HISTOIRE DE LA GAULE

TOME VIII. — LES EMPEREURS DE TRÈVES. - II. - LA TERRE ET LES HOMMES.

CHAPITRE IV. — LA VIE MATÉRIELLE.

 

 

I. — INSÉCURITÉ GÉNÉRALE.

Les gens sans aveu prenaient aisément leur revanche sur la société aux heures de troubles que leur fournissaient les invasions germaniques ou les révolutions impériales. Jamais les Barbares n'auraient pu faire autant de ruines, si les bandits ne les avaient pas aidés à piller ; et ils ne seraient pas revenus si souvent, ni passé la frontière au bon moment, s'ils n'avaient eu pour complices des hommes du pays[1]. Dès qu'une bande de Germains apparaît, il se forme quelque part une bande de brigands pour la rejoindre[2]. Dès qu'une armée de guerre civile se met en marche, on voit surgir quelque part une troupe de Bagaudes, soit pour lui prêter main-forte[3], soit pour se faire payer le passage[4].

Même en temps de paix, l'insécurité est permanente[5] en cet Empire où tous les êtres sont si bien classés, où toutes les choses sont si rigoureusement inventoriées. Sur les routes de poste[6], en dépit des courriers qui circulent, des soldats qui veillent, des fortins qui se dressent, des relais ou des gîtes qui se présentent tous les douze milles[7], les détrousseurs de grand chemin savent l'heure du coup qui réussit[8]. Ce coup, c'est le passage d'un riche sénateur ou d'un haut fonctionnaire. Une fois, ils tombèrent à propos sur un parent du prince, grand écuyer à la cour, et ils le laissèrent mort sur la place, non sans avoir fait main basse sur un beau butin : et ce fut sous l'empereur Valentinien, qui n'était pas très loin de là et qui passait pour le plus sévère des empereurs[9]. Car même de son temps, disait un de ses admirateurs, la rage des brigands ne cessa de sévir dans les Gaules. Sans la nécessité d'une incessante bataille à livrer au banditisme[10], comprendrions-nous ces postes innombrables qui garnissent les routes, ces flottilles de rivières, ces murailles sur les Alpes ? On voit que la route est à défendre ou parfois même à reconquérir, morceau par morceau, sur des bandes de pillards.

Les villes elles-mêmes vivaient dans une inquiétude permanente. A la première alerte, on ferme les portes, et il arrive que l'empereur lui-même a de la peine à se les faire ouvrir[11]. On y tremble comme à la veille d'un siège ou d'une révolution[12]. Les garnisons ne sont pas une garantie de sécurité : en dehors des semaines de campagne, la discipline militaire est très médiocre, et la différence n'est point très grande, dans les mois d'hiver, entre le soldat de la caserne et le coupe-bourse du taudis[13].

Le grand seigneur, dans son château, a lui aussi ses heure d'angoisse, tout comme le bourgeois dans sa cité. S'il l'a fermé de remparts avec tours et courtines, c'est pour s'y barricader au besoin ; s'il a des gardes et s'il emprunte des soldats à l'État, ce n'est pas uniquement pour des parades. Théon, dans le Médoc, fait la chasse aux voleurs de bestiaux, et je pense qu'il préférerait la chasse aux sangliers. Dans le Bordelais aux terres si riches et si éloignées de la frontière, Ausone se demande parfois s'il aura assez de vivres dans sa dépense, et il est pas de fastueuse villa sans d'énormes greniers[14]. Avec toutes ses garnisons, toutes ses forteresses, ce formidable attirail de guerre dans sa vie intérieure, la Gaule du Bas Empire est moins tranquille qu'au temps des villes ouvertes et des routes désarmées, lorsqu'il n'y avait de soldats que pour garder la frontière[15].

 

II. — LA VIE DANS UNE VILLA.

On y passa pourtant d'heureuses journées, du moins dans les châteaux de la noblesse[16]. Un sénateur de Gaule connaissait et savourait tous les biens et toutes les beautés du temps et de la terre, le charme des heures qui s'écoulent sans ennui et sans tristesse, les joies de la richesse qui s'étale sous les yeux, les agréments de la société humaine qui encadre la vie ; et il en jouissait avec une intensité de désir et une élégance de manières qui font songer aux seigneurs de France à la veille de la Révolution : comme si l'approche des grands périls suscitait à leur insu chez les puissants du monde un besoin plus vif des plaisirs quotidiens, un sens plus profond de la douceur de vivre.

Dès qu'on a franchi la porte du donjon sénatorial, on oublie la lugubre apparence de ses remparts[17] et de leur appareil militaire[18] : dans ce cadre qui annonce le péril, tout vous invite à ne plus y penser, et c'est le calme et la sécurité de l'opulence. Comme au temps de jadis, des portiques aux colonnes de marbres variés s'allongent autour des bâtiments d'habitation, les uns exposés au bienfait du soleil d'hiver, les autres prêt à recevoir toutes les ombres de l'été[19]. A l'intérieur, des salles d'apparat continuent à montrer les couleurs étincelantes des mosaïques ou les tons adoucis des tapisseries ce sont de véritables musées, où l'on peut suivre en tableaux pittoresques, sur la laine ou sur la pierre, l'histoire glorieuse des ancêtres du maitre du lieu ou les pieux épisodes du triomphe de sa foi[20]. Dans la villa des Pontius à Bourg sur la Dordogne, on admirait les batailles de la guerre de Mithridate, roi de ce Pont-Euxin. dont les Pontius s'imaginaient tenir leur nom, et, à côté, les gestes miraculeux du peuple d'Israël, prédestiné à recevoir la parole de Dieu. — Tout près de la demeure, presque adossé à ses murailles, mais formant d'ordinaire un bâtiment séparé[21], était l'édifice des thermes, dont aucune villa ne pouvait encore se dispenser[22], et qui à lui seul était tout un monde. De l'eau en abondance et toujours pure, qu'un aqueduc amenait d'une source voisine, des salles chaudes[23], tièdes ou froides, un système ingénieux de cheminées et de conduites de vapeur[24], de larges piscines qui donnaient l'illusion de lacs[25], et partout encore des portiques et le chatoiement des marbres multicolores[26] : rien ne s'était perdu, chez le clarissime de Théodose, de ce qui avait fait l'orgueilleuse somptuosité ou la volupté subtile d'un ami d'Auguste ou d'un favori d'Hadrien[27]. L'aristocratie n'avait point changé ses façons de vivre et de jouir. — Plus loin, dominant thermes et villa, adaptée sans doute aux remparts, une haute tour permettait au seigneur, à ses heures de rêverie, le spectacle de vastes horizons et de gracieux paysages, le repos du regard sur les bois de lauriers qui revêtaient les collines du voisinage ; et l'aimable sénateur, ami des Muses plus que de Mars, oubliait dans le plaisir de ses yeux que cette tour avait été élevée pour la garde de son château et la guette d'un ennemi[28].

Dans cet asile de tranquillité, la bonne chère était une des conditions de la vie joyeuse ; et en cela encore le clarissime gaulois des derniers jours de l'Empire resta fidèle à la tradition sénatoriale[29] et un gourmet de race. Le vin[30], le gibier[31], les huîtres[32], surtout les poissons de tout genre[33], encombraient sa table, elle aussi conforme au rituel gastronomique des temps antonins. C'est un grand seigneur du quatrième siècle, Ausone de Bordeaux. qui a fait connaître, en vers de sa façon, toutes les variétés d'huîtres de la Gaule, toutes les espèces de poissons de la Moselle, et le goût particulier des unes et des autres. Quand on s'invitait de sénateur à sénateur, c'était, écrivait-on, pour lutter à table, en la mêlée plaisante des appétits et des dégustages[34]. La Gaule passait, dans l'Empire, pour le pays des repas plantureux et de la cuisine savoureuse, et, entre toute ses provinces, disait-on encore, c'était celle de Bordeaux qui savait le mieux manger[35].

On se préparait à ces joutes par de violents exercices de corps, et c'était sans doute la seule chose que le seigneur concédât à l'esprit militaire. Il aimait les jeux de force et d'adresse, et la balle triomphait déjà sur les palestres ou sur les terrasses des jardins[36]. Il aimait plus encore la chasse[37] sous toutes ses formes, et à la course ou à l'affût s'était joint le vol à l'épervier ou au faucon[38], début d'une passion qui chaque jour va devenir plus forte. Ne nous représentons pas ces derniers nobles de l'Empire romain comme des efféminés, amoureux de nonchalance et de paresse. Le plein air les attire, et ils débordent de santé. De très longs voyages ne les rebutent pas[39], d'autant plus qu'à la fin de chaque étape ils sont assurés d'être joyeusement accueillis dans un de leurs domaines ou dans la villa d'un confrère.

Car à chaque journée ou demi-journée de marche, sur les grandes routes de la Gaule, débouchait un chemin qui menait au château d'un clarissime, toujours prêt à faire fête aux hôtes imprévus ou attendus[40] De l'un à l'autre on circulait en voitures, lentes ou rapides, lourdes ou légères, souvent riches et confortables, demeures mobiles de quelques heures presque aussi molles que les lits somptueux des nuits prochaines[41]. Mais le vrai noble, celui qui se met à la façon du sénateur de Rome, préférait à toutes les voitures le bateau de plaisance, aux coussins profonds, à la tente gracieuse[42], qui glissait sans bruit et sans secousse sur les eaux de la Garonne ou de la Dordogne, si commode et si plaisant à qui voulait lire, converser ou écrire quelques vers[43]. Car c'est peut-être cette jouissance de l'esprit dans le repos d'un corps vigoureux qui est devenue la volupté favorite des derniers héritiers gallo-romains d'Asiaticus ou de Lucter.

 

III. — RETOUR À LA TERRE.

En dehors de leurs œuvres littéraires, ils ont fait ou dirigé, sur le sol de la Gaule, de très bonne besogne. Ils eurent d'abord le mérite d'entendre l'appel de la terre, de prendre racine au milieu d'elle. Les villes sont devenues insupportables aux hommes riches et délicats de la noblesse, avec leurs sombres murailles, leurs espaces étouffés, leurs garnisons de Barbares, leurs rues bruyantes et sales qu'encombrent les chiens en maraude, les porcs passant pour la foire ou les bœufs attelés aux charrettes[44]. Ils fuient maintenant la vie de cité avec même ardeur[45] que, quatre siècles auparavant, leurs pères avaient recherchée. Cette noblesse qui, par ses hôtels municipaux ou ses villas suburbaines, avait fait jadis la beauté et la richesse de Vienne ou de Reims, a de nouveau émigré vers ses domaines, depuis que les cités à demi détruites ne leur offrent plus de vastes demeures et des fêtes somptueuses. Au moins en leurs châteaux se sentent-ils libres de bâtir à leur guise, entourés d'hommes qui ne sont qu'à leur service, ne frayant qu'avec leurs pairs ou avec leurs obligés[46]. S'ils vont à la ville, c'est pour célébrer les fêtes chrétiennes[47], jusqu'au jour où ils pourront avoir un prêtre dans leur oratoire[48] ; c'est aussi pour amener leurs enfants à l'école, régler leurs affaires politiques[49], écouter quelque rhéteur en renom, et consulter, s'il le faut, avocats ou médecins[50]. Mais la véritable existence pour eux, la vie de fond, celle qui compte et qui plaît, qui occupe et qui produit, c'est dans leurs villas, sur leurs terres, qu'ils veulent la passer, et ils sont résolus et capables de la bien vivre[51].

Car ils ne furent rien moins que des oisifs et des inutiles, et il ne faudrait pas pousser outre mesure la comparaison avec les seigneurs, français de la cour de Versailles. Au lendemain des désastres du troisième siècle, c'est à eux qu'est incombée la tache de rendre à la terre de Gaule sa fécondité naturelle, et ils ont su l'accepter et s'y adonner sans réserve[52]. Assurément, ils n'ont pu l'accomplir tout entière. Il faudra de nouveaux siècles, d'autres ouvriers et d'autres, maîtres, pour achever de guérir les maux des générations néfastes. L'œuvre de la résurrection terrienne va être souvent interrompue par le retour offensif des Barbares. Jusqu'au onzième siècle, jusqu'à l'éveil définitif de l'activité française, le sol de notre pays montrera dans ses landes, ses marais, ses espaces en friche, ses fermes en ruines, les plaies faites par les erreurs et les sottises du régime impérial[53]. Mais enfin, les hommes du quatrième siècle ont réparé quelques-unes de ces fautes, et, sans retrouver sa merveilleuse richesse, la Gaule va produire à nouveau de quoi se nourrir et se vêtir ; et désormais, même sous les rois barbares qui vont la posséder[54], elle ne présentera plus, comme au début de ce siècle, le spectacle le plus lamentable qui puisse affliger le regard des hommes, celui d'une terre qui se meurt en pleine jeunesse de sa vie.

 

IV. — PROSPÉRITÉ RELATIVE DE L'AGRICULTURE.

Grâce à l'appoint de la main-d'œuvre barbare, le sol se défriche à nouveau[55]. L'usage des tenures, l'exploitation en parcelles, rend aux esclaves la tâche plus facile et plus agréable : à défaut de la petite propriété, qui est le moyen le plus sain et le plus sûr de faire vivre et valoir la terre, elle connut du moins le régime de la division en pièces de culture, qui lui rendit quelques services de même genre.

La Limagne a recouvré sa richesse en blés[56], en vignes et en fruits : c'est de ce temps que sont les paroles enthousiastes dont les lettrés ont décrit l'océan de ses moissons, la mosaïque diaprée de ses fleurs, la variété infinie de ses tons de verdure[57]. Même en Belgique, malgré l'ennemi qui est tout proche, c'est le ravissement d'une promenade élysienne que de suivre les bords de la Moselle, de voir ces vignes penchées sur les coteaux, ces prés au ras de la rivière, ces routes blanches qui les traversent, d'entendre les chants et les rires des paysans qui s'approchent, les cris des muletiers sur le sentier de halage, les eaux frappées par les cadences des rames[58]. De la Gaule entière les écrivains redisaient à nouveau ce qu'avaient dit ses premiers maîtres romains, qu'elle était riche en biens de tout genre[59]. Ses paysages inspiraient enfin les poètes par la grâce de leurs contours et l'harmonie de leurs nuances. Fleurs et fruits y brillaient pour le plaisir des hommes et même au gré de leurs caprices[60] : d'habiles cultures y avançaient jusqu'au printemps la maturité des uns, continuaient jusqu'à l'hiver la floraison des autres, et les roses y bravaient gaiement la plus mauvaise saison[61].

Car il suffit toujours de quelques années d'espérance et de travail pour rendre la vigueur de sa jeunesse au sol de la France ; et durant ce long siècle qui va de Dioclétien à Théodose, où la Gaule ne connut que quelques empereurs, tous attachés à leur métier, elle jouit bien souvent de ces lustres ou de ces décennales de paix suffisantes à la santé de sa terre[62]. Pas une seule fois elle n'eut à redouter une famine générale. Les blés du terroir, en particulier ceux d`Aquitaine, permettaient de nourrir l'armée en campagne[63]. Probus, en rendant la liberté aux vignobles, avait fait pour la prospérité du pays presque autant qu'en chassant les Barbares. Jamais, depuis que la vigne a pris pied en Provence, la Gaule n'en a raffolé davantage. On en plante partout[64], et, parfois même, comme aux environs de Marseille, on commet déjà l'imprudence de négliger pour elle la culture du blé[65]. Il est vrai que Marseille comptait sur les arrivages du dehors pour son pain de chaque jour[66], et que ses habitants ne pouvaient résister à la joie de voir mûrir le raisin dans leurs jardins si péniblement conquis aux flancs rocailleux des collines voisines.

Ce fut, ce quatrième siècle, un beau temps pour le vin de Gaule[67]. Le règne des empereurs de Trèves aida certainement à sa gloire. Les crus de la Moselle arrivèrent à la célébrité[68]. Ceux de Bordeaux rendirent son nom illustre dans le monde[69]. Paris lui-même tira vanité des siens[70], et l'empereur Julien, qui y séjourna, fut homme à comprendre la noblesse des vins de la Gaule comme à jouir du charme qui se dégageait de sa terre. Aussi, de quel œil jaloux on observait ces vignobles, annonciateurs de tant de joies et de richesses ! Un grand seigneur aidait à vivre au milieu d'eux, et il ne laissait même pas toujours à son intendant la tâche de veiller à leur santé car on soignait les vignes presque comme des enfants, et un clarissime bordelais avait parfois la tristesse de les voir tomber malades et la fierté de les guérir lui-même[71].

 

V. — DÉCADENCE DE L'INDUSTRIE.

Ce retour des hommes à la terre ramenait le monde gaulois à quelques-unes de ses plus vieilles habitudes de travail et peut-être à la loi normale de son activité. Il comprit que le meilleur moyen de ne pas craindre la famine n'est point dans la circulation des grandes routes et le libre échange avec de lointaines provinces, mais dans l'exploitation sévère et suivie de ses ressources naturelles. La Gaule, avant César, s'était suffi à elle-même sa terre ayant gardé toute sa valeur, rien n'empêchait qu'elle reprit une subsistance autonome, la pleine indépendance de sa vie matérielle.

Par contrecoup, et tout ainsi qu'au temps de la liberté, les hommes se détournèrent de l'activité industrielle[72], vers laquelle ils s'étaient si ardemment portés entre l'époque de Caligula et celle des Sévères. Toutes les grandes manufactures à ambitions internationales ont disparu dans la tourmente du dernier siècle : rien ne subsiste des céramiques de l'Auvergne, du Rouergue ou du Gévaudan[73], rien non plus des fabriques de lampes dauphinoises ou de poteries lyonnaises, et on a même vu s'arrêter à la lin la verrerie normande de Frontin, la dernière née des grandes maisons de la Gaule[74].

A leur place, en fait de vastes établissements d'industrie, je ne trouve que ceux qui appartiennent l'État, et qui travaillent pour lui : manufactures d'armes de guerre ou d'habits de cour, ateliers de tissage ou de confection à l'usage du personnel civil ou militaire de l'Empire. La plupart, d'ailleurs, continuent de très anciennes traditions locales ; mais je ne saurais dire si l'État a sauvé les fabriques particulières en prenant leur suite, ou s'il ne les a pas ruinées en se substituant à elles.

A moins de sottise, les bureaux de l'empereur ne pouvaient en effet installer une manufacture d'État qu'en un milieu déjà habitué à son genre de travail, à portée de la matière première dont elle avait besoin. Si des teintureries impériales se sont organisées à Toulon et à Narbonne[75], c'est parce que les parages maritimes de ces deux villes étaient depuis des millénaires le rendez-vous des pêcheurs de pourpres. La grande manufacture d'armes d'Argenton en Berry[76] fait songer à la célébrité plusieurs fois séculaire des riches ferrières et des puissants fourneaux bituriges[77]. A Autun, à Mâcon, où l'on fabrique des balistes, des flèches, des boucliers et des cuirasses[78], on avoisine les bois d'exploitation du Morvan et les gisements de fer de la Puisaye, et peut s'inspirer encore de la tradition des bronziers éduens de Bibracte ou du Nivernais C'est à Tournai en Flandre que se trouve l'une des plus grandes fabriques d'étoffes pour le compte de l'État[79], et les gens de Flandre et de Hainaut passaient depuis longtemps pour les principaux des peuples drapiers de la Gaule[80]. Les pires malheurs avaient pu traverser cette Gaule, mais ils n'avaient détruit ni ses mines ni ses pâturages et au premier retour du repos, les richesses de son sol appelaient de nouveau l'industrie des hommes aux lieux familiers où leurs ancêtres avaient pris l'habitude du travail[81].

En dehors de ces fabriques impériales, je n'aperçois que deux espèces d'industrie qui aient pu créer quelques maisons à production intense et à relations étendues la céramique des vases à boire, avec décors et légendes appliqués à la barbotine ; et mieux encore, la verrerie fine avec ses innombrables objets de table, de tombe, d'ornement ou de culte[82]. Car, depuis que le règne des empereurs syriens a mis le verre en honneur, jamais il n'a été plus populaire[83] : c'est à lui, et non plus à la poterie, qu'on demande les coupes les plus élégantes, les vases aux formes les plus étranges, les médaillons les plus délicatement ornés d'images[84]. Il fait le luxe des maisons les plus opulentes et la coquetterie des tombes les plus pauvres[85].

Mais les maîtres verriers de la Gaule[86] ne paraissent pas avoir travaillé pour l'exportation ni même pour de lointains clients. De Trèves, de Reims, de Cologne, de Lorraine ou des Vosges, doivent être leurs ateliers principaux[87], leurs produits ne cherchent guère à fréquenter que les provinces de leur résidence ou de leur voisinage, celles de Belgique ou de Germanie. Plus loin en Gaule, si le verre conserve toute sa vogue, les producteurs locaux cèdent souvent la place à la concurrence de la camelote étrangère, apportée par les mercantis d'Orient[88]. Et même en Belgique, je pressens quantité de petites maisons[89] plutôt que quelques puissantes usines à la Frontin ; la similitude des produits vient d'une mode générale, et non pas d'un atelier dominateur. La grande industrie est bien morte. Un fabricant ne signe plus ses produits[90], rien ne le met à l'abri des contrefaçons, il ne recourt plus à la réclame, on dirait qu'il a perdu l'orgueil de son nom et de sa firme.

