L'EMPIRE CAROLINGIEN

SES ORIGINES ET SES TRANSFORMATIONS

 

INTRODUCTION.

 

 

I

L'Empire romain et les Provinces ; le Christianisme et les Barbares. Transformation politique, administrative et religieuse de l'Empire au IVe siècle.

 

Pour s'expliquer l'origine de l'Empire carolingien et ses vicissitudes, pour comprendre la place qu'après sa disparition même il tint dans les idées et les souvenirs du moyen-âge, il faut jeter un regard en arrière et se rappeler ce que fut dans les derniers temps cet État romain dont Charlemagne revendiqua la succession.

La conquête, telle que les empereurs l'avaient organisée, était un fait nouveau dans l'histoire du monde. Elle était en opposition avec toutes les conceptions antérieures des philosophes et des politiques. Aristote voulait que, la cité ne fût ni trop grande, ni trop petite, qu'elle eût juste l'étendue nécessaire pour se suffire à elle-même[1]. Ceux qui habitaient en dehors de l'enceinte sacrée n'avaient pas le droit de participer au maniement des affaires publiques, et l'on ne concevait pas que la cité pût s'étendre par l'assimilation progressive des peuples soumis ; la défaite d'une nation mettait fin légalement à son existence, et les personnes et les biens devenaient la propriété du vainqueur[2]. On en était encore là à la fin de la République. Avec l'Empire, cet ostracisme fut abandonné, les anciens cadres furent rompus, les obstacles religieux, philosophiques et juridiques écartés. Claude prononça le discours de Lyon, pour faire entrer les Gaulois dans le Sénat. En 212, l'édit de Caracalla étendit le droit de cité à tous les habitants de l'Empire[3]. Quel que fût le mobile qui avait fait agir cet empereur, il avait accompli une grande chose et pris une mesure dont Rome profita. Alors on put dire vraiment qu'elle avait reçu les vaincus dans son sein, donné à la race humaine un nom commun, agi comme une mère et non comme une dominatrice[4].

Cet enthousiasme, dont Claudien se faisait l'interprête, ne s'explique pas seulement parce que les provinciaux furent flattés d'avoir reçu un titre envié, mais parce qu'ils se plaisaient dans leur nouvelle condition. L'administration de la République avait été souvent lourde et tracassière ; les gouverneurs, qui n'étaient point surveillés, cherchaient à rentrer dans les fonds que leur élection leur avait coûtés ou à se procurer ceux qui leur étaient indispensables pour une réélection prochaine ; plus d'un Verrès orna ses appartements avec les statues qu'il avait volées à ses subordonnés. Il n'en fut pas de même sous les empereurs. Nommés par César, les gouverneurs de provinces furent contrôlés par lui. Tacite dit que Tibère veillait lui-même aux intérêts des provinciaux[5]. Hadrien, qui passa quatorze années de son règne sur vingt-et-une à voyager hors de Rome, convoqua les notables des pays qu'il traversait pour s'enquérir de leurs besoins[6]. Mais une institution libérale entre toutes fut celle des Assemblées provinciales. Adaptées à des organisations préexistantes, comme ce fut le cas général en Orient, ou créées de toutes pièces, comme en Occident, elles rendirent d'inappréciables services. Les députés, choisis par les habitants parmi les citoyens les plus honorables, eurent le droit de critiquer à l'occasion les actes des fonctionnaires romains, de formuler des accusations contre eux, de leur intenter des procès[7]. Les révolutions pouvaient éclater à Rome et les fournées de sénateurs se succéder au supplice les provinciaux s'en désintéressaient ; ils avaient des libertés, ils vivaient heureux.

La romanisation s'étendit rapidement. Il y eut bientôt clans cet immense domaine, qui allait des rives de Thulé aux marais du Nil explorés par l'audacieux centurion de Néron, unité de religion, d'art, de littérature[8]. Les Romains partagèrent tout, jusqu'à leur langue, jusqu'à leurs dieux[9]. Rien peut-être ne donne mieux une idée du prodigieux travail d'unité, qui s'accomplissait alors, que la manière dont se répandit l'art romain. Hadrien activa le mouvement, en emmenant avec lui des cohortes d'architectes et d'ouvriers organisés à l'instar d'une légion, et qui ne furent pas employés seulement, comme on le dit quelquefois, à restaurer les vieux temples grecs, mais à construire des amphithéâtres et des basiliques[10]. Depuis l'Asie Mineure jusqu'en Gaule, s'élevèrent à profusion les aqueducs, les thermes, les cirques immenses contenant des milliers de personnes, les enceintes fortifiées percées de portes monumentales avec des corps de garde, et tous les vestiges de cet art un peu lourd, qui n'avait pas le beau pour idéal, mais se plaisait dans les constructions imposantes et utiles. D'ailleurs la pierre ne restait pas à l'état informe, mais elle s'enrichissait de sculptures et d'inscriptions, et sur le fronton des arcs de triomphe où s'étalaient les bas-reliefs à sujets historiques, comme sur les humbles miliaires, tout contribuait à rappeler aux populations la gloire et les bienfaits des empereurs, les exploits guerriers d'un Titus ou d'un Trajan, leurs institutions charitables, et l'incomparable réseau routier dont ils avaient doté l'Empire[11].

Ainsi s'explique la reconnaissance infinie que les provinciaux vouèrent à Rome et qui les détermina à considérer la Ville comme une divinité. Ce culte avait commencé en Asie deux siècles environ avant la fin de la République, quand il fut certain que les Romains ne tarderaient pas à placer l'Orient tout entier sous leurs lois[12]. Avec César, empereur de fait sinon de droit, il fut associé à celui du prince, et sous Auguste, il s'organisa complètement[13]. Quelques années à peine s'étaient écoulées qu'il existait partout, et une province ne fut plus définitivement constituée tant qu'elle n'eut pas son culte de Rome et d'Auguste. Il n'y eut pas seulement un temple établi au chef-lieu de chaque province, mais chaque cité eut ses temples, ses prêtres, ses confréries, ses jeux[14]. L'adoration fut spontanée, et l'on ne saurait en être étonné, quand on constate que quelques légions échelonnées le long des frontières et souvent rebelles étaient une force suffisante pour contenir cent millions d'âmes[15]. Au fond, tous les bienfaits dont Rome était remerciée tenaient en un seul : la paix romaine — pax romana —. Celui qu'on honorait dans l'empereur, c'était le successeur du prince magnanime qui, le 30 janvier de l'an 9, entouré des magistrats, des prêtres et des vestales, avait inauguré solennellement au Champ de Mars l'autel de la paix — Ara pacis Augustæ.

