LA MARINE DES ANCIENS - LA REVANCHE DES PERSES

 

CHAPITRE PREMIER. — LE COMBAT DE SYMÉ.

 

 

Entre la fin du règne de Louis XIV et notre orageuse époque, on compte aujourd’hui cent soixante-quatre ans ; Marathon et Chéronée sont à peine séparés par un siècle et demi d’intervalle. De Marathon à Chéronée, vous ne trouverez ni une bataille de Marengo, ni une victoire d’Austerlitz ; Issus et Arbèles appartiennent au règne d’Alexandre. C’est une heure triste et grave que celle où les peuples s’en vont. Il est, nous ne le savons que trop, dans la destinée de toute chose humaine de finir ; mais il semble que le sort devrait au moins de nobles funérailles à ces nations privilégiées auxquelles il fut donné d’être tout à la fois l’emblème de l’héroïsme et le flambeau de l’univers. Cette faveur dernière d’une belle mort ne fut pas accordée à la Grèce ; les dieux l’avaient condamnée d’avance à se dissoudre dans de misérables querelles intérieures. La guerre du Péloponnèse, cette source de tout lé mal, ce fléau déchaîné par Corcyre et plus encore peut-être par Corinthe, ne se termina pas avec l’expédition de Sicile ; elle alla se poursuivre sur les côtes de l’Ionie et sûr celles de l’Hellespont. Ce fut là que les généraux de Sparte apprirent à tendre leur casque à l’obole des satrapes, à. vaincre au profit de Tissapherne ou de Pharnabaze. Quand ils eurent dévoré en silence ces longues humiliations qui ne révoltaient plus que quelques âmes généreuses, quelques cœurs attardés dans un siècle corrompu, Philippe de Macédoine pouvait apparaître sans crainte. Le fruit était mûr. Athènes eut cependant, de l’année 413 avant Jésus-Christ à l’année 407, un retour inattendu de fortune. Ce retour coïncide avec l’époque du retour d’Alcibiade. N’allons pas pour cela exagérer l’importance du concours apporté à sa patrie par le transfuge repentant ! Les premières victoires qui rétablirent un instant la fortune d’Athènes furent gagnées contre Alcibiade ou du moins contre ses alliés ; les autres furent, pour la plupart, gagnées en son absence. N’importe l sans Alcibiade, sans son activité, sans sa vive et audacieuse impulsion, les Athéniens n’auraient jamais su tirer un parti suffisant de leurs succès. Il n’est donc que strictement juste d’en faire remonter l’honneur à l’homme qui, d’autre part, a peu de droits à nos sympathies.

L’escadre invisible de l’amiral Allemand est restée célèbre. On se rappelle qu’au moment où l’empereur Napoléon préparait mystérieusement en 1804 la concentration de ses forces navales dans la Manche, l’amiral Allemand reçut l’ordre d’arrêter tous les navires neutres qu’il rencontrerait sur sa route. L’an 413 avant notre ère, quelques mois à peine après le grand désastre de Sicile, quand la Grèce tout entière était en fermentation, une autre escadre invisible s’avançait avec les mêmes précautions vers les côtes de l’Ionie : Dès que cette escadre eut touché le continent asiatique, elle relâcha les bâtiments interceptés. Son but était atteint : elle venait de débarquer Alcibiade dans les États du roi des Perses. Nous avons vu les Anglais, en paix avec l’empereur de Chine, faire la guerre au vice-roi de Canton ; réconciliés avec le vice-roi, rouvrir les hostilités contre le gouverneur du Che-kiang. Le Céleste Empire formait alors un ensemble de provinces qu’on pouvait aisément confondre avec une série de royaumes juxtaposés. La monarchie des Perses admettait dans l’organisation de ses satrapies une indépendance tout à fait analogue. Le roi Darius II, le successeur d’Artaxerxés Longue-Main, n’eût probablement pas songé à profiter des événements survenus en Sicile ; ceux de ses satrapes qui avaient à gouverner des provinces maritimes trouvèrent l’occasion singulièrement propice pour recouvrer la faculté de taxer à leur gré les villes du littoral. Le roi leur réclamait sans cesse-le payement des tributs arriérés ; les Athéniens les tenaient à l’écart des opulentes cités qu’Athènes avait prises sous sa protection ; le moment était venu de tenter quelque chose pour se soustraire à un joug aussi humiliant que ruineux. Par elle-même, la Perse, malgré l’importance que conservait encore la marine phénicienne, ne pouvait rien ; les victoires de Cimon avaient trop bien assuré l’ascendant d’Athènes. Mais tout le Péloponnèse était en armes, et tout le Péloponnèse, à cette heure, construisait des vaisseaux ; Sparte allait bientôt avoir à ses ordres cent navires de guerre. Sauvée par Sparte, Syracuse, à son tour, lui envoyait sa flotte pour achever l’anéantissement de l’ennemi commun. La Perse et le Péloponnèse pouvaient donc à merveille se compléter : le Péloponnèse en fournissant des vaisseaux ; la Perse en fournissant des subsides. C’était là ce qu’avait pressenti avec la perspicacité de sa haine le dangereux transfuge accueilli par Lacédémone.

