L'EMPIRE CAROLINGIEN

LIVRE PREMIER. — LES ORIGINES

 

CHAPITRE II. — L'Empire byzantin, les Carolingiens et la Papauté.

 

 

La conception que l'Occident avait de l'empire ne manquait pas d'une certaine grandeur, et il est juste de reconnaître les mérites de cette combinaison destinée à assurer le bonheur du monde, dans laquelle chacun avait sa place et son rôle bien définis : empereur, pape, rois, au-dessus des peuples obéissants. En passant de la théorie à la pratique, l'on est bien vite frappé cependant des vices du système, de la fragilité du mécanisme destiné à garantir son fonctionnement, et les objections se présentent.

Est-ce avec des formules d'amitié et de charité que se règlent les rapports entre les chefs d'État, et qu'arrivera-t-il si les empereurs, au lieu de se contenter modestement d'une suprématie morale, exigent quelque jour une soumission complète, comme celle dont il est parlé dans les lettres du roi de Bourgogne Sigismond ? Le pape et l'empereur doivent vivre unis, et il est nécessaire que la puissance impériale soit mise au service du Saint-Siège pour amener la victoire universelle de l'orthodoxie ; mais dans quelle mesure les empereurs ont-ils le devoir de seconder la papauté, et surtout quelle est la limite entre les autorités laïque et ecclésiastique ? De bonne heure les papes, qui avaient le sentiment des difficultés probables, cherchèrent à établir cette délimitation, et, dans une lettre fameuse à l'empereur Anastase, qui sera citée fréquemment par les polémistes carolingiens, le pape Gélase Ier s'efforça de concilier les deux pouvoirs. La conclusion fut que, tout en conservant une entière liberté dans la conduite des affaires politiques, les empereurs chrétiens devaient se soumettre aux évêques pour tout ce qui touchait aux causes sacerdotales[1] ; mais cette manière de voir conviendrait-elle aux empereurs ? Enfin et surtout, les peuples occidentaux ne s'étaient-ils pas trompés en mettant leur confiance dans un chef qui avait abandonné l'Occident pour aller vivre loin d'eux, en Orient, à Constantinople, parmi des populations si différentes de celles qui habitaient à l'ouest de l'Europe par la langue, l'esprit, les traditions ?

C'est à ces questions, qui se posèrent dès la seconde moitié du ve siècle, après la demi-restauration de l'unité impériale accomplie par Justinien, qu'il importe de répondre maintenant. Ainsi commencera l'explication du mouvement qui porta les Carolingiens à l'empire[2].

 

I

L'Administration byzantine en Italie et en Afrique.

 

L'Occident avait cru certainement travailler à la réalisation de son idéal politique et religieux, lorsqu'il avait accepté pour la Gaule et l'Espagne la suprématie de l'empereur et favorisé en Afrique et en Italie la marche des armées romaines, avec cette ardeur intrépide, cette insouciance du danger qui arrachait aux vainqueurs des cris d'admiration[3]. Il s'aperçut qu'il s'était trompé, quand à cet idéal les empereurs opposèrent simplement la réalité. Justinien commença par établir dans les provinces qui venaient de se donner à lui le régime administratif du reste de l'empire[4]. A ces malheureux, qui venaient d'être éprouvés par la guerre civile et étrangère, il eût fallu de longues années de tranquillité, peu de charges et presque l'exonération des impôts, pour qu'il leur fût possible de relever l'agriculture et le commerce anéantis ; au contraire, on leur envoya des soldats pillards et des garnisons onéreuses, dont l'inconvénient se fit sentir surtout après la disparition de Bélisaire. Déjà ce général avait dû permettre bien des abus et commettre lui-même des exactions quand le trésor ne lui envoyait rien pour payer ses troupes, mais du moins son énergie avait pu dans certains cas arrêter les excès[5]. Après son départ, les soldats de la province d'Afrique, qui n'étaient plus retenus, s'installèrent comme en pays conquis. En vain le nouveau gouverneur, Salomon, leur rappela que les terres des Vandales appartenaient à l'État et devaient retourner pour cette raison, partie au domaine public, partie au fisc ; chaque officier se fixa dans une ville avec ses compagnons d'armes, et ceux-ci ayant épousé les filles des Vandales déclarèrent qu'il n'était que juste qu'ils fussent en possession des dots de leurs femmes : le gouverneur, privé des revenus sur lesquels il avait compté, fut obligé à son tour de demander de l'argent aux indigènes[6]. Les Italiens n'eurent pas un sort meilleur que les Africains, et, après que les Goths.les eurent dépouillés de leurs champs, les Impériaux mirent la main sur leurs biens mobiliers[7].

Payer les impôts dans ces conditions n'était pas chose facile. Cependant, l'ancien système fiscal des Romains ayant disparu avec les Barbares, l'empereur ordonna un remaniement général de l'assiette et la réorganisation complète de l'administration financière précédemment en usage. Si les logothètes chargés du travail s'étaient montrés bonnètes et si, conformément aux instructions qu'ils avaient reçues, ils avaient rigoureusement appliqué le principe de la proportionnalité de l'impôt, le résultat eût été acceptable. Malheureusement ils se soucièrent fort peu de l'équité et beaucoup de leur intérêt personnel[8]. En Italie, l'un d'eux, nommé Alexandre, envoyé à Ravenne, institua de faux comptes, au moyen desquels il se fit verser par les contribuables de grosses sommes[9]. Grégoire le Grand, dans sa correspondance, parle de lourds tributs durement exigés, arbitrairement établis, souvent illégaux, et des rapines continuelles des fonctionnaires impériaux[10]. Lors du voyage de Constant II en Sicile, un nouvel impôt sur la navigation fut créé, et par des modifications de cadastre et des relèvements successifs, le nombre des unités imposables fut encore accru[11]. Procope dit qu'après la conquête, l'Afrique n'eut que quatre années de bonheur, telles, il est vrai, que les Africains vivant en paix semblèrent les plus heureux des mortels ; de son témoignage, toujours discutable, on peut rapprocher celui du continuateur de Prosper, déclarant que l'Italie jouit seulement de douze années de repos[12].

Les Italiens éprouvèrent en effet de cruelles souffrances, dont le souvenir est resté vivant dans ces Dialogues du pape Grégoire le Grand, si dramatiques, si poignants malgré leurs exagérations, faits de récits recueillis de la bouche du peuple dans toutes les parties de la péninsule : Samnium, Nursie, Valérie, Étrurie[13]. On y voit comment, à peine échappée à la terreur gothique, et hantée encore par la vision des Goths et du perfide Totila, l'Italie tomba sous la terreur lombarde[14]. Ses nouveaux envahisseurs, païens et idolâtres, étaient beaucoup plus violents que les Goths, dont la modération avait été méconnue. Sans écouter leurs rois et leurs reines qui, mieux éclairés que le reste de la race, voulaient les convertir à des sentiments plus doux et même les amener à la religion catholique, ils saccagèrent les villes, détruisirent les églises et les châteaux. Les campagnes se ressentirent cruellement de leur passage, et. la terre une fois dépeuplée de ses cultivateurs, les bêtes sauvages remplirent des contrées où jadis les hommes se pressaient en foule[15]. Rome même vit sa population diminuée par des exodes successifs ; elle se replia sur son centre, et il se forma autour d'elle une vaste zone de quartiers déserts, envahis par une végétation sauvage et un air fétide[16]. Tous ces malheurs étaient donc très grands, et ils expliquent comment Grégoire pouvait déclarer qu'il était évêque des Lombards, non des Romains, et compter par années d'oppression lombarde[17]. Mais le peuple, suivant sa coutume, exagérait encore. Il se représentait les Lombards sous des traits monstrueux : leur venue avait été annoncée par des apparitions de haches et de lignes de feu dans le ciel ; au culte des idoles, ils joignaient des pratiques sanguinaires, et ils étaient atteints d'une maladie infecte et contagieuse, la lèpre[18]. Cherchant, comme il est naturel, la cause de tant de maux, le peuple ajoutait que l'invasion avait été provoquée par un officier impérial, par Narsès victime des intrigues de la cour et désireux de se venger, et de fait le pape n'avait-il pas imploré vainement le secours de l'empereur, et Rome n'avait-elle pas été privée de sa petite garnison malgré les prières pontificales[19] ?

Les Gaulois et les Espagnols furent bien étonnés d'apprendre quel était le sort de l'Italie sous le gouvernement de ceux qu'ils considéraient comme les souverains légitimes, mais ce qui les troubla davantage, ce sont les prétentions que les empereurs soulevèrent sur les pays qu'ils habitaient. Nous savons déjà qu'il y avait de ce côté des Alpes des royaumes barbares, dont les chefs, intelligents et fiers, désiraient vivre en bon accord avec l'empereur et acceptaient son amitié, mais non sa domination. Justinien et ses successeurs estimèrent que ces royaumes leur appartenaient : ils collectionnèrent avec soin les documents qui établissaient leurs droits sur toutes les parties de l'Occident : Justinien prit, entre autres titres, celui de Francique, et les écrivains orientaux racontèrent sérieusement à leurs lecteurs que les Francs ne croyaient jamais être les maîtres d'une terre avant que les bureaux de Constantinople leur en eussent confirmé la possession[20]. Pour parvenir à la réalisation de ses desseins, le gouvernement impérial recourut à tous les moyens, voire aux plus détestables. En Espagne, il ne craignit pas de négocier avec le roi Athanagilde, et, si ingénieux que fût le procédé, il parut bizarre aux Espagnols qui luttaient avec acharnement contre les Wisigoths[21]. En Gaule eurent lieu des intrigues secrètes, destinées à détruire la royauté des fils de Clovis : d'illustres personnages reçurent de riches cadeaux et de belles promesses, et l'entreprise habilement conduite ne fut révélée que par la révolte de Gondovald, qui se souleva contre le roi Gontran avec la complicité de Justin II et de Tibère, auprès desquels il avait fait un long séjour[22].

Assurément il ne faut pas exagérer les fautes de l'administration byzantine, et surtout la part de responsabilité des empereurs. Ceux-ci étaient simplement logiques, plus logiques que les Occidentaux, quand ils voulaient reproduire l'image exacte de l'empire romain telle que leurs prédécesseurs l'avaient façonnée et, pour atteindre ce but, replacer sous leur puissance, non seulement les populations autrefois soumises aux Vandales et aux Ostrogoths, mais celles qui obéissaient encore aux Wisigoths et aux Francs. Si les Italiens et les Africains payèrent chèrement la protection qui leur était accordée, il est incontestable que leurs frontières se trouvèrent beaucoup mieux gardées que par le passé ; des travaux de défense considérables furent exécutés en Afrique, des forteresses furent construites au pied des Alpes et aux points les plus directement menacés, et le régime des thèmes eut des effets particulièrement heureux[23]. Peut-être la résistance ainsi organisée fut-elle un peu trop passive, peut-être la confiance dans les murailles qui venaient d'être élevées empêcha-t-elle qu'on les garnît de défenseurs suffisants ; cette négligence avait du moins une excuse : la présence de toutes les forces de l'empire était nécessaire en Orient pour repousser les attaques des Perses et des Sarrasins qui se multipliaient, et même de ce côté la vigoureuse opposition faite par la diplomatie et les armes impériales ne fut pas inutile à l'Occident[24].

Malgré ces réserves nécessaires, il n'en est pas moins vrai que le prestige impérial n'était plus tout à fait intact. Les contemporains critiquaient rarement l'empereur ou son gouvernement, dont ils reconnaissaient les bonnes intentions, mais ils accablaient de leur sévérité les fonctionnaires qui, méprisant les ordres donnés, allaient jusqu'à s'insurger contre l'autorité qu'ils représentaient : tel cet Eleuthérius, envoyé par l'empereur Héraclius contre les Lombards, qui traita avec l'ennemi et chercha à prendre l'empire[25]. Les symptômes d'une désaffection prochaine apparaissaient déjà aux yeux des plus clairvoyants[26], quand les empereurs se découvrirent complètement en adoptant une politique religieuse tout à fait contraire à celle que l'Occident attendait d'eux.

 

II

Politique religieuse de Justinien et de ses successeurs. Traitements infligés aux papes Silvère, Vigile et Martin.

 

Depuis longtemps les écrivains des deux parties de l'Empire distinguaient avec soin les deux grandes régions qu'ils habitaient[27]. Cette distinction, suffisamment explicable par la géographie, tenait en vérité à des causes beaucoup plus profondes. Les Orientaux avaient beau se dire et s'appeler Romains, il n'en est pas moins vrai qu'ils parlaient grec, que, depuis Maurice, le grec avait été substitué par eux au latin dans la langue officielle, et qu'ils étaient les représentants avérés de l'hellénisme, c'est-à-dire d'une forme sociale, intellectuelle et religieuse bien spéciale, qui allait se singulariser de plus en plus et devenir le byzantinisme.

Sans entrer dans des considérations générales qui ont été fort bien exposées de nos jours par plusieurs historiens[28], il suffit de retenir ce fait essentiel que l'Église d'Orient avait une conception du dogme et de la hiérarchie tout à fait différente de celle qui régnait en Occident. Animée d'un esprit subtil, elle ne craignait pas d'admettre que, parmi les solutions diverses proposées par les docteurs, le choix fût fait par l'empereur. Celui-ci prenait ainsi une autorité souveraine en matière religieuse ; il devenait une sorte de dieu terrestre, empereur et prêtre à la fois[29]. Les chefs du clergé étaient de simples fonctionnaires impériaux. Le pape rentrait dans la catégorie des serviteurs du prince, et l'empereur, en lui conseillant de renoncer au titre d'évêque universel afin d'éviter un scandale, lui faisait comprendre qu'il était l'égal des patriarches de Constantinople, d'Alexandrie et d'Antioche, soumis par conséquent à des obligations analogues[30]. On peut même dire que l'influence exceptionnelle dont l'évêque de Rome jouissait sur une moitié de l'empire lui valait d'être surveillé plus rigoureusement que les autres membres de l'épiscopat. Le contrôle qui devait s'étendre à tous les actes de son administration commençait le jour où l'assemblée romaine l'avait acclamé. Avertir l'empereur du choix qui venait d'avoir lieu constituait son premier devoir. La deuxième cérémonie, celle de l'ordination, ne pouvait être célébrée tant que la chancellerie impériale n'avait pas approuvé et renvoyé le procès-verbal d'élection, et, si ce privilège fut abandonné plus tard au représentant de l'empereur en Italie, l'exarque de Ravenne, l'application n'en fut que plus rigoureusement exigée[31]. Peut-être les Orientaux pouvaient-ils légitimer l'intrusion de l'État dans l'Église en invoquant les écrits des anciens Pères et même quelques lettres des papes relativement récentes peut-être pouvaient-ils répondre à leurs adversaires, comme l'a fait le défenseur moderne de l'hellénisme, qu' ils avaient gardé des monarques instruits et habiles, tandis que l'Occident était gouverné par des rois privés de toute instruction et de toute expérience gouvernementale[32] ; cela ne changeait rien au résultat : la règle de l'orthodoxie n'était point la même pour l'Orient que pour l'Occident. et cette différence de vues théologiques conduisait directement à un conflit d'attributions entre le pape et l'empereur.

Il n'y parut pas tout d'abord, et, sous la dynastie slave, l'entente au contraire sembla garantie. L'avènement de Justin succédant à l'hérétique Anastase fut salué avec joie comme celui d'un prince religieux, orthodoxe, plein d'amour pour la religion chrétienne et désireux d'extirper l'hérésie de ses États[33]. A son tour, Justinien devint le très pieux Auguste, l'empereur très chrétien qui avait exécuté les intentions de son prédécesseur en exterminant les ariens et en interdisant le baptême aux chrétiens séparés de la vraie foi ; il avait, au commencement de son règne, enjoint à toutes les églises de réciter à haute voix les actes de Nicée, Constantinople, Chalcédoine et Éphèse[34] ; en se montrant l'ami et le défenseur du concile de Chalcédoine, il s'était montré bon catholique[35]. C'est avec lui cependant que le différend commença à s'accuser, et d'une manière excessivement violente[36].

Justinien, malgré sa naissance qui aurait dû l'affranchir des préjugés communs à son entourage, était un vrai Byzantin, passionné pour les controverses théologiques, aimant à en discourir et à en écrire[37]. Il trouvait la doctrine d'Eutychès particulièrement séduisante, et, au temps où les Goths occupaient encore une partie de l'Italie, quand le pape Agapet envoyé par Théodat vint à Constantinople, le premier soin de l'empereur fut de l'entretenir des deux natures du Christ il voulut même le contraindre à recevoir le patriarche de Constantinople, Anthime, qui était eutychéen, ce qui lui attira, si l'on en croit le biographe pontifical, l'apostrophe suivante : Pécheur, j'ai désiré voir Justinien, empereur chrétien : est-ce que par hasard j'aurais rencontré Dioclétien ?[38] Soit qu'il eût compris son imprudence, soit plutôt qu'il manquât de fermeté dans ses convictions, Justinien reconnut son erreur, exila Anthime et le remplaça par Mennas[39]. Malheureusement l'hérésie était soutenue par deux femmes, l'impératrice Théodora, et Antonina, femme de Bélisaire, qui vivait alors à Rome dans tout l'éclat de sa faveur et de sa puissance[40]. Pressé par Théodora, qui avait sur lui la plus grande influence, et d'autant plus facile à convaincre qu'il ne faisait que suivre son inclination naturelle, Justinien somma le pape Silvère, successeur d'Agapet, de rappeler Anthime, et, sur son refus, le chassa du siège qu'il occupait. Mandé au palais de Bélisaire, où le clergé avait été préalablement réuni, Silvère fut accusé de toutes sortes de crimes : de faux témoins prétendirent qu'il avait voulu ouvrir aux Goths les portes de la ville, après quoi il fut envoyé dans le Pont, pour y vivre, selon la formule, au pain de douleur et à l'eau d'angoisse[41].

L'impératrice avait cru faire un coup superbe, car elle avait assuré la place vacante au diacre Vigile, qui avait été le principal artisan du complot et qui lui avait promis de satisfaire sa haine contre Pauvre de Léon le Grand et de Marcien ; mais Vigile, pris de remords, refusa d'exécuter sa promesse et déclara choisir pour modèles Agapet et Silvère[42]. Alors la colère impériale ne connut plus de bornes. Vigile fut appelé à comparaître à Constantinople devant l'empereur lui-même, et aucun moyen ne fut épargné pour lui arracher la révocation des décrets de Chalcédoine. La foule ameutée le chassa jusque dans l'église Saint-Pierre, et, comme il avait saisi les colonnes de l'autel, ceux qui le poursuivaient écartèrent les quelques clercs qui le protégeaient et cherchèrent à l'entraîner, qui par les pieds, qui par les cheveux, qui par la barbe : enfin, le pape restant attaché à l'autel, celui-ci s'écroula et les colonnes se brisèrent[43]. Exilé dans la Proconnèse, anéanti par tant d'émotions, ayant reconnu d'ailleurs la Pragmatique de Justinien favorable aux hérétiques, Vigile obtint la liberté de revoir l'Italie, mais il mourut en traversant la Sicile, à Syracuse, et son corps ne fut porté à Rome que pour y être enseveli à l'église Saint-Marcel sur la Voie Salarienne (555)[44].