Ce qui résiste le plus, après la verrerie, ce sont les différentes sortes soit d'industries de luxe soit d'industries d'art : la sculpture de menus objets d'ivoire[91], la fabrication d'orgues et d'instruments hydrauliques[92], la bijouterie d'or et d'argent, avec ses bagues, sa vaisselle ciselée[93] et ses broches incrustées de grenats[94], et, enfin, la confection des beaux vêtements, des tissus de soie, des brocarts, des franges multicolores, des tapisseries aux curieuses images, de toutes ces étoffes somptueuses, tantôt lourdes comme des tapis, tantôt légères comme des voiles, où l'on brodait, dessins, figures, devises et même portraits d'êtres aimés[95]. Mais cela, somme toute, ne faisait vivre que quelques ouvriers habiles, artistes plutôt qu'artisans, et n'était destiné qu'au plaisir des riches de ce monde. Et de nouveau, ainsi qu'à l'époque de l'indépendance[96], l'industrie des choses fines n'était plus qu'à la solde de l'aristocratie.

Le commun peuple se contente maintenant à peu de frais. En matière de poterie, par exemple, il ne connaît plus les vases ornés qui furent sa joie durant les premiers siècles de l'Empire, on ne met plus à sa disposition que des récipients aux formes vulgaires, mal cuits, à vernis très médiocre, sans autre ornement que quelques dessins enfantins ou linéaires[97], appliqués sans soin à la roulette, à la molette ou au poinçon[98]. Et l'on se croit parfois revenu à l'époque où les Ligures ou les Celtes faisaient leurs premiers essais de céramique[99]. Il n'est point rare, dans des tombes qui ne sont cependant point de pauvres gens, de voir côte à côte un vase de verre d'une excellente facture et un pot d'argile de la plus vulgaire façon[100] : et ce contraste nous rappelle celui que nous avons observé au début de cette histoire, lorsque le tombeau du guerrier celte nous a offert l'un près de l'autre le vase gaulois de terre grossière et l'aiguière grecque de métal aux formes élégantes. S'il est vrai, comme je le crois, que la poterie soit l'industrie d'élite où se révèle la marque d'une société[101], jamais l'esprit et la main ne parurent moins capables de souplesse et de beauté que dans la Gaule de Théodose[102].

Ce qui durait le plus obstinément des procédés de l'industrie gallo-romaine[103] c'est ce qui avait trait à la construction[104]. Les  remparts des villes sont de puissantes bâtisses[105], beaucoup son encore debout[106], et la masse en est si solide, même dans les parties maçonnées, que l'ensemble forme une manière de monolithe, de rocher tout d'une pièce, où les siècles ultérieurs pourront creuser et aménager des salles et des escaliers[107]. Ciment aussi dur que la pierre, brique au grain tassé et remarquablement cuite[108], appareil en petits cubes régulièrement taillés[109], le maçon du quatrième siècle est digne des dix générations de maîtres romains qui l'ont éduqué[110]. On voit que l'État, qui veut murailles de résistance, a surveillé les pratiques du métier et le faire des tâcherons[111].

Cependant, il manque à la construction quelque chose qu'elle ne retrouvera pas de sitôt, l'art, la force ou le temps de tailler la grosse pierre. Sous ces assises de brique, de ciment et de petit appareil, nous avons des fondements d'occasion ou de remplissage, pierres énormes sans doute, mais toutes empruntées aux ruines d'anciens monuments, masse incohérente où les colonnes en tronçons se mêlent à des architraves découpées et même à des statues mutilées[112]. Et c'est bien l'image de ce siècle où une administration savante s'élève sur une société qui se décompose. De même que l'architecte peut raffiner sur la façade, donner à l'édifice un couronnement qui a de l'allure mais quand il s'est agi de réunir les pierres du fondement, il n'a point pris la peine de les tailler dans les bancs des carrières voisines, il s'est borné à ramasser les matériaux tombés des édifices antérieurs.

C'est là peut-être la note dominante de l'industrie de ce temps elle travaille sur place, avec la matière qui est à sa portée[113], et pour la clientèle la plus proche ; elle a rétréci son horizon et localisé sa vie. Dans les villes et les villages, ce sont boutiques de potiers ou de forgerons pour l'usage de la plèbe du pays[114] ; et dans les villas de la campagne, ce sont ateliers de même genre pour les services du seigneur du lieu[115].

 

VI. — ROUTES DE TERRE, DE RIVIÈRE ET DE MER.

Le commerce a, lui aussi, réduit ses ambitions. C'est lui, évidemment, qui souffre le plus de l'insécurité des routes et de leur médiocre entretien. Car durant tout ce siècle, depuis l'arrivée de Maximien jusqu'à la mort de Théodose, on vit rarement un empereur s'appliquer avec suite à la réfection des voies publiques : Constance Chlore et Valentinien se sont intéressés au chemin militaire qui va de Paris à Autun par la rive gauche de la Seine[116], Constantin s'est occupé de la route qui traverse les Cévennes, de la Loire arverne au Rhône du Vivarais[117] ; et il a dû y avoir, surtout sous les règnes du premier Constance et de son fils, bien d'autres efforts sérieux de grande voirie[118]. Mais comme cela fut peu de chose au regard de l'œuvre des temps antérieurs[119] ! Dans ces cent dix ans de paix relative, nous trouvons sur les voies impériales de la Gaule dix fois moins de bornes milliaires que dans le siècle précédent, qui vit une si longue succession de malheurs[120]. La poste d'État, pourtant, fonctionnait bien mais je me demande si elle passait ailleurs que sur quelques routes bien choisies[121], entretenues avec soin, abondamment pourvues de forteresses[122], d'auberges et de relais[123], sillonnées d'agents et d'inspecteurs. Et quant aux chemins d'à côté, qui ne servaient qu'aux particuliers, tout y était laissé à l'abandon, à l'horreur des ornières et à l'effroi des solitudes[124]. C'est ainsi que sous les Bourbons le superbe pavé du roi faisait contraste avec la misère des chemins vicinaux.

Le commerce se sentait plus libre sur les voies fluviales. C'est par eau que s'approvisionnent les châteaux riverains du Tarn, de la Dordogne et de la Garonne[125]. Dès qu'on le peut, on quitte la route pour la rivière si l'on va de Dax à Bordeaux, on aime à prendre un bateau à Langon[126] ; de Bordeaux à Saintes, on descend, la Garonne jusqu'à Blaye[127] ; de Trèves à Arles, on rejoint la Saône à Chalon, et l'on s'embarque. Chalon n'a pris son importance municipale que parce qu'il est tête de ligne sur la plus longue voie fluviale de l'Occident[128]. Et c'est aussi pour cela qu'Arles n'a rien perdu de son mouvement et de sa richesse, qu'elle est devenue le grand entrepôt de la Gaule[129], qu'elle a enfin dépassé Narbonne sa constante rivale[130], carrefour de routes de terre et non pas tête de chemins de rivières.

Cette popularité nouvelle des voies fluviales va de pair avec le réveil des petites énergies maritimes, que l'incurie du régime impérial avait laissées s'éteindre sous la tyrannie des grands ports d'État[131]. Depuis que le commerce à sacrifié ses entreprises lointaines, il s'arrête plus volontiers à des ports de cabotage : la vie, sur le rivage comme sur les rivières ou sur les routes, se fixe et se développe en plus de points ; les centres d'activité de second ordre se multiplient, que ce soit domaines de riches ou forteresses impériales, et c'est, pour l'avenir de la Gaule, un grand bienfait qui se prépare. Il y a des garnisons sur bien des parties de l'Océan dont jusqu'ici nous n'avions jamais entendu parler, mais qui, soyons-en sûrs, avaient jadis joué leur rôle dans la Gaule indépendante, Blaye sur la Gironde, Aleth au fond du golfe de Saint-Malo, ou Mardyck sur les côtes de Flandre[132]. La Méditerranée voit de nouveau s'agiter des rades ou des ports modestes que les Ligures et les Grecs avaient fréquentés et que les anciens empereurs avaient méprisés ; et le Christianisme aidant, il y aura des cités épiscopales à Toulon et La Ciotat en Provence, à Agde et à Maguelonne en Languedoc[133]. On commence à réparer les deux grandes iniquités commises par César et sanctionnées par Auguste : le Morbihan recouvre son port de guerre avec la citadelle de Vannes, Marseille voit revenir dans son port du Lacydon une flotte militaire, et les commerçants ou les voyageurs ne dédaignent plus d'y débarquer au lieu de monter jusqu'aux cités impériales d'Arles ou de Narbonne[134].

Car ni l'insécurité ni le mauvais état des routes n'empêchaient de très longs voyages. La force du désir humain l'emportait toujours sur la crainte du danger ou sur l'approche d'un ennui[135]. J'ai déjà dit que les sénateurs se tiraient aisément d'affaire sur les grands chemins : on peut le dire aussi des prolétaires, qui n'avaient rien à perdre en se déplaçant[136]. Les plus réfractaires aux courses lointaines devaient être les gens des classes moyennes, qui n'avaient ni l'aide de la poste publique ni les ressources de la richesse ni les audaces de la misère de gré ou de force, j'imagine que le bourgeois ne quittait point sa ville, partageant sa vie entre sa maison citadine et son bien de campagne ; et quand il se décidait à voyager, c'était sans doute en compagnie, en troupes joyeuses d'amis qui s'entendent et s'entraident.

Un nouvel attrait amenait alors les hommes à se mettre en route et à changer d'horizon : c'était le pèlerinage aux lieux saints du Christianisme, à Jérusalem où il avait pris naissance ou aux tombes des martyrs qui avaient combattu pour lui. Universelle par définition, la religion nouvelle fut une religion de grands chemins[137] et de longs voyages ; l'échange des dévotions, la circulation des gloires pieuses, fut une des conditions de sa vie[138]. En 333, sous le règne de Constantin, un pèlerinage s'organisa à Bordeaux pour la Terre Sainte : il s'y rendit par terre, à travers la Gaule, l'Italie, les pays des Balkans, l'Asie Mineure et la S rie ; et cela prit plus de trois mois de route, 141 étapes[139] Jérôme, pour mieux connaître les Églises de la Gaule, arriva de ce côté des Alpes et se rendit à Trèves[140]. Les amis de Sulpice Sévère, désireux de visiter les fameux solitaires de l'Égypte, s'embarquèrent Narbonne pour Alexandrie, non sans faire escale en Afrique afin de prier sur la tombe de saint Cyprien[141]. Lorsque Ambroise, en 386, découvrit à Milan les corps de saint Gervais et de saint Protais, il voulut que la Gaule, reçût sa part des reliques ; elle allèrent jusqu'à Tours et jusqu'à Rouen, et leur passage sur les grandes routes dut provoquer un prodigieux afflux de pèlerins[142], comme en avaient amené jadis les cortèges funèbres de Septime ou de Drusus. Je rappelle enfin les va-et-vient des évêques, qui durant tout le quatrième siècle passèrent la moitié de leur vie à évangéliser les campagnes ou à se rendre aux conciles[143]. — Et peut-être, à défaut de la police impériale, était-ce cette circulation d'êtres et de choses qui donnait à une route la meilleure garantie de sécurité.

 

VII. — LA CIRCULATION COMMERCIALE.

La circulation commerciale la plus étendue est par mer, de ports de l'Orient et surtout d'Alexandrie à Marseille, Arles ou Narbonne[144]. C'est ainsi qu'arrivent, accompagnant leurs pacotilles, ces négociants grecs, juifs ou syriens qui sont en train de mettre la main sur les marchés de la Gaule[145]. Tout maintenant les attire ici : le Gaulois s'est désintéressé de l'industrie et du trafic ; il fabrique peu et n'a cure d'échanger ; la place est partout à prendre. Voici les mercantis orientaux qui se présentent à point nommé ; et à Trèves, à Arles, à Bordeaux, ils vont faire ce qu'au temps de Cicéron les trafiquants italiens faisaient à Narbonne, à Toulouse ou à Vienne, à ceci près qu'ils ont sans doute moins grande allure et qu'ils préfèrent encore le détail à la commission ou au commerce de gros, la petite boutique de camelote au stockage des vastes entrepôts. C'est chez eux que l'on va acheter les parfums[146], les objets de verroterie, les étoffes de luxe[147], et cent autres, articles de bazar oriental. Mais le jour n'est pas loin, où, devenus maîtres incontestés sur les lieux de vente et les centres d'affaires, ils feront passer par leurs mains toutes les marchandises du pays et deviendront dans la Gaule les trafiquants universels, banquiers, courtiers et même gérants d'immeubles[148] ou marchands de biens[149].

Les autres courants d'échange ne faisaient que prolonger de très anciens mouvements, dont l'intensité était chaque jour plus faible. D'Espagne arrivaient, par Bordeaux, Arles ou Narbonne, les oranges[150], l'huile, la saumure[151], et surtout ces chevaux d'attelage léger, dont la rapidité et la souplesse faisaient la joie des amateurs du cirque et portaient par tout l'univers la gloire du sang ibérique[152]. Rome continuait sans doute à expédier au delà des Alpes des articles de luxe ou de fantaisie[153]. Beaucoup de marchands gaulois cherchaient fortune, comme au temps des rois arvernes, de l'autre côté du Détroit, et se groupaient, en une assez nombreuse colonie, dans la cité de Londres, devenue la principale place commerciale de toute l'Angleterre[154] : mais le malheur des temps ou la crainte des pirates avaient sans doute arrêté ce trafic maritime entre la grande île et le port de Bordeaux qui avait jadis amené le bruit et la richesse aux bords de la Garonne[155]. A l'autre extrémité de la Gaule, les vaisseaux bretons arrivaient encore à l'embouchure du Rhin et de la Meuse, du moins quand ils étaient bien convoyés et chargés de blé pour les greniers et l'armée de la frontière. De ce côté cependant, les incursions de Barbares étaient trop fréquentes pour que Trèves ait pu conserver son prestige commercial[156] les affaires devaient s'y ramener, aux heures de tranquillité, à quelques échanges avec les marchés riverains du fleuve[157]. Tout cela, en somme, tenait une place médiocre dans l'activité générale du pays.

Le commerce intérieur se bornait également à quelques déplacements de marchands et de marchandises, le plus souvent dans une seule région[158] : je ne parle pas des grands transports de blé à l'usage des troupes en campagne[159]. Il est fort douteux que les anciennes foires rurales aient repris leur importance : elles dépendaient toutes de sanctuaires, et la fréquentation en était liée à la vogue d'un pèlerinage et à la gloire d'un dieu ; l'arrivée des évangélistes et la ruine du temple ont amené le discrédit du marché ; et le temps n'est pas encore venu où de nouveaux foirails s'installeront auprès de la tombe d'un saint. C'est sur les places et aux portes des villes ou des bourgades que se fixent maintenant les principales heures de l'agitation commerciale[160], de celle qui n'a pas pris ses habitudes devant les boutiques des rues[161] ou les roulottes des campagnes.

Ce qu'on vend ou achète, ce sont les produits d'un voisinage qui n'est pas très étendu. Un propriétaire du Médoc fournira[162] au commissionnaire qui vient traiter avec lui, le suif de son bétail, la cire de ses abeilles, la résine de ses pins, le jonc de ses marais, dont on fabriquera chandelles, torches, lampes ou mèches[163] : mais cela, je crois, ne dépassera guère le marché de Blaye ou celui de Bordeaux. Ne nous faisons pas illusion sur les fontaines en marbre de Paros qui ornent les places de villes[164] ou sur les colonnes en matériaux précieux qui décorent les plus belles villas[165] : ce sont les générations antérieures qui sont allées chercher ces marbres en Grèce, en Asie ou en Numidie ; et les architectes du Bas Empire se sont bornés à les extraire des ruines du voisinage. La Gaule vit en partie des ressources de ces ruines et des reliefs de son passé. Quand ses plus riches seigneurs reçoivent quelque produit du dehors, oranges d'Espagne[166] ou ballon de jeu fabriqué en Italie, c'est un événement pour eux, et ils le célèbrent en prose ou en vers. Les temps ont bien changé depuis le jour où, sous les premiers Césars, le plus humble des campagnards pouvait offrir aux Lares de son foyer une lampé de potier italien.

 

VIII. — MÉDIOCRITÉ DES VILLES.

La vie citadine se ressentait plus encore que la vie rurale de cette décadence de l'industrie et du commerce elle est faite pour les rendez-vous d'échange et pour le travail en commun, et les Gaulois se désintéressaient chaque jour davantage des lointaines relations et des manufactures populeuses. C'est surtout en regardant les villes que l'on s'aperçoit que l'existence des hommes a changé. Elles étaient, sous Hadrien ou Septime, de vastes assemblages de demeures, de riches hôtels et de petites boutiques, d'ateliers et de fabriques, de temples superbes et de modestes oratoires, de portiques, de théâtres, de thermes et de basiliques, de lieux de prière et de lieux de plaisir, où des milliers d'hommes goûtaient en toute liberté les mille jouissances du siècle[167]. Elles ne sont plus maintenant que de sombres réduits, et, à vrai dire, les asiles fortifiés où, s'abritent l'église et le forum d'une cité, le centre politique et religieux d'un territoire municipale.

Malgré les efforts du premier Constance et de son fils, les villes de la Gaule ne se sont point relevées de la misère où Maximien les avait trouvées[168]. On a pu bâtir ou réparer pendant quelque temps à Trèves, à Reims, à Autun, à Arles ou à Narbonne : puis, dès le règne de Julien, la tâche militaire et la construction de forteresses ont absorbé l'argent, la main-d'œuvre et le temps disponibles. C'en est fait désormais des grands travaux urbains on ne s'occupe même pas de démolir les ruines des anciens âges, on laisse debout les pans informes des temples ou des thermes éventrés ; les édifices constantiniens eux-mêmes, à peine achevés, commencent à s'effriter et à s'abîmer[169], et il suffira de quelques années pour qu'on ne les distingue plus des bâtiments à tout jamais misérables qu'avaient élevés la génération d'Auguste ou celle d'Hadrien.

Les empereurs ont beau faire appel aux ouvriers et aux architectes, on ne construit plus dans les villes, surtout parce qu'on ne veut plus y habiter. On consent à s'y réfugier en cas de danger barbare : mais le clarissime, lui, préfère sa villa, et l'artisan, le service de ce clarissime. La grande ville est morte pour de longs siècles[170]. Si l'enceinte de Trèves peut enfermer encore cent mille hommes[171], soyons sirs qu'elle n'en possède pas le quart au moment où meurt Théodose, et chaque année qui va venir enlèvera quelques pierres à ses édifices et quelques foyers à ses rues. Maintenant que la Cour n'y réside plus[172], c'est sans doute partout des maisons vides, des voies silencieuses et des espaces déserts. Partout ailleurs, c'est la petite ville, même quand il s'agit d'Arles[173] ou de Vienne[174], sièges de vicaires, de Reims[175], de Narbonne[176] ou de Bordeaux[177], sièges de gouverneurs[178], de Saintes ou de Paris, sièges de décurions[179]. Nulle part, pas plus que sous Maximien, je ne trouverais vingt mille habitants, et bien souvent je n'en trouverais pas dix mille[180]. Et encore je me demande si de tels chiffres ne sont pas des illusions, mises en notre esprit par le spectacle familier de nos foules urbaines.

Il y avait en Gaule cent quinze cités, alors districts municipaux et ressorts de sénats, et peut-être déjà toutes ressorts d'évêques et diocèses ecclésiastiques. Chacune avait son chef-lieu en une ville centrale, où résidaient ce sénat et cet évêque. Mais entre ces cent quinze capitales c'étaient de très grandes différences, d'aspect et d'importance.

1° Un premier groupe est celui des villes à peu près abandonnées, celles qu'on a négligé de fortifier, soit parce que leur site a paru médiocre, soit parce que vraiment elles étaient trop petites pour valoir une forteresse. Tels sont les lieux de Javols en Gévaudan ou de Saint-Paulien (Ruessio) en Velay, sans doute encore têtes de cités, mais où il n'y a plus que des débris jonchant le sol[181] et les quelques édifices utiles au gouvernement du terroir. Le jour n'est d'ailleurs pas éloigné où magistrats et prêtres abandonneront ce sol à demi condamné pour s'installer sur un lieu fort du voisinage, Mende[182] à la place de Javols, Le Puy à la place de Saint-Paulien[183] ; et la vie municipale que les empereurs romains ont jadis fait descendre de la montagne dans le bas pays, se réfugiera à nouveau sur les cimes au temps des derniers héritiers d'Auguste[184].

2° Viennent ensuite les villes qu'on peut appeler du type colonial romain ou du type fortifié du Haut Empire, celles qui ont conservé leur vaste étendue et la ligne sinueuse des remparts de leur naissance. De celles-ci, Arles, d'ailleurs la plus petite de toutes à l'origine, doit être la seule qui remplisse son enceinte[185]. Mais même à Marseille, qui n'était pas une grande ville[186], les maisons laissaient place à des jardinets sur les pentes de ses buttes rocheuses[187]. Des autres de Nîmes[188] ou d'Autun[189], de Narbonne[190] ou de Trèves, de Vienne[191] ou de Toulouse[192], la vie se retire peu à peu[193], et les grands édifices, arènes, basiliques, temples ou thermes, n'apparaissent plus que comme d'énormes fantômes de pierre au-dessus de places muettes et de rues désolées. Déjà ce qui reste d'habitants, par peur de l'espace et par besoin de se rapprocher, déserte ces lieux de la vie d'autrefois et va se grouper et presque se terrer en un recoin de la vaste enceinte[194] à l'ombre d'une forteresse nouvelle bâtie comme un suprême refuge à l'intérieur des anciens remparts, que leur étendue rend désormais inutiles.

