSE, Cap. p. 92). Charles le Chauve tient à peu près les mêmes discours (Karoli II capitulare papiense, 876 febr. Préambule et art. 5. KRAUSE, Cap., p. 101). Cf. ANDREÆ BERGOMATIS, Hist., 10. — Charles le Chauve et Louis II prennent le titre d'empereur Auguste, comme ont fait Louis le Pieux et Lothaire, sans rappeler leur qualité de roi (KRAUSE, Cap., p. 88 ; BŒHMER-MÜHLB., Reg., p. LXXIV. — MIGNE, P. L., t. CXXVI, col. 230.) Cf. KRAUSE, p. 99, 101.

[134] HÉRIC D'AUXERRE, Dédicace de la Vie de Saint-Germain (Poet. lat., t. III, p. 429). Pour les contemporains, Charles le Chauve est un philosophe (Libellus de imp. pot., SS., III, p. 720. — HÉRIC D'AUXERRE, loc. cit.). Judith, qui était  elle-même remarquablement cultivée, avait en effet soigné l'éducation de son unique enfant, et elle avait voulu qu'il fût versé surtout dans la connaissance de l'histoire. C'est à l'usage du futur empereur, et sur la demande de sa nièce, que Fréchulfe écrivit vers 829 le tome II de son Histoire universelle, qui va depuis la naissance de Jésus-Christ jusqu'à la mort de Grégoire le Grand, et où il vante la précocité intellectuelle du jeune prince (MGH. Epistolarum, t. V, p. 319). Sur la bibliothèque de Charles le Chauve, voir l'article 12 du Capitulaire de Kiersy (KRAUSE, Cap. p. 358), qui la partage entre Louis le Bègue et les églises de Saint-Denis et de Sainte-Marie de Compiègne. AMPÈRE signale l'importance des études grecques et d'une manière générale le relèvement des lettres à la cour de Charles le Chauve (Hist. litt. de la France, t. III, p. 132-134, 234 et sq.).

[135] Avant même qu'il soit élevé à l'empire, Charles le Chauve parle de ses prédécesseurs les grands et orthodoxes empereurs, et il n'entend pas seulement par là ses aïeux, son père Louis et son grand-père Charlemagne (KRAUSE, Cap., p. 307), mais les empereurs romains attachés au christianisme, dont le livre de Fréchulfe lui a appris l'histoire. (Lettre de Charles le Chauve à Hadrien II, MIGNE, P. L., t. CXXVI, col. 233).

[136] LOUP DE FERRIÈRES, Lettres 1 à 5, 38, 91, 110. — RABAN. MAUR. Epist. 23 (MGH. Epist., t. V, p. 429).

[137] Lettre de LOUP DE FERRIÈRES à l'empereur Lothaire, éd. Desd. du Dézert, p. 185.

[138] LOUP DE FERRIÈRES, Lettre 74. L'histoire romaine de Loup de Ferrières ne nous est point parvenue, mais nous savons qu'elle racontait les mêmes évènements que l'Histoire universelle de Fréchulfe, et dans le même but éducatif, doublant ainsi l'impression que Charles le Chauve avait dû garder de ses études de jeunesse. MGH. Epistol., t. V, p. 319.

[139] GUIZOT, Troisième Essai, p. 84.

[140] BŒHMER-MÜHLB., Reg. n° 1044 2. — Louis II était déjà roi d'Italie depuis six ans (Ann. Bert., a. 844), quand il fut fait empereur. On n'a pas beaucoup de renseignements sur cette dernière cérémonie. C'est Hadrien II, dans une lettre postérieure, qui nous apprend qu'elle fut concertée entre Lothaire et la noblesse de ses États (MIGNE, P. L., t. CXXIL col. 1296). L'événement est mentionné brièvement par les Ann. Bert., a. 950 et la Chronique d'ADON, SS. II, p. 322, qui d'ailleurs confond le couronnement de Louis II comme roi avec son couronnement comme empereur ; le Liber pontificalis n'en parle pas. La date d'avril 850 est établie par BŒHMER-MÜHLB., non sans difficulté.

[141] ANDREÆ BERGOMATIS, Hist., 18 ; Ann. Fuld., a. 875 ; BŒHMER-MÜHLB., Reg., n° 1240 2.

[142] Le seul auteur, qui parle d'un testament de Louis II en faveur de Carloman, est l'Anonyme qui a composé le Libellus de imperatoria potestate (SS. III, p. 722). Son hostilité vis-à-vis de Charles le Chauve rend son tcmoignage suspect, et d'autre part on ne peut rien tirer des trois diplômes (BŒHMER-MÜHLB., Reg, n° 1453, 1476, 1481) invoqués, timidement d'ailleurs, par DÜMMLER (t. II, p. 388, n. 1) pour justifier l'assertion du Libellus. Le diplôme n° 1481 est conçu dans des termes trop vagues, et les autres n'ont aucun rapport avec la question (NOORDEN, Hinkmar, p. 295 ; BOURGEOIS, Le Capitulaire de Kiersy, p. 77, n. 5).

[143] Ann. Fuld., a. 871 ; Ann. Bert., a. 871. — Ajoutons ce détail que Louis le Germanique, alors en guerre avec ses enfants, se hâta de faire la paix avec eux, ce qui eut lieu sine ulta difficultate, preuve que la gravité de la situation n'échappait à persone.

[144] Ann. Bert., a. 871.

[145] Ann. Fuld., a. 869.

[146] Ann. Bert., a. 862-869.

[147] Capitula pistensis. KRAUSE, Cap., p. 303.

[148] Voir dans KRAUSE, Cap., n° 272, 273, 275, les trois grands édits ou capitulaires rendus par Charles le Chauve à Pistes, en juin 862, juin 864, juillet 869, qui sont des modèles de prévoyance.

[149] Ann. Bert., a. 873. REGINONIS Chron., SS. I, p. 585. — La construction de la forteresse de Pistes faisait partie d'un vaste projet, qui consistait à assurer la sécurité de Paris, en créant autour de cette ville une enceinte de forts détachés, sur la Seine, le Loing et l'Oise : les plus importants devaient être ceux de Compiègne et de Saint-Denis (Capitulare Carisiacense, cap. 26-27. KRAUSE, Cap., p. 360-366). Ce fut une conception originale de Charles le Chauve, et ses petits-fils la lui empruntèrent. Si elle avait abouti, le siège de Paris de 883 eût été évité. Malheureusement les rois ne trouvaient pas toujours des soldats pour occuper les tours qu'ils construisaient.

