VERCINGÉTORIX

 

CHAPITRE XVIII. — VERCINGÉTORIX SE REND À CÉSAR.

 

 

I. Dernière défaite de l’armée de secours. — II. De la possibilité de continuer la lutte. Les chefs survivants. — III. Vercingétorix prend la résolution de se rendre. — IV. Motifs supposés de cette résolution. — V. Déclarations de Vercingétorix à son conseil. — VI. Préparatifs de la reddition. — VII. Cérémonial de la reddition de Vercingétorix.

 

I

Vercingétorix put, pendant la nuit, établir le bilan de la défaite.

Ce qu’il avait éprouvé lui-même et ce que ses hommes avaient vu du haut des remparts, signifiait qu’Alésia était perdue. Trois fois il s’était heurté aux lignes de la plaine, sans avoir pu entamer la terrasse ; il l’avait ouverte enfin sur les lignes d’en haut, mais les légionnaires avaient fermé la brèche de leurs propres corps, et aucun allié du dehors n’était apparu sur ce point pour le soutenir et pour prendre à dos ses adversaires. II était évident pour lui, non seulement que toute la Gaule ne s’était point levée à son ordre, mais que, de ceux qui étaient venus, les deux tiers n’avaient point bougé à ses cris. Vercingétorix devina peut-être, à cette absence des uns, un refus d’obéir, à cette abstention des autres ; un abandon pire qu’une trahison. Les seules troupes qu’on avait vues faire leur devoir, celles de son cousin Vercassivellaun, avaient été écrasées, et c’était de leurs dépouilles que se jonchaient à cette heure les camps de César.

Ce que Vercingétorix ignorait du désastre était plus considérable encore, et engageait les destinées de la Gaule après celles d’Alésia. César, le soir de l’assaut, avait vigoureusement pressé les fuyards, et ses cavaliers en firent un tel carnage que bien peu d’hommes purent regagner sains et saufs les camps gaulois. Sédulius, chef de guerre et magistrat des Lémoviques, fut tué ; Vercassivellaun fut pris vivant dans la fuite ; 74 enseignes de tribus furent apportées à César. — Restaient les 190.000 hommes qui n’avaient point donné ce jour-là. Il ne semble pas qu’ils se soient beaucoup aventurés hors de leurs camps. Ils y revinrent à la première alerte. Ils s’en échappèrent au premier bruit de la défaite. Si les soldats de César n’avaient pas été brisés de fatigue, après avoir passé la journée entière à marcher ou à combattre, ils auraient pu détruire ou prendre leurs adversaires jusqu’au dernier corps.

Cependant, le proconsul ne renonça pas tout à fait à cette espérance. Il laissa s’écouler dans le repos les premières heures de la nuit ; vers minuit, il envoya ses cavaliers et 3.000 fantassins pour couper la route aux dernières bandes en retraite. Lui-même se mit à leur poursuite avec d’autres troupes, au lever du jour. Quand les Gaulois l’aperçurent en si petit équipage, ils eurent un moment l’illusion de la revanche, et l’accueillirent, dit-on, avec des éclats de rire. Mais ce ne fut que la joie d’un instant : les autres Romains arrivaient par derrière, leurs ennemis perdirent la tête, et ne leur laissèrent plus que la peine de prendre ou de tuer. Ce fut, raconta-t-on plus tard, la plus vaste boucherie de Gaulois que César eût ordonnée en huit ans.

Ceux qui échappèrent, et notamment les principaux chefs, se hâtèrent de se séparer, gagnant, chacun de son côté, les refuges de leurs cités ou de leurs clans. La grande armée de la Gaule s’était évanouie et dissipée, comme le spectre d’une nuit de cauchemar.

 

II

Mais, si l’effort collectif du nom celtique était à jamais rompu, si aucun chef ni aucune nation n’étaient désormais capables de grouper toutes les volontés en un seul corps, il était encore possible d’organiser, dans presque toutes les cités de la Gaule, de belles résistances, comme l’avait fait Ambiorix en 53 dans Ies forêts marécageuses du pays éburon.