Un siècle après, le pape Martin Ier subit un supplice semblable, sans qu'on pût l'accuser d'avoir manqué à sa parole, comme avait fait Vigile, car il fut un homme remarquable par l'unité de sa vie et de son caractère. Une nouvelle hérésie était née en Orient après celle des monophysites, le monothélisme, dont l'auteur, Théodore, évêque de Pharan, attribuait au Christ une seule volonté, comme Eutychès lui avait reconnu une seule nature[45]. Constant II, le même empereur qui fit le voyage d'Italie pour y établir de nouveaux impôts, venait de publier en faveur de l'hérésie un édit appelé Typus, et il l'avait fait récemment afficher aux portes des églises de Constantinople par le patriarche Paul, quand Martin fut appelé sur le siège pontifical. Aussitôt le nouveau pape réunit au Latran un concile de cent cinq évêques qui condamnèrent le Typus[46]. L'empereur furieux envoya l'exarque Olympias à Rome avec l'ordre d'obliger tous les évêques à signer son édit, soit en bloc, soit un par un, et d'arrêter Martin, traître et complice des Sarrasins, simple apocrisiaire d'ailleurs et non point pape, vu que son élection n'avait jamais été approuvée[47]. Olympias hésita devant l'opposition unanime faite à ses projets et aima mieux vivre en bonne intelligence avec ceux qu'il avait mission de combattre ; mais Constant II chargea un nouvel exarque, Calliopas, d'enlever Martin. Calliopas s'acquitta consciencieusement des instructions qu'il avait reçues. Il pénétra dans Rome avec Farinée de Ravenne, et Martin, qui avait été déjà victime d'une tentative d'assassinat à Sainte-Marie-Majeure, se livra à lui pour être embarqué à destination de Constantinople, Là, il fut dépouillé de ses vêtements pontificaux, excommunié, exposé publiquement, jeté finalement dans une prison où il demeura quatre-vingt jours en compagnie de meurtriers, et d'où il ne sortit que pour se rendre au lieu d'exil qui lui avait été assigné, dans la Chersonèse[48]. Bien qu'il ne fût pas déposé, même irrégulièrement, Martin fut remplacé de son vivant par Eugène auquel les officiers impériaux conseillèrent charitablement de suivre une ligne de conduite différente, s'il ne voulait pas être traité comme son prédécesseur (655)[49].

Les mauvais traitements infligés aux papes Silvère, Vigile et Martin, méritaient d'être racontés avec quelque détail, parce qu'ils donnent une idée de la brutalité avec laquelle les empereurs assurèrent quelquefois le respect de leurs prétentions. Il est bien évident que la crise n'était pas toujours à l'état aigu et qu'il y avait des périodes où les rapports des deux pouvoirs étaient moins tendus, comme celle qui sépara le pontificat de Vigile de celui de Martin, et les années qui suivirent le martyre de ce dernier. Après la disparition de Constant II en particulier, on put croire que la paix allait renaître. Le nouvel empereur, Constantin Pogonat, tint à Constantinople, en 680, un grand concile où le monothélisme fut solennellement condamné[50]. Son successeur Justinien II, désirant effacer les dernières traces du passé, fit venir le pape dans la capitale de l'empire, non pour le torturer mais pour l'honorer : il lui permit d'entrer dans la ville avec le cérémonial usité à Rome, et, après s'être prosterné à ses pieds, il s'avança, le tenant étroitement enlacé[51]. Enfin, Anastase II confirma les décisions de 680, et Théodose III restaura sur les murs du palais la grande peinture représentant les Pères du concile[52].

Toutes ces apparences étaient trompeuses, et, même dans les années qui semblèrent passer tranquilles et sans bruit, le calme n'exista qu'à la surface. S'il n'y avait pas de persécutions, c'étaient des disputes interminables, qui provoquaient des lettres vives et des réponses plus vives encore c'étaient des vexations juridiques et légales, comme la loi de Maurice interdisant de recevoir les fonctionnaires publics et les soldats dans les monastères, à laquelle Grégoire le Grand répondit en détournant les honnêtes gens des carrières de l'État[53]. Jamais en réalité l'on n'avait été aussi loin de la réconciliation des deux Églises, ou, pour élargir le débat comme il convient désormais, des deux mondes. Non-seulement Justinien et ses successeurs n'avaient pas exécuté le programme politique que l'Occident s'attendait à voir réalisé par eux, mais ils l'avaient combattu par principe, en soutenant les hérésies à l'intérieur de l'empire et en les propageant à l'extérieur par leurs missionnaires et leurs édits[54]. Au fur et à mesure que les événements se succédaient, le différend entre l'Orient et l'Occident prenait ainsi plus d'ampleur, et il s'agissait maintenant de bien autre chose que des punitions infligées à quelques pontifes récalcitrants. La politique religieuse des Byzantins avait une signification beaucoup plus vaste et qui- apparaissait clairement : elle n'était qu'une partie de la propagande entreprise par eux depuis deux siècles pour étendre l'hellénisme à tout l'empire[55]. C'est pourquoi les empereurs avaient raison à leur point de vue, quand ils accusaient les papes hostiles à leur volonté théologique d'être les ennemis de la République[56].

Il était impossible que les Occidentaux acceptassent l'anéantissement de leurs propres croyances et de leur propre personnalité, et, après les imprudences de l'administration byzantine en Italie et en Afrique, après ses intrigues maladroites en Gaule et en Espagne, ses violences sans nom contre certains papes, il mit fallu qu'ils fussent complètement aveugles pour ignorer qu'ils s'étaient trompés et garder leurs grandes illusions. Ils montrèrent qu'ils avaient vu le danger et qu'ils étaient résolus à l'écarter par les moyens les plus énergiques, par la solution la plus radicale.

 

III

L'Occident se détache de Byzance. Édit de Léon l'Isaurien (725).

 

La papauté dans ses malheurs n'avait jamais oublié un seul instant qu'elle pouvait compter sur l'Occident, comme l'Occident comptait sur elle, et elle l'avait tenu très exactement au courant de tout ce qui lui arrivait. Les papes avaient des familiers partout, chez les Lombards, les Francs, les Goths, les Bretons, les Slaves[57] ; de plus ils écrivaient beaucoup, et leur correspondance constitue l'un des monuments les plus précieux de l'histoire du temps. Lorsque Vigile eut été conduit à Constantinople, les clercs italiens de la province de Milan remirent ainsi à un officier mérovingien le récit de ses souffrances, établi d'après des renseignements certains, avec prière de le porter à la connaissance des Gaules[58]. Martin associa plus intimement encore ses fidèles à sa cause, puis à ses infortunes. Après qu'il eut réuni au Latran l'assemblée qui condamna le monothélisme, il fit immédiatement composer le procès-verbal officiel des délibérations et l'envoya à tous les princes de l'ouest, particulièrement aux rois francs Sigebert II d'Austrasie et Clovis II de Neustrie[59]. La relation de son martyre fut également transmise en Italie et en Gaule par deux textes, l'un dont il était l'auteur, l'autre qui fut rédigé par un clerc de sa suite[60]. Or, l'effet général, dans ces sortes de documents, était habilement ménagé ; malgré des exagérations évidentes de ton et de langage, les faits précis ne manquaient pas, et la manière même dont ils étaient présentés est intéressante pour nous, car il ne s'agit pas seulement de savoir commuent les choses se sont passées, mais comment l'Occident a cru qu'elles s'étaient passées.

Ces écrits auraient suffi au besoin pour provoquer et retenir l'attention des Occidentaux, mais ceux-ci ressentirent directement le contre-coup des événements, parce que les empereurs cherchèrent à les contraindre de la même manière que les papes. Justinien, aussitôt après avoir aboli les décrets de Chalcédoine, fit savoir par lettre à tous les évêques de l'empire qu'il attendait d'eux la condamnation des articles incriminés, et tous ceux qui osèrent résister furent frappés[61]. Longue est la liste des victimes. Il suffit de citer les plus illustres : parmi les membres du clergé italien, Datius, évêque de Milan, qui avait jadis, au péril de sa vie, ouvert les portes de sa ville aux armées impériales : parmi les membres du clergé d'Afrique, Reparatus, archevêque de Carthage, que Guntharit avait autrefois exilé dans le désert, Firmius, primat des évêques de Numidie, Primasius et Verecundus. Ces derniers furent appelés à Constantinople, et, comme ils persistaient dans leur foi, Reparatus chassé de son siège reçut pour successeur un apocrisiaire, désigné contre l'avis du Clergé et du peuple. Primasius fut enfermé dans un monastère ; Verecundus prit la fuite[62]. Victor, évêque de Tunes et chroniqueur, qui comparut devant le tribunal de l'empereur avec les prélats suspects, a exprimé la stupeur douloureuse dans laquelle ce traitement imprévu le jeta ainsi que ses compagnon[63].

Il semble même que les efforts du gouvernement impérial ne se soient point bornés aux contrées directement soumises à son autorité, car. dans la lettre relative à Vigile, les clercs de Milan engagent l'envoyé mérovingien à prévenir l'Eglise des Gaules des embûches qu'on va lui tendre[64].

Aux violences commises par les empereurs pour lui imposer l'hérésie, l'Occident opposa dès le principe la plus ferme résistance. L'union conclue entre toutes les provinces pour la défense de la foi catholique contre les ariens était encore trop récente pour qu'une nouvelle persécution, organisée dans les mêmes conditions que celle des Vandales ou des Goths, n'amenât pas une manifestation de l'esprit public encore plus significative que la précédente. C'est ce qui arriva. L'Église d'Afrique, la plus cruellement atteinte et celle que les épreuves avaient le plus fortement trempée, fit entendre d'énergiques protestations, et, par l'hostilité qu'elle témoigna aux doctrines monophysites comme plus tard au monothélisme, elle mérita d'être déclarée le principal soutien de l'orthodoxie et la digne héritière de Saint-Augustin[65]. Datius de Milan, défendant avec son sang-froid habituel les décrets de Chalcédoine devant le concile de Constantinople, put déclarer que son opinion était celle du clergé des Gaules, de la Bourgogne, de l'Espagne, de la Ligurie, l'Emilie, la Vénétie[66]. Le clergé italien stigmatisa l'Église d'Orient dans quelques lignes pleines d'un injurieux mépris : Les évêques grecs sont des gens qui possèdent des églises riches et opulentes et qui ne supportent pas d'être suspendus pendant deux mois de l'administration des affaires ecclésiastiques, si bien que, suivant les circonstances et la volonté du prince, ils accordent sans discussion tout ce qui leur est demandé[67]. Après l'édit sur l'incorruptibilité du corps du Christ, Nizier, évêque de Trèves, allant plus loin encore que les autres, osa écrire à Justinien que toute l'Italie, l'Afrique entière, l'Espagne et la Gaule unies, déploraient sa perte et criaient anathème à son nom[68].

Lorsque Constant II renouvela cent ans après les procédés de Justinien, la même unanimité se retrouva contre lui. Martin Ier, apprenant, du fond de la Chersonèse où il vivait exilé, l'élection de son successeur Eugène, se plaignit vivement d'avoir été abandonné par les Romains et prononça ces paroles : Que Dieu fortifie leurs cœurs dans la foi orthodoxe ! Qu'il les confirme dans leur hostilité contre les adversaires de notre Église, eux et surtout le pasteur qui est maintenant à leur tête ![69] Les reproches de Martin n'étaient pas justifiés, et sa crainte de voir les Romains quitter la foi pour laquelle il avait souffert et souffrait encore était chimérique. La popularité dont il jouit personnellement dans tout l'Occident après sa disparition en est la meilleure preuve. On le sanctifia, on lui attribua de nombreux miracles, et la Gaule recueillit précieusement le souvenir du pontife romain, qui, au moment où l'hérésie commençait à pulluler en Orient, veillant avec sollicitude et combattant virilement, résista à l'édit impérial, semblable à un rocher immobile que l'eau serait venue frapper[70].

Dans l'ardeur de la lutte, on se laissa même entraîner encore plus loin. Parmi les papes, il en est, comme Vigile, qui, sous la menace impériale, faiblirent ou finirent par succomber. L'Occident n'eut pas un moment de lassitude devant ces défaillances, mais il resta plus fidèlement attaché que jamais à l'orthodoxie, plus pontifical que le pape, prodiguant à ces chefs qui désertaient leur propre cause les remontrances et au besoin la menace. Déjà suspect aux Romains, Vigile mourut sous l'excommunication de toute l'Église d'Afrique[71]. L'avènement de son successeur Pélage, désigné par l'empereur, fut considéré comme un véritable scandale par les habitants de la Haute-Italie et des Gaules, et, pour se faire accepter, le nouveau pape dut écrire au roi Childebert, à l'évêque d'Arles, à tout le peuple, des lettres où il confessait formellement la doctrine de saint Léon[72]. Le moine Columban n'alla-t-il pas jusqu'à accuser d'erreur un homme qui certes n'était point suspect, mais qui voulait maintenir certains usages condamnés, Grégoire le Grand[73] ? Aussi, quand arriva un pape soupçonné d'hérésie, Boniface IV, le même Columban lui adressa une lettre véhémente, conçue dans des termes clairs et élevés, et dont la partie essentielle doit être citée, car elle résume très exactement la pensée des peuples occidentaux auxquels Columban appartenait, et dont il se disait simplement l'interprète : Veillez, car l'eau est déjà entrée dans le navire de l'Église, et celui-ci a été en danger. Nous sommes les disciples des saints Pierre et Paul, et même chez les Ibères, à l'extrémité du monde, rien n'a été admis qui fût contraire à la doctrine évangélique et apostolique. Il n'y a chez nous aucun hérétique, aucun juif, aucun schismatique, mais la foi catholique a été conservée, telle qu'elle a été maintenue par vous, les successeurs des Apôtres. Veillez donc, je vous en prie, veillez, ô papes, et encore veillez, car Vigile, pour n'avoir pas bien veillé, est regardé aujourd'hui comme l'origine de ce scandale dont on vous fait porter la faute, et beaucoup doutent de la pureté de votre foi[74].

Le mécontentement était donc unanime, et il avait pour cause générale l'attitude des empereurs vis-à-vis du catholicisme. D'autre part, les menées des Byzantins en Gaule et en Espagne contre le droit des souverains et le sentiment des peuples produisaient aussi leur effet, et les raisons politiques venaient renforcer puissamment les raisons religieuses. C'est pourquoi, parallèlement aux témoignages d'une irritation croissante contre les hérésies impériales, se multiplièrent de tous côtés des démonstrations qui ne laissèrent aucun doute sur les derniers sentiments des Occidentaux vis-à-vis de l'empire d'Orient. Les vieux liens d'amitié et de respect, cependant si solides. se brisèrent à des dates variées et de manière différente selon les pays : l'affection se changea en indifférence chez les uns, en hostilité chez les autres. En laissant de côté l'Afrique, toujours la plus malheureuse et la plus sacrifiée, qui sortit au septième siècle de la chrétienté pour tomber au pouvoir des Arabes musulmans[75], il suffit, pour chacune des autres provinces occidentales, de recueillir les principales manifestations de l'esprit nouveau.

En Gaule, la mésintelligence apparut de bonne heure. Les Francs avaient plus qu'aucun autre peuple barbare l'orgueil de leur race et le souci de leur indépendance, mais nul ne poussait ce souci aussi loin que Théodebert Ier, et nul n'était capable de ressentir aussi cruellement l'injure faite à sa maison par l'empereur qui usurpait le titre de Francique. Invité à prêter son concours aux troupes impériales contre les Goths, le petit-fils de Clovis envoya en Italie une armée nombreuse, pensant que, les Romains et les Goths une fois épuisés, il pourrait tirer de son intervention des bénéfices personnels et faciles. L'un de ses lieutenants, Buccelin, s'avança depuis les Alpes jusqu'au détroit de Messine, pillant les villes, enlevant les trésors ; il parut un moment le maître de la péninsule, et rien n'est plus caractéristique assurément que le mépris avec lequel furent accueillis par lui les discours des généraux byzantins invoquant le culte traditionnel envers l'empereur et agitant la menace de l'empire[76]. Ces grandes phrases, qui jadis avaient eu tant de succès, n'en eurent aucun, et les Francs ne se retirèrent que réduits par la fièvre[77]. Personne ne se trompa sur la portée de l'évènement qui venait de s'accomplir. La retraite des soldats de Buccelin fut saluée par Narsès comme une victoire sur le peuple le plus nombreux, le plus grand et le plus exercé dans l'art de la guerre[78] ; Procope déclara que les Francs avaient entendu travailler pour eux[79], et les chroniqueurs occidentaux ne doutèrent pas qu'ils eussent fait la guerre à la République[80]. Théodebert confirma leur manière de voir en supprimant sur ses monnaies l'effigie des Césars pour s'y faire représenter, vêtu de leur costume, le front ceint d'un diadème de perles, avec l'inscription suivante : la victoire au vainqueur des Augustes[81].

D'après l'écrivain byzantin Agathias, Théodebert aurait même eu l'intention de passer en Thrace, puis, cette contrée subjuguée, de pousser jusque sous les murs de Constantinople[82], et le règne de ce prince est considéré par certains hagiographes comme une date capitale dans l'histoire : celle où les Francs, affranchis enfin du droit impérial, commencèrent à être gouvernés par leurs propres lois[83]. Ceci est exagéré. Postérieurement aux démêlés de Justinien et de Théodebert, il y eut toute une correspondance amicale, même affectueuse, des empereurs et des rois. La défiance seule était semée, et d'ailleurs elle faisait bien son œuvre. Quand le légat Léonce vint trouver Théodebald, le propre fils de Théodebert, pour lui rappeler les liens d'amitié et d'alliance qui l'unissaient à l'empire et que son père avait méconnus, le roi répondit sèchement : Vous nous invitez contre toute justice à nous associer à vous contre les Goths. Mon père n'a jamais fait de tort à aucun de ses voisins. Il n'a rien pris aux Romains. S'il a enlevé quelque chose, on le restituera : je vais envoyer dans ce but une ambassade à votre maitre[84]. Le complot de Gondovald et une expédition en commun contre les Lombards, sollicitée par l'empereur Maurice, achevèrent de compromettre des rapports déjà suffisamment tendus[85]. Chez le dernier chroniqueur de l'époque mérovingienne, le soi-disant Frédégaire, les événements de Byzance, les changements de princes, les luttes malheureuses contre les Sarrasins, sont racontés brièvement, et l'auteur dépeint sans émotion le sort misérable de cet État, jadis si puissant, maintenant réduit à la possession de Constantinople, de la Thrace, et de quelques cités en plus de la province romaine[86]. Ailleurs il raconte l'étrange décision de Dagobert faisant baptiser, sur la demande d'Héraclius, tous les juifs de son royaume[87]. Ensuite l'histoire se tait, et, pendant près d'un siècle, elle reste muette sur les relations de la Gaule avec l'Empire[88].

Plus rapidement encore que la Gaule, l'Espagne prit conscience d'elle-même[89]. Elle avait été la première province que Rome eût abandonnée, et maintenant elle était la plus éloignée de Constantinople. Dernier refuge des Goths ariens, elle ne tenait aux empereurs que par un vague souvenir, par l'espérance imprécise qu'ils la délivreraient quelque jour comme ils avaient délivré l'Afrique et l'Italie. L'illusion ayant été brutalement détruite par la connivence visible des Impériaux avec les Goths et par leur attitude envers la papauté, les Romains d'Espagne ne pensèrent phis qu'à se sauver eux-mêmes, au prix d'une entente avec leurs vainqueurs. Entrainés par l'ardeur de la lutte, les Goths avaient traité cruellement au début les villes et les châteaux qui leur résistaient, procédé dans les campagnes par extermination[90]. Mais, sous le climat méridional, leur férocité avait fondu ; ils s'étaient peu à peu adoucis, et la religion seule constituait une barrière sérieuse entre eux et les anciens habitants[91]. La conversion éclatante du roi Reccared aux doctrines pontificales, bientôt imitée par son peuple (ann. 587), fit tomber cette barrière[92]. Les Romains estimèrent qu'il était plus pratique de s'unir aux Goths, qui venaient de faire un pas vers eux en adoptant leur foi, toute leur foi, que de rester attachés aux Byzantins, coupables d'hérésie et de tant d'ingratitude. La formation de l'idée nationale devint ainsi la très remarquable conséquence de la conversion des Wisigoths, et ce fut une année mémorable dans l'histoire du peuple espagnol que celle où, suivant l'expression de Reccared, les deux races auparavant séparées par l'hérésie, améliorées par la communauté des croyances, se rencontrèrent dans le giron de la sainte et catholique Église[93].