Tant d'amour ne se comprendrait pas si l'on ne tenait compte également de l'incomparable beauté de la ville des Césars. Ses monuments étaient les palais du genre humain. Toutes les nations de la terre venaient s'asseoir sur les gradins de son Colysée, qui avait 80.000 sièges, et de son Cirque qui en comptait 360.000. Ses places publiques avaient la majesté et l'opulence des sanctuaires. Des temples magnifiques s'y alignaient en rangs serrés, rivalisant de richesse et de grandeur ; des peuples de statues dorées, rangées comme des armées surnaturelles, y rayonnaient au soleil : des colonnes sublimes, que l'œil se perdait à suivre, s'élançaient vers le ciel comme pour y porter la gloire des triomphes inscrits sur leurs flancs. Au centre de toutes ces merveilles, le Capitole et le Palatin se dressaient en face l'un de l'autre, l'un séjour de Jupiter, l'autre demeure de César ; celui-là dans la majesté lointaine du passé, celui-ci dans la splendeur inouïe du présent. Telle était encore la Ville d'Or au IVe siècle, lorsque l'orgueilleux Constance, habitué à n'admirer que lui-même, y fit sa première entrée[16].

La société vécut pendant près de trois siècles sous les lois impériales, sans qu'aucun signe extérieur parût présager de nouvelles modifications. Mais le calme n'était qu'il la surface. A l'intérieur, le monde romain était travaillé depuis longtemps par des idées nouvelles relatives à la morale et à la religion, et lentement pénétré par des nations dont le pays d'origine était au delà du Rhin et. du Danube. Le christianisme, né avec l'Empire, et les Barbares exercèrent peu à peu une action dissolvante, dont les effets n'apparurent vraiment que lorsqu'ils furent devenus irrésistibles.

Deux genres d'associations jouissaient sur tout le territoire romain d'une faveur exceptionnelle : les communautés juives et les collèges funéraires. A l'exception de Caligula qui voulut placer sa statue dans le temple de Jérusalem, tous les empereurs, suivant l'exemple de César, admirent que les Juifs formaient un peuple à part, de qui rien ne devait être exigé qui fût contraire à sa loi ; ils leur laissèrent la liberté d'avoir leur organisation particulière, leur trésor. et d'obéir à des chefs qu'ils avaient librement élus[17]. De même, les membres des collèges funéraires, autorisés par un sénatus-consulte du premier siècle sans autre formalité que la déclaration d'existence, avaient le droit de se réunir une fois par mois, de verser des cotisations et de donner des banquets[18]. Les chrétiens virent rapidement tout le profit qu'ils pouvaient tirer de ces associations. Il n'est pas douteux que l'Église soit sortie du judaïsme[19], et, en dépit de certaines différences plus apparentes que réelles dans la manière d'entendre la charité et la fraternité, l'analogie entre les premières communautés chrétiennes et les collèges limé-paires est frappante[20]. L'évolution qui s'accomplissait alors dans les croyances générales et se manifestait par le besoin d'une religion morale, sensible au cœur, facilita le recrutement qui ne se fit pas seulement parmi les esclaves et les affranchis, mais parmi les hautes classes et jusque dans les rangs de la famille impériale[21]. Le mérite des communautés chrétiennes fut de savoir rompre au bon moment avec les communautés juives trop disposées à s'enfermer dans un isolement farouche depuis la prise de Jérusalem, et dont l'esprit était incompatible avec l'existence d'une puissante hiérarchie.

L'infiltration des Barbares fut parallèle à celle du christianisme. Auguste avait conseillé de maintenir l'État romain dans les limites qu'il lui avait assignées, sans chercher à conquérir les peuples qui vivaient au-delà[22], et ses successeurs, écoutant son conseil, avaient construit de l'ile de Bretagne aux bouches du Danube cette formidable ligne de retranchements qui s'appelle le limes romanus[23]. Il n'était pas venu à l'idée du fondateur de l'empire, pas plus qu'à celle de Tacite, qu'il y avait quelque chose à attendre de ces populations quasi-sauvages qui mangeaient de l'avoine et ne connaissaient pas les délicates jouissances des lettres et de la conversation[24]. Quelques Romains pensèrent qu'avec un peu de vin, ou en viendrait facilement à bout[25]. Or, il se trouva que ces êtres méprisables étaient d'incomparables soldats, et que, s'ils pratiquaient l'agriculture sans passion[26], ils étaient capables de lui fournir des bras vigoureux. Les champs des propriétaires romains tombaient en friche et, comme jadis les citoyens d'Athènes, ceux de Rome répugnaient de plus en plus au service militaire. A quoi leur eût-il servi d'être les maîtres du monde, s'ils avaient été obligés de labourer la terre et de risquer leur vie dans des expéditions lointaines ? Ils furent heureux de trouver les Germains pour les établir de gré ou de force sur leurs domaines comme colons, dans les corps auxiliaires comme soldats, à la frontière connue têtes[27].

La transformation qui s'accomplit à partir de la seconde moitié du IIIe siècle dans la constitution de l'Empire eut pour objet de réagir contre ces nouveautés qui avaient fini par paraître dangereuses. C'est pour arrêter les Barbares, auxquels les postes-frontières ne suffisaient plus et qui, bon gré mal gré, débordaient le limes, que Dioclétien partagea sa puissance avec Maximien Hercule et créa deux Césars, Galère et Constance Chlore[28] ; c'est peut-être dans le même esprit qu'il abolit la vieille fiction qui maintenait l'autorité du Sénat à côté de celle du prince, et constitua la monarchie, copiant les souverains orientaux dans leur costume, l'étiquette de leur cour, et jusque dans l'isolement au fond d'un palais. Tentative hardie, grosse de conséquences : Constantin, le fils de Constance Chlore, la compléta en créant à Byzance, en face de l'Asie, une nouvelle Rome destinée à remplacer l'ancienne toujours attachée aux mœurs républicaines et que les nouveaux usages scandalisaient. Quand, cent ans après Dioclétien, Théodose partagea l'Empire romain entre ses cieux fils Arcadius et Honorius et les appela à régner, l'un à Constantinople et sur l'Orient, l'autre à Rome et sur l'Occident, il ne fit que consacrer la révolution accomplie. Alors il y eut deux empereurs, dans chaque empire cieux préfectures, dans chaque préfecture plusieurs diocèses, et le morcellement provincial depuis longtemps commencé s'acheva[29].

