HISTOIRE DE LA GAULE

TOME VII. — LES EMPEREURS DE TRÈVES. - I. - LES CHEFS.

CHAPITRE VI. — VALENTINIEN[1] ET GRATIEN.

 

 

I. —  VALENTINIEN EMPEREUR DE FRONTIÈRE.

Le départ de Julien n'avait point compromis la paix de la Gaule. Mais à la nouvelle de sa mort[2], les Barbares se mirent en mouvement, Alamans du côté de la Germanie Supérieure, pirates saxons sur l'Océan[3]. Seuls, les Francs du Rhin restèrent immobiles, les uns fidèles aux traités, les autres plus qu'à moitié sujets de l'Empire.

Par bonheur pour l'État romain, après quelques mois d'un Auguste insignifiant, Jovien[4], le conseil des hauts dignitaires de l'Empire, réuni à Nicée, confia la pourpre à Valentinien[5]. C'était un officier supérieur, connu de tous par sa bravoure, dur pour les autres et pour lui-même, souvent colère et cruel, mais soldat dans l'âme, chef expérimenté, quoique nullement étranger aux choses de la vie civile. Chrétien sincère mais tolérant, et au besoin ami des belles-lettres et déférant pour les intellectuels[6].

Ce choix avait pour la Gaule un inestimable avantage. Valentinien venait d'y servir à la frontière du Rhin, il avait pris part aux campagnes de Julien, c'était au delà des Alpes qu'il avait fait l'apprentissage du commandement. Il connaissait mieux que pas un les dangers qui menaçaient de ce côté et la manière de les écarter.

On l'a comparé avec raison Hadrien[7], l'infatigable visiteur des garnisons de l'Empire. Mais Valentinien fit autre chose qu'inspecter des camps et des forteresses : il ne cessa d'alerter ses hommes, non pas pour des parades, mais pour de rudes combats, laissant aussi peu de repos aux Barbares du voisinage qu'aux troupes de couverture. Il fut vraiment un Auguste de la frontière. Avec lui, la garde au Rhin devint le devoir impérial par excellence.

Il remit donc à son frère Valens, qu'il s'associa comme Auguste, les provinces du Danube et de l'Orient[8], tranquilles en ce moment, et il partit pour l'Occident, arrangea à Milan les affaires de l'Italie[9], et gagna enfin la Gaule pour s'y installer demeure (365)[10]. A l'exemple de Julien, il établit d'abord sa résidence à Paris, où sans doute tout était encore prêt pour accueillir un empereur, Mais on pouvait s'attendre à ce que Trèves recevrait bientôt les faveurs d'un chef de cette allure, et qu'il ne la quitterait plus.

 

II. — JOVIN DÉLIVRE LA GAULE DES ALAMANS.

En Gaule, Valentinien trouva les choses terriblement gâtées. Les Alamans avaient franchi le Rhin en plein hiver[11], écrasé Charietto, le comte de la frontière[12], et, maîtres du pays, divisés en trois bandes, on les vit sur la Moselle près de Metz et sur la Marne près de Châlons[13] (365[14]).

Mais l'empereur était là[15], et à côté de lui[16] Jovin, le général de confiance de Julien[17]. Avec Jovin, on pouvait être en repos : Valentinien resta à Paris, lui laissant le soin de la riposte. Elle fut rapide et décisive. L'une après l'autre, les trois troupes d'Alamans furent exterminées, l'une à Scarponne près de Nancy[18], l'autre plus loin sur la Moselle[19], et la troisième, par un brusque retour de Jovin, près de Châlons[20]. Bien peu d'ennemis purent repasser le Rhin. On était encore en hiver[21], et les plaines de Champagne furent jonchées de cadavres, fugitifs massacrés par les Romains dans une poursuite impitoyable, blessés abandonnés et achevés par le froid[22]. Les jours de Julien étaient vite revenus[23]. Jovin rentra dans Paris en triomphateur, accompagné par l'empereur, qui était sorti à sa rencontre[24] (366[25]).

 

III. — VALENTINIEN ET GRATIEN À AMIENS.

Mais ce brillant fait d'armes serait sans lendemain, dans ce Occident de plus en plus exposé aux convoitises germaniques, si Valentinien ne se tenait pas sans cesse aux aguets. Pendant que Jovin dégageait la Gaule, les pirates saxons et francs descendaient en Bretagne et y commençaient leurs besognes de pillards[26]. Valentinien quitta Paris et s'établit à portée des rivages, à Amiens[27], d'où il expédia tour à tour dans l'île Jovin pour examiner la situation et le comte Théodose pour délivrer le pays[28] (367).

Pendant son séjour a Amiens, Valentinien tomba gravement malade, et ce furent alors les intrigues coutumières autour de la succession à l'Empire[29]. Pour en finir avec elles, l'empereur, une fois guéri, se hâta d'assurer son héritage à son jeune fils Gratien. Il lui conféra le titre d'Auguste[30], mais en stipulant que le jeune prince n'en exercerait le pouvoir qu'en Occident et seulement après la mort de son père[31] : ce qui était tout à la fois sanctionner le partage de l'Empire et en réserver le gouvernement à une seule famille de souverains[32]. Le système imaginé par Marc-Aurèle et développé par Constantin prenait de plus en plus vigueur.

La cérémonie de la proclamation eut lieu à Amiens, au Champ de Mars de la ville[33]. L'armée y était réunie ; l'empereur trônait sur l'estrade, entouré de tous les hauts dignitaires. Ce fut d'abord la présentation de l'enfant à l'assemblée : Valentinien, le prenant par la main, le montra aux regards des soldats et de la foule, et en quelques mots émus annonça son  désir de l'associer à l'Empire, les espérances qu'il plaçait en lui, appui souverain qu'il espérait de Dieu[34]. Puis eurent lieu les acclamations solennelles, au son des trompettes, aux cris des soldats[35]. Valentinien donna alors l'accolade à son fils, lui mit la pourpre sur les épaules et le diadème, au front[36] ; et enfin, prenant une dernière fois la parole, il conjura Gratien d'être un bon serviteur de l'État et ses soldats de rester fidèles à leur nouveau prince[37].