On a l'impression très nette du changement survenu dans l'opinion, en comparant aux vieilles Annales les chroniques contemporaines de Jean de Biclaro et d'Isidore de Séville. Conçues à peu près dans les mêmes termes, celles-ci célèbrent avec un égal enthousiasme l'initiative de Reccared, le prince doux et bon qui détermina le clergé arien à le suivre, moins par la force que par la persuasion, et qui conserva par la paix les contrées que son père avait acquises par la guerre[94]. Certes, chez les deux écrivains, qui sont d'église, qui connaissent leurs classiques et sont pleins des souvenirs de l'antiquité, l'empire n'est pas complètement oublié. Les années sont toujours comptées par les noms des empereurs, et Rome reste la victorieuse des peuples, la ville dorée, tête des nations. Cependant les noms des empereurs sont immédiatement suivis par ceux des princes wisigoths, et, si la grandeur de Rome est rappelée, ce n'est plus comme jadis pour la déclarer incomparable, c'est parce que, dans l'histoire du passé, elle seule mérite d'être comparée avec la grandeur gothique.

Si la race des Romains est glorieuse, combien plus glorieuse est celle des Goths, dont l'ancienneté est plus haute, dont le nom signifie courage, et qui seule fut capable de placer sous le joug et de réduire à la condition de servante la ville jadis maîtresse de tous les peuples ! Et en vérité il n'y a pas un peuple au monde qui ait jamais causé à l'empire romain de semblables tourments ![95] Ces réflexions sont d'Isidore de Séville, mais la manière dont est envisagée l'expulsion de la dernière armée romaine installée dans le pays est peut-être plus significative encore. Au moment de la conversion des Goths, il restait en Espagne quelques malheureux débris des troupes établies par Justinien, qui furent traqués de toutes parts et anéantis par Sisebut et Swintila. La destruction des derniers représentants de la cause impériale, loin de donner des regrets aux anciens sujets de Rouie, leur inspira le mépris le plus absolu pour ces soldats, autrefois si redoutables, aujourd'hui si faibles qu'ils succombaient avec deux patrices à leur tête[96], et leur admiration alla aux rois qui les avaient asservis, à ces barbares qui menaient la guerre dans un esprit vraiment chrétien, recherchant toujours la paix et pleurant sur le sang versé[97].

Ainsi fut consommée l'irréparable rupture. Désormais l'Espagne, renouvelée politiquement et religieusement, n'avait plus besoin de personne, et elle ne reconnaissait plus personne[98]. Elle était une monarchie libre sous un chef unique, et cela lui suffisait. Vivant heureuse sous l'empire des Goths, pourquoi aurait-elle admis l'autorité de l'empereur de Constantinople ? Ses habitants n'y pensèrent pas un seul instant, et, dans leur langage fleuri, décernant à la terre ensoleillée sur laquelle ils vivaient des éloges que Rome seule avait entendus jusque-là, ils l'appelèrent à son tour la mère sacrée des nations, l'honneur et l'ornement du globe, la plus belle de toutes les terres qui fussent depuis l'Occident jusqu'aux Indes[99].

Aussi bien ce n'est ni en Espagne ni en Gaule que l'hostilité contre le byzantisme se manifesta le plus activement, mais en Italie, et cela se comprend. Les Gallo-Francs et les Espagnols, unis à l'empire par un simple sentiment de respect, pouvaient se détacher de lui sans bruit, et, la lassitude les gagnant, oublier momentanément son existence. Les Italiens étaient trop engagés dans la vieille organisation politique et sociale pour qu'ils pussent en sortir tranquillement comme les autres. Le péril lombard, si pressant pendant les années terribles du pontificat de Grégoire le Grand, n'avait fait qu'augmenter[100]. Seule la papauté s'appliquait à protéger les Italiens contre les imprévoyances et les excès de l'administration byzantine. Suivant l'exemple de saint Léon, elle utilisait habilement son influence morale auprès des barbares pour les arrêter aux portes de la ville, et, quand les discours ne suffisaient pas, elle faisait marcher l'armée qu'elle s'était créée après que les Grecs eurent cessé d'entretenir la garnison de Rome et quelle avait mise dès le premier jour au service de la République. Contre les fonctionnaires impériaux elle exerçait rigoureusement son droit de donner des avertissements et de tempérer par un contrôle incessant une autorité absolue et presque irresponsable. L'amour que les Italiens, comme tous les Occidentaux, portaient au chef de la religion catholique, se doublait ainsi de la reconnaissance qu'ils devaient au vaillant défenseur de leurs intérêts. Pourquoi fallait-il que les empereurs fissent subir à ce serviteur fidèle de continuelles injures ?[101]

L'éclat qu'il était possible de prévoir aurait pu tarder longtemps encore, si les empereurs du huitième siècle avaient imité la sage réserve de Justinien II et de Théodose III. Les papes ne demandaient qu'à tenir compte du présent et à oublier le passé. Martin lui-même leur avait donné l'exemple de la modération, quand, recevant le Typus, il avait déclaré que ce n'était pas l'œuvre de l'empereur mais celle de ses conseillers[102]. Tout récemment, Jean VI avait protégé l'exarque venu à Rome, contre la milice de toute l'Italie[103]. Un empereur trouva cependant le moyen d'exaspérer les Italiens en cherchant à leur imposer une fois de plus les conceptions religieuses et politiques de l'Orient. L'an 725, Léon l'Isaurien promulgua le fameux édit contre les images, qui fut l'origine de la querelle des iconoclastes[104]. Il s'agissait, en principe, de réagir contre le culte des saints, qui s'était développé au risque d'affaiblir l'idée de Dieu ; mais, dans la réalité, le projet aurait été beaucoup plus vaste : l'empereur prétendait diminuer le nombre des couvents enlever aux moines, et par conséquent à l'Église, la direction de l'instruction publique, introduire définitivement la langue grecque, bref, accomplir dans le sens laïque une réforme de toute la société[105]. Pendant quatre années le gouvernement procéda lui-même, sans contraindre l'autorité ecclésiastique à sanctionner les décrets, puis il voulut obliger les évêques à approuver l'édit[106]. Les conséquences ne se firent pas attendre.

En 712-713, lors de l'élévation de l'empereur hérétique Philippicus Bardane, le peuple romain avait déclaré formellement qu'il n'accueillerait plus jamais le nom d'un empereur hérétique, ni ses monnaies, ni ses édits[107]. Joignant l'acte à la parole, il avait refusé de reconnaître Bardane, engagé la bataille contre le duc Christophore sur la Voie sacrée et le Palatin, et n'avait mis lias les armes qu'à l'arrivée des prêtres portant l'Evangile et la Croix, et annonçant le choix d'un empereur orthodoxe, Anastase II[108]. La situation, créée par le décret relatif aux images, se retrouvait exactement la même que quelques années auparavant, avec cette circonstance aggravante que, pendant le temps écoulé, Byzance avait achevé de s'aliéner les cœurs. A plusieurs reprises l'Italie entière avait manifesté hautement sa volonté de résister, même par la force, aux prétentions des exarques[109], et elle ne se rappelait guère l'époque où, par une fiction touchante, voulant se faire illusion à elle-même, elle disait qu'elle était gouvernée sous les empereurs par les rois lombards[110]. Les Romains n'avaient donc aucune raison d'oublier la condamnation en bloc qu'ils avaient prononcée contre les princes hérétiques, surtout quand le persécuteur de la papauté s'avouait incapable de les protéger et laissait les soldats lombards se promener devant leurs murs. Aussi n'y eut-il pas un seul moment d'hésitation, et tous les Italiens, habitants de la Pentapole et de la -Vénétie, des territoires de Ravenne et de Rome, de la Campanie, adoptèrent le parti du pape contre l'empereur. Petits et grands s'engagèrent par serment à protéger, au péril de leur vie, le défenseur zélé de la foi chrétienne et des églises. Plusieurs officiers impériaux, qui cherchaient à exécuter quand même les ordres de leur maitre, le duc Exhilaratus et son fils Adrien, le patrice Paul, furent mis à mort. Enfin, au témoignage du biographe pontifical, dont il importe de reproduire exactement le texte, toute l'Italie, édifiée sur la méchanceté de l'empereur, résolut d'élire un empereur qui serait à elle et qu'elle conduirait à Constantinople[111].

Cette manifestation doit être considérée comme le terme de l'évolution progressive par laquelle l'Occident se détacha de l'empire byzantin, et elle mérite d'être appréciée à sa juste valeur. D'abord, on remarquera que le principe impérial n'était pas mis en cause, ce qui prouve qu'il avait conservé ses vertus intactes. Il n'était pas question de supprimer la dignité d'empereur, mais de la conférer à quelqu'un qui fût tout à fait digne de la porter. Il pouvait y avoir eu de mauvais princes, mais l'empire était toujours jugé nécessaire et bon. L'idée qu'il fût possible d'établir un empereur ailleurs qu'en Orient n'était pas venue non plus, et cette réserve montre que personne n'envisageait l'éventualité d'une rupture complète avec les Byzantins. Cependant. créer un empereur à Rome, même pour le mener à Constantinople, et le prendre tel qu'il personnifiât l'esprit et les croyances de l'Occident, n'était-ce pas déjà une pensée révolutionnaire ? Qu'on y réfléchisse bien : un empereur ainsi choisi n'aurait pas été accepté à Constantinople, pour les mêmes raisons qui faisaient qu'un Philippe Bardane, ou un Léon l'Isaurien n'avait pas été reconnu à Rome : et, si l'Occident désirait vraiment aller jusqu'au bout de son entreprise, la seule solution logique était qu'il garda chez lui l'empereur créé par lui.

En somme, Léon l'Isaurien avait détruit, par ses édits, ses menaces et ses violences, la dernière attache qui retenait à lui les provinces latines, et il semblait que l'on pût s'attendre prochainement à quelque grave événement. Quel serait cet événement ? Comment arriverait-il ? Nul parmi les contemporains ne le soupçonnait. Pour nous, qui voyons les choses de plus loin, il n'y a pas de doute que la direction politique de l'Occident était vacante, sous réserve du choix de la personne et du moment opportun.

 

IV

Premiers rapports des papes avec les rois francs ; Grégoire III et Charles Martel ; voyage d'Étienne II en France. Le patriciat des Romains.

 

Alors que l'Orient versait dans l'hérésie à la suite de son chef, et que celui-ci, menaçant la papauté d'une nouvelle persécution, manquait à sa mission telle que l'Occident l'avait conçue, un peuple barbare, le peuple des Francs, se faisait remarquer par son orthodoxie, et une dynastie, celle des Carolingiens, consacrait le meilleur de son temps à la défense de la société chrétienne contre l'ennemi du dehors et du dedans, contre l'hérétique et contre l'infidèle.

L'Église avait distingué de bonne heure la nation franque qui s'était convertie au catholicisme sans passer par l'hérésie. Dans un temps où les rois étaient ariens et où l'empereur lui-même chancelait dans sa foi, la royauté de Clovis avait été jugée un don de Dieu[112]. Au VIe siècle, les papes, ayant besoin de défenseurs, recherchèrent l'amitié des successeurs de Clovis. Vigile demanda contre les Goths, parvenus aux portes de Rome, l'assistance de Childebert Ier, parce que, disait-il, il convient à un roi catholique de défendre de toutes ses forces l'Église dans laquelle il a voulu qu'il fût baptisé[113]. Quand le péril lombard se fut substitué au péril gothique, Pélage invoqua pour Rome et l'Italie entière l'appui de Childebert II[114]. Grégoire le Grand célébra la royauté franque comme la royauté par excellence, élevée par le catholicisme au-dessus de celle des autres peuples, autant que par la dignité royale l'homme s'élève au-dessus des autres hommes[115]. Le pape témoignait ainsi sa sympathie pour la reine Brunehaut et les jeunes rois Théodebert et Thierry, qui, loin de se complaire passivement dans leur religion, secondaient de tous leurs efforts la conversion des habitants de l'île de Grande-Bretagne par le moine Augustin[116]. Cependant les Mérovingiens subissaient encore l'attrait des discussions théologiques si puissant sur l'âme des Barbares. Ils cherchaient à interpréter le dogme, et la distinction en trois personnes leur paraissait bizarre, irrespectueuse pour la divinité[117] ; la simonie leur était coutumière, et, malgré les objurgations réitérées du Saint-Siège, ils ne renonçaient point à cette pratique[118] ; leurs sujets avaient encore gardé des rites superstitieux et des sacrifices impies[119] : enfin, l'Église franque, privée de synodes depuis plus de quatre-vingts ans, était tout à fait désorganisée[120]. Aussi la papauté, tout en décernant aux rois des Francs des éloges sincères, gardait-elle vis-à-vis d'eux une défiance justifiée.

Quand les Mérovingiens disparurent pour faire place aux Carolingiens, cette défiance n'eut plus de raison d'être. Non seulement Charles Martel accepta de protéger Boniface. l'apôtre de la Germanie, comme un siècle auparavant Théodebert et Thierry avaient secouru Augustin[121] : mais, en prenant la direction de la lutte contre les Sarrasins, et en arrêtant avec l'armée des Européens l'invasion musulmane à la bataille de Poitiers[122], il sembla qu'il eût le Christ lui-même pour auxiliaire et pour guide[123]. Après lui, ses fils Pépin et Carloman confièrent à renvoyé de saint Pierre la réforme urgente de leur Église : ils invitèrent Boniface à réunir en Gaule des synodes, dont le plus mémorable fut tenu en 745, probablement à Leptines, et ils veillèrent eux-mêmes à l'application rigoureuse des décisions admises[124]. Le rôle de Carloman surtout parait avoir été singulièrement actif[125], mais, quand il se fut retiré au mont Cassin, Pépin continua sa tâche inachevée et travailla non moins énergiquement à la restauration des règles canoniques[126].

Vers le milieu du ville siècle, l'œuvre ainsi entreprise était assez neuve et originale pour retenir l'attention de la papauté ou de ses agents, et pour mériter à ses auteurs leur éternelle reconnaissance[127]. La conversion de la Germanie proche du Rhin laissait entrevoir au Saint-Siège la possibilité de la conquête religieuse du monde. Boniface avouait que, sans la protection du prince des Francs, il n'aurait pu venir à bout du clergé des Gaules, et que, sans la crainte que le nom de Pépin inspirait aux Germains, il n'aurait pu interrompre chez eux les cérémonies sacrilèges et le culte des idoles[128].

Fortement impressionnés par ces déclarations et par quelques textes d'apparence probante, plusieurs historiens ont cru que les papes conçurent dès lors le projet de se séparer de l'empire byzantin. L'attaque aurait commencé dès l'époque de Charles Martel, à qui Grégoire III adressa les très sacrées clefs de la confession de saint Pierre[129]. Par l'envoi de ces clefs, qui était chose inouïe, le pape aurait offert au maire du palais de Francie le gouvernement de Rome ; ayant tout à redouter de la fureur iconoclaste de l'empereur et de la perfidie de l'exarque, il cherchait un autre exarque auquel il pût remettre la même puissance au nom de Dieu et de saint Pierre. Le titre de patrice donné à Charles Martel signifiait que le peuple romain était prêt à se mettre sous la protection de son bras invincible, et, comme le patriciat était une magistrature impériale, le pape, qui en disposait illégalement, inaugurait un droit nouveau. Dans les deux cas, il témoignait son intention de quitter le parti de l'empereur. Le voyage d'Etienne II apportant lui-même en France les insignes de patrice à Pépin, le fils de Charles Martel, n'aurait fait que confirmer ces dispositions et accuser une rupture d'ores et déjà consommée[130].

Ce système est séduisant, et, si l'on ne considérait que le mécontentement unanime provoqué dans l'Europe occidentale par la politique impériale, on serait tenté de l'admettre ; mais les faits sont là qui le contredisent formellement. Il est faux que les papes aient eu, dès le premier jour, un plan bien arrêté qu'ils exécutèrent d'accord avec les princes francs, et qu'ils aient conduit volontairement les Carolingiens à l'Empire, en passant par la royauté et le patriciat, et en mettant juste le temps nécessaire pour réaliser sans secousse un aussi vaste dessein. Les choses ne sont pas aussi simples. Il en est d'un grand événement comme de la vie d'un grand politique. Celui qui étudie après un certain temps les diverses parties de cet événement ou les différents faits qui ont rempli cette vie, recherche et trouve entre eux un enchaînement, un ordre, un plan qui leur a presque toujours fait défaut. De même de la prétendue complicité des papes et des princes carolingiens. Ceux-ci n'étaient nullement désireux au début d'étendre leur puissance au-delà des limites de l'Etat franc, et la royauté suffisait à leur ambition ; les papes ne pensaient pas à disposer d'une dignité qui ne leur appartenait pas et n'aspiraient qu'à obtenir le maximum de sécurité et d'indépendance. L'histoire de la fondation de l'empire carolingien est beaucoup moins dans des intrigues politiques auxquelles on est toujours disposé à croire, que dans la manière dont, le temps et les circonstances éclairant les uns, faisant cesser les hésitations des autres, une certaine solution finit par se présenter comme la seule logique, la seule complète et la seule bonne.

Lorsque Léon l'Isaurien fit l'édit contre les images, Grégoire II était si peu disposé à rompre avec l'empereur qu'il fut plutôt effrayé que réjoui du résultat obtenu[131]. Il ne pensa qu'à calmer l'effervescence des esprits et à éviter que la politique ne s'introduisit dans un débat qu'il estimait devoir rester exclusivement religieux. Son biographe dit qu'il empêcha les Italiens d'exécuter leur résolution — de conduire un empereur à Constantinople —, parce qu'il espérait toujours la conversion du prince, et que, devant les admirables preuves de dévouement qui se multipliaient de tous côtés, il rendit grâce au peuple, mais l'adjura de ne pas abandonner l'amour ou la foi de l'empire romain[132]. Grégoire III et Zacharie, qui occupèrent le siège apostolique après Grégoire II, ne pensèrent pas autrement. Ils déplorèrent l'impiété malheureuse de la capitale, mais il est impossible de relever dans leur langage une seule attaque contre l'empire[133]. La poursuite contre les images s'aggravant, ils se bornèrent à envoyer aux empereurs des avertissements ou des exhortations écrites, de la même manière que leur prédécesseur avait fait[134], sans se laisser rebuter par les difficultés qu'ils rencontraient, soit que les prêtres chargés de porter leurs lettres à destination n'osassent aller à Constantinople par crainte de l'empereur, soit que les fonctionnaires impériaux d'Italie ou de Sicile missent les porteurs en prison[135]. L'envoi des clefs de Saint-Pierre par Grégoire III à Charles Martel, où l'on a vu une manifestation politique de premier ordre et un fait nouveau, n'était qu'un vieil usage sans importance de la cour pontificale. Depuis longtemps les papes avaient coutume d'envoyer, en signe d'amitié, aux personnages illustres avec lesquels ils étaient en relation, des clefs de Saint-Pierre, auxquelles on attribuait une vertu miraculeuse, et ils y joignaient habituellement de la limaille des chaînes de l'Apôtre ; ainsi Childebert avait eu de Grégoire le Grand des clefs contenant de la limaille, qui, mises à son cou, devaient le préserver de tous les maux[136]. Tel fut le cadeau reçu par le maire des Francs, et qu'il est facile d'expliquer par des raisons qui n'ont rien de mystérieux.