Quant au christianisme, le régime des persécutions, par lequel les empereurs avaient d'abord cherché à le combattre, n'avait pas réussi ; lois existantes on dispositions législatives exceptionnelles avaient été également des armes insuffisantes[30]. Constantin, obéissant plutôt à la raison d'État qu'à des convictions religieuses, promulgua l'édit de Milan de juin 313, par lequel il accordait aux chrétiens et à tous les autres la liberté de pratiquer la religion qu'ils préféraient, et mettait cette concession sous la protection de la Divinité[31]. C'était une solution de nature à ne satisfaire personne, car le christianisme n'admettait pas le partage, et le paganisme, qui avait toujours pour lui la majorité du pays, était loin de s'avouer vaincu. Après des luttes violentes où Rome montra tout ce qu'elle avait encore de respect pour ses anciens dieux, le christianisme triompha. A son tour il devint religion d'État, et sous les empereurs chrétiens le bras séculier se mit à son service comme il s'était mis précédemment à celui de ses adversaires. Gratien refusa le souverain pontificat[32] et fit enlever de la salle du Sénat l'autel de la Victoire, qu'Auguste avait fait placer après la bataille d'Actium et sur lequel chaque sénateur devait brûler un grain d'encens en entrant dans la curie. Après un brillant, débat devant le conseil impérial, où parlèrent successivement Symmaque pour les païens et saint Ambroise pour les chrétiens, Valentinien II confirma la décision de son frère[33]. Enfin Théodose, qui s'était proposé dès le début de son règne de faire adorer partout dans son empire le Dieu unique et souverain, ordonna la fermeture des temples, et c'est de lui, c'est de son voyage à Rome, l'année même de sa mort (395), que date la fin officielle du paganisme[34].

 

II

L'Occident se distingue de l'Orient ; événements de 476 et de 800. Etat des études historiques sur l'Empire carolingien. Objet de ce travail.

 

On peut poser en principe que jusqu'à la mort de Théodose les provinces occidentales et orientales de l'Empire avaient eu les mêmes destinées. Mais, à force d'être distinctes les unes des autres par leurs princes et leurs magistrats, elles finissaient par s'opposer, et il devenait possible que, dans un avenir plus ou moins rapproché, elles prissent conscience des différences profondes, antérieures à la conquête, qui les séparaient et qui avaient persisté sous le vernis de la romanisation. A vrai dire, la Romania, la seule qui justifiai ce nom par sa langue et sa civilisation, était celle qui commençait à l'Océan et comprenait la Grande-Bretagne jusqu'au mur de Sévère, l'Espagne, la côte septentrionale d'Afrique, la Gaule, l'Italie, la partie de l'Allemagne située au sud du Danube, les provinces entre ce fleuve et la Grèce, et sur la rive gauche la Dacie[35]. Au delà de ces limites, les hommes appartenaient à la culture hellénico-orientale[36]. La division de 395 put donc être purement théorique selon les vues de son auteur ; elle n'en fut pas moins un événement considérable, et, clans une certaine mesure, le signe des temps nouveaux. Les invasions qui se produisirent dans les premières années du Ve siècle achevèrent de donner à l'Occident une physionomie particulière.

Le système défensif imaginé par Dioclétien et. Constantin n'avait pas réussi. Trop politique et trop peu militaire, il avait l'inconvénient de briser la légion, ce merveilleux instrument dont Végèce disait qu'un Dieu l'avait révélé aux Romains. En 376, la poussée commença. Les Wisigoths traversèrent le Danube sur des barques, établirent en Thrace leurs cantonnements et se jetèrent sur la Grèce ; mais ils sortirent bientôt de l'empire d'Orient avec Alaric, et, après s'être emparés de Rome (24 août 410), constituèrent, sous les rois Ataulf et Wallia, un royaume qui couvrait toute la Gaule méridionale et l'Espagne du Nord[37]. Pendant ce temps, une masse de peuples, parmi lesquels on remarque les Alains, les Suèves, les Vandales, les Burgondes, se précipitait sur la Gaule, et, tandis que ces derniers se rassemblaient en Savoie, les Alains et les Suèves s'avançaient jusqu'en Lusitanie, et les Vandales jusque dans la Bétique : ils la quittèrent pour conquérir la province romaine d'Afrique[38]. Lorsque Wisigoths, Alains, Suèves, Vandales, Burgondes eurent passé, la monarchie d'Arcadius se retrouva avec son ancienne organisation intacte, mais la préfecture des Gaules avait reculé de Trèves à Arles, et Honorius s'était mis à l'abri derrière les murs de Ravenne.

On connaît la réflexion du roi des Goths Athanaric visitant Constantinople au temps de Théodose. Enfin, la voilà cette ville dont j'ai si souvent entendu parler !..... Oui, l'empereur est un dieu terrestre, et quiconque lève la main sur lui mérite la mort[39]. Personne ne soutient plus aujourd'hui que les invasions furent une attaque voulue, concertée contre l'empire romain dans le but de le détruire. Les plus intelligents d'entre les chefs barbares considéraient comme une folie de vouloir se substituer à lui[40], et il fallut l'approche des bandes d'Attila pour décider l'avant-garde germanique à passer le Rhin et le Danube[41]. Il n'en est pas moins vrai que les contrées envahies furent sensiblement maltraitées et que les habitants furent loin de saluer les Barbares comme des libérateurs, ainsi que voudraient le faire croire quelques apologistes chrétiens. A l'exception des Burgondes pacifiques, aimant l'agriculture et l'industrie[42], les envahisseurs ne furent ni appelés ni favorablement accueillis, et les violences qui signalèrent leur établissement sont montrées avec une éloquente précision par les écrivains contemporains qui ne se croient pas obligés, comme Salvien et Orose, de prouver que le monde n'est pas plus malheureux depuis la victoire du christianisme[43]. Il n'est question chez eux que de villas abandonnées, d'incendies et de pillages, d'habitants emmenés captifs ou faits prisonniers ; les pessimistes annoncent même la fin du monde[44]. Le pillage de Rome par Alaric ne dura que trois jours, mais, en 455, Genséric et les Vandales restèrent deux semaines dans la ville et se livrèrent à une dévastation systématique[45].