Sans doute, c’en était fait du patriotisme public des deux plus grands peuples, les Arvernes et les Éduens. Vercassivellaun pris, Vercingétorix près de l’être, les autres chefs arvernes du dehors ne songeaient plus qu’à se rendre aux meilleures conditions, et à se retrouver tranquilles et considérés comme au temps de Cobannitio. Les Éduens, et parmi eux Viridomar et Éporédorix, espéraient la même chose, et une autre encore : regagner, avec la faveur de César, l’hégémonie qu’il avait une première fois donnée à leur peuple. Les patriotes ne pouvaient compter sur Ies refuges de Gergovie et de Bibracte, presque déjà promis au vainqueur par la pensée des chefs. Mais Vercingétorix avait, en ses amis, une monnaie d’excellent aloi, et les places fortes du plateau central offraient d’imprenables réduits aux dernières résistances.

Lucter, le chef cadurque, était vivant, et il possédait, sur l’autre versant des monts arvernes, la ville et le puy d’Uxellodunum (Issolu près Vayrac ?), qui valait presque Gergovie. Dumnac, le chef des Andes, Gutuatr, celui des Carnutes et l’homme de Génabum, d’autres en Armorique, étaient décidés à ne point poser les armes. Le Sénon Drappès, qui ne faisait qu’un avec Lucter, était prêt à toutes les folies. Les Bituriges hésitaient à se sou-mettre. Même les Éduens étaient représentés, dans ce groupe d’indomptables, par un des leurs, Sur, qui fuyait vers les Trévires pour pouvoir combattre encore. Car les Trévires étaient toujours à réduire, et les Bellovaques étaient plus que jamais désireux de faire la guerre en leur nom : leur chef Correus, qui avait une haine implacable du nom romain, ne reculerait pas devant la levée en masse de son peuple, et ses voisins, Ambiens d’Amiens, Atrébates d’Arras, Calètes du pays de Caux, Véliocasses de la basse Seine, étaient disposés à se joindre à lui. Les Aulerques eux-mêmes n’étaient pas brisés par la mort de Camulogène et la défaite de Paris. Comm l’Atrébate était sain et sauf, entêté dans son serment, et il avait, comme on sait, des amis dans tout le Nord. Les Gaulois pouvaient, par delà l’Océan, appeler à leur secours leurs frères de Bretagne, comme ils l’avaient déjà fait. Il leur restait aussi la ressource de se paver des Germains contré César : Comm se faisait fort de lever des hommes chez les peuples du Rhin, toujours enclins à combattre le maître de la Gaule, quel qu’il fût. Enfin, les vaincus savaient que le proconsulat de leur vainqueur prenait fin à deux ans de là : s’ils pouvaient traîner la lutte nue couple d’années, le jour où César quitterait le pays, la partie redeviendrait égale entre eux et les Romains.

Ainsi, de Cahors à Angers, de Bourges à Arras, de Rouen à Trèves, un cercle d’hommes décidés environnait encore César, et il suffisait peut-être de l’ordre d’un seul pour allumer autour du vainqueur, sur le sol de presque toute la Gaule, les mêmes foyers d’incendie qu’au printemps, aux abords d’Avaricum. Seul, Vercingétorix pouvait être ce chef et donner cet ordre.

 

III

Il fallait, pour cela, qu’il s’échappât d’Alésia. Un écrivain ancien a dit que la chose n’était pas impossible. De fait, il ne devait pas être malaisé à un homme seul, hardi, vigoureux, sans blessure, de forcer les lignes romaines, ébréchées dans les combats de la veille, et privées d’un bon nombre de leurs gardiens occupés à la poursuite des fugitifs. Mais Vercingétorix ne voulut pas tenter cette aventure.

Demeurant à Alésia, il aurait pu proposer aux siens, jusqu’à épuisement de leurs forces, un dernier assaut des retranchements de César : ce n’eût pas été le salut, mais la gloire d’une mort en commun, les armes à la main. Sur le champ de bataille de Paris, Camulogène et les siens avaient donné le modèle de cet acharnement au combat qui est la plus belle forme du suicide Collectif. Vercingétorix ne songea pas à imiter cet exemple,

Il décida de rester et de se rendre. Nous sommes con-4lamnés à ignorer toujours les motifs qui inspirèrent sa résolution. Il n’est pas interdit cependant de supposer, d’après ses paroles et son attitude du lendemain, quelles pensées l’assaillirent et fixèrent sa volonté durant la nuit de la défaite.