[150] JOANNIS VIII Epist. XXII (MIGNE, P. L., t. CXXII, col. 659). — HADRIANI II Epist. (MIGNE, P. L., t, CXXII, col. 1319). — LOUP DE FERRIÈRES, Lettre 24. — Ces sentiments, au sujet du roi de France occidentale, montrent que Charles le Chauve, à l'exemple de son aïeul, exerçait une certaine séduction sur ceux qui l'approchaient. Mais le gouvernement exige d'autres procédés, et Charles les emprunta encore à Charlemagne. Nul parmi ses frères ou ses neveux n'a fait autant usage de la fidélité, comme le remarquait déjà LE HUÉROU (p. 608), et aussi des missi (KRAUSE, Cap., p. 274, Capitulare missorum silvacense ; p. 278, Capitulare  missorurn attiniacense ; p. 342, Sacramenta apud Gundulfi villam facta. 822, 2 sept. ; p. 103, Capitulare papiense ; p. 356, Capitulare carisiacense, etc., etc.). Les assemblées, qu'il tenait annuellement pour recevoir les dons de ses sujets et promulguer ses capitulaires (Ann. Bert., a. 873), étaient empreintes d'une très grande solennité, et, si ses fidèles, constatant cet usage habile des anciennes institutions impériales, ne concluaient pas que sa sagesse lui méritait l'Empire, ils estimaient du moins qu'elle le rendait digne de plusieurs royaumes (LOUP DE FERRIÈRES, Lettre 24).

[151] JOANNIS VIII Epist. XXII, (MIGNE, P. L., t. CXXVI, col. 860). Cf. Déclaration de Jean VIII au synode de Ravenne de 877 (MANSI, t. XVII. App. p. 172).

[152] MIGNE, P. L., t. CXXII, col. 1319-1320. JAFFÉ place cette lettre entre le 18 mai et le 13 novembre 872 (Reg. n° 2951).

[153] Synodus Pontigonensis (KRAUSE, Cap., p. 351. Cf. JAFFÉ, Reg. n° 3019). A vrai dire, Charles le Chauve avait déjà passé les Alpes, quand il reçut l'invitation du souverain pontife (Ann. Bert., a. 875) et Jean VIII ne faisait que répondre à ses désirs (Ann. Fuld., a. 875). Il fut rejoint par les légats le 29 septembre, à Pavie (LAPÔTRE, o. c., p. 247, n. 1).

[154] Ann. Bert., a. 875.

[155] Ann. Bert., a. 876. — Ann. Fuld., a. 875. — ANDREÆ BERGOM., Hist., 19. — Ann. Vedastini., SS. II, p. 196. — Capitula ab Odone proposita, 1 (KRAUSE, Cap., p. 351). — Confirmatio Cisalpinorum apud Pontigonem (KRAUSE, Cap., p. 348).

[156] Il n'est pas douteux qu'une assemblée électorale se réunit à home à l'instigation du pape, et se déclara pour Charles le Chauve avant son arrivée dans la ville. Cela résulte de la lettre que Jean VIII écrivit au roi pour l'inviter à venir, et où il lui disait que le choix du successeur de Louis II avait été débattu dans une réunion du clergé et du Sénat (JAFFÉ, Reg., n° 3019). A rapprocher les termes de la lettre d'Hadrien II à Charles le Chauve déjà citée (MIGNE, P. L., t. CXXII, col. 1319).

[157] C'est ce que GIBBON (ch. XLIX) avait déjà observé. Le sceptre carolingien, dit-il, se transmit de père en fils durant quatre générations, et l'ambition des papes fut réduite à l'infructueux honneur de donner la couronne... à ces princes... qui se trouvaient déjà revetus du pouvoir et en possession de leurs états.

[158] Deux textes permettent de supposer que certains empereurs carolingiens, antérieurs à Charles le Chauve, reçurent l'onction en tant qu'empereurs. Cf. THÉGAN, 17 ; Ann. Bert., a. 850. Le texte de Thégan est en désaccord avec tous les autres : ceux-ci ne parlent que de l'imposition du diadème (Ann. laur. maj. 2, a. 816,) ou de la couronne d'or (Chron. moissac. a. 816 ; ERMOLD LE NOIR, l. II, vers 425-426). De même, le témoignage des Ann. Bert. sur Louis II est détruit par celui de la cour romaine (HADRIANI II Epist., MIGNE, t. CXXII, col. 1296). Ici d'ailleurs l'inexactitude de la formule, qui substitue l'onction au couronnement, s'explique parce qu'en France on ne savait pas bien ce qui s'était passé : tel ADON, confondant les deux couronnements de Louis II comme roi et comme empereur. L'onction faisait partie en réalité de la cérémonie du couronnement des rois, et elle était renouvelée du sacre de Pépin par Boniface et Étienne II. Louis II l'avait reçue en 844. (L. P. Sergius II, 13. — Ann. Bert. a. 844). Nous possédons l'Ordinatio coronationis de Charles le Chauve comme roi de Lorraine et celle de Louis le Bègue comme roi de France (KRAUSE, Cap., p. 337-341 ; MIGNE, P. L., t. CXXV, col. 809-810) ; l'ordre des cérémonies y est indiqué de la manière suivante : Sacri olei infusio, Impositio coronor, Sceptri traditio.

[159] Somme toutes, il avait été choisi de la même manière que Charlemagne. Les électeurs romains, clergé, noblesse, peuple, l'avaient désigné, et dans une réunion qui n'est pas suspecte comme celle dont parlent les Annales laureshamenses. (SICKEL, Die Kaiserkrönungen, p. 33.)

[160] Ann. Vedastini, a. 875. Déjà en 871, lorsque le bruit courut que Louis II avait été tué, des Italiens vinrent en France faire des ouvertures à Charles le Chauve (Ann. Bert., a. 871).

[161] Ann. Bert., a. 875 ; ANDREÆ BERGOM., Hist., 19 ; Libellus de imp. potestate. SS. III, p. 122.

[162] Ann. Bert., a. 875. — Pour expliquer la retraite de Carloman, Méginhard raconte toute une histoire de négociations, de laquelle il résulte que Charles le Chauve aurait dupé son neveu par de fausses promesses (Ann. Fuld., a. 875). Il n'est question de cela, ni dans les Ann. Vedastini, ni dans les Histoires d'ANDRÉ DE BERGAME dont l'auteur très bien renseigné, est cependant un contemporain, peut-être même un spectateur des évènements, ni dans la Chronique de REGINO (SS., I, p. 388).

[163] Ann. Bert., a. 876. — Karoli II imperatoris Electio. KRAUSE, Cap., p. 99.

[164] L. P., Sergius II, 18. — HLUDOWICI II Capitularia. KRAUSE, Cap, p. 210, 214-216.

[165] ANDREÆ BERGOMATIS, Hist., 19.

[166] KRAUSE, Cap., p. 99.

[167] KRAUSE, Cap., p. 100.

[168] Ann. Bert., a. 876.

[169] Ann. Bert., a. 876. Le chiffre de 51 évêques et 5 abbés est donné par les signatures apposées sur le procès-verbal des actes du Synode (KRAUSE, Cap., p. 349).