Les progrès des Lombards devenaient alors très inquiétants pour la sécurité romaine. Ravenne était menacé, et l'exarque avait dû se retirer à Venise. Témoin désolé de ces malheurs, Grégoire III voulut unir ses efforts à ceux du représentant de l'empereur, l'armée de Rome à l'armée de Ravenne ; il ne fut pas écouté[137]. Maintenant le cercle hostile se resserrait de plus en plus autour de la ville ; le roi Liutprand dressait ses tentes dans le Champ de Néron, pillait la campagne romaine, et plusieurs nobles tombés entre ses mains étaient rasés et vêtus selon la mode lombarde[138]. Grégoire III demandait simplement au vice-roi des Francs, dont la sagesse était connue, de le délivrer des Lombards, parce que la nécessité l'y poussait, parce qu'il était abandonné par ceux dont il avait le droit d'espérer aide et assistance[139]. Pas un mot contre l'empereur ne lui échappait, et il croyait si peu faire acte d'hostilité envers l'Empire, qu'en attendant l'issue tic sa démarche il prenait les premières mesures de défense, restaurait avec son propre argent les murs de Rome, mettait ses finances et ses soldats au service de la République[140]. Ce ne fut d'ailleurs pas peine perdue. Zacharie, qui était grec et favorable à une politique modérée, alla hardiment trouver Liutprand qui le reçut à l'entrée de la basilique de Terni, entouré de ses grands et de ses troupes ; il obtint une trêve de vingt années qui fut ratifiée par Ratchis, prolongée pour une égale durée, et causa un soulagement général parmi les habitants du territoire romain et de l'exarchat[141].

Tous ces événements préparent à comprendre le sens véritable du voyage d'Etienne II en France, qui a été si longtemps dénaturé, et sur lequel les doutes ne sont plus permis, depuis que certaines études appuyées sur des témoignages précis ont rétabli l'exactitude des faits et leur juste portée[142]. Peu de temps après son élévation à la royauté, Ratchis embrassait l'état monastique, ainsi que sa femme et ses enfants ; son successeur, Aistulphe, jurait de respecter la trêve conclue avec les Romains, mais, après être resté quatre mois fidèle à sa parole, il entrait en campagne et rêvait d'établir, sur la partie de l'Italie demeurée indépendante, une sorte de protectorat qui devait amener un jour sa réunion aux autres provinces lombardes[143]. Une ambassade déléguée par l'empereur auprès du roi des Lombards revint à Rome, déclarant qu'elle n'avait rien pu faire[144], et Etienne II envoya vainement des légats à Constantinople, pour rappeler que le moment était venu d'employer les grands moyens, comme on le lui avait promis, c'est-à-dire la force des armes et non plus seulement la persuasion de la diplomatie[145]. Que faire en de pareilles conjonctures ? On eut d'abord recours au procédé en usage à Rome dans toutes les crises, à une procession et à des prières. Comme au début du pontificat de Grégoire le Grand, le cortège se déroula à travers la ville en chantant des psaumes : il escortait l'image du Christ que des prêtres et le pape lui-même portaient sur leurs épaules, pieds nus ainsi que tout le peuple. Arrivés à l'église de la Mère de Dieu, tous les assistants mirent de la cendre sur leur tête, et, avec de grands gémissements, implorèrent la miséricorde divine, tout en rappelant l'accord qu'Aistulphe avait détruit[146]. Ni les supplications adressées à Dieu, ni les innombrables présents envoyés au roi des Lombards ne furent efficaces, et c'est alors que le pape écrivit à Pépin pour le prier d'envoyer en Italie des missi qui le conduiraient en France.

Etienne II avait temporisé aussi longtemps qu'il avait pu le faire sans danger, et son biographe rapporte qu'il se tourna vers le roi des Francs le jour seulement où il vit qu'il n'y avait aucun secours à attendre de l'empereur[147]. Encore le pape n'était-il pas décidé à passer les Alpes, même après la réponse favorable de Pépin et l'arrivée des envoyés francs, Chrodegang, évêque de Metz, et le duc Autchaire[148] : la mission impériale dont il se chargea d'abord auprès d'Aistulphe. et dont presque tous les détails sont à retenir, le prouve suffisamment. L'empereur, qui était Constantin V, persistait à penser, malgré tout, qu'une diplomatie active et habile pourrait donner des résultats, et il avait répondu aux dernières demandes du pape en lui enjoignant de se rendre aussitôt auprès du roi lombard et de lui réclamer les villes de l'exarchat[149]. Accompagné par le silentiaire Jean qui lui avait communiqué les instructions de son maître, le pape se rendit à Pavie, où il fut reçu par le roi ainsi que le silentiaire ; Chrodegang et Autchaire étaient, sinon à l'entrevue, du moins dans la ville. Fidèle à l'ordre qu'il avait reçu, Etienne conjura Aistulphe de restituer ce qu'il avait pris ; puis le légat impérial prit la parole dans le même sens et remit les lettres dont il était porteur. Aistulphe aurait pu céder. Le voyage de France l'inquiétait beaucoup ; deux fois il demanda au pape s'il persistait dans sa résolution, et même il chercha secrètement à ren détourner. Etienne répondit que telle était sa volonté et qu'il partirait dès qu'il serait libre[150].

Il est clair que le représentant de l'empereur connaissait la tentative qui allait être faite auprès de Pépin et qu'il n'y voyait aucun inconvénient, puisqu'il assista à tout ce débat sans faire entendre aucune protestation ou réserve[151] ; il est infiniment probable aussi que, si Aistulphe s'était soumis, cette tentative ne se serait point produite, n'ayant plus sa raison d'être. Mais Aistulphe ne voulut faire aucune concession. Alors Jean s'en retourna, tandis que le pape, accompagné par les deux Francs, s'acheminait vers les défilés des Alpes[152]. Tout, comme on le voit, indique une démarche collective dont l'issue était prévue et acceptée de tous. Dans l'accomplissement de sa mission en France, Etienne ne s'écarta pas davantage de la ligne de conduite qui lui avait été tracée. A Ponthion, où il rencontra Pépin, il demanda à celui-ci de faire rendre à la. République l'exarchat de Ravenne, tous ses droits et tous ses territoires[153], et, quand un an après, conduisant le roi des Francs avec lui, il parut de nouveau devant Pavie, non plus en suppliant, mais en vainqueur, il fit promettre à Aistulphe d'abandonner Ravenne et les cités voisines, s'en tenant jusqu'au bout à la lettre des instructions impériales, demandant exactement les territoires dont il avait mission officiellement de poursuivre la restitution (Sept.-Octob. 754[154].)

On verra dans la suite quel brusque changement se produisit alors dans la politique pontificale. Jusque-là, rien de nouveau n'avait été fait. Les appels adressés par la papauté aux princes carolingiens appartenaient à la même série que les invocations adressées naguère aux rois mérovingiens Childebert Ier et Childebert II, et sur la nature desquelles aucun doute ne saurait être permis. Quand Vigile et Pélage sollicitaient le secours des Francs contre les Goths et les Lombards, il est bien entendu qu'ils n'avaient aucune mauvaise intention à l'égard de l'empire ; il s'agissait au contraire de grossir par un moyen commode les armées de Justinien et de Maurice, et de contribuer à la défense de l'Italie byzantine. Si l'on avait recours aux Francs plutôt qu'à d'autres, c'était à cause de leur bravoure bien connue, de la communauté des croyances de leurs rois avec celles des empereurs, et parce que défendre Rome était leur fournir l'occasion de défendre la ville d'où l'Empire était sorti[155]. Au VIIIe siècle encore, la chancellerie de Constantinople, gardienne scrupuleuse des traditions, conservait soigneusement ses prétendus droits à la suzeraineté nominale de l'Occident, quelque périmés qu'ils fussent, et elle n'oubliait pas que l'alliance franque avait été jadis une arme précieuse contre les Lombards[156]. Ce sont ces souvenirs positifs qui guidèrent en partie Grégoire III et Etienne II. Ce dernier n'avait-il pas des droits particuliers à la reconnaissance de l'ancien maire du palais, auquel il avait facilité quelques années avant l'accès de la royauté[157] ? Donnant, donnant : le roi avait eu jadis besoin du pape, et le concours de celui-ci ne lui avait point fait défaut : maintenant le pape avait besoin du roi, et il allait à lui plein de confiance.

Le patriciat que Charles Martel reçut peut-être, et dont Pépin fut honoré par Etienne II lors du voyage de France, ne différait pas de celui que les empereurs prodiguaient depuis des siècles aux rois barbares[158]. Il avait la même origine. C'était une dignité exclusivement byzantine, créée par Constantin et conférée à ceux qui avaient rempli les plus hautes charges de l'État ; des fonctionnaires délégués à cet effet remettaient au nouveau patrice les insignes auxquels il avait droit, le manteau, l'anneau, le cercle d'or. Il ne faut donc pas considérer le patriciat comme une magistrature ordinaire, mais comme un titre honorifique qui pouvait être porté avec celui de consul ou de duc. Le nombre des titulaires n'était pas limité, et c'est pourquoi un si grand nombre de barbares reçurent le patriciat, en particulier Odoacre, Théodoric et Sigismond[159]. Il est vrai que Pépin fut appelé d'une manière plus précise patrice des Romains[160], ce qui a permis de supposer qu'il s'agissait d'une fonction véritable, soit de la préfecture de la ville, soit de cette charge de duc de Rome dont le titulaire était toujours consul et quelquefois patrice ; mais rien n'est plus contestable qu'une pareille interprétation[161]. Remarquez que Pépin ne vint jamais à Rome, qu'il ne prit jamais dans ses diplômes le titre de patrice des Romains, que le biographe d'Étienne II ne parle même pas du patriciat, et qu'enfin dans la correspondance pontificale il n'est jamais question des droits attribués à son possesseur. Comment admettre, dans ces conditions, que le roi des Francs ait obtenu une part réelle dans l'administration de la ville[162].

Que les papes n'aient nullement songé à rompre avec les empereurs, quoi de plus naturel d'ailleurs, et combien l'hypothèse contraire parait invraisemblable ! Romains pour la plupart[163], sortis de cette race de paysans, robuste, pleine de bon sens, solide d'esprit, qui avait donné à l'Italie ses administrateurs et ses soldats. ils étaient incapables d'oublier aussi vite les liens qui les unissaient à Constantinople. On a dit des papes du VIIe siècle, persécutés et restés quand même fidèles à l'empire, qu'ils montrèrent combien c'est une chose formidable que de rompre avec un pouvoir antique, avec un principe d'ordre, même ruiné par ses propres excès[164]. On peut en dire autant des pontifes contemporains de Charles Martel et de Pépin. Pour eux encore il y avait entre les Byzantins et les Francs une différence sensible de prestige, de passé et de gloire. Enfin, l'on n'a pas assez observé que, si les sentiments religieux de la nation franque leur inspiraient une confiance absolue, ils ne pouvaient trouver son attitude politique suffisamment nette dans la question lombarde.

Il y avait eu dès l'époque mérovingienne des projets d'alliance entre les Lombards et les Francs, et le pape Pélage avait, à cette occasion, chargé Anna tins, évêque d'Auxerre, de détourner Childebert II d'une entente avec l'odieux ennemi de la papauté[165]. Ces projets aboutirent sous le premier des Carolingiens. Charles Martel, voulant chasser les Sarrasins qui avaient envahi la Provence, pris Arles et désolé tout le pays, sollicita l'aide de Liutprand. Le roi lombard accourut sans retard avec une forte armée, expulsa les Sarrasins et revint loyalement chez lui, sans avoir cherché à profiter de sa conquête pour agrandir ses États. Même, si l'on en croit Paul Diacre, Liutprand aurait adopté un fils de Charles, probablement celui qui devint le roi Pépin[166]. La reconnaissance la plus élémentaire défendait par conséquent à Charles Martel de répondre à l'appel de Grégoire III, et c'est pourquoi il se borna à recevoir les légats pontificaux avec de grands honneurs et à les renvoyer chargés de présents[167]. Plus éloigné des évènements, Pépin se montra plus disposé à les oublier, mais il n'en fut pas de même de l'aristocratie franque, et Etienne II le savait bien, comme le prouvent toutes les précautions qu'il prit pour se concilier ceux qu'il nom-tuait ses très sublimes fils, les glorieux ducs des Francs[168]. Le propre frère du roi, le moine Carloman, vint d'Italie pour combattre le principe de l'expédition, et l'influence du vaillant soldat sur les nobles qu'il avait si souvent conduits à la victoire parut assez dangereuse pour que le roi, d'accord avec le pape, le fit arrêter immédiatement et jeter dans un couvent de Vienne[169]. Pendant la marche, les plus fidèles compagnons de Pépin, ceux qu'il avait l'habitude de consulter, menacèrent de l'abandonner et de rentrer chez eux, et lorsque l'armée fut arrivée devant Pavie, Aistulphe n'eut qu'à demander la paix pour l'obtenir, avec l'appui des nobles et des prêtres francs. Le pape fut très mécontent, et, dans la suite, il reprocha amèrement à Pépin de ne l'avoir pas écouté, d'avoir cru au mensonge plus qu'à la vérité, de s'être laissé tromper par des gens qui se jouaient et se moquaient de lui[170].

Telle était la situation respective de l'Empire, de la papauté et de la royauté franque, quand, à la suite de l'expédition lombarde de 554, se produisit enfin un fait nouveau dont les conséquences devaient être grosses pour l'avenir, la formation de l'État de Saint-Pierre.

 

V

La formation de l'État de saint Pierre et l'évolution de la politique pontificale après 751. Condition de Rome et de l'Italie à la mort de Pépin le Bref (768).

 

Depuis longtemps la papauté possédait, grâce à des donations successives, de nombreux et riches domaines épars çà et là, qui constituaient en fait un véritable État et dont les différentes parties étaient connues sous le nom de patrimoines. Une grande partie de la Sicile lui appartenait ainsi, et elle avait en outre d'immenses propriétés dans la Calabre, l'Apulie, le Samnium, la Campanie, la Lombardie, la Corse, la Sardaigne, le nord de l'Afrique, l'Illyrie, le sud de la Gaule[171]. Ces patrimoines subsistaient toujours, fortement endommagés, il est vrai, par les Lombards et les Grecs, quand Etienne II se rendit à Pavie, puis en France, pour obtenir, conformément aux ordres de l'empereur, la restitution de l'exarchat de Ravenne envahi par les Lombards. Pépin lui promit, ainsi qu'on sait, de faire ce qu'il souhaitait, et devant Pavie il tint parole ; mais alors il arriva quelque chose d'extraordinaire : le roi des Francs, au lieu de remettre l'exarchat à l'empereur, comme il fallait s'y attendre, le confia directement, et en vertu d'une donation écrite, à saint Pierre[172]. Le pape devint le possesseur immédiat de la province impériale et se considéra comme tel dans son langage et dans ses actes[173]. L'expression de République des Romains, qui désignait auparavant l'Empire ou la fraction du territoire italien soumise en droit à l'empereur, changea de sens pour désigner l'État constitué au profit du Saint-Siège : le peuple romain devint le peuple pontifical, et la République romaine la sainte République de l'Église de Dieu[174]. L'attitude du concile général, qui se tenait alors à Constantinople et où 338 évêques qualifièrent le culte des images d'œuvre de Satan, n'avait pas été étranger à la décision de Pépin et à l'acceptation du pape[175].

Il est probable que le gouvernement byzantin ne comprit pas ce qui venait de se passer ; peut-être même l'ignora-t-il, car la donation faite en principe ne fut pas exécutée. Après le départ des Francs, Aistulphe refusa obstinément de livrer un seul pouce de terre[176]. C'est seulement au début de l'année 556, quand Pépin irrité de la mauvaise foi du roi des Lombards eut manifesté son intention d'entreprendre une nouvelle expédition au-delà des Alpes, que l'on vit arriver en Occident une ambassade composée du proto-secrétaire Georges et du silentiaire Jean. L'attitude incertaine et sceptique des envoyés impériaux montre bien qu'ils n'étaient pas très exactement renseignés sur les nouveautés étranges dont ils entendaient parler. Ils allèrent à Rome voir le pape qui les reçut et leur annonça sans embarras l'arrivée prochaine du roi des Francs. Ils ne voulurent pas le croire et s'embarquèrent pour la Gaule, afin d'y trouver Pépin qu'ils avaient mission de rejoindre. Le pape eut soin de les faire accompagner par un de ses légats évidemment destiné à combattre leur influence sur le roi, mais, arrivés à Marseille, les trois ambassadeurs apprirent que l'armée franque venait d'entrer en Lombardie. Bien que très affectés par cette nouvelle, les Byzantins ne perdirent pas un instant. Tandis que le légat pontifical était retenu à Marseille, le proto-secrétaire Georges se rendit rapidement auprès de Pépin qu'il rencontra non loin de Pavie. Le moment était décisif. Le nouveau traité avec Aistulphe n'était pas encore signé : la donation de 754 restait toujours lettre morte ; l'aristocratie franque était dans les mêmes dispositions favorables aux Lombards que deux ans auparavant, et c'est encore à l'intervention des prêtres et des grands qu'Aistulphe allait devoir son salut et celui de ses États[177]. L'ambassadeur grec adjura Pépin de replacer la ville de Ravenne et les autres cités de l'exarchat sous la domination impériale[178]. Pépin répondit qu'il n'avait aucune raison d'enlever ces cités à l'église romaine et au pontife du siège apostolique, et qu'aucun trésor ne pourrait le décider à reprendre ce qu'il avait déjà offert à saint Pierre, puis, après la défaite d'Aistulphe, il confirma par écrit la donation de 754, en y ajoutant la ville de Comacchio[179].

La joie du pape fut immense. L'abbé de Saint-Denis, Fulrad, qui avait été chargé de rassembler les clefs de Ravenne et des autres cités de l'exarchat et de les déposer, ainsi que le texte de la donation, sur le tombeau du prince des Apôtres, fut comblé d'honneurs et de présents[180]. L'intervention des ambassadeurs grecs avait eu pour unique effet de préciser la situation et de montrer clairement que Pépin ne s'occupait point des intérêts de l'Empire, qu'il ne voulait défendre que ceux de saint Pierre et de son représentant. En même temps, un rapprochement plus intime s'accomplissait entre les deux principaux chefs de l'Occident chrétien. Le roi franc prenait l'église romaine sous sa protection, et ceci résultait des conditions particulières dans lesquelles Pépin fut élevé au souverain pouvoir.

D'après les lettres des papes et surtout celles de Grégoire le Grand, les rois catholiques avaient envers le Saint-Siège des obligations communes, mais ces obligations incombaient spécialement aux rois des Francs considérés comme les plus catholiques de tous[181]. Les Carolingiens en héritèrent naturellement : l'onction vint les augmenter. L'huile sainte n'était utilisée que dans les pays de rite gallican, et elle était réservée aux prêtres et aux évêques ; seul un roi des Goths d'Espagne l'avait reçue par une réminiscence certaine de la Bible, où il est souvent parlé de l'onction des rois. Chez les Francs, elle n'était pas employée ; l'usage d'élever sur le bouclier existait seul, et encore n'avait-il lieu que dans certains cas[182]. Lorsque Pépin eut été acclamé par l'assemblée de sa nation, les évêques l'oignirent avec le saint chrême, comme un prêtre. Etienne II renouvela la cérémonie dans la basilique de Saint-Denis, en y faisant participer les jeunes fils du roi, Charles et Carloman ; puis il déclara la nouvelle dynastie éternelle et fit jurer aux Francs de ne jamais choisir un roi en dehors de cette famille, qui avait été élevée par la divine piété et consacrée, grâce à l'intercession des Saints Apôtres, par les mains de leur propre vicaire, le souverain pontife[183]. A n'en point douter, le pape avait trouvé là un moyen de régulariser et de consolider la situation mal établie du défenseur qu'il voulait donner à l'Italie et à Rome, et d'assurer l'hérédité monarchique dans la famille carolingienne ; mais, en fondant cette hérédité sur une cérémonie religieuse inusitée auparavant, il avait fait de la royauté carolingienne une royauté ecclésiastique, émanée de Dieu : il lui avait donné un caractère que la royauté franque- n'avait jamais eu[184]. C'est pourquoi le Liber pontificalis, qui reste muet sur la collation du patriciat, parle de l'onction, et si, dans le Codex carolinus, il n'est jamais question, ni à ce moment-là, ni plus tard, des devoirs de Pépin envers le siège apostolique comme patrice des Romains, il y est sans cesse question des devoirs qu'a contractés vis-à-vis de l'Église romaine le prince devenu l'oint du Seigneur[185].