3° Le groupe le plus important est celui des villes auxquelles Aurélien et ses successeurs ont donné une forme et un aspect nouveaux en les entourant d'une enceinte continue de hautes murailles. Depuis Bayonne sur l'Adour[195] jusqu'à Grenoble au pied des Alpes[196], depuis Saint-Lizier du Conserans à la montée des Pyrénées[197] jusqu'à Tournai aux lisières de la Flandre[198], depuis Carcassonne du Languedoc[199] jusqu'à Vannes de l'Armorique[200], la Gaule renferme plus de soixante métropoles municipales de cette sorte, lourdes et rudes forteresses qui s'élèvent le plus souvent au milieu et comme au travers de ruines[201], mais qui, sur les débris du passé, assurent le présent et préparent l'avenir de la vie communale tel est Paris, citadelle enfermée dans son île, regardant avec indifférence, sur le côté méridional de la Seine, les murailles déchiquetées des Arènes et des Thermes de l'antique Lutèce[202], mais abritant avec amour, derrière ses remparts de la Cité, le foyer de son existence, pour toujours.

Ce type de forteresse, de castrum, suivant le mot de l'époque[203], s'impose peu à peu à tous les chefs-lieux de cité, à Nîmes quand elle se tassera auprès de ses Arènes[204], au Puy, quand il remplacera Saint-Paulien abandonné ; il s'impose déjà au bourgades de canton, devenues séjours de garnisons, Blaye en Bordelais[205] ou Aleth en Armorique[206], et même à ces lieux de marché rural ou de station postale, qui cachent leurs hôtes et leurs bâtiments sous de gigantesques murailles[207], et même enfin aux villas des grands seigneurs, qui de nom et aspect ne différeront bientôt plus d'une citadelle municipale[208]. Plus un millier de châteaux forts hérissent le sol de la Gaule[209], et la voilà maintenant revenue aux temps lointains des plus anciens Celtes, lorsque toute demeure humaine se dressait avec son rempart de guerre, depuis la bourgade de paysans et la ferme du seigneur terrien jusqu'à la métropole des plus puissantes nations.

 

IX. — LA VILLE ET LA VIE URBAINE.

Il faut voir aujourd'hui, à Dax, à Bourges, au Mans ou à Senlis, les derniers restes de ces remparts, pour comprendre l'impression qu'ils firent aux contemporains, l'allure nouvelle qu'ils imposèrent à la vie de la cité, l'ombre qu'ils projetaient sur elle. C'étaient des murailles énormes et massives, qui surgissaient brusquement du sol, sans fossés, sans bastions, sans vedettes, droites, hautes et nues. A Bordeaux par exemple, là où est aujourd'hui la place de la Comédie, lorsqu'on arrivait de la banlieue médocaine (par la rue Fondaudège et les allées de Toumy), on apercevait tout à coup, à gauche les colonnades ruinées du temple de la Tutelle (sur l'emplacement du Grand Théâtre), et devant soi (à l'entrée de la rue Sainte-Catherine), barrant l'horizon et la route, la façade sinistre du rempart[210] ; et c'était un spectacle pareil qu'on avait à Paris en franchissant le pont de la route d'Orléans (rue Saint-Jacques) ou celui de la route des Flandres (rue Saint-Martin)[211], ou à Bourges en débouchant de la campagne (à l'esplanade Marceau) sur le seuil qui domine les marais du faubourg[212].

Et c'était bien une forte et rude bâtisse que cette muraille. Derrière ses trente pieds de hauteur[213], il y avait jusqu'à douze pieds d'épaisseur de pierre, de ciment et de brique[214]. Tous les trente pas[215], la masse était dominée[216] par des tours de même nature, renflées en demi-cercle à l'extérieur[217]. Elle ne s'entrouvrait que pour laisser passer les grandes routes, par quelques portes étroites, basses et tristes, presque toujours sans ornement : Paris n'en avait que deux, à l'extrémité de ses deux ponts[218] ; Dijon, petite bourgade de carrefour, en avait quatre[219] ; on allait peut-être à davantage dans les villes où se rencontraient des chemins d'Empire[220]. Mais c'était à peine de quoi circuler, de quoi respirer l'air du dehors.

La ville, vraiment, étouffait là-dedans. Il n'y avait place ni pour belles avenues, ni pour. vastes marchés, ni pour grands monuments. Les rues principales de l'origine avaient dû perdre de leur largeur sous l'empiétement des maisons riveraines[221]. Ceux des anciens temples qui n'avaient pas été transformés en églises, disparaissaient peu à peu sous une végétation parasite d'échoppes ou de masures, qui montaient à l'assaut de leurs terrasses ou de leurs portiques[222]. De misérables logements s'étaient  incrustés dans les ruines des thermes ou les recoins des théâtres[223]. Les remparts mêmes étaient encombrés à leur base de maisonnettes ou d'appentis en bois[224] ; et si un ennemi mettait le feu aux portes, une partie de la ville risquait de brûler[225].

Sous la ceinture de cette muraille, dans ces rues où le soleil ne pénètre que timidement, à travers, ce fouillis de bâtisses enchevêtrées, on a l'impression d'un peuple qui a peur, qui s'entasse et se serre et se replie. Rien ne fait place à l'air libre, n'ouvre au regard quelque lointaine vision de clarté ou de mouvement. Paris ne voit plus la Seine que par les échappées de ses deux portes[226]. Bordeaux ne connaît plus la Garonne que par l'estey de la Devèse, qui lui apporte les eaux de la marée montante[227].

Car à Bordeaux, et sans doute dans d'autres villes fluviales, le port n'est pas aux berges de la rivière, il est à l'intérieur même de la cité ; la Garonne sert à transporter les barques et les gabares, elle ne les abrite pas. Les embarcations, tout comme des véhicules de la campagne, se réfugient dans la ville en glissant sous une porte par le chenal de la Devèse, et s'enferment ensuite dans un bassin intérieur, que les maisons et la muraille resserrent de toutes parts.

Plus rien ne faisait la parure ou la gloire de ces tristes réduits où vivaient les bourgeois et la plèbe des villes. Le seul monument que veuille citer en sa patrie un Bordelais contemporain de Théodose, est une fontaine en marbre de Paros, qui recevait les eaux divines et tutélaires de la source Divona, génie de la ville[228] ; et cette modeste construction était le dernier hommage rendu par Bordeaux à la divinité souveraine qui avait présidé à sa naissance[229].

Cette fontaine était aussi l'abri matériel et nécessaire de l'eau qui alimentait la ville. Car c'est l'eau peut-être qui a provoqué, de la part des municipalités, le plus d'efforts pour empêcher la ruine[230]. Les générations de ce temps ne peuvent se résoudre à se passer de thermes[231]. On en trouve dans des localités infimes ; installés à l'abri d'une enceinte fortifiée[232]. Quelques empereurs aidèrent les villes à réparer leurs aqueducs[233] et à édifier de nouveaux bains, par exemple Constance à Autun[234] et Constantin à Reims[235]. C'est par des thermes que finit à Arles l'activité constructrice de l'Empire romain[236].

Encore, le plus souvent, ces monuments sont-ils dus à la générosité des princes. On ne bâtit que là où ils séjournent. Si Trèves, sous Constantin, s'est enorgueillie de thermes grands et hauts comme un palais[237], d'un cirque rival de celui de Rome[238], un prétoire dominant la ville à la façon d'une citadelle[239] ce sont présents d'empereurs et ornements de capitale, étrangers au budget communal[240]. Arles vit sous Constance II un nouvel arc de triomphe : mais ce fut munificence de vanité d'Auguste[241]. Les cités, elles, ne peuvent plus construire : elles manquent de main-d'œuvre[242], et elles ne sauraient trouver des architectes, car il ne s'en risque guère dans les villes, crainte d'y mourir de faim[243]. Quand le sénat municipal a réussi à payer sa quote-part d'impôt, à assurer le service des remparts[244], à s'acquitter des besognes indispensables de l'eau, de la police et de la voirie, je doute qu'il lui restât grand'chose pour le bâtiment. Une ville n'avait assurément plus à faire de gros frais pour les jeux du théâtre et de l'arène[245] ; mais elle a perdu, de ce chef, outre des journées de plaisir, bien des recettes de plaçage et d'octroi. Et il lui manque aussi les revenus de ses temples, et ses temples eux-mêmes, qui furent autrefois le principal de sa parure monumentale.

Mais voici qu'en devenant chrétienne elle vient d'inaugurer une nouvelle période de sa vie. L'église est dès lors un organe essentiel de tout chef-lieu de cité, au même titre que la muraille, le marché ou la fontaine[246]. Ce n'est encore que peu de chose comme édifice[247], une vaste maison de louage[248] ou une grande salle édifiée auprès des remparts[249] : mais elle concentre dès lors toutes les habitudes religieuses de la ville, elle est siège l'évêque, et par là elle renforce d'une sanction divine la maîtrise que cette ville exerce sur le territoire de la cité ; et c'est aussi le lieu souverain où fraternisent les âmes, le sanctuaire où leur Dieu a son autel[250]. On peut prévoir le moment où l'église à son tour, comme le temple des anciennes idoles ou le théâtre des fêtes de jadis, deviendra un rendez-vous de richesses, un édifice de gloire et de beauté.

 

X. — CIMETIÈRES ET FAUBOURGS SACRÉS.

La religion nouvelle, en mettant son empreinte sur ces forteresses, en atténuait la tristesse, invitait la vie des hommes à de périodiques allégresses et à des espérances inattendues. C'est grâce à elle que les vieilles villes de la Gaule romaine retrouvent, à de certains jours, la joyeuse animation et les mêlées populaires des temps disparus[251]. Aux fêtes chrétiennes, la foule remplit l'intérieur et le parvis de l'église[252], les grands seigneurs se croisent avec les plus misérables, l'empereur rencontre le mendiant, toutes les conditions se groupent devant l'autel[253], comme elles se rapprochaient autrefois sur les gradins des amphithéâtres. Le cirque, il est vrai, le seul lieu de spectacle qui subsiste de l'ancien Empire[254], fait concurrence à l'église et brasse des foules pareilles[255] car la passion du cheval a remplacé celle du gladiateur. Mais il n'y a de cirque que dans les plus grandes villes, et chaque capitale de cité, si médiocre soit-elle, a son église et ses jours de Pâques ou de la Nativité[256].

Elle a aussi son cimetière, et là encore le Christianisme a fait pénétrer ses joies ou ses rêves. Ce cimetière s'étend, comme autrefois, en dehors des remparts et dans le voisinage d'un grande route. Mais il s'est rapproché des demeures et des vivants, il ne s'allonge plus sur les bords des chemins, il ramasse ses tombes[257] en groupes alignés, formant le faubourg des sépultures ou la ville des morts presque à la porte de la cité des vivants[258] : telles, la nécropole de Saint-Marcel à Paris, près de la route d'Italie[259], celle de Saint-Victor à Marseille, face à l'entrée du port[260], celle de Saint-Seurin à Bordeaux, sur le chemin de la campagne[261], et, bientôt plus célèbre que toutes, celle des Champs Élysées d'Arles, aux abords de la vieille voie marseillaise[262]. Là très peu et peut-être point de mausolées grandioses[263], à la façon de ceux qui se dressaient autrefois aux approches des villes ou aux lisières des villas[264] : toutes les tombes se ressemblent, ce sont de vastes sarcophages de pierre où le riche défunt ne se signale que par le luxe du marbre, par l'élégance des sculptures ou par l'orgueil d'une inscription ; mais dans ce milieu de morts chrétiens qui vont rejoindre leur Dieu, son corps n'occupe pas plus de place que celui du dernier des misérables. Le tombeau encombrant et dominateur, qui a pesé si souvent sur le sol de la terre depuis l'époque des mégalithes[265], a cessé pour quelque temps d'imposer sa masse et sa hauteur aux regards des hommes.

Mais la tombe, elle, la demeure du mort, s'impose plus que jamais par sa sainteté. Parmi ces sarcophages, il en est qui attirent les pieuses passions des fidèles, et auxquels ces hommes apportent leurs souvenirs, leurs prières, leurs espoirs se sont les sépulcres où, croit-on, reposent les corps des héros de l'Église, martyrs du temps dés combats, évêques du temps des triomphes. C'est pour les voir et les toucher que des multitudes accourent aux nécropoles. A leur contact des miracles se produisent dans ces troupes d'exaltés, une vie intense s'agite sur le sol du cimetière, et les vivants n'aspirent plus qu'à venir un jour reposer auprès de ces morts bienheureux, à revivre pour ainsi dire avec eux, associés dans le rêve céleste du Chrétien[266]. Bientôt, un oratoire surgira à côté ou au-dessus de la tombe du saint le plus illustre : il sera le centre de l'Église des morts et comme le lieu de leur assemblée ; et le saint donnera son nom à toute la cité des défunts réunis autour de lui, l'évêque Seurin à la nécropole de Bordeaux ou le martyr Victor au grand cimetière des Marseillais[267].

Dans quelques années mémo, ce sera une activité encore plus forte et plus continue qui se développera aux alentours de ces tombes. Jamais le monde n'aura perçu avec une clarté plus grande que la mort peut engendrer la vie, que le sépulcre peut susciter des puissances éternelles. C'est à l'orée et pour ainsi dire sous les effluves sacrés de ces cimetières que s'élèveront les premiers monastères suburbains de la Gaule, par exemple celui de Saint-Victor de Marseille[268]. Ceux que Martin avait fondés dans la campagne, Ligugé ou Marmoutier, étaient surtout des séminaires de travail, des écoles de combat, une préparation à la vie : et c'est au contraire l'aspiration à la piété silencieuse et le rayonnement de la mort qui attireront les moines autour des tombes saintes des nécropoles municipales.

Mais peu à peu les passions humaines seront plus fortes que l'idéal divin. Le monastère suburbain oubliera la mort qui l'entoure et se laissera dominer par la vie qui l'emporte. Saint-Victor grandira en puissance matérielle, il sera centre de domaines et de richesses, citadelle redoutable et grande, ville ; et la cité de Marseille, qui lui fait face de l'autre côté du port, verra une cité de moines se dresser contre elle par-dessus l'antique demeure de ses morts[269].

 

XI. — LA POPULATION.

Avec ses couvents et ses oratoires la vie urbaine débordait au dehors des remparts, des faubourgs s'esquissaient de nouveau aux portes des villes[270]. Car l'humeur de ces hommes demeurait faite du besoin d'agir et du besoin d'espérer ; et à peine rejetés par le malheur dans l'enceinte d'une triste citadelle, ils cherchaient à s'en évader à la moindre lueur de paix et de ces aurores pacifiques, la Gaule en connut souvent depuis l'ère de Dioclétien.

Pourtant, ce ne sont pas les villes qui ont profité de ces renouveaux périodiques, et j'ai déjà indiqué les. motifs qui me font croire à la lente continuité de leur décadence. L'arrivée des boutiquiers, des moines et des professeurs orientaux, l'installation de garnisons barbares, l'afflux de jeunes gens au écoles publiques ; ne suffisaient point à combler les vides faits chaque jour par la désertion des citadins. Décurions passant au sénat de Rome, grands seigneurs passionnés pour la vie rurale, nouveaux convertis que leur vocation entraînait à la retraite monastique ou à d'humbles presbytères, ouvriers ou prolétaires qui allaient où étaient la fortune et la protection, c'est-à-dire au château du clarissime, la société humaine se détournait insensiblement de la ville où avaient été naguère le foyer de son existence et sa plus agréable façon d'être.

Les campagnes, en revanche, s'étaient repeuplées très vite[271]. Et c'étaient elles, surtout, qui profitaient des lustres intermittents de paix et des recrues humaines qui arrivaient à la population de la Gaule.

Ces recrues, semble-t-il, ont été fort nombreuses dans le siècle qu'inaugura Dioclétien. Songeons à tous ces Barbares amenés du dehors, Alamans, Suèves, Francs, Saxons, Sarmates, Taïfales[272], et même Maures, qui furent créateurs de vrais villages, fixés pour jamais sur notre terre ; et encore à ces esclaves innombrables que razziaient sans cesse les marchands d'hommes toujours postés aux frontières[273] ou les soldats qui rabattaient pour leur compte cette sorte de gibier : Ausone avait une esclave ramassée ainsi sur terre de Souabe[274], et dans quelques années les vieux patriotes de l'Empire se plaindront amèrement de ce qu'il n'y eût pas de riche sans un cortège d'esclaves germains[275]. Songeons enfin à ces milliers de mercenaires ou d'aventuriers, venus périodiquement de delà le Rhin pour servir sous les enseignes impériales, et qui, restés en Gaule, s'y mariaient et faisaient sans doute, à la bonne manière d'autrefois, souche d'une puissante progéniture : car la loi romaine permettait alors le mariage entre francs et Romains, et l'empereur Arcadius lui-même consacrait les temps nouveaux, en épousant la fille d'un général franc. À aucune autre époque de sa vie, pas même au lendemain de la conquête romaine, le sol de France n'a vu arriver en si nombreuses foules des immigrants de tout genre, contraints ou spontanés[276]. Ce fut donc pour lui le temps d'une colonisation intensive, car il fallait bien combler les vides formidables faits dans la population gauloise par les misères du siècle précédent[277].

Était-ce contagion de l'exemple barbare ? sentiment plus profond du devoir romain ? ou simplement la pensée, que plus une famille serait nombreuse, plus elle pourrait posséder ou exploiter de terres ? mais il y eut, au quatrième siècle, une véritable recrudescence de la natalité[278], de cette fécondité des mères gauloises qui avait jadis émerveillé les contemporains de l'empereur Auguste[279]. En cela encore, les chefs donnaient le modèle : Constance se montrait à son royaume d'Occident avec sa splendide couronne de fils et filles ; Ausone et presque tous ses parents, et c'est la grande famille de Gaule que nous connaissons alors le mieux, sont époux et pères, avec trois, quatre ou cinq enfants[280]. On note comme une exception la femme qui ne veut point se marier[281]. L'usage est de fonder un ménage de très bonne heure, à vingt ans, et d'épouser de très jeunes filles[282]. Paternité ou maternité commencent, avec leurs devoirs et leurs charges, dès la fin de l'enfance. Ces puissants seigneurs voient dans une riche lignée, dans un entourage nombreux de fils, de gendres et de collatéraux, une force de plus pour leur nom, une durée plus sûre pour l'influence de leur maison[283]. Il ne s'agit, il est vrai, que des plus nobles. Mais tout porte à croire qu'ils engageaient les plus pauvres à les imiter : car la Gaule, plus que jamais, avait besoin d'hommes pour cultiver ses terres, et il était certain qu'elle suffirait de longtemps à nourrir tous ceux qui naîtraient. Ainsi la terre, qui nourrissait les hommes, invitait à les créer.

La Gaule revenait à sa destinée naturelle, après ses erreurs inconscientes des premiers siècles de l'Empire, lorsqu'elle s'était laissée éblouir par le mirage des ambitions industrielles et du commerce mondial, et qu'elle avait préféré bâtir des manufactures au lieu de défricher ses landes et de dessécher ses marécages. La voici enfin ressaisie par la passion de la vie agricole, et de nouveau dans la voie où elle trouvera la plus saine des richesses matérielles et la plus sûre des libertés nationales. Aujourd'hui, elle remue le sol dévasté pour lui rendre la fécondité ; demain, elle recommencera l'antique bataille contre les portions demeurées rebelles, la conquête de glèbes dans les forêts, les broussailles ou les marécages[284]. En même temps, par la force des choses, elle acquerra la population qu'elle deviendra capable de faire vivre. Le double mouvement de labour à la campagne et de croissance à la famille, qui reprend sous les derniers empereurs romains, ne s'arrêtera plus dans les prochains siècles de son histoire. Champs délaissés à rajeunir, champs nouveaux à cultiver, foyers qui se fixent[285] et enfants qui naissent, elle reconnaîtra la loi éternelle de solidarité qui unit les lignées humaines et la terre leur reine et leur mère, et, plus qu'aucune patrie au monde, elle saura donner à cette loi son expression parfaite.

 

 

 



[1] Voyez la loi de 323 (Code Théod., VII, 1, 1) : Si quis barbaris scelerata factione facultatem deprœdandi in Romano [solo] dederit, vel si quis alio modo factam diviserit.

[2] Cf. Ammien, XXXI, 6, 5-7 ; Zosime, V, 22, 6.

[3] Cf. Sozomène, IX, 11, P. Gr., LXVII, c. 1620, Didymus et Vérinianus en 407-408 contre l'usurpateur Constantin.

[4] Cf. Zosime, VI, 2, 10, à propos d'un général de l'Empire au temps de la guerre contre Constantin en 407-408.

[5] Per Gallias latrociniorum rabies scatebat in perniciem multorum, observans celebres vias ; Ammien, XXVIII, 2, 10. En 369.

[6] Celebres vias, Ammien, XXVIII, 2, 10 ; frequentata itinera, C. Théod., IX, 14, 2.

[7] Je prends une moyenne. De Bordeaux à Arles, l'Itinéraire de Jérusalem compte 371 milles, 32 mutationes ou relais, dont 11 mansiones ou gites d'étapes (p. 549 et s., W.).

[8] Cf. note suivante ; quicumque itinera frequentata insidiis adgressionis obsederit ; C. Th., IX, 14 ; 2 : Voyez, dans le Médoc, tota regione vagantes fures ; Ausone, Epist., 4, 22 et s.

[9] Il s'agit de Constantianus tribunus stabuli, en 369, et celui-ci, præter conplures alios ; Ammien, XXVIII, 2, 10.

[10] Voyez par exemple C. Théod., IX, 14, 2, loi de 391, qui donne le droit cunctis de tuer tout brigand ; I, 29, 8, loi de 392, qui confie aux defensores des cités le soin de réprimer le brigandage (insania latronum).

[11] Constance devant Langres (en 298 ? ; Eutrope, IX, 23) ; Julien devant Troyes en 356 (Ammien, XVI, 2, 7).

[12] Cf. à Bazas au début du Ve siècle.

[13] Voyez le rapprochement militi... ut latroni dans la loi de 391 (C. Th., IX, 14, 2).