Deux des satrapes de Darius étaient particulièrement intéressés à se procurer le concours de la flotte lacédémonienne : le satrape qui gouvernait l’Ionie et celui qui commandait sur les bords de l’Hellespont, — Tissapherne et Pharnabaze. — Tissapherne reçut le premier la visite d’Alcibiade. Le perfide savait bien où devaient porter ses coups pour atteindre sa patrie au cœur. Il fallait d’abord lui enlever les îles qui bordent la côte ionienne ; on s’attaquerait ensuite à Byzance et aux villes de la Chersonèse. Avec Alcibiade s’était embarqué dans le golfe d’Égine un délégué de Sparte, Chalcidéus ; un traité fut bientôt conclu. S’il ne l’eût pas été par Tissapherne, il l’aurait été par Pharnabaze, car les deux satrapes se disputaient l’honneur et l’avantage de prendre des Grecs à leur solde. Tissapherne promit de payer quatre-vingt-dix centimes par homme et par jour. Alcibiade et Chalcidéus se mirent sur-le-champ à l’œuvre pour soulever Chio et pour insurger Milet.

L’empereur Napoléon, revenu de Russie, eut encore la puissance de faire sortir pour ainsi dire de terre une armée de six cent mille hommes. Athènes ne mit pas moins d’activité à. réparer ses pertes. Une nouvelle flotte ne tarda pas à descendre des chantiers du Pirée. Les géants ne tombent pas sous une seule blessure. Il fallut deux ans à l’Europe pour terrasser Napoléon Ier ; Athènes, pendant huit années, tint le Péloponnèse et la Perse en échec. Elle avait trouvé dans les eaux ioniennes une inappréciable alliée. Haine invétérée de Sparte, amour farouche de la démocratie, tout se rencontrait à Samos pour faire de cette île si riche en guerriers et en ports l’avant-garde d’Athènes, la surveillante jalouse des cités infidèles. Ce fut de Samos que partirent à bord de cinquante-deux vaisseaux, pour aller débarquer sur le territoire milésien, mille hoplites d’Athènes, quinze cents d’Argos, mille autres fournis par les villes tributaires. Conduits par Chalcidéus et par Alcibiade, soutenus par la présence de Tissapherne, les habitants de Milet se crurent de force à tenter une sortie. Ils furent complètement battus, refoulés dans leur ville. et investis le jour même par les. forcés athéniennes. Chalcidéus, le négociateur de Sparte, avait bravement payé de sa personne ; il trouva la mort dans cet engagement. Quant au fils de Clinias, son rôle n’était pas fini. Échappé sain et sauf du combat, il courut à cheval jusqu’aux bords du golfe qui s’ouvre entre Halicarnasse et Milet, juste en face de Pathmos, de Léros et de Calymnos. Là venaient de mouiller vingt vaisseaux de Syracuse, deux de Sélinonte, trente-trois du Péloponnèse. Théramène de Lacédémone amenait cette escadre au nouveau commandant en chef des forces alliées, au navarque Astyochos. Dès le point du jour, la flotté combinée cinglait vers Milet. Théramène s’était flatté de surprendre les Athéniens ; il fut cruellement déçu. Un avis venu de l’île Léros avaient mis les généraux d’Athènes, Phrynicos, Onomaclès et Scironidès, sur leurs gardes. En un instant, l’armée, les blessés, le matériel de siége, furent embarqués, le butin abandonné sur la plage et les vaisseaux dirigés à toutes rames sur Samos. Si l’amiral Persano eût montré à Lissa autant de diligence, il n’eût pas été réduit à combattre Tegethof dans les conditions défavorables qu’il accepta. Pouvait-il, en cette occasion, imiter l’exemple que lui donnait, en l’an 413 avant Jésus-Christ, Phrynicos ? Pour mettre des troupes à terre, pour les reprendre à bord, nous sommes bien loin de disposer des moyens rapides et sûrs que possédaient les anciens. Ne m’a-t-il pas fallu à moi-même, dans la seconde année de l’expédition du Mexique, près d’un mois pour embarquer un seul bataillon groupé près de l’embouchure de la rivière de Tampico ? Théramène avait manqué l’occasion de surprendre une flotte athénienne ; il saisit avidement celle qui s’offrait à lui de gagner les bonnes grâces de Tissapherne. Le satrape avait dans la ville de Iasos, sur la côte de Carie, un ennemi personnel ; il fit appel au zèle des Lacédémoniens. Les Lacédémoniens s’emparèrent de la place désignée à leurs coups et l’abandonnèrent aux vengeances du gouverneur de l’Asie maritime. La revanche des Perses commençait. Pour payer le service qui lui était rendu, Tissapherne apporta de l’or. Tous les navires alliés reçurent un mois de solde.