[170] Ann. Bert., a. 876. On sait que cette partie des Annales de Saint-Bertin a Hincmar pour auteur ou pour inspirateur (EBERT, t. II, p. 401 ; WATTENBACH, t. I, p. 278, n. 1 ; MONOD, Sources de l'Histoire carolingienne, p. 26). Or Hincmar était présent à la séance (KRAUSE, Cap. p. 349).

[171] KRAUSE, Cap. p. 348.

[172] WAITZ, Deutsche Verfassungsgeschichte, t. V, p. 83, se trompe, quand il dit que les grands du royaume de France étaient réunis avec les évêques à Ponthion : ceux-ci prononcèrent seuls.

[173] ABEL, Iahrb. des fränk. Reiches unter Karl dem Grossen, t. I, p. 148.

[174] Ann. Bert., a. 856. ANDREÆ BERGOM., Hist., 10. Certains historiens ont vu là une erreur : DÜMMLER se refuse à contester un fait qui repose sur un double témoignage, et croit que c'est au partage de Worms de 839 que Louis reçut l'Italie de son grand-père (Gesch. des osftr. Reiches, t. I. p. 249, n. 2).

[175] On ignore la date de la naissance de Louis II, mais comme son père Lothaire s'est marié en octobre 821, comme d'autre part il est déjà question pour lui en 842 d'un mariage avec une princesse byzantine (BŒHMER-MÜHLB., Reg., n. 1057), on peut conclure qu'il avait une vingtaine d'années en 844.

[176] Le mariage de Louis II avec Engelberge eut lieu en 851, probablement au mois d'octobre, ainsi qu'il résulte d'un diplôme du 5 octobre 851, par lequel Louis II se trouvant à Marengo fait don il sa femme d'un morgengabe, conformément à la mode franque (BŒHMER-MÜHLB., Reg., n° 1148). — Les liens de parenté d'Engelberge avec plusieurs grandes familles italiennes prouvent qu'elle était italienne elle-même (LAPÔTRE, L'Europe et le Saint-Siège, p. 205, n. 2).

[177] Ann. Fuld., a. 856, 857, 860, 865, etc. — Ann. Bert., a. 857, 863, 864, 866, 875, 878.

[178] Liber pontificalis, t. II, p. 85, n. 17.

[179] L. P. Sergius II, 4 ; Ann. Bert., a. 876 ; Ann. Fuld., a. 846 ; Ann. Xanten, SS. II, p. 228. — Une armée franque, peut être commandée par Louis II (DÜMMLER, t. I, p. 305, n. 1, tient le renseignement pour incertain) se fit battre à Gacte, le 10 novembre ; mais le pillage de Saint-Pierre ne porta pas bonheur aux Sarrasins, car une tempête détruisit la flotte sur laquelle ils avaient mis les trésors de la basilique. Une légende se répandit, d'après laquelle les objets sacrés auraient été recueillis sur le rivage où le flot de la mer les avait rejetés, et remis à leur ancienne place. Quoi qu'il en soit, l'avènement de Léon IV, le successeur de Sergius, se fit au milieu d'une grande tristesse et sous l'impression que de nouveaux malheurs étaient imminents. (L. P., LEO IIII, 5-6).

[180] Hlotharii capitulare de expeditione contra Sarracenos facienda, a. 846, fere oct. (KRAUSE, Cap., p. 65-68).

[181] Ann. Bert., a. 850. — Ann. Xanten. SS. II, p. 229). Cf. Capitulare de expeditione contra Sarracenos, cap. 7. — Léon IV ne fit donc qu'exécuter le capitulaire promulgué par Lothaire sous le pontificat de Sergius, et, s'il est juste de reconnaître les louables efforts accomplis par ce pape pour rendre à la ville de Rome la sécurité (L. P. Leo IV, 38-40 GREGOROVIUS, t. IV, p. 95 sq.), il faut reconnaître que le succès fut dû principalement à l'intervention de l'empereur. Aussi bien le nom de Lothaire est dans les documents romains toujours associé à celui de Léon IV (L. P. Leo IV, 69 ; Inscription dédicatoire de la cité léonine dans DÜMMLER, Poet. lat., t. II, p. 664. LAUER, Le Poème de la destruction de Rome et les origines de la cité léonine, dans les Mélanges d'archéologie et d'histoire de l'École de Rome, avril-juin 1899). L'Epitaphium Lotharii (BOUQUET, t. VII, p. 318 E) a quelques vers pour exprimer les regrets que causa à Rome la disparition de Lothaire suivant de près celle de Léon.

[182] BŒHMER-MÜHLB., Reg. n° 1120 a.

[183] Constitutio de expeditione beneventana, 866 incuule (KRAUSE, Cap., p. 94-96).

[184] JOANNIS VIII Epist. LXXIX, ad Carolum Calvum (MIGNE, P. L., t. CXXVI, col. 730). Cf. Capitula ab Odone proposita (KRAUSE, Cap., p. 351) et JOANNIS VIII Espist. (MIGNE, P. L., t. CXXVI, col. 696, 698, 711, 713, 714, 716). — Cf. Ann. Bert. a. 877. Déjà, lorsqu'Hadrien II avait écrit à Charles le Chauve pour lui souhaiter la succession de Louis II, il avait expliqué sa démarche en disant qu'il savait le roi prêt à défendre l'Église romaine contre tous ses ennemis (MIGNE, P. L., t. CXXI, col. 1319).

[185] Karoli II imp. Electio, KRAUSE, Cap. p. 99.

[186] REGINONIS Chron., SS. I, p. 589.

[187] Ann. Bert., a. 876. Cf. Karoli II imp. Electio ; Karoli II Capitulare papiense. (KRAUSE, p. 99, 104). Boson avait reçu en 871 l'administration de la ville de Vienne, en 872 le titre de chambrier et le gouvernement de l'Aquitaine ; en 877, il fut parrain d'un enfant de Charles le Chauve, qui mourut presque aussitôt (Ann. Bert., a. 871, 872, 877. Cf. POUPARDIN, Le Royaume de Provence sous les Carolingiens, p. 41-71). Lorsqu'il fut proclamé roi plus tard par les évêques réunis au synode de Mantailles, le 15 octobre 879, ceux-ci rappelèrent qu'il avait été jamdudum in principatu domni Karoli defensor et adiutor necessarius (KRAUSE, p. 368). — On remarquera que Charles le Chauve, étendant à l'Italie les principes de gouvernement qu'il appliquait en France, recommanda l'accord entre les comtes et les évêques, c'est-à-dire la concorde, comme une condition indispensable de succès (Capitulare papiense, cap. 12-13. KRAUSE, Cap. p. 103).

[188] Ces expressions, qui appartiennent au Capitulaire de Pavie de 876, se retrouveront encore longtemps après. En 881, c'est Jean VIII qui invoque Charles le Gros (MIGNE, P. L., t. CXXVI, col. 935). En 889, ce sont les évêques réunis pour l'élection de Gui de Spolète, qui déclarent travailler pro ecclesiarum... ereptione et omnis christianitatis salvatione (Widonis capitalatio electionis, KRAUSE, Cap. p. 104).

