HISTOIRE DE LA GAULE

TOME VII. — LES EMPEREURS DE TRÈVES. - I. - LES CHEFS.

CHAPITRE VII. — THÉODOSE[1].

 

 

I. — L'INVASION DES HUNS ET L'ENTRÉE DES GOTHS DANS L'EMPIRE.

Le règne de Gratien donna à la Gaule romaine ses derniers beaux jours. Déjà l'Orient était en proie aux malheurs et aux fautes qui de proche en proche devaient gagner tout l'Empire et l'entraîner à la ruine définitive.

Le nom de Théodose est inséparable des signes avant-coureurs de cette ruine[2]. Il n'a certes pas provoqué ces malheurs, et il a vaillamment lutté pour en arrêter les conséquences : mais il n'a point su ou n'a point voulu trouver les remèdes les plus efficaces. Il n'est pas responsable de toutes les fautes : mais il en a commis quelques-unes, qui furent très graves. Ce n'était point un sot ni un méchant homme, et dans les moments de crise il agit souvent avec courage et décision[3] : mais en temps ordinaire il laissait aller les choses par indolence naturelle[4], complaisance envers de mauvais conseillers[5], impuissance à comprendre la portée des événements. Il fut avant tout un être de médiocrité, d'âme et d'intelligence moyennes ; et aucun empereur ne mérita moins que lui ce titre de Grand, qu'ont attaché à son nom ses flagorneurs des milieux dévots[6].

La principale catastrophe, et qui est à l'origine de tous les maux de la terre romaine[7], fut l'entrée des Goths dans l'Empire[8]. Hermanaric n'avait point réussi à maintenir son vaste royaume en état de force et de solidité, et les Huns venaient de le détruire (375)[9]. — Ainsi, au moment où les Barbares d'Europe, depuis Macrien l'Alaman jusqu'à Hermanaric le Goth, se résignaient enfin à vivre d'une vie sage et régulière, où ils s'essayaient à créer des États stables et pacifiques, les Barbares d'Asie s'approchèrent pour anéantir leur civilisation naissante. C'en était fini avec cette espérance de royaumes germaniques qui, de la mer du Nord à la mer Noire, pourraient s'interposer entre l'Empire romain et la masse de la pure Barbarie. Aujourd'hui, ce sont les Goths qui succombent à l'Orient de l'Europe ; demain, ce sera le tour des Lombards et des Vandales au centre du continent, des Burgondes et des Alamans au voisinage du Rhin[10]. Car si Hermanaric, dont la puissance s'étendit des bords du Danube aux rivages de la Baltique, postée en avant-garde du côté de l'Asie[11]. Si lui et ses Goths n'ont pu arrêter les hordes des cavaliers huns, combien peu tiendraient devant elles les résistances des tribus désunies qui s'échelonnaient jusqu'au Rhin ! Le jour où les hommes d'Asie campèrent en face de Silistrie, on pouvait prévoir celui où l'un de leurs chefs arriverait en face de Cologne.

C'est alors qu'apparut la grande faute commise, durant un demi-millénaire, par les chefs de l'Europe civilisée. Ils auraient dû sacrifier leurs ambitions, leurs colères ou leurs craintes au maintien et à l'éducation des États limitrophes, boulevards protecteurs où auraient pu se briser les invasions des lointains Barbares. Si les hommes d'affaires de la République romaine n'avaient point rompu l'unité de la Gaule arverne, l'Italie n'aurait point vu les Cimbres et n'aurait pas eu à redouter Arioviste. Si, d'Auguste à Théodose, les empereurs s'étaient arrangés, coûte que coûte, pour organiser la Germanie au lieu de la dissoudre, Constantinople n'eût point tremblé à l'approche des Huns, et Orléans à celle d'Attila. Quand Arminius et Hermanaric constituèrent leurs Empires, il eût fallu les aider de toutes manières.

Ajoutons aussitôt que la Germanie partage avec Rome la responsabilité de la faute. Depuis Arminius jusqu'à Hermanaric, ni les Germains du Rhin ni ceux du Danube n'ont su s'organiser, et pas davantage vivre en paix, ni entre eux ni avec l'Empire. A faire le bilan des guerres offensives et des provocations inutiles, l'apport des hommes d'outre-Rhin est singulièrement plus long. Et si un chef intelligent tentait de les grouper en État à vie normale, son œuvre était aussitôt déchirée par les hommes de son clan : les Empires ne se fondaient en Germanie que pour donner naissance aux années de pire anarchie. Ce n'est pas Tibère qui a détruit celui d'Arminius, encore qu'il se soit réjoui de cette destruction ; et le royaume d'Hermanaric n'était qu'une fédération de peuplades disparates et mal soumises, lorsqu'il s'écroula sous le premier choc des cavaliers d'Asie[12].

Mais avant que ceux-ci n'arrivent sur le Danube, les Goths l'ont franchi pour se réfugier sur les terres de l'Empire. L'invasion qui commence sera à double choc : le choc des Barbares d'Asie sur les Barbares de l'Europe, et, par contrecoup, celui de ces derniers sur les frontières romaines. Quand les Huns toucheront au Dniester ou à l'Elbe, les Goths seront aux portes d'Andrinople[13] et les Germains à celles de Paris[14]. Le danger venu d'Asie amènera le déferlement dans l'Empire de tous les malheureux de l'Europe.

Alors, ce ne sera plus, comme en 276 sous Probus ou en 355 sous Constance, les courses sauvages de quelques compagnies de brigands, mais une inondation continue aux flots toujours renouvelés. L'Empire sera recouvert par des vagues se succédant sans relâche et sans recul, par des multitudes d'hommes sans espoir ni désir de retour. Et il arrivera même que le Rhin, aux bords duquel se pressent et s'entassent à chaque instant des troupes nouvelles, fermera aux envahisseurs de la Gaule la sortie du pays, alors qu'il était fait pour leur en interdire l'entrée.

 

 II. — L'ALLIANCE AVEC LES GOTHS.

Les Goths ne se présentèrent pas en ennemis, mais en suppliants. Ils demandaient des terres, et ils s'offraient en échange comme soldats[15]. On finit par le leur accorder, après des querelles et des batailles sans nombre[16], au cours desquelles l'empereur Valens fut tué (378), et son successeur Théodose fut vainqueur[17]. Mais les victoires de Théodose et les traités conclus avec les Goths[18] allaient faire plus de mal à l'Empire que la défaite et la mort d'un empereur.

Les Goths restèrent donc dans l'Empire comme soldats fédérés[19], ou, ce qui revient au même et ce qui était pourtant beaucoup plus grave, comme armée fournie par une nation alliée. Si ces hommes recevaient une solde, on ne pouvait les assimiler à des mercenaires : ils servaient en vertu, non pas d'engagements individuels, mais d'un contrat conclu avec leur peuple. Ils avaient près d'eux leurs femmes, leurs enfants et leurs vieillards. C'étaient leurs rois qui les commandaient[20]. Sauf la religion (car ils passèrent au Christianisme des Ariens[21]), ils conservèrent leur langue, leurs coutumes, leurs classes sociales, et ces poésies populaires qui chantaient leur lointaine origine aux pays hyperboréens et leurs courses interminables depuis les mers scandinaves[22]. C'était, à vrai dire, une nation errante et nomade, mais bien vivante et fortement armée, qui s'installait sur les terres de l'Empire, telle au dedans de la frontière qu'elle avait vécu au dehors.

Il est vrai que ses rois prêtaient serment à l'empereur et e servaient sur les champs de bataille ; et en apparence il n'y avait pas de différence entre Alaric roi des Goths fédérés et chef d'armée pour le compte de Théodose[23], et Mallobaud roi des Francs et comte des gardes de Gratien. Mais à regarder de plus près ces titres et ces hommes, le contraste apparaît absolu. Qu'étaient ces Francs de Mallobaud ? ou bien de petites tribus vivant obscurément à la frontière de la Gaule, sujettes ou alliées des Césars, ou bien des escouades de soldats dispersées par toute l'armée romaine[24] ; et si nombreux qu'on suppose ses congénères sous les ordres directs de Mallobaud, ce n'étaient que quelques milliers d'hommes : ce général de l'Empire ne tenait qu'une valeur très faible de ses titres de roi et de Franc ; il ne sentait pas sa nation derrière lui, et toute son autorité lui venait d'une fonction romaine. Ce qui fera au contraire la puissance d'Alaric, ce ne sera pas qu'il est au service de l'empereur, mais qu'il est roi d'un peuple en armes, et qu'à son seul appel ce peuple lui fournit des milliers de soldats. Les traités signés avec les Goths ont introduit pour toujours dans le monde latin une nation barbare, alliée aujourd'hui, ennemie demain[25], et qu'on verra bientôt se promener d'Orient en Occident, s'approcher des Alpes et de la Gaule, à la recherche de terres définitives et d'un royaume perpétuel[26]. Les Francs Saliens, pendant ce temps, ne bougeront pas de leurs domaines du Brabant, montant la garde au nom de Rome sur ce coin de la frontière qu'elle leur a concédé[27].

 

III. — L'AFFAIBLISSEMENT DU DEVOIR MILITAIRE.

L'insertion de cette force indocile au cœur de l'Empire, outre le danger dont elle menacera bientôt son unité, eut aussitôt pour conséquence l'affaiblissement de ses énergies propres et originelles.

Rome ne voulait ni payer ni entretenir un nombre indéfini de soldats. Elle aurait pu, à coup sûr, faire mieux et bien davantage, et, tandis que depuis deux siècles les dangers de sa frontière n'avaient fait que s'accroître, l'effectif de son armée demeurait le même[28], dans une déplorable stabilité. Mais ses détresses financières et ses misères sociales l'obligeaient de plus en plus à des réductions de dépenses et à des économies d'hommes.

A l'arrivée de ces vingt ou trente mille guerriers goths[29], on diminua d'autant les rôles militaires ; et comme on ne pouvait songer à congédier des auxiliaires barbares, ce furent le recrues des provinces que l'on renvoya, c'est-à-dire les hommes d'origine latine, nés sujets de l'Empire et enrôlés comme tels. L'empereur allait avoir à son service beaucoup moins de Romains et beaucoup plus d'étrangers[30].

Or, les étrangers servaient à titre de fédérés, par fidélité à leur contrat ; les Romains servaient à titre de citoyens, par devoir public. Entre ces deux sortes de services et de sentiments, l'arrivée des Goths rompit l'équilibre. Le respect des obligations civiques, la pleine connaissance et la conscience profonde de la qualité et des vertus d'un Romain, furent pour ainsi dire enveloppés et étouffés par ces masses grandissantes de serviteurs à gages et d'étrangers à la solde. Ce sacrifice, cet impôt du sang qui avait été l'une des forces morales du monde antique, ne fut bientôt qu'un mot d'école, que personne ne comprenait plus[31].

Par malheur, l'impôt de l'argent devenait d'autant plus onéreux que l'autre s'affaiblissait davantage. On dispensa les provinciaux de fournir les milliers d'hommes qu'on demanderait aux Goths : on ne les dispensa point de fournir les sommes qui correspondaient à la valeur de ces hommes. Le tribut en conscrits fut remplacé par un tribut en sous d'or[32]. Une aggravation de la fiscalité civile[33] suivit l'augmentation des effectifs barbares. Ici, des Romains désarmés astreints à plus de charges ; là des Barbares en armes croissant en nombre et en force : le contraste s'affirmait entre ces deux mondes arbitrairement approchés sous le nom d'Empire romain[34]. C'est l'enrôlement de la nation des Goths, et non pas l'alliance avec les rois francs des rives du Rhin, qui développa dans cet Empire les germes de faiblesse et les causes de mort.

 

IV. — MAXIME, EMPEREUR EN GAULE[35].

L'unité politique de cet Empire était en même temps compromise par la révolte de Maxime, chef de l'armée de Bretagne[36] (383).

Nous ignorons les véritables raisons de cette révolte contre Gratien, à tous égards injuste et criminelle. Reprocha-t-on à cet empereur de favoriser les Francs ? mais je doute qu'il y ait eu beaucoup d'éléments nationaux parmi les troupes de Bretagne[37]. Lui fit-on un grief d'être surtout un intellectuel, assez indifférent aux succès militaires[38] mais la frontière du Rhin demeurait inviolable. L'aristocratie païenne voulut-elle prendre une revanche sur un prince chrétien ? mais Maxime se montrera un catholique ardent et farouche. Je crois bien plutôt à une cause honteuse et banale, la cause habituelle des guerres civiles de l'Empire romain, une ambition de chef appuyée sur une jalousie d'armée[39].

Ce qui est surprenant, c'est que, malgré la valeur et la fidélité de ses généraux francs[40], Gratien ne put s'opposer ni au débarquement ni à la marche de Maxime[41]. Il y eut bien quelques combats[42] : mais Gratien fut vite obligé de lâcher pied devant la défection de ses troupes et la trahison de ses officiers[43], et, réfugié à Lyon[44], il ne tarda pas à être pris et égorgé[45]. Son meilleur appui, le Germain Mérobaud, subit le même sort ; et ni sa dignité de consul ni son intelligente fidélité aux intérêts de l'Empire ne le sauvèrent de la cruauté de Maxime[46].