Toutes les lettres écrites par les papes à l'époque des donations et dans les années qui suivent, jusqu'à la mort de Pépin, sont remplies de déclarations de ce genre, conçues presque toujours dans les mêmes termes, et qui, réunies, forment un véritable corps de doctrine. C'est saint Pierre en personne qui a donné à Pépin l'onction royale[186]. Par l'entremise du prince des Apôtre, Dieu a placé le roi des Francs au-dessus de la foule des peuples et de la multitude des nations, afin que par lui la Sainte-Église fût exaltée[187] ; il l'a constitué le libérateur et le défenseur de cette Église et de la province rachetée par lui[188]. Ainsi l'affermissement de la royauté carolingienne par le sacre et la création de l'État de saint Pierre apparaissent comme cieux événements indissolubles qui ont consacré d'une manière définitive l'union de la papauté avec la royauté franque, en préparation depuis des siècles, mais empêchée jusque-là par la persistance chez les Francs de certains usages hérétiques ou simoniaques. Désormais les Carolingiens ont, par rapport à l'Église romaine, un devoir de protection éclairée qui peut devenir un droit. Voilà comment le règne de Pépin annonce l'approche de temps nouveaux. Il y avait eu déjà quelque chose d'anormal, sinon dans l'intention d'Etienne II d'aller chercher des secours au-delà des Alpes, du moins dans ce fait que, pour la première fois depuis la création du siège apostolique, un pape quittant l'Italie portait ses pas du côté de l'Occident et non de l'Orient[189]. La décision prise par Pépin de répondre à l'appel du pape entraînait de telles conséquences qu'elle faisait époque dans toute la force du terme : elle donnait une direction décisive à la politique franque et à l'histoire des siècles suivants[190].

Est-ce à dire qu'il y eût pour l'instant quelque chose de changé au droit public impérial tel qu'il avait existé en Occident sous de nombreuses générations ? Il est facile de prouver le contraire. La protection de l'Église romaine étant dévolue au roi des Francs en vertu de la royauté et non du patriciat, d'une cérémonie religieuse et non d'un acte politique, aucune atteinte n'était portée de ce côté aux privilèges impériaux : le pape n'était coupable d'aucune usurpation et d'aucune illégalité. Au contraire, les donations étaient illégales, car il n'est pas douteux que l'empereur seul pouvait disposer d'une partie de son empire : mais, tout en recevant le magnifique présent que Pépin leur avait fait, les papes n'avaient pas entendu nier la suzeraineté impériale. La chancellerie pontificale continuait à employer, dans ses relations épistolaires avec les empereurs, les moines formules de respect que par le passé, et à compter les années par les années de leur règne ; Constantinople était toujours la capitale, et l'on ne saisit aucune différence entre les usages du Ville siècle et ceux du VIe ou du VIIe[191]. L'avènement de Paul Ier, qui succéda à Etienne II, correspondit à une recrudescence de la persécution contre les images ; Constantin Copronyme poursuivit ceux qui les vénéraient avec un acharnement qui rappelait aux catholiques le temps de Dioclétien ; en même temps, il s'allia aux Lombards pour envahir et reprendre l'exarchat[192]. Suivant la tradition de la cour romaine, Paul Ier se tint rigoureusement sur le terrain religieux ; comme Grégoire III et Zacharie, il adressa des prières et des avertissements[193]. Son successeur Etienne III en fit autant[194].

La conception politique à laquelle on aboutissait alors en Occident, voulue par les papes, acceptée par les Romains et les Francs, était au fond très simple. La papauté trouvait tout naturel d'avoir reçu la possession officielle des territoires qu'elle administrait, défendait ou protégeait depuis cent cinquante années, et qui, sans elle, seraient tombés aux mains des Lombards. On a supposé qu'elle voulait constituer au centre de l'Italie un État analogue à ces états vassaux, autonomes de fait, mais qui reconnaissaient cependant la suprématie impériale, que l'on rencontre dans l'histoire de l'Empire byzantin[195]. Cette hypothèse s'accorde parfaitement avec les faits qui nous montrent la papauté employant tous ses efforts, d'une part à se concilier les empereurs, d'autre part à conserver la paix entre les Romains, les Lombards et les Francs. Grâce à l'État romain devenu une sorte d'état-tampon, elle espère visiblement fixer la géographie politique de l'Italie constamment bouleversée depuis l'invasion d'Alaric, rendre aux habitants la tranquillité dont ils ont perdu le souvenir, satisfaire les intérêts de tous et les siens.

Et pourquoi ce projet ne réussirait-il pas ? L'hostilité des Lombards, si violente qu'elle soit, peut s'atténuer à la longue. Les Lombards sont maintenant catholiques, et ils ont prouvé la sincérité de leur foi en refusant l'alliance que Léon l'Isaurien leur proposait contre le pape au lendemain de l'édit sur les images[196]. Dans les pays occupés par eux, et où ils sont en contact avec les Romains, les rapports avec ceux-ci sont généralement bons. Plusieurs papes ont cherché à traiter avec leurs rois, et Zacharie a obtenu de Liutprand et de Ratchis une trêve de quarante ans[197]. Aistulphe a brisé cette trêve presque aussitôt et s'est montré intraitable, mais la mort l'a frappé en 757, et l'enfer a reçu dans son gouffre ce tyran, suivant du diable, avide du sang des chrétiens, destructeur des églises de Dieu[198]. Son successeur, Didier, qui doit en partie son élévation à la papauté, est plein de bonnes paroles ; il promet, sous la foi d'un terrible serment, d'achever la donation qui n'est pas encore entièrement exécutée et témoigne un ardent désir de vivre en paix avec le peuple romain[199]. Les papes le croient. Paul Ier et Etienne III écrivent successivement à Pépin pour lui faire part des excellentes intentions du roi des Lombards et le recommander à son amitié[200].

Pépin est heureux d'apprendre les dispositions favorables de Didier, car le parti lombard est toujours puissant à sa cour, et le fils de Charles Martel ne demande qu'à être dispensé de passer les Alpes et de faire une troisième fois la guerre aux anciens alliés de son père[201]. Content de sa royauté, il lui suffit d'être l'associé spirituel du pape et le chef du peuple élu[202]. A ce moment suprême de sa vie, la situation du roi des Francs parait singulièrement grandie. L'affaire des donations a pu le compromettre un instant aux yeux des Byzantins, mais peu à peu ses relations avec Constantinople se sont améliorées et il a paru l'arbitre désigné dans la question des images. Grâce à lui, la papauté espère une réconciliation religieuse prochaine avec l'Empire. Des négociations sont engagées sous sa médiation ; des envoyés impériaux et pontificaux discutent en sa présence les textes des Pères comme devant le représentant de l'orthodoxie et le dépositaire de la vraie foi[203]. Le pape lui communique soigneusement les lettres des évêques d'Orient restés fidèles, qui le renseignent sur l'état de la lutte contre l'hérésie[204]. En 767, l'année qui précède sa mort[205], il tient à Gentilly un grand synode où les deux églises sont représentées, et si les procès-verbaux des résolutions qui furent prises ne nous sont point parvenus, l'on sait de source certaine que le débat eut toute l'ampleur désirable, porta sur la Trinité et les images[206]. Vers la même époque, le pape avouait à l'un de ses familiers qu'il croyait avoir réalisé son rêve, et, grâce à son système, donné la paix, non seulement à la province romaine et à l'exarchat devenus ses biens propres, mais à l'Italie toute entière[207].

 

 

 



[1] MIGNE, P. L., t. LIX, p. 42. L'obligation pour l'empereur d'obéir aux ordres de l'Église en matière de dogme est affirmée avec une égale énergie par tous les grands papes de l'époque, Félix III, Grégoire le Grand, Grégoire II (MIGNE, P. L., t. LVIII, col. 950, t. LXXXIX, col. 511, 521 ; GREG. MAGN., Epist. IV, 20, 47).

[2] Pour tout le chapitre qui suit, consulter BURY, History of the later Roman Empire. — Le point de vue est très différent du nôtre, mais la défense de la politique byzantine est remarquablement présentée.

[3] PROCOPE, De bello gothico, I, 21.

[4] DIEHL, L'Administration byzantine dans l'exarchat de Ravenne, p. 2, 3 ; L'Afrique byzantine, p. 98.

[5] PROCOPE, Historia arcana, 5.

[6] PROCOPE, De bello vandalico, I, 16. II, 3-4, 12, 14, 16. — Le tableau de la condition des Africains, tel que Procope l'a peint à la fin de son livre, est lamentable ; on voit les Maures pillant à leur aise les champs abandonnés, les habitants épargnés par le fer fuyant dans les villes ou en Sicile, les principaux citoyens cherchant un asile à Byzance et les soldats romains se faisant pour finir les complices des envahisseurs (De bello vandalico, II, 23, 28). Il y a dans l'Historia arcana, 18, un autre tableau encore plus noir que celui-là, mais la haine de l'auteur contre Justinien rend ici son témoignage suspect. — Sur le gouverneur Salomon, bon administrateur et excellent général, mais dur et exigeant dans le service, peu aimé des soldats, voir DIEHL, L'Afrique byzantine, p. 75.

[7] PROCOPE, De bello gothico, III, 1, 3, 6, 9.

[8] Le gouvernement impérial n'attendit même pas que les Barbares fussent définitivement chassés de l'Italie pour y établir ses impôts. Voir à ce sujet le discours que Procope place dans la bouche de Totila rentré dans Rome à la suite des hasards de la guerre. Après avoir fait un éloge habile de l'administration ferme et impartiale de Théodoric et d'Athalaric, le roi demande aux Romains quel mal les Goths leur ont fait et quel bien Justinien leur a fait : l'empereur leur a envoyé des logothètes qui les ont accablés d'impôts dans la guerre comme dans la paix (PROCOPE, De bello gothico, III, 21 ; De bello vandalico, II, 8 ; Hist. arcana, 18).

[9] PROCOPE, De bello gothico, III, 1.

[10] GREG. MAGN., Epist. V, 41, 42. X, 26, 69.

[11] L. P. Vitalianus, 6.

[12] Auctarii havniensis extrema, 4. — PROCOPE, De bello vandalico, II, 22 ; Historia arcana, 7.

[13] Sur l'origine populaire des Dialogues de Grégoire le Grand et la manière dont ils furent recueillis, voir la préface du livre Ier et les lettres de ce pape (GREG. MAGN., Epist. III, 41, MIGNE, P. L., t. LXXVII, col. 153). — A l'exception du livre II, consacré aux miracles de Saint-Benoît et qui se trouve placé au t. LXXVI de la Patrologie latine de Migne, les Dialogues de Grégoire le Grand sont au t. LXXVII de la même collection. — Cf. ÉBERT, Histoire de la Littérature du Moyen-âge en Occident, t. I, p. 582 sq.

[14] GREG. MAGN., Dialog. III, tr, 12, 13, 18, etc. — L'injustice envers ce prince a presque été aussi grande qu'envers Théodoric, dont il chercha reprendre la politique. Lorsqu'il rentra dans Rome la première fois, il se signala par sa modération envers les habitants qui ne s'y attendaient guère et ne la méritaient pas. L. P. Vigilius, 7. Cf. PROCOPE, De bello gothico, III, 1, 6, 13, 30, et MARCELLINI, Chron., p. 108. — Sur la politique de Totila et les sentiments que lui inspira la vue de Rome, v. L. M. HARTMANN, Das italienische Königreich, t. I, p. 302 sq.

[15] Il est certain qu'au moins dans le début, les Lombards s'attaquèrent de préférence aux églises et souillèrent les autels et les objets du culte (Lettre de Pélage II à Annarius, évêque d'Auxerre, dans les Epist. œvi. merov., p. 449. — GREG. MAGN., Dialog. I, 4). — Bien que la reine Théodelinde et son fils eussent adopté la foi catholique (GREG. MAGN., Epist. XIV, 12), la religion des Lombards était l'arianisme, et beaucoup de païens figuraient encore dans leurs rangs ; c'est sous Luitprand seulement, au début du vine siècle, qu'ils vinrent définitivement au catholicisme (BREYTON, Remarques sur la conquête franque en Lombardie, p. 6). Sur les dévastations qu'ils commirent en général, v. GREG. MAGN., Dialog., III, 11, 27, 28, 37, 38, et Homel. ad Ezechiel, II, 6, 22. (MIGNE, P. L., t. LXXVI, col. 1010). En conclusion, Grégoire déclare : eversæ urbes, castra eruta, ecclesiæ destructæ ; nullus terram nostram cultor inhabitat (Dialog., III, 29).

[16] Sur la décadence économique de la ville de Rome au VIe siècle, v. GRAF, o. c., t. I. p. 44 sq., et GREGOROVIUS, Geschichte der Stadt Rom im Mittelalter, début du t. II.

[17] GREG. MAGN., Epist. I, 31. — Comme Orientius au temps des invasions vandales, Grégoire en arrive à croire la fin du monde prochaine (Epist. III, 29 ; IX, 123 ; XI, 66). Il est parmi les glaives des Lombards : telle est l'expression qui se trouve à chaque instant sous sa plume (Epist. V, 21, 40, XII, 38).

[18] GREG. MAGN., Dialog. III, 27, 28. — Lettre d'Étienne II aux fils de Pépin (Codex carol., 45).

[19] GREG. MAGN., Epist. V, 40, ad Mauricium imper. — DIEHL (L'Administration byzantine dans l'exarchat de Ravenne, p. 8, note 7) estime qu'il n'est point prouvé que Narsès ait appelé les Lombards en Italie. Malgré l'autorité du savant historien de l'Italie byzantine, on peut cependant invoquer à l'appui de l'opinion contraire des témoignages importants (PROCOPE, De bello gothico, IV, 33) et le Continuateur de PROSPER, dont la valeur ici est considérable en raison de ses attaches italiennes, déclarent formellement que les Lombards furent invités par Narsès à passer les Alpes (Auctarii havn. extrema, 4). Tel est l'avis de l'abbé DUCHESNE (L. P., t. I, p. 307, note 7). L'opinion de GREGOROVIUS (t. I, p. 469) reste incertaine.

[20] PROCOPE, De bello gothico, III, 33. — AGATHIAS, I 4. — L'empire byzantin ne cessa de considérer les royaumes barbares comme des vassaux sur lesquels s'exerçait sa suzeraineté, et il n'attendait qu'une occasion pour établir sur eux son autorité réelle. (GASQUET, L'Empire byzantin et la monarchie franque, p. VIII, 43. — DIEHL, L'Administration byzantine dans l'exarchat de Ravenne, p. 203).

[21] ISIDORI, Chron., 46-47. — GREG. TUR., Hist. eccl., V, 38.

[22] GREG. TUR., Hist. eccl., VI, 24, 26. VII, 10, 26-28, 31-39. 40-43. Cf. DIEHL, L'Administration byzantine dans l'exarchat de Ravenne, p. 205 sq., et GASQUET, L'Empire byzantin et la monarchie franque, p. 183 sq., le chapitre intitulé : L'empereur Maurice et l'aventure de Gondovald. — On a cherché à prouver par la numismatique que Gondovald n'a point été un agent de la politique impériale en Provence (ROBERT, La prétendue restauration de Maurice Tibère, Imprimerie nationale, 1884), et en effet il est certain que les monnaies du type de Maurice ne sauraient lui être attribuées : mais les textes de Grégoire de Tours subsistent.

[23] PROCOPE, De ædificiis, VI, 5-7. — DIEHL, L'Administration byzantine dans l'exarchat de Ravenne, p. 199 sq. ; L'Afrique byzantine, p. 144 sq. — L. M. HARTMANN, Untersuchungen zur Gesehichte der byzantinischen Verwaltung in Italien, p. 52 sq.

[24] Ainsi Justin II fut incapable de protéger l'Occident parce que la guerre de Perse absorbait tous ses soins (MÉNANDRE, I, 25). Bien qu'âgé, malade, ayant perdu le goût de la guerre, il réussit quand mente tenir l'ennemi en respect par le moyen de ses ambassadeurs : les grands discours qui rappelaient la gloire du nom romain faisaient toujours leur effet. On en trouvera un échantillon intéressant dans MÉNANDRE, II, 3.

[25] Auctarii hacniensis extrema, 21-22.

[26] Procope signale le résultat des excès commis en Italie par le logothète Alexandre (De bello gothico, III, 1).

[27] Sur la distinction géographique entre l'empire d'Orient et l'empire d'Occident, voir PROCOPE, De bello vandalico, I, 1. — Grégoire le Grand exposant l'ordre qu'il va suivre dans ses dialogues, déclare qu'il racontera successivement les crimes des ariens en Italie, en Espagne et en Afrique (GREG. MAGN.,  Dialog. III, 30) Grégoire de Tours désigne en bloc les habitants de l'empire byzantin sous le nom de Grecs, et les contrées où ils demeurent sont les partes Orientis (GREG. TUR., Hist. eccl., V, 38. VII, 31, 32). Sans doute les Byzantins se considèrent toujours comme des Romains (MARCELLINI, Chron., p. 92, 96, 103, 107), et leur armée est le Romanus exercitus, mais dès le Ve siècle ils savent distinguer à l'occasion les Romains d'Orient et ceux d'Occident (PRISCOS, 1, 4, 5, 7).

[28] PAPARIGOPOULO, Histoire de la Civilisation hellénique, p. 313 sq. — GASQUET, L'Empire byzantin et la monarchie franque, p. 15 sq. — DIEHL, L'Administration byzantine dans l'exarchat de Ravenne, p. 380-386. — KURTH, Origines de la Civilisation moderne, t. I, p. 185. — HUTTON, The Church of the sixth Century, p. 342.

[29] Voir dans PRISCUS, II, 3, le récit d'une entrevue d'ambassadeurs byzantins avec des officiers d'Attila. De chaque coté on exalte son prince, ici Attila, lé Théodose II. Les Romains protestent énergiquement, disant qu'Attila est un homme tandis que Théodose est un Dieu. La doctrine n'avait point changé depuis cette époque déjà lointaine.

[30] GREG. MAGN., Espist. VII, 30, 33, 40. — Un décret de Phocas, le successeur de Maurice, dont l'avènement fut salué par Grégoire avec des cris d'allégresse (Epist., XIII, 38, 39), aurait reconnu au pape le titre exclusif de chef des églises, mais ce décret connu seulement par un texte vague du L. P. (Bonifatius III, 1), n'avait pas grande valeur, émanant d'un prince en complet désaccord avec ses sujets de Constantinople et détesté par eux à cause de ses crimes. En tout cas, il ne fut jamais appliqué eu Orient.

[31] Tous les textes essentiels sur ce sujet ont été réunis et commentés par DIEHL, L'Administration byzantine dans l'exarchat de Ravenne, p. 179, 257 sq. — L'intervention impériale dans les élections pontificales était si bien devenue une règle, un usage (consuetudo), un droit, que le L. P. signale les cas dans lesquels elle ne s'est point produite (Pelagius, 1. — Vitalianus, 1). Avant le pontificat de Benoit II, 684-685, les pièces étaient envoyées à Constantinople ; à partir de cette date elles furent transmises à l'exarque qui prononça (L. P. Benedictus, 3. — DUCHESNE, Notes du L. P., t. I, p. 364, n. 4, p. 370, n. 5. — L. M. HARTMANN, Untersuchungen, p. 31). Le modèle de ces pièces nous a été conservé par le Liber diurnus (Éd. de ROZIÈRES, p. 103-118).

[32] PAPARIGOPOULO, Histoire de la Civilisation hellénique, p. 313-315. — Lettre du pape Félix à l'empereur Zénon (MIGNE, P. L., t. LVIII, col. 899).