[14] Dans la villa de Bourg, les greniers couvrent toute la longueur des portiques, desuper in longum porrectis horrea tectis (Sidoine, Cam., 22, 169). Ausone a toujours des provisions pour deux ans (De herediolo, 2, 27-8) : conduntur fructus geminum mihi semper in annum : cui non longa penus, huic quoque prompta fames. — La mise en état de défense d'un village de paysans dans les Alpes est à noter ici.

[15] Il importe toutefois de ne pas exagérer la sécurité intérieure des provinces sous le Haut Empire : le banditisme y a toujours été plus ou moins à l'état endémique.

[16] Voyez avec quelle émotion Paulin de Pella, en sa vieillesse, parle des beaux jours passés dans sa villa aux abords de 400 : lui-même s'appelle, pour ce temps, sectator deliciarum (Euch., 216 ; en outre, 201 et s., 125 et s.).

[17] A Bourg en Gironde ; Sidoine Apollinaire, Carmina, 22, 117 et s. ; j'ai évalué la ville fortifiée, en m'aidant des lignes indiquées par les plus vieilles rues du centre, à 520 mètres de périphérie et 180 ares de surface. —J'ai peine à croire que le burgus de Jublains, avec ses 400 mètres de périphérie et son hectare de superficie, la place importante que les thermes y occupent au centre, soit un prætorium postal ou une mansio fortifiée ou un castellum de garnison, et ne soit pas une villa suburbaine fortifiée (cf. à Bourg, sedent per propugnacula thermæ ; 22, 128), à la rigueur la villa du préfet du district. De même, le burgus de Larçay, 230 mètres et 3000 mètres carrés. De même, celui d'Anse, 440 mètres et 125 ares ; cf. Revue des Études Anciennes, 1924, p. 68 et s.. Les murs de Famars près de Valenciennes, même le mur des Sarrasins à Clermont, peuvent être ceux d'une villa fortifiée. Autres chez Blanchet, Enceintes, p. 227 et s. — Il y a d'ailleurs des villas non fortifiées : tel est le cas de la villa d'Avitacus (Aydat), bâtie sans doute par le futur empereur Avitus (milieu du Ve siècle) mais nous sommes en plein dans les montagnes d'Auvergne, et à 820 mètres l'altitude (pour le lac).

[18] Je me demande s'il n'y avait pas des règlements particuliers pour les villas fortifiées, telles que le burgus de Paulin à Bourg : par exemple, l'obligation d'y entretenir des esclaves chargés au besoin de la défense, soit esclaves de l'État, soit esclaves privés, mais attachés à leur service militaire comme d'autres à la glèbe (Code Théod., VII, 14, 1, De burgariis ; XII, 19, 2). Remarquez que plusieurs des villas fortifiées que nous connaissons (Bourg, Anse) sont au contact de grandes routes et ressemblent par là singulièrement à des mansiones ou des prætoria militaires. — Une autre remarque s'impose au sujet de Bourg et des localités qui me paraissent similaires, Ansé et peut-être Larçay. Je ne crois pas certain, vu leur situation sur une très grande route (Bourg, route de Bordeaux à Blaye ; Anse, route de Lyon à Chalon ; Larçay, route de Tours à Bourges), qu'elles aient été primitivement le entre du domaine, la résidence seigneurial : : il faut plutôt chercher cette résidence aux environs, en un site plus 4iréable mais moins militaire (pour Bourg : le nom du hameau voisin de Camillac pourrait rappeler le domaine primitif en -acus dont Bourg aurait d'abord dépendu). Lors de la restauration vers 300, le propriétaire a dû abandonner ce site pour se rapprocher de la route et se poster sur un lieu mieux défendable. Voyez aussi l'inscription de près de Schwaderloch.

[19] A Bourg : Sidoine, Carm., 22, vers 156 et s. (non perdit quicquam trino de cardine cadi) ; id., 204 et s. ; dans la villa de Paulin de Pella, domus diversa anni per tempora jugiter opta (Euch., 205-200).

[20] A Bourg, vers 158 et s., 194 et s.

[21] A Bourg, vers 127 et s. ; à Avaticus ; sur la Moselle, Ausone, Mos., 337 et s. ; cf. à Jublains.

[22] Cf. à Jublains.

[23] Cf. le triclinium hiemale à Avitacus ; Sidoine, Epist., II, 2, 11.

[24] Sidoine, Epist., II, 2, 11.

[25] Sidoine, Ép., II, 2,8 : Carm., 22, 208 et s. — A Avitacus, entre autres pièces d'eau, piscine de 20.000 modii, 175.000 litres, sans parler du lac contigu à la villa (Sidoine, Ép., II, 2, 8 et s. ; et 16 et s.). — Je ne doute pas qu'il ne s'agisse, pour Avitacus, d'Aydat (autrefois Aidac) et de son lac, sur la vieille route de Clermont au Mont-Dore ; voyez, entre autres anciens auteurs, Mathieu, Des colonies et des voies romaines en Auvergne, 1837, p. 467 et s., et, en dernier lieu, Crégut, dans les Mémoires de l'Acad. de Clermont-Ferrand, IIe s., fasc. 3, 1890, et dans le Bull. hist. et scient. de l'Auvergne, n° 6 et 7, 1901. Comme la villa de Sidoine, Avitacus, lui venait de son beau-père Avitus (Epist., II, 2, 3), nous aurions là un des très rares domaines historiques que l'on puisse retrouver presque à coup sûr.

[26] Dans la villa de l'ager Octavianus près de Narbonne, de la mer et de l'Aude ; Sidoine, Ép., VIII, 4, 1 ; à Bourg, Carm., 22, v. 150 et s., 204 et s. ; à Avitacus, Epist., II, 8 ; 10 et s.

[27] Mais je crois que tout cela, superbe en poésie, était peut-être de dimensions assez exiguës : voyez à Jublains, où les pièces, en particulier celles des thermes, sont d'étendue fort réduite. Et les descriptions de Sidoine ne donnent pas non plus une impression de grandiose.

[28] A Bourg, Sidoine, Carm., 22, p. 211. et s. ; je me demande s'il ne faut pas lire (v. 215) Montem Lauri, et songer à Lormont, qu'on pouvait en effet apercevoir du sommet de Bourg. Terrasse à Avitacus, où l'on peut se livrer prospiciendi voluptatibus (Sidoine, Epist., 2, 2, 11). Haute tour dans une villa sur la Moselle (Ausone, Mos., 328-330). Cette préoccupation, du plaisir d'un horizon étendu, est d'ailleurs nettement indiquée par Ausone, felix speculatio (Mos., 324-6). — Sur la combinaison de l'élément civil et de l'élément militaire dans les villas du Bas Empire, cf. Swoboda, Rœmische und Romanische Paläste, Vienne, 1919, p. 154 et s.

[29] Cf. t. V, ch. VI, § 7. Mensa opulenla, nitens, Paulin de Pella, Euch., 206-7 ; mensa nitens, Ausone, Prof., 2, 33 ; nitore victus, id., Par., 10, 7. L'expression de nitens était donc consacrée.

[30] Ausone, Urbes, 129 ; Mos., 21 et s.

[31] Ausone, Epist., 4, 30 et s. ; Paneg., XII, 14.

[32] Ausone, Ép., 7, 2 ; Sidoine, Ép., VIII, 12, 1 et 7 (il semble qu'on ait installé des parcs à huîtres à Bordeaux même).

[33] Ausone, Mos., 75 et s. ; Sidoine, Ép., VIII,. 12, 7.

[34] Sidoine à Trygétius (qui habite la cité de Bazas), Ép., VIII, 12, 778 : Veni ad debellandos subjugandosque istos Medullicæ supellectilis epulones [les huîtres du Médoc].

[35] Edacitas in Græcis gula est, in Gallis natura (Sulpice Sévère, Dial., I, 8, 5) ; lautum convivium et mundum, qualia sunt in his regionibus [en Aquitaine] plurima (Ammien, XVI, 8, 8) ; cf. Sidoine, Ép., VIII, 4,1. — Une des préoccupations dominantes, était la boisson glacée, soit de l'eau de source (Sidoine, Ép., II, 2, 12), soit même du falerne à la glace (Paneg., XII, 14).

[36] Paulin de Pella, Euch., v. 145-6 (sphera) ; Sidoine, Ép., II, 2, 15 (Sidoine jouant avec Ecdicius à la balle, pila) ; VIII, 11, 8 (Lampride le rhéteur bordelais consacrant ses loisirs au jeu de balle).

[37] Cf. Ausone, Ép., 4, 30 et s. ; Parent., 10, 7 ; Paneg., XII, 14.

[38] Paulin de Pella, v. 144-5.

[39] Ausone, Ép., 5 ; 10 ; 14 ; Sidoine, Epist., VIII, 12, 2 ; etc.

[40] Voici les étapes que Sidoine Apollinaire fait suivre à son volume, en partant de Clermont (Carm., 24) : 1° la villa de Domitius ; 2° Brioude ; 3° le passage de La Margeride ; 4° les bords de la Truyère (Triobris) ; 5° Javols ; 6° la villa de Justin et de son frère ; 7° Saint-Laurent-de-Trèves (Trevidon), où habite Tonance Ferréol ; 8° le mont Lozère et le Tarn ; 9° après le passage de la montagne, Vorocingus (Brocen près d'Alais), où il trouve Apollinaris ; 10° Cottion (Quissac ?), où il trouve Avitus ; 11° la villa de Fidulus ; 12° Tres Villæ (Saint-Mathieu-de-Tréviers ?), où il trouve Thaumastus et son frère ; 13° enfin, sans doute à Narbonne, Magnus Félix. Au total, 9 domaines de familles alliées ou amies sur une route de 360 kilomètres, traversant un des pays les plus sauvages de la France.

[41] Ausone, Ép., 5, 35 ; 8, 5 (petorrita) ; voyez l'abondance de bêtes de trait et de véhicules dans la villa de Paulin de Pella, stabula et jumentis plena refectis et carpentis evectio tuta decoris (Euch., 211-212).

[42] Il s'agit de l'espèce de tente de navire dite parada (le mot et peut-être la chose sont d'origine gauloise) ; Ausone, Epist., 5, 25 ; Sidoine, Epist., VIII, 12, 5.

[43] Ausone, Ép., 5, 29 ; Sidoine, Ép., VIII, 12, 5.

[44] Ausone, Ép., 10.

[45] Populi cœtus et compita sordida rixis frestdientes ; Ausone, Ép., 10, 19-20.

[46] Cf. Ausone, Ép., 10 ; Sidoine, Ép., II, 2,9 (si dom num seu domestica seu hospitalis turba circumstet).

[47] Primis sanctum post Pascha diebus ; Ausone, Ép., 10, 17.

[48] Ils ont dû le désirer de bonne heure.

[49] Voyez Théodose, avant son avènement, allant à la ville pour soigner sa gloire ; Paneg., XII, 9.

[50] Mais il y eut certainement des médecins domestiques.

[51] Paneg., V, 1 ; cf. XII, 9 ; Ausone, Ép., 10. Zosime (II, 38, 9) attribue en partie la désertion des villes par les clarissimes à l'impôt du follis : il est possible qu'il ait frappé plus rigoureusement les immeubles bâtis des villes, les hôtels seigneuriaux. Il y avait en tout cas à supporter dans les villes la formidable charge de la réquisition du logement (metatum) pour le prince, ses agents ou ses soldats, laquelle était d'ordinaire du tiers de l'habitation et pouvait aller à la moitié (C. Th., VII, 8, 5).

[52] Paneg., XII, 9 (Théodose dans sa retraite se consacre agris) ; V, 1 (studium ruris) ; Ausone, Parent., 10 (son beau-père méprise publica pour ruris cultu) ; Symmaque, Epist., I, 5, p. 5, Seeck ; Paulin de Pella, Euch., 190 et s. (culturam agris adhibere refectis). Vieilli et pauvre, Paulin de Pella ne songe à soutenir sa vie que par le travail des champs. Paulin de Nole et Sulpice, pour veiller à la subsistance de ceux auxquels ils s'intéressent, se préoccupent de leur donner une terre.

[53] Se rappeler t. VII, ch. I, § 4 et 6.

[54] Nos historiens ont complètement méconnu le vigoureux effort agricole de la France mérovingienne.

[55] Tot translati sint in Romana [terra] cultores (Paneg., V, 1) ; arat mihi Cha manus, etc. (Paneg., V, 9) ; Francus arva jacentia excoluit (V, 21) ; Barbaro cultore revirescit (V, 21). Arvaque Sauromatum nuper metata colonis (Ausone, Mos., 9).

[56] C'est sans doute de là que viennent les convois de blé de l'Aquitaine, laquelle paraît la grande pourvoyeuse des armées (Ammien, XIV, 10, 2 ; XVII, 8, 1)

[57] C'est à la Limagne que j'applique la description de Salvien, De g. D., VII, 8.

[58] Ausone, Mosella, 18 et s., 150 et s., 186 et s., 200 et s. Allusion aux blés de la Moselle entassés dans les greniers de Trèves, chez Ausone (alit).

[59] Expositio, § 58, p. 121, Riese : Omnia in multitudine habundat, sed plurimi pretii. La vie y passait donc pour fort chère. — Pecuaria fert Gallus, dira Sidoine comme caractéristique du pays (Carm., V, 45) ; et il signalera, pour son domaine d'Avitacus (Epist., II, 2, 19), qu'il est diffusus in silvis, pictus in pratis, pecocosus in pascuis, in pastoribus peculiosus [les bois de la Cheire et des différents puys dans Aydat].

[60] Cf. Salvien, VII, 8.

[61] En appliquant à la Gaule, Paneg., XII, 13-14 (c'est un Gaulois qui parle).

[62] T. VII, ch. II, § 11, III, § 6 et 11, IV, § 2, VI, § 5.

[63] Plena horrea ; Paneg., VIII, 13.

[64] Outre les terroirs dont nous allons parler : vignes en Lyonnais ; en Poitou ou en Saintonge (Ausone, Epist., 25, 92) ; en Limagne ; dans l'Octavianus ager non loin de Narbonne (Sidoine, Epist., VIII, 4, 1) ; également sur le terroir de Narbonne ou de Béziers, Epigramma Paulini, 26 ; dans le domaine familial d'Ausone sur la Garonne ; dans les domaines de Paulin de Pella. Vin vieux de Narbonne chez Paulin de Bordeaux. Il semble que tout domaine dût désormais avoir une portion cultivée en vignes, le Nord excepté bien entendu.

[65] Paulin de Pella, Euch., 525 : Vineta, quitus solis urbs nititur ipsa.

[66] Paulin de Pella, 526 : Omne ad præsidium vitæ aliunde parandum.

[67] Voyez l'importance que prennent, au moins au début du IVe siècle, les vases inscriptions bachiques. — De même, l'usage des barillets et des ampoules funéraires, sans aucun doute sous l'influence des cultes orientaux d'abord et du Christianisme ensuite, révèle l'importance de plus en plus grande du vin dans les rites religieux.

[68] Voyez comme ils reviennent à chaque instant dans la Moselle d'Ausone, vers 21-2, 156, 195-6.

[69] Moselle, 21-2 ; insignem Baccho (Burdigalam), Urbes, 129. Les vignobles dits d'Aquitaine doivent être ceux de Bordeaux.

[70] Julien, Misopogon, p. 341, Sp.

[71] Paulin de Pella, 196 et s. Fessis celerem properavi inpendere curam venitis conperta mihi ratione novandis. Cf. purgare vitem, dans Epigr. Paulini, 20.

[72] La décadence industrielle résulte, en dehors des faits archéologiques, de textes de lois formels attestant l'abandon des villes et la désertion des collèges (Code Théod., XII, 19, 1-3), et des mesures prises pour renforcer l'apprentissage et l'enseignement technique (Code Th., XIII, 4, 2).

[73] Déchelette, Vases, I, p. 190 et s.

[74] D'après la chronologie des cimetières, Pilloy (II, p. 121) suppose que les produits de Frontin et des barillets en particulier auraient perdu leur vogue après 300, et que la manufacture dut disparaître avant 350. Morin-Jean, au contraire (La Verrerie, p. 175), ne place la disparition complète des barillets que vers 385-390. C'est possible pour les barillets en tant que type d'objet. J'en doute pour les produits de Frontin la découverte récente d'un barillet frontinien avec la formule gauloise avot (Doranlo, p. 604) invite plutôt à croire à l'antiquité de la firme. En dernier lieu, sur cette manufacture, Doranlo dans le Bulletin de la Soc. des Antiquaires de Normandie, 1921-23, XXXV, 1924, p. 600 et s.

[75] Not. dign., Occ., 11, 72-73 (procurator bafii Telonensis et Narbonensis).

[76] Not., Occ., 9, 31.

[77] Remarquez que Rutilius Namatianus parlera encore de largo camino chez les Bituriges (I, 353).

[78] Not., Occ., 9, 32-34.

[79] Not., Occ., 11, 57.

[80] Tournai était alors le chef-lieu des Ménapes, mais à la frontière même des Nerviens (Bavai et Cambrai), peut-être les plus importants fabricants de drap de tout l'Occident.

[81] T. I, ch. III, § 1 et 3, ch. IV, § 13 et 14 ; t. II, ch. VIII. Je suis très étonné que la Notitia ne mentionne pas. une manufacture impériale à Arras, dont les draps de laine demeurèrent célèbres jusqu'à la fin de l'Empire et en usage sans aucun doute dans l'armée. Et c'est un écho de cette célébrité que la tradition d'une pluie de laine sous Valentinien apud Atrebatas.

[82] Manufactures surtout aux abords du Rhin et dans la première moitié du IVe siècle. Voir à ce sujet les remarques de Morin-Jean (article Vitrum dans le Dict. des Ant.) ; il signale pour cette époque : coupes gravées et dorées à sujets chrétiens (la coupe d'Homblières [Abbeville], au Louvre, au Christ et aux scènes bibliques ; celle de Vermand, au Musée Lécuyer à Saint-Quentin, à la résurrection de Lazare ; celle du Vieil-Atre à Boulogne, au sacrifice d'Isaac [Corpus, XIII, 3559]) ; bouteilles (lagenæ) en verre soufflé ; ciboires à l'imitation des vases d'argent ; balsamaires en forme de singes [antérieurs ?] ; verres à reliefs rapportés (coquilles ou poissons) ; bols et ciboires à fils de verre ou cabochons multicolores appliqués ; diatrètes de luxe ou vases à résilles de verre. Ajoutez les fioles fusiformes à usage funéraire. Les textes de lois distinguent les verriers ordinaires (vitrarii) et les artistes en verres fins (diatretarii) ; C. Th., XIII, 4, 2. — On a continué l'usage des verres de vitre plus ou moins colorés (Sidoine, Epist., II, 10, 4).

[83] Les usages chrétiens ont dû contribuer à répandre l'emploi du verre, en particulier pour l'huile (voir là description d'une ampulla chez Sulpice, Dial., III, 3). Et la vogue religieuse du verre alla si loin, que les Chrétiens en arrivèrent à incruster de verroteries leurs sarcophages (Le Blant, Les Sarcophages chrétiens de la Gaule, p. 139).

[84] Cela a été très nettement constaté dans les fouilles des nécropoles du siècle.

[85] Voir les mêmes fouilles.

[86] Même Frontin ; voyez la carte de l'extension de ses produits chez Doranlo, p. 606.

[87] Il faut sans doute ajouter Boulogne et le pays de Namur (cité de Tongres), peut-être Amiens. — On peut également émettre l'hypothèse de verriers ambulants.

[88] Les fioles fusiformes, à moins d'avoir été importées de Syrie, on dû être fabriquées sur place par des ouvriers venus d'Orient.

[89] Encore s'agit-il, je crois, moins d'industriels locaux que de Syriens établis en Gaule.

[90] Aucun de ceux que j'ai signalés n'est signé, à ma connaissance. Ce sont les verres, semble-t-il, et en particulier les barillets, qui conservent le plus tard les signatures.

[91] Mention des ouvriers en ivoire, eburarii, Code Théod., XIII, 4, 2. Voyez en particulier les diptyques consulaires ou autres objets, Corpus, XIII, 10032. On a dû rechercher les coffrets en ivoire (cf. Straub, p. 71 et 124). On connaissait également dès lors les cors en ivoire ou en corne, plus ou moins ornés, en particulier cornu ex unis agrestibus argento nexum (Végèce, III, 5 ; représenté sur la coupe de Givors). — En dernier lieu, sur les objets en ivoire, d'ailleurs pour le plus grand nombre postérieurs, Volbach, Elfenbeinarbeiten, Mayence, 1916. Le plus ancien de ces objets et le plus remarquable par le fini du travail est le diptyque du Soleil et de la Lune (du Musée de Sens) : j'ai peine à ne pas le placer avant 300 (c'est à tort qu'Émile Molinier songe au VIe siècle, Hist. gén. des arts, etc., I, Ivoires, 1896, p. 47). Les plus anciens objets à sujets chrétiens trouvés en Gaule paraissent être la tablette d'Amiens (aujourd'hui à Berlin, Volbach, n° 30) et la pyxide trouvée près de la Moselle (n° 44, à Berlin). Ce sont là de véritables objets d'art.

[92] Ammien, XIV, 6, 18 ; Code Th., XIII, 4, 2 et 3 (les fabricants sont sans doute compris dans les libratores aque).