C'est également à Rouie que se produisit le dernier épisode de cette lamentable histoire. Spectateur impuissant des invasions, Honorius était mort en 423, et il axait eu pour successeur son neveu Valentinien III qui périt assassiné. Après que le trône des Césars eut été occupé quelques mois par un usurpateur, qui avait du moins pour excuse d'appartenir à une vieille famille italienne et d'avoir exercé les plus hautes magistratures, le règne du noble Gaulois Avitus servit d'acheminement vers l'influence barbare. Un Suève du nom de Ricimer, apparenté aux familles royales de Bourgogne et de Wisigothie, et qui commandait. en chef l'armée d'Italie, fit successivement quatre empereurs : Majorien, Sévère, Anthémius, Olybrius, soit seul, soit. avec le concours du César de Byzance. Glycérius et Julius Nepos ne firent que passer. Enfin le Panonnien Oreste, ancien secrétaire dit roi des Ilunsonit le manteau de pourpre sur les épaules d'un enfant, son petit-fils Romulus Augustulus. L'année suivante (476), un officier subalterne, simple porte-lance du corps des domestiques, le Ruge Odoacre, s'empara de Ravenne, tua Oreste et envoya Augustule finir ses jours dans une captivité dorée sur les pentes du cap Misène. Il ne prit pas la pourpre ; il ne la donna à personne[46].

Trois cent vingt-quatre ans après les événements qui viennent d'être racontés, le 25 décembre de l'an Soo, la Ville éternelle vit de nouveau un empereur s'élever dans ses murs. Charlemagne était un descendant de ces barbares grossiers qui inspiraient jadis tant d'horreur à Tacite, et qui, au Ve siècle encore, se sentaient si éloignés des maîtres du monde par leur intelligence et leur culture, que la pensée de so comparer à eux leur paraissait monstrueuse. Il voulut cependant reprendre l'héritage des anciens empereurs, reconstituer l'orbis romanus, assurer ses destinées par l'unité de la foi et des institutions communes.

Nous nous sommes proposés de rechercher à la suite de quelles circonstances s'accomplit cette mémorable journée, qui exerça une influence profonde, non-seulement sur les destinées de la chrétienté au moyen-âge, mais même sur celles de l'Europe moderne et contemporaine[47]. Le couronnement de Charlemagne, en effet, ne fut pas un acte isolé ; il se rattache, comme le faisait remarquer Fustel de Coulanges, à beaucoup d'actes antérieurs qui l'annoncent et le préparent[48]. Si l'on ne sait pas ce que l'Empire est devenu en Occident après 476, si l'on ignore que, loin de disparaître, le culte de Rome et des empereurs — au moins de certains empereurs — est resté vivant dans les fîmes, comment expliquer qu'au bout de trois cents ans et même davantage, un nouvel Auguste ait été créé ? comment apprécier la portée de l'évènement de l'an 800 ? comment dire ce que la société attendait de son nouveau chef ? Peut-être ceux qui se sont occupés de ces questions n'ont-ils pas su se dégager suffisamment des opinions préconçues. Ils ont imaginé une coalition des souverains pontifes et des princes carolingiens unis contre l'empire byzantin. quitte à se disputer ensuite ses dépouilles. Nous nous demanderons si cette manière de voir s'accorde avec les idées du VIIIe siècle, avec la politique très particulière d'Etienne II et d'Adrien Ier, de Charles-Martel et de Pépin.

L'étude des origines une fois terminée, nous suivrons l'empire carolingien à travers son développement historique. Notre but n'est pas de raconter en détail et dans l'ordre chronologique tous les événements auxquels les empereurs du ixe siècle ont été mêlés ; le travail serait trop considérable, et d'ailleurs il a été fait en partie et bien fait[49]. Nous voulons, employant les termes dont s'est servi un écrivain récent, parler moins des événements et davantage des principes, essayer de décrire l'Empire, non connue un État, mais comme une institution, création et personnification d'un prodigieux système d'idées, et, en exécutant ce plan, esquisser les formes que revêtit l'Empire aux différentes phases de son développement et de son déclin, effleurer de temps en temps le caractère et les actes des grands hommes qui l'ont fondé, dirigé et renversé[50].

Bryce — car c'est à lui et à son livre sur le Saint-Empire que ces lignes sont empruntées — n'a malheureusement pu consacrer à l'époque carolingienne tout le soin qu'elle exigeait. Quand on a le projet d'étudier en un volume la nature intime de l'Empire connue l'exemple le plus remarquable de la fusion des éléments romains et teutons dans la civilisation moderne, de montrer comment une semblable combinaison fut possible, comment Charlemagne et Otton en vinrent à ressusciter le titre impérial en Occident, jusqu'à quel point, pendant le règne de leurs successeurs, il conserva le souvenir de son origine et étendit son influence sur l'organisation des nations européennes, il est difficile de ne pas laisser dans l'ombre des points très importants. C'est ce qui est arrivé à l'historien anglais. Il a fait finir l'empire carolingien après la paix de Verdun ou même à la mort de Charlemagne, et jugé inutile de regarder de près l'histoire embrouillée de la période qui suit, sans se douter que cette période, pleine de faits et d'idées, c' tait celle qui l'eût éclairé le plus vivement sur les véritables origines et les caractères du Saint-Empire[51]. Alors, en effet, la conception de Charlemagne, restée de son vivant illogique et incomplète, s'achève, et, quand elle disparaît en 843, celle qui lui succède, bien inférieure à tous les points de vue, est plus intéressante peut-être, parce qu'elle engage l'avenir.