Tissapherne avait désormais sa flotte ; Pharnabaze, à son tour, voulut avoir la sienne. Les Péloponnésiens lui promirent vingt-sept vaisseaux, et Antisthène de Sparte reçut l’ordre de les lui conduire. La mission était plus facile à donner qu’à remplir ; Athènes gardait avec soin les avenues de l’Hellespont. Trente-cinq vaisseaux, commandés par Charminos, Strombichidès et Euctémon, cinglaient en ce moment même vers Chio ; soixante-quatorze autres, maîtres de la mer, faisaient de Samos des courses sur le territoire de Milet. La flotte d’Antisthène partit du cap Malée, entra dans Milo et y trouva dix vaisseaux athéniens. De ces dix vaisseaux, trois, abandonnés par leurs équipages, tombèrent en son pouvoir ; les autres réussirent à lui échapper et firent route vers Samos. C’était là un fâcheux contretemps pour Antisthène. La flotte athénienne allait être avisée de son départ : comment parviendrait-il à lui dérober ses mouvements ?. Antisthène suivit l’exemple d’Alcidas ; il brava les hasards de la grande navigation. Ses vingt-sept vaisseaux firent voile pour la Crète, y rencontrèrent l’obstacle presque insurmontable alors des vents étésiens, et, après bien des péripéties, finirent par arriver à Cannes en Asie. Caunes n’était guère sur le chemin de l’Hellespont, mais Cannes était peu éloignée de Milet, et à Milet se trouvait rassemblée la flotte d’Astyochos. Antisthène demanda qu’on vînt l’escorter ; Astyochos ne pouvait se refuser à ce légitime désir. Il prit sur-le-champ la route de Caunes, à la façon antique, par étapes. Sa flotte passa donc de Milet à Cos et de Cos à Cnide.

Si vous avez jamais relâché au cap Crio, vous y aurez contemplé avec admiration les débris de ce port où s’arrêtait, indécis dans sa marche, vers lés premiers jours du printemps de l’année 412 avant notre ère, le navarque Astyochos. Ce ne sont que fûts de colonnes, architraves de marbre, blocs énormes tirés. de carrières inconnues. Le roi Louis Philippe songea, en 1832, à faire servir ces décombres délaissés aux embellissements du palais de Versailles. Le vaisseau la Ville de Marseille et le transport le Rhône vinrent jeter l’ancre sur cette rade, qui pour la première fois sans doute abritait de pareils colosses. Le butin fut maigre, non que le marbre manquât ; mais nous nous trouvâmes inhabiles à soulever et à emmagasiner de pareils débris. Les masses que les anciens se faisaient un jeu de remuer ont toujours embarrassé la mécanique dégénérée de nos ingénieurs. La ville de Cnide, à en juger seulement par ses ruines, devait être une place importante. Toute la côte d’Asie, au temps d’Astyochos et de Tissapherne, était couverte de semblables cités. On s’explique aisément les immenses richesses qu’en devait tirer Athènes. L’Ionie maritime était pour elle ce que sont aujourd’hui les Indes orientales pour les Anglais.