[93] Corpus, XIII, 10026, 21 ; la série des cuillers d'argent, 10026, 55-73, très caractéristiques de cette époque ; boucles ou broches d'argent, 10026, 74 et s. ; anneaux d'or, 10024, 29 (avec l'inscription fidem Constantino). Phalères comme ornements de chevaux ; Paulin, Euchar., 143. En outre, d'assez remarquables essais de vaisselle d'étain (Pilloy, II, p. 205 et s.). La coupe de cuivre étamé de Givors (Collection Récamier, n° 1521) n'a de valeur qu'au point de vue historique et archéologique. — Il faut faire une place à part aux vases d'argent à ornements et figures, qui paraissent bien avoir été le luxe préféré de ceux des grands seigneurs de ce temps qui avaient le sens du goût ; Paulin de Pella, Euch., 208 et s. Inque usus varios grata et numerosa supellex, argentumque mugis pretia quam pondere præstans. — Plus vulgaires étaient les disques d'argent à images gravées, qui paraissent avoir été donnés en présent lors de cérémonies officielles : tel, celui qui représente Valentinien (au Musée de Genève ; Corpus, XII, 5697, 5), à rapprocher de la coupe de Givors citée plus haut. — Ce luxe de la vaisselle d'argent s'introduisit en même temps dans l'Église ; voyez le trésor de Traprain Law en Écosse (Curie, The Treasure of Traprain, Glasgow, 1923), qui provient certainement d'un pillage de pirate fait en Gaule au siècle suivant : Th. Reinach a bien lu l'inscription Prymiaco e(ccl)esia Pict(avensis) : il s'agit d'une basilique rurale ou seigneuriale du diocèse de Poitiers [Prigny en Loire-Inférieure ?] ; cf. Rev. des Ét. anc., 1923, p. 261.

[94] Ceci est une des caractéristiques de la bijouterie commune du Bas Empire. Cette pratique a pu dériver de celle de l'émail et la remplacer. Mais l'industrie de l'émail ne disparut pas, en particulier de la Belgique, et elle y continua obscurément, je crois en dehors de toute influence germanique ou orientale (cf. Pilloy, III, p. 82 et s.).

[95] Ammien, XIV, 6, 9 ; XXII, 4, 5 ; Donat, ad Virg. Aneida, XI, 777, p. 529, Georgius ; Paulin de Pella, Euch., 147 ; Paulin de Nole, Carmina, 24, 53 (inclusas auro vel marice vestes) ; Jérôme, Ép., 22, § 16, P. L., XXII, c. 403 (in vestibus attenuata in filum auri metalla texuntur). Les ouvriers de ces dernières en sont les barbaricarii. — La Notitia (Occ., 11, 75-76) indique trois ateliers (avec un præpositus) de barbaricarii sive argentarii, à Arles, Reims et Trèves : mais ici, il est probable qu'il s'agit d'ouvriers en métal chargés de décorer les armes de luxe (cf. C. Th., X, 22, 1). — Ammien signale en Gaule et surtout en Aquitaine, même chez les femmes les plus pauvres, le goût des vêtements propres et élégants (XV, 12, 2). — Ajoutez les tapis, picta tapetia, en supposant que les Gaulois aient conservé une industrie si longtemps florissante chez eux. Et peut-être est-ce une tapisserie, et non une peinture ou une mosaïque, qui orne les murs du gynécée de la villa de Bourg, et qui représente les origines de l'histoire des Juifs (Sidoine, Carm., 22, 200-3). — C'est dans ce gynécée que l'on prépare les étoffes de luxe avec fils de soie (serica fila) ou de métal (metallum mollitum) et laines de Syrie (colus Syriæ : Syrie peut s'entendre de laines du pays de façon syrienne) ; Sidoine, Carm., 22, 5 et s. — Sur les étoffes de soie, voyez le curieux passage de Victrice (§ 3) : Crepantis serici undæ ambulantis arte crispantur. — Je laisse de côté les lainages communs, par exemple du Bigorre.

[96] C'est déjà le caractère des temps mérovingiens qui s'annonce.

[97] Étoiles, palmes, têtes, pour le type estampé ; pour le type strié (n. suivante), fougères, points en quinconce, croisettes, losanges, hachures en sens contrariés ; etc.

[98] J'aperçois deux types de ces vases. — 1° L'un, que Déchelette appelle vases estampés, apparaît dans l'Empire au moins dès 200 : type où il y a plus d'effort d'invention que dans le dessin strié, et qui par suite se rattache plus directement au type de la céramique moulée et ornée dérivée d'Arezzo ; c'est ce que j'ai appelé le type de Holt (Revue des Études anciennes, 1915, p. 233, 1917, p. 45) ; cf. Oswald et Pryce, An Introduction to the study of Terra Sigillatig, 1920, p. 233 ; nous n'avons pas de travail sur ce genre. — 2° L'autre, qui l'emporte au IVe siècle, où l'ornementation est formée surtout par bandes, et où parait dominer l'emploi de la roulette (ceci à étudier avec les récentes découvertes de Chenet en Argonne) : c'est le type que Déchelette appelle vases à zones striées, sur lequel on a le livre sûr et minutieux de Unverzagt, Materialien zur R.-G. Keramik, III, 1919 (Terra Sigillata mit Rädchenverzierung).

[99] L'opinion courante (cf. Déchelette, II, p. 326) est que ce genre de poterie (surtout celui à zones striées) est une survivance obscure des temps celtiques, conservée par les populations germaniques. J'hésite de plus en plus à y croire. En matière d'industrie, comme d'institutions sociales, ce que nous pensons venir de Germanie est souvent le résultat d'une évolution spontanée, le produit de circonstances manifestées sur le sol de tout l'Empire. Et, de fait, il suffit de la paresse industrielle, de l'incapacité technique, pour remplacer le moule orné au poinçon par l'application immédiate du poinçon sur la poterie. Le fait que les poteries striées se rencontrent presque exclusivement en Germanie (romaine) et en Belgique, me paraît être le résultat du hasard des fouilles. — D'une manière générale, S. Reinach (Cat. ill., II, p. 291-2), parlant de l'art barbare, conclut à un courant venu d'Asie, et adopté d'autant plus volontiers que le style en rappelait l'art barbare de la première époque des métaux. Je crois de plus en plus à des habitudes nées sur place. De même pour l'émail.

[100] Voyez par exemple, chez Boulanger, pl. 20, la tombe de chef, de Monceau-le-Neuf (Aisne), datée de 337-340 ; cf. pl. 12.

[101] Il est probable qu'un esprit chrétien d'humilité et la tradition des Livres Saints furent pour quelque chose dans cet emploi de la vaisselle commune : amamus vasa fictilia, dit Paulin, quia secandum Adam cognata nobis sunt [Genèse, 2, ], et Domini thesaurum in talibus vasis commissum habemus [Corinth., II, 4, 7] ; Paulin, Epist., 5, 21, P. L., LXI, c. 177. C'est là du reste, un thème commun : habemus thesaurum in vasis fictilibus, dit Jérôme, Epist., 22, § 4, P. L., XXII, c. 396. — Il y eut peut-être, pour le même motif d'humilité, une sorte de renaissance de la vaisselle de bois ; cf. scutellam buxeam, Paulin, ibid.

[102] Comme recueils de documents archéologiques sur l'industrie de ce siècle : Cochet, La Normandie souterraine, 2e éd., 1855, p. 205 et s. ; Straub, Le Cimetière gallo-romain de Strasbourg, 1881 ; Pilloy, Études sur les anciens lieux de sépultures dans l'Aisne, Saint-Quentin, 1886-1912, 3 v. ; Eck, Les deux Cimetières gallo-romains de Vermand et de Saint-Quentin, 1891 (objets d'époques différentes) ; Barrière-Flavy, Les Arts industriels des peuples barbares de la Gaule, 3 v., 1901 (objets surtout postérieurs) ; Boulanger, Le Mobilier funéraire, etc., 1902-5 ; Besson, L'Art barbare dans l'ancien diocèse de Lausanne, Lausanne, 1909 ; Baldwin Brown, The Arts and Crafts of our Teutonic Forefathers, 1910 ; S. Reinach, Catalogue illustré du Musée des Antiquités nationales, II, 1921, p. 258 et s. (collection Moreau), p. 290 et s. Jusqu'ici, ce ne sont que les régions du Nord qui ont foumi les nécropoles importantes du IVe siècle : ce que je ne peux attribuer qu'au hasard. Jusqu'ici encore, on a mêlé objets du IVe siècle et objets de l'époque franque. On n'arrivera à une étude scientifique de l'archéologie du Bas Empire qu'en examinant séparément, époque par époque et région par région, les tombes ou les castra datés (à titre de bon spécimen, voyez les fouilles du fort d'Alzei chez Unverzagt, Materialien, II, 1916). L'évolution des types n'a pas été observée pour ces temps avec la même rigueur que pour les périodes antérieures.

[103] Comme particularités de l'industrie alimentaire, je citerai pour cette époque l'huile de nielle, nigellatum, que Sulpice doit envoyer à Paulin du Midi de la Gaule et que l'on conservait dans des vases en terre cuite (Paulin, Ép., 5, § 21, c. 177) ; le biscuit, excoctum baccellatum, que Julien fait emporter par ses soldats au cours d'une campagne rhénane (Ammien, XVII, 8, 2).

[104] Je ne parle ici que de la pierre. Mais il est fort probable que les charpentiers avaient conservé leur habileté traditionnelle, en attendant que le déclin de la maçonnerie dans les temps barbares les replaçât au premier rang. Voyez, pour ce siècle, les travaux des ponts sur le Rhin, les pilotis des barrages du Neckar, les énormes poutres de construction.

[105] C'est l'époque des tours surélevées, presque toujours circulaires ou demi-circulaires. — Sur les tours terminées en cône, ce qui parait un type courant, voyez les tours de Mayence et de Castel sur le médaillon de Dioclétien, celles de Londres sur le médaillon de Constance, celles de Trèves sur celui de Constantin, toutes sans doute avec corniche circulaire formant saillie et ornement plus ou moins sphérique à leur sommet (sans doute un épi). Sur cette couverture des tours, cf. Forrer dans Germania, II, 1918, p. 73 et s. Voyez aussi Symmaque sur les tours des castella de Valentinien. Alta turris pareille au Phare d'Égypte dans une villa de la Moselle (Ausone, Mos., 330).

[106] Pour ce qui suit, Blanchet, Les Enceintes romaines de la Gaule, p. 237 et s.

[107] Soc. arch. de Bordeaux, IV, p. 177-118.

[108] Une étude particulière des dimensions et compositions des briques de ces remparts serait à faire, et l'intérêt de cette étude viendrait de ce que, ces remparts étant contemporains et ayant nécessité une quantité énorme de briques, il a dû se constituer de vastes entreprises de fabrication. Jusqu'ici, aucune ne porte de marque de fabrique. — Il faudrait également étudier, au point de vue technique, les briques de la frontière marquées aux noms des corps d'armée du IVe siècle : mais il faut attendre à cet égard le volume du Corpus relatif aux briques des Gaules et Germanies. — L'épaisseur ordinaire des briques de remparts parait être de 40 millimètres, cf. Blanchet, Enc., p. 250.

[109] Avec une tendance à l'aplatissement ; Blanchet, p. 243 et s.

[110] Il n'en est pas moins vrai que l'on a fait à Dioclétien (Lactance, De m. p., 8) et à Constantin (Zosime, II, 32) le reproche d'avoir construit des édifices qui ne duraient pas (mais ce n'étaient sans doute pas des remparts) ; que l'on a supposé, au sujet des thermes impériaux de Trèves, que, construits sous Constantin, ils n'ont pu être mis en service à cause peut-être de certaines défectuosités (Congr. arch. de 1922, LXXXV, 1924, p. 61) ; et en outre, que l'on a cru constater, même à Trèves, la médiocrité de la maçonnerie sur un édifice impérial des temps de Valentinien ou de Gratien (id., p. 45).

[111] En ce qui concerne les villas des IVe et Ve siècles décrites par Ausone et Sidoine, je signale, outre les colonnades traditionnelles, des murs extérieurs en revêtement de pierres de différentes couleurs (Sid., Carm., 22, 146), des murs intérieurs en stuc blanchi et poli (Sid., Epist., II, 2, 5, parietum facies solo levigati cæmenti candore contenta), l'usage de cheminées qui paraissent mal tirer (Sid., Carm., 22, 188 et s. ; Epist., II, 2, 11), les toits en métal doré (Sid., Carm., 22, 146-149), des toits en forme de pyramide faits de tuiles imbriquées (Sid., Epist., II, 2, 5). Tout cela ne parait être que de la maçonnerie courante, sans grand luxe, et travaillé aisément sur place.

[112] La chose était d'ailleurs légale, et les matériaux des temples démolis, sous les fils de Théodose, furent par ordre affectés à la réparation des routes, ponts, murs et aqueducs (loi de 396, C. Th., XV, 1, 36). — Il est, cependant probable que les carrières de marbre des Pyrénées ont été longtemps encore utilisées pour les sarcophages (par exemple à Bordeaux ; Inscr. rom. de Bordeaux, II, p. 47 ; je n'en suis pas sûr pour les constructions, et l'Aquitanicis fulmentis de Sidoine, Epist., II, 10, 4, peut n'être qu'une tournure poétique). Mais les archéologues ou rédacteurs de catalogues de musées négligent, trop souvent d'indiquer la nature et l'origine des marbres.

[113] Voyez ce que dit Sidoine Apollinaire à propos de sa villa d'Avitacus, qui parait avoir été construite bien après 300 (Epist., VIII, 2, 7-8) : habent tuguria mea civicum frigus, ce qui veut dire, je suppose, que la bâtisse de la villa est faite avec de la pierre froide du pays [Barret traduit, dans un sens tout différent, la fraîcheur naturelle du pays] ; et il ajoute qu'on y voit columnæ quas purpuras nuncupavere il doit s'agir du porphyre d'Auvergne [à moins qu'on ne voie là comme on l'a dit, une simple métaphore, les colonnes comparées aux bandes de pourpre des vêtements]. — L'examen des pierres tombales du Ve et du VIe siècle permettrait sans doute de retrouver les carrières de pierre encore exploitées.

[114] Il y eut dans les campagnes et surtout sur les grands domaines des figuli et des fabri, coloni vel rusticani, travaillant pour le compte du voisinage, qui manu victum rimantur (Code Théod., XIII, 1, 10). Sur les ouvriers des villes, Code Th., XIII, 4, 2.

[115] Sur les ouvriers des riches propriétaires, voyez à ce sujet le texte si net de Paulin de Pella, qui possède dans sa villa artifices, diversæ artis cito jussa explere parati (Euch., 210-211).

[116] Corp. inscr., XIII, 8974 ; Revue des Ét. anc., 1919, p. 150 et 145. Il y a peut-être un lien entre la réfection de cette route et l'établissement de Sarmates sur sa ligne. — Les deux routes, rive gauche et rive droite, devaient se réunir peut-être dès Montereau, en tout cas à Sens.

[117] Milliaire du pont de la Baume, XII, 5584 : également (cf. n. précédente) en relation possible avec l'établissement de Sarmates. — C'est Constantin qui, de tous les empereurs de ce siècle, s'est le plus occupé de réparer les routes, en particulier scelles du Midi : mais cela, peut-être surtout dans les premières années du règne, ce qui me fait croire qu'il n'a souvent fait que continuer des décisions de son père.

[118] Cf. la note précédente. — Julien parait avoir eu également un particulier souci de la réfection des routes (C. Th., XV, 3, 2 ; cf. Epist., 27 = 98, p. 155, B. et C.), et c'est sans doute à lui que nous devons le dallage supérieur de la rue Saint-Jacques à Paris.

[119] Il faudrait pouvoir examiner si la nature de ces nouvelles constructions est la même que sous le Haut Empire. J'en doute : ce que nous voyons des grandes rues du IVe siècle dans les villes (à Paris et Autun) parait un pavage d'un travail bien médiocre et rapidement fait.

[120] Remarquez en particulier la rareté des bornes de ce temps dans les Tres Galliæ et même sur le Rhin.

[121] Viæ militares, celebres. — Des cols des Alpes, il semble que celui des Alpes Grées (Petit Saint-Bernard) ait été peu à peu abandonné : Zosime ne signale que les Alpes Pennines (Grand Saint-Bernard), les Alpes Cottiennes (mont Genèvre) et les Alpes Maritimes ou passage par la Corniche (Zosime, VI, 2, 12). Mais c'est le Genèvre qui est de beaucoup le plus fréquenté, avec arrivée sur Valence par le col de Cabre (Itinéraire de Jérusalem, p. 554-5, W.) ; et voyez la description d'Ammien (XV, 10, 2 et s.). De là la multiplicité de bornes milliaires de Gap à Valence, en particulier l'auteur de Saillans (Darentiaca ; Corp., XII, 5502-6) : c'est là le seul point des routes de la Gaule où les efforts des empereurs ont été constants au IVe siècle. Le Grand Saint-Bernard parait négligé après Constantin, qui s'en.est occupé. — Plus loin, la route du Splugen. — Aux Pyrénées, le Pertus demeure prépondérant.

[122] Il y avait sans doute également des postes aux endroits dangereux des forêts (Rutilius, I, 41).

[123] C'est peut-être ce qui explique la rapidité persistante de certains trajets : de sept à huit jours d'Eluso (Font d'Alzonne) à Barcelone par le Pertus (Paulin à Sulpice, en 394, Ép., 1, § 11, c. 159), de 40 à 50 kil. par jour, sans doute à pied (il s'agit d'un voyage fait par un esclave, courrier de Sulpice Sévère). — Maximin, en Orient, peut faire, à cheval, en 313, 60 milles en moins de 36 heures (Lactance, De m. p., 47). — De Milan à Cologne par le Genèvre (1000 kil.), aller et retour en 28 jours. — De Marseille en Berry [?] en 10 jours ; Sulpice, Dial., I, 1,3 [car je crois de plus en plus que les Dialogues se passent en Berry, et peut-être même à Bourges]. — En revanche, il y a des retards extraordinaires : Paulin (à Barcelone) reçoit en même temps trois lettres des quatre que lui a envoyées successivement Ausone (de Bordeaux) en quatre ans ; une s'est égarée ou retardée (Carmina, 10, 1 et s.). Sulpice Sévère et Paulin se bornent, à cause des difficultés des routes, à échanger une lettre par an (vias duros ; Paulin, Ép., 28, § 1, P. L., LXI, c. 308).

[124] Sidoine Apollinaire (Epist., II, 9, 2) oppose les tramites aggerum publicorum et les calles compendiis tortuosos atque pastoria deverticula. — Il n'empêche qu'à de certains moments, le passage même par les routes d'État fut terriblement scabreux. Sidoine Apollinaire semble dire, que sur la route de Bazas à Langon, qui devait être fréquentée, on redoutait le trajet d'hiver à cause des tourbillons de poussière soulevés par le vent du sud (Bigerricus turbo), qui faisaient disparaître les traces du chemin (aggeram indicia) : Sidoine évalue la distance à moins de 12 milles (18 kil. ; en réalité 15 kil. ; 10 milles) ; Epist., VIII, 7, 1-3.

[125] Ausone, Epist., 22.

[126] Ausone, Ép., 25, 127 et s. ; Sidoine, Ép., VIII, 12, 3 et s.

[127] Ausone, Epist., 10, 11 et s.

[128] Cf. Ammien, XV, 11, 11 ; XIV, 10, 3 ; XXVII, 1, 2. Civitas sans doute dès le début du IVe siècle, et séparé d'Autun ; cela, à cause de son rôle militaire. — Chalon, dans une certaine mesure, a dû se substituer à Lyon, qui est en pleine décadence.

[129] Le malheur est que tous les textes relatifs à Arles au IVe siècle sont de vagues et pompeuses amplifications, sans précisions sur la nature de la vie économique : Expositio, § 58, p. 122, Riese (ab omni mundo negotia accipiens) ; Ausone, Urbes, 78 (Romani commercia suscipis orbis) ; constitution de 418, Hænel, Corpus legum, p. 238 (copia commerciorum). Tout cela a une source unique, quelque description géographique de l'Empire. C'est à Arles que s'embarque l'expédition militaire du comte Théodose contre l'Afrique en 372 [du 373 ?] ; Ammien, XXIX, 5, 5. — Constans, Arles antique, 1921, p. 99 et s.

[130] Ausone parle de Narbonne dans ses Urbes nobiles (124-127) comme d'une ville d'un grand commerce maritime, notamment avec l'Espagne, la Sicile et l'Afrique mais je me demande s'il n'y a pas là un développement tout fait, emprunté à quelque manuel (cf. n. précédente). Elle n'en conserve pas moins alors des relations maritimes avec l'Afrique et l'Égypte ; Sulpice Sévère, Dialogues, I, 1, 3 ; 3,1. Mais voyez son état de décadence au Ve siècle ; Sidoine, Carmina, 23, 37 et s. ; et songez aux conséquences du démembrement de la Narbonnaise, qui lui enlève les deux tiers de son ressort ; elle n'a même pas un consulaire pour gouverneur en 400.

[131] Rutilius Namatianus, pour aller de Rome en Gaule, déclare nettement qu'il prendra la route de mer, la via Aurelia ayant été abîmée par l'invasion (terrera viarum plana madent fluviis, cautibus alta rigent) : plus de ponts sur les rivières, plus de relais dans les bois (non silvas domibus, v. 37 et s.). Et il fera escale dans de tout petits ports.

[132] S'il faut y voir le Marcis Marci de la Notitia.

[133] Pour Agde et Maguelonne, Not. Gall., 15, 5 et 6. Ajoutez Nice, sans parler d'Antibes, qui, à la différence de ces localités, a toujours été civitas administrative. Il me semble possible que l'on ait tenu à avoir des évêques dans les ports maritimes ou même fluviaux, ce que l'on constatera plus tard, je crois, en Armorique peut-être était-ce en partie pour accueillir et contrôler les pèlerins et voyageurs de tout genre que le Christianisme a provoqués.