Au demeurant, l'erreur que Bryce a commise ne lui est point particulière. Il ne semble pas que l'excellent livre de M. Himly sur Wala et Louis le Débonnaire, paru il y a cinquante ans, ait attiré suffisamment l'attention sur le grand parti politique dont il révélait pour la première fois l'existence[52]. Après lui, les historiens, à de rares exceptions près[53], se sont obstinés à ne pas vouloir dépasser Charlemagne, et l'on peut dire que l'effort de la critique s'est usé dans l'étude de certaines questions spéciales, toujours les nièmes. Se passe-t-il une année sans qu'il paraisse en-deçà et surtout au-delà du Rhin quelque dissertation sur la formation des États de l'Église, l'avènement de Charlemagne et ses combinaisons politiques, les rapports de l'État carolingien avec la papauté ou avec Byzance ?[54]

Il faut savoir regarder les choses en face, mettre les responsabilités où elles se trouvent, et ne pas se dissimuler que, si les études sur l'empire carolingien ont tourné ainsi, c'est-à-dire mal, la faute en est à nous autres Français, qui avons trop facilement abandonné le terrain aux historiens allemands, sans penser que ceux-ci, pour des raisons auxquelles la raison historique est à peu près étrangère, ne désiraient pas accorder de l'importance à certains événements et de l'autorité à certains personnages de la seconde moitié du ixe siècle.

Si le traité de Verdun n'a nullement marqué, comme on n'en peut clouter, la séparation des trois races, italienne, germanique et française, il n'en a pas moins été le point de départ de la division de l'Europe occidentale en royaumes, et il a créé en Allemagne une première dynastie nationale, celle dont Louis le Germanique est la tige[55]. Dès lors, il ne convenait pas aux panégyristes de ce prince de placer ailleurs qu'en Allemagne le centre de la civilisation et de grouper les principaux événements de l'histoire autour de l'Empire, quand celui-ci était occupé par un Italien, Louis II, ou par un Français, Charles le Chauve[56]. D'ailleurs, qu'est-ce que l'Empire pouvait bien être devenu aux mains de ces deux hommes, l'un sans caractère et l'autre sans courage, l'un mené par sa femme, et l'autre plus timide qu'un lièvre, si ce n'est quelque chose de dérisoire et d'incertain[57] ? Il valait mieux n'en point parler, et laisser croire qu'après Charlemagne l'institution impériale périclita en Occident, jusqu'au jour où un Teuton, Otton le Grand, la ressuscita pour la seconde fois : la gloire allemande s'accommodait fort bien de cet état de choses.

Les faits, sont tout différents. Il est certain que, si l'unité de l'empire carolingien a cessé d'exister en droit après le traité de Verdun, elle n'a pas disparu complètement, car les anciens états de Louis le Pieux ont continué d'être associés par la parenté des familles régnantes, la communauté des croyances et surtout des intérêts. Les envahisseurs ignorèrent souvent s'ils rencontraient le royaume de Louis le Germanique ou celui de Charles le Chauve ; ils savaient que c'étaient des contrées bonnes pour le pillage, où il y avait de riches monastères, d'opulentes églises, des trésors remplis de pièces d'orfèvrerie, des plaines grasses, des greniers pleins de blé. En présence de cette situation, deux opinions prirent naissance : l'Église pensa que pour résister à l'ennemi dans des conditions honorables, il suffisait de créer un lien moral entre les royaumes francs ; le peuple, plein d'adoration pour la mémoire de Charlemagne, fut d'avis que seul un retour à l'unité réelle pouvait produire des résultats sérieux.

L'Empire avait été entendu au début comme une sorte de magistrature supérieure chargée de faire régner l'ordre et la paix dans les consciences ; les théoriciens du pouvoir impérial mirent désormais en première ligne la nécessité de veiller à la sécurité des frontières et de s'occuper des choses extérieures. Sans doute, les circonstances réduisirent ce droit de protection aux pays que les empereurs possédaient directement et à l'Italie, et tout ce que Louis II et Charles le Chauve purent faire, ce fut d'accroître le plus possible le nombre et l'étendue de leurs domaines ; mais, en travaillant dans ce sens, en maintenant par des moyens nouveaux le prestige extérieur de l'Empire, et par des moyens anciens ses prérogatives vis-à-vis de la papauté, ils n'accomplirent pas une œuvre stérile. Le peuple s'attacha de plus en plus à ses espérances, et toutes ces causes aboutirent à la restauration de l'Empire de Charlemagne au profit de Charles le Gros, puis d'Otton le Grand.

Telle est la manière dont l'empire carolingien évolua, se transforma, et finalement disparut après une sorte d'apothéose, dont l'imagination populaire fit tous les frais. C'est ce que nous chercherons à montrer, sans crainte de choquer les opinions établies, mais aussi sans aucun parti pris de les contredire, nous rappelant que l'histoire est mie science qui se fait avec les documents qu'on a, non pas avec les impressions personnelles que chacun de nous voudrait apporter[58].

 

 

 



[1] ARISTOTE, Politique, IV, 4.

[2] Institutes, II, tit. I, 17. Cf. FUSTEL DE COULANGES, Cité antique, p. 237 sq.

[3] Digeste, I, tit. V, 17. — Novelles, LXXVIII, 5. — DION CASSIUS, LXVI 9, dit que ce fut pour augmenter le produit du vingtième sur les affranchissements et les successions.

[4] CLAUDIEN, De consulatu Stilichonis liber tertius, vers 150-154 (MGH, Auctores antiquissimi, t. X, p. 226).

[5] TACITE, Annales, IV, 6.

[6] C'est du moins ce qui se passa pour l'Espagne (SPARTIEN, Hadrianus, XII). Nous savons d'autre part qu'Hadrien condamna certains gouverneurs de provinces au dernier supplice à cause de leurs méfaits (SPARTIEN, Hadrianus, XIII).

[7] Seule parmi les provinces, l'Égypte n'eut pas d'assemblée provinciale (MOMMSEN, Histoire romaine, trad. Cagnat et Toutain, t. X, p. 161). Pour le reste, voir l'excellent livre de GUIRAUD, Les assemblées provinciales dans l'Empire romain (Imprimerie nationale, Paris, MDCCCLXXXVII).