[189] SS. III, p. 721.

[190] Ann. Bert., a. 844. Lothaire fit dans la circonstance ce que son père avait fait pour lui (Vita Hlud., 55) ; Drogon joua le rôle de Wala. Les circonstances fâcheuses, dans lesquelles Sergius avait été choisi, ont été longuement racontées par le L. P. (Sergius II, 4-7) Sergius fut élu et consacré au mois de janvier 844 ; Louis II arriva en juin (JAFFÉ, Reg. n° 2583).

[191] Le biographe pontifical place le couronnement de Louis II avant le serment de fidélité, et GREGOROVIUS adopte son témoignage (Sergius II, 13-15 ; Gesch. der Stadt Rom., t. IV, p. 85). C'est manifestement une erreur. Cf. Ann. Bert., a. 844 ; Pseudo-LIUDPRAND, MIGNE, t. CXXIX, col. 1214 ; DUCHESNE, L. P., t. II, p. 101, n. 8.

[192] L. P. Sergius II, 40-41 : t. II, p. 103, n. 30. Cet état de choses dura trois ans (L. P. Sergius II, 43).

[193] L. P. Leo IV, 8. Les hésitations des Romains durèrent longtemps, car, élu en janvier, Léon IV fut consacré seulement le 10 avril (JAFFÉ, Reg. n° 2595).

[194] L. P. Benedictus III, 6. La consécration se fit en présence des missi impériaux, le 29 septembre (JAFFÉ, Reg. 2661), deux mois et demi après la mort de Léon IV, survenue le 17 juillet (Ann. Bert., a. 855 ; L. P. Leo IV, 113).

[195] Le récit du biographe de Sergius (L. P. Sergius II, 9-11) est tout à fait identique à celui du biographe d'Hadrien (L. P. Hadrianus I, 35-40).

[196] L. P. Sergius II, 11.

[197] L. P. Sergius II, 11.

[198] Libellus de imp. pot., SS. III. p. 720. En 868, lors du meurtre de Stéphanie par Éleutherius, cf. Ann. Bert., 868. Quant au serment, Drogon et ses compagnons auraient voulu des 844 que les Romains le prêtassent à Louis II, bien que celui-ci ne fût que roi ; le pape s'y opposa énergiquement, et fidélité fut promise à l'empereur seulement, c'est-à-dire à Lothaire (L. P. Sergius II, 15).

[199] Libellus de imp. pot. (SS., III, p. 721) ; ANASTASII Epistolœ, MIGNE, t. CXXIX, col. 742). Cf. DUCHESNE, Liber pontificalis, t. II, p. 103, note 30 et p. 149 note 4 ; LAPÔTRE, De Anastasio bibliothecario, p. 89, et sq.

[200] LAPÔTRE, De Anastasio bibliothecario, p. 38, 74 sq. ; DUCHESNE, L. P., t. II, p. 166, note 3.

[201] L. P. Leo IV, 110-112. — La date de ces évènements n'est pas fixée d'une manière précise. JAFFÉ, Reg., n. 2661, les place en juin ou juillet. Comme Léon IV mourut le 17 juillet, après le départ de Louis II pour Pavie (BŒHMER-MÜHLB., Reg., n° 1165 e), le mois de juin reste l'époque probable.

[202] LAPÔTRE, De Anastasio bibliothecario, p. 54 sq.

[203] JAFFÉ, Reg., n° 2633-2636. — MANSI, t. XIV, col, 1017-1021.

[204] L. P. Benedictus III, 6-14 ; JAFFÉ, Reg., n° 2662-2673. — L'élection d'Anastase eut peut-être lieu à Orta, dont son père était évêque et où se fit la réunion de tous ses partisans. C'est ce que suppose Jaffé.

[205] A ce moment, Lothaire était encore en vie, mais gravement malade, et Louis II, empereur depuis cinq ans, exerçait en Italie toute l'autorité. Aussi le diplôme des Romains adressé aux deux empereurs ne fut-il présenté qu'à Louis, qui porte tonte la responsabilité de cette affaire. Par une coïncidence curieuse, la mort de Lothaire, le 29 septembre 855, se produisit le jour même où Benoît IV fut rétabli sur le siège pontifical.

[206] L. P., Benedictus III, 15.

[207] LAPÔTRE, De Anastasio, p. 53.

[208] De Anastasio bibliothecario, p. 58.

[209] L. P. Sergius II, 14.

[210] JAFFÉ, Reg., n° 2662-2663.

[211] JAFFÉ, Reg., n° 2373.

[212] Ann. Bert., a. 838. La présence de Louis II à Rome au moment de l'élection est également mentionnée par le L. P. (Nicolaus, 5.)

[213] L. P. Nicolaus, 7.

[214] L. P. Nicolaus, 7-9. — Louis II ayant quitté Rome pour Torre di Quinto, le pape l'y suivit et passa avec lui les derniers jours d'avril et le mois de mai (JAFFÉ, Reg., n° 2673). Il semblait que les deux alliés ne pussent pas se quitter.

[215] LAPÔTRE, De Anastasio bibliothecario, p. 68 sq. ; DUCHESNE. L. P., t. II, p. 167, note 3. — Sur Arsénius, apocrisiaire du Saint-Siège et conseiller de Nicolas Ier, voir Ann. Bert., a. 864-895 ; Ann. Fuld., a. 863 ; REGINONIS Chron., SS. I, p. 573.

[216] L'histoire de Jean est l'éternelle histoire de ces archevêques de Ravenne, dont Georges, le contemporain de Lothaire, nous a donné un premier exemple, qui cherchaient à secouer la domination de la papauté en s'unissant à l'empire. Rapportée par deux sources également suspectes de passion et de partialité, le Liber Pontificalis (Nicolaus, 21 sq.) et le Libellus de imp. pot. (SS. III, p. 721), elle est, dans le détail, assez mal connue. On sait que l'archevêque fut d'abord excommunié, pour cause d'hérésie, dans un synode tenu à Rome après le mois de mars 862, qui déclara anathème quiconque sacerdotibus seu primatibus, nobilibus ceu cuncto clero Romanæ ecclesiœ electionem Romani pontificis prœsumpserit (JAFFÉ, Reg. 2692). Cette dernière mesure était-elle dirigée contre l'empereur ou contre les factions qui s'organisaient dans la ville à l'époque des élections pontificales : il est difficile de le dire. En tout cas, Jean de Ravenne, qui comptait parmi les familiers de l'empereur (Libellus. SS. III, p. 721), vint trouver Louis II à Pavie et se plaignit vivement de la conduite du synode (L. P. Nicolaus, 24). Abandonné par tous, même par l'empereur, dont il invoqua l'appui pour la seconde fois, mais en vain (L. P. Nicolaus, 27), l'archevêque fut heureux finalement de faire sa soumission (JAFFÉ, Reg. n° 2693, 2696).