[134] Sulpice Sévère, Dial., I, 1, 3. Voyez, chez Paulin (Carm., 24, P. L., LXI, c. 615 et s.), le curieux voyage de Martinianus, s'embarquant à Narbonne, faisant naufrage, arrivant par barque à Marseille, et s'y rembarquant pour Centumcellæ (Civita-Vecchia). — Le port de Marseille a dû certainement connaître une activité nouvelle du fait des va-et-vient religieux entre la Gaule, l'Italie et l'Orient : d'autant plus qu'il s'est formé là de très bonne heure un groupement chrétien toujours prêt à accueillir les frères de passage (Martinianum suscipit fraternitas, dit Paulin, Carm., 24, 311).

[135] Outre les voyages dont nous allons parler, rappelons les voyages pour cérémonies familiales, par exemple ces jeunes filles âgées de 22 et 14 ans, quæ ob desiderium avuncuti ab ultima Gallia per diversa loca provinciarum ad provinciam Macedoniam venerunt : il est vrai qu'elles ne tardèrent pas à mourir après ce voyage (Corp., III, 14406) ; voyage d'une épouse, de Gaule aux environs de Vicence en Italie, de Gallia per mansiones L, ut commemoraret memoriam mariti (Corp., V, 2108).

[136] Voyez le nombre croissant de mendiants, de moines itinérants et de soi-disant naufragés (note suivante).

[137] Le concile de Nîmes (Héfélé-Leclercq, II, p. 93-94) combat à cet égard : 1° les soi-disant prêtres itinérants, venus d'Orient (de ultimis Orientis partibus), et qui sont le plus souvent de simples escrocs (sumptum stipemque captant ; § 1) ; 2° les pèlerins d'occasion, qui ne cherchent qu'à s'engraisser aux dépens des Églises (sub specie peregrinationis de ecclesiarum conlatione luxuriant ; § 5). Paulin de Nole stigmatise à la même époque ces moines mendiants : Vagari per mare et terras solent avara mendicabula, qui, dejerando monachos se vel naufragos, nomen casumque venditant (Carm., 24, 329-332, P. L., LXI, c. 621). — Remarquez que Cassien, originaire de Scythie (la province des embouchures du Danube), viendra de Constantinople à Marseille (Gennadius, 2). Il semble à ce propos qu'il y ait eu un véritable mouvement de propagande religieuse d'Orient en Occident, sans contrepartie, et ce mouvement a dû être lié avec l'arrivée des marchands syriens.

[138] Voyez par exemple les nombreux voyages que Sulpice Sévère faisait à Tours et aux environs [le Berry ? la Bourgogne ?] par amour pour la personne ou la mémoire de saint Martin : Gallicanas peregrinationes tot annis frequentas, lui écrit Paulin, et iteratis sæpe intra unam æstatem excursibus Turonos et remotiora visitas (Epist., 17, § 4, P. L., LXI, c. 236).

[139] Itinerarium a Burdigala Hierusalem ; en dernier lieu, édit. Geyer dans les Itinera Hierosolymitana du Corpus de Vienne, 1898 ; cf. Desjardins, Géogr., IV, p. 32 et s. ; le voyage fut effectué au temps de la construction de la basilique de Constantin à Jérusalem, 333.

[140] Inversement, vers 407, Apodemius vint, des bords de l'Océan et de l'extrémité de la Gaule [de Bordeaux ?] visiter Jérôme à Bethléem, et lui remettre deux lettres de daines gauloises désireuses de le questionner sur des points de doctrine ou de morale (l'une de ces femmes descend de rhéteurs bordelais ; Jérôme, Epist., 120 et 121, Patr. Lat., XXII, c. 981 et 1007). Et Jérôme a di recevoir bien des messagers et visiteurs de ce genre, venus du fond de la Gaule (Epist., 122, § 1, c. 1038 ; 125, § 6, c. 1075). — Une des singularités de ce temps est l'emploi des courriers à pied pour la correspondance religieuse, par exemple entre Sulpice Sévère et Paulin l'évêque de Nole, ou de Gaule à saint Jérôme : courriers qui étaient évidemment choisis parmi les plus robustes des esclaves de l'aristocratie et les plus sûrs. Victor, par exemple, fait chaque année, dans chaque sens, le trajet entre Noie et la résidence, quelle qu'elle soit, de Sulpice (Paulin, Epist., 28, § 1, P. L., LXI, c. 308).

[141] Sulpice Sévère, Dial., I, 3, 1 et 3.

[142] Grégoire de Tours, Hist. Franc., X, 31, p. 444, Arndt (Tours) ; Corp. inscr., XII, 2115 (Vienne). Voyez l'arrivée à Rouen, vers 396-7, des reliques de saints italiens (cf. le sermon de Victrice).

[143] Voyez également les voyages, qui paraissent avoir été assez fréquents, des évêques en Bretagne (Victrice de Rouen, vers 396-7 ; De laude sanctorum, § 1, P. L., XX, c. 443 ; plus tard, Germain d'Auxerre et Loup de Troyes, V. s. Genovefæ, § 2 et 11, Krusch ; etc.). Ajoutez les voyages de propagande de Priscillien, de ses disciples et de ses adversaires.

[144] Sulpice Sévère, Dial., I, 1, 3 ; 3, 1. — Sur la durée des navigations, encore assez rapides : je ne crois pas qu'elle ait beaucoup changé. — Rutilius Namatianus, en revanche, nous raconte une navigation de cabotage, d'Ostie en Gaule, d'une extraordinaire lenteur ; à Ostie, il attend 15 jours un changement de lune et un vent favorable avant de lever l'ancre (I, 205-206) : il est vrai que ce doit être un voyage de plaisance.

[145] Les textes sont très rares pour le IVe siècle. On peut appliquer à la Gaule le texte de Paneg., IV, 12, Syrus mercator aut Deliacus [Niliatus ?] aut Indicus [Judæus ? en tout cas, dans le sens d'Arabe ou d'Éthiopien] — Le Code Théodosien (loi de 321, XVI, 8, 3) nous révèle l'existence d'une colonie de Juifs à Cologne, à propos de laquelle Constantin rappelle qu'ils peuvent être appelés d'office à la curie, sauf le privilège de refuser pour deux ou trois d'entre eux. Il semble également qu'une loi de Valentinien (VII, 8, 2) vise la synagogue de Trèves [il me semble que la loi signifie que la synagogue est un lieu de culte, et non pas d'habitation, et qu'il faut en expulser ceux qui y ont pris logement]. Mais on peut appliquer à la Gaule de ce siècle ce que Valentinien III dira en 440 des Græci negotiatores de Rome, quos pantapolas [vendeurs de tout] dicunt, in quibus manifestum est maximam finesse multitudinem magnamque in emendis vendendisque mercibus diligentiam (Nov., 5, p. 82, Mommsen). — Pour l'époque antérieure, t. V, ch. I. Pour l'époque postérieure, Longnon, Géogr. de la Gaule, p. 177-179 ; Bréhier, Byzantinische Zeitschrift, XII, 1903, p. 11 et s.

[146] Paulin de Pella, dans sa villa d'Aquitaine, recherche quæ Arabi muris leni flagraret odore (Euchar., 148).

[147] La vogue, par ce temps d'ascétisme à la mode orientale, de manteaux confectionnés de poils de chameau (pallia camelorum pilis testa), a dû entraîner un certain mouvement d'affaires d'Orient en Gaule, sans aucun doute au profit de ces marchands syriens de Gaule ; Sulpice en envoie à Paulin à Nole (Epist., 29, § 1, P. L., LXI, c. 312) : il fallait bien se conformer à saint Jean-Baptiste, qui était vêtu de la sorte (Mathieu, Évangile, 3, 4) ; par quoi l'on voit que les habitudes chrétiennes ont souvent influé sur la vie économique du temps. Mais je me demande si de tels vêtements, importés en Gaule, ne revenaient pas très cher, et n'étaient point réservés aux ascètes de la noblesse.

[148] Cf. Rutilius Namatianus, 1, 383 et s. (il s'agit d'un Juif, conductor d'une entreprise de pêche ou de location d'étang sur la côte d'Italie).

[149] Un phénomène, de ce genre, avec les mêmes vicissitudes, se produit de nos jours dans les terres du Pacifique avec les commerçants chinois.

[150] Aurea mala ; Ausone, Epist., 6, 1.

[151] Oleum et condimentum Barcinonensis muriæ ; Ausone, Epist., 21, § 1. Les pratiques chrétiennes ont dû répandre l'usage de l'huile ; Sulpice, Dial., III, 3, 2.

[152] Equi currules sanguinis Hispani ; Ammien, XX, 8, 43 ; Code Théodosien, XV, 1, 10, et le commentaire de Godefroy. Chose étrange, la Gaule n'est jamais citée comme productrice de chevaux de vitesse.

[153] Un ballon doré pour les jeux d'un grand seigneur : Romana nuper ab urbe petita aurata instrueret nostrum sphera concita ludum (Paulin de Pella, Euch., 145-146).

[154] Mercatores Gallicani, assez nombreux pour pouvoir être enrôlés par Carausius ; Paneg., V, 12. Londres, surnommée Augusta, prend au IVe siècle, vis-à-vis de la ville militaire d'York, un rôle assez analogue à celui d'Arles par rapport à Trèves.

[155] Le dernier texte relatif aux relations de Bordeaux avec la Bretagne est la dédicace à la Tutelle (de Bordeaux) par un bourgeois d'York et de Lincoln (Lindam), inscription datée de 237 ; Courteault, Revue des Ét. anc., 1922, p. 240. Remarquez qu'Ausone parle des vins de Bordeaux (Urbes, 127 et s.), mais nullement de son commerce.

[156] Le rôle commercial de Trèves, comme celui de Bordeaux et de Lyon, est relégué dans l'ombre par les écrivains du IVe siècle. Je ne peux plus rien dire sur le trafic de cette ville, jadis si spontané et si important. L'allusion qu'y fait Ausone (Urbes, 34), longinqua omnigenæ vectans commercia terræ, est trop vague pour signifier quelque chose, et peut n'être qu'un emprunt à quelque manuel d'école. Mais l'Expositio, qui célèbre le négoce d'Arles, se borne à dire de Trèves civitatem maximam. Je suppose donc qu'il n'y avait plus là que les affaires provoquées par la présence de la Cour et des bureaux.

[157] Aucun texte formel pour la Gaule au IVe siècle.

[158] Ausone, Epist., 22 : colportage sur la Garonne, le Tarn, et sans doute la Dordogne.

[159] Il faut sans doute ajouter une certaine circulation des animaux de chasse ou de luxe, chevaux, chiens et éperviers (cf. Sidoine, Epist., III, 3, 2 ; Paulin de Pella, Euchar., 143-5).

[160] Totis porticibus civitatum ; Paneg., V, 9.

[161] Tabernæ à Tours ; Sulpice, Dial., II, 1, 8 : on y achète une vestis bigerrica (de Bigorre), brevis atque hispida, pour cinq pièces d'argent (6 à 7 francs or en valeur absolue ?).

[162] Après les avoir lui-même achetés à vil prix aux paysans du Médoc (leviore nomismate captans), le propriétaire les revend, sans doute après confection de torches ou de lampes, à un colporteur ou commissionnaire, et cela avec de gros bénéfices (pretiis insanis) : c'est ce qu'Ausone appelle mercatus agitare.

[163] Ausone, Epist., 4, 17-21. — Il est fort possible que les grands propriétaires, comme celui du Médoc dont il est ici question, eussent des negotiatores ou des agents attitrés faisant le commerce pour le compte de leurs domaines, et qui seraient leurs esclaves ou affranchis : c'est peut-être le cas de Philon, ancien procurator d'Ausone et demeuré peut-être plus ou moins à son service (Epist., 22). — Les empereurs avaient des negotiatores de ce genre (Code Théod., XIII, 1, 5). — Et sans doute aussi les Églises.

[164] A Bordeaux ; Ausone, Urbes, 148.

[165] A Bourg-sur-Gironde ; Sidoine Apollinaire, Carm., 138 et s.

[166] Ausone, Epist., 6, 1, En supposant que ce fût d'Espagne qu'arrivassent les oranges en Gironde.

[167] T. V, ch. II, en particulier § 1, 4, 5, 6 ; et pour le détail des villes, t. VI, ch. V, VI et VII.

[168] La plupart des textes que nous avons cités sur la misère des villes datent d'ailleurs d'après Constantin. Ét Zosime dit nettement des villes, pour le temps après Constantin (II, 38, 10) : Έρημοι τών οίκούντων αί πλεΐσται γεγόνασι.

[169] Je rappelle le mot sinistre du Gaulois Namatianus (I, 414) : Cernimus exemplis oppida passe mori. Voyez, sur la ruine des villes sous Théodose, Zosime, IV, 29, 3.

[170] Voici l'ordo urbium nobilium, d'Ausone : Rome, Constantinople, Antioche, Alexandrie, Trèves, Milan, Capoue, Aquilée, Arles, Séville, Athènes, Catane, Syracuse, puis, sans doute à titre de tendresse personnelle, Toulouse, Narbonne et Bordeaux. Vienne n'apparaît pas, mais est mentionnée peut-être à propos Arles (opulenta Vienna, si du moins il ne s'agit pas de la Viennoise, 75). La plupart des renseignements doivent être empruntés à quelque Expositio d'école.

[171] Trèves reste avec ses 285 hectares de superficie : civitatem maximam, ubi et habitare dominus dicitur, dit l'Expositio.

[172] Elle perd même la préfecture du prétoire.

[173] Arles, dont l'enceinte de César (2000 m.), demeurée intacte, embrasse seulement 25 hectares, s'est étendue sur l'autre rive, à Trinquetaille (duplex Arelate). Mais ce ne peut avoir été un faubourg très considérable comme population ; ce devaient être surtout des. villas de l'aristocratie ou peut-être aussi des entrepôts du commerce ; il n'y est resté aucune ruine. Cf. Constans, p. 335 et s.

[174] Enceinte originelle de 5000 à 6000 m. La topographie de Vienne n'a point été l'objet d'un travail détaillé.

[175] On évalue la périphérie de l'enceinte à environ 2200 m., et on peut évaluer la superficie entre 30 et 40 hectares.

[176] Périphérie primitive, de 5000 à 6000 m. ? superficie primitive approximative, 200 hectares ? Mais il a dû y avoir une très forte réduction. Comme pour Vienne, il manque un travail de topographie [nous l'attendons de Rouzaud] ; voyez l'état de ruine.

[177] Périphérie (des nouveaux remparts), 2350 m. ; superficie (nouvelle), 32 hect.

[178] Autres métropoles (je donne les chiffres du castrum, autrement dit de la nouvelle ville du Bas Empire) : Bourges, 2100 m. ; Sens, 2500 m. ; Rouen, 1600 m. ; Tours, 1155 m. Lyon devait renfermer beaucoup de ruines dans son enceinte coloniale originelle de 5000 m. (170 hect.) ; de même, Mayence (entre 3500 et 4000 m.) et Cologne (3911 m. et 96 h.), si souvent prises par l'ennemi. Aix n'est qu'un castrum de 790 m. Éauze, si c'est alors qu'elle a été transférée de l'ancien emplacement, Cieutat, sur l'emplacement actuel, et si elle a été fortifiée, ce que je crois, devait avoir 1080 mètres, périmètre des boulevards intérieurs. — Les seules villes un peu importantes, sans être métropoles, sont Poitiers (2600 m.), et sans doute aussi Metz (plus de 2000 m.), et peut-être Clermont (cf. Revue des Études anciennes, 1913, p. 424) ; Marseille, à laquelle on donnait encore 2300 m., devait avoir bien des jardinets dans cette étendue. J'ai toujours des doutes sur les 2100 m. de remparts attribués à Chartres.

[179] Paris a 1300 m. de périphérie et 8 hect. de superficie ; Saintes n'a pas plus de 1000 m. de périphérie (935 m., Blanchet). Autres chiffres : Le Mans, 1400 m. et 10 hect. ; Senlis, 840 in. et 6 hect. 38 ; Bazas, environ 800 m. (cf. Revue des Études anciennes, 1925, p. 119 et s.) ; etc. Je ne cite que des chefs-lieux de cités.

[180] Je rappelle que j'évalue la population urbaine à 500 habitants par hectare. Mais il est possible qu'après les malheurs du IIIe siècle il faille diminuer la proportion.

[181] Par exemple les bas-reliefs qui servirent plus tard de matériaux à la Cathédrale du Puy ; Espérandieu, II, p. 419 et s.

[182] Mons Memmatensis, Mimate, le mont de Mende ; Grégoire de Tours, Hist., X, 9 ; I, 34 (cf. Longnon, Géogr., p. 532). Le transfert de l'évêché à Mende est certainement postérieur à Sidoine.

[183] Anicium, le mont Anis ; Grégoire, Hist., X, 25, à la date de 591, où il semble que le transfert ait déjà eu lieu ; cf. Longnon, p. 533-534.

[184] Autres chefs-lieux de cités que je crois n'avoir pas été fortifiés, et qui, par suite, ont vite disparu comme tels : Boii, La Teste de Buch (la civitas a été incorporée comme pagus dans celle de Bordeaux après le Ve siècle) ; Vieux (civitas incorporée à Bayeux avant 400) ; Jublains (incorporée après le Ve siècle dans la civitas du Mans ; le castrum, ne paraît pas être celui d'une cité) ; Corseul ; Carhaix ; Aps, remplacé par Viviers au début du VIe siècle. Pour Thérouanne, contrairement à mon opinion première, Enlart et Blanchet m'affirment l'existence d'une muraille, ce qui expliquerait d'ailleurs la persistance de l'évêché.

[185] Uniquement à cause du peu d'étendue de cette enceinte.

[186] Je la range dans cette catégorie, puisque les murs ont été rebâtis sous Néron.

[187] Paulin de Pella, Eucharisticos, 527 : Domus urbana vicinus et hortus.

[188] Aucun détail sur Nîmes, autre que la construction possible du réduit au Ve siècle ; cf. Blanchet, p. 208.

[189] Après un essai de restauration sous Constance, qui a dû être suivi (après Julien ?) de la construction du réduit.

[190] Voyez ce que dit Ausone du Capitole de Narbonne, erat (Urbes, vers 120 et s.

[191] Il a dû se produire à Vienne un rétrécissement analogue à ceux des autres villes (on cite encore son rempart en 392).

[192] C'est à un rétrécissement de la surface bâtie que fait songer Ausone, Urbes, 104-107.

[193] Dans un état d'abandon pire encore, Avenches : j'incline à croire qu'à Avenches, comme à Autun, à Nîmes ou à Aix, on construisit un réduit à l'intérieur et le long de l'enceinte d'Auguste, là où est aujourd'hui la bourgade, dont le dispositif rappelle bien un castrum du IVe siècle ; voir maintenant le plan de Secretan (Aventicum, 3e édit., 1919 ), d'où il résulte qu'il y a eu certainement plus de 5000 mètres à l'enceinte originelle : le castrum que je suppose pouvait avoir au plus 1000 m. de périphérie et 6 hectares de surface. — Aix passe de 4000 m. d'enceinte à un castrum de 700, encore que ce fût une métropole : mais j'imagine qu'elle eut, comme Toulouse, d'importants suburbia dans ce qui restait de l'ancienne cité coloniale, la Ville des Tours. — Fréjus est à mettre dans cette catégorie, mais a dû être déserté bien avant le IIIe siècle. Je suppose que la ville s'était déjà concentrée dans le quartier de la Cathédrale, aujourd'hui encore au dispositif des rues si nettement distinct : c'est ce qu'on appelle la ville de Riculfe [évêque du Xe siècle], qui ne pouvait avoir plus de 700 m. de pourtour. — Lyon, sur lequel nous sommes mal renseignés, a dû se réfugier également dans un angle des remparts de Fourvières, dans le quartier si caractérisé qui s'allonge autour de la Cathédrale sur la Saône (cf. Grégoire, H. Fr., V, 33) ; et j'ai peine à croire à plus de 1500 mètres de pourtour. — Le dispositif des vieilles rues centrales permettrait sans doute de reconstituer un réduit semblable dans les autres colonies du Midi, telles que Béziers et Orange, et peut-être même plus tard à Marseille, sans parler des grandes villas du Rhin. On peut également s'aider des limites anciennes des paroisses pour retrouver ces castra. — Des réduits de ce genre seront construits plus tard même dans les villes fortifiées vers 300 (par exemple le Clarus mons de Clermont) ; Revue des Ét. anc., 1913, p. 424.

[194] Il y a cependant des cas où le castrum, héritier de la colonie (ou du grand camp militaire), se constituera en dehors et à distance des remparts de l'ancien emplacement par exemple à Augst et à Windisch. Je crois de même, en voyant le système des rues, que le camp du Bas Empire dit de Tricensimæ est en dehors de la colonia Trajana à laquelle il a succédé, et qu'il est représenté par le lieu actuel de Xanten (plus rapproché, par suite, de Vetera). Il y a donc eu là trois emplacements successifs.

[195] Lapurdum. A pu remplacer Hasparren comme chef-lieu de pagus dans la civitas de Dax, mais a dû devenir civitas sous les Mérovingiens (Grégoire, Hist., IX, 20, p. 375, Arndt) à cause de sa situation frontière, de son importance militaire et économique, et peut-être aussi du caractère propre du Pays Basque et de ses habitants. Périmètre, de 1100 à 1125 m. ; cf. Rev. des Ét. anc., 1905, p. 147 et s.

[196] Cularo, puis Gratianopolis. 1160 mètres.

[197] Chef-lieu de la civitas Consorannorum. Périmètre, de 740 m.