Astyochos n’était pas le seul à chercher la flotte d’Antisthène ; Charminos, averti par les vaisseaux qui s’étaient enfuis de Milo, espérait bien aussi en avoir des nouvelles. Il s’était, à cet effet, établi en croisière avec vingt vaisseaux dans les parages de Symé, de Chalcé et de Rhodes. C’est dans ces mêmes eaux que croisait, en 1834, la flotte égyptienne, quand elle bloquait les Turcs réfugiés au fond de la vaste baie de Marmorice. Antisthène n’avait pas jeté l’ancre à Marmorice ; il était mouillé dans une baie voisine, à l’angle d’un de ces coudes que forme la rade étroite et sinueuse de Karagatch. Que sont devenues les ruines de Cannes ? Ont-elles été couvertes par la végétation odorante d’où j’ai vu, deux mille deux cent quarante-six ans après l’époque où vivait Antisthène, des marchands syriens occupes à extraire un baume mystérieux que môn ignorante appelait du benjoin ? Caunes ou une autre ville doit sommeiller sous ce bois touffu. Il est impossible, en effet, que les bords d’une semblable rade n’aient pas tenté quelque colonie. Sur cette côte, du reste, on peut fouiller partout ; les cadavres des nations et des villes y abondent.

Revenons aux opérations navales qui, pour le présent, nous occupent. Trois escadres mutuellement ignorantes de leur position se trouvaient réunies sur la côte de Lycie : l’escadre d’Astyochos à Cnide, l’escadre d’Antisthène à Cannes, l’escadre de Charminos à Symé. Astyochos fut le premier qui obtint quelques renseignements sur la situation de l’ennemi. Il partit de Cnide au milieu de la nuit et courut vers Symé, plein de confiance et d’espoir, se croyant certain de surprendre Charminos, si Charminos n’avait pas quitté son mouillage ; de l’envelopper, si la flotte athénienne avait pris la mer. Pour mettre à exécution ce projet, la première condition était de garder sa propre flotte tout entière sous la main. La pluie et la brume séparèrent les vaisseaux d’Astyochos ; la moitié au moins de la flotte du Péloponnèse se trouva égarée dans les ténèbres. Apprenez à naviguer et à manœuvrer de nuit ; la navigation et là manœuvre de jour ne sont rien ; les escadres les plus novices, les moins, exercées, s’en tirent. L’obscurité n’est faite que pour les forts ; l’amiral Saumarez répara son échec d’Algésiras en se jetant au milieu de nos vaisseaux par une nuit noire. L’aile gauche d’Astyochos était déjà en vue des Athéniens que l’aile droite et le centre erraient encore perdus dans le brouillard autour de l’île Symé. Charminos, lui, ne songeait qu’à la flotte de Caunes. Il aperçoit des vaisseaux ; ce sont sans nul doute lés vaisseaux que depuis plusieurs jours il guette ! Ce général qu’on venait attaquer se croit en présence d’une aubaine. Excellente condition pour combattre ! Les Athéniens s’élancent à là rencontre d’Astyochos avec toute l’ardeur qu’ils s’étaient promis d’apporter à la poursuite d’Antisthène. Trois trières du Péloponnèse sont coulées ; plusieurs autres subissent de graves avaries. Charminos les suit dans leur retraite et déploie son escadre sur un vaste espace ; aucun de ces vaisseaux qui fuient ne doit échapper à ses filets. Mais ce ne sont pas des fuyards qui émergent cette fois de la longue bande de brume ; c’est toute une division, massée, formée en ligne ; c’est la seconde portion de la flotte d’Astyochos. Les vaisseaux poursuivis se rallient derrière ce rempart. Arrêtez-vous. Athéniens ! Repliez-vous en toute hâte ! Vous n’avez pas intercepté l’escadre de Caunes, vous êtes tombés au milieu de la flotte de Milet. Qu’il fait bon d’être agile en pareille occurrence ! Une escadre moins leste eût été enveloppée ; Charminos en est quitte pour la perte de six vaisseaux ; le reste de son escadre a gagné sans encombre la rade d’Halicarnasse. Les Péloponnésiens retournent à Cnide ; les vaisseaux d’Antisthène, sachant la mer liure, s’empressent de venir les y joindre.