Les hommes qui ont su disposer de telles scènes et y faire une place égale aux sentiments de l'âme et aux spectacles des regards, ceux qui ont applaudi, les générations qui les ont aimées et celles qui se sont plu à les raconter, cet enthousiasme d'un jour se rapprochaient les noms des princes, de la patrie et de Dieu, tout donne à ce dernier siècle que vécut l'Empire une grandeur surhumaine et une merveilleuse beauté. Et je doute que dans les glorieuses années de Trajan ou d'Hadrien le monde romain ait vécu des heures plus émouvantes que celles du Champ de Mars d'Amiens. C'est donc à Amiens que furent inaugurés le règne de Gratien, et la nouvelle dynastie qui allait remplacer celle de Constance. Après Trèves, Arles et Vienne, Paris et Amiens devenaient le théâtre des grandes solennités impériales. Les villes de la Gaule, qui avaient si longtemps vécu d'une vie banale, s'agitaient alors d'une fièvre ambitieuse, secouées par le triple choc des batailles sur le Rhin, des crises d'État et des querelles religieuses[38] Le monde entier regardait vers elles.

Mais Amiens, comme Paris, ne devait être pour Valentinien qu'une résidence de passage. Après la proclamation de Gratien, il se rendit à Trèves[39] (automne de 367), et, jusqu'à sa mort, arrivée huit ans après, il ne cessa d'en faire sa capitale.

 

IV. — LA GARDE AU RHIN.

A Trèves[40], ce fut, pendant ces huit années, la garde au Rhin, une veille sans repos, où les soldats ne quittaient les armes que pour prendre la pioche du terrassier, où les guettes de la défense n'étaient interrompues que par de sanglantes trouées sur la rive droite[41].

Mais les Alamans, eux aussi, étaient sur le qui-vive, ils savaient profiter des bons moments. Un jour, Valentinien avait fait partir ses troupes de Mayence pour un de ces coups de main qui lui étaient habituels : derrière lui, les Germains entrèrent dans la ville, tandis que la population civile assistait en toute confiance aux offices d'une fête chrétienne, et ils n'en sortirent qu'en emportant tous les objets précieux, en emmenant des troupeaux d'hommes et de femmes destinés à l'esclavage[42]. C'était le second pillage de Mayence depuis quinze ans : on se demande quelle pouvait être alors l'existence dans ces villes de frontière jadis si riches et si heureuses[43].

De tels méfaits, l'impossibilité de traiter sérieusement avec de pareils brigands, donnaient aux Romains de véritables accès de rage. Valentinien entrait alors sur les terres germaniques, massacrant tous les êtres vivants, incendiant les maisons, détruisant les cultures[44]. Ces régions de frontière, des deux côtés du Rhin, allaient devenir des terres de désolation, ans maître et sans vie.

Il fallait en finir. On pensa y arriver par deux séries de mesures, l'une de négociations, l'autre de bâtisses.

Contre les Alamans de Souabe ou de Hesse on s'allia  aux Burgondes de Franconie[45] et on fit comprendre aux rois de tous ces peuples que la paix était possible avec Rome à condition de loyauté. Mais c'était là surtout affaire de mots : les actes, ce fut de reprendre le long. du Rhin, de Constance Nimègue, l'œuvre de Julien, d'Hadrien et de Drusus, de manière à ce qu'un rempart presque continu longeât toute la rive gauche du fleuve. Outre les places traditionnelles consacrées par quatre siècles de défense, on vit s'élever partout des camps, des redoutes, des tours, des terrassements[46]. Des têtes de pont ou de passage furent dressées sur le bord opposé[47]. A certains endroits, des pilotis étaient enfoncés dans le lit des rivières, et celles-ci, s'il le fallait, détournées de leur cours pour coopérer ou ne point nuire à la défense[48]. Une équipe d'ingénieurs habiles dirigeaient les travaux, que le soldat exécutait[49]. Ce fut la dernière fois qu'un empereur montra aux Barbares comment les Romains savaient bâtir[50]. Mais quand cette formidable muraille de deux cents lieues fut achevée[51], il devint évident que les Germains ne passeraient plus, à moins que les sentinelles ne fussent éloignées par incurie ou par trahison[52].

Alors, le principal adversaire de roi alaman du Taunus, de la Hesse et du Nassau, Macrien, se décida à traiter (374)[53]. Sur la rive droite du Rhin, une entrevue solennelle réunit le Barbare et l'empereur. Valentinien montra avec l'appareil grandiose d'un Auguste, Macrien, entouré de ses bandes hurlantes et gesticulantes. Mais l'entretien s'acheva dans le calme et la confiance, des serments furent prêtés par les deux chefs[54]. Et désormais, soit respect pour sa parole, soit orgueil d'avoir été traité d'égal à égal, Macrien se comportera en allié fidèle de Rome, en ami sincère et complaisant des empereurs[55].

Ce traité, le plus important qu'un chef latin ait conclu avec un dynaste rhénan, pouvait marquer une ère nouvelle pour les deux pays[56]. Que Rome parvint à imposer à tous les rois de la rive droite la paix et le travail, et elle ferait d'eux les avant- gardes de la civilisation et les bastions de son Empire[57]. Les Francs de la Germanie Inférieure acceptaient pour la plupart ce beau rôle[58] : récemment envahis par les pirates saxons, le Saliens de la Batavie et du Brabant s'étaient bien gardés de faire cause commune avec eux, ils avaient souffert en Romains, jusqu'au moment où l'armée de la frontière était venue les délivrer[59]. A l'autre extrémité de l'Europe, le glorieux souverain des Goths du Danube, Hermanaric, bâtissait son Empire sur le modèle de celui de Rome, et le gouvernait avec intelligence et sagesse, dans l'admiration et non point dans la haine de Constantinople, laissant libre accès aux marchands grecs[60] et aux prêtres de l'Évangile[61]. Si les évêques de Gaule et d'Illyrie comprenaient leur double devoir de Romains et d'apôtres, si la propagande religieuse complétait l'œuvre des traités et de la muraille de Valentinien, si l'Empire chrétien concentrait à sa frontière les forces associées de sa vie politique et de son influence morale, l'Europe tout entière verrait peut-être changer le cours de ses destinées, et n'aurait plus à craindre le retour offensif de la Barbarie[62].