 

IV

— S’il quittait Alésia, même pour recommencer la guerre, il paraîtrait s’enfuir, craindre le combat, la défaite et la mort. Et il livrerait à l’impitoyable rancune de César ceux qui survivaient de l’armée assiégée : je parle des soldats et non des chefs. Ces Gaulois étaient les insurgés de la première heure ; ils avaient combattu avec lui devant Avaricum, dans Gergovie, autour d’Alésia ; il les avait formés : ils étaient à la fois ses hommes et son oeuvre. Qu’il les abandonnât ou qu’il les conduisît h l’assaut, il les offrait également à la mort. Il n’en avait pas le courage.

— Puis, au delà des lignes de César, qu’aurait-il trouvé ? Vercingétorix ne savait rien de précis sur ce qui s’était passé dans le reste de la Gaule. Il avait vu venir des hommes, il les avait vus se battre en vain pendant quelques jours, il les avait vus s’enfuir : il ignorait quel appui et quel accueil il rencontrerait hors d’Alésia, et s’il ne se heurterait pas à quelque parti de traîtres ou de lâches prêts à le vendre froidement. Son compatriote, l’Arverne Épathnact, ne fera-t-il pas présent à César, l’année suivante, de Lucter enchaîné ?

— De quelque manière qu’il tombât entre les mains de César, ce dernier le ferait mourir. Il avait trop souvent arraché la victoire à cet orgueilleux de vaincre pour être pardonné de lui. La clémence de César n’était pas encore un de ces axiomes qui courent le monde au profit d’une ambition. Ambiorix traqué, Dumnorix égorgé, Acco exécuté, le sénat vénète massacré par ordre, l’incendie de Génabum, la tuerie des vieillards, des femmes et des enfants bituriges : voilà les exemples qu’on avait en ce moment de la manière habituelle du proconsul. Quant au peuple romain, il avait pu respecter la vie de grands rois comme Bituit ou Persée : mais Vercingétorix n’était qu’un roi d’occasion, et il devait connaître dans l’histoire du monde les morts d’Hannibal et de Jugurtha, les ennemis de Rome auxquels il ressemblait le plus.

— Je ne dis pas qu’il eût peur de mourir, ni de faim, ni sur le champ de bataille, ni dans la prison de César. Mais au moins pouvait-il faire que sa mort ne fût pas inutile à son peuple.

— S’il aimait vraiment ses hommes, il n’était pas sans défiance à l’égard des chefs de son conseil. Il n’en avait dompté quelques-uns que par la crainte des supplices. D’autres l’avaient accusé de trahison. Il y en avait qui, avant l’arrivée des secours, avaient parlé de se rendre. Il n’était pas sûr qu’il obtint d’eux une dernière bataille, qui leur couperait l’espoir, soit de vivre encore, soit de se faire pardonner par César. Qui sait même s’ils ne prendraient pas les devants en le livrant de leurs propres mains ? De ces chefs, les uns étaient des Arvernes, auxquels il avait imposé sa royauté, les autres étaient des Éduens, qu’il avait soumis à la suprématie de sa nation. L’heure de la patrie défaite est propice aux vengeances des partis politiques.

— Mieux valait qu’il mourût en s’offrant lui-même à César, de manière à épargner à la Gaule d’autres morts ou de nouvelles hontes, et à lui réserver, si elle voulait une revanche, le plus d’espérances et le plus de ressources.

— En se livrant au proconsul, il ne faisait, somme toute, que rendre justice à lui-même et à son rival. II était vaincu et bien vaincu. Il avait combattu jusqu’au bout avec vaillance et intelligence : mais la légion romaine était plus brave que la tribu gauloise, et Jules César s’était montré général meilleur et plus heureux que lui. Vercingétorix dut avoir pour l’homme qui l’avait battu ce respect sincère et naïf que d’autres Gaulois témoignèrent à leurs vainqueurs.

— Mais il était vaincu, non pas seulement par un homme, mais par les dieux. Ce n’était pas en vain que Jules César avait un génie familier, cette Fortune qui ne l’avait jamais trahi, même au pied de Gergovie, même sur la croupe d’un cheval gaulois : si elle lui avait fait perdre son épée, elle lui avait rendu la victoire.