[198] Nouveau chef-lieu des Ménapes ; Cassel trop haut perché, a dû paraître un lieu de rassemblement trop peu commode. Comme il y avait là sans doute une garnison, je n'hésite pas à supposer l'existence de remparts (entre la Cathédrale, les Fossés et l'Escaut ? 800 à 900 m. ?), encore qu'il n'en soit resté aucune trace.

[199] L'existence d'un castellum est certaine (Itin. de Jérusalem, p. 551, W.), et j'ai peine à croire que le vieux mur ne soit pas de l'époque romaine (on l'attribue d'ordinaire aux temps wisigothiques ; remarquez la forme particulière, à l'aspect d'une fève, de la ligne d'enceinte). Carcassonne n'est plus civitas. Périphérie, 905 m. ; superficie 7 hect. 10. Poux, La Cité de Carcassonne, Les Origines, 1922, p. 122.

[200] Il y eut un castrum à Vannes, lieu de garnison : en grande partie sur la ligne de l'enceinte médiévale, sauf au sud ? Périphérie, de 900 m. ?

[201] Il y a des cas, fort rares, où le castrum a été bâti (comme pour certaines villes de la frontière : Augst et Windisch, Xanten) à distance de l'agglomération primitive : à Eauze ?

[202] Il serait parfaitement possible que le populaire ou les lettrés aient localisé sur ces ruines, extérieures à l'enceinte de la civitas Parisiorum, le nom antique de Lutetia : in monte Leutitio [var. Locutio], Vita s. Genovefæ, p. 214, Krusch ; Parisius, in suburbii loco qui olim nuncupabatur Lucoticius, V. s. Droctovei, § 12, p. 540, Krusch. Et peut-être de même, dans les villes qui ont ainsi changé de nom et se sont en même temps réduites, le vocable primitif s'est-il perpétué sur les ruines des faubourgs, vestiges de l'ancienne ville.

[203] L'expression de castrum (Servius, ad Æn., VI, 775, p. 109, Thilo) s'entendait surtout des chefs-lieux : castrum civitas est ; Carcassonne, au temps où elle n'était plus civitas, n'est appelée que castellum. Burgus a servi, semble-t-il, aux fortins militaires, puis aux villas fortifiées. On disait aussi munimentum pour des postes militaires fortifiés (Ammien, XVII, 9, 1 ; XXX, 3, 1), le plus souvent sur des grandes routes ou des lieux de passage ; ou encore præsidium. Il va sans dire que ces expressions furent souvent confondues.

[204] Sans parler des Arènes elles-mêmes, transformées en château fort.

[205] Militaris Blavia ; Ausone, Epist., 10, 16.

[206] Blanchet, p. 53.

[207] Par exemple, les deux suivantes le long de la Saône. Tournus : périphérie, 510 m. ; surface, 1 hectare ½. Anse, périphérie, 440 m. ; superficie, 1 hectare ¼ ; c'est à l'origine un vicus sacré (Corp. inscr., XIII, 10029, 217), dépendant de quelque villa, et une importante mansio sur la route  de Lyon à Mâcon, Itin. Antonin, p. 359, W, où il faut lire Assa [pour Ansa] Paulini ; Revue des Études anciennes, 1924, p. 68 et s. — Je répète que les mansiones, qui servaient également de greniers et de basiliques, devaient le plus souvent être fortifiées. — Entre vici fortifiés et castella de la frontière, la différence est devenue presque nulle ; comparez à ceux que nous venons de citer : en Suisse : castrum Rauraca (3 h. 68), Olten (Olino ; 7200 mètres carrés), Winterthur (à peu près autant), Soleure (1 h. 28), Yverdon (1 h. 86) ; cf. Stæhelin, Revue des Ét. anc., 1923, p. 59 ; en Alsace et Lorraine : Argentovaria, Horbourg près Colmar (2 h. 68), Sarrebourg, Pons Saravi (1650 m., 14 hectares), celle-ci et la suivante demeurées de très grosses bourgades, Saverne, Tres Tabernæ (1015 m., 7 h. ¼ ; cf. Forrer) ; sur la route de Trèves au Rhin : Bitburg, Beda (2 hect.), Icorigium, Jünkerath (1 hect. 52), bien étudiés par Hettner ; sur la route de Sarrebourg à Metz : Tarquimpol ou Decempagi, autrefois gros bourg, demeuré la plus importante station avant Metz (1100 m.) ; maintenant sauvé Arion, mêmes remarques, sur la route de Trèves à Reims (830 m., plus de 4 h.) ; etc. — De même, vici fortifiés, castella, munimenta à garnisons, mansiones ou prætoria à remparts, peuvent être confondus avec les villas fortifiées, telles que le burgus de Paulin. (n. suiv.) : il y a entre ces différentes espèces d'absolues similitudes d'aspect, et les différenciations ne peuvent se faire que par l'examen, souvent difficile, de leur situation, de leur condition politique ou sociale, de leur dispositif intérieur. Voir la n. suiv. — Ce dispositif intérieur, qui a laissé bien des lignes dans la structure contemporaine des rues et des places, peut être par suite retrouvé parfois sans trop de peine ; et même en l'absence de traces archéologiques de remparts, on peut reconnaître une localité fortifiée du Bas Empire à ses rues rapprochées et étroites, ses longues voies parallèles, ses petites rues qui leur sont perpendiculaires, les petits carrés ou rectangles de ses îlots ; cf.  Revue des Études anciennes, 1925, p. 119 et s.

[208] Le burgus ou la villa bâtie par Paulin ne diffère en rien d'un village fortifié ; elle en a le nom et les remparts ; et avec ses greniers porrecta in longum, elle ne diffère pas non plus d'une mansio fortifiée (Sidoine, Carm., 22, 118 et s., 169 et s.). Voyez aussi Larçay, Jublains, etc. — Il est cependant possible que, tout au moins au début, les propugnacula des villas ou édifices privés n'eussent pas le même aspect militaire que les munimenta d'État ; en particulier, les tours flanquantes extérieures ont pu être remplacées par de longues colonnes engagées formant surtout contrefort. Voyez par exemple le mur des Sarrasins à Clermont, qui est peut-être la plus ancienne construction de ce genre ; cf. Brutails, Rev. des Ét. anc., 1021, p. 329 et s. — On fortifie même des colonies de paysans.

[209] Dix forteresses de civitas, de vicus ou de mansio pour chacune des 115 cités, il y a celles des villas. Et il faut, aux abords de la frontière, songer aux turres qui gardaient les passages. — Pour la région rhénane, voir maintenant le livre si utile de Schumacher, II.

[210] Drouyn, Bordeaux vers 1450, p. 5, 31-32, 421, etc. ; Inscr. rom. de Bordeaux, II, p. 286.

[211] De Pachtère, p. 36.

[212] Le mur romain a dû reprendre sur ce point la place et le tracé de l'enceinte gauloise. Et c'est, constaté une fois de plus, le retour à l'état d'avant la conquête.

[213] Ou 9 mètres ; c'est la mesure donnée par Grégoire de Tours pour les murs de Dijon (Hist., III, 19). Cf. Blanchet, Enceintes, p. 257.

[214] Soit 4 mètres ou davantage ; Inscr. rom. de Bordeaux, II, p. 286. Quinze pieds à Dijon (Grégoire, ibid.). Cf. Blanchet, p. 257-259.

[215] A Bordeaux, 46 tours (Drouyn, p. 104) pour 2350 mètres ; à Dijon, 33 tours (Grégoire de Tours, Hist., III, 10) pour 1500 mètres. Blanchet (p. 266) trouve, comme intervalles, suivant les villes, de 25 ou 30 mètres (Senlis et Dax) à 104 mètres (Sens) ce qui semblerait indiquer que les tours étaient d'autant plus rapprochées que le périmètre était moins étendu. Mais il peut y avoir des exceptions à Strasbourg (1800 mètres), on parle maintenant (Forrer) d'un intervalle seulement de 22 à 25 mètres.

[216] Turribus altis ardua, dit Ausone de la muraille de Bordeaux (Urbes, 140-141). On croit (et cela, est confirmé par les figurations des remparts de Londres, Trèves et Mayence) que les tours devaient dépasser les remparts d'une hauteur égale au moins à la moitié de la hauteur de ces remparts ; voyez à Senlis (Congrès archéologique de 1866, p. 30 et s. ; de 1877, p. 436 et s.). Elles devaient être, d'après ces mêmes figurations, couronnées de hautes couvertures coniques, sans doute terminées par quelque épi plus ou moins arrondi. — Il n'y a pas à parler ici des tours de la Porte Noire à Trèves : tours et portes sont complètement suivant le dispositif classique (cela est reconnu même par Grenier, Congrès arch., LXXXV, Rhénanie, 1922, paru en 1924, p. 26-27), et complètement étrangères à l'architecture militaire d'après Dioclétien ; il faut donc les placer au plus tard sous les empereurs gaulois.

[217] Le plus souvent ; mais parfois carrées : je ne parle que de l'extérieur. A l'intérieur (par exemple à Senlis, à Carcassonne), saillantes en carré. Les tours d'angle, en trois quarts de cercle.

[218] De Pachtère, p. 145, d'après Grégoire de Tours, Hist., VIII, 33.

[219] Quattuor portæ a quattuor plagis mundi ; Grégoire, Hist., III, 19 ; sans parler des deux portes par où passait la rivière du Suzon. — Dijon n'est pas civitas, mais vicus fortifié de la cité de Langres, et le plus important. Périphérie, 1500 mètres ; surface, 11 hectares.

[220] On en a signalé 14 à Bordeaux (Drouyn, p. 6) ; je doute maintenant (comme Blanchet, p. 267) qu'elles soient toutes contemporaines et primitives. Mais il est possible qu'il y en ait eu à l'origine 9, deux par chaque côté du rectangle, et en plus la porte du port : le vers d'Ausone, (Urbes, 144), respondentes directa in compila portas, s'expliquerait mal s'il n'y avait eu qu'une porte par côté.

[221] Ausone, dans ses Urbes (142 et s.), marque le type schématique des rues et places de Bordeaux : Distinctas interne vias mirere, domorum dispositum, et latas nomen servare plateas [ici place plutôt que rue principale ?] ; mais décrit la réalité dans une lettre (Epist., 10) : Angustas fervere vias et congrege vulgo nomen perdere plateas.

[222] Cf. n. suiv., et C. Th., XV, 1, 25 (pour Constantinople) : Turpe est publici splendoris ornatum privatarum ædium adjectione conrumpi. Ces édifices parasites étaient ceux que l'on appelait parapetasia.

[223] Voyez le texte si important d'Orose, VII, 22, 8 : In magnarum urbium ruinis parvæ ei pauperes sedes.

[224] Le mal sévissait même à Rome (C. Th., XV, 1, 39) : ædificia, quæ vulgi more parapetasia nuncupantur, vel si qua alia opera publicis mœniis... cohærent, ut ex his... angustentur spatia platearum vel minuatur porticibus latitudo. Le mal ne fera que s'accroître sous les rois francs, et explique comment les rues de l'époque romaine ont si vite perdu leur largeur et régularité originelles.

[225] Voyez à Suse lors du siège de 312 (Paneg., X, 21) : cum portarum inflammatio ignem late distulisset. La chose est du reste indiquée par le Code Théodosien (ex his incendium ; XV, 1, 39).

[226] De Pachtère, p. 143 et s.

[227] Pour ceci et tout ce qui suit, Paulin de Pella, Euch., v. 44 et s. : Burdigalam veni, cujus speciosa [?] Garumna mœnibus Oceani refluas maris invehit undas Navigeram per portam, quæ portum spatiosum nunc etiam maris spatiosa [?] includit in urbe. Ausone, Urbes, 145-147 : Per mediumque urbis fontani fluminis [la Devèse] alveum, quem pater Oceanus refluo cum impleverit æstu, adlabi totum spectabis classibus æquor ; Ausone, Epist., 25, 129 : Ostia portus. L'emplacement du port intérieur est suffisamment marqué, entre les rues du Cancera et du Parlement-Saint-Pierre, et de la place Saint-Pierre à la place du Parlement ; j'ai supposé un hectare de bassin avant la clôture par les remparts, je doute que le bassin fermé du IVe siècle ait atteint cette étendue. — Une recherche des ports intérieurs pourrait peut-être être tentée Rouen, Nantes et Chalon. — Un port intérieur de ce genre (Altripp ?) est décrit sur le Rhin par Symmaque (Laudatio in Valentinianum, II, 28, p. 329, Seeck) : Recessum fluminis murorum ambitus vindicavit, parvo adita nec satis libero, ut stationis exitus propugnaculis desuper protegatur [l'équivalent de la porta Navigera de Bordeaux, avec flanquement par deux tours] ; habent sua quodamrnodo castra rostratæ et infra conclave Rheni regia classis armatur. — Il y aurait aussi à signaler le mode d'accès des petits cours d'eau à l'intérieur de la ville, par exemple du Suzon à Dijon, qui passait alors sous deux portes, dont l'une abritait un moulin (ante portam molinas mira velocitate divertit ; Grégoire, H. Fr., III, 19). Et cela a dû se présenter souvent.

[228] J'ai supposé qu'il s'agissait de la Devèse même, captée dans le bassin de la fontaine, en rapprochant fontani fluminis de fons ignote ortu (Urbes, 145 et 157). Je me demande toujours s'il ne s'agit pas d'une fontaine (la Font Daurade ou Font de Tropeyta ? la mystérieuse Font Jouyn ?) descendant des Piliers de Tutelle ou de Puy-Paulin vers le port intérieur : cette source, qui se serait appelée Divona, aurait pu passer son nom (avec modification du suffixe) à la Devèse qui la recevait (comme à Chalon, n. suivante).

[229] Ausone, Urbes, 148-162 l'eau tombait dans le bassin par douze ouvertures (comparez, dans la villa d'Avitacus, la fontaine qui tombe par sex fistulæ prominentes leonum simulatis capitibus [en terre cuite ? en bronze] ; Sidoine, Epist., II, 2, 8). — L'importance de la source et de la fontaine demeure capitale dans la vie municipale ; cf. à Dijon, habet in circuitu prætiosos fontes (Grégoire, Hist., III, 19). — Il faudrait étudier, à cet égard, la source de Chalon, Souconna, qui a fini par donner son nom à la Saône qui la recevait (cf. Revue des Ét. anc., 1919, p. III) ; cf. à Bordeaux, n. précédente.

[230] Cf. note précédente.

[231] Cela ressort, outre les faits que nous allons citer, des lois impériales : voyez Code Théodosien, XV, 1, 32, loi de 395, où l'empereur assigne un tiers des revenus du domaine municipal, dans toutes les villes, reparationi publicorum menium et thermarum subustioni.

[232] A Jublains, si Jublains est un vicus fortifié et non une villa. L'importance des thermes demeure d'ailleurs capitale dans les villas ; voyez à Bourg, à Avitacus, la villa de Sidoine en Auvergne (Epist., II, 2, 4 et s. ; Cam., 18 et 19), etc.

[233] C'est une question importante, si les aqueducs du Haut Empire, si nécessaires aux villes, ont été entretenus et réparés après les malheurs du IIIe siècle. La chose est attestée pour Autun (n. suivante) et Narbonne (Corp., XII, 4355), sans doute aussi pour Reims (Corp. inscr., XIII, 3255), Trèves (Abhandlungen der Akad. der Wissenschaften de Berlin, Phil.-hist. Klasse, 1915), Arles (Constans, Arles antique, p. 273 et s.), car on ne peut guère séparer thermes et aqueducs. J'ai peine cependant à croire que ces aqueducs aient pu être laissés longtemps en état, et il ne s'agit là que de villes importantes où séjournèrent les empereurs. Ailleurs, il me parait difficile que les aqueducs de l'ancien Empire aient pu être adaptés aux lignes des castra à Bordeaux, par exemple, il semble certain que le service des eaux n'était plus fait que par les sources intérieures et en particulier par celle de la Divona. Le sort de l'aqueduc de Nîmes (Pont-du-Gard) sera étudié de plus près par Espérandieu. qui prolonge jusqu'au début du Ve siècle son fonctionnement normal mais j'hésite à croire que, comme ceux d'Autun et de Narbonne (ici, n. suivante) et de tant d'autres villes, il n'eût pas subi déjà de terribles crises.

[234] Novos amnes, ajoutés aux resides aquas [les eaux stagnantes qui avaient dû se former dans les brèches de l'aqueduc ?] ; Paneg., en 297, IV, 4.

[235] Corp. inscr., XIII, 3255.

[236] Constans, Arles antique, p. 273 et s. C'est d'ailleurs une construction médiocre et qui m'a paru, comme à Constans, avoir remplacé des thermes plus anciens, sans doute ruinés. — De même, à Narbonne, au IVe siècle, un grand personnage répare l'aqueduc (Corp., XII, 4355).

[237] Voyez en dernier lieu les recherches de Krüger et Krencker dans les Abhandlungen der Akad. der Wissenschaften de Berlin, Phil.-hist. Klasse, 1915, et le résumé critique qu'en a donné Grenier, Congrès arch., LXXXV, 1922, vol. paru en 1924, p. 54 et suiv.

[238] Circum Maximum æmulum Romano ; Paneg., VII, 22. Cela est évidemment la conséquence du séjour des empereurs et des courses qu'ils y donnaient.

[239] On voit maintenant un prétoire ou consistoire impérial du IVe siècle dans les substructions de la Cathédrale (Œlmann dans les Bonner Jahrbücher, CXXVII, 1922, p. 130 et suiv. ; Grenier, Congrès arch., XXXV, p. 45 et suiv.). C'est possible ; mais si la construction date de Valentinien, elle ne peut être la fameuse sedes justitiæ de Constantin. — Dans les villes ordinaires, sauf les cas où le prince logeait dans une maison particulière, qui devenait peut-être ainsi le palatium, il est possible qu'il y ait eu un palatium ou plutôt un prætorium aménagé (au moins à l'usage des visites du gouverneur) dans une dépendance des remparts, le plus souvent à un angle, à un endroit facile à défendre, et cela a pu devenir au Moyen Age le château royal : voyez à Senlis ce qu'on appelle le Château, l'ancien Palais de Paris (là où est le Palais de Justice), le Palais de l'Ombrière à Bordeaux, etc. ; cf. Blanchet, p. 275-277. Palatium à Autun pour Constantin ; Paneg., VIII, 8. Palatium ou regia à Paris ; Ammien, XX, 4, 20-21 ; et dans ce palais, chambre chauffée par une cheminée (Julien, Misop., p. 341), comme si souvent en Gaule. Palais (basilia, regia), de Valentinien à Robur ou Bâle ; Ammien, XXX, 3, 1 et 3. Regia à Cologne ; Ammien, V, 5, 31. Tous ces soi-disant palais, comme ceux des mansiones, étaient sans doute petits et fort peu confortables. — Voyez le texte du C. Théod., XV, 1, 39, sur les palatiis, prætoriis judicam, horreis, stabulis, toutes constructions publiques mises un peu sur le même plan.

[240] Paneg., VII, 22. De même, les thermes de Reims. De même, les travaux de réfection à Autun et à Narbonne (un préfet honoraire des Gaules rétablit pont, portes et aqueducs ; Corp., XII, 4355).

[241] Encore cet arc a-t-il été fait à l'aide d'un édifice antérieur.

[242] Que la main-d'œuvre manquât dans les villes, cela résulte de la joie d'Autun à recevoir des artifices venus de la Bretagne ; Paneg., IV, 4 ; V, 21.

[243] On peut dire de la Gaule ce que Constantin disait de l'Afrique (Code Théod., III, 4, 1) : Architectis quam plurimis opus est, sed non sunt.

[244] J'ai peine à croire que la ville n'eût pas à assurer, en l'absence de garnison, l'entretien, le service et la garde des remparts ; cf. Ammien, XXXI, 6, 2 ; Code Théod., XV, I, 34. C'est peut-être alors, dans les cas d'alerte, qu'intervenait originellement le defensor.

[245] A-t-elle à faire les frais du cirque ? A Antioche, Julien, pour permettre à la ville de payer ses chevaux de course, lui attribue 3000 unités foncières (Misop., p. 371., Sp.) il semble donc bien que la chose incombât aux villes. Mais il s'agit de la plus grande métropole de l'Orient, où séjournaient volontiers les empereurs. — En Gaule, de même, le centre des courses de char parafa avoir été tantôt Trèves et tantôt Arles, et pour les mêmes raisons. On pouvait même trouver à acheter à Arles de bons chevaux de cirque (Symmaque, Epist., IX, 20 [19], p. 241, Seeck) ; on a même supposé qu'ils étaient élevés dans les pâturages de la Camargue (Carcopino, Choses et Gens du pays d'Arles, 1922, p. 11-13, dans la Revue du Lyonnais) mais dans l'ensemble, la race de ces chevaux était celle d'Espagne (equi currules), et on se bornait, quand on les expédiait à Rome, à les reposer à Arles durant l'hiver (Symmaque, ibid.).

[246] Voyez ce que dit le Panégyriste de Théodose, qui est un Gaulois (Pacatus, XII, 21) : lorsqu'on visite une ville, on commence par l'église, quod facere magnas urbes ingressi solemus, ut primum sacras ædes et dicata Numini Summo delubra visamus [il est difficile que, s'adressant à Théodose, l'auteur songe aux temples païens], tum fora atque gymnasia et pro suis extenta porticibus ambulacra miremur.

[247] Je pense à l'ornementation et non à l'étendue. Car il est probable que dès lors, l'église cathédrale étant unique ou en tout cas essentielle, on dut chercher pour elle un assez vaste emplacement. A Mayence, en 368, le peuple chrétien semble concentré dans une église aux jours de t'êtes (Ammien, XXVII, 10, 2). Reconstruction ou construction d'une vaste église à Trèves à la fin du règne de Constantin. Reconstruction de l'église [?] à Sion par les soins du gouverneur en 377 (Sion était peut-être encore chef-lieu de civitas). — Remarquez qu'Ammien appelle encore conventiculum (à Cologne) le lieu d'assemblée des Chrétiens (XV, 5, 31).