[8] Vie d'Agricola, 10. Cf. CLAUDIEN, De consulatu Stiliconis liber tertius, vers 155.

[9] L'influence de Rome sur la religion indigène fut surtout énergique en Espagne (MOMMSEN, Histoire romaine, trad. Cagnat, t. IX, p. 95).

[10] SPARTIEN, Hadrianus, 11-12, 18. Cf. J. DÜRH, Die Reisen des Kaisers Hadrian (Wien, 1881).

[11] Le bas-relief romain se réduit entièrement au genre historique, et bas-relief romain, bas-relief d'histoire, doivent être considérés comme des expressions équivalentes. COURBAUD, Le Bas-relief romain à représentations historiques, Paris, Thorin, 1899, p. 1, 26, 134.

[12] C'est en 195 av. J. C. que le premier temple en l'honneur de la déesse Rome fut bâti à Smyrne (GUIRAUD, Les Assemblées provinciales, p. 99).

[13] SUÈTONE, Octave, 52.

[14] V. BEURLIER, Essai sur le culte rendu aux empereurs romains, Paris, Thorin, 1890, notamment p. 155 sq., et MOURLOT, Essai sur l'histoire de l'augustalité dans l'empire romain (Bibl. École Hautes Études, 108e fasc.).

[15] GUIRAUD, Les Assemblées provinciales, p. 34. — FUSTEL DE COULANGES, La Gaule romaine, p. 171-172, 185.

[16] GODEFROI KURTH, Les Origines de la Civilisation moderne, 4e éd. (Paris. Retaux, 1898, t. I, p. 3). — V. pour plus de détails la Topographie de la ville de Rome de JORDAN (2 vol. Berlin, 1878-81) ou LANCIANI, Ancient Rome (Londres, 1889). — AMMIEN MARCELLIN, XVI, X, 13-17, a raconté le voyage de Constance à Rome.

[17] BEURLIER, o. c., p. 263-27. — MOMMSEN, Histoire romaine, trad. Cagnat, t. X, p. 145. — Sur la communauté juive de Rome en particulier, v. VOGELSTEIN et RICHTER, Geschichte der Juden in Rom., t. I.

[18] BOISSIER, La religion romaine d'Auguste aux Antonins, t. II, p. 313-337.

[19] Abbé DUCHESNE, Origines du culte chrétien, 2e éd., p. 1.

[20] Rapprocher de l'organisation des colliges funéraires, telle qu'elle est exposée par Boissier, le texte de Tertullien, où celui-ci décrit la vie intérieure des premières communautés chrétiennes (TERTULLIEN, Apologeticus adversus gentes pro Christiania, cap. XXXIX, dans MIGNE, P. L., t. I, col. 408-471).

[21] DION CASSIUS, LXVII, 14. — TACITE, Annales, XIII, 72. Cf. ALLARD, Rome souterraine, p. 183, 186.

[22] TACITE, Annales, I, 11. Tacite se demande si ce fut par prudence ou par jalousie. GIBBON (chap. Ier), croit que ce fut par prudence, et il semble avoir raison. En effet, dans la poursuite de ces guerres lointaines, l'entreprise devenait tous les jours plus difficile, le succès plus douteux et la possession moins avantageuse.

[23] Ce fut Claude qui, exécutant à la lettre le testament, ordonna au gouverneur de la Germanie supérieure de retirer de la rive droite toutes les garnisons romaines. L'ordre fut exécute et l'avis postérieurement suivi, car on ne trouve aucune inscription militaire sur toute la rive droite du Rhin inférieur. (MOMMSEN, Histoire romaine, trad. Cagnat, t. IX, p. 159, et sur le Limes, p. 194, 236 sq.).

[24] GEFFROY, Rome el les Barbares, p. 36-37.

[25] TACITE, Germanie, 23.

[26] CÉSAR, De Bello gallico, VI, 22.

[27] FUSTEL DE COULANGES, L'Invasion germanique et la fin de l'Empire, p. 372- 401, a rassemblé tous les textes essentiels sur ce sujet. — Ce fut en somme l'histoire de rétablissement des Francs dans le nord de la Gaule, bien qu'ils y aient fait d'abord quelques apparitions comme ravageurs (FUSTEL, o. c., p. 460).

[28] LACTANCE, De morte persecutorum, 7 (MIGNE, P. L., t. VII, col. 204-205).

[29] V. la Notitia dignitatum utriusque imperii, et, pour le morcellement provincial, JULLIAN, De la réforme provinciale attribuée à Dioclétien, Revue historique, t. XIX, p. 331-374, ann. 1882).

[30] Nous faisons allusion ici aux deux opinions qui règnent actuellement sur l'origine des persécutions, l'une d'après laquelle les chrétiens furent poursuivis en vertu de lois qui existaient avant eux, l'autre d'après laquelle ils auraient été poursuivis en tant que chrétiens. La première opinion, soutenue par LE BLANT dans un Mémoire célèbre et récemment reprise en Allemagne par MAX CONRAT, a été très vivement combattue, et avec succès, semble-t-il, par ALLARD et l'abbé DUCHESNE. (V. un article de GUÉRIN dans la Nouvelle Revue historique du droit, sept.-déc. 1895 : les conclusions sont à peu près celles de l'abbé Duchesne).

[31] V. le texte latin de l'édit de Milan dans LACTANCE, De morte persecutorum, 48, et le texte grec dans EUSÈBE, Hist. eccl., X, 5, 2-15. L'opinion de BURKHART, qui fait de Constantin un ambitieux dépourvu de toute espèce de croyances, me semble exagérée et d'ailleurs catégoriquement démentie par la lettre que publie EUSÈBE (Hist. eccl., II, 48). Il me parait impossible d'autre part d'admettre avec BOISSIER que l'empereur agit par conviction chrétienne et sans aucun calcul politique. Boissier déclare que Constantin n'avait aucun intérêt à se tourner vers le christianisme à ce moment là et que même sa conduite était dangereuse (La fin du paganisme, t. I, p. 33-34). Rien n'est plus contestable. ALLARD me parait avoir donné la note juste, en déclarant que la tolérance proclamée à Milan fut un acte politique, une mesure d'ordre et d'apaisement public, un modus vivendi imposé par l'État au paganisme et à l'Église catholique au nom des intérêts supérieurs et du salut de l'Empire (Le Christianisme et l'Empire romain de Néron à Théodose, Paris, Lecoffre, 1898, p. 183).