[217] Ann. Bert., a. 863. — L'affaire du divorce de Lothaire II a été racontée dans tous ses détails par DÜMMLER, t. II, p. 1 sq., et surtout par PARISOT, p. 143-325. Voir aussi MÜHLBACHER, Deutsche Gesch. unter den Karolingern, p. 504-537.

[218] Lib. de imp. pot. SS. III, p. 721. — Ann. Bert., a. 864. — Le témoignage de la chronique de REGINO confirme celui du Libellus de imp. potestate. Theutgaud et Gonthaire auraient fait remarquer à Louis II qu'un métropolitain ne pouvait être déclaré déchu et que, dans ces conditions, l'empereur avait le droit de rétablir les évêques déposés (SS. I, p. 573). PARISOT, p. 236, examinant la question de droit, conclut que Nicolas Ier, avait en effet violé les règles canoniques.

[219] Ann. Bert., a. 884. — ERCHEMPERT. Hist. Lang., 37.

[220] Ann, Bert., a. 864 ; ERCHEMPERT. Hist. Lang., 37 ; Libellus de imp. pot., SS. III, p. 721. — Les trois récits sont semblables, mais l'auteur du Libellus en généralise la portée, et il attribue à tort le conflit à l'affaire de l'archevêché de Ravenne.

[221] ERCHEMPERT, Hist. Lang., 37.

[222] Ann. Bert., a. 864. — L'auteur du Libellus dit que, si le pape fut péniblement affecté par ce qui venait de se passer, l'empereur se trouva très adouci, et c'est ce qui facilita la réconciliation. — Ces évènements s'accomplirent pendant les deux ou trois premiers mois de l'année 864 (BŒHMER-MÜHLB., Reg., n° 1188 g-4 ; JAFFÉ, Reg., n° 2734.)

[223] Ann. Bert., a. 864. — Le manifeste déposé était l'original de la déclaration, qui fut adressée par Theutgaud et Gunthaire aux autres évêques après leur retour en Lorraine, et dont nous possédons deux textes, l'un dans les Ann. Fuld., a. 833, l'autre dans les Ann. Bert., a. 864, celui-ci précédé d'un préambule singulièrement audacieux et violent. C'est l'écrit fameux, où il est dit de Nicolas : Totius... mundi imperatorem se fecit. L'empereur, à n'en point douter en connaissait les termes, et il les approuvait, car la violation de l'église Saint-Pierre par Hilduin et ses complices se produisit pendant qu'il était encore à Rome.

[224] Ann. Bert., a. 864. — La tension des rapports entre le pape et l'empereur et les continuels empiétements des missi a lionne, apparaissent encore dans une lettre de Nicolas Ier à Louis II de 865, ingénieusement reconstituée par Jatte à l'aide de quatre fragments (JAFFÉ, Reg. n° 2791). Cependant Nicolas écrit à Charles le Chauve à la fin de 864 pour l'inviter à respecter les États de son neveu. (MIGNE, P. L., t. CXIX, col. 911, 913). Il semble que le temps lui ait porté conseil.

[225] Ann. Bert., a. 866. Cf. LAPÔTRE, L'Europe et le Saint-Siège, p. 54 sq.

[226] L. P. Hadrianus II, 4-6 ; JAFFÉ, Reg. n° 2888.

[227] Ann. Bert., a. 867. — L. P. Hadrianus II, 8.

[228] Adrianus papa moritur, et Iohannes, archidiaconus Romana, ecclesiœ, 19. Kalendis Ianuarii in locum eius substituitur (Ann. Bert., a. 872). Ce texte est le seul que nous ayons. LAPÔTRE croit que la date qu'il porte est celle de la consécration (L'Europe et le Saint-Siège, p. 204, n. 1) JAFFÉ emploie le mot substituitur sans le traduire (Reg. n° 2953).

[229] Ann. Fuld., a. 875. — REGINONIS Chron., SS. I, p. 589.

[230] Libellus de imp. pot., SS. III. p. 72. — Il y a sans doute une allusion à ce contrat dans une lettre de Jean VIII à Landulf, évêque de Capoue, du 9 sept. 876 (JOANNIS VIII Epist. XXXI. MIGNE, P. L., t. CXXVI col. 685 ; JAFFÉ, Reg. n° 3051.)

[231] Dès 872, Hadrien II écrivit à Charles le Chauve pour le féliciter de ce qu'il était disposé à honorer Saint-Pierre (MIGNE, P. L., t. CXXII, col. 1319), et nous savons en effet que le roi avait envoyé deux couronnes d'or ornées de pierres précieuses à l'autel du prince des apôtres (Ann. Bert., a. 870). Les cadeaux, qui furent offerts à Jean VIII en 876, sont présentés comme ayant un caractère purement honorifique partout ailleurs que dans les Annales de Fulde et la Chronique de REGINO (ANDREÆ BERGOM., Hist., 19. — Ann. Bert., a. 876. — Ann. Vedastini, a. 876). L'année suivante, bien qu'il n'eût plus rien à demander, Charles agit de même (Ann. Bert., a. 877. — Ann. Vedastini, a. 877). D'ailleurs, au concile de Ravenne de 877, Jean VIII tint à déclarer que Charles le Chauve avait obtenu l'Empire loyalement, sans aucune espèce de machination, répondant à l'appel que le Saint-Siège lui avait adressé (MANSI, XVII. App., p. 172).

[232] Tout, dans son récit, respire la haine dont il est animé vis-à-vis de Charles le Chauve (Ann. Fuld., a. 875. Cf. a. 873). On ne trouve trace nulle part de ces crimes commis par Charles le Chauve, et qui s'expliqueraient d'ailleurs difficilement, puisque les Italiens se déclarèrent pour lui.

[233] C'est ce que LAPÔTRE a démontré (L'Europe et le Saint-Siège, p. 239 et 308 n. 3), contre l'opinion généralement acceptée jusqu'ici (BOURGEOIS, Le Capitulaire de Kiersy, p. 72 ; DÜMMLER, t. II, p. 398).

[234] La question d'authenticité de la donation de Charles le Chauve a été anciennement discutée en Allemagne par IUNG, qui s'est déclaré pour elle (Forsch. z. deutschen Geschichte, t. XIV, p. 444 sq.), et HIRSCH qui a soutenu l'opinion contraire (Forsch. z. deutschen Gesch., t. XX., p, 127-164. Hist. Zeitschrift, a. 1887, p. 258 sq.). D'autre part, on était à peu près d'accord pour placer le Libellus vers le milieu ou dans le premier tiers du siècle (GASQUET, L'Empire byzantin, p. 431). LAPÔTRE, en ramenant la date du document à l'année 897 ou au commencement de l'année 898 (L'Europe et le Saint-Siège, p. 198), a du même coup tranché le débat en faveur de l'authenticité. Celle-ci a d'ailleurs été admise par GREGOROVIUS, o. c., t. III, p. 175, BOURGEOIS, o. c., p. 72, n.3, et GASQUET, o. c., p. 439, avec cette réserve qu'il ne faut pas exagérer la portée des concessions faites à la papauté par Charles le Chauve. DÜMMLER, t. II, p. 398-399, ne se prononce pas nettement.

[235] ERCHEMPERT, Hist. Langob., 39. En 851, Lambert, profitant de ce que Louis II était dans l'Italie du Sud, l'avait trahi et s'était jeté sur Rome (L. P. Hadrianus II, 20 ; ERCHEMPERT, Hist. Lang., 35. Cf. GREGOROVIUS, t. IV, p. 158-159 et BŒHMER-MÜHLB., Reg. n° 1216 2).

[236] JOANNIS VIII Epist. CVI, ad Berengarium comitem (MIGNE, P. L., t. CXXVI, col. 555).

[237] Ann. Bert., a. 356. La Chronique de REGINO raconte que les noces furent célébrées tanto apparatu tantaque ludorum magnificentia... ut hnius celebritatis gaudia modum excessisse ferantur, mais elle se trompe quand elle ajoute que ce fut l'œuvre de Charles le Chauve, et que celui-ci donna en outre au même Boson la couronne de Provence, par vanité (SS. I, p. 589). Le témoignage des Annales de Fulde confirme absolument celui des Annales de Saint-Bertin, sur le caractère suspect et violent du mariage de Boson (Ann. Fuld., a. 878). Jean VIII était très mécontent de ce singulier protecteur, qui ne s'occupait que de ses propres affaires et retenait même les envoyés du pape à l'empereur (JOANNUS VIII Epist. XXX, ad Bosonem. MIGNE, P. L., t. CX XVI, col. 681). Charles le Chauve le rappela en France, et dès le milieu de l'année 877, Boson n'était plus en Italie (BOURGEOIS, Le Capitulaire de Kiersy, p. 85). Sur ces événements voir encore POUPARDIN, Le Royaume de Provence sous les Carolingiens, p. 53-83.

[238] BOURGEOIS, Hugues l'abbé, p. 21 et suivantes. — LAPÔTRE, L'Europe et le Saint-Siège, p. 312, n. 4.

[239] LAPÔTRE, L'Europe et le Saint-Siège, p. 309.

[240] Libellus, SS. III, p. 721. On voit qu'il n'est pas question de la consécration. GASQUET (o. c., p. 449), s'est complètement trompé sur ce point, ainsi que GREGOROVIUS (o. c., t. III, p. 175), celui-ci surtout, qui croit que l'autorité impériale à Rome fut complètement anéantie.

[241] BOURGEOIS, Le Capitulaire de Kiersy-sur-Oise, p. 74 sq.

[242] FUSTEL DE COULANGES (Nouvelles Recherches, p. 438), croit que ce voyage fut tout pacifique, imaginé dans le seul but de faire couronner par le pape l'impératrice Richilde, et il s'appuie, pour justifier sa manière de voir, sur les articles 7 et 23 du Capitulaire de Kiersy, d'après lesquels l'armée restée en France devait passer les Alpes, seulement si Charles le Chauve était attaqué par ses neveux de Germanie. Il ne s'est pas rendu compte que l'Italie elle-même devait fournir à l'empereur les contingents destinés à mener le bon combat contre les infidèles.

[243] Jean VIII fit, le premier, appel à leur concours (JOANNIS VIII Epist, XLII, ad Carolum imperatorem. MIGNE, P. L., t. CXXVI, col. 1395), Cf. JOANNIS VIII Epist. CCXCV, ad Carolum crassum (MIGNE, P. L., t. CXXVI, col. 908).

[244] LAPÔTRE, L'Europe et le Saint-Siège, p. 310-311. — Nous avons généralement adopté les conclusions auxquelles cet historien a abouti après une étude très serrée des documents.

[245] REGINONIS Chron., SS. I, p. 186. — HADRIANI II Epist. MIGNE, P. L., t. CXXII, col. 1305. — Sur le respect de Louis II pour la mémoire et les reliques des saints, voir deux anecdotes rapportées par la Chronique de REGINO (SS. I, p. 584) et le Chronicon casinense, 7 (SS. III, p. 24).

[246] Capitula comitibus Papin ab Hludowico II proposita, a. 850, cap. 1 (KRAUSE, Cap., p. 84). Un autre capitulaire de la même année arrête les mesures à prendre pour s'emparer des brigands (Hludowici II Capitulare papiense. KRAUSE, p 86). Les pèlerinages à Rome continuaient toujours, et la gloire de la ville ne diminuait pas (SEDELIUS SCOTTUS, Poème à l'évêque Hartgar. Poet. lat., t. III, p. 174).

[247] Karoli II capitulare papiense, a. 876, cap. 1-2 (KRAUSE, Cap., p. 101). Par l'article 3 du même capitulaire, Charles le Chauve renouvelle les prescriptions de Louis II pour la protection des pèlerins. Hadrien II, dans ses lettres, dit de lui qu'il a le désir d'honorer le Saint-Siège et qu'il est  pietate refertus (HADRIANI II Epist. XLI. MIGNE, P. L., t. CXXII, col. 1319-1320).

[248] Epistolæ carolinæ, 10.

[249] NITHARD, IV, 3.

[250] MON. SANGALL., I, 26. — REGINONIS Chron., SS. I, p. 59.

[251] Ann. Fuld., a. 839.

[252] PARISOT, Le royaume de Lorraine, p. 73.

[253] Ann. Bert., a. 855 ; REGINONIS Chron. SS. I, p. 560 : ADONIS Chron. SS. II, F. 322. — Lothaire avait déjà donné la Frise au second de ses fils, comme il avait confié l'Italie à l'ainé (Ann. Bert., a. 855). Le texte du partage de 855 ne nous est point parvenu, et nous ne le connaissons que par les témoignages assez vagues des chroniqueurs : mais la division de l'héritage de Charles, roi de Provence, en 863, entre ses frères, et le traité de Mersen de 870, apportent quelque lumière sur cette question. Toute la difficulté porte sur la délimitation de la Provence et de la Lorraine. La part de Louis II, qui est l'Italie, est nettement indiquée (REGINONIS Chron. — ADONIS Chron.).

[254] Ann. Bert., a. 856. Louis II invoquait comme prétexte qu'il tenait l'Italie de son aïeul Louis le Pieux, de sorte que son père ne lui avait en quelque sorte rien donné. Après de longues discussions avec Lothaire, qui furent parfois très orageuses l'empereur obtint satisfaction (Ann. Bert., a. 859). Cf. PARISOT, p. 90-91, 134.