Ce qui m'étonne encore, c'est que Théodose, au lieu de combattre ce révolté, meurtrier des chefs légitimes du peuple romain, se hâta de pactiser avec lui[47]. Tant que Maxime consentit à ne point franchir les Alpes et à laisser l'Italie au jeune Valentinien, et cela pendant cinq ans[48], l'empereur d'Orient se résigna a voir un collègue en ce tyran. Il est probable que beaucoup de bons esprits désiraient avant tout éviter la guerre civile, et qu'ils s'employèrent à la paix Ambroise, l'évêque de Milan, fit deux fois à cet effet le voyage de Trèves[49] ; le monde, évidemment, s'habituait à la pensée qu'il y eût, sous le nom d'Empire romain, plusieurs grands États vivant chacun de sa vie propre, et que la Gaule fût le centre de l'un d'eux. Puis, Théodose ne se sentait pas en état de se mesurer avec ce rude jouteur qu'était Maxime.

Car il y eut en cet usurpateur, pour cruel et avide qu'il fût[50], l'étoffe d'un empereur utile à l'État[51] : je répète que ce siècle de la Restauration n'a point montré de vilaines figures de souverains. Ce Maxime continua sur le Rhin la politique vigoureuse de Valentinien et de Gratien[52]. Il sut comprendre le rôle de Trèves et ne voulut point s'éloigner de la ville impériale des Gaules[53]. De là il assura la paix à tout l'Occident : car l'Espagne docile acceptait sans murmure le prince qui lui commandait des bords du Rhin[54]. Et il imposa l'unité religieuse par d'énergiques procédés, qui auraient plu à Constance le théocrate.

 

V. — PRISCILLIEN L'HÉRÉSIARQUE[55]. LE CONCILE DE BORDEAUX.

Une nouvelle hérésie menaçait de la briser, celle de l'évêque espagnol Priscillien[56]. Car l'Espagne, qui depuis trois siècles se montrait incapable d'initiative politique, qui adoptait servilement tous les empereurs de delà les Pyrénées, qui était devenue si souvent la proie facile des tyrans de Gaule ou des brigands de Germanie, l'Espagne portait sa fougue et ses joies dans les questions religieuses, et elle envoyait à l'Empire, à défaut de soldats et de généraux, de grands évêques et des hérétiques fameux[57]. C'était le chef de l'Église de Cordoue, Hosius, qui, au temps du concile de Nicée, avait été le régulateur souverain de la foi orthodoxe. Et maintenant Priscillien, évêque d'Avila[58], montait contre cette même foi la plus redoutable machine d'hérésie que l'Occident ait vue depuis l'échec de l'Arianisme.

Comme à l'ordinaire dans toutes les affaires d'hérésie , nous connaissons mal les théories et l'œuvre de Priscillien, ses vainqueurs orthodoxes ayant tout fait pour en détruire les vestiges. Mais il semble qu'il y eut en son Christianisme de quoi plaire à beaucoup de gens, réveiller bien des tendances qui sommeillaient dans les cœurs des dévots. Il faisait du Diable un être éternel, rival tout-puissant de Dieu, créateur et dominateur de la matière, geôlier des âmes qu'il emprisonnait dans les corps[59]. Pour être vraiment maître de son âme et fidèle à Dieu, il fallait engager contre ce corps une bataille de chaque instant : et c'était tout ensemble un ascétisme rigoureux à pratiques nombreuses et variées, un mysticisme profond qui annihilait les efforts nécessaires de la vie, une tension morbide de l'esprit et de la volonté pour se détacher de la chair et de la terre et pour se perdre en Dieu[60].

Les anachorètes de l'Orient enseignaient des choses de ce genre, mais, tandis qu'ils ne sortaient pas de leur orgueilleuse solitude et de leurs attitudes de misère, Priscillien, noble et riche, beau parleur, lettré de mérite, écrivain fécond, organisateur habile, ambitieux, passionné et séduisant, tenait à convertir et à gouverner les hommes, à devenir le chef d'une vaste Église. Et pour arriver à ses fins, il formait des disciples, instituait des confréries, et, ce qui était plus habile et plus dangereux que tout, il faisait appel aux femmes et leur ouvrait toutes grandes les portes de ses oratoires et les voies de ses missions[61]. A la bonne nouvelle de l'Évangile succédait l'appel au réveil universel des âmes.

D'Espagne, le mouvement se propagea très vite dans la Gaule de la Garonne et de l'Adour[62], qui avait de temps immémorial de bonnes relations et des habitudes communes avec les hommes du sud des Pyrénées. Ce furent les intellectuels qui se laissèrent les premiers convaincre, surtout les femmes de l'aristocratie , intelligentes et cultivées , attirées par ce dogme subtil où Dieu trouvait son adversaire, par ces pratiques où la haine du corps menait à l'exaltation voluptueuse de l'âme. On cita parmi les adeptes de Priscillien la veuve[63] et la fille de Delphidius, l'un des plus célèbres rhéteurs de Bordeaux ; et l'on disait qu'après avoir accueilli l'hérétique sur leur domaine, elles avaient résolu de le suivre et de l'accompagner jusqu'à la mort, Madeleines gauloises d'un nouveau Christ[64].

Le clergé orthodoxe, tous ces prêtres élevés dans le culte de la tradition, la simplicité de la foi et les pratiques de bon sens, s'alarmèrent à juste titre. Ambroise de Milan et Martin de Tours, alors les plus célèbres évêques de l'Occident, se prononcèrent nettement contre l'hérétique[65]. Au concile de Saragosse (380), qui le condamna une première fois, assistèrent Delphin de Bordeaux et même le vieux Phébade d'Agen, intéressés plus que les autres Gaulois à arrêter cette affaire[66]. Une autre assemblée d'évêques se réunit à Bordeaux même, face au foyer des Priscillianistes gaulois Martin, dit-on, voulut s'y rendre[67] ; et une sentence de déposition fut prononcée contre le perturbateur de l'Église (384 ?)[68].

Le malheur fut que sur cette affaire de discipline religieuse, très nette et jusque-là bien conduite , vinrent se greffer, comme toujours, toutes sortes de passions humaines.

D'abord, le populaire s'en mêla. Il y eut une émeute à Bordeaux, au cours de laquelle une Priscillianiste fut massacrée par la foule[69]. Cela ne laisse pas d'étonner. Bordeaux était alors une ville médiocre, et la plèbe chrétienne ne pouvait y avoir l'importance et les colères du prolétariat dévot d'Antioche ou d'Alexandrie. Je soupçonne, à l'origine de ce mouvement et de ce meurtre, quelque rancune sociale ou la machination d'un mauvais prêtre.

Car les prélats espagnols ne se tinrent pas pour satisfaits par la déposition de Priscillien. Deux surtout se signalaient par leur acharnement, les évêques Idace et Ithace[70], dont les noms vont demeurer fameux dans les fastes de l'Église persécutrice : car, alors que le clergé de Gaule se signalait par sa sagesse et son esprit de conciliation, l'Espagne apportait au Christianisme occidental à la fois les excès du mysticisme et les cruautés des tortionnaires. Une colère farouche animait contre Priscillien ses deux ennemis ; de leur part, ce fut moins une affaire de dogme qu'une question de vie ou de mort. Était-ce haine personnelle, rivalité de prêtres, jalousie à l'endroit du talent ou du succès ? était-ce conviction profonde, aveugle, la volonté de sauver l'Église par un châtiment exemplaire ? Je ne sais : mais, tandis que la foule allait jusqu'à l'assassinat dans un mouvement de violence spontanée, les prêtres espagnols tendirent au même but par des manœuvres savamment combinées. Ils décidèrent e concile de Bordeaux à formuler l'appel à l'empereur[71], et ils firent porter en même temps devant Maxime une accusation de magie contre Priscillien[72] : le crime de magie entraînant la peine capitale, personne ne pourrait sauver l'hérésiarque. Le Christianisme entrait avec eux dans la voie des œuvres criminelles et des triomphes meurtriers[73]. Ses prêtres, depuis Constantin, avaient commis bien des sottises : mais du moins jusqu'ici leurs mains étaient restées pures de sang[74].

 

VI. — MARTIN À TRÈVES.

C'est peut-être le principal titre de gloire de Martin, d'avoir compris l'ignominie des pratiques nouvelles et d'avoir tout fait pour en écarter l'Église. J'aurais voulu ajouter qu'il fut en cette noble tâche le porte-parole de l'épiscopat gaulois : mais si beaucoup d'évêques furent sans doute de cœur avec lui, le plus grand nombre semblent avoir gardé le silence, il eut à peu près seul le courage de savoir agir, et l'on vit aussi des prélats, comme celui de Trèves, à qui l'entrée en scène de empereur n'était point pour déplaire[75].

Martin fit donc le voyage de Trèves[76]. Depuis Constantin, les évêques savaient parler aux empereurs, et les empereurs savaient les écouter ; il était même d'usage qu'ils eussent le droit d'entretenir le prince seul à seul, et Ambroise, qui lui aussi visita Maxime, lui rappela assez rudement ce privilège[77]. Car l'évêque représentait Dieu, il était le pasteur de milliers d'âmes, le successeur des apôtres et l'envoyé du Christ.

Maxime, après avoir longtemps hésité, se résigna à entendre Martin, et, au cours de cette entrevue, il consentit à surseoir au procès criminel de Priscillien[78]. Martin s'éloigna de Trèves, confiant en la parole impériale[79].

Mais derrière lui, Ithace et ses amis reprirent leur besogne misérable[80]. Le procès fut instruit à fond, Priscillien condamné à mort et aussitôt décapité, et avec lui les plus célèbres de ses disciples, dont Euchrotia, elle-même, la noble veuve du rhéteur bordelais[81].

Sûrs désormais de l'empereur, les Espagnols agirent en grand. Un concile fut convoqué à Trèves, qui d'abord les déclara innocents de la mort de Priscillien[82] et qui ensuite fit décider par Maxime l'envoi d'une commission souveraine pour rechercher et punir tous les adeptes de l'hérétique : c'était organiser, au profit du bras séculier, un vaste système d'inquisition de la foi. La commission était destinée à l'Espagne : mais il n'était point douteux qu'en traversant la Gaule elle n'y laissât une traînée sanglante[83].

Martin eut le temps de revenir à Trèves. Son retour inquiéta les prélats persécuteurs : c'était l'évêque le plus saint de la Gaule, et sa parole passait pour l'écho de Dieu. S'il se déclarait contre eux, l'Église entière aurait le droit de les prendre en abomination. Ils se décidèrent à ruser et proposèrent un compromis. Si Martin témoignait, par un acte ou par un écrit, qu'ils n'avaient point démérité du Christ, l'empereur rappellerait ses commissaires, et l'affaire en resterait là. Précisément, une occasion s'offrait de manifester au monde chrétien le pardon ou l'oubli qu'on souhaitait de Martin : c'était la cérémonie de l'ordination de Félix, le nouvel évêque de Trèves, cérémonie à laquelle devaient présider les évêques persécuteurs. Il fallait que Martin y assistât, et, suivant l'usage, qu'il communiât avec les autres chefs d'Églises[84].

Ce fut le plus dur moment de sa vie, et peut-être le seul où sa conscience ne lui révéla pas son devoir sur-le-champ[85]. Refuser de communier avec Ithace, c'était exposer à la mort ou à la prison des centaines de malheureux, et exposer l'Église à de nouveaux crimes et à la servitude envers le pouvoir impérial[86]. Mais communier avec Ithace et ses amis, c'était partager le sang et la chair du Christ avec d'abominables bandits.

Le sentiment de l'humanité et la charité chrétienne l'emportèrent à la fin sur les scrupules ecclésiastiques. Martin communia silencieusement avec les mauvais évêques ; et aussitôt après, refusant d'ajouter un mot ou une signature à l'acte solennel de la piété[87], il reprit le chemin de Tours, assuré cette fois qu'on ne tuerait plus au nom du Christ.

En cette crise douloureuse, la plus triste qu'eût encore traversée le Christianisme, Martin avait par deux fois plaidé la cause de la liberté et de la charité, il s'était montré le véritable héritier d'Hilaire, il s'était inspiré de ses fortes paroles à Constance, il était resté de cœur et de pensée en communion avec Ambroise[88] le plus illustre et le plus saint des prélat d'Italie[89]. Un de ses amis a rapporté qu'il aurait affirmé devant l'empereur de Trèves que le glaive de César ne doit point trancher les questions de croyance ; et ce principe s'imposer désormais à l'Église comme la formule de son indépendant politique et de sa dignité morale. Une fois encore, dans cette universelle fraternité de la foi et de la bonté que doit être le Christianisme, il avait montré qu'il fallait vivre en regardant Jésus et en suivant ses paroles.

 

VII. — LES DERNIERS JOURS DE MARTIN.

Le souvenir de ces journées d'angoisse pesa sur les dernières années de Martin. Il cessa d'être en paix avec sa conscience depuis l'heure où il communia avec les prêtres aux mains coupables. Aux scrupules intimes de son âme durent s'ajouter les reproches de ses amis et les sarcasmes de ses adversaires. Lui qui avait condamné l'hérésie de Priscillien, il en sauvait les derniers restes, et l'on ne se fit point faute d'insinuer qu'il la partageait[90]. Lui qui s'était opposé aux violences, il absolvait les prélats qui les avaient réclamées. Dans tous les camps de l'Église il trouverait désormais des ennemis, par cela seul qu'il avait voulu pour tous la justice et la charité.

Bien des motifs d'ordre général achevèrent de contrister sa vieillesse. De mauvais temps revenaient pour la Chrétienté de Gaule. La mort de l'excellent Gratien, l'avènement du tyran Maxime, les affaires étranges de Priscillien et de Félix, amenèrent en elle de profonds changements. Elle ne put se remettre de la double crise de l'usurpation politique et de l'hérésie doctrinale[91]. Les évêques se partagèrent en deux camps, entre Féliciens et Antiféliciens[92] et ces noms groupèrent d'un côté les anciens amis d'Ithace, les partisans de la persécution, de l'autre les prêtres indépendants, soi-disant défenseurs de la dignité sacerdotale. Dans chacun de ces partis on s'interdisait de communier avec les évêques de la coterie opposée ; et ce mystère de la communion où se consommait dans le sang de Dieu la fraternité des hommes, n'était plus qu'un prétexte querelles et à jalousies humaines[93].