Mais il fallait que son empereur ne quittât pas la frontière, qu'il oubliât le Tibre pour le Rhin et l'Italie pour la Gaule.

 

V. — LES BEAUX JOURS DE TRÈVES[63].

Trèves pouvait être la capitale de ce monde nouveau[64]. Elle arriva sous Valentinien à l'apogée de sa vie impériale. Le prince ne la quittait presque jamais, si ce n'est pour guerroyer à son voisinage. S'il était obligé de passer en Italie, il s'arrêtait à Milan[65]. On peut douter qu'il ait jamais visité Rome et pris séance au sénat.

Mais le sénat venait à lui, et l'empereur recevait ses délégués dans le palais de Trèves[66]. C'étaient les chefs de l'aristocratie romaine, les plus grands noms de la terre latine. Aux fêtes impériales des consulats et des anniversaires, l'Occident accourait sur les bords de la Moselle pour entendre les rhéteurs officiels célébrer en leurs panégyriques la gloire de Rome et d'Auguste[67]. Sur les routes qui conduisaient à Trèves, on montrait aux illustres voyageurs les forteresses qui rappelaient le

souvenir de Constantin[68], les colonies de paysans sarmates qu'on avait fait venir du Danube pour labourer les terres de Belgique[69], et les champs de bataille où les Césars avaient combattu les Barbares : et ces noms de vaincus et ces vestiges des grandes guerres faisaient de la Gaule, en prestige et en gloire, la rivale de l'antique Italie. On eût dit que l'histoire du monde se concentrait sur les rives du Rhin et de la Moselle.

Au milieu de la foule des soldats et des dignitaires circulaient les lettrés de l'Empire, rhéteurs et poètes. Car Valentinien, en digne héritier de Marc-Aurèle et d'Hadrien, les aimait et les attirait. Il avait compris la part qui revenait au travail intellectuel dans la puissance morale du peuple romain, et que la renommée de Cicéron et de Virgile était une source d'unité et d'énergie comparable à la discipline militaire ou à l'ordre administratif[70]. Pour son fils Gratien, dont il fit par ailleurs un soldat excellent, il choisit comme précepteur Ausone, professeur à l'Université de Bordeaux, le plus fameux des maîtres de ce temps ; et il l'accueillit au palais, non pas en domestique, mais en ami, lui décernant des titres et des honneurs qui firent lui l'égal des plus nobles[71]. Et le rhéteur d'Aquitaine s'apprêta à devenir aussi le Virgile des Augustes de Gaule, et il célébra dans ses vers les charmes de la Moselle, tout ainsi que le poète de Mantoue avait chanté la divine fortune du Tibre[72].

Aux yeux des Chrétiens eux-mêmes Trèves était une métropole de foi et de travail[73]. Elle avait été chère au premier empereur qui s'était approché du Christ, Constantin. Deux de ses évêques, Maximin et Paulin, s'étaient signalés dans le bon combat contre l'hérésie. Elle avait servi d'asile au grand Athanase persécuté. Les écrits des prêtres d'Orient n'y étaient point inconnus[74]. Une confrérie d'ascètes y vivait presque à l'ombre du palais impérial[75]. On y trouvait sans peine les ouvrages des évêques chrétiens, ceux d'Hilaire par exemple, et Jérôme les y copia de sa propre main[76] Car dans son long voyage d'exploration et d'étude à travers le monde chrétien, il ne manqua pas de venir à Trèves et d'y faire un utile séjour[77].

 

VI. — LES DERNIÈRES ŒUVRES D'HILAIRE.

Ce n'est cependant pas a Trèves que se décidaient alors les destinées de la Gaule chrétienne. Ses capitales morales étaient les résidences de ses deux plus grands évêques, Hilaire de Poitiers et son disciple Martin de Tours.

Hilaire trouva dans Valentinien un empereur tout différent de ce Constance qu'il avait traité de suppôt du diable. C'était, du souverain tolérant, le type absolu, et il faut descendre très bas dans l'histoire générale du monde pour trouver une pratique aussi parfaite de l'esprit de conciliation. Chrétien pour son compte, Valentinien demeura neutre dans toutes les affaires de religion ou les disputes de sectes, il n'inquiéta personne pour le fait de ses croyances, il n'imposa les siennes à personne[78]. Païens à leurs temples, Chrétiens à leurs églises, jamais la piété ne fut plus libre, et jamais le Christianisme gaulois ne fut plus maître de ses destinées[79].

Peut-être Hilaire, en dépit de ses colères contre les interventions impériales, eût-il préféré une politique plus agressive à l'encontre de l'hérésie. Il aimait avant tout la bataille[80], soutenu par ses dernières victoires et par le jugement de Dieu, qui avait fait périr tour à tour l'Antéchrist et l'Apostat. Au lendemain de la mort de Julien[81], il se rendit de Poitiers à Milan[82]. pour combattre le chef de l'Arianisme occidental, l'évêque Auxentius[83] ; et ce fut, dans la capitale de l'Italie, de grandes batailles théologiques qui rappelèrent les jours de Sirmium, de Séleucie et de Rimini[84].

Mais Valentinien ne l'entendait point ainsi. Il voulut que chaque cité fût maîtresse de garder l'évêque de son choix, et que cet évêque fût maître d'enseigner la formule qui lui plairait. Je me demande parfois s'il ne rêva pas d'un Christianisme dégagé de ses conciles régulateurs et de ses catéchismes impérieux, où les Églises diocésaines seraient libres chacune de fixer son dogme et d'établir ses rites, une religion à vie municipale, sans cette allure de corps unique et universel obéissant à une seule loi et à une hiérarchie savante, sans cette cohésion en puissance mondiale pour laquelle les sectateurs du Christ avaient été jadis persécutés par l'Empire et qui risquait, plus que jamais, de lui faire maintenant obstacle ou concurrence[85]. Toujours est-il que sous le gouvernement de Valentinien les conciles furent rares en Occident : la Gaule n'en vit qu'un seul, à Valence et à la fin du règne[86], et il n'eut à s'occuper que d'affaires morales et disciplinaires[87]. Quant à Hilaire, il fut invité à laisser tranquilles les Ariens de Milan et leur évêque, et à s'en retourner en Gaule[88].

Cela ne désarma pas l'incorrigible batailleur. A défaut de sa présence, il renvoya sa parole en Italie, et il écrivit contre Auxentius un pamphlet à sa manière forte, où il donna libre cours à ses colères de prêtre et à ses subtilités de théologien[89]. Mais, privé de l'appui impérial, il ne réussit pas à gagner celte partie très difficile ; et Auxentius resta jusqu'à sa mort inébranlable sur ce siège de Milan où il avait résisté vendant vingt ans aux assauts de l'orthodoxie gauloise[90].

Hilaire, pendant ce temps, en cette résidence de Poitiers qui parfois dut lui sembler une retraite, consacrait les dernières années de sa vie à de pieux travaux[91] et à des créations utiles : il continua à commenter les Livres Saints[92], il interpréta les Psaumes de David[93], il composa des hymnes pour les cérémonies des jours de fêtes[94], il décida ou il sanctionna la fondation, à Ligugé près de sa métropole, d'un monastère où ses prêtres vivraient en commun, à l'écart du tumulte et des tentations de la ville[95] : et peut-être, en tout cela, s'inspira-t-il de ses souvenirs d'Orient de ces années d'exil où il avait appris tant de choses[96]. Enfin, il sut se choisir un collaborateur qui devint son principal héritier, Martin[97].

 

VII. — MARTIN, ÉVÊQUE DE TOURS ; MARMOUTIER.

Martin[98], originaire des pays du Danube[99], était un ancien soldat du palais[100], qui avait quitté le service pour se consacrer au sacerdoce[101] mais à un sacerdoce à la façon d'Hilaire, d'action et de bataille. Il s'était mis aussitôt sous les ordres d ce grand chef[102], et, pendant l'exil de l'évêque de Poitiers, on l'avait vu en Illyrie au temps des conciles[103], à Milan lors des séjours de Constance[104], comme pour y représenter la volonté de son maître absent. Hilaire de retour en Gaule, Martin l'avait aussitôt rejoint[105]. C'était lui qui servait d'exorciste au prélat[106], fonction éminente dans l'Église de ce temps, car elle conférait l'autorité pour combattre les adversaires, le pouvoir de vaincre et chasser les démons fauteurs d'impiétés ou d'hérésies, d'arracher les âmes à Satan et à ses suppôts innombrables[107]. Mais ce même Martin, au lendemain des heures de lutte, savait révéler à ces mêmes âmes les bienfaits de la retraite et de l'intimité avec Dieu, et il fut le fondateur, le premier chef du monastère poitevin de Ligugé.

La sainteté de sa vie, le succès de ses exorcismes, une nature tout à la fois ardente, agitée et méditative, un caractère droit et ferme, et cependant humain et charitable, de la bonne grâce et de la bonne humeur[108], lui valurent une rapide popularité parmi les vrais Chrétiens de la Gaule, j'entends les Chrétiens du peuple, ceux qui vivaient vraiment par la foi, par la confiance en Dieu et en ses prêtres. Quatre ans après la mort d'Hilaire[109], les fidèles de Tours allèrent chercher Martin pour faire de lui un évêque, en dépit de l'opposition de quelques dignitaires du haut clergé[110] (372[111]).

Sa première œuvre épiscopale fut pour continuer la tâche commencée avec Hilaire son maître : il fonda près de Tours le monastère de Marmoutier, qui ne tarda pas à devenir le modèle de l'institution, l'ancêtre respecté de tous les couvents de Gaule[112].

Mais que ces mots de couvent et de monastère ne nous égarent pas sur le caractère de Marmoutier. Il y a là surtout des jeunes gens, des adolescents, qu'on prépare à la vie, et non pas qu'on retire d'elle [113]. Le vrai nom de ce groupement d'hommes serait celui de séminaire. Ils sont destinés, non point à vivre et à mourir dans cette retraite, mais à essaimer dans le vaste monde pour y devenir diacres, prêtres ou évêques[114]. On les élève dans la vocation sacerdotale, leurs occupations les destinent uniquement à l'Église militante : point de travail à la terre, la lecture des Évangiles, la copie des Livres Saints, et, surtout, l'assistance à l'évêque dans ses tournées et ses missions, à la fois l'école et l'apprentissage du gouvernement des âmes[115]. Entre Marmoutier et l'évêché, les rapports sont constants ; l'un ne va pas sans l'autre. Martin, sauf affaires à régler ou offices à célébrer, ne quitte pas le monastère, il vit avec ses élèves, qui sont ses ouailles de prédilection[116]. S'il s'absente au loin, quelques-uns l'accompagnent[117], et il leur montre comment et pourquoi on est chef d'Église. Il veut avoir un jour pour successeur un de ses prêtres de Marmoutier[118], et en attendant il les offre ou il les envoie comme évêques aux diocèses de la Gaule, grands ou petits. Marmoutier fut, sa vie durant, la pépinière des évêchés gaulois[119].

Or, ce qui manquait précisément à l'Église depuis sa fondation, c'était de veiller au recrutement de ses chefs. Ils étaient trop souvent choisis au hasard, au gré des riches protecteurs du diocèse ou par la collusion intéressée des évêques du voisinage[120], plus rarement dans un élan d'enthousiasme populaire qui paraissait alors d'inspiration divine. Il en résultait un personnel très mêlé, où, à côté d'un apôtre comme Martin ou d'un lettré comme Hilaire, se trouvaient des fils de nobles familles, qui voyaient dans l'épiscopat un honneur pareil à ceux du siècle, avec ses privilèges, sa vie fastueuse, ses grands repas et ses voyages à la cour. En face de ces évêques médiocres et mondains, Martin de Tours, comme son contemporain Ambroise de Milan, préparait l'avènement de véritables pasteurs des peuples suivant la formule de Jésus-Christ.

 

VIII. — LE CHRIST, MODÈLE DE MARTIN.

Lui-même, dans sa vie, prenait le Christ, pour modèle[121]. Martin est, je crois, le premier de cette lignée interminable de prêtres et d'hommes qui voulurent vivre la vie du Christ, et pour qui elle fut non seulement une leçon et un exemple, mais une manière d'être de leur corps et de leur âme. En cela encore, eux et lui ont manifesté l'excellence, la beauté irréductible du Christianisme, qui a mis à son origine une figure divine d'homme, et telle, qu'elle pût devenir pour tous les hommes l'idéal souverain de la vertu et de la bonté[122].

A Marmoutier, Martin vivait de la vie de ses moines[123], et il ne s'en départait même pas aux heures de résidence à Tours[124]. C'était l'absolue sévérité dans son costume, le manteau à longs poils et la tunique de bure du paysan gaulois[125] ; c'était la frugalité à sa table[126], et, à de certains jours, l'abstinence du jeûne, rituel ou spontané[127]. Mais il évita toujours les rigueurs de l'ascétisme à la mode chez les moines d'Orient, macérations inutiles ou tortures contre la chair[128]. Sans doute il reconnut la justesse de ce qu'un de ses disciples devait dire plus tard, qu'en Gaule un moine même doit manger à sa faim[129]. Et ce serait une singulière méprise pour un historien, que de comparer cet évêque simple, modeste et sobre, ennemi de tous les excès, vivant au milieu de ses élèves et des meilleurs des fidèles, toujours prêt à sortir de sa retraite et en quelque sorte de lui-même, ce serait une injustice que de le comparer à ces anachorètes de l'Égypte, enfermés dans leurs cellules, abîmant leurs corps sous le jeûne et leurs âmes sous la prière, inactifs et inutiles, et chez qui la piété n'était plus qu'une forme de l'égoïsme et de la vanité[130].

Mais ce même Martin faisait aussi contraste avec une autre catégorie de prêtres, celle des lettrés, interprètes subtils de l'Écriture, analystes infatigables de la substance divine. A cet égard, il réagit contre son maître Hilaire[131] : il ne connaît que la Bible, et il l'explique le plus simplement possible[132]. Sur elle, il n'écrira rien. Aucun ouvrage ne nous est resté de lui. C'est un prêtre qui enseigne le catéchisme, un prédicateur qui invite à la foi, ce n'est pas un docteur de l'Église, et il ne semble pas qu'il ait brillé dans les. discussions des conciles. Mais il n'en ressemblait que davantage au Christ, prêchant la bonne nouvelle sur les montagnes de la Galilée.

Il acheva de lui ressembler par la foison de miracles qui s'opéraient à son contact. En ceci, je touche à l'élément le plus mystérieux de la vie de Martin, et qui a été pourtant le plus fertile en conséquences pour la vie dévote de la France chrétienne. Ses contemporains ont vu en lui un puissant faiseur de prodiges, la postérité l'a répété, et comme, même couché en son tombeau, Martin a continué sa tâche merveilleuse, il est devenu le plus grand saint de la France[133]. Qu'y a-t-il exactement sous les récits de ce pin consacré aux dieux que l'évêque fait abattre et qui se détourne de soi-même pour ne point l'écraser dans sa chute[134] ? de ce couteau qu'un paysan lance contre lui et qui disparaît dans les airs au lieu de l'atteindre[135] ? de ce trône impérial qui s'enflamme et force Valentinien à se lever pour faire honneur au prélat[136] ? et, ceci le miracle par excellence qui était le rêve secret de tous les saints de ce siècle[137], de ce mort ressuscité à Ligugé avant même que Martin ne soit évêque[138] ? qu'y a-t-il dans ces épisodes innombrables de malades guéris[139], de démons chassés[140], d'apparitions surnaturelles[141], d'incendies éteints[142], de pêches extraordinaires[143], épisodes qui firent alors de la Touraine le plus beau champ de prodiges sur la terre chrétienne depuis que le Christ ressuscité avait quitté pour le ciel les chemins de la Palestine ? Était-ce illusions d'une minute chez des exaltés tout prêts à croire qu'un saint de Gaule pouvait renouveler les triomphes de Jésus[144] ? Était-ce propos populaires greffant sur le nom de Martin la végétation éternelle des légendes habituelles à la crédulité humaine[145] ? Martin se crut-il véritablement doué d'une puissance supérieure, d'une vertu venant de Dieu et lui donnant le droit d'agir en son nom[146] ? ou bien, habitué de longue date aux pratiques et à la psychologie de l'exorcisme, avait-il acquis une influence à demi magnétique qui lui donnait un réel pouvoir sur les âmes faibles ou passionnées de son entourage ? Le même angoissant problème se pose pour Martin comme pour le Christ. Mais l'essentiel n'en demeure pas moins vrai, c'est que la Gaule fut sincère et convaincue, lorsque de son vivant elle lui reconnut le don de faire des miracles. Et ce renom le rendit plus célèbre encore, et même plus utile à la propagande chrétienne, que la sainteté de sa vie et l'excellence de ses fondations. Ce fut dès lors une gloire pour un Chrétien que d'avoir touché Martin et d'être baptisé de sa main[147] ; et bien des païens à leur tour cherchèrent à s'approcher de lui.

Il resta quand même homme de bon sens et d'esprit critique. Souriait-il à moitié de ses miracles, lorsqu'il se déclarait moins apte à en faire depuis qu'il était évêque[148] ? Car il se rendait bien compte que la prélature est un médiocre état de préparation à la sainteté, et qu'un dignitaire de l'Église attire les démons plutôt qu'il ne les écarte. Lui-même était l'ennemi des croyances irréfléchies et des crédulités rapides. C'était le temps où les Chrétiens de l'Empire recherchaient partout les tombes des martyrs et leurs corps sacrés, reliques qui devenaient les instruments inusables de nouveaux miracles[149]. Martin, sans blâmer ces pieuses investigations, s'irritait de la légèreté ou de l'imprudence avec lesquelles elles étaient souvent conduites, et il s'emportait rudement contre ses ouailles, quand il les voyait affolées d'enthousiasme à la découverte d'un tombeau banal et se précipiter à la vénération de restes anonymes et d'ossements inconnus. Le peuple de Tours n'alla-t-il pas un jour jusqu'à honorer, comme sépulture de martyr, le lieu où avait été enterré un brigand de grande route ? Martin découvrit l'erreur et interdit au populaire ce culte aberrant et stupide[150] : il ne voulait dans son Église que des saints authentiques[151], l'erreur dans la foi lui était insupportable[152].

Il dut être gênant pour les pouvoirs publics, surtout sous Valentinien, homme d'autorité, sévère jusqu'à la cruauté, colère jusqu'à la folie[153], dont les comtes ou les préfets ne risquaient pas d'outrepasser es ordres impériaux en se montrant impitoyables[154]. Martin leur tenait tête, en invoquant les droits de la charité chrétienne[155]. Il lui arriva d'arracher des prisonniers d'entre leurs mains[156]. Plaire à l'empereur lui était indifférent ; et son entourage dut batailler pour obtenir de lui qu'il fit à Trèves et au prince le voyage et la visite dont aucun évêque ne songeait plus à se dispenser[157]. L'on dit même que Valentinien le reçut fort mal, et la légende ajouta que Dieu intervint par un miracle pour protéger le saint contre les grossièretés de l'empereur.

 

IX. — GRATIEN, MARTIN ET L'ÈRE DES CONVERSIONS.

La Chrétienté de Gaule complétait donc rapidement sa dotation morale[158]. Hilaire lui avait donné l'unité dans la foi ; Martin et lui avaient créé les séminaires où se formaient ses prêtres ; Martin encore déposait en elle les germes de gloire et de sainteté qu'étaient ses miracles ; et grâce à lui enfin elle devenait un foyer de propagande.

La majorité des Gallo-Romains n'était point arrivée au Christ. Il demeurait le Dieu qu'on adore dans les grandes villes[159], cher aux artisans, aux hommes des classes moyennes[160]. Mais les anciens cultes conservaient leur prestige parmi les populations rurales, qui étaient le plus grand nombre et la principale force du pays[161] : car, outre la masse énorme des paysans et des esclaves agraires, elles renfermaient ces puissants propriétaires terriens qui étaient alors les détenteurs de toute richesse et de toute influence[162]. Ceux-ci, sénateurs pour la plupart, élevés comme Julien dans le culte de Rome et de l'hellénisme, de Virgile et d'Homère, ne se résignaient pas à renier les dieux dont les noms présidaient aux souvenirs glorieux ou charmants du passé de la patrie ou de leurs journées d'étude. Et les petites gens de la campagne, de leur côté, ne pouvaient consentir à un Dieu qui condamnerait à disparaître les Génies de leurs bocages sacrés.

L'oubli s'était fait sans doute sur beaucoup de noms divins. Jupiter et Hercule, malgré la tentative de Dioclétien et de Maximien, n'étaient plus que des mots d'école, la victoire de Constantin leur avait enlevé toute réalité[163], et Martin se plaisait à traiter de vieille bête l'ancien dieu du Capitole, en qui personne ne croyait plus[164]. Mais Mercure gardait beaucoup de sympathies, et chez les paysans, dont il protégeait de ses idoles les collines et les fontaines[165] et chez les lettrés, auxquels il rappelait le mystérieux Hermès, législateur du monde[166] : en lui, c'était encore quelque chose qui survivait de l'antique Teutatès, présent partout et dominateur invisible, et, à Paris, Julien l'avait secrètement adoré. A côté de lui[167], le Gaulois Bélénus, tantôt en Apollon et tantôt en Mithra, conservait ses fidèles et ses fêtes, lui aussi en sa double nature de roi du ciel pour les lecteurs de Julien[168] et de génie de l'été pour les foules attroupées autour des feux du solstice[169]. Mais plus que par Mercure ou que par Apollon, la souveraineté du sol et des âmes était revendiquée par la Terre, mère et reine de tout et de tous, tutelle des cités qu'elle dominait de son front garni de tours[170], gardienne des champs qu'elle fécondait au printemps du haut de son char traîné par ses bœufs solennels[171], mère de Mercure sous le nom de Maia, sœur d'Apollon sous le nom de Diane[172], la plus ancienne des divinités de la Gaule, à laquelle tous les cultes du paganisme avaient tour à tour apporté des noms et des symboles ; et tandis que l'empereur Julien la vénérait comme sa Reine omnipotente[173], les villageois de Gaule la priaient comme leur bonne Mère, dans les oratoires voisins des bois ou des sources, sous l'ombre des pins au sombre feuillage qui lui étaient consacrés.

Tant que vécut Valentinien, aucun évêque, Martin pas plus que les autres, n'osa livrer bataille aux idoles. Mais quand le terrible empereur fut mort (375), trois ans seulement après l'avènement de Martin, les Chrétiens donnèrent enfin libre cours à leur propagande.

Le nouveau prince, Gratien, était un homme selon leur cœur, religieux, passionné pour la foi, orthodoxe, d'ailleurs d'une piété sincère et réfléchie, le premier Auguste qui ait réellement désiré le règne du Christ sur la terre[174]. Assurément, d'humeur douce et tolérante, élevé par son précepteur Ausone dans le culte des lettres classiques[175], il ne voulut jamais imposer une foi[176], contraindre des âmes, persécuter même les païens, et, contre les hommes, il s'interdit et interdit résolument toute violence[177]. Ce fut aux pierres et aux rites qu'il s'attaqua[178], enlevant des édifices publics les images et les autels des dieux[179], confisquant leurs domaines pour les donner aux Églises[180], abolissant les sacrifices publics[181], et répudiant pour son compte les titres de sacerdoces païens que tous les empereurs avaient acceptés jusque-là[182]. Le Christianisme devenait la religion de l'État, et la seule qu'il reconnût ; et le rhéteur Ausone lui-même, quoique païen d'esprit, assistait régulièrement aux fêtes de Pâques, en bon fonctionnaire de l'Empire[183].

Martin fut alors le plus actif et le plus énergique des propagateurs de la foi[184]. On le vit partout dans les campagnes de son diocèse[185] ou des diocèses voisins[186], et plus loin encore, jusqu'au lointain territoire des Éduens d'Autun[187]. Soit qu'il ait agi de sa propre autorité, soit qu'il ait reçu mission de l'empereur ou des évêques eux-mêmes[188], on l'entendit annoncer la bonne nouvelle sur la Seine[189] et sur la Garonne[190], sur le Rhône[191] et sur la Loire[192]. La Gaule avait en lui son saint Paul[193], mais un saint Paul de violence plus que de discussion, de victoire plus que de lutte. Il s'arrêtait dans les villages, allait droit au temple païen avec la troupe de ses disciples, convoquait ou ameutait le peuple, prêchait avec sa vigueur coutumière, c'était souvent la conversion subite et spontanée de la foule, le temple attaqué, les idoles mises en pièces, les murailles renversées, les pins sacrés abattus[194]. Mais c'était parfois aussi, quand les paysans se montraient récalcitrants, de vraies batailles, et peut-être les soldats de l'empereur accourant pour prêter main-forte à l'évêque[195]. En sa qualité d'apôtre, Martin tenait moins à convaincre qu'à vaincre, et la liberté des consciences ne l'intéressait guère.

Mais il ne détruisait que pour rebâtir aussitôt. Des oratoires chrétiens se dressèrent sur les ruines des temples ; des prêtres de Marmoutier étaient laissés pour les desservir ; et les dévots des villages, au lieu d'être obligés à de longues courses pour aller adorer leur nouveau Dieu en l'église épiscopale, lui apporteraient leurs prières et leurs vœux par les chemins familiers du terroir et aux places traditionnelles de leurs assemblées : on avait changé la nature de leur divinité, mais on n'avait point touché aux sentiers et aux lieux de culte[196]. Ces bourgades de la Touraine ou du Berry visitées par Martin, Amboise, Langeais, Ciran, Candes, Tournon, Clion ou Levroux, deviennent sous ses pas des paroisses rurales, des familles de fraternités chrétiennes[197].

Mais il visitait aussi les villas des grands seigneurs[198], alors beaucoup plus importantes dans la vie sociale et politique de la Gaule que toutes ces bourgades de paysans[199]. Et il faut bien qu'il y ait eu chez ce moine, dans sa parole, son regard ou son geste, une source mystérieuse de persuasion ou de commandement, puisque c'est alors, et à son contact, que se convertirent quelques-uns des principaux personnages de la Gaule, l'élite du monde intellectuel et de l'aristocratie foncière[200], et Paulin de Bordeaux, l'élève favori d'Ausone, le consul cher aux empereurs, l'espérance des lettrés et des patriotes, que ses innombrables domaines faisaient le roi de la terre d'Aquitaine[201] ; et Sulpice Sévère, lui aussi savant et riche entre tous, écrivain et avocat de mérite, mais qui rêva de devenir le Salluste de l'Église et le Suétone de Martin[202] ; et bien d'autres de leur milieu, adolescents de grande maison ou hauts fonctionnaires, ceux-ci couronnant leur carrière par la retraite dans la foi, ceux-là la brisant dès le début pour suivre le Christ[203]. On vit arriver dans le séminaire de Marmoutier d jeunes nobles, que leurs familles envoyaient s'y former à la prêtrise, comme en d'autres temps ils fussent allés à Marseille ou à Autun pour y étudier les lettres classiques. D'autres, et souvent parmi les plus riches, consacraient leurs filles à Dieu, et c'était de Martin qu'elles recevaient l'habit de la virginité sainte[204]. La grande brèche était faite dans le paganisme de la noblesse d'Empire.

Qu'il y ait eu en tout cela quelques actes de flagorneries l'endroit de Gratien, c'est possible : nul ne peut scruter fond les pensées de tous ces hommes. Mais la plupart de ces conversions me paraissent sincères, le résultat d'un mouvement d'enthousiasme ou de très profondes réflexions. Des nobles comme Paulin ou Sulpice, qui ne marchaient vers le Christ qu'en abandonnant le monde, perdaient à peu près tout sur la terre, honneurs et fortune, et l'amitié d'un empereur leur était parfaitement inutile et indifférente. Les habitants de l'Empire se sentaient emportés vers la foi nouvelle par un irrésistible courant, où l'intérêt de la vie mortelle avait la moindre part.

Il serait injuste de ne voir que saint Martin dans cette conversion de la Gaule[205]. D'autres prêtres ont dû l'imiter ou lui ressembler, et participer près de lui à la tâche de conquête : mais il ne leur est point échu, pour conserver leur nom ou glorifier leur œuvre, des disciples comme Paulin ou des biographes comme Sulpice. Delphin, évêque de Bordeaux, fut alors célèbre par sa sainteté ; et la sainteté, en Gaule et en ce temps-là supposait l'activité plus encore que l'ascétisme : c'était d'ailleurs l'ami de Sulpice et de Paulin, les élèves de l'évêque de Tours[206]. Victrice, évêque de Rouen[207], s'était chargé d'évangéliser les paysans ou les pêcheurs du Boulonnais et des Flandres, au milieu desquels vivaient déjà pas mal de Barbares Saxons[208] : ce Victrice était un prélat de grande valeur, bon écrivain, cher aux papes de Rome, organisateur intelligent des choses ecclésiastiques[209], et il était aussi l'ami de Martin[210]. Celui-ci demeure donc en Gaule, tout compte fait, le principal héros du Christianisme triomphant[211].

 

X. — GRATIEN ET LES GÉNÉRAUX FRANCS.

Gratien[212] fut un excellent empereur et surtout un excellent homme, assez semblable à Julien par le charme de sa jeunesse et son sentiment du devoir[213]. Depuis que Dioclétien a restauré l'Empire, il n'est aucun de ses maîtres, même Maximien le persécuteur et Constance le théocrate[214], qui n'inspire de la sympathie par quelque trait de son caractère ou quelque action de sa vie. L'humanité se régénérait, même en la personne ses princes. Nous ne voyons plus de ces atroces figures d'un Néron, d'un Domitien, d'un Commode, qui revenaient autrefois à chaque dynastie, comme pour montrer au monde le degré de laideur où l'exercice du pouvoir amenait les plus nobles lignées. Tous ces princes du quatrième siècle, tyrans ou porphyrogénètes, ont eu le souci de se conduire en empereurs ; aucun n'a vécu en despote de palais, oublieux de son office de chef et du service qu'il devait à l'État. On eût dit que l'image de Marc-Aurèle, sacrifiant sa vie pour sauver la frontière, ne quitterait désormais plus la chambre d'un empereur[215]. Cet Empire romain qui vieillit, mais qui dure et résiste, qui survit à toutes les catastrophes, offre maintenant une richesse spirituelle qui fait oublier les crimes de ses fondateurs et les sottises de sa vie. Et il y a moins de décadence morale et de déchéance physique dans ses dernières heures, celles de Julien et de Gratien, que dans son aurore sinistre aux journées César et d'Auguste.

Gratien subordonna sa vie aux nécessités de l'Empire, dans la mesure où il les comprit. Quand son père mourut à l'improviste (375[216]), les grands chefs militaires, et en particulier le Germain Mérobaud, exigèrent qu'on associât à Gratien, comme Auguste, son tout jeune frère, Valentinien, âgé de quatre ans seulement[217] : l'empereur ne voulut voir en cette prétention que le légitime désir de fixer dans une seule famille la succession régulière à l'Empire, il s'empressa de la confirmer, et, chargeant de l'éducation de son frère, il le prépara à devenir un bon empereur[218]. Trois ans plus tard, lorsque son oncle Valens, souverain en Orient, mourut au cours de la guerre contre les Goths (378)[219], Gratien jugea que son frère était trop jeune pour gouverner, et il désigna pour remplacer Valens le meilleur général de ce temps parmi ceux qui étaient d'origine romaine[220], Théodose, le fils du libérateur de la Bretagne (379[221]). En cette question si délicate du partage de l'autorité, Gratien ignora cette jalousie d'empereur à laquelle n'avait échappé aucun de ses prédécesseurs, pas même Julien.

Il n'avait la passion ni du pouvoir ni de la gloire[222] : sa grande joie était de vivre à Trèves[223], divisant ses loisirs entre des prouesses sportives[224] et des exercices littéraires[225], heureux de séjourner aux bords de cette Moselle chaude et riante qui, depuis l'œuvre de Valentinien, jouissait de la paix romaine dans toute sa plénitude. Pourtant, quand son oncle Valens fut attaqué par les Goths, il se hâta d'aller à son secours[226], et, comme les Alamans, dès son départ[227], se mirent à franchir le Rhin[228], il fit vite rebrousser chemin à ses troupes, appela à lui les réserves de la Gaule[229] ; et les Barbares, surpris et entourés près de Colmar[230], furent aux trois quarts massacrés[231]. Puis, il fit semblant de repartir pour le Danube, s'en alla traverser le Rhin au delà de Bâle[232], et, revenant sur les Alamans réfugiés chez eux, il en fit un nouveau carnage[233] : formé aux côtés de son père, Gratien avait été à bonne école[234]. Les Germains le comprirent, et, durant son long séjour en Orient, personne plus ne bougea, tant il avait, dit un contemporain, hébété les Barbares de l'Occident (378)[235]. Mais Gratien était aussi l'élève d'Ausone, et, quand il eut remis l'Orient à Théodose, il revint à Trèves[236] pour y reprendre, au milieu de ses rhéteurs et de ses poètes, le cours de son règne pacifique (379)[237].

On lui a reproché ces allures civiles et ces goûts paisibles, et de n'avoir point donné aux chefs militaires et à l'armée la part prépondérante qui leur revenait en ces temps de danger. Mais, à part cette échauffourée d'Alsace, jamais le Rhin ne fut plus en sécurité que sous son règne ; les remparts construits par Julien et Valentinien tenaient bon ; Trèves régnait sur des terres tranquilles[238] ; et pendant près d'un quart de siècle, ni autour de Bâle ni autour de Mayence nous n'entendrons parler d'invasions ou de périls[239]. Et quant aux maîtres de l'armée, je n'aperçois pas un seul instant que Gratien ait méconnu leurs services et leur valeur : il me semble, au contraire, c'est sous son règne qu'ils montent enfin au pinacle[240].

A l'école de Valentinien s'étaient préparés d'admirables généraux, qui sont un honneur pour ce dernier siècle de l'Empire : Nanniénus, prudent et réfléchi, soldat de carrière et d'expérience, qui fut pendant de longues années le gardien vigilant de la frontière du Rhin[241]. Mallobaud, au contraire hardi et passionné, toujours prêt à attaquer un ennemi, surtout si c'était un Alaman, et qui durant vingt-cinq années ne quitta jamais les côtés d'un empereur, tour à tour tribun au palais de Constance et comte des gardes de Gratien, ce qui ne l'empêchait pas de conserver son titre de roi des Francs[242] ; Malaric, son compatriote et son compagnon de grade au service du souverain, et qui aurait pu devenir, s'il avait été moins sage, maître de milice dans les Gaules[243] ; Mérobaud, le chef le plus respecté et le plus écouté de l'armée romaine, le conseiller des princes et le tuteur de l'Empire aux heures des périls imprévus[244] ; et, ceux-ci les trois plus grands et plus célèbres de tous, Ricomer[245], Bauto[246] et Arbogast[247] tous trois appelés à devenir les maîtres suprêmes de la milice de l'Empire.

Tous peut-être étaient des Francs, et sans doute parmi les plus nobles[248] : Mallobaud, dans sa nation, avait le titre de roi[249]. Mais, semblables à Silvain leur précurseur, cette qualité de roi des Francs n'était pour eux qu'une manière d'agir en Romains[250]. De Rome ils acceptaient et recherchaient tout, et les ordres du prince, et la mission de défendre la frontière, et le lustre des honneurs civils[251], et le plaisir de lire Virgile ; et à leurs mérites de serviteurs exemplaires et de pieux citoyens ils ajoutaient parfois une rudesse de nature qui rappelait les temps légendaires de Fabricius ou de Cincinnatus[252]. Mais c'étaient des Cincinnatus qui avaient des lettres : Ricomer aimait à s'entretenir avec les rhéteurs de la Grèce et les écrivains de Rome[253], et Bauto eut un jour la joie très rare d'entendre son panégyrique prononcé par Augustin[254]. Quelques-uns étaient chrétiens[255] ; la plupart demeuraient païens[256], non pas avec Wuotan, mais avec Isis ou Mithra[257]. Nul ne contestait plus leur droit d'arriver au consulat[258], au même titre que les Probus ou les Nicomaques de la plus haute aristocratie romaine[259]. La force et la grandeur de l'Empire reposaient sur la fidélité de ses Francs[260].

Mais déjà se préparaient les catastrophes qui allaient détruire l'œuvre des empereurs de Trèves, la dernière que les Romains aient bâtie dans la Gaule[261].

 

 

 



[1] Ce qu'il y a de plus soigné sur ce règne si original, demeure encore Richter, