L'EMPIRE CAROLINGIEN

LIVRE II. — LES GRANDES IDÉES ET LES GRANDS SYSTÈMES

 

CHAPITRE PREMIER. — Charlemagne.

 

 

I

Charlemagne, empereur romain ; ses relations arec les Grecs. Il se propose pour modèles Constantin et Théodose. Caractère ecclésiastique de son gouvernement. La Constitution de 802.

 

Lorsque le fils de Pépin fut devenu empereur, il eut de son élévation un immense et légitime orgueil, il sentit qu'il avait grandi, qu'il était monté d'un échelon vers Dieu[1]. Renonçant pour le moment à toute entreprise hostile, enfermé dans son palais d'Aix-la-Chapelle, il vécut pendant une année dans le calme et la réflexion[2]. Quand il en sortit, ce fut pour inviter ses sujets à le seconder, chacun selon son intelligence et ses forces, dans l'accomplissement de la tâche qu'il s'était fixée[3]. Les paroles qu'Eginhard met dans sa bouche au sortir de l'église Saint-Pierre de Rome, et qu'on cherché à expliquer de bien des façons, ne sont pas en désaccord avec cette attitude[4]. Charles n'était pas mécontent, mais inquiet, parce qu'il avait des devoirs et des droits qui lui incombaient à l'avenir une très haute idée[5]. Quelle était cette idée ? Bien que les documents laissent fort à désirer quant au nombre et au caractère. il est possible d'arriver à des résultats, en consultant les Capitulaires et les Lettres carolingiennes, en interprétant les événements rapportés par les biographes et les auteurs des Annales impériales[6].

D'abord le titre de patrice, qui n'a plus de raison d'être, puisque la dignité de patrice est inférieure à celle d'empereur, est abandonné par Charlemagne[7], et un nouveau titre figure désormais dans tous ses actes officiels, celui de très sérénissime Auguste, gouvernant l'empire romain[8]. Dans le protocole d'un Capitulaire, l'année 801 est nommée la première de son consulat[9]. Une couronne colossale, placée par ses soins dans la basilique d'Aix, porte gravés les deux mots : KAROLUS PRINCEPS[10]. On sait, d'autre part, qu'il apprit de bonne heure le latin et le parlait comme sa langue maternelle[11]. Auguste, consul, prince, autant de noms qui ne laissent aucun doute sur la signification attribuée par lui à sa nouvelle dignité : il se considère comme le descendant des Césars[12]. Sa politique à l'égard des souverains de Constantinople montre qu'il désire être reconnu comme tel.

Les empereurs byzantins étaient, de l'aveu des écrivains occidentaux, les héritiers directs des anciens empereurs romains. Les provinces, sur lesquelles leur autorité s'étendait, avaient beau être grecques par la langue, l'esprit et la race de leurs habitants : elles faisaient partie de la Romania. Après 800, Charles traita ces princes comme des frères, et avec un zèle constant, avec un désir de conciliation qui ne s'est jamais démenti, il poursuivit prudemment, doucement, le projet de se faire légitimer par eux. Quelque difficulté qu'il rencontrât sur sa route au cours de négociations qui durèrent plus de dix ans, on peut dire qu'il ne renonça jamais à l'espoir de voir ses efforts aboutir et ses désirs exaucés[13].

L'impression que son couronnement allait produire à Constantinople l'avait préoccupé dès le début. Il redoutait les interprétations fâcheuses auxquelles un pareil évènement pouvait donner lieu, qu'on y vit une agression, qu'il s'ensuivit une rupture, et ainsi s'explique en partie l'inquiétude dont il parut saisi[14]. Il se présentait cependant une solution qui arrangeait les choses pour le mieux, introduisait le roi des Francs par un moyen régulier dans la descendance d'Auguste et plaçait sous son autorité, non-seulement l'Occident, mais l'Orient. Irène, veuve, régnait toujours à Constantinople. Charles, veuf aussi, l'épousait et devenait le successeur de Constantin VI. Deux ambassadeurs, Jessé, évêque d'Amiens, et le comte Helmgaud, furent envoyés à Constantinople pour préparer cette union ; mais, pendant qu'ils étaient encore dans la ville, une révolution de palais éclata : le patrice et logothète général Nicéphore relégua Irène dans un monastère et s'empara du trône[15]. Il fallut trouver une autre combinaison.

Pour y arriver, Charles employa toujours la même bienveillance qui n'excluait pas la plus grande fermeté. Le souvenir des victoires remportées jadis par l'armée franque au profit des Grecs ou contre eux n'était pas perdu en Orient, et un proverbe disait qu'il valait mieux avoir le Franc comme ami que comme voisin[16]. Tout fut fait pour entretenir les craintes que ce passé inspirait. Les Grecs étaient maintenant en Italie les voisins immédiats des Francs. Des envoyés partis d'Aix intriguèrent, non sans succès, dans leurs dernières possessions, en Sicile, en Dalmatie, à Venise ; une armée et une flotte appuyèrent ces démarches[17]. Au fond Charles était bien décidé à ne faire la guerre, s'il y était contraint, que pour avoir la paix ; et les hostilités, qui éclatèrent vers 809, ne durèrent qu'un instant. Les Grecs oublièrent vite la rancune très naturelle qu'ils nourrissaient contre l'usurpateur. Ils en voulurent surtout au pape qui leur apparaissait comme l'instigateur principal, sinon unique, du complot[18], et ils cherchèrent de leur côté un terrain d'entente avec une bonne volonté indiscutable, d'autant plus méritoire qu'en somme ils avaient été dupés. Dès le commencement de son règne, Nicéphore reprit les négociations entamées avec Irène. Le métropolitain Michel accompagné des abbés Pierre et Calixte fut envoyé auprès de l'empereur qui se trouvait à Salz en Germanie. Il était porteur d'une lettre de son maitre pleine de sentiments pacifiques et revint avec une réponse également favorable de Charlemagne[19]. D'autres ambassades furent encore échangées dans la suite[20]. Elles aboutirent en 812, après la mort de Nicéphore, sous son gendre et successeur Michel. Cette année-là, on vit arriver à Aix trois Byzantins, le métropolitain Michel, chef habituel de ces sortes de légations, le protospathaire Arsace, qui était également au courant de l'affaire, et Théognoste. L'empereur les reçut solennellement à l'Église, et leur remit le texte d'un pacte par lequel il abandonnait Venise et la Dalmatie, après quoi les ambassadeurs l'appelèrent Imperator et Basileus et lui adressèrent en grec les louanges consacrées[21]. Au printemps de 812, deux envoyés francs, l'abbé Pierre et l'évêque Amalharius de Trèves partirent à leur tour pour Constantinople afin de conclure l'accord définitif ; ils apportaient l'exemplaire signé par Charlemagne et approuvé par les chefs de l'aristocratie ecclésiastique et laïque, et devaient recevoir un autre exemplaire portant la signature de l'empereur grec confirmée par ses prêtres, ses patrices et ses grands[22].

Amalharius et son compagnon, de retour dans leur pays, ne trouvèrent plus Charlemagne qui venait de mourir, et c'est seulement sous Louis le Pieux que les dernières ratifications furent échangées, mais l'honneur de les avoir préparées appartient au seul Charles. Jusqu'à lui, la chancellerie byzantine avait réservé aux souverains de Constantinople le titre de Basileus, ne laissant aux autres que celui de Rex, et avec son formalisme accoutumé, pour que l'équivoque ne fût pas possible, pour que le mot rex ne parût pas la traduction latine du mot βασιλεύς, elle transcrivait dans les textes latins 'ρήξ avec des lettres grecques, tandis que, dans les textes grecs, on lui gardait sa forme et sa prononciation latines[23]. En saluant le roi des Francs du nom de Basileus, les envoyés de l'empereur attribuèrent au traité qui allait être conclu le caractère qui lui appartenait, celui d'un fœdus, c'est-à-dire d'un traité d'égal à égal[24]. Charles n'avait pu, comme il l'avait espéré au début, rétablir d'une manière absolue l'unité impériale, rassembler sous ses lois l'Occident et l'Orient ; il s'était arrêté à un compromis dont le modèle se trouvait dans l'histoire romaine des derniers siècles et qu'il était possible d'admettre sans abandonner le principe de l'unité, celui-là même que Théodose avait imaginé et auquel l'évènement de 476 avait mis fin : deux empires, l'un en Orient et l'autre en Occident, à leur tête deux empereurs, ou plutôt deux frères, vivant unis par les liens de paix et de charité[25].

Que Charlemagne se considérât comme un empereur romain, personne ne le conteste aujourd'hui. Mais on a dit qu'il ne savait rien de plus et qu'il était incapable d'expliquer sa qualité d'Imperator Angustus[26]. Il savait fort bien au contraire ce qu'il entendait par là. Héritier à la fois de tous les empereurs, il distinguait parmi eux les bons et les mauvais, ceux qui s'étaient montrés hostiles à la religion et ceux qui avaient été chrétiens ou clignes de l'être. C'est au nombre de ces derniers qu'il se rangeait. Lorsque les murs du palais d'Ingelheim furent couverts des immenses compositions décrites par Ermold le Noir, dont l'intérêt est si grand, non-seulement pour l'histoire de l'art, mais pour l'histoire proprement dite, les exploits de la nation franque furent mêlés à ceux du peuple romain, mais l'image de Charles suivit celle des deux empereurs qui, au moyen-âge, symbolisèrent le christianisme triomphant, Constantin et Théodose[27]. Pour lui, la qualité essentielle de l'Empire fut d'être chrétien, et c'est pourquoi, au lendemain du pacte avec les Grecs, il remercia Dieu avec ferveur, par dévotion religieuse, non par reconnaissance politique : ce pacte, qui sauvegardait la paix de l'Église et l'unité du monde, lui permettait de gouverner et protéger la Sainte Église catholique comme par le passé[28].

Gouverner en tout les Églises de Dieu et les défendre contre les méchants, telle fut en effet la mission à laquelle il se crut destiné et tel est le premier devoir qu'il enseigna à son fils Louis en l'associant à l'empire[29]. En réalité la tâche était double ; il s'agissait, suivant les termes d'une lettre fameuse au pape Léon III, de défendre par les armes partout à l'extérieur la Sainte Église du Christ contre les incursions des païens et les dévastations des infidèles, et la fortifier à l'intérieur dans la connaissance de la foi catholique[30]. Mais Charles était de taille à supporter le fardeau. On sait avec quel zèle il s'acquitta de la guerre contre les infidèles : il ne faut pas croire qu'il négligea le reste. Plusieurs conciles furent tenus, en sa présence et par son ordre, pour réformer ou fixer le dogme et la discipline, et les procès-verbaux de Ces réunions furent déposés aux archives du Palais[31]. Il descendait lui-même dans le détail de toutes les questions, et montrait dans la discussion cette faculté d'assimilation qui est le propre des hommes de génie. Quelquefois l'entretien avec les évêques se prolongeait par correspondance ; l'empereur, se disant inspiré par l'Esprit-Saint, leur communiquait ses volontés, les félicitait de la docilité avec laquelle ils obéissaient à ses ordres, ou les complimentait, si les réponses qu'ils avaient faites lui semblaient animées d'un esprit vraiment catholique[32]. Il dirigea ainsi une vaste enquête sur le baptême et prit soin de rappeler lui-même dans une de ses lettres qu'il fallait préparer les néophytes avec les plus grandes précautions, que nul ne pouvait être baptisé sans avoir récité en présence d'un prêtre l'Oraison dominicale et le Symbole des Apôtres[33]. Le texte du Credo le préoccupait également, et il envoya des légats à Rome pour en délibérer avec le pape[34].

On peut dire que sous Charlemagne le clergé apparaît dans la dépendance directe de l'empereur[35]. Celui-ci donne des ordres pour que tous les ecclésiastiques soient examinés de très près sur leur érudition et leur doctrine, et il exige que les études littéraires soient faites avec soin dans les monastères, afin que le sens des Écritures divines puisse être plus facilement pénétré[36]. Non-seulement les lettres religieuses l'intéressent, mais les arts et la musique d'église. Il ordonne de restaurer les édifices sacrés qui sont en ruine sur toute l'étendue du royaume[37]. Enfin, réalisant un projet de son père, il obtient que les prêtres de Gaule, de Germanie, d'Italie et de Saxe emploient l'office romain, et que ces provinces, unies par la foi et la même ardeur de croire, le soient par une seule manière de lire et de chanter qui est celle de saint Pierre qu'on doit suivre en tout[38].

Dans un pareil système, quelle est la place faite à la papauté ? La lettre à Léon III le dit encore. Pendant que l'empereur combat, le pape élève les mains vers Dieu, afin que, par son intercession le peuple chrétien soit victorieux partout et toujours sur les ennemis de son saint nom, et que le nom de Notre-Seigneur Jésus-Christ soit glorifié dans le monde entier[39]. A l'empereur l'action, au pape la prière, tel est le programme[40]. Et de ce programme Charles ne s'écarte pas un instant. Sa politique vis-à-vis de Léon III, comme jadis à l'égard d'Hadrien, apparaît respectueuse, mais ferme. En 804, Léon désirant le voir, il se rend au-devant de lui à Reims, l'y reçoit solennellement, le conduit d'abord à Kiersy, où le glorieux anniversaire de l'an 800 est célébré, puis à Aix, et, huit jours après, le renvoie comblé de présents, en ayant soin de le faire escorter jusqu'à Ravenne[41]. Il lui prodigue, en toutes circonstances, les cadeaux et les marques de sa vénération[42], l'associe même parfois aux actes importants de sa politique intérieure et extérieure, mais pour avoir son approbation et l'appui de son autorité morale. Aucune opposition ne serait tolérée[43].

Comment en eût-il été autrement ? Charlemagne avait été nourri dès sa plus tendre enfance dans les croyances chrétiennes ; sa religion était sincère et l'épithète de pieux est celle que les annalistes ajoutent de préférence à son nom[44]. Lorsqu'il fut parvenu à l'âge d'homme, la royauté lui conféra, comme à tous les souverains chrétiens, des obligations envers l'Église, mais l'onction qu'il reçut à son sacre lui donna des droits différents de ceux des autres princes : elle fit de lui plus qu'un chrétien ordinaire, plus qu'un roi, un prêtre[45]. Pendant les premiers siècles du moyen-âge, l'Église aimait à chercher dans l'histoire d'Israël les exemples qu'elle citait à l'appui de ses discours. Roboam, Achaz et Achab étaient les mauvais rois ; David le monarque idéal, le roi sage et humble toujours vainqueur dans les combats, parce qu'il faisait ce qui était agréable au Seigneur[46]. A l'époque mérovingienne, un évêque des Gaules le proposait comme modèle aux jeunes rois Clovis II et Sigebert III[47]. Plus tard, Pépin fut égalé à lui, parce qu'il avait offert son peuple à Dieu avec la joie de David arrachant l'arche des mains des étrangers au bruit des hymnes et des cantiques[48]. Le fils de Pépin fut jugé un second David, et il accepta avec joie ce nom par lequel ses intimes le désignaient. Sur les murs d'Ingelheim, les grandes scènes de l'histoire sainte furent également rapportées, et les œuvres de David et de Salomon figurèrent à côté de celles de Constantin, de Théodose et de Charlemagne[49]. Par tradition, par caractère et par goût, Charles était ainsi entraîné vers les choses ecclésiastiques ; la demi-indifférence d'Hadrien à l'égard des affaires spirituelles acheva de le pousser dans cette voie, et il était, dans toute l'acception du terme, le défenseur de l'Église de Dieu[50], comme il disait lui-même, quand il fut fait empereur. L'empire venant se joindre à la royauté, sa mission chrétienne, qui n'était pas modifiée dans le fond, se trouva étendue et consolidée[51]. Est-ce que Théodose et Constantin n'avaient pas agi sur l'Église primitive pour fixer les fondements de la foi, Constantin en provoquant le concile de Nicée, Théodose en réunissant celui de Constantinople ? Est-ce que leurs successeurs chrétiens ne s'étaient pas chargés de combattre l'ennemi de la religion au dedans et au dehors ? Empereur et prêtre-roi, Charles héritait de tous leurs droits et de tous leurs devoirs.

Aussi bien son rôle protecteur n'était pas terminé, quand il avait réussi à sauver les croyances orthodoxes des périls qui les menaçaient. Il fallait encore qu'il défendit les biens des églises et la personne de leurs serviteurs contre les entreprises des méchants. Mais ceci rentrait dans une partie plus générale de sa tache d'empereur chrétien qu'il importe de bien établir, parce qu'elle montre la position qu'il entendait prendre vis-à-vis des différentes classes de la société.

On a vu précédemment qu'après le couronnement Charles s'enferma à Aix un an et se recueillit[52]. Il ne resta pas inactif cependant, mais convoqua de grandes réunions où furent appelés les membres du clergé régulier et séculier, les chefs du peuple et le peuple lui-même. Avec les évêques et les prêtres il relut tous les canons et les décrets des pontifes, avec les abbés et les moines la règle de saint Benoît, avec les autres les lois en vigueur dans l'étendue de l'empire[53], et elles étaient nombreuses, car la loi avait toujours un caractère personnel. Ce travail préparatoire accompli, il promulgua en 802 une série de Capitulaires touchant à l'administration générale de l'État[54]. Dans celui qui est placé en tête et qui sert pour ainsi dire de préface aux autres, l'empereur proclamait le règne de la justice. Que personne, disait-il, ne soit assez osé pour empêcher par ses moyens propres ou par ses ruses l'application intégrale de la loi et de la justice aux églises de Dieu, aux pauvres, aux veuves, aux orphelins, à lui-même et à tout chrétien, comme cela se produit fréquemment. Mais que tout le monde soit averti de vivre conformément à la justice et aux préceptes divins, chacun selon son genre de vie et sa profession, les réguliers observant pleinement les règles canoniques et repoussant les profits honteux, ceux qui sont consacrés à Dieu se surveillant avec diligence, les laïques et les gens du siècle usant de leurs lois avec droiture et sans fraude, tous vivant les uns avec les autres dans la paix absolue et la charité. Il annonçait ensuite que tout ce qui, dans la loi, était contraire à l'esprit de justice et au droit, serait recherché, porté à sa connaissance et modifié, que toute iniquité commise envers les églises de Dieu, les pauvres, les orphelins et les veuves dont le seigneur empereur a été constitué le défenseur et le protecteur après Dieu et les Saints, serait punie par ses délégués sans que flatterie humaine, récompense, lien de parenté, crainte des puissants, les empêchât de faire bonne justice[55].

Fruit mûri d'une longue méditation, les Capitulaires de 802 contiennent toute la pensée de Charles. Ils ont la valeur d'une constitution et fixent le but du gouvernement impérial, tel que son fondateur désirait l'établir. À travers des phrases creuses en apparence, mais qui avaient alors un sens précis, le rêve de Charlemagne se dégage clairement. Pour lui l'empire romain rayonne dans le passé, non-seulement comme le régime qui a assuré la victoire du christianisme sur le paganisme, mais comme une époque idéale d'ordre, de sécurité, de paix, de bonne justice. Cette époque. il faut qu'il la fasse revivre. C'est son devoir de prince chrétien, et si, devenu empereur, il a dirigé une recension des lois de l'Etat, provoqué les confidences des assistants, cherché à connaître leurs besoins, c'est pour mesurer la distance qui sépare le temps présent du temps passé et découvrir les améliorations qui assureront comme autrefois le bonheur et la félicité des peuples[56].

 

II

Opinion des contemporains sur l'Empire : l'aristocratie, l'Église, la papauté.

 

Les idées de Charlemagne, telles qu'elles viennent d'être exposées, n'étaient pas sa conception propre, son patrimoine ; elles étaient celles de ses contemporains. Le couronnement, attendu avec impatience, avait été salué dans tout l'Occident par une explosion de joie, et les évêques exprimèrent la reconnaissance universelle, en remerciant Dieu d'avoir élevé Charles à la très sublime dignité de l'empire[57]. Aucune parole discordante rie se fit entendre ; aucune divergence de vues ne se produisit. La société fut d'accord sur tous les points avec celui qu'elle avait choisi comme chef.

C'est dans les innombrables productions en vers et en prose qui suivirent la création de l'empire qu'on voit le mieux comment ceux auxquels leur culture a permis d'exprimer leur pensée envisagèrent l'évènement. Hommes de lettres et hommes d'État à la fois, pleins des souvenirs de l'antiquité classique, nourris par la lecture des écrivains latins de la grande époque, ils considèrent Charles comme le descendant des empereurs romains. Sous leur plume reviennent comme par enchantement les formules païennes. Charles est appelé optimus maximus, rangé d'office parmi les Anicii auxquels Justinien avait été également rattaché. Alcuin et ses amis n'ont qu'un désir, celui de se rapprocher des vieux auteurs romains et d'are du nouvel Auguste l'Horace ou le Virgile. A aucune époque de l'histoire littéraire de la France, mène à celles où l'antiquité fut le plus admirée, on ne retrouve à un égal degré le souci de copier les genres qui avaient fleuri anciennement : c'est le caractère qui domine toute la littérature du nouvel empire, littérature poétique, presque mondaine, faite de l'admiration et de l'enthousiasme général[58].

Il ne faudrait pas croire cependant que Charles fût pour ses admirateurs un empereur romain quelconque. Il surpassait tous ceux qui l'avaient précédé par la pratique des plus nobles vertus dont la première était la vertu chrétienne : il était, selon le mot d' Alcuin dans la préface du Traité sur la Trinité, le prince du peuple chrétien[59], et, si on l'introduisit dans la famille des Anicii de préférence aux autres familles patriciennes, c'est que celle-ci avait adopté de bonne heure le christianisme et lui avait donné deux défenseurs illustres, un martyr et un saint. Boèce et Grégoire le Grand[60]. A chaque instant, les correspondants de Charlemagne lui rappellent les lois, les maximes et les actes des empereurs romains. Ainsi se trouve cité Titus, le très noble prince qui disait qu'on devait revenir d'auprès de l'empereur toujours consolé[61] : mais les exemples des païens comme Titus sont rares : on rencontre presque toujours ceux des princes qui ont assuré le succès du christianisme, Constantin, Théodose l'ancien, Marcien, Valentinien. Comme dans les siècles passés, ces empereurs sont ceux qui jouissent de la faveur populaire : ils forment la pléiade sacrée qui a délivré le peuple chrétien des erreurs dont il était entaché, et qui, animée d'un zèle divin, a rempli le monde de sa dévotion. Le roi des Francs se place au-dessus d'eux par ses mérites, son orthodoxie et sa science, parce qu'il imite David, parce qu'il est David lui-même[62]. Successeur à la fois des meilleurs empereurs romains et des meilleurs rois juifs, il réunit toutes leurs qualités : il est sage comme Salomon, fort comme David, beau comme Joseph[63]. Or David incarne la loi de Dieu, qu'il a prêchée au peuple[64].

On devine les conséquences que les contemporains tiraient de ces comparaisons, quand il s'agissait d'établir l'utilité de l'empire et le rôle de l'empereur. Elles peuvent se résumer en quelques propositions très simples. L'empire est essentiellement chrétien. Il a un caractère sacré[65]. Charles se confond avec lui ; il est le phare de l'Europe[66] ; prier pour sa sécurité, c'est prier pour la stabilité de l'empire[67]. Sa piété brillante comme les rayons du soleil l'a désigné au choix de Jésus-Christ pour qu'il commanda la troupe sacrée des chrétiens, pour qu'il devint le mur et les armes, le rempart de la foi orthodoxe qui est la foi apostolique[68]. Par la force de son bras les fidèles seront défendus contre les attaques des gentils, et les peuples adonnés au culte des idoles se convertiront. En augmentant le nombre de ceux qui croient en Christ, il assurera la dilatation de son empire, mais d'autre part il donnera la paix et la tranquillité à tous ses habitants[69]. Inspiré par Dieu, ayant en dépôt la sagesse et la puissance, il emploiera activement ces dons précieux, la puissance pour opprimer les superbes et défendre les humbles, la sagesse pour diriger et instruire ses sujets avec une pieuse sollicitude. Exemple parfait de toutes les vertus, il enseignera enfin aux représentants de toutes les classes. juges, soldats, clercs, philosophes, les vertus qui leur conviennent, le conseil aux grands, l'équité aux juges, l'expérience des armes aux soldats, l'humilité aux prélats, l'obéissance aux sujets, à tous la prudence, la justice, le courage, la tempérance, la paix et la concorde[70].

En résumé la mission de l'empereur est considérée comme essentiellement morale. On lui demande de faire régner la paix matérielle parmi les chrétiens, mais aussi la paix des âmes, et on le juge armé pour cela, car il a reçu, non-seulement le gouvernement du monde, mais encore le gouvernement de l'Église. Grâce à lui, aucune doctrine perverse ne pourra s'insinuer, aucune tache ne s'étendra sur une partie quelconque de l'Église de Dieu, et tous les orthodoxes recevront leur instruction[71]. Heureux le siècle et heureux le peuple auxquels le Christ l'a donné comme recteur ! Sa place est parmi les saints prédicateurs du Verbe de Dieu ; il est le premier docteur de l'empire ; il a retrouvé la voie royale — via regia —, c'est-à-dire la voie sainte depuis longtemps perdue, et s'y est résolument engagé[72].

L'Église ne pensa pas autrement que le reste de la société sur cette question délicate de l'intervention impériale, qui avait amené les conflits avec l'empire byzantin et filialement la rupture. Une timide protestation se fit entendre. Odilbert osa rappeler que les bons empereurs se bornaient à approuver de leur autorité impériale les décisions des 'prêtres du Seigneur[73]. C'était reprocher à Charles ses interventions continuelles en matière dogmatique, mais celui-ci avait déjà répondu victorieusement à une accusation du même genre, en invoquant l'exemple de Josias qui, par ses avertissements et ses punitions, ramena le peuple d'Israël au culte du vrai Dieu[74]. Comment l'Église eût-elle repoussé un prince aussi modeste, imitateur d'un saint roi auquel il n'osait se comparer, mais qu'il nommait, parce qu'il faut toujours citer et suivre l'exemple des saints ! Elle accepta unanimement la situation subordonnée dans laquelle elle se trouvait placée. et l'on trouve à ce sujet des phrases décisives dans les écrits des chefs les plus illustres du clergé de Gaule, de Germanie, d'Italie, d'Odilbert lui-même, surtout dans les pièces de cette vaste enquête du baptême, qui nous sont restées et qui constituent un document unique pour l'histoire des rapports de l'empereur avec l'Église. On y voit les évêques s'humilier, s'accuser de négligence et de paresse, bénir l'intervention de l'empereur qui les a tirés du sommeil de l'insouciance, proclamer la nécessité d'obéir à ses ordres qui sont saints, à sa personne qui est sacrée. C'est son admirable religion, c'est sa foi ardente envers Dieu qui lui suggère ses sages enquêtes, et qui n'accepterait des avertissements faits sur le ton d'un père et non d'un maitre[75] ?

Il n'y a pas lieu de s'étonner de cette soumission. Elle n'était point nouvelle. L'État n'est pas dans l'Église, mais l'Église est dans l'État, c'est-à-dire dans l'empire romain, disait au IVe siècle Optat de Milève[76]. Dans l'une des prétendues lettres de Grégoire II à Léon l'Isaurien : Je suis roi et prêtre, dit l'empereur, et le pape répond : Oui, Constantin, Théodose, ceux-là étaient empereurs et prêtres, parce qu'ils travaillaient pour le bien de l'Église. Voilà la condition, et si les Byzantins ne s'en étaient jamais écartés, leurs prétentions eussent peut-être été admises.

La papauté reconnut avec la même bonne grâce les conséquences de l'événement de l'an 800. Léon III, qui continua d'occuper le siège pontifical jusqu'à la fin du règne, resta sous l'influence de la reconnaissance qu'il avait contractée et ne fit rien pour échapper à la puissance dominatrice de son illustre protecteur[77]. Il accepta jusqu'au bout la situation inférieure qui lui était faite et qu'aucun de ses prédécesseurs n'eût jamais voulu admettre. Il s'en rendait parfaitement compte, mais, comme il le disait, rien ne pouvait le séparer de l'amour qu'il portait à Charles, si ce n'est la mort[78]. Puisque Dieu avait fait du roi des Francs le gardien de là paix ecclésiastique, le pape lui demandait simplement de veiller à la grandeur de l'Église romaine, à l'intégrité et à la sécurité de son territoire[79]. Moyennant cela, il était le premier à déclarer que l'Église devait être l'auxiliaire de Charles dans tous ses projets[80], et personnellement il considérait comme un devoir de lui communiquer les nouvelles qu'il avait recueillies de source sûre et qui intéressaient la puissance impériale, non-seulement en Italie, mais en Orient et partout[81].

La lecture des lettres de Léon III à Charlemagne montre que les choses n'allèrent pas toujours aussi bien qu'on aurait pu le souhaiter et qu'il y eut des difficultés. Les rapports de l'Empire avec l'État de Saint-Pierre étaient délicats à régler. Que celui-ci fût sous la souveraineté de Charles, ce n'est point douteux ; pour employer une expression chère aux historiens allemands, l'empereur était à l'égard des habitants de Rome un Oberherr ; son droit était bien antérieur à l'an 800, il remontait au serment de fidélité que les Romains lui avaient prêté à l'avènement de Léon III[82]. Mais ce droit, comment l'exercer ? Gregorovius s'est trompé, quand il a cru qu'il y avait un légat impérial installé à demeure au Latran, où il tenait ses assises. Charlemagne, soit qu'il n'osât adopter une solution franche, soit plutôt qu'il tint à ménager les susceptibilités du pape, aima mieux déléguer seulement dans les circonstances graves des représentants de son autorité[83]. Alors il arriva que les missi impériaux profitèrent de leur autorité pour commettre des abus de pouvoir. Envoyés pour faire œuvre de justiciers, ils se comportèrent dans les villes italiennes comme des tyrans, percevant les impôts, entrant en lutte avec les officiers pontificaux[84]. Tous tombaient dans les mêmes errements, si bien qu'au bout de peu de temps, devant les plaintes réitérées du Saint-Siège, Charles se déclare incapable de découvrir des délégués qui plaisent à celui-ci, et d'autre part, il ne trouve plus personne pour porter à Rome ses instructions[85]. Il importe d'observer cependant que les conflits ne furent jamais entre le pape et l'empereur ; ils furent toujours provoqués par les fonctionnaires carolingiens, et Charles intervint toujours pour les faire cesser. Léon III reconnaît sans cesse dans ses lettres la bonne volonté de son correspondant, la sollicitude habile avec laquelle il assure la tranquillité de la sainte Église de Dieu ; il a en lui une confiance absolue, et se montre convaincu que rien de fâcheux n'arriverait si toutes les affaires se réglaient directement avec lui, sans le concours d'intermédiaires dont il ne peut répondre. Les efforts du pape ont pour but de supprimer ces intermédiaires et de traiter directement avec l'empereur dont il connaît la bonne volonté et la sincérité[86].

Charles ne vient plus en Italie après 800, il se fait remplacer par des hommes de confiance et par son fils Pépin : de là tout le mal. C'est pourquoi Léon passe les Alpes en 8oÀ, bien décidé à rencontrer l'empereur en quelque lieu qu'il se trouve. L'objet déclaré du voyage, impossible à admettre, tant il est secondaire, est de lui porter les résultats d'une enquête faite à Mantoue au sujet de la découverte du sang du Christ. L'intention du souverain pontife est en réalité d'entretenir Charles d'affaires importantes que nous ignorons, mais qui ne pouvaient plaire aux gouverneurs de l'Italie, car on voit le pape quitter la ville en secret, aller à Mantoue comme pour son enquête, passer les Alpes tout à coup et rejoindre l'empereur[87]. En 808, le désaccord avec Pépin est complet, et Charlemagne ordonne à son fils d'aller à Rome et de conclure avec le Saint-Siège une bonne paix. Léon écrit pour le remercier une lettre d'une habileté consommée, où il s'estime heureux de s'occuper avec le jeune prince de la lutte contre les païens, et ajoute : Mais vos conseils et vos consolations sont nécessaires à lui comme à nous[88].

 

III

Rapports de l'Empire et du royaume franc. Les Institutions impériales : le serment de fidélité et les missi.

 

Il ne suffisait pas que Charlemagne et ses contemporains eussent une idée nette du régime qu'ils avaient fondé et du dessein auquel ils entendaient le faire servir : il fallait que, par des moyens nouveaux dont le choix restait à déterminer, ils rendissent son action féconde et durable.

Charles, se disant empereur romain, aurait pu s'installer à Rome et gouverner le monde de la ville des Césars. C'etit été une folie dangereuse qu'il se garda bien de commettre. Assurément il vénérait Rome, et, pendant toute sa vie, il travailla de toutes ses forces à maintenir le prestige de la cité éternelle. Il avait dans son trésor une table d'argent, sur laquelle le plan de la ville était gravé, et qu'il laissa par testament à l'évêché de Ravenne[89]. Comme tous les chrétiens, il honorait les lieux sacrés qui se trouvaient entre les Sept Collines, les églises ornées de ses dons, surtout la basilique de l'apôtre Pierre où il accumula toute sa vie des richesses immenses, en or, argent et pierres précieuses[90]. Pas un instant cependant il ne pensa à y placer le centre de son gouvernement, comme la vieille tradition romaine et la cérémonie de l'an 800 semblaient l'y inviter. On sait qu'après avoir mis bon ordre aux affaires de l'Italie, de Rome et du pape, il ne passa plus jamais les Alpes, malgré les prières de celui-ci[91]. Il estimait si peu que l'Italie fût une partie indispensable de son empire que, dans les différents partages qu'il fit de ses États et dont il sera question plus tard, il en fit don d'abord à Pépin son fils cadet, puis à Bernard, bâtard de celui-ci, comme un lot de médiocre importance[92].

La base de l'empire carolingien à ses débuts ne fut donc point italienne ou romaine. Son fondateur là plaça chez le peuple qui était la force et le nerf de l'empire, qui avait fait sa grandeur, et d'où lui-même était sorti, chez les Francs. Aix en fut la ville principale. Après Byzance, Trèves, Milan et Pavie, elle reçut le nom de deuxième Rome, dont elle paraissait digne avec ses hautes murailles, son splendide palais entouré d'un parc touffu, et surtout la magnifique église que Charles avait fait construire en l'honneur de Sainte-Marie[93]. Elle surpassait toutes les autres par son admirable beauté, ses ornements d'or et d'argent, ses luminaires en métal précieux, ses portes et ses grillages d'airain solide ; la toiture était dorée, et les colonnes de marbre avaient été apportées de Rome et de Ravenne[94]. C'est à Aix que l'empereur résidait de préférence et qu'il mourut[95] ; c'est dans l'église d'Aix qu'il reçut sa sépulture, malgré le vœu qu'il avait formé jadis d'être enseveli à Saint-Denis auprès du roi Pépin son père[96]. Ses autres séjours, également dans la région rhénane, étaient : le palais de Nimègue, d'une architecture remarquable, celui d'Ingelheim près de Mayence, plus vaste, avec de nombreuses colonnes et les grandes peintures qui faisaient son originalité[97].

Eginhard raconte que Charles ne revêtit qu'à Rome, et sur les instances du pape, la longue tunique, la chlamyde et les chaussures romaines[98]. Il faut en conclure qu'empereur, il ne prit qu'une fois le costume romain. Contrairement à ce que la légende a fait de lui, il était en effet ennemi de la pompe, du luxe, des longs festins, et il ne porta que dans les grandes circonstances, fêtes solennelles, réceptions d'ambassadeurs, le diadème orné d'or et de pierres précieuses qui était alors l'unique insigne de l'empire[99]. Il avait pour les costumes étrangers, même les plus beaux, une répugnance invincible. Il leur préférait de beaucoup le costume national, c'est-à-dire le costume franc : sur le corps une chemise de lin recouverte d'une tunique brodée de soie, autour des jambes et des pieds des bandes de lin et de cuir, sur les épaules et la poitrine un manteau bleu pendant la belle saison, des peaux de loutre et de martre pendant l'hiver, au côté une épée dont la garde et le baudrier étaient d'or et d'argent. Encore ces élégances étaient-elles exceptionnelles, et la tenue ordinaire de l'empereur ne différait guère de celle des gens du peuple[100]. Franc, Charlemagne l'était en effet par sa race, par son sang, par tout ce qui l'attachait à la vie, par son goût pour les exercices violents, l'équitation, la chasse, à laquelle il se livrait avec ardeur dans la forêt hercynienne[101]. Malgré sa bonne volonté, son rude génie restait parfois incapable de se plier à certaines pratiques, et c'est ainsi qu'il ne sut jamais écrire[102]. Tout en parlant le latin, il gardait une fidélité inébranlable à la langue de ses pères, dont il imposa les noms aux mois, aux vents ; il fit recueillir aussi les vieux chants barbares qui célébraient les actions et les guerres des anciens rois et semblaient prêts à s'échapper de la mémoire. A une époque où quiconque se piquait de culture littéraire aurait rougi d'admirer autre chose que les écrits de l'antiquité classique, cette manifestation est significative[103]. Tel il était avant l'empire, tel il resta, et tels il voulut que fussent ses enfants, plus instruits que leur père dans les arts libéraux, d'une culture déjà plus savante, mais élevés dès leur plus jeune âge dans les coutumes franques[104].

La manière dont Charlemagne transmit la dignité impériale à son fils Louis, en 813, confirme ces observations. Au début de l'année, cinq grands synodes nationaux furent tenus à Mayence, Reims, Tours, Chalon et Arles[105]. L'empereur désirait s'enquérir des résultats produits par ce gouvernement du peuple chrétien qu'il exerçait depuis treize ans et pourvoir à ses nouveaux besoins, avant d'exécuter la décision qu'il avait prise[106]. L'assemblée, qui se réunit à Aix au mois de septembre suivant, avait de même un caractère national. Elle était exclusivement composée des premiers de l'État franc[107]. Après que quarante-six capitulaires eurent été rédigés pour satisfaire aux nécessités de l'Église de Dieu et du peuple chrétien, telles que les synodes les avaient établies[108], Charles interrogea tous les assistants, du plus grand au plus petit, pour savoir s'ils étaient d'avis qu'il transmît à Louis son titre impérial, et, ayant reçu leur consentement unanime, il le fit empereur[109]. La Cérémonie eut lieu dans l'église d'Aix. Charles, en grand costume ainsi que son fils, se tenait devant l'autel central plus élevé que les autres ; il lui posa la couronne d'or sur la tête, tandis que le peuple criait : Vive l'empereur Louis ! et, dit l'auteur de la chronique de Moissac, il remercia Dieu en ces termes : Béni sois-tu, seigneur Dieu ! toi qui m'as permis aujourd'hui de voir de mes yeux un fils né de moi assis sur mon trône ![110] On remarquera les différences qui séparent le second couronnement impérial du premier, les usages de 813 de ceux de l'an 800. Cette fois l'empereur dispose de la couronne, et non le pape, sous la seule réserve du consentement de l'aristocratie franque. Le nouvel Auguste est acclamé par les Francs, et non par les Romains. Aucun récit ne mentionne que Léon III ait été consulté ou qu'un de ses légats ait assisté à la cérémonie. Une formule rigoureusement juste est celle qui est donnée par les Annales dites d'Eginhard : Louis succéda à son père par le consentement suprême et la faveur de tous les Francs[111].

En recevant l'empire, Charles n'avait eu garde d'ailleurs d'abdiquer son ancien titre de roi des Francs, mais il avait continué à le porter dans la diplomatique officielle immédiatement après celui d'empereur. Cette conduite n'était pas celle d'un prince vaniteux, pris du désir d'accumuler les titres. En répudiant celui qu'il avait porté pendant toute la première partie de sa vie, Charlemagne eût semblé dire que sa dignité de roi avait été absorbée par celle d'empereur, avait disparu en elle. C'est ce qu'il ne voulait pas laisser croire. C'était aux Francs qu'il devait l'empire, avec eux qu'il l'avait organisé, par eux qu'il pouvait le conserver et l'accroître ; après chaque victoire, c'étaient les institutions des Francs qui étaient adaptées aux besoins particuliers du pays soumis[112] : il restait roi des Francs et, accomplissant un devoir d'élémentaire justice, il faisait hommage à ses sujets de l'empire qu'ils lui avaient conquis. Dans les prétendus conseils que Charles aurait donnés à son fils en l'associant à l'empire, et que rapporte Ermold le Noir, fidèle interprète des sentiments de son époque, se trouvent ces fières paroles : La Francie m'a donné naissance. C'est moi qui, le premier des Francs, ai reçu le titre de César et permis aux Francs de porter un nom romain[113]. Dans la vie de saint Willibrod, Alcuin parle du très noble Charles qui gouverna glorieusement l'empire des Francs[114]. Les contemporains disaient communément qu'il avait ajouté la dignité impériale à l'État franc[115].

Aussi bien, le gouvernement de l'empire carolingien n'a rien de compliqué. On ne retrouve pas cet ensemble d'institutions, cette multiplicité des bureaux et des dignités qui fit la force du Bas-Empire et lui permit de vivre sous des princes détestables, à travers des révolutions de palais continuelles. Si, dans l'organisation de la cour d'Aix, dans la hiérarchie et les attributions des fonctionnaires, certains détails rappellent l'ancienne Rome, c'est que la royauté franque était depuis longtemps déjà une véritable monarchie, et l'emploi des procédés romains de gouvernement est fort antérieur au couronnement de Charlemagne, remonte jusqu'à l'époque mérovingienne[116]. L'unité et la force de l'empire carolingien dépendaient en réalité de la personne de l'empereur. Celui-ci comptait, pour le faire subsister, non sur sa puissance matérielle et la contrainte des institutions, mais sur l'amour qu'on avait pour lui, sur sa bonne renommée qui s'étendait au loin, sur l'affection profonde qu'il inspirait à ses sujets et qui les déterminait à accepter ses conseils. En d'autres termes, le lien du nouvel empire était surtout personnel : c'est ce lien que Charles s'efforça de maintenir par tous les moyens.

Parmi les différents traits de caractère que ses biographes rapportent, la bonté est avec la piété celui qu'ils vantent le plus souvent[117]. Cette bonté large, tolérante, qui lui permettait de se montrer bienveillant et accessible à tous, contribua singulièrement à faciliter sa tâche. Sur son ordre, le palais d'Aix resta constamment ouvert aux visiteurs, et ceux-ci s'y pressaient en foule, gênants parfois par leur nombre et leurs cris, les uns accourus à l'appel de l'empereur, les autres venus spontanément pour le saluer, lui apporter des présents ou bien encore lui demander justice[118]. Tout était disposé pour faciliter l'approche du prince, et c'est ainsi qu'il y avait des fonctionnaires choisis dans toutes les parties de l'empire, afin que chacun pût trouver un introducteur de son pays et de sa langue. Lorsque les plaignants pouvaient être entendus, sans qu'aucune atteinte fût portée au droit établi et au respect souverain dû à la justice, le comte du palais les introduisait ; l'empereur les recevait, siégeant en son tribunal, et, la cause entendue, prononçait[119]. L'ascendant que Charles exerçait ainsi sur tous ceux qui l'approchaient était irrésistible et provenait en grande partie de l'habileté avec laquelle il savait se mettre à la portée de tous. Il éblouissait les uns par son altitude majestueuse et sa belle prestance, par l'éloquence avec laquelle il discourait, il séduisait les autres par sa parole familière et facile, par l'affabilité avec laquelle il leur parlait, même à ceux qu'il ne connaissait pas, trouvant toujours le mot juste, compatissant avec les vieillards, enjoué avec les jeunes, s'adressant à tous dans la langue de leur pays[120].

Il n'est pas douteux que ces réceptions ouvertes fussent un véritable moyen de gouvernement pour un autre motif encore. Les communications étaient alors difficiles, et les nouvelles se propageaient avec lenteur d'un bout à l'autre de l'empire. Charles savait beaucoup de choses, grâce à ses déplacements personnels et à la correspondance active qu'il entretenait avec ses fonctionnaires : mais les officieux ne disaient pas toujours la vérité, les lettres ne pouvaient être remises qu'à des hommes de confiance et elles mettaient longtemps pour arriver à destination. Que n'ai-je à mon service une colombe ou un corbeau au vol rapide pour vous porter mes lettres ! écrivait Alcuin à ses disciples et amis de Rome[121]. Les conversations de l'empereur avec les voyageurs, souvent étrangers, qui venaient le voir, étaient pour lui une occasion de se renseigner sur ce qui se passait dans les parties éloignées de l'empire. Après leur avoir demandé de quel pays ils étaient, ce que faisait leur famille, il les amenait peu à peu à lui raconter les évènements dont ils avaient connaissance. s'il y avait des troubles, si le peuple murmurait et pourquoi, si quelque nation soumise était en révolte ou sur le point d'y entrer, s'il se préparait quelque embûche contre l'État[122].

Est-ce à dire que, parmi les institutions de Charlemagne, il n'y en eût pas qui eussent un caractère plus particulièrement impérial ? Si l'on s'en tient aux assemblées générales et aux capitulaires, qui sont à l'époque carolingienne les principales institutions politiques, il est incontestable que rien n'est changé après 800. Les assemblées continuent à se tenir chaque année, et leur réunion est toujours mentionnée par les annalistes ; les capitulaires sont rédigés de la même façon et présentent les mêmes dispositions dans leur texte[123]. Peut-être l'assistance aux assemblées, plus nombreuse parce que le territoire de l'État s'est considérablement accru, est-elle capable de faire illusion, peut-être aussi le respect dû aux capitulaires est-il plus solennellement proclamé[124] : aucune modification essentielle n'est apportée dans le fond, et, en ce sens, Fustel de Coulanges a eu raison de dire que Charlemagne n'a pas gouverné comme empereur autrement qu'il gouvernait comme roi[125]. Il y a cependant autre chose désormais que les assemblées et les capitulaires ; il y a des organes destinés à resserrer les liens personnels entre l'empereur et ses sujets, à les obliger strictement envers lui, à les mettre au courant de leurs devoirs comme il se met lui-même au courant de leurs besoins : le serment de fidélité et les missi.

Le serment existait déjà à l'époque royale. Il en est question une fois, mais dans des circonstances qui montrent qu'il était quelque peu tombé en désuétude. C'était au lendemain de la grande conspiration aristocratique fomentée en Austrasie par le comte Hardrade et qui fut d'ailleurs rapidement étouffée. Charles, dont la vie avait été menacée, rédigea la formule suivante qui se trouve dans un édit du 23 mars 789 : Je promets d'être fidèle à mon seigneur le roi Charles et à ses fils, et de leur rester loyalement dévoué pendant tous les jours de ma vie. Il déclarait, comme pour s'excuser, que c'était une vieille coutume, et que les rebelles avaient pu conspirer contre lui, parce qu'ils ne lui avaient pas engagé leur foi[126]. Après l'empire, tout autre est le serment, si l'on en juge par la place qu'il tient dans les capitulaires, par le caractère impératif qu'il reçoit, par la sollicitude avec laquelle l'empereur précise les conditions d'âge et de forme, les circonstances dans lesquelles il doit être exigé. L'année 802 est ici encore une date capitale. A peine sorti de son silence, Charles ordonne que les habitants de l'empire, ecclésiastiques ou laïques, qui lui ont promis jadis fidélité en tant que roi, lui prêtent de nouveau serinent comme empereur, et que tous ceux qui sont âgés de plus de douze ans soient astreints à la même obligation[127]. Une assemblée générale est tenue aussitôt à Aix, où les sujets présents prêtent le serment voulu, et des envoyés sont dirigés à travers l'empire pour le recevoir des autres[128]. Il est ainsi conçu : Je promets d'être fidèle au seigneur Charles, très pieux empereur, fils du roi Pépin et de la reine Bertrade, loyalement, comme un homme doit l'être vis-à-vis de son seigneur, de ses domaines et de son droit. Et ce serment que j'ai juré, je le garderai et le veux garder à partir de ce jour autant que je le sais et le comprends, avec l'aide de Dieu qui a créé le ciel et la terre et des saintes reliques qui sont en ce lieu[129].

Le texte du serment impérial ne diffère pas sensiblement de celui du serinent royal, mais sa portée beaucoup plus grande apparaît dans les commentaires qui l'accompagnent. Charlemagne insiste sur la nécessité de faire comprendre à tout le peuple l'importance de l'acte auquel on va l'associer. Etre fidèle à l'empereur, respecter sa vie, ne pas introduire d'ennemi dans ses États, sont choses naturelles, mais le serment entraîne bien d'autres obligations que la plupart ne soupçonnent pas[130]. Et ces obligations, que l'envoyé impérial doit retracer à chaque homme au moment de prononcer les paroles sacramentelles, sont les suivantes : respecter l'ordre établi, aider l'empereur à assurer le règne de la justice, ne jamais discuter, diminuer ou empêcher son œuvre, contrarier ses volontés ou ses ordres[131]. Charles se rend compte que, pour assurer le succès de son entreprise, la bonne volonté ne suffit pas, mais qu'il faut d'autres moyens pratiques, de tous les temps, et il ajoute aux devoirs généraux qui viennent d'être énumérés deux autres plus précis, celui d'aller à la guerre et de payer l'impôt. Personne n'osera déserter le bénéfice qu'il tient de l'empereur pour élever loin de là sa propriété..... Personne n'osera négliger le ban de guerre du seigneur empereur..... Personne n'osera en quoi que ce soit troubler le ban ou l'ordre du seigneur empereur ni l'empêcher de recouvrer ses créances et son cens..... Il ne s'agit donc plus seulement d'un engagement envers le prince et sa famille, mais envers l'empire ; ceux qui le prennent s'obligent à respecter la constitution de 802, et toute atteinte à celle-ci devient un crime de lèse-majesté.

Dans la suite, lorsque des changements furent apportés à la condition politique ou territoriale de l'État, l'empereur eut toujours soin de faire renouveler la fidélité, en l'interprétant, c'est-à-dire en expliquant les obligations nouvelles qui en résultaient, qu'elle était une adhésion formelle aux dernières mesures prises par le gouvernement[132]. Les garanties, dont le serment était entouré à cette époque, n'étaient pas de pure forme : il était prêté sur les reliquaires sacrés, dans une église, en présence de six ou douze témoins, et le nom de celui qui l'avait juré, inscrit sur une liste, était envoyé au palais impérial. La violation de la parole donnée entraînait la peine de mort[133].

Les prières publiques et les jeûnes généraux complétèrent le serinent. A tous les offices, les prêtres priaient pour la vie de l'empereur et des membres de sa famille et pour la conservation de l'empire, et le peuple chrétien s'associait à ces vœux[134]. Quant aux jeûnes, l'empereur les ordonnait lui-même dans les circonstances graves, à la veille des grandes guerres, dans le cas de famines ou d'épidémies ; il en fixait avec précision la durée, ordinairement de trois jours, en exprimant l'espoir d'être secouru par celui a dit : Demandez et il vous sera accordé[135]. Ces institutions, en même temps qu'elles imprimaient au gouvernement un caractère religieux, lui donnaient une allure douce, régulière et pacifique qui ne se retrouvera plus dans la suite.

Il en est des missi comme du serment de fidélité. Leur création est antérieure à l'an 800. Ils existaient déjà sous les Mérovingiens[136], et, lorsque Charles devint roi, il chargea plusieurs d'entre eux de faire des enquêtes. C'étaient des délégués extraordinaires envoyés pour une cause déterminée, et dont le rôle cessait, leur délégation une fois remplie ; leur assassinat était puni d'un triple wehrgeld[137]. Avec l'empire, la fonction se régularise et s'étend[138]. Le territoire impérial est divisé en grandes circonscriptions appelées missatica, dont chacune est placée sous la surveillance de deux missi, un comte et un évêque ; ceux-ci font quatre tournées par an, en janvier, avril, juillet, octobre, et convoquent le peuple[139]. Quelle que soit la contrée où ils opèrent, leur tâche est uniformément la même : elle consiste à réparer les injustices commises, signaler les parties de la loi qu'il convient de réformer, faire prêter le serinent. Telles sont les indications fournies par la constitution de 802, qui est le point de départ de leur importance nouvelle et les envoie pour la première fois à travers tout l'empire[140]. Dans la suite, leurs attributions se multiplient. Ils sont chargés de faire connaître, chacun dans sa circonscription, les ordres de l'empereur, de veiller à l'exécution des capitulaires anciens ou récents, de rappeler aux comtes les devoirs de leur ministère[141]. Ils sont ainsi amenés à transmettre les ordres les plus divers ; mais au fond, à quoi se ramène cet énorme fatras d'instructions dont une bonne partie nous est restée ? Toujours à la même chose, répétée à satiété presque dans les mêmes termes : renouveler la fidélité, publier le ban de guerre, veiller aux intérêts financiers de l'empereur, et surtout, selon la formule de 802, faire rendre la justice aux Églises de Dieu, aux veuves, aux orphelins et à tout le reste des hommes.

Dans ce régime personnel qu'était l'empire carolingien, on peut dire que les missi formaient le lien personnel entre l'empereur et ses sujets, et c'est ce qui faisait leur importance particulière. Envoyés par le souverain, responsables devant lui, revenant auprès de lui après chaque tournée pour rendre compte de leur mandat, ils étaient une émanation directe de sa puissance, et tout acte à leur égard était considéré par Charles comme un acte envers lui-même[142]. Le missus était un personnage inviolable et sacré ; les comtes et les centeniers devaient l'accueillir avec sollicitude et faciliter l'exécution de sa tâche ; les plus grands honneurs lui étaient dus, et, s'il rencontrait quelque résistance, s'il était prouvé que cette résistance avait été faite en toute connaissance de cause, le délit était qualifié crime et puni de mort[143]. On a dit des missi que par eux le système monarchique acquérait autant de réalité et d'unité qu'il en pouvait posséder sur ce territoire immense, au milieu de la diversité des peuples et des lois, en l'absence de toute communication régulière et fréquente[144]. Cette remarque est parfaitement juste. La difficulté était d'en trouver de bons, c'est-à-dire d'incorruptibles, et c'est pourquoi l'empereur ne les prenait jamais parmi les vassaux pauvres qui semblaient plus accessibles aux présents, mais parmi les plus sages des optimates[145]. Il convenait aussi de les choisir appropriés à leurs fonctions, sans se laisser guider par la désignation populaire souvent trompeuse. Hélas, disait Alcuin[146], la voix du peuple n'est pas toujours la voix de Dieu ! Ils sont rares, ceux qui se montrent inaccessibles à la cupidité et marchent droit leur chemin entre les riches et les pauvres !

 

IV

La divisio regni de 806.

 

Tout en accordant à la tentative de Charlemagne l'attention qu'elle mérite, on s'est demandé quelquefois si l'empereur prit vraiment au sérieux la combinaison éphémère que sa vaste puissance et son dévouement avaient suggérée au souverain pontife[147]. Le reproche est grave. A quoi bon en effet les efforts qu'il fit pour consolider son œuvre en l'appuyant sur des institutions nouvelles, s'il lui importait peu qu'elle disparût après lui ?

Entre la pensée générale de Charlemagne, telle qu'elle s'est dégagée de ses propres paroles, et cette accusation, la contradiction est évidente ; et cependant on est en présence d'une opinion considérable, soutenue par des écrivains favorables à la maison carolingienne, fondée sur un document authentique et sincère, l'acte officiel du 6 février 806 par lequel l'empereur partagea — divisit — son héritage entre ses trois fils, Charles, Pépin et Louis[148]. Pépin obtenait l'Italie et la Bavière ; Louis recevait une partie de la Bourgogne, l'Aquitaine, la Gascogne et le pays jusqu'à la frontière d'Espagne ; restaient à Charles la France et la Bourgogne sauf la portion donnée à son frère cadet[149]. Chaque prince gouvernait son royaume à sa guise et protégeait ses frontières contre les attaques des peuples voisins[150]. De l'empire il n'était pas question, et cette lacune est d'autant plus étonnante que l'empereur se rendait compte qu'il pouvait mourir du jour au lendemain ; sa santé était toujours bonne, mais il vieillissait, et le moment de régler ses affaires lui semblait venu[151]. Cinq ans après, en 811, malade, boiteux, il fit son testament et procéda à la répartition de ses biens mobiliers : bien qu'il sentît sa fin de plus en plus prochaine, il ne dit encore rien de l'empire[152]. Pépin d'Italie était mort le 8 juillet 81o ; Charles le suivit dans la tombe un an et demi après, le 4 décembre 811[153]. Alors seulement l'empereur se décida à réunir l'assemblée du mois de septembre 813, où il attribua l'empire au dernier survivant de ses fils, à celui que le hasard avait fait son unique héritier[154].

Il est difficile de pénétrer les motifs qui contraignirent Charlemagne à différer sa décision si longtemps, mais il est facile de le défendre par de bons arguments contre le reproche d'indifférence à l'égard de l'empire.

D'abord le partage de 806 n'est pas un événement aussi nouveau qu'il paraît au premier abord. Dès l'année 581, Pépin et Louis avaient reçu à Rome des mains d'Hadrien l'onction et la couronne royales, et Pépin avait été institué roi d'Italie, Louis roi d'Aquitaine ; les grands avaient conseillé cette mesure, et le roi y avait consenti parce que sa situation politique était à ce moment assez incertaine[155]. Charles ne fit que régulariser vingt-cinq ans plus tard ces dispositions antérieures qu'il avait prises en se conformant à la coutume de ses ancêtres, c'est-à-dire à la coutume germanique, et qui avaient été approuvées solennellement par le chef de l'Église et les membres de l'aristocratie franque[156]. C'est pourquoi Eginhard fut chargé de porter le nouveau capitulaire à Léon III, qui le confirma comme avait fait son prédécesseur[157]. En attendant la mort de l'empereur, le principe de l'unité de l'empire était formellement réservé. Tant qu'il plaira à la majesté divine de nous conserver dans ce monde, disait l'article 90, notre puissance sera maintenue comme par le passé sur cet empire et ce royaume protégés par Dieu, et nous les dominerons de toute notre domination impériale et royale. Nos fils et nos peuples seront obéissants et montreront toute la soumission due par des fils à leur père, par des peuples à leur empereur et à leur roi[158].

Les faits établissent que Pépin et Louis restèrent en effet de simples fonctionnaires, les auxiliaires de leur père dans son gouvernement, incapables de prendre aucune décision importante sans son assentiment ou son ordre. Après comme avant 806, les capitulaires ont force de loi dans tout l'empire, et, quand les Italiens les négligent, l'empereur ordonne à son fils de leur rappeler qu'ils doivent s'y conformer[159]. Tantôt Pépin est investi de missions diplomatiques auprès du pape, tantôt de la direction de l'armée contre les Avares[160] ; les actes de sa législation sont rédigés d'après les instructions envoyées d'Aix, et, quand il meurt à la veille de recevoir une ambassade de Nicéphore, Charlemagne accueille cette ambassade qui ne lui est point destinée comme si elle lui avait été adressée[161]. De même Louis, chargé de surveiller la frontière espagnole et les menées des infidèles, apparaît dans l'exécution de cette tâche délicate comme le serviteur fidèle des volontés paternelles. Averti que des abus de pouvoir sont commis par les comtes des marches frontières, l'empereur invite le jeune prince à les réunir et les réprimander ; il lui interdit de faire une expédition en Espagne où il voudrait bien aller, et lui enjoint de rassembler des vaisseaux aux bouches du Rhône et de la Garonne pour arrêter les Normands[162]. Quand il le propose pour l'empire, la qualité essentielle qu'il lui reconnaît, et dont il le loue auprès des grands, est l'obéissance dont il a toujours fait preuve à son égard[163].

Le partage de 806 fut suivi d'une répétition générale du serinent ; tous ceux qui prirent part à la cérémonie jurèrent ainsi fidélité à l'empire et s'engagèrent une fois de plus à respecter l'unité et l'intégrité de l'autorité impériale[164]. Pourquoi Charles, si préoccupé de son vivant du sort de l'empire, ne fit-il rien pour assurer alors son avenir ? On en a donné plusieurs explications. Selon les uns, il n'osa disposer de la dignité impériale parce qu'il craignit d'en faire un sujet de discorde entre ses fils ; selon les autres, il attendait que son titre eût reçu, grâce à l'adhésion du souverain de Constantinople, une consécration définitive[165]. Il est probable que toutes ces causes agirent également pour faire naître dans son esprit une certaine hésitation. Les négociations avec Byzance étaient alors en pleine activité, et une imprudence, un éclat pouvait compromettre leur succès. D'autre part, Charles était lié par les engagements de 781, et il pouvait se demander comment il les concilierait avec les obligations nouvelles que l'empire lui avait imposées.

Un rapprochement entre le partage de 806 et les précédents partages mérovingiens et carolingiens est très instructif à cet égard. En 806, l'empereur ne se borne pas à rassembler les donations qu'il a faites auparavant more majorum[166] : il introduit dans l'instrument du partage autre chose que des clauses territoriales, un esprit nouveau. Son objet n'est point de faire des parts qui sont déjà distribuées, ni de créer des royaumes qui existent depuis vingt ans, mais de régler les rapports de ces royaumes entre eux de manière que les trois rois soient assurés de vivre dans une paix perpétuelle[167]. Au cours de ses longues méditations, lorsque sa pensée le ramenait vers les anciens usages, Charles dut se rappeler avec douleur les luttes terribles qui en étaient la conséquence et cette longue suite de crimes fratricides qui ensanglantent l'histoire de la royauté franque. De pareils faits lui semblèrent indignes de princes chrétiens, et cependant, s'il n'y prenait garde, sa succession s'ouvrirait un jour dans les mêmes conditions et deviendrait un sujet de dispute entre ses enfants. De là, les mesures préventives qu'il édicta : défense à chaque roi d'empiéter sur le domaine de son voisin et de lui prendre ses hommes, obligation pour les trois frères de soumettre à un arbitrage leurs contestations territoriales et de se porter réciproquement appui contre l'ennemi du dehors et du dedans[168].

Cette préoccupation morale, qui aboutit à un remarquable adoucissement des coutumes politiques, honore grandement celui qui l'a conçue. Elle se marque mieux encore dans les dispositions relatives aux femmes et aux enfants considérés jusque-là comme quantité négligeable et délibérément sacrifiés. L'empereur place ses filles sous la protection de leurs frères et veut qu'elles puissent choisir entre la vie monastique et un mariage honorable[169]. Il défend que ses petits-fils nés ou à naître soient mis à mort, mutilés, tondus, sans un jugement régulier. Qu'ils soient honorés par leurs oncles à l'image de leur père, dit-il, et si l'un d'eux est proclamé roi par son peuple, que ses oncles ne s'y opposent pas, mais le laissent prendre possession de l'héritage paternel[170].

Allons plus loin, et reconnaissons que cette union morale qu'il constituait entre les trois frères, Charles avait l'intention de la garantir plus solidement dans la suite, en établissant au-dessus des royautés qu'il ne pouvait supprimer un principe supérieur, celui de l'empire. L'article 19 de la constitution de 806 permettait d'apporter au texte toutes les modifications qui seraient jugées utiles, et les rois devaient accepter ces changements sans protester[171]. Cette réserve n'était-elle pas introduite en vue de la transmission prochaine de l'empire ? Il n'est pas tout à fait juste de dire que Charles, le fils aîné de l'empereur, fut. traité en 806 comme ses frères, sa qualité d'aîné n'étant constatée que pour conclure qu'il pouvait mourir le premier et qu'il était nécessaire de régler le sort de son héritage[172]. Aix, qui était la véritable capitale de l'empire, et la France, qui en était le fondement solide, n'entrèrent pas dans son lot par hasard. Alors que Pépin et Louis furent envoyés dans leurs royaumes respectifs, aussitôt le partage accompli, Charles resta auprès de son père pour remplir des missions de confiance. Il va à la rencontre de Léon III[173], dirige des négociations importantes, commande les armées impériales contre les Saxons et les Sorabes ; après chaque entreprise, il revient à Aix, et sa qualité de coadjuteur de son père s'affirme de nouveau dans le règlement des affaires administratives[174].

Dès lors, n'est-il pas légitime d'admettre qu'il fût l'héritier présomptif du titre impérial, destiné à le recevoir officiellement quand le moment serait venu[175], et n'est-ce pas en ce sens que les poètes de cour déclaraient reconnaitre en lui l'espoir et la gloire de l'empire[176] ? On sait déjà comment la mort empêcha l'exécution de ces importants desseins. En 813, Louis était le seul des trois frères qui fût encore vivant, et le pacte de 806 se trouvait virtuellement abrogé. L'entente avec les Grecs venait d'être réalisée. L'empire ne pouvait plus être une cause de troubles à l'intérieur ou à l'extérieur. Charlemagne réunit alors les Francs et associa Louis le Pieux à sa puissance impériale.

 

V

Résumé de l'œuvre de Charlemagne.

 

L'idée impériale au début du ixe siècle se dégage en somme avec une netteté suffisante, et des opinions préconçues, l'ignorance de l'esprit du temps ont seules pu en obscurcir la clarté.

Le régime que Charlemagne et ses contemporains avaient conçu, et qu'ils instituèrent avec une volonté unanime, est tel qu'il n'en existe aucun autre exemple dans l'histoire du monde. Quand nous parlons des empires des Mèdes et des Perses, des Grecs et des Romains, nous nous représentons avec raison d'immenses territoires subjugués par des rois conquérants, un Cyrus, un Cambyse, un Alexandre le Grand, et groupés par la force sous un pouvoir unique, malgré la diversité des races et des religions. L'empire carolingien est distinct des territoires qui peuvent appartenir à son titulaire, c'est-à-dire des regna. Venu après eux, il n'a pas troublé un seul instant leur existence ou leur organisation : il s'est superposé à eux. Dans les documents officiels. Charlemagne s'intitule empereur et roi, et sépare l'imperium des regna[177]. En 806, il distribue ceux-ci à ses enfants, tout en réservant le principe de l'unité impériale. En 813, lorsqu'il vient d'associer son fils Louis à l'empire, il ne craint pas de donner l'Italie à Bernard, bâtard de Pépin, et de le faire appeler roi[178].

Les regna sont les États au sens moderne du mot. L'empire n'est pas un État, à peine une institution, mais une fonction d'une nature déterminée, une magistrature. Il n'a pas été un instrument de révolution, une forme de gouvernement succédant à une autre forme ; les biographes et les annalistes disent nomen imperatoris, le titre ou la puissance impériale[179]. C'est l'expression propre, et elle évoque pour les hommes du temps l'image d'une puissance souveraine, juste, régulatrice, destinée à faire triompher partout l'ordre et la vertu. Respecter la vie humaine et les lois de l'hospitalité, épargner les veuves et les orphelins, faire des aumônes aux pauvres, aimer son prochain comme soi-même, voilà ce qu'elle commande, et si ses ordres sont exécutés, c'est la paix et la concorde assurées du haut en bas de la société, depuis le pape et l'empereur jusqu'aux hommes libres et aux misérables, en passant par les évêques, les abbés, les missi et les comtes[180].

Cette conception se retrouve dans la politique extérieure de Charlemagne. Lorsque l'empereur, accomplissant le vœu des pontifes et des peuples, unit les royaumes aux royaumes, prosterne à ses pieds les nations barbares[181], la conquête est pour lui un moyen et une fin. Il ne s'agit pas seulement d'ajouter au domaine royal de nouvelles provinces, mais de donner au Christ, qui est le véritable empereur de la terre, de nouvelles contrées et d'établir l'unité de croyance et de civilisation, en détruisant, avec la diversité des peuples. la diversité des sectes et l'erreur[182]. La fidélité à la religion révélée se confond avec la fidélité au prince, et la foi constitue le trait d'union entre les vainqueurs et les vaincus, fait d'eux en ce sens un seul peuple[183]. C'est pourquoi l'empereur veille sur les monastères, tient à l'observance de la règle de Saint-Benoît qui fait leur force, s'intéresse aux règles du baptême ; il apprécie les moines comme des soldats, et le baptême n'est pas seulement le premier des sacrements, mais l'arme et le but suprême de la conquête[184].

Cette conquête ne s'arrêtera pas tant qu'il y aura des infidèles, et voilà encore un caractère du nouvel empire[185]. Sans limites dans l'espace et dans le temps, il est la cité terrestre qui tend de jour en jour à devenir plus adéquate à la cité de Dieu[186]. Rêve, dira-t-on, vaste chimère ! Et cependant ce rêve a été réalisé par Charlemagne dans la mesure du possible. A défaut de domination, le grand empereur a exercé sur le monde chrétien un véritable protectorat[187]. En Occident, les rois d'Espagne, de Grande-Bretagne et d'Ecosse, voyaient en lui le lutteur de la foi ; ils se déclaraient ses serviteurs et sollicitaient ses avis en matière religieuse[188]. Les Francs avaient créé sur les Pyrénées une marche militaire, et des négociations avaient été engagées avec le khalife Hakhem pour obtenir la cession des villes d'Huesca et Saragosse ; elles aboutirent à un traité dont le texte ne nous est d'ailleurs point parvenu[189]. Ainsi Charles apparaissait comme le cligne continuateur de son aïeul, le rempart de l'Europe contre les infidèles.

En Orient, dans la contrée où s'était accomplie la passion du Sauveur, ses relations avec les Grecs et le fameux Haroun-al-Raschid servaient encore les vrais croyants[190]. Avant de devenir empereur, Charles avait envoyé le prêtre Zacharie offrir des présents à l'Église de Jérusalem, et Zacharie était venu le -retrouver à Rome la semaine du couronnement, accompagné de deux moines qui apportaient au roi des Francs, de la part du patriarche, les clefs du Saint-Sépulcre et du Calvaire, celles de la cité et de la montagne de Sion avec l'étendard de la Croix[191] ; d'autre part, Eginhard raconte qu'Haroun-al-Raschid remit à Charlemagne ce lieu sacré et salutaire pour qu'il figurât parmi ses possessions[192]. Il ne faut pas prendre ces affirmations à la lettre et croire qu'il s'agît de la cession de la Palestine. Les clefs envoyées par le patriarche n'étaient que des fragments bénis, comme les clefs de Saint-Pierre que la papauté avait jadis données à Charles-Martel[193], et les facilités accordées par le khalife aux sujets de l'empereur qui se rendaient à Jérusalem ont été confondues avec la tutelle de la ville ; mais Charles profita de ces circonstances favorables pour devenir le bienfaiteur des chrétiens d'Orient. Des ambassades fréquentes le tenaient au courant de leurs besoins, et il fit parvenir de nombreuses aumônes en Syrie, en Egypte, à Jérusalem, Alexandrie, Carthage, partout où se trouvaient des fidèles à soulager[194]. Jérusalem surtout, la cité sainte, fut l'objet de ses bienfaits. Elle reçut de lui l'argent nécessaire à la restauration de ses églises[195] ; le premier hôpital latin, réservé aux pèlerins qui arrivaient d'Occident épuisés de fatigue, fut construit aux frais de l'empereur, et il établit sur le mont des Oliviers un couvent de moines francs, auxquels il envoyait selon son habitude des conseils sur la manière de se diriger dans la foi[196].

Dans ces conditions, l'empire carolingien pouvait se dire romain et son premier chef s'intituler auguste ; ses successeurs purent à leur tour garder ce titre et ces prétentions : les principes sur lesquels il reposait n'en différaient pas moins profondément de ceux que l'antiquité avait connus. Non-seulement au temps d'Auguste et de Trajan, mais sous les empereurs réputés chrétiens, Constantin, Valentinien, Théodose, l'empire romain était l'ensemble des provinces conquises par les armes, qu'il s'agissait de garder et au besoin d'accroître ; d'un idéal, d'une tâche élevée, il n'était pas question[197]. L'empire carolingien au contraire était une institution morale tendant à faire l'unité du monde par la foi et la pratique obligatoire des vertus publiques et privées[198]. Si ceux qui avaient fait l'empire en 800 avaient cru simplement ajouter un nom à la liste des anciens empereurs, ce qui n'est point douteux, il est certain qu'ils s'étaient trompés. Le modèle tracé par l'Église et les écrivains chrétiens, qu'ils avaient présent à l'esprit depuis deux siècles, était bien différent : c'était celui du prince grand, puissant, respecté, qui venait de ramener par des voies différentes, mais meilleures, la paix et la sécurité romaines.

 

 

 



[1] BRYCE, Le Saint-Empire romain germanique, Préface de Lavisse, p. VIII.

[2] Ann. lauresh., a. 801-802.

[3] Capitulare missorum generale. 802 initio, art. 3. — BORETIUS, Cap., p. 92.

[4] EINH., Vita Karoli, 28. Il n'y a aucune raison de révoquer en doute le témoignage d'Éginhard ou bien d'accuser Charlemagne d'hypocrisie, comme fait HAUCK (Kircheng. Deutschlands, t. II, p. 101). L'absence de toute préparation spéciale pour la cérémonie à l'intérieur de l'église, montre bien que le pape et ceux qui étaient dans la confidence de ses desseins avaient voulu que rien n'apprit à Charles l'évènement qui se préparait. Le roi hésitait encore à adhérer aux, vues de son entourage ; il était nécessaire d'emporter son consentement en brusquant les choses. (BRYCE, p. 75 ; WAITZ, t. III, p. 193 ; GREGOROVIUS, t. II, p. 474-455).

[5] On en a encore la preuve en 813, à la veille de l'assemblée d'Aix, ou Louis le Pieux doit être honoré de la couronne impériale. Charlemagne fait venir son fils auprès de lui longtemps avant, s'applique à se rendre compte des connaissances qui lui manquent et à les lui donner, à lui apprendre comment il devra vivre, régner, gouverner. Lorsque la préparation est jugée suffisante, il lui donne l'empire (Vita Hlud., 20), et encore semble-t-il qu'il ne soit pas satisfait, car les recommandations se poursuivent après le couronnement (TRÉGAN, 6).

[6] Voir ABEL, Introduction des Iahrb. des fr. Reichs unter Karl dem Grossen, p. 1-9, consacrée aux sources.

[7] Ann. laur. maj. 2, SS. I, p. 189.

[8] BORETIUS, Cap., p. 126, 168, 169, 170, etc. Cf. TH. SICKEL, Die Urkunden der Karolinger, t. I, p. 263.

[9] BORETIUS, Cap., p. 204.

[10] EINH., Vita Karoli, 32. — Sur les titres romains de Charlemagne, consulter WAITZ, t. III, p. 241 et DAHN, Die Könige der Germanen, t. VIII, fasc. 6, p. 264-265.

[11] EINH., Vita Karoli, 25.

[12] On a attribué à Charlemagne un sceau portant l'inscription : Renovatio imperii romani (HIMLY, De sancti romani imperii jure, p. 8), mais l'on est d'accord aujourd'hui pour lé considérer comme postérieur et pour voir dans le Carolus dont il est question sur la légende, soit Charles le Chauve, soit Charles le Gros. En revanche, on ne peut avoir aucune hésitation sur l'attribution à Charlemagne des deniers qui portent, au choix, le buste impérial avec la légende : DN KARLVS IMP AUG REX F ET I., et où l'empereur s'est fait représenter tel que les empereurs du haut-Empire romain sur leurs monnaies, la tête laurée et le buste couvert du paludamentum. Il semble toutefois, ajoute M. Prou, auquel nous empruntons ers renseignements, qu'on ait voulu donner à la tête un caractère iconique, car Charles porte une moustache connue sur la célèbre mosaïque du Latran (PROU, Introduction au catalogue des monnaies carolingiennes de la Bibliothèque nationale. Paris, 1896, p. XI). On trouvera une reproduction de ces deniers impériaux dans VÉTAULT, Charlemagne, p. 500, avec une bonne Notice de M. A. de Barthélemy, sur les monnaies de Charlemagne.

[13] EINH., Vita Karoli, 28. — Epist. carol., 29 ; 40. — Comme le dit Dahn, une usurpation avait été commise au détriment de Constantinople, et la reconnaissance du titre de Charles par lés empereurs d'Orient pouvait seule le légitimer complètement (DAHN, Die Könige der Germanen, t. VIII, fasc. 6, p. 245). C'est lui l'explication de la politique de Charlemagne.

[14] Cette opinion, qui est celle de DÖLLINGER, p.342 sq., et de KETTERER, p. 78, peut s'appuyer sur le texte suivant du moine de Saint Gal (Mon. S. GALLII, 26). Cf. GREGOROVIUS, t. II, p. 474-475.

[15] Ann. laur. maj. 2, a. 802-803 ; Chronog. p. 475 sq. — L'historien byzantin dit que l'initiative du mariage vint du roi des Francs et que le but était l'union des deux empires. Il ajoute que des ambassadeurs du pape Léon s'étaient joints à ceux de Charles.

[16] EINH., Vita Karoli, 16.

[17] Ann. laur. maj. 2, a. 806-807, 809-810. — THÉOPHANE (Chronog., p 475) affirme que Charles préparait une attaque contre la Sicile après 800, et en effet c'est de ce côté que ses menaces pouvaient surtout aboutir, parce qu'il y avait là tout un parti qui penchait vers l'union avec les Francs (OTTO HARNACK, Das Karol. und das byz. Reich., p. 40 sq.).

[18] THÉOPHANE, Chronog., p. 472-473.

[19] Ann. laur. maj. 2, 803.

[20] EINH., Vita Karoli, 16. — La plus importante de ces ambassades fut celle de 810-811, mais toutes avaient le même objet : conclure une paix durable. Ann. laur. maj. 2, a. 810. Cf. Epist. carol., 29.

[21] Ann. laur. maj. 2, a. 812. Malheureusement ou ne connaît pas le texte de ce pacte. Théophane dit simplement que les ambassadeurs étaient chargés par Michel d'une mission pacifique et d'un mariage pour son fils Théophylacte (THÉOPHANE, Chronog., p. 494). Quel était ce projet de mariage ? Nous l'ignorons. — Pour la cession de Venise et de la Dalmatie ou plutôt la reconnaissance des droits des empereurs byzantins sur ces deux provinces, voir EINH., Vita Karoli, 15 et WAITZ, t. III, p. 200.

[22] Epist. carol., 40 ; Ann. laur. maj. 2, 813. — Amalharius de Trèves composa dans la suite une relation en vers de son voyage, mais ce récit, qui aurait pu être intéressant, est purement déclamatoire. On le trouvera dans les Poet. lat., t. I, p. 426-428.

[23] GASQUET, De l'emploi du mot βασιλεύς dans les actes de la chancellerie byzantine (Rev. hist., t. XXXI, p. 281-302).

[24] EINH., Vita Karoli, 16.

[25] Tels sont les termes de la lettre que Charlemagne écrit à l'empereur Michel au moment de la ratification des propositions de paix (Epist. carol., 40), et dont le sens devient extrêmement clair, si on rapproche cette lettre de celle que Charles avait envoyé deux ans avant à Nicéphore (Ep. carol., 29).

[26] BRYCE, Préface, p. VIII.

[27] ERMOLD LE NOIR, IV, vers 271-280.

[28] Codex carol., 40. WAITZ, t. III, p. 215 et DAHN, t. VIII, fasc. 6, p. 285, ont rassemblé les titres chrétiens de Charlemagne. Celui-ci fit frapper en outre des deniers impériaux, au revers desquels il mit un temple, qui est probablement Saint-Pierre de Rome, surmonté d'une croix, avec la légende XPICTIANA RELIGIO. Ce type monétaire fut emprunté par Louis le Pieux à son père et il persista longtemps, car on le rencontre fort tard dans le royaume de Bourgogne (PROU, Introd. au Catalogue des monnaies carol., p. XI. — A. DE BARTHÉLEMY, Manuel de numismatique, t. I, p. 40-42).

[29] TRÉGAN, 6. — ERMOLD LE NOIR, II, vers 81-82.

[30] Epist. carol., 10.

[31] Ann. laur. maj. 2, a. 813.

[32] Lettre à Odilbert, évêque de Milan. (BORETIUS, Cap., p. 246).

[33] Lettre à Gherbald, évêque de Liège (BORETIUS, Cap., p. 241). — Tous les principaux évêques de l'Empire prirent part à la controverse. Une correspondance suivie s'engagea entre Charlemagne, Odilbert de Milan, Amalharius de Trèves, Gherbald de Liège, Leidrade de Lyon, fessé d'Amiens, Magnus dc Sens, Théodulphe d'Orléans, pour ne citer que les principaux. Elle eut pour résultat la rédaction de plusieurs traités concernant les rites du baptême, dont les plus connus sont : le Liber de sacremento baptismi d'AMALHARIUS, dédié à Charlemagne (MIGNE, P. L., t. XCIX, col. 887 sq.) et le De ordine baptismi ad Magmun Senonensem de THÉODULPHE (MIGNE, P. L., t. CV, col. 223-240).

[34] JAFFÉ, Reg. 2520. — BŒHMER-MÜHLB., Reg., n° 433e. — LANDEN, Gesch. der römischen Kirche, p. 789.

[35] FUSTEL DE COULANGES, Les Transformations de la royauté, p. 524 sq. ; t. II, p. 185-250 ; WAITZ, t. III, p. 22 : sq. ; DAHN, Die Könige der Germanen, t. VIII, fasc. 6, p. 285, sq. — Waitz ne doute pas que Charles se considérât comme ayant une fonction religieuse et comme étant der oberste Herr der Kirche. Fustel de Coulanges montre comment, selon lui, l'empereur a exercé sur l'Église à la fois la protection et l'autorité en vertu du droit de mainhour. Le livre de KETTERER (Karl der Grosse und die Kirche) est ce qu'il y a de plus complet sur la question. L'auteur insiste sur le tact de Charles, qui lui permit de diriger l'Église et de devenir pour ainsi dire le pape, sans déposséder le pape légitime (p. 116).

[36] AMALHARII, Epist., 5, lettre écrite par l'empereur à l'évêque pour le remercier de lui avoir envoyé son livre sur le baptême (MIGNE, P. L., t. XCIX, col. 901-902) ; Capitula de examinandis ecclesiasticis (BORETIUS, Cap., p. 110-111) ; Ann. Lauresh., a. 802 ; Epist. carol., 3, 12. — KETTERER, p. 189 sq.

[37] EIHN., Vita Karoli, 17.

[38] Libri carolini, I, 6. MIGNE, P. L., t. XCVIII, col. 104 ; BORETIUS, Cap., p. 80 ; EIHN., Vita Karoli, 26. — Sur l'abolition définitive de la liturgie gallicane, dont Pépin le Bref avait pris l'initiative, voir DUCHESNE, Origines du Culte chrétien. Étude sur la liturgie latine avant Charlemagne, p. 97 sq.

[39] Epist. carol., 10.

[40] Il est curieux de constater que la papauté avait fait elle-même éventuellement ce partage des attributions, et, que la lettre de Charlemagne est une sorte de paraphrase d'une lettre de Zacharie à Pépin, écrite vers le mois de janvier 747 et conservée dans le Codex carolinus (Codex carol., 3). Seulement Zacharie ne parle que de la province romaine.

[41] Ann. laur. maj. 2, a. 804.

[42] EINH., Vita Karoli, 27.

[43] Ainsi Léon III est appelé à ratifier la divisio regni de 806 ; il envoie ses légats avec ceux de l'empereur rétablir en Angleterre le roi Eardulf, et il est associé intimement aux négociations avec Byzance ; les ambassadeurs grecs ne manquent jamais, au retour d'Aix, de passer à Rome, et de remettre au pape la copie des actes qu'ils viennent de négocier (Ann. laur. maj. 2, a. 803, 806, 808, 812). On ne voit pas sur quoi s'appuie l'auteur de l'Hist. Langobardorum eod. goth., 9, disant de Charles qu'après le couronnement factus est domni Petri apostoli subditissimus filius. Le contraire n'est point douteux.

[44] Chron. Moissac, SS. I, p. 308, 309, 310 ; EINH., Vita Karoli, 26.

[45] Cela ressort nettement des déclarations de Leidrade dans le Liber de sacramento baptismi. Après avoir fait une citation de l'Ancien Testament, où il est question du sacre de Saül et de David par Samuel, voir la conclusion de Leidrade (MIGNE, P. L., t. XCIX, col. 864). Cf. FUSTEL DE COULANGES, Les Transformations de la royauté pendant l'époque carolingienne, p. 203-207 et 223-237.

[46] Epist. ævi merow. coll., 15. — Lettre de Kathuulphe à Charlemagne (Epist. carol., 1).

[47] Epist. ævi merow. coll., 15. — FORTUNATI, Carmina. Poèmes à Childebert et à Chilpéric, où est célébré le souvenir de Melchisédec, à la fois rex et sacerdos.

[48] Codex carol., 11. Ibid., 42, 43.

[49] ERMOLD LE NOIR, IV, vers 216.

[50] BORETIUS, Cap., p. 44, 53. — Epist. carol., 7, 9.

[51] Il est assurément difficile de distinguer dans la mission religieuse de Charlemagne après 800, ce qui lui venait de la royauté et ce qu'il tenait de l'Empire. Depuis plusieurs années il était empereur de fait, sinon de droit, et comme le dit BRYCE, p. 88, les droits du roi franc se perdirent — au moins dans une certaine mesure — dans les droits du successeur d'Auguste et du maitre du monde. Cependant la lettre d'Alcuin sur les trois pouvoirs fournit une indication précieuse (ALCUINI, Epist., 174). La royauté avait imposé à Charles l'obligation de veiller au maintien des croyances chrétiennes ; l'Empire lui donnait la puissance séculière nécessaire pour y arriver, et en particulier le droit de réunir et de présider des conciles, réservé aux seuls empereurs. Ainsi, les évêques rassemblés au synode de Reims en 813, font précéder le texte de leurs décisions de la formule suivante : Hic est ordo capitulorum breviter annotatus... quæ notata sunt in conventa metropolitanœ sedis Rhemensis ecclesiæ a domino Carolo piissimo Cæsare, more priscorum imperatorum congregato (MANSI, t. XIV, p. 77).

[52] Ann. lauresh., a. 801-802.

[53] Ann. lauresh., a. 802.

[54] Ces Capitulaires qui ont été conservés, au moins en partie, et qui se trouvent dans BORETIUS, Cap., p. 91 sq., se divisent en trois catégories, répondant au triple travail indiqué par les Ann. lauresh. : 1° Capitulaires d'ordre politique. Capitulare missorum generale, 802, initio (BORETIUS, Cap., p. 91-99) ; Capitularia missorum speicalia, 802, initio (BORETIUS, Cap., p. 99-102) ; Capitulare missorum item speciale (BORETIUS, Cap., p. 102-105). 2° Capitulaires religieux, concernant les séculiers et les réguliers, l'instruction des prêtres et celle des moines et en particulier l'observation de la règle de Saint Benoit (BORETIUS, Cap., n° 36-38, p. 106-111). 3° Capitulaires législatifs, touchant des additions aux lois, et en particulier à la loi des Ripuaires (BORETIUS, Cap., n° 39-41, p. 111-119). Ceux-ci parurent seulement en 803. — WAITZ, t. III, p. 221 sq., est le premier qui ait signalé toute l'importance dos dispositions législatives adoptées en 802.

[55] Capitulare missorum generale, 802 initio, cap. 1 (BORETIUS, Cap., p. 95-92). Le reste du document, qui est très long, ainsi que les Capitulaires qui suivent, ne sont que le développement détaillé, loi par loi, article par article, du programme exposé dans les termes qu'on vient de lire.

[56] Alcuin résume cela dans une phrase d'une extrême concision, mais d'un sens très net (ALCUINI, Epist., 257).

[57] ODILBERTI, Epist. ad Carolum magnum (BORETIUS, Cap., p. 245).

[58] ALCUINI, Epist., 249, 308, etc. — DUNGALI, Epist. de duplici solis eclipsi anno 810. MIGNE, P. L., t. CV, col. 447. — Pour le caractère nouveau de la littérature après 800, voir ÉBERT, t. II, p. 10 sq. — Il convient également de signaler l'emploi désormais fréquent du mot respublica pour designer l'Empire. FUSTEL DE COULANGES a réuni de nombreux textes là-dessus (Les Transformations de la royauté pendant l'époque carolingienne, p. 320, notes 1 et 2).

[59] ALCUINI, Epist., p. 257.

[60] Sur l'illustration chrétienne de la gens Anicia, voir PINGAUD, La Politique de Saint Grégoire le Grand, p. 20.

[61] ALCUINI, Epist., p. 219.

[62] ODILBERTI, Epist. BORETIUS, Cap. p. 247. — Dans une lettre à ses frères de Saint Martin de Tours en conflit avec l'évêque d'Orléans, Alcuin conseille aux religieux d'aller trouver Charles et leur cite les anciennes lois de Constantin, Théodose, Valentinien, Honorius, dont ils devront s'autoriser auprès de lui (ALCUINI, Epist., 245).

[63] THEODULPHI, Carmina. Poeta lat., t I, p. 484. — La comparaison de Charlemagne avec son homonyme David, est courante dans le langage des hommes de la cour, qu'ils s'expriment en prose ou en vers, que ce soit Alcuin qui parle, ou Angilbert, ou un autre : O dilecte deo, David dulcissime, Flacce ! dit Alcuin. (Poetæ lat., t. I, p. 245), et ailleurs, s'adressant à Dieu : Dilectum David conserva in sæcula multa (Poetæ lat., t. I, p. 247). On trouve aussi : Dulcissime mi David (ALCUINI, Epist., 308 et passim). — Voir encore ANGILBERTI, Carmina. De Carolo magno, III, vers 13-15, et SMABADGE, Via regia, 31 (MIGNE, P. L., t. CII, col. 960).

[64] ALCUINI, Epist., 41.

[65] ALCUINI, Epist., 240 (éd. Dümmler) et 242 (éd. Jaffé). — Cette dernière lettre a été retranchée sans motif dans l'édition Dümmler.

[66] ANGILBERTI, Carmina (Poetæ lat., t. I, p. 366).

[67] ALCUINI, Epist., 219.

[68] ANGILBERTI, Carmina (Poetæ lat., t. I, p. 366) ; THEODULPHI, Carmina (Poetæ lat., t. I. p. 328) — ALCUINI, Epist., 242, éd. Jaffé.

[69] ALCUINI, Epist., 202, éd. Dümmler. — Ibid., 242, éd. Jaffé.

[70] Epist., 3. MIGNE, P. L., t. XCIX, col. 508-509. — Dungal, dans sa lettre à Charlemagne sur l'éclipse de Sio, définit le rôle de l'empereur presque dans les meules termes (Epist. carol., 30).

[71] ALCUINI, Epist., 242, éd. Jaffé. — ODILBERTI, Epist. BORETIUS, Cap., p. 248.

[72] ALCUINI, Epist. 41, 110 ; Carmina (Poet. lat., t. I, p. 300). — Le traité de SMABAGDE intitulé Via regia, où l'auteur définit la voie royale quæ per prophetam vocatur sancta, est dédié à Louis le Pieux, alors roi d'Aquitaine (ÉBERT, t. II, p. 125 ; SIMSON, Iahrb. d. fr. Reichs unter Karl dem Grossen, t. II, p. 518). Le texte se trouve dans MIGNE, P. L., t. CII, col. 934 sq. — Ces vues sur la politique religieuse de Charlemagne étaient parfaitement justes. HAUCK, t. II, p. 116 sq., a montré comment la réforme de Pépin avait été incomplète, en ce sens qu'à sa mort l'Église franque, au contraire de l'Église saxonne, n'avait pas de théologie. Charles lui donna ce qui lui manquait, en se guidant sur les conseils d'Alcuin et l'enseignement de l'école d'York.

[73] BORETIUS, Cap., p. 247.

[74] C'était en mars 789. Charlemagne voulant rappeler au clergé de ses États les devoirs qui incombaient à tous, évêques, abbés, prêtres, moines, fit précéder son Admonitio d'un préambule qu'on peut lire dans BORETIUS, Cap., p. 53-54.

[75] On trouvera les lettres, sur le baptême, soit dans BORETIUS, Cap., p. 242 sq., soit dans les Epist. diversæ carolini avi (MGH Epist., t. IV, p. 533 sq.). — Cf. HAUCK, Kirchengeschichte Deutschlands, t. II, p. 210 sq.

[76] OPTAT MIL., De schismate donatistorum, III, 3. (MIGNE, P. L., t. XI, col. 999).

[77] Cette conclusion ressort nettement des dix lettres de Léon III à Charlemagne, postérieures à Fan 800, qui nous sont restées. Elles ont été éditées par JAFFÉ (Monumenta carolina, p. 308-334), et plus récemment par K. HAMPE (MGH. Epistolarum, t. V, p. 85-104). C'est d'après ce dernier que nous les citerons. — Il est regrettable qu'il ne reste aucune des lettres de l'empereur au souverain pontife pour la même période.

[78] LEONIS III, Epist., 10.

[79] LEONIS III, Epist., 9. Ibid. 6.

[80] LEONIS III, Epist. 2.

[81] LEONIS III, Epist., 2, 6, 8.

[82] GREGOROVIUS, o. c., t. II, p. 439-460 ; WAITZ, o. c., t. III, p. 197 ; DAHN, o. c., t. VIII, fasc. 6, p. 284 ; DÜMMLER, Gesell. des. ostfr. Reiches, t. I, p. 11.

[83] Les juges ordinaires étaient, semble-t-il, nommés par le pape. Celui-ci parle constamment de sa ville, de ses sujets, de son peuple. Le silence des capitulaires sur Rome et le territoire romain est significatif, Une seule fois t'empereur le rompt, et c'est pour reconnaitre, au moins en principe, une existence indépendante au domaine de Saint Pierre (Divisio regn. 806, cap. 4. BORETIUS, Cap., p. 128). — Voir sur cette question d'excellentes remarques dans KETTERER, Kart der Grosse und die Kirche, p. 69-84 et W. SICKEL, Die Verträge der Päpste mit den Karolingern. Deutsche Zeitschrift für Geschichtswissenschaft, t. XII, p. 24 sq. Sickel aboutit à cette conclusion acceptable que l'État romain fit partie intégrante de t'empire, sans que l'empereur y exerçât pourtant une souveraineté directe. — L'opinion de GREGOROVIUS, t. III, p. 10, fondée sur le seul témoignage du Libellus de imperatoria potestate in urbe Roma, est entièrement controuvée.

[84] LEONIS III, Epist., 2, 9.

[85] LEONIS III, Epist. 10.

[86] LEONIS III, Epist. 1.

[87] Ann. laur. maj. 2, a. 804.

[88] LEONIS III, Epist. 1. — Léon III, qui avait d'abord daté ses actes par les années de règne de Charlemagne comte roi des Francs et des Lombards, adopta, après le rétablissement de l'empire, les années du nouvel Auguste comme date unique des documents apostoliques (DE MAS-LATRIE, art. cité p. 423).

[89] EINH., Vita Karoli, 33 ; GRAF, o. c., t. I, p. 6. — D'après DE ROSSI, ce plan appartenait à l'époque d'Arcadius et d'Honorius.

[90] EINH., Vita Karoli, 27.

[91] Ann. laur. maj. 2, a. 801. — Charles laissa le vieux Palatium tomber en ruines ; tirs successeurs et lui, quand ils venaient à Rome, étaient les hôtes du pape (GREGOROVIUS, t. III, p. 9 ; WAITZ, t. III, p. 256).

[92] Divisio regn. 806, cap. 2 (BORETIUS, Cap., p. 127), — Ann. laur. maj. 2, a. 813. — BŒHMER-MÜHLB., Reg. 496 a.

[93] Voir le poème d'ANGILBERT sur Charlemagne et Léon III (Poetæ lat., t. I p. 368 sq.), dont tout le début est consacré à la description d'Aix et de ses environs. — On voit le roi dirigeant lui-même les travaux, les murs sortant de terre et atteignant peu à peu une hauteur prodigieuse : le parc du palais est peint d'une manière charmante. D'ailleurs beaucoup d'autres poètes ont célébré la nouvelle Rome : NASONIS, Ecloga, vers 24 27 (Poet. lat., t. I, p. 385). — Une intéressante étude archéologique sur le palais et la chapelle d'Aix, est celle de RHOEN, Die Karolingische Pfalz zu Aachen, 140 p., Aix, 1889.

[94] EINH., Vita Karoli, 17, 26, 32. — Léon III consacra solennellement la basilique d'Aix, le 6 janvier 804 (JAFFÉ, Reg. n° 2512 ; HAUCK, t. II, p. 230).

[95] EINH., Vita Karoli, 22. Ibid. 30. — Ann. laur. maj 2, a. 814.

[96] BŒHMER-MÜHLB., Reg. 128. — TRÉGAN, 7.

[97] EINH., Vita Karoli, 17 ; ERMOLD LE NOIR, IV, vers 18, sq. — Le château de Nimègue aurait été construit vers 777, sur de vieilles substructions romaines. Voir à ce sujet un article de K. PLATH, Deutsche Rundschau, septembre 1895.

[98] EINH., Vita Karoli, 23.

[99] EINH., Vita Karoli, 24. Cf. Ibid. 23. — C'est seulement à l'époque du Saint-Empire que les insignes impériaux se multiplient. Au temps de Charlemagne, il n'est question que de la couronne d'or ornée de pierres précieuses. Lorsqu'en 813 l'empereur associe son fils Louis à l'Empire, la couronne seule apparait dans la cérémonie (Chron. moissac. a, 813. — Vita Karoli, 30. — THÉGAN, 6. — ERMOLD LE NOIR, II, 69-70). Le mot corona désignait proprement la couronne impériale, mais souvent les écrivains, surtout les poètes, disaient diadema au lieu de corona. Angilbert, racontant l'entrevue de Léon III avec Charles qui n'était encore que roi, à Paderborn, dit, sans préciser davantage, que celui-ci était assis sur un trône et avait le front cerclé d'or (De Carolo magno, vers 171-172, 419). WAITZ, t. III, p. 249 sq., a commis de nombreuses erreurs à propos des insignes impériaux de l'époque carolingienne, et sa description du sceptre de Charlemagne, en bois de pommier, avec une main d'or ou d'argent, à l'extrémité, faite d'après le moine de Saint Gall, I, 34, est sans autorité. De même on ne sait s'il faut accorder confiance aux Ann. laur. min. (SS. I, p. 124), qui parlent également du sceptre, et à Richer, d'après lequel Charlemagne aurait fait mettre un aigle de bronze au sommet de son palais d'Aix-la-Chapelle (RICHER, Hist., III, 71).

[100] EINH., Vita Karoli, 23.

[101] EINH., Vita Karoli, 22. Cf. ANGILBERTI, Carmen de Carolo magno, vers 148-151.

[102] EINH., Vita Karoli, 25. Il est difficile d'admettre qu'il s'agit d'exercices de haute calligraphie et non d'écriture courante, comme le suppose AMPÈRE (Histoire littéraire de la France avant le XIIe siècle, t. III, p. 37-38).

[103] EINH., Vita Karoli, 29. — Cf. KURTH, Histoire poétique des Mérovingiens, p. 54-55 ; LEHUÉROU, Institutions carolingiennes, p. 363-364 ; AMPÈRE, o. c., p. 40-41.

[104] EINH., Vita Karoli, 19.

[105] Chron. moissac, a. 813 ; Ann. laur. maj. 2, a. 813. — La Chronique de Moissac oublie le synode de Châlon, que mentionnent les Annales de Lorsch. — Voir les procès-verbaux de ces réunions dans MANSI, t. X1V, col. 55-106.

[106] Il devenait vieux, la maladie l'accablait, et la mort lui semblait proche (EINH., Vita Karoli, 30 ; THÉGAN, 6 ; Vita Hlud., 20). Il craignait, dans ces conditions, de laisser l'État mal ordonné (Vita Hlud., 20). Pendant que les synodes, réunis avec une intention évidente sur des points différents du territoire afin que leur enquête fût menée avec plus de sûreté et de rapidité, délibéraient, l'empereur attendait à Aix les résultats qui devaient lui être communiqués immédiatement ; ce qui fut fait (Chron. moissac, a. 813).

[107] EINH., Vita Karoli, 30. — Chron. moissac, a. 813. — THÉGAN, 6.

[108] Chron. moissac, a. 813. Cf. Concil. rhemense, a. 813, Præfatio. MANSI, t. XIV, p. 77.

[109] La consultation des grands et leur approbation sont mentionnées par toutes les sources : EINH., Vita Karoli, 30. — Chron. moissac, a. 813. — THÉGAN, 6. — Selon Ermold le Noir, ce fut Éginhard qui se fit l'interprète de l'aristocratie et formula son acceptation. ERMOLD LE NOIR, l. II, vers 43-46.

[110] Les récits de la cérémonie, qui nous sont parvenus, concordent et sont parfaitement clairs, sauf sur un point. On ne sait si Charlemagne mit sa propre couronne d'or sur la tête de son fils ou s'il lui en donna une semblable. Coronam auream, aliam quam ille gestabat in capite suo, jussit imponi, dit THÉGAN, 6. Mais son témoignage est contredit par celui d'ERMOLD LE NOIR, II, vers 7, faisant parler Charles en ces termes :

Accipe, nate, meam, Christo tribuente, coronam.

En tout cas, tous les auteurs, à l'exception de Thégan, affirment que Charlemagne couronna son fils, et non que celui-ci se couronna lui-même (EIHN., Vita Karoli, 30 ; Ann. laur. min., SS. I, p. 121 ; ERMOLD LE NOIR, II, vers 69-70 ; Chron. moissac, a. 813 ; Ann. laur. maj. 2, a. 813).

[111] Ann. laur. maj. 2, a. 814.

[112] Charles emprunta à Rome le titre de son empire, mais la forme ancienne fut essentiellement remplie avec un contenu germanique (GREGOROVIUS, t. III, p. 4).

[113] ERMOLD LE NOIR, l. II, vers 63-69. — Id. Élégie II, vers 159-160.

[114] ALCUINI, Vita sancti Willibrod, 23. — Epist. Carol., 30.

[115] NITHARD, IV, 3. — EINH., Vita Karoli, 15, 31.

[116] FUSTEL DE COULANGES, Les Transformations de la royauté pendant l'époque carolingienne, p. 319. — E. LAVISSE, La décadence mérovingienne. Revue des Deux-Mondes, 15 décembre 1885, p. 809 sq.

[117] Lettre de Leidrade. Epist. carol. 37. — ANGILBERT, Carmen de Carolo magno, vers 27-28.

[118] EINH., Vita Karoli, 21. — Capitulare missorum generale, 802, cap. 34. (BORETIUS, Cap., p. 97). — Capitulare missorum aquisgranense primum, 810. (BORETIUS, Cap., p. 153).

[119] HINCMAR, De Ordine palatii, 18-19 ; EINH., Vita Karoli, 24. — Ce droit d'appel, que Charlemagne n'admettait que s'il était compatible avec certaines précautions, montre jusqu'à quel point l'empereur était soucieux du bon ordre de ses États. Nous savons, par un exemple emprunte à la correspondance d'Alcuin, qu'il ne laissait pas fléchir la règle, mente pour ses meilleurs amis. Ainsi, il donna tort à Alcuin, qui avait conseillé aux moines de Saint Martin en conflit avec leur évêque, de se rendre à la Cour, parce que le jugement prononcé était inattaquable à ses yeux et qu'il y avait eu une fausse interprétation du droit d'appel (ALCUINI, Epist. 245, 247).

[120] EINH., Vita Karoli, 22, 25. — BORETIUS, Cap., p 160. Cf. HINCMAR, De Ordine palatii, 35.

[121] ALCUINI, Epist., 215. — Les rois et les papes pouvaient au besoin charger des envoyés spéciaux de porter leurs lettres, mais les personnages de moindre importance, abbés, nobles ou évêques, étaient obligés de se contenter des occasions et d'utiliser les bonnes volontés qui se présentaient. Avec Rome, la correspondance était relativement facile, à cause du grand nombre de pèlerins qui chaque année passaient les Alpes.

[122] HINCMAR, De Ordine palatii, 36.

[123] L'assemblée générale de 803 se réunit à Mayence solito more Francorum (Ann. mettenses, a. 805) ; celle de 811 est convoquée secundum consuetudinem (Ann. laur. maj. 2, a. 811. — En dehors des textes des annalistes et des biographes et de quelques lettres, l'on trouve des renseignements précieux sur la tenue des assemblées et l'élaboration des capitulaires, dans le De ondine palatii d'Hincmar, 29-30. Cette question a d'ailleurs été étudiée de très près, en France par GUIZOT, Quatrième Essai sur l'histoire de France, et FUSTEL DE COULANGES, Les Transformations de la royauté pendant l'époque carolingienne, p. 356-412 : en Allemagne, par WAITZ, Deutsche Gesch., t. III, p. 560 sq., et DAHN, o. c., t. VIII, fasc. 6, p. 125 sq. — De même il n'y a rien de changé dans la composition du Palatium après 800 ; les textes antérieurs et postérieurs à l'Empire sont les mêmes (FUSTEL, p. 322 sq. ; DAHN, t. VIII, fasc. 6, p. 101 sq.). DAHN, p. 257-258, estime cependant qu'il y eut dans le cérémonial quelque chose de nouveau, l'adoration de l'empereur par les princes étrangers ou leurs envoyés et peut-être même par les Francs dans certaines circonstances, mais il n'y a qu'un vers d'Ermold le Noir (IV, v. 510), pour justifier son opinion, et finalement il est obligé de reconnaître que l'adoration ne devint la règle en aucune manière.

[124] Voir le Capilulare missorum de exercitu promovendo du début de 808, cap. 8 (BORETIUS, Cap., p. 138). Cf. HINCMAR, De Ordine palatii, 34.

[125] Les  Transformations de la royauté pendant l'époque carolingienne, p. 319.

[126] BORETIUS, Cap., p. 66. — Le texte du serment est dans BORETIUS, Cap., p. 63. Sur la conspiration d'Hardrade, voir Ann. laur. maj. 2, a. 783 ; Ann. lauresh., a. 786 ; Vita Karoli, 20. — Une seconde conspiration éclata cependant contre le roi en 792, sous la conduite de Pépin, son fils illégitime : celui-ci l'ut pris et envoyé dans un monastère (Ann. lauresh., a. 792 ; EINH., Vita Karoli, 20).

[127] Capitulare missorum generale, 802 initio, cap. 2. BORETIUS, Cap., p. 92.

[128] Ann. sancti Amandi, pars secondus. SS. I, p. 14. — Ann. Guelferbytani, SS. I, p. 45.

[129] BORETIUS, Cap., p. 102. P. 101 se trouve une autre formule à peu près identique à la précédente.

[130] Capitulare missorum generale, 802 initio. cap. 2. BORETIUS, Cap., p. 92. — Suit la liste des obligations contenues dans le serment, avec la formule finale : Hec enim omnia supradicta imperiali sacramento observari debetur.

[131] Capitulare missorum generale, 802 initio, cap. 3-9. BORETIUS, Cap., p. 92-93. — On trouvera la traduction de ces articles dans FUSTEL DE COULANGES, Les Transformations de la royauté pendant l'époque carolingienne, p. 250-252, mais Fustel a le tort de s'en servir à propos de la fidélité au roi et d'oublier qu'il y eut un serment impérial différent du serment royal. La distinction des deux serments a été au contraire bien faite par BRYCE, p. 85, surtout par WAITZ, o. c., t. III, p. 221 et DAHN, o. c., t. VIII, fasc. 6, p. 21-34. D'ailleurs, il règne dans le livre de Fustel de Coulanges une confusion perpétuelle entre la royauté et l'empire, qui est particulièrement choquante à propos des règles relatives à la transmission du pouvoir.

[132] BORETIUS, Cap., p. 124, 130, 146, 177, 426.

[133] On n'a pas de renseignements particuliers sur la manière dont le serment impérial était prêté ; on sait seulement par le texte mente du serinent que c'était sur les reliques des saints. Mais un amendement à la loi des Ripuaires de l'année 8o3 donne quelques détails qui peuvent trouver ici leur application : l'infidélité au prince est punie de la perte de la vie et de la confiscation des biens (BORETIUS, Cap., p. 119). — Voir aussi dans BORETIUS, p. 377 une liste d'hommes qui ont juré fidélité, ce qui prouve que les missi emportaient les noms, comme cela se faisait d'ailleurs déjà avant 800. (Capitulare missorum, cap. 4, ann. 792 ou 786. BORETIUS, p. 67).

[134] Capitula a sacerdotibus proposita, oct. 802, BORETIUS, p. 106 ; Ibid., p. 236. — De même les réunions des conciles s'ouvraient par des prières polir la famille impériale. Voir le début des procès-verbaux des synodes d'Arles, Tours et Chillon, de 813, dans MANSI, t. XIV, col. 57, sq., et le 1er Canon du Concile de Tours, MANSI, t. XIV, col. 83.

[135] Lettre de Charlemagne à Gherbald de Lièges. (BORETIUS, Cap., p. 215).

[136] DAHN, Die Könige der Germanen. Die Franken unter den Merovingern. Zweite Abtheilung, p. 248-251.

[137] Ils sont appelés, tantôt missi regales, tantôt missi regis (BORETIUS, Cap., p. 53, 64, 65, 66 67, 71-72).

[138] Annales laureshamenses, a. 802. BORETIUS, Cap., p. 92. Toutefois il importe de remarquer que l'idée de développer l'emploi des missi est bien antérieure : elle se trouve dans la lettre écrite à Charles par Kathuulphe en 775, et les termes employés par le moine anglo-saxon rappellent tout-à-fait ceux des Ann. lauresh. et du Capitulare missorum generale. — WAITZ, o. c., t. III, p. 450 sq., signale l'importance nouvelle des missi, à partir de 802. FUSTEL DE COULANGES reconnait que Charlemagne a fait d'un usage intermittent une institution régulière, mais la concordance de cet évènement avec l'apparition de l'Empire ne le frappe pas. (Les  Transformations de la royauté pendant l'époque carolingienne, p. 533).

[139] Capitulare missorum Niumagum datum, cap. 1 (BORETIUS, Cap., p. 131) ; Capitulare de justitiis faciendis, cap. 8, 12 (BORETIUS, Cap., p. 177). — Il ne nous reste pas de liste complète des missatica pour l'époque de Charlemagne ; on a seulement un fragment pour la région de Paris, de Rouen et d'Orléans (BORETIUS, Cap., p. 100).

[140] Ann. lauresh., a. 802. Cf. Capitulare missorum generale, 802, cap. 1 (BORETIUS, Cap., p. 92).

[141] BORETIUS, Cap., n° 33, 48, 50, 67, 69, 80, etc. ; HINCMAR, De Ordine palatii, 34 ; Epistolæ carolinæ, 41, lettre très intéressante, sorte d'admonestation faite par deux missi à un comte. — FUSTEL DE COULANGES, o. c., p. 542-569, a analysé de très près les attributions des missi.

[142] BORETIUS, Cap., p. 155. — P. 157 on voit des missi rendre compte de ce qui se passe dans leur missaticum ; p. 183 Adalhard est qualifié de missus domni imperatoris.