— Où étaient au contraire les dieux gaulois, Teutatès et les autres, auxquels Vercingétorix avait donné de si précieuses victimes ? Le roi des Arvernes avait le droit de croire qu’ils ne communiaient plus avec lui, et qu’ils regardaient avec complaisance vers les camps du peuple romain. L’étrange et rapide aventure qui venait de finir était l’ouvrage, moins des desseins des hommes que d’une volonté divine.

— Pour prix du salut des mortels, les dieux de sa race exigeaient la vie d’autres mortels. Les pires dangers menaçaient la Gaule : elle avait besoin d’offrir la plus illustre victime.

— Son premier et son dernier acte, comme chef de la Gaule, s’adresseraient donc aux dieux. Il avait commencé la guerre par des sacrifices humains, il la terminerait de même. —

Et Vercingétorix, pensant peut-être toutes ces choses, résolut de se sacrifier lui-même, et de disparaître, non pas seulement en beau joueur qui s’avoue vaincu, mais aussi en victime expiatoire prenant la place d’une armée et d’une ville condamnées par leurs dieux.

 

V

Le lendemain de la défaite, il convoqua pour la dernière fois le conseil des chefs, et leur fit part de ses volontés suprêmes.

Il rappela d’abord que, s’il avait voulu la guerre contre Rome, ce n’était point par intérêt personnel : sa seule ambition avait été de rendre la liberté à tous les peuples de la Gaule.

Les destins étaient accomplis. Il n’avait plus qu’à s’incliner devant la Fortune, qui protégeait César.

Pour satisfaire les Romains, il fallait que l’homme qui avait été le chef de la guerre en fût aussi la victime. Il était prêt à se dévouer pour le salut de tous.

Il leur laissait seulement le choix du sacrificateur. Ils pouvaient le tuer : ils n’auraient plus qu’à envoyer sa tête à César. S’ils le préféraient, il se laisserait livrer vivant par eux. Quoi qu’ils décidassent, il ne s’appartenait plus.

L’Arverne avait bien jugé tous ces hommes. La parole de Critognat ne les avait excités qu’un jour ; la fièvre du combat passée, épuisés par la fatigue et la faim, ne voyant de toutes parts que la mort, ils n’avaient même plus le courage de la chercher eux-mêmes. Vercingétorix leur faisait entrevoir l’espérance d’avoir la vie sauve. Il leur offrait ce qu’ils souhaitaient tout bas. Ils succombèrent à la tentation, peut-être moins par lâcheté que par incapacité de vouloir. Et ce ne fut pas Vercingétorix qui rendit Alésia, mais les chefs qui livrèrent leur roi.

Ils acceptèrent, sans hésiter, le projet de reddition. Des parlementaires furent envoyés à César. Il rappela les conditions ordinaires : apporter les armes, amener les chefs. La vie fut promise sans doute à tous, la liberté à quelques-uns : mais Vercingétorix devait se rendre sans condition. La cérémonie de la capitulation fut fixée, semble-t-il, au jour même.

 

VI

Les Romains étaient d’admirables metteurs en scène. Ils recherchèrent toujours les spectacles qui frappaient l’imagination de leurs alliés et des vaincus, et qui servaient parfois autant qu’une victoire à leur assurer l’empire. L’histoire de la conquête de la Gaule se résume presque dans deux scènes d’une incomparable grandeur : le trophée élevé par Marius, la reddition de Vercingétorix à César.

Après la bataille d’Aix qui sauva la Gaule de l’invasion germanique (automne 102), Marius amassa en un monceau colossal les dépouilles des Barbares vaincus. Le trophée se dressait dans la large plaine de l’Arc, qu’encadraient de hautes montagnes couvertes de forêts et peuplées de dieux. L’armée faisait cercle autour du bûcher, toute couronnée de fleurs. Marius, vêtu de pourpre, levait des deux mains vers le ciel la torche enflammée. Un silence profond régnait autour de lui : tandis qu’à l’Orient se montraient, bride abattue, les cavaliers venus d’Italie qui allaient saluer le vainqueur, au nom du sénat et du peuple romain, du titre de consul pour la cinquième fois.