Un combat dans la brume ! Les modernes aussi en ont livré, et celui que Villeneuve avec ses vingt vaisseaux eut à soutenir, à la hauteur du cap. Finistère, contre les quinze vaisseaux de Calder en garda justement le nom de combat des Quinze-Vingts. Ces sortes d’actions sont rarement des affaires décisives ; le triomphe des Péloponnésiens leur donnait à peine le droit qu’ils s’arrogèrent d’élever un trophée sur l’île de Symé. C’était cependant quelque chose pour une flotte du Péloponnèse d’avoir pu combattre au large et de n’avoir pas essuyé une défaite. L’empereur Napoléon eût félicité Astyochos, puisqu’il félicita Villeneuve. Il faut tenir en effet grand compte du moindre avantage qui peut donner du cœur à des soldats habitués à être vaincus. Regarder alors de trop près à la supériorité du nombre, marchander ses louanges, discuter les heureux hasards qui ont pu entraîner la victoire, n’est pas seulement une coupable injustice, c’est aussi la plus insigne des maladresses. Astyochos était donc un vainqueur. Au profit de qui avait-il vaincu ? On éprouve une certaine honte à le dire : ce Spartiate avait vaincu au profit des Perses. Maître de la mer, dominant toute la côte de Lycie, grâce à la flotte vraiment considérable qu’il devait au zèle de Syracuse, à l’activité de Corinthe, de Sicyone, de Mégare, de Trézène, d’Épidaure et d’Hermione, aux efforts redoublés des Béotiens, des Phocéens, des Locriens, des habitants de l’Arcadie et de l’isthme de Pallène, Astyochos n’avait rien eu de plus pressé que de s’aboucher de nouveau avec Tissapherne. Croit-on qu’il son fiât alors à mettre son concours à un plus haut prix, qu’il voulût revenir sur les concessions arrachées parla nécessité et par lés odieux conseils d’Alcibiade à Chalcidéus ? Non ! Astyochos attendait Tissapherne à Cnide pour reconnaître par un traité solennel les droits de Darius à la possession de tous les pays précédemment soumis à la monarchie des Perses.

On a vu des négociateurs sacrifier d’importantes portions de territoire par une simple erreur géographique ; il ne s’est jamais rencontré de diplomate de la force d’Astyochos. Mesurait-il bien, ce général naïf, la portée de l’engagement qu’au nom de son pays il venait de souscrire ? Se rendait-il seulement compte des résultats immédiats que cette imprudente convention pouvait avoir ? Quoi ! les villes ioniennes allaient retourner sous le joug ! Les îles, la Thessalie, la Locride, la Grèce continentale jusqu’aux frontières de la Béotie, redevenaient le domaine des satrapes ! Et c’était Lacédémone qui souscrivait à ces conditions ; c’était Lacédémone qui se chargeait d’imposer aux Grecs la domination médique ! Poussé jusqu’à ces limites, l’aveuglement côtoyait de bien près la trahison. Sur de moindres soupçons, Sparte avait jadis fait périr Pausanias. Moins rigoureuse cette fois, moins austère surtout, elle se contenta de désavouer Astyochos. Onze commissaires furent investis du soin de réviser le traité de Cnide. Lichas, fils d’Arcésilas, parlant au nom de ces onze délégués, n’hésita pas un instant à déclarer qu’Astyochos avait outrepassé son mandat. Sparte était prête à discuter toute proposition raisonnable ; si l’on prétendait lui imposer des conditions humiliantes pour la Grèce, elle n’avait plus besoin de subsides. Au moment où il croyait toucher au succès, Tissapherne venait de se heurter à la vieille rudesse spartiate.