[255] ADONIS Chron. SS. II, p 323. Les Annales de Saint-Bertin disent que l'empereur se rendit lui-même en Provence après la mort de son frère, mais Lothaire II accourut et l'obligea à partager (Ann. Bert., a. 863). Cf. DÜMMLER, t. II, p. 49, n. 1 ; PARISOT, p. 223-226.

[256] BŒHMER-MÜHLB., Reg. 1289 2 ; PARISOT, p. 321.

[257] Ann. Fuld., a. 869 ; Ann. Bert., a. 869 ; REGINONIS Chron. SS. I, p. 581. Louis le Germanique se sentit alors si près de la mort qu'il divisa son trésor entre les couvents et les pauvres.

[258] Le pape était le protecteur de la concorde, et Charles le Chauve avait invoqué l'assistance du Saint-Siège à ce titre, quand la France fut envahie par Louis le Germanique (HADRIANI II Epist. XXIV, MIGNE, P. L., t. CXXVI, col. 1298). Se servir de la papauté contre son adversaire était de la part de Louis II une grande habileté, et, dans une certaine mesure, un moyen légal. C'est d'ailleurs ainsi qu'Hadrien l'entendit, et c'est sur ce terrain solide qu'il se plaça.

[259] HADRIANI II Epist. MIGNE, P. L., t. CXXII, col. 1265, 1292. L. P. Hadrianus II, 17. — Sans rompre avec la politique de son prédécesseur, Hadrien déclara, au début de son pontificat, qu'il entendait introduire plus de douceur dans le gouvernement de l'Église (MIGNE, P. L., t. CXXII, col. 1275) ; et en effet, il se montra plus conciliant dans l'affaire du divorce de Lothaire II (Ann. Fuld., a. 868 ; Ann. Bert., a. 869 ; REGINONIS Chron. SS. I, p. 579-584 ; HADRIANI II Epist., dans MIGNE, P. L., t. CXXII, col. 1261 sq.) Waldrade fut admise à communier à la condition qu'elle renoncerait à la société de son ancien époux (MIGNE, P. L., t. CXXVII, col. 1265-1268). Arsénius et Anastase furent plus en faveur que jamais. (HADRIANI II Epist. X. MIGNE, P. L., t. CXXII, col. 1272).

[260] Ann. Bert., a. 869. — Les lettres d'Hadrien II ont été conservées ; elles sont dans MIGNE, P. L., t. CXXII, col. 1292-1293. En rapprochant leur texte de celui des Annales de Saint-Bertin, on voit combien l'annaliste en donne un résumé fidèle, ce qui s'explique, l'une de ces lettres ayant été spécialement adressée à Hincmar.

[261] HADRIANI II Epist. XX. MIGNE, P. L., t. CXXII, col. 1292. En conclusion, la Lorraine, selon le pape, appartient à Louis II par droit héréditaire, en vertu des lois divines et humaines, ou mieux encore de droit divin (MIGNE, P. L., t. CXXII, col. 1292-1293, 1297, 1300, 1302).

[262] HADRIANI II Epist. XX (MIGNE, P. L., t, CXXII, col. 1292).

[263] HADRIANI II Epist. XXIII (MIGNE, P. L., t. CXXII, col. 1296-1297).

[264] Ann. Bert., a. 869 ; Ann. Fuld., a. 869 ; Electionis Karoli Capitula in regno Hlotharii facta. KRAUSE, Cap., p. 337-341 ; Ordo Coronationis Karoli II in regno Hlotharii II factæ. KRAUSE, p. 456-458. — Le couronnement de Charles le Chauve eut lieu à Metz, et les sujets du nouveau roi de Lorraine lui jurèrent fidélité aussitôt (Capitulare Carisiacense, cap, 4. KRAUSE, p. 357).

[265] Ann. Bert., a. 869.

[266] Voir ces lettres dans MIGNE, P. L., t. CXXII, col. 1297-1305, et, pour la date, JAFFÉ, Reg., n° 2926-2931.

[267] Divisio regni Hlotharii II (KRAUSE, Cap., p. 193-195). Le traité, dont les bases avaient été posées à Attigny dès le mois de niai, fut signé a Mersen le 8 août 870 (Ann. Bert., a. 870 ; KRAUSE, loc. cit.) ; or, l'ambassade pontificale rencontra Louis le Germanique à Aix au mois de septembre seulement, et Charles le Chauve à Saint-Denis, le 9 octobre (Ann. Bert., a. 870 ; Ann. Fuld., a. 870 ; BŒHMER-MÜHLB., Reg. n° 1201 a). Pour le détail des faits, voir DÜMMLER, t. II, p. 281 sq., et PARISOT, o. c., p. 336 sq.

[268] Ann. Bert., a. 872.

[269] DÜMMLER, t. II, p. 335 sq.

[270] C'est ce que suppose DÜMMLER, t. II, p. 341, et en effet c'est la seule explication possible de la conduite de Louis le Germanique.

[271] Ann. Bert., a. 872.

[272] REGINONIS Chron. SS, I, p. 584 ; Ann. Bert., a. 871 ; ANDREÆ BERGOM., Hist., 15. Cf. GASQUET, L'Empire byzantin et la monarchie franque, p. 421 ; BŒHMER-MÜHLB., Reg. 1216 b.

[273] REGINONIS Chron. SS, I, p. 584.

[274] REGINONIS Chron. SS. I, p. 584. Dans ce texte, le nom de Jean VIII est mis, évidemment à tort, pour celui d'Hadrien (JAFFÉ, Reg. n° 2950).

[275] BŒHMER-MÜHLB., Reg. n° 1218 2 : JAFFÉ, Reg. n° 2950 ; DÜMMLER, o. c., t. II, p. 341 ; LAPÔTRE, L'Europe et le Saint-Siège, p. 225 ; GREGOROVIUS, t. IV, p. 170.

[276] LAPÔTRE, L'Europe et le Saint-Siège, p. 225. — DÜMMLER, t. II, p. 341, n. 2, se range à l'avis de MÜHLBACHER dans les Regesta, qui est conforme à celui de Lapôtre. GREGOROVIUS, t. IV, p. 150, n. 1, croit cependant que ce fut une cérémonie sans portée, comme le couronnement d'Henri V à Pâques 1117, une manière de célébrer un jour de grande fête.

[277] Ann. Bert., a. 872.

[278] Ann. Bert., a. 871.

[279] REGINONIS Chron. (SS. p. 584). Et que l'on remarque bien que Regino ne parle pas plus d'un couronnement de Louis Il à ce moment que les Annales de Saint-Bertin ne parlent d'un serment à l'occasion du couronnement ! Il faut donc distinguer les deux faits, et admettre que l'empereur fit deux séjours à Rome, l'un après le 17 septembre 87t, en se rendant de Bénévent à Ravenne, l'autre au milieu de mai 82. La première fois, il aurait fait décréter la guerre contre Adalgise et obtenu d'être délié de ses engagements par le pape ; la seconde fois il aurait reçu la couronne. Cf. BOUQUET, t. VII, Index chronologiens, p. CXX, CXXI.