Cette lutte de partis et sans doute l'influence de Maxime durent attirer de mauvaises recrues dans les rangs de l'épiscopat gaulois. L'autorité de Martin faiblit, et, avec elle, le rôle de son monastère[94]. On vit reparaître en plus grand nombre ces prélats d'aristocratie, hommes de cour, d'argent, de faste et de dispute[95], qui avaient été la honte du Christianisme au temps de Constance. Grâce aux édits impériaux et aux fondations pieuses, les communautés devenaient très riches[96] : mais leurs richesses profitaient surtout à la table et à l'équipage des dignitaires[97]. Les questions de pouvoir et de préséance absorbaient de plus en plus les chefs des Églises. On tendait à reconnaître des prérogatives à ceux qui siégeaient dans les métropoles provinciales[98] ; des rangs et des grades s'établissaient dans le clergé chrétien, sur le modèle des hiérarchies politiques. L'évêque d'Arles et l'évêque de Vienne se disputaient le droit de primauté sur les diocèses de la vallée du Rhône[99], à la façon dont Arles et Vienne s'étaient  partagé les faveurs impériales depuis le temps de Constantin ; et l'évêque de Marseille, de son côté, mettait la main sur les paroisses rurales du diocèse arlésien[100] comme s'il revendiquait au profit de son siège épiscopal les anciens droits de la colonie phocéenne sur les territoires que lui avait ravis Jules César[101]. L'Église prenait partout exemple sur l'État, copiait les allures, en adoptait les conflits.

Martin, vieilli et découragé, se tenait à l'écart de ces luttes mesquines. On ne le voyait plus aux conciles[102] qui se multipliaient de nouveau sans réussir à rétablir l'ordre et la paix[103]. Il se sentait isolé[104] dans ces Églises de Gaule qu'il avait, en la maturité de son âge, animées d'une vie nouvelle. Mais il eut cependant le suprême bonheur qui soit réservé à la vieillesse des ouvriers d'une grande tâche, celui de retrouver des amitiés ardentes dans la jeunesse qui s'élève, Sulpice Sévère, Paulin de Bordeaux, d'autres encore, décidés à ne rien laisser perdre de son souvenir et de son ouvrage. Martin put être sûr, à l'heure de sa mort, que sa gloire lui survivrait tout entière, que l'exemple de sa vie prolongerait la durée de son œuvre, que sa tombe continuerait les miracles de sa parole[105]. Cette heure arriva en 397[106], au temps où mourut saint Ambroise[107], qui avait combattu les mêmes combats, et qui sans doute avait été son ami.

 

VIII. — VALENTINIEN II EN GAULE.

Maxime, qu'on laissait tranquille à Trèves, et qui aurait pu pendant de longues années y faire figure de bon empereur, perdit, comme tant d'autres, par ses ambitions mondiales. Les chefs de la Gaule n'arrivaient pas a comprendre qu'ils ne se sauveraient eux-mêmes, et la Gaule, et le monde, qu'à la condition de ne point regarder au delà des Alpes et de fixer les yeux sur le Rhin.

Après quelque cinq ans d'alliance obscure avec Théodose, il envahit l'Italie[108] et en chassa le jeune Valentinien (387-388)[109]. Mais il fut alors difficile à Théodose de pardonner, bien que ce fût peut-être sa secrète pensée[110]. On en vint donc sur le Danube aux grandes et stériles batailles des guerres civiles, où la victoire fut donnée à l'empereur d'Orient par ses Goths auxiliaires[111] et par le Franc Arbogast, devenu son meilleur général[112] (388).

Arbogast fut d'ailleurs principal bénéficiaire succès. Théodose lui conféra le commandement des armées chargées de soumettre la Gaule[113]. Quand la besogne fut terminée, et elle fut bien faite, quand Valentinien fut rétabli comme Auguste légitime de tout l'Occident, Arbogast resta par ordre auprès de lui en qualité de maître de la milice[114].

Le jeune prince n'avait pas encore vingt ans[115] et, malgré ses mérites précoces[116], il ne pouvait gouverner ce monde immense et trouble de l'Occident sans un conseiller habile, un tuteur militaire d'une expérience à toute épreuve. Théodose confia donc ce rôle au Franc Arbogast, qui avait fait sous Gratien un robuste apprentissage de la vie publique et des combats à la frontière, et on disait également de lui qu'il s'était dévoué corps et âme à la gloire du peuple romain[117].

 

IX. — LE COUP D'ÉTAT DU FRANC ARBOGAST.

Au début[118], Arbogast s'acquitta de sa tâche en fidèle serviteur de Valentinien et de Théodose, sans se laisser éblouir par son autorité à demi royale. On le vit le long du Rhin, rétablissant sur la frontière l'ordre compromis par le départ de Maxime, imposant de durs traités aux Francs qui faisaient face à Cologne, n'ayant nul souci de la communauté d'origine qui pouvait exister entre eux et lui[119]. Mais bientôt tout se gâta, et il se prépara à la révolte contre Valentinien son maître et Théodose son bienfaiteur.

Seulement, cette révolte du Franc Arbogast, maître de la milice d'Occident, prit un caractère singulier, et qui ne la fait ressembler à aucun des épisodes de l'histoire romaine. Ce ne fut point un seul instant l'insurrection d'un Barbare contre l'Empire ou d'un mercenaire contre ses chefs, à la façon du Germain Civilis ou du Gaulois Classicus déclarant la guerre à Vespasien, et, si les Francs de Westphalie avaient eu l'idée de se joindre à lui en passant la frontière, Arbogast les eût cruellement châtiés. Il entendait qu'on respectât l'Empire comme la plus belle des choses.

Sa prise d'armes ne ressembla pas davantage à celle du Franc Silvain, son prédécesseur et son compatriote, que quarante ans auparavant, s'était fait proclamer empereur. Rien n'indique qu'Arbogast ait eu l'ambition suprême. Il eut la sagesse de comprendre qu'un Franc n'était pas encore fait pour la pourpre, et, s'il tenait à la grandeur de l'Empire, ce ne fut pas pour y devenir César.

Ce qu'il voulut, c'est faire lui-même un empereur, avoir un Auguste à sa dévotion, régner sous son nom[120], mais comme le premier de ses serviteurs. Il offrit le titre souverain à l'un de ses amis de la cour, Eugène, lequel, dit-on, n'était qu'un rhéteur. Mais Eugène, tant que vécut Valentinien, refusa le pouvoir[121]. Arbogast s'arrangea pour que le jeune prince disparût[122]. L'autre se laissa alors persuader, prit la pourpre et le diadème : Arbogast resta sous ses ordres, toujours en qualité de maître de la milice (392).

Depuis un siècle que les Francs sont entrés dans l'Empire, une sorte de fatalité les poussés à redevenir les maîtres. Ils ont essayé toutes les formes possibles de la puissance. Silvain était resté Auguste vingt-huit jours. D'autres s'étaient contentés du titre de comte à la frontière. Quelques-uns étaient arrivés à la dignité supérieure de maître de la milice. Mérobaud, Ricomer, Bauto, avaient reçu l'honneur par excellence, le consulat ; Arbogast allait gouverner l'Occident pour le compte de l'empereur qu'il avait créé.

Ce nouvel avatar de l'Empire consacrait le divorce entre la vie civile et l'armée[123]. D'un côté, un Auguste qui est un lettré au nom grec[124], de l'autre, un maître de la milice qui est un Franc. On eût dit que la destinée entraînait le monde romain de l'Occident à se partager entre le culte d'une tradition littéraire et la force militaire d'un chef des Francs[125].

Ce Franc ne me parait ni d'esprit médiocre ni de volonté brouillonne. A la différence des révoltes de Maxime ou de Magnence, je trouve dans sa tentative autre chose que de vulgaires ambitions d'homme ; elle se rattache aux forces et aux sentiments qui travaillaient la société romaine depuis la fondation de l'Empire ; elle renferme des germes qui s'épanouiront dans l'histoire la plus prochaine. Le plan politique qu'elle révèle est à coup sûr prématuré : mais il est dans l'ordre des destins ; et Arbogast maître des armées d'Occident pour le compte d'un empereur de parade, annonce et prépare Clovis, qui fera sanctionner sa royauté des Gaules par un Auguste lointain[126].

 

X. — ALLIANCE D'ARBOGAST AVEC L'ARISTOCRATIE PAÏENNE.

Il eut certainement des complices et des conseillers. La révolte se propagea trop vite pour qu'elle n'ait pas été désirée de beaucoup. Très peu de personnes ont soutenu Valentinien, même parmi les fonctionnaires civils[127]. Il suffit de quelques semaines à Eugène pour se rendre maître de Rome et de tout l'Occident. Les plus beaux noms de l'aristocratie latine se déclarèrent en sa faveur[128]. Et cela nous révèle quelques-unes des causes profondes de ces événements, ce qu'on peut appeler leurs raisons romaines.

Théodose réunissait en lui tout ce qui pouvait déplaire à grande aristocratie, maîtresse de la fortune et héritière de la culture classique[129]. Il était devenu l'homme des évêques et même des moines[130]. On le voyait s'astreindre à des pénitences indignes d'un empereur[131]. Ces choses antiques qu'aimaient les sénateurs d'Italie, qui faisaient le charme de leur vie et la joie de leurs regards, disparaissaient sous les coups du triomphateurs du jour : plus de sacrifices, plus d'autels à Victoire, les temples fermés, et les statues brisées comme d'abominables idoles de démons[132]. De grandes perturbations avaient suivi la transmission aux Églises des biens des temples, et il était à craindre que le clergé ne devint bientôt un puissant maître de domaines, concurrent privilégié des seigneurs terriens[133]. On s'épouvantait dans les rangs de la noblesse à la nouvelle que les plus riches et les plus illustres des siens désertaient le service de l'Empire pour passer à celui du Christ[134]. Mais chez ceux qui demeuraient fidèles à Rome passait un sursaut d'énergie, un besoin de réagir contre ces sentiments de défaitisme et ces mesures de mort. Les chefs de la curie, les grands lettrés de l'Italie[135] se sentaient encore la force de lutter. Ils pensaient avoir au milieu d'eux et ce Génie du Peuple Romain qui avait été cher à Julien et la Victoire proscrite par les fils de Valentinien et les ombres de Virgile et de Cicéron. En ses derniers jours ce siècle se montrait capable de belles œuvres, et d'histoire, et de poésie, et d'éloquence. On put croire un instant que Salluste allait revivre en Ammien Marcellin[136], Virgile en Claudien[137], et Cicéron en Symmaque[138], et tous trois n'avaient pour le Christ qu'une médiocre sympathie. Le moment était mal choisi pour Théodose d'oublier ce qu'était le Capitole[139], et d'accorder toutes ses faveurs à Milan, ville de prêtres et de théologiens[140]. Un empereur tel qu'Eugène, fils de l'école, champion des lettres classiques, représentait pour ces Romains de la dernière heure le souverain idéal, le digne héritier de Julien. Le coup d'État d'Arbogast résulte de l'alliance du général franc avec les chefs païens de l'aristocratie.

 

XI. — LA DÉFAITE D'ARBOGAST.

Nous connaissons assez bien les détails de la réaction païenne en Italie et surtout à Rome, Nicomaque, le plus noble et le plus riche sénateur de l'Empire, en prit la direction comme consul[141]. On le vit célébrer avec la pompe antique les fêtes de la Mère des Dieux[142], purifier Rome pendant trois mois, proclamer la patrie en danger. Des choses vieilles de dix siècles ressuscitèrent une dernière fois : les devins reparurent, les temples se rouvrirent, l'autel de la Victoire se dressa de nouveau dans la salle du sénat[143] ; et Ambroise lui-même commença à trembler pour l'Église[144].

Mais nous ignorons complètement ce qui se fit alors en Gaule. Martin s'est tu, longtemps avant de mourir ; Paulin a quitté Bordeaux et s'est retiré en Espagne ; Sulpice Sévère partage son temps entre sa retraite et Marmoutier[145]. Des évêques, on n'entend plus que l'écho de leurs querelles toujours pareilles. Le Christianisme gaulois s'efface ou se replie, loin de la grande lutte qui s'engage en Italie.

Dans cette lutte, Arbogast eut le mérite de savoir faire leur part à ses alliés. Des deux corps de troupes qu'il réunit, il confia l'un au consul Nicomaque[146]. Depuis que la République est morte, quatre cent cinquante ans auparavant, c'est la première fois, et la seule, où un consul du peuple romain marcha comme tel à la tête d'une armée. L'Empire d'Arbogast prenait des allures singulières. Il y avait un archaïsme naïf dans la manière dont ce Franc voulait rétablir la gloire du peuple romain : il pensait moins à Trajan ou à Dioclétien qu'à Cicéron ou à Pompée. Après avoir choisi pour Auguste un rhéteur, il rendait les légions à un consul : et ce n'est pas pour nous le spectacle le moins extraordinaire de ce temps, que de voir un chef des Francs rétablir le prestige républicain du sénat, que cette alliance du roi de l'avenir avec le survivant du passé. Nul ne peut imaginer ce qui serait advenu, si Arbogast avait triomphé.