[32] ZOSIME, IV, 36. — Cf. ALLARD, o. c. p. 253, n. 1.

[33] BOISSIER, La fin du paganisme, t. II, p. 213 ; sq.

[34] Code Théodosien, XVI, v. 6. XVI. X, 12. Cf. BOISSIER, o. c., t. II, p. 339. — Sur le siècle des Empereurs chrétiens, dont l'influence fut considérable en Occident comme on le verra plus tard, v. le dernier chapitre d'ALLARD (Le Christianisme et l'Empire romain de Néron à Théodose, p. 261 sq.). L'esprit nouveau, dont l'Empire romain est pénétré à ce moment, est très finement analysé, avec trop d'admiration peut-être pour une politique qui consistait dans l'abandon absolu des principes de tolérance religieuse et de liberté de conscience que l'édit de Milan avait inaugurés.

[35] GASTON PARIS, Romania, année 1872, p. 16. Cf. JULIUS IUNG, Die romanischen Landschaften des römischen Reiches (Innsbrück, 1881).

[36] MOMMSEN, Hist. romaine, trad. Cagnat, t. XI, L'Europe grecque.

[37] JORDANES, Getica, XXV ; CLAUDIEN, De bello pollentino sive gothico (MGH. Auctores antiq., t. X, p. 260 sq.) ; OROSE, Hist. universelle, VII, 39. — La prise de Rome par Alaric, dont il est question également dans SOCRATE, Hist. eccl., VII, 10, et SOZOMÈNE, Hist. eccl., IX, 9 (MIGNE, P. L., t. LXVII) a été très bien étudiée par GREGOROVIUS, Geschichte der Stadt Rom im Mittelalter, t. I. p. 140 sq. Pour le reste, v. DAHN, Die Könige der Germanen, t. V, p. 1-70.

[38] JORDANES (Getica, XXXI) nomme comme peuples envahisseurs les Van dates et les Alains ; ZOSIME, VI, 5, ajoute les Suèves ; OROSE, VII, 32 et SAINT JÉRÔME (Epist., 123) parlent des Burgondes. D'après SOZOMÈNE, IX, 12, les Barbares séjournèrent trois ans en Gaule, de sorte qu'ils seraient entrés en Espagne en 409, ce qui est confirmé par la Chronique d'Idace (HYDATII, Chron., 49). Les Vandales passèrent en Afrique au mois de mai 429 (HYDATII, Chron., 90).

[39] JORDANES, XXVIII. — Cf. les impressions absolument semblables du Scythe Édécon envoyé par Attila en ambassade auprès de Théodose II, et rapportées par PRISCUS, I, 5 (Excerpta de legationibus, p. 147-148).

[40] C'est ce qui résulte de l'intéressante confidence qu'Ataulf fit un jour à un citoyen de Narbonne (OROSE, VII, 43). Cf. FUSTEL DE COULANGES, L'Invasion germanique, p. 303 sq.

[41] AMMIEN MARCELLIN, XXXI, II, dit formellement que la retraite des Goths vers le Dniester et le Danube fut provoquée par l'arrivée des Huns. L'accusation portée par SAINT JERÔME (Epist., 123) et OROSE, VII, 37, contre Stilicon, d'avoir appelé sur la Gaule l'invasion de 406, ne se soutient pas ; la faute de Stilicon fut d'avoir dégarni la frontière du Rhin l'année précédente, mais il l'avait fait pour réunir toutes les forces de l'armée romaine en Italie contre Radagaise (SOZOMÈNE, Hist. eccl., VI, 36).

[42] AMMIEN MARCELLIN, XXVIII, V, 11-14. — SOCRATE, Hist. eccl., VII, 30.

[43] SALVIEN, De gubernatione Dei, VII, 21. Orose lui-même contredit cet optimisme et qualifie les Vandales de gens imbellis, perfida et dolosa. (Hist. univ., VII, 38).

[44] ORIENTIUS, Commonitorium. Sur la désolation causée par les Barbares, voir l'Eucharisticon de PAULIN DE PELLA, et surtout la lettre de SAINT JÉRÔME à Ageruchia, écrite en 409 sous l'impression toute fraîche des événements. Saint Jérôme déclare que toutes les villes de la Germanie, de l'Aquitaine, de la Novempopulanie, de la Lyonnaise et de la Narbonnaise, à l'exception de quelques-unes, ont été dévastées. MIGNE, P. L., t. XXII, col. 1037-1038.

[45] PROSPERI TIRONIS, Epitoma chronicon, 1375.

[46] Sur ces événements, voir Amédée THIERRY, Derniers temps de l'Empire d'Occident. La mort de l'Empire (Paris, Didier, 1867), en particulier les pages 181-185, 253-254, et L. M. HARTMANN, Das italienische Königreich, t. I, p. 39-43.

[47] Voir H. WAST, Des tentatives de Louis XIV pour arriver à l'Empire (Revue historique, a. 1897, t. LXV, p. 1-43), et dans le livre de BRYCE sur le Saint-Empire, la Préface de LAVISSE et les pages 465 sq. (Napoléon comme représentant des Carolingiens). A-t-on remarqué l'analogie qui existe entre le Traité de la Sainte-Alliance et les Actes officiels dit régime de la Concorde à l'époque carolingienne ? Le système des Congrès ressemble assez à celui des Assemblées fraternelles.

[48] FUSTEL DE COULANGES, Les Transformations de la royauté pendant l'époque carolingienne, p. 290.

[49] Nous faisons allusion ici à la série des Jahrbücher des fränkischen Reichs, qui prend la maison carolingienne à ses débuts, et la conduit jusqu'à la mort de Louis le Pieux. Les livres de GFRÖRER, de WENCK, et de DÜMMLER, sont une suite des Jahrbücher des fränkischen Reichs pour l'Allemagne. Il est regrettable que la mort ait empêché GIRY d'achever la continuation française qu'il projetait de leur donner, en livrant au public le beau livre sur Charles le Chauve, que la science était en droit d'attendre d'un esprit aussi éclairé. — On ne peut citer qu'avec des réserves, étant donné le point de vue national où elles se placent, des histoires générales, comme l’Histoire des Carolingiens de WARNKÖNIG et GÉRARD, qui est bien démodée aujourd'hui, et où les faits ont été souvent dénaturés de parti pris par les auteurs, et la Deutsche Geschichte unter den Karolingern de MÜHLBACHER, qui n'est qu'un très bon manuel de vulgarisation, exempt de tout appareil critique.

[50] BRYCE, Le Saint-Empire romain germanique et l'empire actuel d'Allemagne (traduit de l'anglais par Domergue, avec préface de LAVISSE, 1 vol. Colin, 1890, p. 23).

[51] Deux pages suffisent à Bryce pour le règne de Louis le Pieux, après quoi il conclut textuellement : On ne peut guère qu'effleurer l'histoire embrouillée de la période qui suit. Après avoir passé d'une branche de la famille carolingienne à l'antre, le trime impérial fut occupé et enfin déshonore par Charles le Gros. (BRYCE, p. 101). — Récemment, un autre historien anglais, auteur d'un ouvrage général sur l'Empire au Moyen-âge, s'est contenté de trente pages pour toute la période qui va d'Auguste à Otton le Grand (FISHER, The medieval Empire, Londres, Macmillan, 1898, t. I, p. 13-47).

[52] HIMLY, Wala et Louis le Débonnaire, Paris, 1849, 1 vol. in-8°, a fourni cependant quelques bonnes pages à WARNKÖNIG et GÉRARD, t. II, p. 329. — Entraîné par son système qui ne lui permet pas de voir autre chose à l'époque carolingienne que le développement de la féodalité, Fustel de Coulanges soutient que le partage de 817 ressemble a tous ceux qui l'ont précédé et suivi, et qu'il a fait des trois fils de Louis le Pieux les chefs des fidèles ; une demi-page est réservée à l'énoncé de cette théorie, et une note suffit pour constater que quelques hommes avaient souhaité le maintien de l'unité carolingienne (F. DE COULANGES, Les transformations de la royauté pendant l'époque carolingienne, p. 624 et 639 n. 1).

[53] Il faut en faire une pour un ouvrage de haute valeur : LAPÔTRE, L'Europe et le Saint-Siège à l'époque carolingienne, 1re partie, le pape Jean VIII (Paris, 1895, 1 vol. in-8°). Le chapitre V, L'Empire carolingien (p. 203-357) est tout-à-fait remarquable.

[54] L'énumération des travaux consacrés à ces différentes questions figure dans la Bibliographie générale, et pour les études de moindre importance dans le cours du volume. Sur les rapports des Carolingiens et de la papauté, DAHN, Die Könige der Germanen, t. VIII, fasc. 6, p. 276-277, a rédigé une note bibliographique très complète. On signalera particulièrement le livre de KETTERER, Karl der Grosse und die Kirche, Munich et Leipzig, 1898, et les articles de WILHELM SIEKEL disséminés dans plusieurs revues. — Charlemagne a été en somme bien étudié au point de vue de l'Empire, et par les meilleurs historiens : WAITZ, Deutsche Verfassungsgeschichte, t. III, chap. II-III ; BRYCE, Le Saint-Empire romain germanique, chap. IV et V (Restauration de l'Empire en occident. L'Empire et la politique de Charlemagne) ; FUSTEL DE COULANGES, Les transformations de la royauté pendant l'époque carolingienne, chap. V (Le titre d'empereur) ; DAHN, Die Könige der Germanen, t. VIII, Die Franken unter den Karolingern, fasc. 6, chap. III et IV (Das Kaiserthum Der Theokratisums). — Il y a d'excellentes choses dans DÖLLINGER, Das Kaiserthum Karls des Grossen und seiner Nachfolger, Munich, 1865, et nous aurons souvent l'occasion de le citer. Les Anglais BRYCE et FISCHER lui ont beaucoup emprunté, et une traduction de son livre a été faite pour l'Angleterre en 1894.

[55] Rien ne permet de croire que les clauses du traité de Verdun fussent dictées par l'antagonisme des nationalités. Mais si cet antagonisme n'existe pas avant 843. Il est impossible d'en méconnaitre les manifestations après cette date, et de ne pas croire que le traité de Verdun et les partages de l'Empire ont donné aux nationalités qui le composaient conscience de leur existence et de la divergence de leurs caractères et de leurs intérêts. Cette opposition se manifeste surtout entre la France et l'Allemagne. (MONOD, De l'opposition des races et des nationalités dans la dissolution de l'empire carolingien. Annuaire de l'Ecole pratique des Hautes-Etudes. Ann. 1896, p. 8). Nous partageons tout-à-fait l'opinion de M. Monod, qui est aussi celle de MÜHLBACHER pour l'Allemagne (Deutsche Gesch. unter den Karolingern, p. 457).

[56] Tel est le point de vue auquel se placent DÜMMLER, MÜHLBACHER, et les autres. La très intéressante tentative faite par les amis et les admirateurs de Charlemagne après la mort de celui-ci pour conserver l'unité de l'Empire (Constitution de 817), ne trouve pas grâce non plus aux yeux des Allemands ; ils en parlent à peine, ou s'ils en parlent, c'est pour la condamner (voyez SIMSON, Jahrb. d fr. R. unter Ludwig dem Frommen, t. I, p. et DÜMMLER, Gesch. des ostfr. Reiches, t. I, p. 21-23) WAITZ considère la disparition de l'empire franc comme accomplie après le traité de Verdun, qui coïncide lui-même avec les débuts de la royauté allemande (Deutsche Verfassungsgeschichte, t. IV, p. 695-702). DAHN suit son exemple (Die Könige der Germanen, t. VIII, fasc. I, p. 90-96). Lothaire et Louis II figurent encore dans les Regesta imperii de BŒHMER-MÜHLBACHER, mais Charles le Chauve en est exclu.

[57] Voir en particulier MÜHLBACHER, Deutsche Geschichte unter den Karolingern, p. 454.

[58] FUSTEL DE COULANGES, La monarchie franque, p. 69.