[280] La comparaison avec Louis le Pieux a été faite dans les Regesta de BŒMER-MÜHLB., n° 1218 a.

[281] BOUQUET, t. VII, p. 115, note a. — BARONIUS, Annales ecclesiastici, t. X, p. 472.

[282] KRAUSE, Cap., p. 340.

[283] On ne saurait regarder comme étrange qu'un roi de Lorraine fût couronné à Rome par le pape, en dehors de la présence des grands et des évêques lorrains. Les fils de Charlemagne avaient été couronnés de la sorte, et plus récemment, sous Sergius II, le roi de Grande-Bretagne Ethelwulf (GREGOROVIUS, t. IV, p. 110).

[284] Ann. Bert., a. 860, 861, 865, 868. — Ces entreprises ont été vivement reprochées à Charles le Chauve, et elles ont servi de prétexte pour condamner sa politique. Est-ce bien juste ? PARISOT, qui certes ne le ménage pas et s'approprie en somme les opinions de DÜMMLER à son sujet (Cf. Le royaume de Lorraine, p. 420 et Gesch. des ostfr. Reiches, t. II, p. 29 et t. III, p. 55), est forcé de reconnaitre que Louis le Germanique avait précédé son frère dans cette voie (Le royaume de Lorraine, p. 25, n. 3). WARNKÖNIG et GÉRARD avaient certainement oublié l'histoire des autres princes carolingiens, quand ils ont écrit que l'ambition de Charles le Chauve fut, à côté des invasions normandes la cause principale de la décadence carolingienne, que la désunion des rois fut le fruit de sa politique déloyale et insensée, et qu'il a obligé ses parents à le suivre dans la voie de la fausseté, de la corruption et de la violence (Hist. des Carolingiens, t. II, p. 194, 226, 231).

[285] Après Hadrien II, Jean VIII écrivit à Charles le Chauve pour l'inviter à restituer à Louis II la partie de la Lorraine qu'il détenait injustement (JAFFÉ. Reg. n° 3000). — En 874, vers le mois de juin, eut lieu, non loin de Vérone, une entrevue entre Louis le Germanique, l'empereur son neveu et le pape, qui dut avoir pour objet la question de la Lorraine (Ann. Fuld., a. 874). Cependant PARISOT (p. 407) ne le croit pas.

[286] Ann. Bert., a. 876.

[287] C'était à la fin de l'assemblée de Ponthion. Deux des légats pontificaux, rentrèrent à Rome, mais il fut décidé que les autres demeureraient usque dum res unde agitur, optatum finem divina facente gratia accipiat. (KRAUSE, Cap., p. 353).

[288] Ann. Fuld., a. 876. Louis le Germanique était mort le 28 août 878 (BŒHMER-MÜHLB., Reg., n° 1477b).

[289] REGINONIS, Chron. SS. I, p. 588.

[290] Voir le récit détaillé de ces évènements dans les Ann. Bert. et Fuld., a. 876, et la Chron. de REGINO. SS. I, p. 588. — Cf. DÜMMLER, t. III, p. 32 et sq.

[291] Synodus pontigonensis, cap. 7 (KRAUSE, Cap., p. 352).

[292] Ann. Bert., a. 876. HINCMAR fit même aller Charles le Chauve en enfer (De visione Bernoldi. MIGNE, P. L., CXXV, col. 1116-1117).

[293] HINCMAR, Epist. XXVII (MIGNE, P. L., t. CXXVI, col. 181). — On a beaucoup discuté sur l'origine de cette lettre, qui fut envoyée à Hadrien II en 870, lorsque le pape sommait Charles le Chauve d'évacuer la Lorraine. Est-elle l'œuvre personnelle de l'archevêque de Reims, comme le suppose DÜMMLER (t. II, p. 311, n. 2), ou bien le texte en fut-il arrêté dans une assemblée des évêques et des grands réunie sous la présidence du roi ? (GFRÖRER, Gesch. der ost. und westfr. Karolinger, t. II, p. 36). Le contexte ne permet guère de clouter qu'Hincmar se fit dans la circonstance l'interprète d'une opinion courante autour de lui parmi les clercs et les laïques (ecclesiastici et sœcularis ordinis viri) c'est-à-dire de tout le peuple.

[294] La bonté et la beauté d'Hirmingarde Augusta nivea ont été célébrées avec enthousiasme par SEDULIUS SCOTTUS (Poet. lat., t. III, p. 186). Voir aussi son Épitaphe (BOUQUET, t. VII, p. 319), et le charmant récit du baptême de la petite Rothrude, fille de Lothaire et d'Hirmingarde, dans le Lib. pont. eccl. raven. (MGH. Scr. rer. ital., p. 388). L'évêque met aux pieds de l'enfant calciamenta... auro et iacintho ornata, tandis que la mère se tient à ses côtés induta clara veste, aureo circumdata limbo, conligata crines vittis iacinthinis. La Chronique de Salerne montre Louis II, conformément à la tradition paternelle, tenant sa cour à Pavie : il est assis sur un trône d'or ; sa femme se tient à ses côtés, les grands tout autour (Chron. Salern., 117, SS. III, p. 531).

[295] Ann. Bert., a. 876.

[296] Ann. Fuld., a. 876. — Le témoignage des annalistes sur le changement de costume de Charles le Chauve est confirmé par celui des monuments figurés. Avant 876, Charles porte le costume franc (BALUZE, Capitulaires, t. II, p. 1276) ; après l'Empire, il est habillé à la grecque. Tel il était encore représenté au siècle dernier, sur le monument de Saint-Remi de Reims qui passait pour le propre tombeau d'Hincmar (Voyage de deux Bénédictins, t. I, partie II, p. 80.)

[297] Ann. Bert., a. 877. Avant Richilde, Hirmingarde, la première femme de Louis le Pieux, aurait été couronnée également par le pape (THÉGAN, 17). C'est un cas unique, et dont on n'est pas sûr.

[298] Ann. Fuld., a. 876.

[299] Le retour aux anciens usages, c'est-a-dire aux coutumes de l'Empire romain, est signalé encore, è propos de faits d'ailleurs inexacts, par la Chronique de REGINO (SS. I, p. 589). Et en effet, c'était bien de l'Empire romain qu'il s'agissait. KRAUSE, Cap., p. 351. N'est-ce pas Charles le Chauve qui aurait fait frapper la médaille, longtemps attribuée à Charlemagne, qui porte l'inscription : Renovatio romani imperii ? Sur cette question fort controversée, voir deux notes bibliographiques très complètes dans BRYCE, p. 132, n. 1, et W. SICKEL, Die Kaiserwahl Karls des Grossen, p. 4, n. 1.