Nicomaque, posté en avant, occupa du côté du Danube les sommets des Alpes Juliennes[147]. Sur les cols, il dressa de statues de Jupiter, et les images d'Hercule apparurent sur ses enseignes[148]. Les emblèmes indiquaient les espérances : c'était l'Italie des anciens dieux qu'on voulait restaurer. En face, Théodose sentait avec lui la présence et le secours de saint Jean-Baptiste[149]. On allait assister à la lutte entre deux mondes, et, pour ainsi dire, entre les siècles de deux millénaires.

Les soldats d'Italie trahirent Jupiter et leur consul. Ils lâchèrent pied ou firent défection. Nicomaque se suicida à la façon de Caton, et Théodose entra en Italie[150].

Les grandes batailles se livrèrent près d'Aquilée, là où étaient Eugène et Arbogast. Du côté de Théodose, quelques Orientaux et surtout les Goths[151] ; du côté d'Arbogast, les Francs et les Gaulois[152]. Et ce fut, non pas seulement la bataille entre deux empereurs et les deux moitiés de l'Empire, mais encore la première rencontre entre deux groupes de Barbares aux ordres de cet Empire, chacun d'eux ayant sa manière propre de le servir.

Théodose ne put remporter la victoire qu'après deux terribles combats. Eugène fut pris et mis à mort. Arbogast imita le consul, et se tua (394)[153].

 

XII. — LA GAULE SACRIFIÉE.

Deux fois en dix ans, les chefs et les soldats de la Gaule s'étaient révoltés contre leur souverain légitime et l'avaient laissé périr. Deux fois, l'usurpateur qui régnait à Trèves avait, de là imposé sa loi à tout l'Occident et imposé la guerre au maître de l'Orient. La première fois, Maxime et la Gaule s'étaient à peu près passés du concours des Francs[154] ; la seconde, c'étaient les Francs qui, par moitié, avaient fait force de la Gaule et qui lui avaient donné son chef de guerre[155]. Gaulois et Francs sont maintenant unis dans la défaite[156]. Théodose va les traiter en vaincus : c'était l'empereur aux rancunes inutiles[157] et aux courtes vues.

Il s'abstint, après sa victoire, d'aller en Gaule[158], où déjà, après la mort de Maxime, on s'était peut-être étonné de sa maladroite indifférence[159]. Ni Trèves, ni Arles, ni Vienne, ces  nobles villes que les séjours des plus glorieux empereurs avaient rendues célèbres dans les fastes de l'Empire[160], ne reçurent la visite de Théodose ou de ses fils. Il dédaigna d'inspecter la frontière du Rhin. De tous les souverains qui ont gouverné le monde occidental depuis la restauration de l'Empire par Aurélien, il est le seul qui n'ait point franchi les Alpes et que la Gaule n'ait point connu[161] ; et le fils très médiocre auquel il va confier l'Occident, Honorius, demeurera toute sa vie, comme s'il partageait les rancunes de son père, un étranger pour cette Gaule.

Ce sera pour elle le début d'une histoire nouvelle, où elle ne paraîtra plus qu'une province en sous-ordre. Voilà plus d'un siècle, depuis le jour où Maximien s'est installé à Trèves, qu'elle n'a cessé d'être pour l'Occident résidence d'empereur et tête d'Empire[162] ; et quand, sous Constantin et sous Constance, il n'y a eu par le monde qu'un seul Auguste, il a réservé pour César à la Gaule son fils aîné ou son héritier, Crispus ou Julien. Car elle tenait à voir et à avoir son souverain. C'était pour elle affaire d'amour-propre et de dignité[163]. Théodose refusa de le comprendre. Lui et ses successeurs méconnurent les sentiments de ces peuples, comme on aurait pu le faire à l'époque de Vespasien ou de Marc-Aurèle. Ils ne virent pas que les temps étaient changés, et que la Gaule, après trois siècles de résignation politique, avait retrouvé le droit de parler et la force d'agir.

Mais ce séjour d'un empereur au delà des Alpes était également, pour l'Empire et pour la Gaule, affaire d'intérêt, affaire même de salât. Un empereur au voisinage du Rhin, c'est cette frontière surveillée de plus près, interdite aux Barbares, l'Italie et l'Espagne fermées aux envahisseurs. Jules César l'avait vu le premier : c'est sur le Rhin qu'est la vraie défense de l'Occident.

Théodose et Honorius ne le comprirent pas avantage. Trèves, qui est à vingt lieues du Rhin, qui a derrière elle l'appui des forces de toute la Gaule, perdit son rang de capitale[164] ; elle fut même abandonnée par le préfet du prétoire, le vrai roi du pays en l'absence d'un empereur[165], et c'est à Arles que, sous Honorius, il transférera sa résidence[166]. Quant à l'Auguste de l'Occident, il ne s'éloigne plus de Milan[167], il reste à huit journées de marche de la frontière[168], dans cette Italie du Nord aux mœurs pacifiques et au cœur débile. Il y vit assurément plus heureux et plus calme, laissant a d'autres les dangers de la guerre. Mais il y oubliera que les seuls chefs soucieux de leurs devoirs, depuis Maximien jusqu'à Arbogast, sont ceux qui ont monté la garde sur le Rhin. Un empereur, maintenant, est un demi-dieu qui a peur de la frontière.

Le souverain se tenant éloigné de la Gaule, celle-ci se voyait privée du meilleur de ses forces militaires[169] : car, en ce temps-là la principale armée ne devait pas s'éloigner du palais de l'empereur[170]. A coup sûr, il y avait encore de bonnes garnisons de ce côté des Alpes et sur les bords du Rhin. Mais depuis le départ et la défaite d'Arbogast, ces garnisons ont été fort réduites, et je ne vois pas que Théodose et Honorius se soient préoccupés de les remplacer[171]. La barrière qui longe le Rhin, reconstruite par Julien et Valentinien, présente à nouveau de nombreuses brèches, qui ne seront plus réparées.

A l'angle de la frontière et de la mer, sur le Rhin inférieur, l'alliance intime avec les Francs de la plaine avait valu à la Gaule de longues années de sécurité et à l'Empire quelques-uns de ses plus beaux jours de gloire. Il fallait leur pardonner d'avoir mêlé leur nom à la dernière guerre civile. Puisque, entre toutes les cités de la Gaule romaine, celle des Francs Saliens était la seule qui fût un séminaire de soldats et de chefs, il était sage de lui laisser une place prépondérante dans la vie militaire du monde latin. C'est là qu'était pour l'Empire d'Occident la ressource des mauvais jours. Tout au contraire, Théodose et son fils se sont désintéressés des Francs. Ce n'est pas qu'ils aient voulu réagir contre l'influence des Barbares : il n'y a plus guère que des Barbares dans leur armée, chefs ou soldats ; mais ce sont des fugitifs, des aventuriers des nouveaux venus, des Goths, des Vandales, des Alains, même des Huns, hommes de tente ou coureurs de routes, sans feu ni lieu, sans terres à défendre[172]. Ils n'ont pas derrière eux, comme les Francs, un siècle de fidélité romaine, d'aïeux serviteurs de l'Empire. Or, ceux des Francs qu'on admet encore sous les enseignes, sont disséminés partout dans le monde, souvent fort loin de leurs foyers de Gaule[173]. On dirait que les empereurs de Milan veulent dissocier ces deux forces, Gaule et Francs, dont l'alliance avait été si redoutable à Théodose[174] : la rancune des journées d'Arbogast leur fit commettre une dernière sottise, et, après avoir oublié les services que la Gaule rendait au monde latin, ils n4ligèrent les services que les Francs rendaient à la Gaule. A ses vices originels l'Empire romain venait d'ajouter les pires des fautes[175].

 

FIN DU SEPTIÈME TOME

 

 

 



[1] Fléchier, Histoire de Théodose le Grand, parue en 1679 ; Sievers, Studien, p. 281 et s. ; Richter.

[2] Zozime, IV, 41, 1 ; 59, 4.

[3] Zozime, IV, 50 (tout ce portrait de Zozime parait d'une rare impartialité) ; cf. Paneg., XII, 10.

[4] Zozime, IV, 50 ; 27, 2 ; 41, 1 ; 44, 1.

[5] C'est ce qu'il faut lire entre les lignes du Panégyriste, louant, en termes d'ailleurs forcés, sa complaisance et sa générosité (XII, 17).

[6] L'apothéose a dû commencer dès sa mort, sans doute par le Panégyrique de Paulin (cf. Vita, c. 24, § 2, P. L., LXI, c. 65-66). Le titre de Grand était inséparable du nom de Théodose chez les écrivains byzantins. Mais Fléchier, Histoire de Théodose le Grand, 1679, a singulièrement contribué à le vulgariser.

[7] Totius sementem exitit et cladum originem, Ammien, XXXI, 2, 1.

[8] De même qu'au temps de Marc-Aurèle la migration des Goths : les deux phénomènes sont absolument semblables.

[9] Ammien, XXXI, 3, 1-2.

[10] Car je ne vois pas d'autre cause à l'entrée de ces peuples dans l'Empire que la pression exercée sur eux par les Huns ou par ceux que les Huns ont chassés.

[11] L'importance de l'Empire d'Hermanaric et celle du fait de sa destruction sont très bien marquées par Ammien (XXXI, 3, 1-2) : Ermenrichi late patentes et uberes pagos repentino impetu perruperunt, bellicosissimi regis et per multa variaque fortiter facta vicinis nationibus formidati.

[12] Ammien dit que les Goths et Hermanaric perdirent la tête (XXXI, 3, 2), ce qui permet de croire qu'avec de l'entente et de la ténacité le danger eût pu être conjuré dès l'origine. Et il est probable que dans cette histoire des Huns, y compris Attila, la peur fit la moitié du mal (inpendentium diritatem augente vulgatius fama, comme dit Ammien).

[13] En 377-378.

[14] En 407.

[15] En 376. Ammien, XXXI, 4, 1 (quiete victuros et daturos auxilia) : il s'agit des Théruinges (d'Athanaric, lequel resta sur l'autre bord) ; on les transporta de bon gré. Ensuite (4, 12 ; 5, 3), les Greuthunges passèrent à l'insu des Romains. Puis, les Taifales arrivèrent de même manière dans l'Empire (9, 3).

[16] Dès 377, Gratien envoya au secours de Valens quelques cohortes, commandées par son comte de la Garde Ricomer, et cela, malgré l'opposition de Merobaud, qui ne voyait qu'une chose, la nécessité de se garder sur le Rhin (XXXI, 7, 4) ; Ricomer revint presque aussitôt en Gaule pour chercher de nouveaux secours (8, 2). Et c'est alors que Gratien résolut de venir lui-même, au début de 378, en particulier avec les Celtes et les Pétulants ; à se fit précéder par Ricomer (12, 4), dont le rôle fut admirable en ces circonstances. Celui-ci assista à la bataille d'Andrinople (13, 9), à la suite de laquelle périt Valens (9 août), avant l'arrivée de Gratien : il est possible qu'il ait amené avec lui les Bataves, qui servirent de corps de réserve à l'empereur (13, 9). Ici s'arrête l'ouvrage d'Ammien.

[17] En 378 [?] et 3'79. Gratien envoya à son aide, en 380, Bauto et Arbogast ; Zozime, IV, 33, 2.

[18] Un premier traité, attribué à Gratien, fut conclu dans l'été de 380 (Prosper, Chronica, p. 498, Mommsen ; Jordanès, Getica, 141-2 ; cf. Tillemont, Théodose, n. 6). Un second, plus décisif, est l'œuvre de Théodose, le 3 octobre 382 (Marcellin, Chron., p. 61, Mommsen ; Eunape, fragm. 60, p. 40, Didot). — C'est peut-être vers ce temps-là, et à la suite de ces négociations, qu'une troupe de Taifales, apparentés aux Goths, fut installée en Poitou, dans le pagus qui prit plus tard son nom, pagus Taifalicus (Longnon, Noms de lieu, p. 129 ; cf. Ammien Marcellin, XXXI, 9, 4).

[19] Jordanès, Getica, XXVIII, 145 ; Orose, VII, 34, 7.

[20] Entre autres, Fritigern, le vainqueur d'Andrinople (XXXI, 12, 14), Athanaric, qui se décida à passer dans l'Empire (XXVII, 5, 10), Alaric (cf. Jordanès, Getica, XXIX, 146), quel que soit le titre exact qu'on doive leur donner, regalis, judex, βασλίσκος ou rex. Et à certains égards ces chefs, une fois dans l'Empire et devenus pour son compte généraux d'armée, ont dû avoir sur leur peuple un pouvoir moins discute qu'au temps de la liberté germanique : le titre de rex a dû gagner chez eux en prestige et en force.

[21] Jordanès, Getica, XXV, 131-3.

[22] Majorum laudes clamoribus stridebant, Ammien, XXXI, 7, 11.

[23] Zozime, V, 5, 5 ; Orose, VII, 37, 1 ; etc. Je laisse de côté la question, si son titre a été réellement celui de rex.

[24] Il eust esté à souhaiter que l'on eust dispersé ces barbares en divers endroits, pour en estre tout à fait maistre ; au lieu qu'il paroist par la suite de l'histoire qu'ils estoient assez réunis en un mesme lieu [voyez au contraire ce que fit Probus], et que dans les armées ils faisoient un corps à part sous des chefs de leur nation ; ce qui fut la source de tous les maux qu'ils causeront, Lenain de Tillemont, Théodose, art. 12.

[25] Voyez ce que dit Ammien (XXXI, 4, 5) : on fit, par une effroyable aberration, passer dans l'Empire le plus de Goths possible, nequi Romanam rem eversurus relinqueretur.

[26] Je parle de la situation de la Gaule au début du Ve siècle avant l'établissement en Aquitaine du roi des Goths.

[27] Je parle de leur situation à la fin du IVe siècle. C'est ce qu'on aurait dû faire et ce qu'on ne put faire pour les Goths.

[28] Il m'est impossible de croire à une augmentation, même légère, des contingents militaires. Quel que soit par exemple l'accroissement du nombre des légions, il n'y a pas plus de légionnaires, leur effectif étant tombé pour chacune à moins d'un millier d'hommes. Je ne parle d'ailleurs que pour la Gaule. Nous reviendrons là-dessus t. VIII, ch. II, surtout § 7 et 11.

[29] Chiffre supposé ; cf. Zozime, V, 35, 9.

[30] Cela est très bien marqué par Ammien, qui d'ailleurs place ces paroles dans la bouche des flatteurs du prince (XXXI, 4, 4). Et avec la même note, le développement dithyrambique du Panégyriste (XII 32).

[31] Cf. t. VIII, ch. VII, § 2.

[32] Pro militari supplemento, quod provinciatim annuum pendebatur, thesauris accederet auri cumulus magnus, Ammien, XXXI, 4, 4.

[33] Cf. t. VIII, ch. I, § 8 et 9, et ch. II, § 3.

[34] Cf. ici, chapitre I, § 3, et t. VIII, ch. VII, § 2 et 3.

[35] Sans doute Flavius Magnus Maximus, son fils s'étant appelé Flavius Victor (milliaire près de Toulouse, XII, 5675).

[36] Comes Britanniarum plutôt que dux Britanniæ ? cf. Not. dign., Occid., I, 35 et 48 ; 7, 153 et 199, 40.

[37] La composition de l'armée de Bretagne a toujours été extrêmement mêlée : il y a là beaucoup d'éléments germains, gaulois du Nord, espagnols, dalmates (dans la mesure où le recrutement des corps continuait à se conformer à l'appellation ethnique de l'origine, Not. dign., Occ., 40 et 28).

[38] L'Épitomé parle de sa négligence des choses militaires (47, 6) ; Végèce a noté sous son règne l'abandon de certaines pratiques militaires, comme de la cuirasse et même du casque (I, 20). L'hostilité de la plèbe militaire à l'endroit de Gratien (infensis legionibus ; Épit. de Cæs., 47, 6 ; Zozime, IV, 35, 4-6) n'implique nullement qu'il ait mal fait son métier de chef.

[39] Jalousie de l'armée de Bretagne à l'endroit de celle de Gaule, insinue Zozime (IV, 35, 4). Jalousie de Maxime à l'endroit de Théodose, Espagnol comme lui, et qui avait même son compagnon d'armes en Bretagne, dit nettement Zozime (IV, 35, 5). Peut-être, dans l'armée de Gaule, jalousie des anciens escadrons auxiliaires, Bataves, Cornutes ou Bracchiates, ou des cavaliers maures, à l'endroit des Comites Alani, que favorisait Gratien (Zozime, IV, 35, 3 ; Épit. de Cæs., 47, 6) : c'étaient des cavaliers venus du Danube comme captifs ou transfuges (cf. Not. dign., Occ., 6, 50). Enfin, on ne peut exclure l'hypothèse qu'il ait mécontenté ou inquiété la Gaule par un trop long séjour en Italie, la Gaule ne redoutant rien tant que de ne pas avoir son empereur.

[40] Il est probable que l'Occident avait été en partie dégarni pour aider Théodose.

[41] Il est probable qu'il a dû arriver précipitamment d'Italie sans avoir eu le temps de rassembler ses troupes ; et en outre, il semble qu'il ait été surpris au moment où il faisait face (du côté de Vérone ?) à une incursion d'Alamans, sans doute désireux de profiter de la guerre civile (Socrate, V, 11, Patr. Gr., LXVII, C. 593 ; Sozomène, VII, 13, id., c. 1448 ; Ambroise, Epist., 18, § 21, et 24, § 8, Patr. Lat., XVI, c. 978 et 1038 ; le même, Apol. proph. Dav., VI, 27, Patr. Lat., XIV , c. 862). Il est encore en mai à Milan, le 16 juin à Vérone (Regesten de Seeck, p. 262), et il est mort le 25 août (Chron. min., I, p. 297 ; II, p. 61, Mommsen). — Il est difficile que Maxime ait débarqué ailleurs qu'à Boulogne.

[42] A Paris, dit une source d'ailleurs médiocre (Prosper, dans Chronica minora, I, p. 461) : Gratianus Parisiis Merobaudis magistri militum proditione superatus. Il y eut, dit-on (Zozime, IV, 35, 9), cinq jours d'escarmouches, au cours desquelles les cavaliers des Maures auxiliaires donnèrent le signal de la défection. — Maxime a dû prendre la route de Boulogne à Paris par Amiens ; Gratien arriva à Paris par Turin, Lyon et Sens (il me parait impossible de le supposer venant par Vérone, le Brenner et le lac de Constance, ou par celle du Splugen). La route de Sens à Paris par la rive gauche venait d'être réparée.

[43] Il dut y avoir, outre la défection de troupes, la trahison de chefs, perfidia decum, defectione legionum (Panegyr., XII, 23 ; Ambroise, In Psalmos, LXI, 17, Patr. Lat., XIV, c. 1173 : Epist., 24, § 10, Patr. Lat., XVI, c. 1038 ; etc.). — La Chronique de Prosper attribue la trahison surtout à Merobaud, le consul de 377 et 383, alors, dit-elle, maître de la milice. Comme l'a montré Tillemont (Gratien, note 25 ; contra, Seeck, V, p. 499), cela est absolument impossible : outre que la chose jure avec tout le passé de Merobaud, cela contredit ce que dit le Panégyriste (XII, 28), que Maxime l'obligea à se suicider, parce que steterat in acie Gratiani. Prosper a dû confondre avec Andragathius.

[44] Il dut y revenir par la route prise en venant. — Le meurtre semble avoir eu lieu sur le pont de Lyon (c'est la seule circonstance où ce pont est mentionné ; Zozime, IV, 35, 12, en corrigeant Sigidunum en Lugdunum).

[45] Par la trahison d'Andragathius, magister equitum, et sans doute chef de l'armée des Gaules : c'est celui que les écrivains chrétiens comparent à Judas ; Zosime, IV, 35, 10-12 ; Ambroise, In Psalm., LXI, 24, Patr. Lat., XIV, c. 1177. — Je n'essaie pas de concilier les détails contradictoires qui circulèrent au sujet de cette mort ; Zozime, ibid. ; Sozomène, VII, 13 ; Socrate, V, 11.

[46] Le Panégyriste de Théodose (XII, 28) indique un autre grand chef comme victime de Maxime (lequel aurait donné l'ordre de le conduire à Chalon, Cabillonum, et de l'y brûler vivant ; Ambroise, Epist., 24, § 11, Patr. Lat., XVI, c. 1039) : c'est Batio ou Vattio, d'ailleurs inconnu, qui a dû être comte ou même magister equitum dans l'armée de Gratien (triomphalis, dit le Panégyriste), et peut-être avait-il exercé un commandement supérieur à Chalon. Le nom parait être germanique.

[47] Zozime, IV, 37.

[48] Maxime ne franchira les Alpes qu'en août 387.

[49] Dès 383 et au début de l'hiver ; Paulin, Vita Ambrosii, § 19, Patr. Lat., XIV, c. 33 ; cf. Ambroise, Epist., 24, § 5, c. 1037, prima legatio. Puis en 387, dès la première moitié de l'année ; Epist., 24, c. 1035 et s.

[50] Le Panégyriste de Théodose parle de civitates vacuatæ municipibus suis, de nobiles fugitivi, de bona publicata de très hauts personnages, de condamnations à mort rachetées à prix d'or (vitam ære taxatam), d'où il résulte peut-être, en tenant compte de son parti pris de rhéteur et de flagorneur de Théodose, que Maxime s'est surtout attaqué à la richesse et à la puissance de l'aristocratie. Et peut-être encore y a-t-il eu là moins de l'avidité fiscale qu'une intention politique, le Panégyriste lui reprochant d'autre part d'avoir réduit le nombre des hauts dignitaires, consulaires et autres, redactas in numerum dignitates et exutos trabeis consulares ; Paneg., XII, 25 ; cf. 24-28. Sulpice Sévère insiste également sur l'avaritia de Maxime, cherchant partout des biens à confisquer, Dial., III, 11, 10-11. — C'est probablement à ces exécutions et confiscations ordonnées par Maxime, que se rapportent certains évènements mystérieux de la vie de Paulin de Bordeaux : son frère accusé et mis à mort, lui-même impliqué dans l'affaire, et le gouverneur sur le point de confisquer ses biens [censumque meum jam rector adisset : il doit s'agir de ses biens de Campanie plutôt que de ceux d'Aquitaine], mais un évènement subit sauvant sa vie et sa fortune (Carmina, 21, 416-423) il s'agit sans doute de la chute de Maxime. Il semble bien que tous les domaines des Paulins leur aient été restitués (cf. t. VIII, ch. II, § 2).

[51] Strenuus et probus atque Augusto dignus (Orose, VII, 34, 9) : alias sane bonus (Sulpice, III, II, 2) ; multis bonisque actibus præditus (id., III, 11, 11) ; quasi vindex disciplinæ publicæ (Ambroise, Epist., 40, § 23, P. L., XVI, c. 1109) ; cf. Rufin, II, 16.

[52] Aucune mention de guerre sur la frontière.

[53] Il n'est jamais question que de Troyes dans les textes qui parlent de Maxime.

[54] Cela parait à peu près certain.

[55] Le Priscillianisme, un peu oublié par les érudits, les a fortement occupés depuis la publication, en 1889, par Schepss, de onze traités anonymes découverts dans un manuscrit de la Bibliothèque de l'Université de Wurtzbourg et aussitôt attribués à Priscillien par l'éditeur. Mais il est fort douteux que cette attribution soit juste : dom Morin, par exemple, ne considère que trois traités comme entachés de Priscillianisme et en fait l'œuvre d'un évêque espagnol, Instantius, compagnon de l'hérétique. De toutes manières, il s'agit d'œuvres médiocres, même sans grande gravite hérétique, et qui ne répondent pas du tout à l'idée que ses adversaires nous ont laissée de Priscillien. On dira de même des Canones in Pauli apostoli epistulas, rédigés sans doute par Priscillien, mais transmis et expurgés dans un sens orthodoxe (édit. Schepss, p. 107 et s.). Nous ne connaissons donc Priscillien, homme et doctrine, que par ses ennemis. — Schepss, Corpus scriptorum ecclesiasticorum Latinorum de Vienne, XVIII, 1889 ; Paret, Priscillianus, Wurtzbourg, 1891 ; Puech, Journal des Savants, février, avril et mai 1891 ; Dierich, Die Quellen der Geschichte Priscillians, Breslau, 1897 ; Kunstle, Antipriscilliana, Fribourg-en-Brisgau, 1905 ; Bahut, Priscillien et le Priscillianisme, 1909 ; Monceaux, Journal des Savants, 1911 ; Puech, Bull. d'ancienne littérature et d'archéologie chrétiennes, 15 avril et 15 juillet 1912 ; dom Morin, Revue Bénédictine, XXX, 1913, p. 153 et s. ; Hartberger, dans Theologische Quartalschrift, XIV, 1913, p. 401 et s. Il est utile cependant de recourir aux anciens travaux ; cf. en particulier Bernays, p. 87 et s. ; etc.

[56] Il n'y a pas à accepter l'hypothèse de Babut (p. 49), que le rhéteur Helpidius, qu'on dit avoir été le maître de Priscillien (Sulpice, Chron., II, 46, 2), ne serait autre que le rhéteur de l'école de Bordeaux Delphidius (Ausone, Prof., 6).

[57] Le seul prince légitime qu'elle lui donne après Trajan, Théodose, est précisément le plus foncièrement dévot. Si Maxime fut également un Espagnol, il fut le premier prince persécuteur.

[58] Priscillien ne fut nommé évêque d'Avila qu'après 380, et que le concile de Saragosse eut condamné ses doctrines. Jusque-là on le considère comme laicum principem malorum omnium, Sulpice, Chron., II, 47, 4.

[59] Je suppose cette prééminence du Diable d'après l'importance qu'il donnait à l'abstinence et l'insistance avec laquelle ses adversaires contemporains parlent de son Manichéisme. Filastre, Divers. hæres., § 84, Patr. Lat., XII (§ 36, p. 46, Marx), en particulier : Escas paulatim spernentes dicant eas non esse bonas... sed a Diabolo factas ; lettre de Maxime à Sirice, Patr. Lat., XIII, c. 592 : Manicheos sceleris ; Sulpice insiste sur le Gnosticisme de Priscillien, II, 46, 1 ; 47, 6. — Mais n'oublions pas le rôle initial et permanent du Diable chez les Chrétiens.

[60] Filastre, § 84 (§ 56, Marx ; écrit vers 383) : Alii sunt in Gallis et Hispanis et Aquitanis veluti Abstinentes..., separantes persuasionibus conjugia hominum et escarum abstinentium promittentes. De même, le pape Léon et Turribius, chez Léon, Epist., 15, Patr. Lat., LIV, c. 679 et 693 (écrit en 147). C'est à cela sans doute que fait allusion le Panégyriste de Théodose (XII, 29), lorsqu'il relève chez une Priscillianiste nimia religio et diligentius culta Divinitas. — Au surplus, en dehors du soupçon d'hérésie, les communautés chrétiennes de Gaule ont pu avoir leurs sociétés de Continentes, d'hommes laïcs particulièrement consacrés à Dieu ; voyez à Rouen, d'après le sermon de Victrice (De laude sanctorum, § 3, P. L., XX, c. 445-6), et voyez les confrères de Trèves. Cf. t. VIII, chap. VI, § I et 13.

[61] Tout cela, d'après Sulpice, Chron., II, 46, 3 et s.

[62] Voyez Filastre, § 86 (§ 56, Marx : écrit vers 383), confirmé par Sulpice, II, 48, 2 et s.

[63] Euchrotia.

[64] Sulpice, Chron., II, 4.8, 2-3 ; 51, 3 ; Prosper, Chron., p.462, Mommsen ; Ausone, Prof., 6, 37-38 ; Pacatus, Paneg., XII, 29.

[65] Sulpice, Chron., II, 48, 4 ; 50, 4 et s.

[66] Sans doute en 380 ; Sulpice, Chr., II, 47, 1 et s. ; [dom Labat], c. 253 et s ; Héfélé-Leclercq, I, p. 986-7. — C'est après le concile de Saragosse que Priscillien fit le voyage d'Italie. Sulpice nous le représente accueilli avec éclat en Aquitaine, passant par Eauze, où il convertit la masse des laïcs (plebem Elusanam : Eauze, qui était sans doute métropole de la Novempopulanie, a dû être de très bonne heure un centre chrétien, son évêque apparait au concile d'Arles de 314) D'Eauze, il essaie d'entrer à Bordeaux ; mais, éloigné par l'évêque Delphin, il se refugie chez Euchrotia (in agro Euchrotiæ), qui désormais ne le quitte plus. Évidemment, le gouvernement pacifique et libéral de Gratien lui a laissé une large liberté, qui devait cesser à l'avènement de Maxime. Ithace était pendant ce temps venu à Trèves, où il était reçu par l'évêque (Britto [cf. Théodoret, V, 9, p. 289, Parmentier], Britonius ou Britannius) : il tenta sans doute d'entrainer Gratien dans l'affaire, mais sans succès (Sulpice, II, 49, 4).

[67] Idace, Chron., p. 15, Mommsen, à la date de 385 : Redit ad Gallias (Priscillien) ; inibi similiter a sancto Martino et ab aliis episcopis hæreticus judicatus appellat ad Cæsarem.

[68] En 384 plutôt qu'en 385. Sulpice, Chron., II, 49, 7 et s. Le concile fut convoqué par ordre de Maxime, et sans doute Priscillien et ses principaux adhérents étaient déjà placés sous la surveillance de l'autorité impériale (deducti). Instantius plaida seul la cause des accusés ; Priscillien refusa de parler et en appela au prince (peut-être seulement de cette première incarcération ?).

[69] Burdigalæ quædam Priscilliani discipula nomine Urbica ob impietatis pertinaciam per seditionem vulgi lapidibus extincta est ; Prosper, à l'année 385, p. 462, Mommsen. On a supposé, sans autre indice que le nom, qu'elle était parente du maître de grammaire bordelais Urbicus (Ausone, Prof., 22) ; Bernays, Ueber die Chronik, p. 91, n. 9.

[70] Sulpice, Chron., à partir de II, 46, 8.

[71] Sulpice (Chron., II, 49, 9) dit que la faute initiale vint de Priscillien, qui, craignant sans doute le jugement partial des évêques, ad principem provocavit (peut-être seulement de la conduite pénale de l'affaire ?) ; mais il ajoute aussitôt que les évêques se hâtèrent d'accepter d'en référer au prince (peut-être en étendant l'appel à la question religieuse ?). Il est fort possible, tels qu'on connaît les adversaires de Priscillien, qu'ils lui tendirent un piège. Les Canones qui lui sont attribués, désavouent l'appel à l'empereur (can. 46, p. 129, Schepss : Ecclesiastici non debeant ob suam defensionem publica adire judicia).

[72] Cela parait bien ressortir des motifs de la condamnation ; Sulpice, Chron., II, 50, 8 (maleficii) ; Isidore, De viris illustr., 15, P. L., LXXXIII, c. 1092.

[73] C'est ce qu'indique Sulpice (II, 49, 9). Voyez les phrases si vigoureuses de Pacatus dans son Panégyrique de Théodose (XII, 29) : Fuit enim, fuit et hoc delatorum genus qui nominibus antistites, re vera autem satellites atque adeo carnifices. — En rapprochant ce que dit Sulpice de Martin (inauditum nefas ut causam Ecclesiæ judex sæculi judicaret, II, 50, 5), ce qu'il répète pour son propre compte (non causam imperatori de tam manifestis criminibus [hérésie] permittere, II, 40, 9), le texte des Canones, l'attitude d'Ambroise (Epist., 26, c. 1042), on voit bien que les meilleurs de ce temps ont compris les dangers de l'intervention de l'État : c'était la tradition d'Hilaire. — Le pape Léon, en 447, semble, au contraire, approuver l'intervention de la justice impériale et l'altitude des évêques espagnols dans l'affaire de Priscillien, Epist., 15, P. L., LIV, c. 693 ; cf. Kunstle, p. 121 et s.

[74] Voyez ce que Pacatus dit d'Ithace et de ses complices (XII, 29) : Calumniabantur in sanguinem et visas premebant reorum,.... pollutas pænali contacta manus ad sacra referebant, et cærimonias quas incestaverant mentibus etiam corporibus impiabant.

[75] Inconstantia (episcoporum), qui debuerant... non causam imperatori permittere ; Sulpice, II, 49, 9.

[76] Sulpice, Chron., II, 50, 5. Il peut avoir suivi Ithace depuis Bordeaux. — C'est possible qu'il ait fait un premier voyage auprès de Maxime à l'avènement de ce dernier (Sulpice, V. Mart., 20).

[77] Voyez le récit de ses entrevues à Trèves avec Maxime (Epist., 24, § 2, c. 1036 et s.).

[78] Ou, plutôt, de s'en tenir, pour la condamnation des accusés, à la confiscation des biens, qui a précédé sans aucun doute la condamnation à mort : non contenti miseros avitis evolvisse patrimonus,... vitus premebant reorum jam pauperum, dit Pacatus des persécuteurs de Priscillien (Paneg., XII, 29).

[79] Sulpice, Chron., II, 50, 5 et s.

[80] Panégyrique, XII, 29

[81] Sulpice, Chron., II, 50, 6 et s. ; 51 ; Dial., III, Il, 2 ; Paneg., XII, 29. Fin de 385 et début de 386.

[82] En 386 ? Sulpice, Dial., III, 11, 3 ; 12, 3.

[83] Dial., III, 11, 4 et 9 : Sulpice ne parle, comme chefs de cette mission, que de tribuni eum jure gladiorum, summa potestate armati. J'ai peine à croire qu'elle n'ait pas été dirigée par un comte, et je me demande si le fameux comte Avitianus, auquel Martin arracha ses prisonniers, n'était pas le chef de cette mission, parti avant le contre-ordre impérial.

[84] Tout cela, d'après Sulpice, Dial., III, 11 et s. (le récit de la Chronique s'arrête au premier voyage et à la mort de Priscillien).

[85] Voyez l'épisode de son désespoir sur le chemin du retour, dans les bois d'Andethanna (Andetannate ? Itin. Ant., p. 366,W., à 15 lieues [?], 33 kil., de Trèves, première station sur la route de Reims par Arlon), où il aurait été consolé par un ange ; Dial., III, 13, 3.

[86] Satius æstimans ad horam cedere, quam his non consulere, quorum cervicibus gladius imminebat ; Sulpice, Dial., III, 13, 2.

[87] Il refusa de signer un acte constatant cette communion (Dial., III, 13, 3).

[88] Ambroise dut venir à Trèves peu après ou même pendant ces événements, dans l'hiver 386-387. Lui, du reste, beaucoup moins visé que Martin par les Espagnols (il dépendait de Valentinien, et non de Maxime), refusa de communier avec eux et Félix, et fut ensuite plus ou moins expulsé par l'empereur. Et alors, il parla du clan des persécuteurs dans les mêmes termes que Martin et que Pacatus : Episcopi reos criminum gravissimorum in publicis judicus accusare, alii et urgere usque ad gladium supremamque mortem, alii accusationes hujusmodi et cruentos sacerdotum triumphos probare (Epist., 26, § 3, Patr. Lat., XVI, c. 1042). — Je suppose qu'Ambroise s'est fait accompagner dans ce voyage par des reliques de Gervais et de Protais, récemment découvertes, qu'il est passé par la route à peu près seule fréquentée en ce temps-là, Turin, le mont Genèvre, le col de Cabre, Valence (Ép., 24, § 7, c. 1037 : Valentia Gallorum), Vienne, qu'à Vienne, pour le recevoir, lui et son précieux cortège, il dut y avoir une réunion d'évêques, dont Martin et Victrice.

[89] Il ne me paraît pas non plus douteux qu'il fût d'accord avec l'évêque de Rome, et qu'on ait eu raison de supposer (Leclercq ap. Héfélé, trad., II, p. 92) qu'il ait contribué à éclairer Sirice sur les Ithaciens.

[90] Remarquez qu'Ithace aurait bien voulu, dès le temps du concile de Bordeaux, l'englober sanctis, c'est-à-dire dans la secte des Abstinents ; Sulpice, Chron., II, 50, 3-4.

[91] Voyez les dernières phrases de la Chronique de Sulpice, écrite en 400, mais dont le récit ne dépasse pas la mort de Priscillien (II, 51, 8 et s.) : At inter nostros perpetuam discordiarum bellum exarserat, quod jam per quindecim annos [385-400] fœdis dissensionibus agitatum nullo modo sopiri poterat.

[92] Ou plutôt, en évêques communiant ou ne communiant pas avec Félix ; voyez le concile de Turin (très certainement de 401), § 6, p. 230 de l'édition Babut (Le Concile de Turin, 1904 ; toutes réserves faites sur la date qu'il lui attribue et les corrections qu'il apporte au texte ; voyez chez Héfélé, II, p. 10 et s., trad. Leclercq, l'incroyable bibliographie de ce concile).

[93] Concile de Turin, cf. note précédente.

[94] Cela résulte évidemment de Sulpice, Chron., II, 51, 10, où Martin est compris parmi les pauci que persécutent les mauvais évêques.

[95] Sulpice Sévère, II, 51, 9-10.

[96] Cf. le chap. sur la vie religieuse, t. VIII, ch. VI, surtout § 12.

[97] Voyez le jeune moine de Marmoutier, Brice (plus tard évêque de Tours), qui arrive pauvre à la cléricature, et qui finit par élever des chevaux, acheter des esclaves, etc. (Dial., III, 15, 2). Ambroise reçoit dans son monastère des consuls et des préfets, ce que Sulpice semble lui reprocher, opposant à sa conduite celle de Martin, vir altioris ingenit (Dial., I, 25, 6).

[98] Voyez le chap. sur la vie religieuse, t. VIII, ch. VI, § 4.

[99] Le conflit apparaît pour la première fois nettement dans les Actes du concile de Turin en 401, § 2 : Episcopos urbium Arelatensis et Viennensis, qui de primatus apud nos honore certabant. Il a son origine dans des faits d'ordre politique. Arles, qui n'était qu'une civitas de la province de Vienne ou Viennensis, a dû, devant les faveurs accordées par Constantin et ses fils, désirer et prendre un rang éminent dans la géographie politique ; et sans devenir métropole de province (ce qu'elle ne fut jamais au IVe siècle), servir de résidence au vicaire des Cinq Provinces (ou des Sept Provinces, celles des anciennes Aquitaine et Narbonnaise), et cela, sans doute, au lieu et place de Vienne ; ou encore, plus tard, remplacer Trèves comme résidence du préfet du prétoire des Gaules (peut-être cela se produisit-il après la chute d'Arbogast, en 394-395). Alors, la concurrence politique se doubla d'un conflit religieux. — Le concile de Turin résolut le conflit par des à peu près. Il décida d'abord que si l'un des deux évêques prouvait que sa cité était métropole, il aurait totius provinciæ honorem primatus, ce qui revenait sans doute è dire qu'on attendait un règlement politique sur les situations respectives d'Arles et de Vienne. Mais il demanda ensuite aux évêques qu'en attendant, et pour un but de conciliation, ils se contentassent d'ordonner chacun les prélats de son voisinage. — Ce fut plus tard, mais encore au début du Ve siècle, qu'on fit intervenir l'histoire religieuse et l'épiscopat évangélisateur de Trophime (lettre du pape Zozime en 417 ; 1, § 3, P. L., XX, c. 645) il a dû y avoir, en ce temps-là des écrits historiques, plus ou moins tendancieux, sur l'évangélisation des Gaules (en particulier sur les sept missionnaires). Peut-être est-ce dès lors aussi que se montre l'idée d'apôtres envoyés par le Christ. En tout cas, la thèse de l'évangélisation apostolique d'Arles ne tardera pas à être constituée ; elle l'est au milieu du Ve siècle : voyez, dans la lettre de Léon, Trophinium ab Apostolis ou a Petro missum ; Epist., § 2, P. L., LIV, c. 880-1. — Sur cette question, en dernier lieu Saltet dans le Bulletin de littérature ecclésiastique (Toulouse), 1922, p. 30 et s.

[100] D'après l'art. 2 des Actes de Turin, Procule, évêque de Marseille en Viennoise, revendiquait la qualité de métropolitain et le droit d'ordination sur ecclesiæ [les Églises ? ou plutôt des Églises ?] Secundæ Provinciæ Narbonensis, n'était pas sa province, mais celle d'Aix ; et au surplus, Marseille elle-même n'était pas une cité métropole. — On peut à ce sujet faire trois hypothèses. — 1° Il est possible qu'à une époque antérieure Marseille ait fait partie de cette Seconde Narbonnaise, et pour en être la métropole, au lieu et place d'Aix : et cela peut se comprendre, si l'on songe à l'insignifiance d'Aix à cette époque (le castrum n'a que 790 m. de périphérie) et à l'importance que reprend Marseille. Quelque empereur, mécontent de Marseille (par exemple Constantin après la révolte de Maximien), l'aura punie en la rejetant comme simple civitas dans la Viennoise. Mais le clergé aura tenu à maintenir les anciens droits. Je ne vois d'ailleurs aucun indice en faveur de cette hypothèse. — 2° Ou bien l'évêque de Marseille invoquait, non pas les droits politiques de sa cité, mais les droits historiques de son évangélisation apostolique, les Églises ou certaines Églises de la province d'Aix ayant pu être regardées comme des filles de celle de Marseille. J'hésite également à accepter cette hypothèse, que ne parait confirmer aucun document ultérieur relatif aux droits de Marseille. — 3° J'accepterais plus volontiers une autre hypothèse, si compliquée qu'elle puisse paraître, mais qui permet de se reporter aux autres questions débattues alors. Lors de la constitution de la Seconde Narbonnaise, on aura rattaché à cette province et à la cité d'Aix les trois pagi arlésiens excentriques de Ceyreste (Citharista et La Ciotat [= civitas, nom qui implique un état de chef-lieu et peut-être plus spécialement de chef-lieu épiscopal]), de Garguier et de Toulon : peut-être même les aura-t-on aussi organisés en civitates. Et alors Marseille, revendiquant les droits de son histoire, non pas chrétienne et religieuse, mais grecque et politique, aura voulu faire de ces trois pagi des parochiæ épiscopales dépendant de son évêque : n'y avait-il pas eu, sur toute cette zone à moitié maritime, des établissements marseillais ? et les proconsuls romains n'avaient-ils pas accordé à Marseille des droits particuliers sur une grande portion du terrain arlésien, du moins jusqu'à César, peut-être même précisément sur ces trois pagi ? Ajoutez, comme quatrième cité épiscopale pouvant appartenir alors à cette Seconde Narbonnaise et être revendiquée par Marseille, celle de Nice, également pour un motif d'histoire hellénique (simple paroisse de prêtre en 314 ; mais évêché au concile d'Aquilée en 381, Mansi, III, c. 600). — Le concile de Turin laissa en suspens la question de droit, parce que les limites de la province de Viennoise n'étaient pas encore fixées, provincia cujus magnitudinem penitus nescivimus (il peut s'agir des pagi disputés entre Arles, Marseille et Aix), mais il accorda à Procule de Marseille, à titre individuel, la primauté sur les églises contestées, comme suas parochias vel suos discipulos fuisse contestans ordinatos. — C'est ce règlement provisoire qui fut aboli quinze ans plus tard, lorsqu'on rendit à Arles Ceyreste et Garguier (et sans doute Toulon ; Nice fut rattachée plus tard, non sans discussion, aux Alpes Maritimes) : Arelatensis ecclesia sibi Citharistain et Gargarium paræcias in territorio sua sitas incorporari jure desiderat (22 mars 417, Zozime, Epist., 1, § 3, Patr. Lat., XX, c. 644). Mais il est probable qu'entre le concile de Turin et le règlement pontifical de 417, l'autorité civile dut intervenir pour régler les limites des provinces et rendre à Arles et à la Viennoise les trois pagi contestés.

[101] Note précédente. — Il est du reste possible que tout en étant incorporés à la chutas d'Arles par César ou Auguste, Toulon, Ceyreste et Garguier soient demeurés rattaches à Marseille par un lien religieux (je parle des temps païens), de la même manière que peut-être Lyon aux Ségusiaves. Et c'est ce lien qu'auront également pu utiliser les prétentions épiscopales de Marseille. — Il y a, dans ces organisations de civitates, quantité d'éléments variables qui nous échappent.

[102] Nullam synodum adiit, ab omnibus episcoporum conventibus se removit ; Sulpice, Dialogues, III, 13, 6 ; II, 13, 8. C'est ce que faisait également saint Ambroise, qui écrivait, à la date de 392 (De obitu Valentintani, § 25, Patr. Lat., XVI, c. 1367) : Synodum Gallorum, episcoporum [le futur concile de Nîmes ?], propter quorum frequentes dissensiones crebro me excusaveram.

[103] Le seul connu est celui de Nîmes, que je place en 394, mais qui peut être de 395 (Sulpice, Dial., II, 13, 8). — Les Actes, publiés en 1743 (Roderic, Corresp. des savants, Cologne, in-12, 1743 ; non vidi), bien oubliés depuis, ont été remis en honneur de notre temps (Knuss, Bull. de la Soc. de l'Hist. de France, 1839, n° 6, p. 4 et s. ; Lévêque dans Revue des Questions historiques, 1881, XXX, p. 549 et s. ; trad. franç. de Héfélé, II, p. 91 et s. [Leclercq]). Ils ne portent d'ailleurs que des règlements d'ordre ecclésiastique, et ne renferment rien de propre ad sanandam discessionern, malgré la prétention du prologue. — Il y a 21 signatures dont il est souvent bien difficile d'identifier les diocèses.

[104] Plures adversus paucos ; Sulpice Sévère, Chron., II, 51, 9.

[105] Voyez Sulpice Sévère, V. Martini et Dialogues, et les Lettres de Paulin.

[106] D'après les données de Grégoire de Tours (Hist., I, 48 ; De virt. s. Mart., I, 3), il est mort : 1° la deuxième année du règne d'Arcadius et d'Honorius, qui va de janvier 396 à janvier 397 ; 2° sous le consulat d'Atticus et de Cæsarius, qui est de 397 ; 3° la 26e année de son épiscopat, qui peut commencer en juillet 397, mais que l'on peut faire commencer le 1er janvier 397. On peut donc placer cette mort en janvier 397, et ne pas s'arrêter à la tradition, qui la fixe au 11 novembre. — Il est impossible de la reculer en 401, sur la foi de Sulpice, qui le fait vivre sedecim annos après l'affaire de Félix (Dial., III, 13, 6). — Et l'idée d'accepter la date de 406 (d'après Chronica minora, II, p. 16, Mommsen), est un de ces paradoxes chronologiques dont Seeck est coutumier (Regesten, p. 312).

[107] Je place en 397 (on a supposé 398) et le 4 avril la mort d'Ambroise. Une tradition voulait qu'il eût appris par un songe la mort de Martin (Grégoire, De virt. s. Mart., I, 5) ; et cela n'est pas impossible, si Martin est mort en janvier 397 (n. précédente).

[108] En août 387.

[109] Le vrai maître de l'Italie, le tuteur politique et militaire de Valentinien II, était le Franc Bauto, consul en 385 et maître de la milice (Zozime, IV, 53, 2 ; Ambroise, Epist., 57, § 5, XVI, c. 1175), et ce système, d'un chef barbare maître du palais militaire de l'empereur, est celui que Théodose appliquera bientôt en Gaule avec Arbogast. Bauto était un ennemi particulier pour Maxime, qui l'accusait de vouloir gouverner en empereur, sibi regnum sub specie pueri vindicare (Ambroise, Epist., 24, § 4. XVI, c. 1036), ce qui était, je crois, calomnier un excellent serviteur de l'Empire. Bauto parait avoir bien organisé la frontière des Alpes contre les Alamans ; il lança contre ces derniers, dit-on, des troupes de Huns et d'Alains qui menaçaient l'Italie et la Gaule, barbaros cum barbaris fecit decernere (Ambroise, ibid., § 8, c. 1038).

[110] Zozime, IV, 44.

[111] Omnes Scythicæ nationes confluebant, dit le Panégyriste pour l'armée de Théodose (Paneg., XII, 32) ; elle renfermait, ajoute-t-il, même des Huns et des Alains.

[112] Ce fut, sans aucun doute le second et l'élève de Bauto, et sans doute aussi un de ses magistri equitum ; Orose, VII, 35, 12 ; Zozime, IV, 53, 2 ; Eunape, fr. 53, p. 37, Muller-Didot.

[113] Comme magister (sans doute equitum), Arbogast commença par battre et tuer Victor, fils de Maxime, et que son père avait fait Augustus (Dessau, 788) ; Zozime, IV, 47, 1. — Naturellement, Francs et Saxons profitèrent de la guerre civile pour passer en Gaule, appeler peut-être par les généraux de Théodose (Ambroise, Epist., 24, § 4, c. 1036 ; 40, § 23, c. 1110). Grégoire de Tours raconte leur expédition (en 388 ?) d'après Sulpice Alexandre (Hist., II, 11, 9). Ils franchirent le Rhin sous les ordres de trois chefs, Gennobaud, Marcomer et Sunno, dévastèrent le pays de Cologne, et furent chargés par les généraux de Victor (magistri militares), Nanninus et Quintinus, lesquels en massacrèrent toute une bande apud Carbonariam [on place d'ordinaire cette forêt du côté de Tournai ; mais les Francs sont-ils allés jusque-là par la roule de Cologne à Bavai ? j'imagine qu'il doit s'agir des parties septentrionales des Ardennes actuelles]. Puis, tandis que Nanninus restait à Mayence, l'autre franchissait le Rhin à Nivisium [Neuss], entrait in Franciam, s'égarait dans les marécages et les bois, se laissait battre et perdait dans le combat le tribun des Joviniani [la legio des Joviani ou, plutôt, la troupe d'auxilia des Jovii ?J. J'ai identifié ce Nanninus avec le Nannienus de Gratien.

[114] En réalité, tant que Bauto vécut, Arbogast ne fut que magister equitum. Mais à la mort de Bauto (en 391 ?), il s'arrogea, à l'insu de Théodose, dit-on, le titre de magister militum ; Zozime, IV, 53, 2, Il a dû être retenu dans le devoir par la crainte ou le respect de Bauto, Ires grand personnage, très écouté, et que l'on regrette, faute de documents, de ne pouvoir connaître davantage.

[115] Il a dû naître en 371. La date du 18 janvier 366, donnée par Idace (Chr. Constant., p. 241, Mommsen), ne peut lui être appliquée.

[116] Ambroise, De obitu Valentiniani, Patr. Lat., XVI, c. 1357 et s.

[117] Zozime, IV, 33, 2, qui le réunit à Bauto sous un même éloge. On a interprété l'expression de Germanus exsul ou de barbarus exsul chez Claudien (IV cons. Hon., 74 ; III cons. Hon., 66), comme s'il avait été exilé par les Francs d'en face Cologne ; de là sa haine contre eux, gentilibus odiis (Grégoire de Tours, Hist., II, 9). C'est possible.

[118] Peut-être tant que vécurent Bauto et Ricomer. Jean d'Antioche indique, quoiqu'en brouillant les choses, les liens qui unissaient ces trois grands chefs : d'une part, il fait d'Arbogast le fils de Bauto, sans doute en traduisant mal une expression latine comme alumnus ; d'autre part, il nous dit que Ricomer recommanda Eugène à Arbogast et que celui-ci n'en fit un Auguste qu'après la mort de Ricomer ; Jean, p. 609, Muller-Didot.

[119] Grégoire, d'après Sulpice Alexandre, qui dut raconter en détail toute l'expédition d'Arbogast en Gaule : Voici les épisodes : 1° Réorganisation de l'armée du Rhin, en 389 ? avec Charietto et Sirius. 2° En 389, sur la sommation d'Arbogast, Marcomer et Sunno (regales, subreguli) viennent traiter à Trèves. 3° En 392, Arbogast passe le Rhin à Cologne, dévaste le pays des Brictère, [dénomination archaïsante des Ripuaires ? ripæ proximi, dit Grégoire], celui des Chamaves, et on parle même d'Ampsivariens et de Chattes [dénominations archaïsantes ?] : tout ceci est une campagne en aval de Cologne, et les ulteriores colles peuvent être celles de Haltern. 4° En 393, grande expédition d'Eugène au delà du Rhin, renouvellement général des anciens traites avec Alamans et Francs avant le départ pour l'Italie c'est l'éternelle et inutile histoire. Grégoire, Hist. Franc., II, 9. — Sulpicius Alexander, que nous ne connaissons absolument que par Grégoire de Tours, a dû écrire sous les fils de Théodose.

[120] C'est ce qu'on avait reproché, mais sans doute à tort, à Bauto sous Valentinien. Et de fait, il semble bien qu'Arbogast ait essayé d'abord de régner sous le nom de Valentinien (Grégoire, II, 9, d'après Sulpice Alexandre). Mais Valentinien ne voulut sans doute pas se laisser faire, encore que tout restera toujours mystérieux en cette affaire, qui se régla surtout dans l'ombre des salles du palais.

[121] Zozime, IV, 54, 4.

[122] Le 15 mai 392. La version officielle autour de Théodose fut celle du meurtre. Mais on parla d'abord de suicide volontaire ; Prosper, p. 463, Mommsen ; Rufin, II, 31 ; Sozomène, VII, 22 ; Philostorge, XI, 1, p. 132-3, Bidez ; etc. C'est Vienne, et non Arles ou Trèves, qui était la résidence de Valentinien ; Épit. de Cæs., 48, 7 ; Zozime, IV, 54, 6 (qui parle a ce propos du rempart, τό τεΐχος, de la ville).

[123] Cf. t. VIII, ch. I et II, surtout ch. II, § 2, 4 et 14.

[124] On a insisté sur le fait qu'il était rhéteur. Mais, comme tant de rhéteurs de ce temps, comme Ausone ou le Mamertin de Julien (voir Panegyr., XI), il est arrivé à de hautes charges au palais (Socrate, V, 25, P. Gr., LXVII, c. 649 ; Philostorge, XI, 2, p. 133, Bidez), et il était destiné au consulat et aux sublimes potestates des préfectures. — Eugène paraît avoir été doué de qualités sérieuses, Zozime, IV, 54, 4. Et il ne répugna même pas à faire la guerre, ce qui est extraordinaire chez un ancien rhéteur (sur le Rhin, Grégoire, H. Fr., II, 9 ; dans la guerre civile, Sozomène, VII, 22).

[125] Arbogast a dû le comprendre et le vouloir : il réserva dès le début toutes les charges militaires aux Francs.

[126] Cf. Grégoire de Tours, Hist. Francorum, II, 38.

[127] Je ne trouve aucune trace de guerres soutenues par Arbogast et Eugène avant le départ contre Théodose, sauf les expéditions sur le Rhin.

[128] Ambroise, Epist., 57, § 6, P. L., XVI, c. 1176.

[129] T. VIII, ch. III, § 1-4.

[130] Sozomène, VII, 22 ; Rufin, Hist. ecclés., II, 32 ; etc.

[131] Ambroise, De obitu Theodosii, § 34, Patr. Lat., XVI, c. 1396 ; etc.

[132] Eugène, qui parait avoir été d'abord assez hésitant entre Chrétiens et païens (je me le représente assez semblable à Ausone), finit par accorder le rétablissement des autels et des frais de culte ; Ambroise, Epist., 57, § 6, P. L., XVI, c. 1176 ; Rufin, II, 33, P. L., XXI, c. 539 ; Paulin, Vita Ambrosii, § 26, P. L., XIV, c 36.

[133] Cf. t. VIII, ch. III, § 6.

[134] Ambroise, à propos de la retraite de Paulin en 390 (Epist., 58, § 3, P. L., XVI, c. 1179) : Hæc obi audierint proceres viri [expression habituelle pour désigner les sénateurs ou viri clarissimi], quæ loquentur ? Ex illa familia, illa prosapia, illa indole, tanta præditum eloquentia, migrasse a senatu, interceptam familiæ nobilis successionem : ferri hoc non posse.

[135] Cf. Ambroise, Epist., 57, § 6, XVI, c. 1176 : Præcellentibus in republica, sed gentilis observantiæ viris.

[136] L'œuvre s'arrête en 378.

[137] Tout compte fait, Claudien ne doit pas être plus chrétien qu'Ausone ou Eugène. Edition Jeep, 1876-9.

[138] Edition Seeck, 1883 (Monumenta Germaniæ).

[139] Après la défaite de Maxime, Théodose s'installe à Milan en 388, y célèbre sans aucun doute le 1er janvier 389, ne va à Rome qu'en juin, est de retour à Milan en novembre pour le 1er janvier 390, y passe l'année 390, y est pour le 1er janvier 391, et n'en repart qu'en été pour Constantinople.

[140] Songeons au rôle d'Ambroise auprès de Théodose.

[141] Virius Nicomachus Flavianus, consul au 1er janvier 394, préfet du prétoire en Italie à titre légitime jusqu'au début de 392, de nouveau (et peut-être sans interruption) à la fin de 393 pour le compte d'Eugène ; Sozomène, VII, 22.

[142] Voyez le Carmen contra paganos, vers 57-77 (Poetæ Lat. minores, Bæhrens, III, p. 289-290), et le Pseudo-Cyprien, Ad senatorem, 6-23 (édit. Hartel, Scriptores eccl. de Vienne, III, III, p. 302).

[143] Pour tout ce qui précède, Sozomène, VII, 22.

[144] Paulin, Vita Ambrosii, § 31, P. L., XIV , c. 37.

[145] Sulpice, Vita Martini, 25.

[146] Rufin, II, 33, P. L., XXI, c. 539. J'accepte les conclusions de Tillemont, Théod., art. 78.

[147] Rufin, II, 33.

[148] Augustin, De civ. Dei, V, 26, p. 239, Dombart ; Théodoret, V, 24, P. Gr., LXXXII, c. 1252. C'est, dans une certaine mesure, le retour à la religion proprement latine de Dioclétien.

[149] Cf. Sozomène, VII, 21.

[150] Rufin, II, 33.

[151] Ricomer étant mort (et il est à remarquer qu'il était lié avec Arbogast et Eugène ; Zozime, IV, 54, 2-3), les hautes fonctions cessent d'appartenir aux Francs, et sans aucun doute à dessein. Les généraux de Théodose sont Abundantius, de la Scythie romaine, consul en 393, magister utriusque militiæ après Ricomer (392-393 ; Zozime, V, 10, 7 ; C. Th., XII, I, 128), Timasius, consul en 389, dont je ne sais l'origine, sans doute successeur du précédent dans la direction générale des armées (Zozime, IV, 57, 3), et, au-dessous d'eux, Gainas, goth, Saul, sans doute aussi goth, Bacurius, arménien, Stilicon, vandale, Alaric, goth ; Orose, VII, 38, 2 ; Zozime, IV, 57, 3-4 ; V, 5, 5.

[152] Collectis Francorum Gallorumque viribus ; Orose, VII, 35, 12.

[153] Zozime, IV, 58 ; Socrate, V, 25 ; Sozomène, VII, 24 ; etc. Le 6 septembre.

[154] Les généraux francs semblent alors tous avec Théodose.

[155] Il est bon de répéter à ce propos que le grand chef militaire de l'Empire au moment du gouvernement d'Arbogast en Gaule, le Franc Ricomer, était, particulièrement lié avec son compatriote et avec Eugène et que c'est à sa recommandation qu'Arbogast emmena le rhéteur avec lui (Zozime, IV, 54) : on a donc le droit de se demander s'il n'y a pas eu à l'origine collusion entre ces trois hommes.

[156] Voyez le texte d'Orose, VII, 35, 12.

[157] Songeons à l'affaire de Thessalonique en 390.

[158] Il faut dire qu'il ne tarda pas à mourir, le 17 janvier 395, à Milan. Mais son fils Honorius, qu'il venait de faire Auguste (20 novembre 393), sans aucun doute pour l'Occident, ne fut pas envoyé en Gaule et n'y alla pas davantage durant tout son règne. Cf. t. VIII, ch. 1, § 3.

[159] Voyez le Panégyrique de Pacatus, prononcé devant Théodose dans l'été de 389 et à Rome (XII, 47 et 23). — Il semble évident que ce Pacatus, Latinius [plutôt que Latinus ?] Pacatus Drepanius, est le poète et rhéteur ami d'Ausone (Opera, XX, XXIII, XXVII, Schenkl) et de Symmaque (Epist., VIII, 11-12). C'est en tout cas un Gaulois, et il rappelle très volontiers son origine, dont il est fier (§ 1, 2, 23, 24, 47). On a pu supposer qu'il avait vécu ou enseigné à Agen (Sidoine, Epist., VIII, 11, 1-2) ; mais il est à remarquer qu'il déclare venir de l'extrême Ouest de la Gaule, ab ultimo Galliæ recessu, qua litus Oceam eadentem, excipa solem, § 2 : et cela peut signifier, entre autres cités, celle de Bordeaux.

[160] Voyez l'éloge particulier que l'Expositio, § 58 donne à Trèves et Arles parmi les villes occidentales de l'Empire.

[161] Je n'ai pas à mettre en ligne de compte Dioclétien, qui se hâta d'envoyer Maximien en Gaule.

[162] Il faut se rappeler à ce propos sa prééminence sur l'Espagne et la Bretagne, d'ailleurs dépendantes du préfet du prétoire des Gaules (Not. dignit., Occ., 3). Cf. t. VIII, ch. I, § 3, 4 et 6.

[163] Galliam provinciam quæ, cum maxima sit, et imperatorem semper eget : hunc ex se habet. Civitatem autem maximam dicunt habere quæ vocatur Triveris, ubi et habitare dominus dicitur. Texte de l'Expositio mundi, § 58, dans Riese, Geographi Latini minores, p. 121. L'opuscule datant sans doute de Constance II et du temps (de 340 à 349) de la suprématie d'Antioche (§ 23), il peut s'agir ici de Constantin II ou de Constant, encore que l'expression ex se paraisse désigner bien mieux Magnence (comme on l'a dit, Riese, p. XXX) : mais Magnence, précisément, ne fut sans doute pas maître à Trèves.

[164] Arbogast y séjourne pendant que Valentinien II reste à Vienne (Grégoire, Hist., II, 9, p. 74, Arndt), et, quand Maxime occupe l'Italie, c'est à Trèves qu'il laisse les chefs chargés de garder à la fois son fils et la Gaule, quibus infantiam filis et defensionem Galliarum commiserat (Grégoire, ibid., p. 72).

[165] T. VIII, ch. I, § 6.

[166] Sans preuve décisive, je crois que le transfert de la préfecture du prétoire, peut-être d'abord à Vienne, puis à Arles, ne doit pas se placer très tard après 394, et doit être la conséquence de la victoire de Théodose. Peut-être la chose a-t-elle été organisée par le grand préfet des Gaules à cette époque, Vincentius, de 395 a 400. Il me semble que la résidence à Arles est un fait acquis dès la préfecture de Petronius, 401-405 (loi de 418 sur l'assemblée d'Arles, Hænel, Corpus legum, p. 238, où Petronius est dit l'instigateur de cette assemblée : hoc jam et vir illustris præfectus Petronius observart debere præceperit).

[167] Voyez la chronologie du Code Théodosien, édit. Godefroy-Bitter, p. CXLII et s., celle de l'édit. Mommsen, p. CCCXXIV et s., et les Regesten de Seeck, p 284 et s.. Honorius, vers 402, abandonna Milan pour Ravenne, encore plus éloignée de la frontière du Rhin. A ce compte, c'est à Rome qu'il eût fallu revenir.

[168] Route par Côme, le Splugen, Coire et le lac de Constance : 138 milles, Itin. Ant., p. 277-8.

[169] Cela apparaît dans le répertoire militaire de la Notitia dignitatum, que je  persiste à placer vers 400 (t. VIII, ch. I, § 3). Elle marque, comme troupes d'infanterie (Occ., 7), 37 corps ou éléments en Italie (dont 19 de seniores et 9 de juniores), tous sans doute au voisinage de l'empereur (il y en a au moins 28 qui sont des unités dites palatines), contre 47 en Gaule (dont 7 de seniores et 10 de juniores). Et parmi ces corps de seniores campés en Italie, il y a les 6 légions que je crois les plus célèbres de l'Occident, Joviani et Herculani, Divitenses et Tungrecani, Pannoniciani, Mœsiaci, et, ce qui est peut-être plus grave, il y a les plus fameux auxiliaires de ce temps, que nous venons de voir pendant tout le siècle aux postes de danger sur le Rhin, Celtæ, Heruli, Batavi, Petulantes, Cornuti, Bracchiati, Mattiaci, Jovii, Victores, Regii. Seuls, les juniores de quelques-unes (Mattiaci, Bracchiati, Batavi, Jovii) de ces troupes sont restes en Gaule. La Gaule est un peu plus favorisée pour la cavalerie (12 unités contre 7 en Italie), mais l'Italie n'en garde pas moins, en tout ou partie, quelques-uns des escadrons les plus célèbres (ceux des Bracchiati, Cornuti, Comites Alani, Mauri Feroces), et il ne faut pas oublier que, avec l'empereur, elle a les cinq scholæ des troupes du palais, l'élite de l'armée. Cf. t. VIII, ch. II, § 4.

[170] Cimetière militaire des environs de Concordia (Corpus, V, p. 1058 et s.).

[171] Voyez le chap. sur l'armée, t. VIII, ch. II, surtout § 6.

[172] Voyez Zozime, V, 26, 6.

[173] Voici les lieux de garnison des Francs d'après la Notitia : 1° et 2° en Thébaïde d'Égypte, ala Prima Francorum [?] et cohors Septima Francorum (Or., 31, 51 et 67) ; 3° en Phénicie, ala Prima Francorum (Or., 32, 13) ; 4° en Mésopotamie, Octava Flavia Francorum (Or., 36, 33) ; 5° en Occident, il n'y a que les Læti Franci, de Rennes (Occ., 42., 30), qui ne pouvaient être déplacés ; 6°, 7° et 8° comme troupes plus spécialisées, les Satii, qui ont le titre éminent de auxilia palatina, se partagent entre l'armée præsentalis d'Orient (Or., 5, 51), l'armée de Gaule (seniores ; Occ., 7, 67) ou les troupes d'Espagne (juniores Gallicani, Occ., 7, 129) ; 9° Il y a des Chamavi en Orient, en Thébaïde (Or., 31, 61, cohors Undecima Chamavorum).

[174] On a précisément indiqué sous Théodose de ces déplacements ou dépaysements de troupes (Zozime, IV, 30, 3).

[175] Suite des préfets. — Préfet de Maxime en 385-6, Flavius Enodius, qui eut à juger Priscillien (Chr. de Prosper, p. 462, Mommsen ; Sulpice, V. Mart., 20, 4 ; Chron., II, 50, 7). — Il a pu être précédé ou suivi par Auspicius (Sulpice, Dial., III, 6). — Préfet du jeune Valentinien en 389, Constantianus (Code Th., V, 1, 4 ; VI, 26, 5 ; XV, 14, 8). — De même, en 390, Neoterius (C. Th., X, 18, 3 , cf. Seeck, Regesten, p. 110). — Sans doute dès la victoire de Théodose sur Eugène, Vincentius, que nous trouvons dès le 5 juillet 395 (C. Th., XV, 1, 33) et qui restera jusqu'en 400 : c'est celui dont parle Sulpice Sévère (Dial., I, 25, 6), virum egregium et quo nullus sit intra Gallias omni virtutum genere præstantior ; c'était donc un fervent Chrétien.