[248] Ceci pour les premiers temps, et il a dû en demeurer ainsi dans les petites villes.

[249] On a souvent remarqué que la cathédrale, autrement dit l'église par excellence de la cité, ecclesia civitutis, ecclesia sedis, est d'ordinaire, dans les castra municipaux du IVe siècle, adossée au rempart, et quelquefois à l'angle opposé à celui où est le prætorium : à Paris, comparez la place de la Cathédrale et celle du Palais ; à Bordeaux, celles de Saint-André et du Palais de l'Ombrière ; etc. Sans qu'il y ait le moindre indice écrit à ce sujet, on peut supposer que la chose résulte d'une intention formelle, d'une concession de terrain public faite sous Constantin ou ses fils ; la construction de la plupart de nos cathédrales date sans nul doute de ce temps (à Tours, par exemple, sous évêque Lidoire, de 337 où 340 à 371 ou 372 ; Grégoire de Tours, Hist., X, 31, p. 443). Peut-être ce voisinage de l'église et de l'enceinte se constate-t-il moins souvent dans les villes où le Christianisme est de date plus récente (par exemple Bayonne). Cf. Blanchet, p. 277. — On a remarqué que les cathédrales ou églises qui furent plus tard placées sous le vocable de Saint-André, étaient au voisinage de portes (Bordeaux, Autun, Cologne, Bayeux, etc.) : on a transféré en Gaule des reliques de saint André avant 396. — Il est probable que dans les hors-lieux de cités où une église épiscopale s'est établie de bonne heure, avant la construction de l'enceinte du castrum, et s'est établie en dehors de la ligne occupée par cette enceinte, cette église a pu demeurer ensuite le centre officiel, eccelesia sedis episcopalis. Et c'est pour cela que nous trouvons, par exemple à Aix, une Notre-Dame-de-la-Sed dans un faubourg de la cité du Bas Empire, en dehors du rempart, mais à un endroit ayant peut-être fait partie de l'enceinte coloniale (Beata Maria de sede ville Turrium [la Ville des Tours] ; Clerc, Aquæ Sextiæ, p. 485 et s.) ; le transfert de la cathédrale dans le castrum (à Saint-Sauveur) fut du reste naturel après la construction de la nouvelle enceinte : mais on ne peut dire quand ce transfert a eu lieu. Il existe aussi une Notre-Dame-de-la-Sed à Apt (ici, c'est la Cathédrale, et il n'y a pas eu de transfert, l'église étant, je crois dès le début, au centre de la ville), à Marseille (La Major ; mêmes remarques), à Riez (au contraire, il semble qu'il y ait eu transfert, comme à Aix ; Albanès, Gallia Christiana novissima, I, c. 621).

[250] Le droit d'asile confère évidemment à l'église, même aux yeux des païens, une prééminence morale et divine. Silvain tente de se réfugier dans celle de Cologne. C'est du reste l'extension d'un privilège de temples païens.

[251] Cf. t. V, ch. VIII, § 6.

[252] A Mayence, en 368, le concours aux offices (à Pâques ?) est tel, qu'un chef alaman peut prendre la ville.

[253] Ammien, XXVII, 10, 2 ; XXI, 2, 5 ; Ausone, Epist., 10, 17 ; 25, 94 ; Sulpice Sévère, V. Mart., 18, 3-4 ; etc.

[254] Les théâtres et les amphithéâtres, sauf dans les villes du Midi, avaient dû être détruits par les invasions, et demeurent en principe en dehors des remparts des cités, comme ils étaient autrefois à la périphérie ; voyez à Paris, où la ville est dans l'île, et les édifices de spectacle, maintenant ruinés, sont sur la rive gauche.

[255] Sauf exceptions. — A Arles, Constance fit donner theatrales ludos atque circenses (Ammien, XIV, 5, 1). Il est également probable que la Gaule voyait, comme aux temps d'autrefois, des troupes d'histrions et danseurs ambulants, lesquelles sont d'ailleurs de toutes les époques ; mais Julien, qui parle longuement d'une troupe de ce genre amenée en Gaule par un Grec de Cappadoce, déclare que les Gaulois n'aimaient pas plus que lui ce genre de spectacle (Misop., p. 359-360, Sp.). Les séances théâtrales dont parle Paulin ne paraissent guère faites pour la foule.

[256] Même peut-être à Sion en Valais, en admettant qu'il soit encore civitas.

[257] L'abandon général de l'incinération (Macrobe, VII, 7, 5), et par suite la généralisation des sarcophages, qui exigent beaucoup plus d'espace, ont dû amener le développement des cimetières.

[258] Au point de vue topographique, j'entrevois trois éléments au pourtour immédiat des enceintes municipales : 1° le pomerium, dont il est encore question à la fin du IVe siècle (loi de 400, C. Th., X, 3, 5) ; 2° les vici ou quartiers suburbains : par exemple, à Toulouse, les quatre urbes (dans le sens de vici) formées des éléments de l'ancienne enceinte non compris dans la nouvelle enceinte réduite, et, de même, les vici de Sens, de Clermont, de Tours et de Paris mentionnés plus loin : il est possible que quelques-uns de ces vici aient porté spécialement, et de très bonne heure, le nom de la civitas [l'expression étant prise dans le sens de capitale] : vicus Parisiorum, à rapprocher de vikani Agiedincenses (Corp., XIII, 2949), qui peut se rapporter à un faubourg d'Agedincum ou Sens ; 3° les cimetières, plus ou moins mêlés aux vici, mais sans doute en dehors du pomerium. Ce n'est qu'au delà que commençait le terroir rural. L'étude des limites des plus anciennes paroisses municipales permettrait peut-être de retrouver des traces de ces zones dans certaines villes. — Il faut enfin faire place, dans cette région suburbaine, aux Champs de Mars, toujours conservés comme lieux de rassemblements militaires et sans doute rendez-vous des grandes foires à bétail, et peut-être aussi comme centres d'assemblées populaires.

[259] De Pachtère, p. 137 et s. Il a dû prolonger et remplacer le cimetière païen de la rue Pierre-Nicole, situé presque à la même hauteur sur la route d'Orléans. Des fouilles seraient intéressantes à faire entre ces deux routes sur les terrains de l'hôpital du Val-de-Grâce.

[260] A Marseille, le cimetière chrétien parait continuer sur place le cimetière païen : inscriptions païennes et chrétiennes se sont rencontrées aux mêmes endroits (bassin de carénage ; Corp., XII, p. 59-64) ; mais il est possible que les tombes chrétiennes aient tendu à remonter vers Saint-Victor, du côté du rocher où l'on enterra le martyr.

[261] Inscr. rom. de Bordeaux, II, p.19 ; Courteault, Revue des Et. anc., 1910, p. 67. Nous sommes là au contact d'un chemin rural (vers Saint-Médard-en-Jalle) ; et il est possible que ce cimetière chrétien ait été le prolongement (avec rapprochement du côté de la ville) du cimetière païen de Terre-Nègre (celui-ci, au voisinage de la grande voie du Médoc ; cf. Inscr. rom. de Bordeaux, I, p. 419).

[262] A Arles comme à Marseille, inscriptions et tombes païennes et chrétiennes se mêlent ; mais il a dû y avoir de très bonne heure une localisation des sépultures de fidèles autour de la tombe d'un évêque (tombe de Concordius sous Valentinien ? XII, 942 ; d'Héros, le disciple de Martin ? XII, 946 [texte très suspect] ; surtout d'Hilaire, mort en 149 ; XII, 949). Toutefois, la topographie de ce cimetière reste à faire. Il a dû certainement sa vogue au rôle politique d'Arles. Remarquez qu'il n'a point gardé le nom d'un saint. Le nom d'Aliscamps viendrait, dit-on, de Campi Elysii, mais je ne suis pas sûr qu'il soit antique : les Chrétiens ont pu le donner, l'expression ne répugnant pas à leur langue funéraire (cf. nemus Ælysium à Vienne ; Corp., XII, 2124). Et il peut y avoir une étymologie banale, un simple nom d'homme. Nous sommes là sur la route de Marseille (Corpus, XII, 5494). — Ajoutez, comme cimetières célèbres, les polyandres d'Autun, surtout celui de Saint-Pierre-l'Étrier [strata], sur la route de Besançon ; Grégoire de Tours, Gloria confessorum, 72 ; cf. de Fontenay, p. 233 et s. Sans doute aussi celui de Saint-Irénée à Lyon, où on a découvert la plus ancienne inscription chrétienne datée de la Gaule (de 334 ; Corpus, XIII, 2351 ; cf. Allmer, Musée, IV, p. 9 et s.), et qui certainement était au contact de l'ancien cimetière païen de la porte Saint-Just et de ses routes. Celui de Valcabrère aux abords immédiats de Saint-Bertrand (Lugdunum Convenarum), lui aussi ancien cimetière païen (épitaphe d'un presbytes chrétien, datée de 347, la plus ancienne inscription de Gaule avec le chrisme ; Corp., XIII, 299). — Et il a pu s'en former d'aussi populaires, d'aussi encombrés de tombes, dans les sanctuaires ruraux fondés par les évêques évangélisateurs de la fin du IVe siècle. Dans ce cas, le cimetière, devenu lieu de pèlerinage chrétien, remplacera ou rétablira les assemblées des sanctuaires et foires des temps païens. Il faudrait étudier à cet égard les extraordinaires champs de tombes qu'on rencontre dans certaines localités rurales de France ; voyez à Civaux en Poitou (Maximin Deloche, L'Énigme de Civaux, 1924).

[263] Je n'en connais pas pour le IVe siècle. Tout au plus construisait-on une petite chambre au-dessus de la tombe d'un saint ou d'un évêque, parvula basilica, oratorium, ou plutôt cellala, par exemple sur la tombe de saint Martin (Grégoire, Hist., X, 31) ou de Crescentia.

[264] Cf. t. V, ch. II, § 9, t. VI, ch. III, § 11.

[265] Il est à remarquer que la modestie de la tombe, qui est une des caractéristiques du Christianisme originel, se retrouve cependant à l'époque proprement celtique, ce qui ne peut s'expliquer que par des analogies de mentalité religieuse.

[266] Les épitaphes disent socias sanctorum, sociatus sanctis ; Corp. inscr., XII, 944, 2115 ; etc.

[267] Pour tout ce qui précède, Grégoire de Tours : concurrentes populi ad basilicam sancti (Seurin [Severinus], à Bordeaux ; Gl. conf., 44) ; sæpius ad eum accedentes infirmi (Victor, à Marseille ; Gl. mart., 76) ; in quo loco multæ virtutes factæ sunt (Martin, à Tours ; De virt. s. Mart., I, 6).

[268] C'est sans aucun doute le monastère de Saint-Victor qui est d'abord visé par Gennadius, 62 : Cassianus presbyter apud Massiliam condidit duo monasteria, id est virorum ac mulierum, quæ usque hodie exstant. Il serait possible que le monastère de femmes dont il est ici question (sans doute au voisinage de l'autre monastère), fût le premier de ce genre en Gaule. Ces fondations ne peuvent être placées qu'après 415, mais elles datent sans doute de peu après ; Paulin de Pella parle (entre 421 et 460) des saints de Marseille (plures sancti ; Euchar., 521). — Dans le même ordre d'idées, il est vrai non plus autour du corps d'un saint ou d'un martyr de la cité, mais autour d'un sanctuaire abritant des reliques apportées, il a dû s'élever, dès la fin du IVe siècle, des monastères suburbains : peut-être en particulier autour des reliques des saints Gervais et Protais, par exemple à Sens à l'entrée du vicus chrétien, peut-être à Paris (monceau Saint-Gervais à la sortie de la grande route sur la rive droite), ailleurs pour ces mêmes reliques ; à Rouen pour les reliques reçues par Victrice. — C'est également dans les suburbia que se fondèrent, après 415, les chapelles à saint Étienne, toujours par suite de l'apport de reliques. — Il est d'ailleurs possible que ces édifices sacrés de faubourgs fussent souvent sous la. forme, non de monastères, mais de simples basiliques ou même d'oratoires : ce qui n'empêchait pas la présence de moines plus ou moins librement affectés à leur service.

[269] En dernier lieu, Bourrilly, Essai sur l'histoire politique de la commune de Marseille, p. 9 et s. (Ann. de la Fac. des Lettres d'Aix, XII, 190-20).

[270] Voyez par exemple : à Paris, le vicus Parisiorum ou vicus civitatis, qui avoisine sans doute le cimetière Saint-Marcel, non loin de l'ecclesia senior, qui doit être le lieu de rassemblement suburbain de l'Église originelle, vrai ou légendaire (Grégoire, In gloria confess., 103 et 87 ; De Pachtère, p. 131-2, avec d'excellentes remarques générales, p. 137 et s.) ; à Clermont d'Auvergne, mais juxta, vicus Christianorum (Grégoire, Hist., I, 33) ; à Tours, le vicus qui erat Christianorum, où fut enterré le premier évêque Gatien (Grégoire, H. Fr., X, 31) ; Sens, le vicus de Saint-Pierre-le-Vif (cf. Prou, Étude sur les chartes de fondation de abbaye de Saint-Pierre-le-Vif, dans le Bull. de la Soc. arch. de Sens, XVII, 1895, p. 55-7). Il faut peut-être rapprocher de ces vici chrétiens connus les basiliques suburbaines et leurs quartiers que, dans nombre de villes de France, la tradition apporte aux environs de 400, ce qui est en parfaite harmonie avec l'ensemble des faits historiques, par exemple la basilique cimetériale dite de Jovin ou de Saint-Agricole à Reims (il y a eu un transfert de reliques d'Agricole vers 396). — Dans quel rapport ces vici suburbains se trouvaient avec le pomerium, et dans quelle mesure les cimetières ont pu peu à peu envahir cette zone du pomerium, je ne saurais le dire : mais il est bon de poser ces questions. — J'ai dit, à propos du mot de ecclesia senior de Paris, vrai ou légendaire, ut aiunt, dit Grégoire ; et cela fait allusion à la tradition, assez générale dans les villes de France, que l'église primitive était, non pas la cathédrale. de l'intérieur, mais une église située hors les murs, d'ordinaire du centre du cimetière sacré. Il est possible que là c'est-à-dire au voisinage des tombes, dans la zone du pomerium ou des vici suburbains, ait été le premier lieu de rassemblement des fidèles d'une cité ; mais cela n'est nulle part prouvé en Gaule ; et nous avons même des indices qui annonceraient le contraire, à savoir le rassemblement dans quelque domus particulière de l'intérieur (à Bourges, ecclesia prima, devenue la Cathédrale Saint-Étienne, Grégoire, Hist., I, 31 ; à Clermont, la senior ecclesia est infra muros, Grégoire, id., II, 16). Il est donc assez vraisemblable qu'il ne s'agit là que d'une croyance récente, répandue après le triomphe du Christianisme, et par laquelle on aura voulu rehausser la gloire des basiliques suburbaines de cimetières, des martyria, en réalité postérieurs ; et le texte de Grégoire de Tours, au lieu de mentionner un fait, ne ferait que rapporter une tradition. Mais il est, d'autre part, fort possible que les Chrétiens des temps primitifs aient eu, en Gaule comme ailleurs, deux centres essentiels de culte et d'assemblée, la domus ecclesiæ de la ville et la nécropole du faubourg, loca sepulcris opta, celle-ci également avec une sedes de l'évêque ; d'où le nom de vicus Christianorum donné à ce faubourg (plus haut) : distinction est bien marquée par la loi de 326 (XVI, 5, 2). — C'est une question voisine, mais différente, que celle de l'emplacement primitif de l'église épiscopale dans les villes réduites, surtout du Midi : il est possible que cette église, après la réduction de la ville, soit, en même temps que demeurée sedes, devenue centre du village funéraire ou du vins des Chrétiens.

[271] Cf. ch. IV, § 3.

[272] Je crois qu'une étude minutieuse de la toponymie rurale amènerait la découverte de bien d'autres colonies d'origine barbare sur le sol de France. — Les noms venus de colonia n'indiquent pas nécessairement cette origine, mais évidemment ne l'excluent pas.

[273] Sur le Rhin, Ammien mentionne scurras ducentes venalia mancipia, sans aucun doute ramassés comme butin (XXIX, 4, 4). Voyez dans la région danubienne la multitudo d'esclaves goths, dudum a mercatoribus venundati, esclaves qui d'ailleurs se hâtèrent de prendre la fuite à l'arrivée des bandes de leurs compatriotes et de les rejoindre pour les guider (Ammien, XXXI, 6, 5) ; et rappelons-nous ce que Julien disait des Goths (Ammien, XXII, 7, 8), illis sufficere mercatores Galatas, per quos ubique sine condicionis discrimine venundantur. Sur ces esclaves goths, lisez tout le De regno de Synésius, qui a fort bien vu le danger que faisait courir leur entente avec les envahisseurs ou les soldats de leur nation (en particulier De regno, § 15, P. Gr., LXVI, c. 1093).

[274] Ausone, Bissula, en particulier 4, 2 et s. : Conscia nascentis Bissula Danuvii, capta manu, sed missa manu. — Ausone semble dire que le nom est germanique, et c'est ce qu'on accepte d'ordinaire (en dernier lieu, Schœnfeld, p. 51).

[275] Synésius, De regno, ibidem.

[276] J'ai à peine besoin d'ajouter qu'il est inutile de rechercher ce que ces divers éléments sont devenus dans la population française, et s'il est possible d'en distinguer aujourd'hui les descendances. Tout ce monde, quel qu'il fit, n'a pas tardé à se mêler aux indigènes, et dès les siècles suivants, à la manière dont avaient fusionné Romains et Gaulois, Celtes et Ligures, et tant d'espèces anciennes avant les Ligures. La terre de France fut toujours celle où se sont le plus rapidement unis les divers éléments de population. Voyez les conclusions de Mathorez, Les Étrangers en France sous l'Ancien Régime, I, 1919, p. 151.

[277] Cf. t. VII, ch. I, § 4 ; 5 et 6.Les empereurs de ce siècle ont évidemment eu le sentiment qu'il fallait pour ainsi dire coloniser à nouveau l'Empire : car d'ordinaire, ils n'admettaient au service les immigrés barbares, même les Goths, qu'à la condition d'en faire aussi des laboureurs.

[278] Cela est expressément noté par les écrivains.

[279] Remarquez la loi de Julien (C. Th., XII, I, 55) sur les pères de 13 enfants [il ne faut pas corriger le chiffre ; Godefroy, IV, p. 422].

[280] Ausone a 3 enfants, son fils Hespérius de même ; son père en a eu 4 ; son grand-père paternel 5 : son grand-père maternel 4 ; son beau-père 4 ; voyez le tableau de l'édition Schenkel, p. XIV. Le Panégyriste de 310 recommande ses 5 fils à l'empereur (VII, 23).

[281] Ausone, Parentalia, 8.

[282] Le père d'Ausone a dû se marier à dix-neuf ans (Schenkl, p. VII), Ausone se déclarant presque du même âge que son père (Epist., I, 13 et s.), et ayant une sœur aînée (Par., 31, 4). Le petit-fils d'Ausone, Paulin de Pella, se marie également à vingt ans (Euch., vers 176 et s.). C'est ce qui explique pourquoi les parents de saint Augustin, au premier indice de puberté chez leur fils, se réjouissent à la pensée qu'on va le marier et que la famille va se continuer (Confessions, II, 3, 6, p. 33, de Labriolle). — Dans un ordre d'idées voisin, remarquez les faits de longévité que présente la famille d'Ausone : son père, mort à près de quatre-vingt-huit ans (cf. Ausone, éd. Schenkl, p. VI et s.) ; lui-même, ayant vécu et écrit au moins jusqu'à quatre-vingt-deux ans ; son petit-fils Paulin, écrivant son Eucharisticos à quatre-vingt-trois ans (Paulin, éd. Brandes, p. 276). — Remarquez enfin la persistance des familles : celle d'Ausone, que nous pouvons suivre sur huit générations, du milieu du IIIe au milieu du Ve siècle ; celle de Delphidius ; celle du vieux Paulin.

[283] Cf. Sidoine Apollinaire, Carm., 22, 116 ; Paneg., XII, 28. Ici, § 3 et 4. — Il est toutefois certain que le développement du célibat religieux, chez les femmes comme chez les hommes, a dû enrayer d'abord, vers la fin du IVe siècle, cet accroissement de la natalité.

[284] Surtout au lendemain de l'an mille ; cf., entre autres exemples, Étienne Clouzot, Les Marais de la Sèvre Niortaise, 1904. Il y aurait un travail d'ensemble à faire sur les conquêtes agricoles en ce temps-là lesquelles furent peut-être les plus importantes et les plus heureuses dont le sol de France ait été l'objet depuis les défrichements de l'origine.

[285] Remarquez en particulier la naissance, au IVe siècle, de très nombreuses communautés rurales, formées soit par des soldats laboureurs d'origine barbare, soit par des familles de cultivateurs amenés également du dehors, soit par des groupements de colons ou de paysans indigènes ; et notez, à ce propos, que le terme de colonia, qui, sous le Haut Empire, s'appliqua à des formations urbaines, presque toujours d'ailleurs héritières de lieux bâtis antérieurs, s'applique maintenant à des formations villageoises, presque toujours, je crois, constituées de toutes pièces. Il faudra descendre jusqu'au lendemain de l'an mille (cf. n. précédente) pour rencontrer chez nous une colonisation rurale, d'une telle intensité. — Ajoutez, dans le même ordre d'idées, la création de foyers de colons ou d'esclaves sur les casæ des grands domaines.