[143] Capitulare missorum generale, 802, cap. 28. (BORETIUS, Cap., p. 96). — Capitulare missorum speciale, cap. 53. (BORETIUS, Cap., p. 104). — Capitula Karoli apud Ansegisum servata, cap. 1 (BORETIUS, Cap., p. 160).

[144] GUIZOT, Essais sur l'histoire de France (IVe Essai).

[145] Ann. lauresh., a. 802.

[146] ALCUINI, Epist., 186 (de missorum electione). Ibid. 132. — LEONIS III, Epist., 2.

[147] LEHUÉROU, Histoire des Institutions carolingiennes, p. 364. Il est vrai qu'à la page suivante, le même Lehuérou déclare que Charlemagne attachait une véritable importance au titre d'empereur, et qu'il tenait à le transmettre. — MONNIER (Alcuin, p. 230) est très catégorique : Il fut sans pitié pour son erreur, dit-il de Charlemagne... En 806, il promulgua une ordonnance qui remit les choses dans l'état où elles étaient avant le couronnement.

[148] Voir le texte officiel de ce document dans BORETIUS, Cap., p. 126-130. Le mot divisio est le mot juste. D'abord, il se trouve à l'article 1 du Capitulaire.  Ensuite il est employé par tous les annalistes : Ann. laur. maj. 2, a. 806. Ann. laur. minores, SS. I, p. 220. Ann. sancti Amandi pars secunda, SS. I, p. 14. — Le Préambule du Capitulaire de 806 dit encore : Trina portione totum regni corpus dividentes.

[149] Divisio regn. du 6 février 805, art. 1, 2, 3. — L'article 4 fixe la manière dont le partage serait modifié, au cas où l'un des trois frères viendrait à mourir.

[150] Divisio regn., Préambule.

[151] Il déclare en effet dans le préambule qu'il tient à régler sa succession, tant qu'il est en vie (donc in corpore sumus).

[152] EINH., Vita Karoli, 33 ; JAFFÉ, Reg., 2571 ; BŒHMER-MÜHLB., Reg., n° 445.

[153] BŒHMER-MÜHLB., Reg., n° 496 a, 453 a.

[154] THÉGAN, 5, résume bien la situation. — L'auteur de la Vita Hlud., dit à peu près la même chose. Après avoir annoncé la mort de Pépin et de Charles, il conclut, en parlant de Louis : Spes universitatis potiundœ in eum adsurgebat.

[155] Ann. laur. maj. 2, a. 781. Cf. ERMOLD LE NOIR, I, 36.

[156] Divisio regn., 806, art. 4. Cf. FREDEG., Contin., 53.

[157] Ann. laur. maj. 2, a. 806

[158] Divisio regn. 806, cap. 20. — Charlemagne, dit Voltaire, retint toujours l'empire et la souveraineté, et il était le roi des rois ses enfants (Annales de l'Empire, p. 49). On ne saurait mieux dire. — Voir encore les Ann. laur. maj. 2, a. 806 et le Préambule de la Divisio regn. de 806. L'empereur déclare formellement qu'il prend ses fils comme consortes regni a Deo concessi et qu'il entend seulement fixer les parts qui leur reviendront après sa mort.

[159] BORETIUS, Cap., p. 212.

[160] LEONIS III, Epist., I. — EINH., Vita Karoli, 13.

[161] Epistolæ carolinæ, 20. — Pépin, dans ses capitulaires, s'exprime fréquemment sous cette forme : Pro præceptione domino et genitore meo Karoli... simul et per nostrum præceptionem, ou Secundum jussionem domni nostri Karoli regis (BORETIUS, Cap., p. 198). Et en effet, Charles est un roi pour Pépin, et le vrai roi d'Italie (rex Langobardorum. BORETIUS, Cap., p. 211). A l'occasion, l'empereur légifère même directement au-delà des Alpes (BORETIUS, Cap., p. 24 sq.).

[162] Vita Hlud, I, 15. — BORETIUS, Cap., p. 169. C'est de la part de Louis un va-et-vient incessant entre l'Aquitaine et Aix. En 800, Louis prie son père de venir dans le midi ; Charles refuse et mande le jeune roi à Tours où il le reçoit. En 804, Louis est invité par son père à concourir à l'expédition de Saxe. Il passe auprès de Charlemagne, à Thionville, l'hiver de 805 à 806, et en 809 on le trouve encore à Aix (BŒHMER-MÜHLB., n° 496 a — 500 a).

[163] ERMOLD LE NOIR, l. II, vers 21-24.

[164] Capitulare missorum Niumagæ datant, mars 806, cap. 2. BORETIUS, Cap., p. 131.

[165] POUZET, La Succession de Charlemagne el le traité de Verdun, p. 19 ; DÖLLINGER, p. 366-367. — On a dit aussi que Charlemagne considérait la dignité impériale comme lui ayant été conférée personnellement (DÖLLINGER, l. c. ; WAITZ, t. IV, p. 656 ; ABEL, Iahrb d. Karl dem Grossen, t. II, p. 352 ; DAHN, t. VIII, p. 6, 80 ; W. ABEL, Die Kaiserkrönungen, p. 8). Il faut admettre alors que l'opinion de Charlemagne finit par se modifier, puisqu'en 813 il associa son fils Louis à l'empire.

[166] More parentum nostrorum, dira Louis le Pieux en 817 (BORETIUS, Cap., p. 270).

[167] Il ne saurait y avoir sur ce point aucune espèce de doute, tant les textes sont unanimes et leur témoignage formel. D'abord le Préambule de la Divisio du 6 février 806. Puis l'article 6 du même document. Enfin et surtout le serment imposé au peuple à la suite de l'assemblée de Thionville (BORETIUS, Cap., p. 131). — L'auteur des Annales laur. maj. 2 ne s'y est point trompé.

[168] Voir les articles 6-14 de la Divisio de 806, qui portent tous la marque de la plus grande sagesse et de la plus heureuse prévoyance (BORETIUS, Cap., p. 128-129). On remarquera en particulier l'article 3 par lequel le val d'Aoste est attribué à Charles et le val de Suse à Louis, afin qu'ils puissent se porter facilement au secours de Pépin, en Italie. — Sans doute, à l'époque des successeurs de Clovis, l'Église avait déjà cherché à introduire dans les partages de la monarchie franque des idées de fraternité chrétienne (voir les textes rassemblés à ce sujet par POUZET, p, 13-15), mais elle n'y avait guère réussi et l'héritage des rois avait continué à se transmettre d'après toutes les règles du droit privé (WAITZ, o. c., t. III, p. 2.7.4 ; DAHN, o. c., t. VIII, fasc., 6, p. 76). Les crimes horribles qui en étaient résultés. et qui avaient causé en partie la perte de la royauté mérovingienne, étaient bien connus de Charlemagne, qui aimait à se faire lire les récits du temps passé (EIHN., Vita Karoli, 24).

[169] Divisio regn., cap. 17. (BORETIUS, Cap., p. 129).

[170] Divisio regn., cap. 18, 5. BORETIUS, Cap., p. 130, 128.

[171] BORETIUS, Cap., p. 130.

[172] Divisio regn., cap. 4.

[173] Ann. laur. maj. 2, a. 804. — Cf. ABEL, Iahrb. d. fr. Reiches unter Karl dem Grossen, t. II, p. 316.

[174] Ann. laur. maj. 2, a. 794, 799, 804, 806, 808. — C'est surtout dans les guerres que le rôle du fils aîné de l'empereur parait considérable ; son père l'envoie sans cesse aux frontières à sa place, contre les Saxons, contre les Slaves tchèques, sorabes, etc. (ABEL, o. c., t. II, p. 81, 120, 176-179, 325-329, 355-356, 387-388). Il importe de remarquer qu'en 781, alors que Pépin et Louis reçoivent chacun un royaume, il n'est pas question de Charles. Celui-ci reçoit l'onction et la couronne royale le 25 décembre de l'an 800 seulement, et sans aucune attribution de territoire (L. P. Leo III, 23 ; ALCUINI, Epist., 217 ; ABEL, o. c., t. II, p. 238 sq.). Cette constatation est plutôt favorable é notre système, et, d'autre part, on ne saurait tirer aucun argument contraire de l'article 15 de la Divisio de 808, qui confie simultanément aux trois frères la protection de l'église de Saint-Pierre. On sait en effet que c'était une obligation consécutive à la royauté et qui dérivait immédiatement de l'onction. C'est d'ailleurs ce qu'indique nettement la suite de l'article. Charlemagne se trompe toutefois, en parlant ici de Charles Martel.

[175] C'est ce que POUZET, p. 18, a supposé, en admettant — je ne sais pourquoi — que Charles destinait la dignité impériale à son fils aîné, sans y attacher d'autre privilège que la possession d'un territoire plus étendu.

[176] THEODULPHI, Carmina (BŒHMER-MÜHLB., Reg. 453). — ALCUINI, Epist., 188. éd. DÜMMLER. — Il y a cependant une difficulté. Tandis que Jaffé (ALCUINI, Epist., 245) place cette lettre après le 25 décembre 800 et ne doute pas qu'Alcuin y fasse allusion à l'empire (de même BŒHMER-MÜHLB., Reg. 453), affirme qu'elle est antérieure, parce qu'au moment où elle fut écrite, Charles n'était pas encore roi, témoin te protocole initial : Domno merito insigni regalique honore dignissimo Carolo. On fera observer simplement que Charles pouvait fort bien être possesseur de la royauté, au moment où Alcuin déclarait qu'il en était digne, et que l'argument unique de DÜMMLER est tout à fait insuffisant pour justifier le changement de date qu'il propose.

[177] Magnus pacificus imperator..... rex Francorum atque Langobardarum (BORETIUS, Cap., p. 125, 168, 169, 170,, etc.) — De banco domni imperatoris et regis (BORETIUS, Cap., p. 146). — Imperii vel regni nostri (Divisio de 806. Préambule et article 1er. BORETIUS, Cap., p. 127). — L'Empire, dit DAHN, embrassait les trois souverainetés de Charles : mais dans chacune celui-ci gouvernait en vertu d'une qualité différente : il ne gouvernait ni comme empereur ni comme roi des Francs il Pavie : il dominait comme empereur à Rome et à Ravenne, comme roi des Lombards à Parie, comme roi des Francs à Aix (Die Könige der Germanen, t. VIII, fasc. 6, p. 254). Cette interprétation de la formule imperator rex Francorum atque Langobardorum est un peu subtile, mais elle peut se soutenir.

[178] Ann. laur. maj. 2, a. 813. — Selon l'auteur de la Vita Hlud., 30, ce fut Louis, le fils de l'empereur, qui voulut que la dignité royale fût conférée à Bernard, lequel d'ailleurs la possédait officieusement depuis l'année précédente (Ann. laur. maj. 2, a. 812. — BŒHMER-MÜHLB., Reg. 496 e).

[179] On dit aussi nomen imperii (Ann. laureshamenses et Chron. moissac, a. 801. — Ann. laur. maj. 2, a. 813. — EINH., Vita Karoli, 30. — THÉGAN, 6).

[180] Capitulare missorum generale de 802, cap, 1 et 5. (BORETIUS, Cap., p. 92-93). Missi eujusdam admonitio, 801-802. (BORETIUS, Cap., p. 239). — La formule pax et concordia se trouve constamment répétée dans les Capitulaires (BORETIUS, Cap., p. 53, 58, 62, 64, 70, 103). Il est dit encore que les membres de la société chrétienne doivent vivre in caritate et pace ou cum omni caritate et concordia pacis (BORETIUS, Cap., p. 92, 91). La prescription la plus générale est conçue dans les ternies suivants : Omnibus. Ut pax sit et concordia et unanimitas cum omni populo christiano inter episcopos, abbates, comites et judices et omnes ubique seu minores seu minores personas, quia nihil Deo sine pace placet (BORETIUS, Cap., p. 58, Ibid., 103). — Les mêmes définitions ou expressions se retrouvent dans les Actes des conciles, dans les lettres des papes et les écrits des particuliers (Conciles d'Arles et de Mayence de 813. MANSI, t. XIV, col. 55 sq. ; LEONIS III, Epist., L ; ALCUINI, Opera. MIGNE, P. L., t. C, col. 530, CI, col. 617). La Chronique de Moissac, à l'année 807, raconte que l'empereur, après avoir tenu son assemblée à Ingelheim, renvoya les assistants ut Deo gratias agerent ad pacem et concordiam ipsorum. (SS. I, p. 308).

[181] Hibernicus exut (DUNGAL). Epitaphium Karoli imperatoris, vers 8. (Poet. lat., t. I, p. 408).

[182] PAULIN D'AQUILÉE, Liber exhortationis ad Henricum, comitem Forojuliensem, 20, dans MIGNE, P. L., t. XCIX, col. 213. — Pœt. lat., t. I, p. 395-396.

[183] Après avoir dit qu'il n'y eut pas de guerre plus longue, plus atroce, plus pénible pour les Francs, que la guerre de Saxe, Éginhard indique la principale condition qui fut faite aux Saxons désireux de la paix (EINH., Vita Karoli, 5). — Très significatives aussi sont certaines déclarations des Annales laurissenses (Ann. laur. maj. 2, a, 776, 777).

[184] Lettre de Charles à l'abbé de Fulde. Epist. carol., 3.

[185] Il suffit de rappeler la formule par laquelle on souhaitait à Charles la victoire sur toutes les nations barbares (Codex carol., 62). — Voyez les vers que Théodulphe (en 814) adresse au jeune empereur Louis, qui vient d'être associé à son père (Poet. lat., t. I, p. 531). — La soumission de la Saxe n'avait été qu'un commencement (Codex carol., 76) ; l'Espagne, l'Afrique, l'Arabie, devaient bientôt succomber à leur tour.

[186] ALCUINI, Epist. 242, éd. JAFFÉ.

[187] EINH., Vita Karoli, 16.

[188] EINH., Vita Karoli, 16 ; LEONIS III, Epist, 2.

[189] BŒHMER-MÜHLB. Reg., 437', 438'.

[190] Consulter spécialement à ce sujet les Itinera hierosolymitana, tome I.

[191] Chron. moissac. SS. I, p. 305. Cf. Ann. laur. maj. 2, SS. I, p. 189.

[192] EINH., Vita Karoli, 16.

[193] Le texte dit formellement qu'elles étaient envoyées benedictionis causa, et d'ailleurs le patriarche ne pouvait en disposer à un autre titre.

[194] EINH., Vita Karoli, 27. — Tel fut le but des relations que Charlemagne entretint avec Haroun-al-Raschid, et c'est pourquoi il échangea avec lui des ambassades et des cadeaux (Ann. laur. maj. 2, a. 801, 802, 807).

[195] Kapitulare missorum aquisgranense primum, 810, cap. 18 (BORETIUS, Cap., p. 154).

[196] JAFFÉ, Reg., n° 2519-2520 ; Ann. laur. maj. 2, a. 807-809. Cf. DE VOGUË, Les Églises de Terre-Sainte, p. 246-247, et DE ROSSI, Bulletino di Archeologia cristiana (passim.).

[197] GRAF, o. c., t. p. 442. ROLANDO, Della dignita impériale di Carlomagno, p. 3 (Napoli, 1873). — Il y a dans cette petite brochure, peu répandue, un certain nombre d'idées justes. — Voir aussi KETTERER, Karl der Grosse and die Kirche, p. 2, 83.

[198] En Allemagne, on a cru caractériser d'un mot cette forme de gouvernement, en disant que c'était un gouvernement théocratique, un Theokratismus (voir notamment le long chapitre de DAHN intitulé Der Theokratismus, où il conclut que l'Empire fut le couronnement du théocratisme (DAHN, o. c., t. VIII, fasc. 6, p. 320-361. Cf. GREGOROVIUS, o. c., t. II, p. 480-483). Le mot prête à l'équivoque, car il laisse croire que l'État fut alors subordonné à l'Église, ce qui est tout le contraire de la vérité. Assurément l'Empire de Charlemagne était animé de l'esprit ecclésiastique, mais, parmi les idées chrétiennes, celles que son chef choisissait de préférence étaient les idées morales qu'il considérait comme indispensables à l'ordre social.