Un demi-siècle après (automne 52), le neveu et le véritable héritier de Marius, Jules César, le lendemain du jour où il avait donné toute la Gaule à ce même peuple romain, présenta aux dieux de sa patrie, non plus un grossier butin de bois et de métal, mais le plus noble trophée d’une victoire, le roi et le chef même de ceux qu’il avait vaincus.

Devant le camp, à l’intérieur des lignes de défense, avait été dressée l’estrade du proconsul, isolée et précédée de marches, semblable à un sanctuaire. Au-devant, sur le siège impérial, César se tenait assis, revêtu du manteau de pourpre. Autour de lui, les aigles des légions et les enseignes des cohortes, signes visibles des divinités protectrices de l’armée romaine. En face de lui, la montagne que couronnaient les remparts d’Alésia, avec ses flancs couverts de cadavres. En arrière et sur les côtés, les longues barrières des retranchements, où les deux brèches faites par l’ennemi semblaient de ces blessures qui rendent plus glorieux les corps des vainqueurs. Comme spectateurs, quarante mille légionnaires debout sur les terrasses et les tours, entourant César d’une couronne armée. A l’horizon enfin, l’immense encadre ment des collines, derrière lesquelles les Gaulois fuyaient au loin.

Dans Alésia, les chefs et les convois d’armes se préparaient : César allait recevoir, aux yeux de tous, la, preuve palpable de la défaite et de la soumission de la Gaule.

Vercingétorix sortit le premier des portes de la ville, seul et à cheval. Aucun héraut ne précéda et n’annonça sa venue. Il descendit les sentiers de la montagne, et il apparut à l’improviste devant César.

Il montait un cheval de bataille, harnaché comme pour une fête. Il portait ses plus belles armes ; les phalères d’or brillaient sur sa poitrine. Il redressait sa haute taille, et il s’approchait avec la fière attitude d’un vainqueur qui va vers le triomphe.

Les Romains qui entouraient César eurent un moment de stupeur et presque de crainte, quand ils virent chevaucher vers eux l’homme qui les avait si souvent forcés à trembler pour leur vie. L’air farouche, la stature superbe, le corps étincelant d’or, d’argent et d’émail, il dut paraître plus grand qu’un être humain, auguste comme un héros : tel que se montra Decius, lorsque, se dévouant aux dieux pour sauver ses légions, il s’était précipité à cheval au travers des rangs ennemis.

 

VII

C’était bien, en effet, un acte de dévotion religieuse, de dévouement sacré, qu’accomplissait Vercingétorix. Il s’offrit à César et aux dieux suivant le rite mystérieux des expiations volontaires.

Il arrivait, paré comme une hostie. Il fit à cheval le tour du tribunal, traçant rapidement autour de César un cercle continu, ainsi qu’une victime qu’on promène et présente le long d’une enceinte sacrée. Puis il s’arrêta devant le proconsul, sauta à bas de son cheval, arracha ses armes et ses phalères, les jeta aux pieds du vainqueur : venu dans l’appareil du soldat, il se dépouillait d’un geste symbolique, pour se transformer en vaincu et se montrer en captif. Enfin il s’avança, s’agenouilla, et, sans prononcer une parole, tendit les deux mains en avant vers César, dans le mouvement de l’homme qui supplie une divinité.

Les spectateurs de cette étrange scène demeuraient silencieux. L’étonnement faisait place à la pitié. Le roi de la Gaule s’était désarmé lui-même, avouant et déclarant sa défaite aux hommes et aux dieux. Les Romains es sentirent émus, et le dernier instant que Vercingétorix demeura libre sous le ciel de son pays lui valut une victoire morale d’une rare grandeur.

Elle s’accrut encore par l’attitude de César : le proconsul montra trop qu’il était le maître, et qu’il l’était par la force. Il ne put toujours, dans sa vie, supporter la bonne fortune avec la même fermeté que la mauvaise. Vercingétorix se taisait : son rival eut le tort de parler, et de le faire, non pas avec la dignité d’un vainqueur, mais avec la colère d’un ennemi. Il reprocha à l’adversaire désarmé et immobile d’avoir trahi l’ancien pacte d’alliance, et il se laissa aller à la faiblesse des rancunes banales.

Puis il agréa sa victime, et donna ordre aux soldats de l’enfermer, en attendant l’heure du sacrifice.