[33] L. P. Iohannes I, 1. Or les notices sur Hormisdas et Jean Ier sont l'œuvre d'un contemporain (DUCHESNE, Introd. au L. P., t. I, p. XLI). L'espoir dans la dynastie slave fut d'autant plus grand que l'Occident tout entier avait été navré de douleur en voyant Anastase remettre en question les décrets de Chalcédoine (JAFFÉ, Reg. n° 622, 632, 761-762, 771-791, lettres des papes Gélase, Symmaque et Hormisdas, à Anastase, pour le conjurer de rendre l'unité à l'Église, et aux évêques d'Orient pour les exhorter ut ad petram, supra quam fundata est ecclesia revertantur ; L. P., t. I, vies des papes qui ont vécu de 491 à 518. La mort d'Anastase et l'avènement de son successeur furent unanimement attribués à l'intervention de la divinité (L. P. Hormisdas, 5, 8 ; Anonymus Vales., 74-78 ; VICTOR TONNENNENSIS, p. 195-196). En Gaule, Fortunat composa un poème pour remercier Justin d'avoir consolidé la foi ébranlée : FORTUNATI, Carmina. Appendix II (Ad Justinum et Sophiam Augustos, vers 23-26). Cf. VICTOR TONNENNENSIS, Chron., p. 196.

[34] VICTOR TONNENNENSIS, Chron., p. 197.

[35] L. P. Johannes II, 2 ; Agapitus, 5. Après la victoire de Bélisaire sur les Vandales, l'empereur proscrivit immédiatement les cérémonies ariennes en Afrique (PROCOPE, De bello vandalico, II, 14). La reconnaissance de la papauté à son égard se manifesta par des lettres très expressives des papes Jean II et Agapet (JAFFÉ, Reg. n° 884, 894, 898 ; MIGNE, P. L., t. LXVI, col. 17, 37, 38).

[36] Les conflits de la papauté avec l'Empire sont connus principalement par le L. P. — BURY les a beaucoup trop négligés. LANGEN leur consacre 150 pages généralement exactes (Gesch. der römischen Kirche, p. 318 sq.).

[37] Sur l'activité théologique de cet empereur, consulter HUTTON, The Church of the Sixth Century et KNECHT, Die Religions Politik Kaiser Justinianus. Les questions de dogme, qu'il passait des nuits à étudier (HUTTON, p. 29), le préoccupaient parfois à tel point qu'il négligeait la sécurité des provinces (PROCOPE, De Bello gothico, III, 35). Il publia plusieurs édits traitant de matières théologiques, notamment en 565 l'édit sur l'incorruptibilité du corps du Christ (LIBERATI, Breviarium, 23 ; HÉFÈLÉ, Histoire des Conciles, t. III, p. 392 ; GASQUET, L'empire byzantin, p. 182).

[38] L. P. Agapitus, 1-2.

[39] L. P. Agapitus, 3 ; MARCELLINI, Chron., p. 105 ; LIBERATI, Breviarium, 21.

[40] L'influence factieuse, que Théodora exerça à ce point de vue sur son époux, résulte du témoignage unanime des sources. L'impératrice, qui avait reçu les leçons d'un monophysite, de Sévère, patriarche d'Antioche, était l'ennemie du concile de Chalcédoine, et dès le début elle travailla à préparer le triomphe du parti auquel elle appartenait, Ce fut elle ceci lit élever au patriarcat de Constantinople Anthime, évêque de Trébizonde et ami de Sévère. Elle eut le dessous dans cette affaire, par suite de la résistance d'Agapet qui vint à Byzance l'excommunier, mais elle se promit de prendre sa revanche avec son successeur. (L. P. Silverius, 6. — VICTOR TONNENNENSIS, Chron., p. 199. — HUTTON, The Church of the Sixth Century, p. 103, 151. — DERIDOUR, De Theodora Justiniani Augusti uxore, p. 45, sq., Paris, Thorin, 1877).

[41] VICTOR TONNENNENSIS, Chron., p. 200. — LIBERATI, Breviarium, 22. — Plus développé et très dramatique est le récit du L. P. On y voit Silvère comparaissant devant Antonina étendue sur un lit, tandis que son mari est assis à ses pieds, et c'est entre la fière patricienne et le pape que s'engage le dialogue à la suite duquel le pape est dépouillé de ses vêtements pontificaux et envoyé en exil (Silverius, 7-9).

[42] L. P. Vigilius, 3. La biographie de Vigile dans le L. P. a un caractère conventionnel ; elle ressemble beaucoup aux vies d'Agapet et de Silvère, et les propos échangés entre le souverain pontife et l'empereur sont les mêmes qui ont été attribués à celui-ci dans ses conversations avec les papes précédents. Toutefois le fond reste indiscutable. VICTOR TONNENNENIS (Chron., p. 200) dit que Vigile, avant d'être fait pape, dut promettre à Théodora la condamnation des trois chapitres. C'est ce qu'a fort bien montré DUCHESNE dans ses commentaires de la Vita Vigilii (L. P., t. I. p. 300) et dans un article sur Vigile et Pelage (Revue des questions historiques, t. XXXVI, p. 369 sq.). HUTTON, p. 102 sq., n'a fait que suivre ici l'étude de l'abbé Duchesne, qui est définitive.

[43] Lettre des clercs d'Italie (Epistolœ œvi merov. collectæ, 4, p. 438-412).

[44] L. P. Vigilius, 8. — MARCELLINI, Chron. Contin. (MIGNE, P. L., t. LI, col. 946-947).

[45] Sur la controverse monothélite, voir MALFATTI, Imperatori e papi, t. I, p. 191-234, et LANGES, Geschichte der römischen Kirche, p. 526 sq.

[46] MANSI, t. X, col. 863 sq., année 649.

[47] L. P. Martinus, 4.

[48] L'enlèvement de Martin par Calliopas, son voyage à Constantinople et sa mort en exil, sont connus par les lettres de Martin lui-même (MARTIN, Epist., 14, 15, 16, 17, dans MIGNE, P. L., t. LXXXVII, p. 198-205) et par une communication d'un clerc de sa suite destinée aux habitants de l'Occident (MIGNE, P. L., t. LXXXVII, p. 111-120). Pour la chronologie des événements, v. JAFFÉ, 2077-2081.

[49] DUCHESNE, L. P., t. I, p. 342, note 3.

[50] MANSI, t. XI, col. 183 sq.

[51] L. P. Constantinus I, 3-7. — Justinien II est appelé (§ 8) christionissimus et orthodoxus imperator.

[52] L. P. Constantinus I, 11. — Gregorius II, 5. — Cette peinture célèbre avait été enlevée quelques années auparavant par un empereur hérétique, Philippe Bardane.

[53] GREG. MAGN., Epist. III, 65, 66. VII, 29.

[54] DIEHL (L'Administration byzantine dans l'exarchat de Ravenne, p. 214 sq.) a montré la curieuse propagande faite par les Grecs après la conquête pour introduire l'hellénisme en Italie. C'est ainsi que Léon l'Isaurien finit par rattacher au patriarcat de Constantinople, malgré les papes, les évêchés de Calabre et de la Terre d'Otrante (FABRE, Liber censuum, p. 20). Les empereurs byzantins n'avaient jamais oublié que Constantin leur prédécesseur s'était déclaré responsable des consciences et chargé de faire connaître le vrai Dieu à ceux qui l'ignoraient (EUSÈBE, Vita Constantini, IV, 8). Dans le langage de l'Orient grec, civilisation romaine et civilisation chrétienne étaient, et pour longtemps encore, synonymes. En vertu de ce principe, l'église grecque n'avait jamais cessé de diriger, et elle dirigeait encore au VIe siècle de nombreuses missions dans le Sud de l'Afrique, vers le Sahara, la Nubie, l'Abyssinie et aussi en Arabie ; si elle tombait dans l'hérésie, c'était donc des croyances hérétiques que ses missionnaires répandaient, et la preuve en est que l'église d'Abyssinie, la seule qui soit restée de toutes ses créations, a gardé la confession monophysite. (DUCHESNE, Autonomies ecclésiastiques. Eglises séparées, Paris, Fontemoing, 1896, chap. VII, p, 281-353. — HUTTON, The Church of the Sixth Century, chap. II, p. 43-89. — CARUN, Histoire de l'Asie, Paris, 1896. Introduction).

[55] Les missions, écrit GASQUET, voilà l'élément nouveau qui donne à la politique byzantine son caractère distinctif. Les prêtres, les moines précédent dans les pays barbares le diplomate et le soldat. (L'Empire byzantin et la monarchie franque, p. 75).

[56] Quicunque diligistis istum, disent les conseillers de l'empereur aux défenseurs de Martin, inimici catis reipublicæ, et au pape : Die, miser, quid tibi mali intulit imperator ? Tulit a te aliquid ? Oppressit le vi ? (MIGNE, P. L., t, LXXXVII, p. 112-113). Et en effet, en repoussant le Typus, qui, dans la pensée de Constant, était un moyen politique de rétablir la concorde dans l'Empire, Martin devenait un ennemi de l'État, au bien duquel il s'opposait.

[57] Dans la lettre du synode romain et du pape Agathon à l'empereur Constantin, pour expliquer le retard de leurs envoyés au synode de Constantinople, le pape et les évêques font remarquer combien il leur est difficile d'avertir rapidement tous ceux qui relèvent en Occident de l'obédience romaine (AGATHONIS, Epist. 3, dans MIGNE, P. L., t. LXXXVII, col. 1221-1225).

[58] Cette lettre très intéressante se trouve dans les Epistolæ œvi merov. collectæ, 4, p. 438-442.

[59] Vita Eligii, I, 33 (MIGNE, P. L., t. LXXXVII, col. 505. — Lettre de Martin à Amandus, évêque de Maëstricht (MIGNE, P. L., t. LXXXVII, col. 138).

[60] MIGNE, P. L., t. LXXXVII, col 190-202 et 111-120. — Cf. Vita Eligii, I, 34 (MIGNE, P. L., t. LXXXVII col. 506).

[61] VICTOR TONNENNENSIS, Chron., p. 202.

[62] Lettre des clercs italiens sur le supplice de Vigile (Epist. œvi merov. coll., 4, p. 439-441). — VICTOR TONNENNENSIS, Chron., p. 202-204.

[63] VICTOR TONNENNENSIS, Chron., p. 202-204. — Les termes qu'il emploie pour raconter la persécution sont les males qui ont servi à Victor de Vita pour exposer la persécution vandale.

[64] Epist. œvi merov. coll., p. 441.

[65] Fidèle à son passé, l'Église d'Afrique surtout se montra attachée à l'orthodoxie, L'évêque de Carthage, Reparatus, donna l'exemple de la résistance, et ce fut à un diacre de Carthage, le savant Ferrandus, que le clergé romain demanda une consultation, quand il eut reçu copie de l'édit impérial contre les trois chapitres ; enfin le principal écrit pro defensione trium capitulorum fut rédigé par Facundus, évêque d'Hermiane (VICTOR TONNENNESSIS, Chron., p 202-204). — Lettre des clercs italiens sur le supplice de Vigile, p. 439-440. — HÉFÉLÉ, Histoire des Conciles, t. III, p..423 sq.). D'où la lettre du pape Martin Ier aux évêques africains, relative au monothélisme, où il dit qu'ils se sont montrés dans cette affaire les vrais soutiens de l'orthodoxie et que le Saint-Esprit leur a fait cette grâce, par l'intercession de Saint-Augustin (MANSI, t. X, col. 797 ; HÉFÉLÉ, Histoire des Conciles, t. IV, p. 104).

[66] Lettre des clercs italiens sur le supplice de Vigile, Epist. œvi merov. coll., 4, p. 440.

[67] Lettre des clercs italiens sur le supplice de Vigile, Epist. œvi merov. coll., 4, p. 439.

[68] Epistolæ austrasicæ, 7, p. 118-119.

[69] MIGNE, P. L., t. LXXXVII, col. 203. — JAFFÉ, Reg. n° 2081.

[70] Vita Eligii, 33-34. MIGNE, P. L., t. LXXXVII, col. 505-508. — L. P., t. I, p. 338. — La mémoire des autres papes qui avaient souffert pour l'orthodoxie, Jean Agapet, Vigile, et des évêques qui avaient lutté avec eux, comme Datius de Milan, ne s'oublia pas davantage (GREG. MAGN., Epist. II, 51 ; Dial. III, 2-3).

[71] VICTOR TONNENNENSIS, Chron., p. 202-204.

[72] V. ces lettres dans les Epistolæ arelatenses, 48, 54, 56, surtout la lettre 54, où après avoir exposé sa foi conforme à celle de saint Léon, le pape termine par ces mots : Hæc est igitur fides mea et spes.

[73] COLUMBANI, Epist. 1.

[74] COLUMBANI, Epistolæ, 5. — On peut rapprocher de la lettre de Columban à Boniface IV, une lettre adressée plus tard par saint Boniface au pape Zacharie. Boniface fait savoir à celui-ci que des évêques et des prêtres francs qui fuerunt adulteri vel fornicatores acerrimi, ont prétendu, au retour de Rome, avoir reçu du Saint-Siège le droit d'exercer leur ministère. Dans sa réponse, Zacharie ne nie rien de tout cela, et s'engage à mettre fin à des coutumes regrettables (BONIFATII, Epist., 50, 51).

[75] Les invasions arabes dans l'Afrique du Nord commencent en 663 : le principe de la conquête est admis trois ans après et consacré en 669 par la fondation de Kairouan : Carthage succombe en 698 et les Grecs perdent en 709 Septum, leur dernière place (DIEHL, L'Afrique byzantine, p. 563 sq.).

[76] Sur l'expédition de Théodebert en Italie, continuée après son départ par son lieutenant Buccelin, voir PROCOPE, De bello gothico, II, 24-25 ; AGATHIAS, livre I et II jusqu'au § 14 inclus ; MARCELLINI, Chron., p. 106 ; GREG. TUR., Hist. eccl., III, 32 ; GREG. MAGN., Dial. I, 2.

[77] GREG. TUR., Hist. eccl., III, 32.

[78] AGATHIAS, II, 12.

[79] PROCOPE, De bello gothico, IV, 34.

[80] MARII AVENT., Chron. ann. 556. Ailleurs Marius donnes cette guerre le nom de bellum romanum (MARII AVENT., Chron. ann. 548, 555).

[81] PROCOPE, De Bello gothico, III, 39. — LENORMANT, Revue de numismatique, 1re série, l. XIII, p. 187 sq. — DELOCHE, Considérations générales sur les monnaies d'or au nom du roi Théodebert Ier, Revue de numismatique, 3e série, t. IV, p. 372 sq.

[82] AGATHIAS, I, 4 (éd. de Bonn. p. 21-22).

[83] Vita Sancti Trevirii, dans D. BOUQUET, t. III, 411. — Liber miraculorum S. Johannis Reomœnsis, 4, dans MABILLON, Acta S. S. ord. S. Benedicti, Ier siècle, p. 637).

[84] PROCOPE, De bello gothico, IV, 24.

[85] GREG. TUR., Hist. eccl., VI, 42. VIII, 18. IX, 25. X, 3. Cf. DIEHL, L'Administration byzantine dans l'exarchat de Ravenne, p. 206-210. — Childebert II dirigea cette expédition, qui se termina en 59t par un traité entre le roi des Francs et le prince lombard Agilulf. Avec les expéditions de Childebert, conclut M. Diehl, prend fin effectuée entre les Grecs et les Francs... Les opérations conduites en commun avaient bien vite altéré la bonne intelligence et créé entre les deux peuples des méfiances légitimes.

[86] FREDEGARII, Chron. IV, 9, 23, 63, 64, 81. — Et c'est la partie la plus originale de son œuvre, celle où il raconte ce qu'il a vu ou appris ! (MONOD, Etudes critiques sur les sources de l'histoire carolingienne, p. 15). Le § 81 (ann. 641) est le dernier de la chronique ; les continuations commencent aussitôt après.

[87] FREDEGARII, Chron. IV, 65.

[88] GASQUET, L'Empire byzantin et la monarchie franque, p. 207.

[89] EBERT, o. c., t. I, p. 473-474 en fait la remarque, qui lui est suggérée par la lecture des chroniques ; il n'hésite pas à reconnaître déjà dans l'ouvrage d'Idace le caractère national espagnol.

[90] A ce point de vue, leur méthode n'avait pas changé depuis un siècle, et la lecture de Jean de Biclaro rappelle tout à fait celle d'Idace (JOANN. BICLAR., Chron., p. 213, 215). Le siège des castella, où les Espagnols se sont réfugiés, dure encore en 572, 577, et cela prouve quelle longue et honorable résistance les habitants opposèrent à la conquête wisigothique. Leur soumission complète et sans arrière-pensée après 587 n'en aura que plus de prix et ne sera que plus significative à nos yeux.

[91] L'attachement des Espagnols à la Romana religio était aussi profond que leur haine pour l'arianisme. JEAN DE BICLARO (Chron., p. 213, 215, 216), mentionne toujours avec soin les changements de papes, comme faisait Victor de Tunes, dont il a entrepris de continuer l'ouvrage. GRÉGOIRE LE GRAND (Dial. III, 31) signale les cruautés commises en Espagne par les ariens et dont le récit lui est venu directement du pays où elles se sont produites. ISIDORE DE SÉVILLE (De viris illustribus, XL. MIGNE, P. L., t. LXXXII, col. 1102) fait un éloge éclatant de Grégoire le Grand.

[92] JOANN. BICLAR., Chron. p. 218. Cf. ISIDORI, Hist. gothorum, 52-55, p. 289-290. L'enthousiasme des chroniqueurs nationaux espagnols n'a d'égal que la joie de Grégoire le Grand apprenant la nouvelle de cette conversion. (GREG. MAGN., Epist. I, 43. IX, 61, 120-122. Dial. III, 31).

[93] GREG. MAGN., Epist. IX, 61.

[94] ISIDORI, Hist. Gothorum, 52, 55. — JOANN. BICLAR., Chron., p. 218.

[95] ISIDORI, Hist. Gothorum, 1, 2, 67, 70.

[96] ISIDORI, Hist. Gothorum, 58-70.

[97] Voir la correspondance échangée entre le roi Sisebut et le patrice Césaire. (Epist. wisigothicæ, 3, 4, 5, 6, circa ann. 615). Frédégaire rapporte ce propos de Sisebut : Eu me misero, cujus tempore tanta sangninis humanæ effusio fietur ! FREDEG., Chron. IV, 33.

[98] Epist. wisigothicæ, 9. — FREDEG., Chron. IV, 33 ann. 606-607. — ISIDORI, Hist. Gothorum, 62. Il s'agit de Swintila.

[99] Voir le Prologue De laude Spaniæ, qu'ISIDORE DE SÉVILLE a placé en tête de son Historia Gothorum. — Cf. un bon article du P. TAILHAN S. J., Les Espagnols et les Wisigoths avant l'invasion arabe. (Revue des questions historiques, t. XXX, p. 5-46) où l'auteur démontre, avec preuves à l'appui, que si, du Ve au VIe siècle, les documents historiques ne laissent entrevoir aucune trace d'antagonisme national entre les Romains d'Espagne et les Wisigoths (l'antagonisme est surtout religieux), en revanche, à partir de la conversion des rois de Tolède, les mêmes documents nous permettent de constater entre ces deux classes d'habitants de la péninsule une concorde parfaite, une union étroite et presque cordiale.

[100] D'autre part, redoublaient les attaques sarrasines, qui avaient commencé en Sicile au temps du pape Martin et avaient procuré à ses ennemis l'occasion de l'accuser de connivence avec les infidèles. (MARTINI, Epist., dans MIGNE, P. L., t. LXXXVII, p. 197. — AMARI, Storia dei Musulmani in Sicilia, t. I. p. 84-85).

[101] L'histoire des efforts accomplis par la papauté pour protéger l'Italie contre les invasions des Lombards et les excès de l'administration byzantine a été fort bien racontée par DIEHL, dans son livre sur l'Administration byzantine dans l'exarchat de Ravenne. On y voit (p. 32) comment, par un lent développement. les officiers impériaux prirent l'habitude d'aller demander à Rome plutôt qu'a Ravenne ou à Constantinople, une direction, des conseils et des ordres : comment enfin les peuples se détachèrent insensiblement de l'empereur trop lointain qui semblait les abandonner, pour se jeter dans les bras de cet évêque, toujours présent, toujours puissant, dont la protection les sauvait à la fois des misères du siècle, du péril des Lombards et de la tyrannie des gouverneurs. Le document le plus instructif à. cet égard est la correspondance de Grégoire le Grand, et, dans cette correspondance, la lettre du pape à l'empereur Maurice où il lui expose tous les efforts qu'il a faits pour amener le duc lombard Ariulphe à la République. Trompé par la fourberie de ce personnage (ab Ariulphi astutia deceptus), Grégoire a vu les Lombards réunis sous les murs de Rome attacher les Romains couine des chiens et les emmener pour les vendre (Epist. V, 40). Il a fallu, pour écarter l'ennemi, les prières ardentes du souverain pontife (Auctarii havniensis extrema, 17). Mais, à partir de ce moment, la création d'une armée pontificale s'imposait ; ce fut l'exercitus romanos opposée à l'armée de Ravenne (DUCHESNE, L. P., t. I, p. 329, note 1). Le gouvernement impérial se montra mécontent et se servit de ce prétexte pour accuser le pape Martin de transformer le Latran en une véritable place d'armes (MARTINI, Epist. dans MIGNE, P. L., t. LXXXVII, p. 200). De même, les richesses rassemblées au palais pontifical étaient convoitées par les officiers impériaux, et un beau jour l'exarque Isacius mit la main dessus, gardant une grande partie pour lui et envoyant le reste à Constantinople. (L. P. Severinus, 14).

[102] MARTINI, Epist. 1, dans MIGNE, P. L., t. LXXXVII, p. 125. Dans la lettre suivante, écrite à l'évêque Amandus, Martin désigne Paul, évêque de Constantinople, comme ayant suggéré à l'empereur l'idée perfide du Typus.

[103] L. P. Johannes VI, 1-2.

[104] La date admise jusqu'ici était 726 (SCHWARZLOSE, Der Bilderstreit, p. 51). Il semble qu'il faille l'abandonner pour celle de 725 (HUBERT, Étude sur la formation des États de l'Église. Revue hist., t. LXIX, p. 1 et note 1).

[105] PAPARIGOPOULO, Hist. de la Civilisation hellénique, p. 186 sq.

[106] Ce fut en réalité au mois de janvier 730, à la suite d'une assemblée solennelle tenue au palais impérial et où le patriarche de Constantinople Germain rendit son pallium, que la persécution commença. (DUCHESNE, L. P., t. I, p. 412, note 25). L'effet fut d'autant plus retentissant que, pendant les dix premières années de sou règne, Léon n'avait rien fait contre les images. (SCHWARZLOSE, Der Baderstreit, p. 51).

[107] L. P. Constantinus, 10.

[108] L. P. Constantinus, 10-11.

[109] C'est ainsi qu'elle avait résisté à l'exarque Théophilacte sous Jean VI (L. P. Johannes VI, 1-2). Plus récemment, sous le pontificat de Grégoire II, l'empereur ayant voulu contraindre le pape à appliquer certaines mesures financières que celui-ci réprouvait, les Romains prirent la défense de leur évêque contre l'exarque Paul venu à Rome, selon le L. P., pour déposer Grégoire et peut-être le mettre à mort (L. P. Gregorius II, 14-16).

[110] Lettre de Damien, évêque de Pavie, dans MIGNE, t. LXXXVII, col. 1264.

[111] L. P. Gregorius II, 17 et 19.

[112] Lettre d'Avitus à Clovis. AVITI, Epistolæ, XXXXVI, rd. R. PEIPER, M. G. H. Auct. antiq., t. VI, pars pasterior, p. 75.

[113] Lettre de Vigile à Aurelianus, évêque d'Arles, pour lui demander d'être son interprète auprès du roi. (Epistolœ arelatenses, 45).

[114] Lettre de Pélage II à Aunarius, évêque d'Auxerre (Epist. œvi merov., coll. 9).

[115] GREG. MAGN., Epist. VI, 6. Ad Childebertum. Ibid., VI, 58. IX, 110. XIII, 6.

[116] GREG. MAGN., Epist. VI, 58, 59. IX, 60.

[117] Grégoire de Tours raconte que Chilpéric écrivit un indicolum, ut sancta Trinitas non in personarum sed tantum Deus nominaretur, asserens indignum esse, ut Deus persona sicut homo carneus nominctur... (GREG. TUR., Hist. eccl., V. 44).

[118] Necesse est ut vestra fraternilas prayellentissimuni filiunt nostrum Childebertum regem admonere ut hujus peccati maculam a regno suo funditus repellat, écrit Grégoire le Grand à l'évêque Virgile au sujet de la simonie. (GREG. MAGN., Epist. V, 53. Ibid., V, 55). — On retrouve encore le souvenir de la simonie qui régnait chez les rois francs, et dont Grégoire le Grand cherchait à les détourner, dans le traité de WALTRAM, De unitate ecclesiæ conservanda, I, 11. II, 15. (Libelli de lite imperatorum et pontificum, t. II, p. 199, 226).

[119] PROCOPE, De bello gothico, II, 25. — Lettre de Pélage II à Aunarius (Ep. œvi merov. coll., 9).

[120] BONIFATII, Epistolæ, 50, ann. 742.

[121] Voir la lettre de Grégoire II à Charles Martel (Karolo duci) pour lui recommander Boniface envoyé ad prœdicandam plebibus Germaniœ gentis ac diversis in orientali Rheni fluminis parte consistentibus, gentilitatis errore detentis, vel adhuc ignorantiæ obscantatibus prœpeditis, et la réponse affirmative de Charles (Carlus major domus) dans les BONIFATII, Epist., 20, 22. Cf. Vita Bonifatii, 21-22. (SS. II, p. 343). — Pour les origines de la mission de Boniface en Germanie, voir BONIFATII, Epist., 12, 16, 24, 45, et Epist. Viennenses, 13. Les lettres de Grégoire II sont de 722-724.

[122] ISIDORIS PACENSIS, Chronicon, 59, dans MIGNE, P. L., t. LXXXXVI, col. 1271.

[123] FREDEG., Contin., 13, 20, 27.

[124] Charles Martel s'était borné à favoriser l'apostolat de Boniface eu Germanie, et, en rendant des 738 une partie des Saxons tributaires, en répandant parmi eux les doctrines de Grégoire le Grand (BONIFATII, Epist. 33), les deux collaborateurs avaient inauguré l'œuvre que Charlemagne acheva plus tard (tuo conanime et Carli principis Francorum, écrit Grégoire III à Boniface en 739. BONIFATII, Epist. 45). Mais ce n'était que la moitié de la besogne ; il convenait à un prince vraiment chrétien de rétablir aussi l'ordre et la discipline dans l'église franque. C'est ce que comprirent Carloman et Pépin, et c'est en quoi leur politique religieuse diffère grandement de celle de leur père, comme l'a montré HAUCK (Kirchengeschichte Deutschlands, t. I, p. 495 sq.). Sur le synode de Leptines de 745, qui fut le premier synode général de la monarchie franque de l'est et de l'ouest, v. HAHN, Iahrbücher des fränkischen Reichs, 741-752, p. 67-82, Excurs, XIV, p. 192-200, et HÉFÉLÉ, Hist. des Conciles, t. IV, p. 428 sq. — Leptines (auj. les Estinnes) est à une lieue de Binche, dans la province de Hainaut. (WARNKÖNIG et GÉRARD, Hist. des Carolingiens, t. I, p. 213).

[125] Cela résulte avec évidence des lettres de saint Boniface. Ainsi ce fut Carloman qui appela Boniface ut in parte regni Francornm in sua ditione sive potestate constituta synodum celebearet et qui le lit archevêque de ses Etats (BONIFATII, Epist., 51, 56 ; HÉFÉLÉ, Hist. des Conciles, t. IV, p. 397 sq. ; HAUCK, Kirchengesehichte Deutschlands, t. II, p. 4). Hauck admet que Carloman donna l'exemple, que Pépin ne fit que suivre.

[126] Carloman se retira au Mont-Cassin en 747. Le grand synode de Verneuil, où l'Église franque fut réorganisée dans son ensemble, eut lieu le 11 juillet 755, Pépin étant seul roi. Voir les articles du synode de Verneuil dans BORETIUS, Kapitularia regum francorum, n° 14, p. 32-37. Cf. HÉFÉLÉ, o. c., t. V, p. 1 sq., et HAUCK, Kirchengeschichte Deutschlands, t. II, p. 32 sq.

[127] M. Lavisse résumant l'œuvre de Saint Boniface a montré comment c'était la pure doctrine de l'Église romaine que celui-ci avait instituée dans les Gaules. (La conquête de la Germanie par l'Église romaine. Revue des Deux-Mondes, 15 avril 1887, p. 892-894).

[128] BONIFATII, Epist. 63. Cette lettre capitale se place entre les années 742 et 746.

[129] FRÉDÉGAIRE, Contin., 22. L'envoi des clefs de saint Pierre par Grégoire II à Charles Martel est connu par quatre textes : FREDEG., Contin., 22 ; Annales Mettenses (S. S. I, p. 326) ; L. P. Vita Gregorii III, 14 : Codex Carolinus, 2, lettre de Grégoire III à Charles Martel. — Le texte des Annales Mettenses, qui n'est qu'une paraphrase ou une reproduction de celui de Frédégaire, doit être écarté, comme dénué de toute valeur historique.

[130] LE HUÉROU, Histoire des Institutions carolingiennes, t. II, p. 338 : GREGOROVIUS, o. c., t. II, p. 266 ; GASQUET, De Translatione imperii, p. 24 ; BRYCE, o. c., p. 52, 88, ne doutent pas que le pape se soit substitué à l'empereur, en attribuant à Pépin une dignité essentiellement impériale, et qu'en acceptant pour lui-même et ses successeurs le titre de patrice, Pépin ait pris le gouvernement effectif de la cité de Rome. Grégorovius admet même que la décision de conférer le patriciat au roi des Francs fut arrêtée à Rome dans une assemblée générale du peuple romain présidée par le pape, et Bryce semble être de cet avis. — OZANAM, La Civilisation chrétienne, p. 353 ; GASQUET, De Translatione imperii, p. 2, 20 ; DÖLLINGER, Das Kaiserthum Karls des grossen, p. 353, attribuent une valeur décisive aux offres de Grégoire III à Charles Martel : Si Charles avait accepté ces offres, dit Döllinger, il serait bientôt devenu empereur (Deutsche Verfassungsgeschichte, t. III, p. 84), et BRYCE, p. 49-50, constatent simplement que la mort empêcha Charles Martel de donner suite à l'affaire.

[131] Il aurait eu toutes les raisons de rompre avec l'empereur, qui avait voulu précédemment le faire déposer et peut-être même mettre à mort (L. P. Gregorius II, 14-16). Il n'en fit rien, et se borna à maintenir énergiquement la défense qu'il avait faite aux Italiens de payer le census, c'est-à-dire l'impôt foncier, qui avait été considérablement aggravé en 726 (THÉOPHANE, p. 404, éd. de Boor. Cf. HUBERT, Étude sur la formation des États de l'Église, 1er article, p. 7). — Les deux prétendues lettres que le pape aurait adressées à Léon l'Isaurien et qui sont pleines de grossièretés (JAFFÉ, Reg. n° 2180-2181 ; MIGNE, P. L., t. LXXXIX, col. 511 et sq.), ne sont pas authentiques (GUÉRARD, Les Lettres de Grégoire II à Léon l'Isaurien, dans les Mélanges d'Archéologie et d'histoire de l'École française de Rome, avril 1890, p. 44-60 ; SCHWARZLOSE, Der Bilderstreit, p. 103-122). Guérard, p. 59 et Schwarzlose, p. 122, dans leurs études, qui sont indépendantes l'une de l'autre et ont paru la même année, aboutissent à la même conclusion : que les deux lettres en question ont été écrites en Orient par un clerc hostile aux images, probablement en dénaturant le texte des vraies lettres de Grégoire II à Léon l'Isaurien. — Cf. DÖLLINGER, Die Papstfabeln des Mittelalters, p. 177-184.

[132] L. P. Gregorius II, 15, 20. C'est la réponse la plus catégorique aux insinuations de THÉOPHANE (éd. de Boor, p. 408) et autres Byzantins, d'après lesquels Grégoire aurait alors rompu avec Byzance et entraîne Rome et l'Italie derrière lui.

[133] Est enim infelix impietas apud regiam urbem, écrit simplement Grégoire III à Antonin, patriarche de Grado (Epist. Langobardicæ, 13).

[134] L. P. Gregorius III, 2, cf. 4.

[135] C'est ce qui se passa pour les lettres envoyées par Grégoire III à Constantinople (L. P. Gregorius III, 2, 4).

[136] Grégoire le Grand en adressa un très grand nombre, et non seulement à des rois ou à des patrices, mais à des personnages de médiocre importance, à son médecin par exemple (GREG. MAGN., Epist. I, 21. III, 48. IV, 30. VI, 6. VII, 26, 28. VIII, 35). De même, Grégoire II envoya à Eudes d'Aquitaine in benedictione...  tres spongias quibus ad usum mense pontificis apponuntur (L. P. Gregorius II, 11). Il est impossible de soutenir, dans ces conditions, que l'envoi eût aucune espèce de signification politique ; les clefs étaient, comme l'a fort bien dit Fustel de Coulanges, une sorte de décoration, décoration qui pouvait être renouvelée indéfiniment, et qui était une marque de pure amitié du pape (FUSTEL DE COULANGES, Les Transformations de la royauté pendant l'époque carolingienne, p. 299).

[137] Voir les deux lettres adressées, l'une à Ursus, duc de Venise, l'autre à Antonin, patriarche de Grado, que Jatte attribue à Grégoire II et place avant 729, alors qu'elles sont de Grégoire III et se placent entre 732 et 735 (Epist. Langob., 11, 12. Cf. HUBERT, Étude sur la formation des États de l'Église, 1er article, p. 23.

[138] L. P. Gregorius III, 14. — Sur les progrès de la puissance lombarde à cette époque, consulter MARTENS, Politische Geschichte des Langobardenreiches unter König Liutprand, Heidelberg, 1880, et KNAAKE, Aistulf König der Langobarden, Tilsitt, 1830. Les idées générales manquent, mais les faits sont très exactement rapportés.

[139] C'est après avoir raconté les nouvelles attaques des Lombards que le biographe de Grégoire III ajoute : Pro quo vir Dei undique dolore constrictus... navali itinere per missos suos direxit... postulandurn ad præfato excellentissimo Carolo ut eos a tanta oppressione Langobardorum liberaret. Eodem tempore necessitate conpulsus... (L. P. Gregorius III, 14). Cf. Codex carol., 2. — Une leçon de manuscrit douteuse a seule permis de dire que Grégoire voulût rompre avec l'Empire (BAYER, Le voyage d'Étienne III, p. 90, note 6). Dans la lettre à Charles Martel, qui présente seule les garanties de sincérité nécessaires, le pape ne dit mot de l'empereur ; il supplie seulement le maire du palais de ne pas préférer à l'amitié du Saint-Siège celle des rois des Lombards.

[140] L. P. Gregorius III, 15, 18. — L'exercitus romanus, c'est-à-dire l'armée du pape, est mise par Grégoire III au service de la sancta respublica, c'est-à-dire de l'Empire.

[141] L. P. Zacharias, 17. Le contraste est frappant entre la lettre de Zacharie à Austrobert, évêque de Vienne, du 7 mars 742, où le pape déplore les cruautés des Lombards (Epist. viennenses, 14), et celle qu'il écrit le 31 octobre 745 à Boniface quand Dieu a eu enfin pitié des Romains (BONIFATII, Epist., 60). Il est regrettable que, pour le temps de Zacharie comme pour celui de Grégoire III, il ne reste rien de la correspondance échangée par le Saint-Siège avec Constantinople. On sait cependant que Zacharie exhorta l'empereur à rétablir les images (JAFFÉ, Reg., n° 2259), maintenant le débat sur le terrain religieux et justifiant les qualités d'homme d'État sage et pondéré que tous les historiens modernes lui reconnaissent avec raison (BARTOLONI, Di S. Zaccaria papa e degli anni del suo pontificato, Ratisbona, 1879 ; HAHN, Iahrb. d. fr. Reichs, p. 125 ; BAYET, art. cité, p. 90 ; HAUCK, t. II, p. 8 sq.).

[142] BAYET, Le voyage d'Étienne III en France (Revue historique, t. XX, p. 88-105, a. 1832). — DIEHL, L'Administration byzantine dans l'exarchat de Ravenne, p. 218-227, a admis et fortifié encore par quelques arguments nouveaux la thèse de Bayet, qui était déjà en partie celle de SYBEL (Historische Zeitschrift, a. 1880, p. 47 sq.). Avec des réserves sur un point, FUSTEL DE COULANGES s'est également rallié au même système (Les Transformations de la royauté pendant l'époque carolingienne, p. 305, note 6). — Le pape, dont il va être question, est appelé Étienne Il ou Etienne, Ili, selon qu'on tient ou ne tient pas compte de sou prédécesseur : celui-ci, nommé Étienne également, ayant été conduit au Latran aussitôt après avoir été élu, y tomba malade, et mourut le quatrième jour de son pontificat, sans avoir été consacré (JAFFÉ, Reg. n° 2306). Nous avons adopté l'usage courant (JAFFÉ, DUCHESNE, DIEHL), en disant Étienne II.

[143] L. P. Stephanus II, 5, 6 — La retraite de Ratchis eut lieu en 749. Avant le mois de juillet 751, Ravenne était aux mains des Lombards (DUCHESNE, L. P., t. I, p. 456, note 9).

[144] L. P. Stephanus II, 9.

[145] L. P. Stephanus II, 9.

[146] L. P. Stephanus II, 10.

[147] L. P. Stephanus II, 15. Les lettres, que le pape adressa au roi des Francs pour solliciter son concours, et la réponse favorable de Pépin, mentionnées par le biographe d'Étienne II, sont malheureusement perdues, mais il résulte avec évidence du texte du L. P. que la démarche d'Étienne était conçue dans le même esprit que les précédentes démarches de Grégoire et de Zacharie, et qu'il s'agissait de délivrer la province romaine, domaine impérial, sans porter atteinte aux droits de l'empereur. Si l'envoyé du souverain pontife partit secrètement (clam), ce fut pour ne pas éveiller les inquiétudes d'Aistulphe et non point celles de l'empereur. Ce fut également une habileté du pape de se faire appeler en France, comme le fait remarquer ŒLSNER (Iahrb, des fränk. Reichs unter König Pippin, p. 122), car alors Aistulphe ne pouvait empêcher le voyage, sans entrer en conflit avec Pépin.

[148] L. P. Stephanus II, 16.

[149] L. P. Stephanus II, 17.

[150] Tous ces événements sont racontés d'après le récit très détaillé du Liber Pontificalis (Stephanus II, 19-23).

[151] Ne le voit-on pas s'associant à tous les discours du pape et les appuyant de tonte son autorité ? (L. P., Stephanus II, 21). — Il est impossible d'admettre avec HUBERT (Étude sur la formation des États de l'Église, 2e article, p. 252) que le silentiaire ait été trompé d'un bout à l'autre par le pape, et que celui-ci ait agi en maitre fourbe, déguisant sa conduite, cachant son jeu, donnant le change sur ses desseins. C'est faire gratuitement à Étienne Il une injure que rien n'autorise.

[152] L. P. Stephanus II, 23-24.

[153] Les termes du L. P. (Stephanus II, 26) sont significatifs. Dès que le pape est arrivé au palais, il supplie le roi en pleurant de servir la cause de la papauté et de l'Empire, ce qui prouve que pour lui les intérêts du Saint-Siège et ceux de l'empereur sont une seule et même chose, et Pépin, dans sa réponse, s'engage à faire restituer à la République l'exarchat de Ravenne et tous ses droits.

[154] L. P. Stephanus II, 37.

[155] Epist. œvi merov. coll., 9, lettre de Pélage II à Aunarius.

[156] DIEHL, L'Administration byzantine dans l'exarchat de Ravenne, p. 205.

[157] FREDEG., Contin., 33 ; Clausula de Pippino ; SGRIPTORES RERUM MEROW., t. I, p. 465-466 ; Ann. laur. Majores 2, a. 749-750. — Les textes relatifs à l'intervention du pape Zacharie dans les événements qui précédèrent l'élévation de Pépin à la royauté sont formels, et il est impossible de voir là une légende, comme ont tenté de l'établir l'abbé MURY (Revue des questions historiques, t. II, p. 464-484) et UHRIG (Bedenken gegen die Æchtheit der mittelalter. Sage von der Entthronung des merowingischen Königshauses durch den Papst Zacharias, Leipzig, 1875, 1 vol., 81 pages). Des preuves de droit, de religion, de psychologie, de liturgie et de morale (UHRIG, p. 36 sq.) n'ont aucune valeur en histoire. Le rôle de Zacharie a été très réel, très actif ; il a été fort bien mis en lumière par DAHN (Iahrb. des fränk Reichs, p. 125 sq.) et FUSTEL DE COULANGES (Les Transformations de la royauté pendant l'époque carolingienne, p. 197 sq.). Celui-ci constate qu'il est établi par un ensemble de onze documents.

[158] Le Continuateur de Frédégaire dit que le pape envoya à Charles Martel le consulat avec les clefs de Saint-Pierre (FREDEG., Contin., 2.2). Ailleurs, Charles est nommé patrice (BONIFATII, Epist., 24, lettre de Grégoire II à Boniface, 4 déc. 724). Faut-il prendre ces documents à la lettre ? Il importe de remarquer que les deux lettres de Grégoire III à Charles Martel conservées par le Codex carolinus (1, 2), et qui appartiennent à l'année 739, sont adressées : Domino excellentissimo filio, Carolo subregulo. Si Charles avait été patrice ou consul depuis quinze ans, il est vraisemblable, étant donné les coutumes de l'époque, que le pape n'eût pas manqué de lui donner ce titre. On a des raisons de se défier du Continuateur de Frédégaire, qui écrit pour plaire à Childebrand, le frère de Charles Martel (MONOD, Sources de l'hist. carol., p. 18), et patrice, dans la bouche de Grégoire III, n'est peut-être qu'un synonyme de maire du palais. La papauté, ne sachant trop comment appeler le maire des Francs, ainsi que le montrent les lettres du Codex carolinus, considérant d'autre part qu'il était le premier dans le royaume franc après le roi, le désignait sous le nom attribué aux premiers fonctionnaires de l'Empire. — Sur le patriciat de Pépin, voir la Clausula de Pippino. La collation eut lieu le 28 juillet 754, à Saint-Denis.

[159] Les textes relatifs aux Barbares qui reçurent le patriciat ont été rassemblés par DUCANGE, t. V, col. 141 sq. (article Patricius) et VELTMANN, De Karoli Martelli patriciatu, p. 16-22. — DAHN a bien apprécié le patriciat de l'époque mérovingienne (Die Könige der Germanen. Die Franken unter den Merovingern. Zweite Abth., p 168-172).

[160] Patricius Romanorum (Codex carol., lettre 6 et suivantes).

[161] C'est DUCANGE qui, le premier, a exprimé l'avis que le patriciat des Romains désignait la préfecture de Rome ; mais l'autorité du préfet, encore respectée au VIe siècle, n'était plus au VIIIe qu'une charge médiocre, et la plupart des attributions de ce fonctionnaire étaient passées au duc de Rome (GREG. MAGN., Epist. IV, 2. V. 40. Cf. DIEHL, L'Administration byzantine dans l'exarchat, p. 127-129, 141 sq.). Faut-il en conclure avec DAHN que celui-ci fût le vrai patrice des Romains (Die Könige der Germanen, t. VIII, fasc. I, p. 32 ; fasc. VI, p. 229) ? Aucun texte ne le dit avec précision. Antérieurement à Pépin, on trouve l'expression patricius Romanorum employée deux fois, la première pour désigner Grégoire, exarque de Ravenne de 666 à 678 (PAUL DIACRE, Hist. Langob., IV, 38), la seconde pour désigner l'exarque Isacius (FREDEG., Chron., IV, 69). Au fond, il est impossible d'affirmer qu'il s'agit d'une institution particulière. Nous croyons plus volontiers que patrice et patrice des Romains se disaient indistinctement des magistrats byzantins préposés à l'administration ou à la défense de Rome et de l'Italie et pourvus des honneurs du patriciat, comme les exarques (Cf. HARTMANN, Untersuchungen, p. 28). Ainsi, quand Charlemagne fera son entrée à Rome en 774, il sera reçu sicut mos est exarchum aut patricium suscipiendum (L. P. Hadrianus I, 35).

[162] Pour Charles Martel, la question ne se pose même pas (VELTMANN, De Caroli Martelli patriciata, p. 37 ; BREYSIG, Iahrb. Die Zeit Karl Martells, p. 49). Pour Pépin, le silence du biographe d'Étienne II, qui est bien renseigné et parle avec précision du sacre du roi à Saint-Denis, est ce qu'il y e de plus significatif et ce qui montre le mieux que, dans l'entourage du pape comme dans celui du roi, le patriciat était considéré comme n'ayant aucune importance, à l'instar des autres titres du même genre conférés par les empereurs aux rois barbares. Deux objections ont été soulevées. Comment se fait-il que les deux fils de Pépin aient été nommés patrices en même temps que leur père, et que Constantinople ait ainsi constitué au profit des rois Francs une sorte de patriciat héréditaire (FUSTEL DE COULANGES, Les Transformations de la royauté, p. 306) ? Comment se fait-il que le pape, au témoignage de la Clausula de Pippino, ait donné le patriciat par l'onction, ce qui ne s'était jamais vu (HAUCK, t. II, p. 22) ? On répondra que le gouvernement impérial put attribuer le patriciat aux trois princes francs simultanément, sans aucune idée d'hérédité, et que l'auteur de la Clausula, écrivant treize ans après les événements, a confondu en une seule les deux cérémonies : celle où le pape remit les diplômes de patrice à Pépin et à ses fils, et celle où il leur donna l'huile sainte comme à des rois. Le L. P. dit : Pippinus rex... cum duobus filiis suis reges uncti sunt (Stephanus II, 27), non reges et patricii uncti sunt, et le pape Paul écrivant à Pépin : te benedicens et in regem unguens (Cod. carol., 16), non te in regem et patricium unguens.

[163] Zacharie est le seul Grec parmi les papes du VIIIe siècle (ŒLSNER, p. 113). Auparavant, la proportion des pontifes d'origine orientale avait été plus considérable (DIEHL, p. 257 sq.), mais les papes grecs avaient encore moins d'intérêt que les Romains à se brouiller avec Byzance.

[164] OZANAM, La Civilisation chrétienne chez les Francs, p. 351.

[165] Epistolæ merov. œvi collectæ, 9.

[166] PAUL DIACRE, Historia Langobardorum, VI, 53-54. Cf. BŒHMER-MÜHLBACHER, Reg., 51 h.

[167] FREDEG., Contin., 22. La demande du pape arriva juste au moment où Charles venait d'achever la soumission de la Provence avec l'aide des Lombards (BREYSIG, p. 93 ; DUCHESNE, L. P., t. I, p. 424-425).

[168] Ainsi, avant de passer en France, il eut soin d'écrire une lettre très flatteuse à la noblesse franque (Codex carol., 5), et il se présenta à elle, les bras chargés de présents (FREDEG., Contin., 36).

[169] L. P. Stephanus II, 30 ; Ann. Mettenses, a. 754 ; BŒHMER-MÜHLBACHER, Reg., n° 43-47. — L'obscurité régnera toujours sur les motifs exacts du voyage de Carloman en France, mais il subsiste ce fait qu'il chercha à détourner les Francs de l'expédition d'Italie.

[170] EINHARDI, Vita Karoli, 6 ; FREDEG., Contin., 37. — Le témoignage du continuateur de Frédégaire, d'après lequel Aistulphe obtint la paix, grâce à la clémence de Pépin et à l'intercession du clergé et de l'aristocratie franque, est contredit par celui du L. P. Selon le biographe pontifical, ce fut le pape qui supplia le roi des Francs de ne pas faire plus de mal à son adversaire et de ne plus verser de sang chrétien (Stephanus II, 37). ŒLSNER (p. 201) a tort de donner raison au L. P. contre Frédégaire, car nous possédons une lettre d'Étienne II à Pépin et à ses fils, où il leur reproche dans des termes très significatifs, leur mansuétude dans la circonstance (Codex carol., 6. a. 755). D'ailleurs, le principe d'une expédition en Italie avait été arrêté entre le pape et le roi, qui se borna à communiquer aux grands ce qu'il avait décidé (L. P. Stephanus II, 29.) Cf. FREDEG., Contin., 36.

[171] Voir FABRE, De Patrimoniis Romanaæ ecclesiæ usque ad ætatem Carolinorum, Lille, Danel, 1892, et SCHWARZLOSE, Die Patrimonien der römischen Kirche bis zur Gründung des Kirchenstaates, Berlin, 1890.

[172] Cette question est l'une des plus controversées de l'histoire pontificale, et il ne nous est pas possible de la traiter ici, étant donné les limites forcément restreintes dans lesquelles nous devons nous enfermer. L'Allemagne s'est fait une spécialité des études sur les donations de Pépin et de Charlemagne, et dans les cinq on six dernières années seulement, il a paru une dizaine de dissertations importantes, comme celles de SCHNÜRER (1894), de LINDNER (1895), de MARTENS (1898), de GUNDLACH (1899), de HAMEL (1920). On trouvera dans l'étude de HUBERT sur la Formation des États de l'Église, l'énumération complète de ces dissertations, qui, à part celle de Lindner, sont faites avec beaucoup de talent. Notre opinion, l'ondée sur la lecture des textes et des commentaires auxquels ils ont donné lieu, est qu'on ne peut nier la réalité des donations. Celle de Pépin en particulier est nettement affirmée par deux lettres d'Étienne II au roi (Codex carol., 6. Ibid. 7), et son étendue est donnée par une autre lettre du Codex carol. (11) et par un texte du L. P. (Stephanus II, 47). Eut-elle lieu à Kiersy le 14 avril 754 ou devant Pavie au mois de septembre-octobre de la même année ? Le seul écrivain qui parle d'une donation faite à Kiersy est le biographe d'Hadrien Ier (L. P. Hadrianus, 42), qui écrit 20 ans au moins après les événements ; celui d'Étienne II, qui raconte cependant l'entrevue de Kiersy (L. P. Stephanus II, 29), ne dit mot d'une cession faite à cet endroit. Et en vérité on ne trouve pas de preuve formelle d'une donation avant la victoire de Pépin sur les Lombards (Codex carol., 6-7 ; L. P. Stephanus II, 4 ; Cf. SYBEL, Hist. Zeitschrift, 1880, p. 4 ; et BAYET, art. cité, p. 99). C'est pourquoi nous croyons pouvoir adopter un avis différent de celui de HUBERT (art. cité), d'ŒLSNER (p. 130) et de beaucoup d'autres.

[173] Codex carol., lettre 6 et suivantes.

[174] Codex carol., 7, 8, etc. — Cf. BAYET, art. cité, p. 98-100 ; GRAF, o. c., t. I, p. 232 ; W. SICKEL, Die Verträge der Päpste mit den karolingern (Deutsche Zeitschrift für Geschichtstvissenschaft, XI, I, p. 323, note 1).

[175] SCHWARZLOSE, Der Bilderstreit, p. 59 ; HUBERT, p. 244. — Les raisons que donne Hubert pour reporter le concile au 10 février 753 ne sont pas concluantes.

[176] Codex carol., 7.

[177] Le continuateur de Frédégaire affirme qu'Aistulphe, sur le point de succomber, fut sauvé par les prières de l'aristocratie franque (FREDEG., Contin., 38). Le L. P. ne parle pas de cet incident, mais il est certain que le pape eut beaucoup de peine à décider Pépin et ses compagnons à passer les Alpes une seconde fois, si l'on en juge par les lettres qu'il écrivit au roi, à ses fils (Codex carol., 9-10). — Sur la deuxième expédition d'Italie, voir L. P. Stephanus II, 42, 47, et la Continuation de FRÉDÉGAIRE, 38. Les deux narrations sont identiques dans l'ensemble et se complètent dans le détail.

[178] L. P. Stephanus II, 44.

[179] L. P. Stephanus II, 45-46.

[180] JAFFÉ, Reg. n° 2330, 2331, 2333. — L. P. Stephanus II, 47.

[181] GREG. MAGN., Epist. VI, 6, 58. IX, 112. XIII, 6.

[182] FUSTEL DE COULANGES, Les Transformations de la royauté pendant l'époque carolingienne, p. 228. — DUCHESNE, L. P., t. II, p. 38. — DÖLLINGER, Das Kaiserthum Karls des Grossen, p. 363. — BRYCE, p. 50.

[183] L. P. Stephanus II, 27.

[184] Il résulte d'un texte de la Vie de Boniface que le transfert de la couronne des Mérovingiens aux Carolingiens ne s'était pas fait sans difficulté (Vita Bonifatii, 32. SS. II, p. 348). L'onction fut dès lors un des procédés qui assurèrent la transmission de la couronne royale dans la maison carolingienne (SMARAGDE, Via regia, 2. MIGNE, P. L., t. CII, col. 933. Cf. PROU, De ordine palatii. Préf. p. XXXI).

[185] La vérité sur ce point a été pressentie par W. SICKEL (Die Verträge der Päpste mit den Karolingern. D. Zeitschr., XI, p. 331 sq.). La plupart des historiens ont cru, à tort, que la protection de l'église romaine avait été, pour Pépin, la conséquence obligatoire du patriciat (Th. SICKEL, Die Urkunden der Karolinger, t. I, p. 238 ; WAITZ, Deutsche Verfass., t. III, p. 85-86 ; HAUCK, Kirchengeschichte Deutschlands, t. II, p. 20 ; HAHN, Die Könige der Germanen, t. VIII, fasc. 6, p. 229-230 ; HUBERT, art. cité, p. 270).

[186] Codex carol., 6, lettre d'Étienne II.

[187] Codex carol., lettre d'Étienne II à Pépin.

[188] Codex carol., 16, 19, lettres de Paul à Pépin. Voir surtout la lettre 10, où Étienne II s'efface pour laisser parler Saint-Pierre à Pépin. — Charles et Carloman, les fils de Pépin, qui ont reçu l'onction également, sont associés à la mission de leur père (Codex carol., 35).

[189] ŒLSNER, p. 122.

[190] HAUCK, Kirchengeschichte Deutschlands, t. II, p. 18, 67.

[191] Le P. Pagi avait cru qu'après 754 les usages diplomatiques à Rome avaient changé ; il n'en est rien, et pendant plus de vingt ans, la chancellerie romaine continua à dater les actes apostoliques par les années des empereurs d'Orient (De MAS-LATRIE, Les Éléments de la diplomatique pontificale au Moyen-âge, Revue des quest. hist., 1887, t. I, p. 415). Paul Ier appelle Constantinople urbs regia dans une de ses lettres à Pépin (Codex carol., 20). La manière de dater du L. P. ne se modifie pas non plus.

[192] Codex carol., 30, lettre de Paul Ier à Pépin. — HÉFELÉ, Histoire des Conciles, t. IV, p. 307-308.

[193] L. P. Paulus, 3. Parmi les lettres que ce pape adressa à Pépin, celle qui est le plus franchement hostile aux Grecs (Codex carol., 30) est encore très modérée ; les Grecs sont accusés en bloc à cause de leur hostilité contre la foi orthodoxe ; il n'y a pas un mot contre l'autorité impériale.

[194] JAFFÉ, Reg. n° 2377.

[195] BAYET, Le voyage d'Étienne III, p. 101. — Le pape voulait bien Pépin pour protecteur, il ne le voulait pas pour souverain, dit DAHN (t. VIII, 6, p. 231) ; et W. SICKEL : En 754, les droits impériaux n'avaient été, ni expressément niés, ni expressément réservés, de sorte que les papes gardaient leur pleine liberté. Il y a dans la conduite des papes un mélange de faits dont les uns expriment leur conviction d'appartenir encore à l'empire (monnaies impériales, envoi de criminels à Constantinople, années comptées par les règnes impériaux), et les autres marquent l'indépendance de leur État (Kirchenstaat und Karolinger. Hist. Zeitschrift, nouvelle série, t. 48, p. 397).

[196] L. P. Gregorius, II, 19. On sait d'autre part que plusieurs cités italiennes se donnèrent alors aux Lombards pour échapper à l'empereur, et que les papes, tout en résistant de leur mieux aux attaques de leurs dangereux voisins, voyaient dans leur présence en Italie un contrepoids à la puissance impériale (GREG. MAGN., Epist. IV, 47 ; L. P. Gregorius, II, 18).

[197] L. P. Zacharias, 15.

[198] Codex carol., 11.

[199] Codex carol., 11. Cf. L. P. Stephanus II, 50. — Étienne II avait déterminé Ratchis, l'ancien roi devenu moine, à ne pas combattre Didier, comme il en avait eu d'abord l'intention (L. P. Stephanus II, 48-49).

[200] Codex carol., 11, 16.

[201] Ce parti dirigé par la reine Bertrade préparait le mariage des deux fils de Pépin avec des princesses lombardes. D'ailleurs le roi avait bien accueilli l'avènement de Didier, si même il ne l'avait directement favorisé (FREDEG., Contin., 30).

[202] Spiritalis compater (Codex carol., 6, 7, 14). — Christianitas vestra (Codex carol., 17, 18, 19, 25). — Gens sancta, regale sacerdotium, populos adquisitionis, disent du peuple franc Paul Ier et Étienne III (Codex carol., 39, 45).

[203] Codex carol., 36, lettre de Paul Ier à Pépin, ann. 764-766. Ailleurs le Pape appelle le roi defensorem fidei orthodoxæ atque propugnatorem gregis sui vel populi christiani liberatorem (Codex carol., 25). — En 757, cieux ambassades avaient déjà été échangées entre le roi et l'empereur pour contracter des liens d'amitié. Elles n'avaient pas abouti : l'affaire de la donation était encore trop récente (FREDEG., Contin., 40).

[204] Codex carol., 40.

[205] Il mourut le 24 septembre 768 (BŒHMER-MÜLBACHER, Reg. 112 a).

[206] HÉFÉLÉ, Histoire des Conciles, t. IV, p. 319 sq. ; BŒHMER-MÜLBACHER, Reg. 101 f. — Cf. l'auteur des Annales laurissenses majores 2, a. 767. Héfélé rapproche ce texte de la lettre 36 du Codex carol., mais ladite lettre est antérieure d'au moins un an au synode de Gentilly.

[207] Il s'agit d'une lettre très intéressante d'Étienne III, le successeur de Paul Ier, à Antonin, patriarche de Grado, composée entre 768 et 772. Il le rassure sur l'avenir, en lui apprenant que, dans le pacte conclu entre les Romains, les Lombards et les Francs, l'Istrie et la Vénétie se trouvent comprises, et conclut : Ideo confidat in Deo immutabili sanctitas tua quia ita fideles beati Petri studuerant ad serviendum tureturando beato Petro apostolorum principi et eius omnibus vicariis..... in scriptis contulerunt promissionem, ut sicut hanc nostram Romanorum provinciam et exarchatum Ravennatium et ipsam quoque vestram provinciam..... semper defendere procurent (Epist. langobardicœ, 21).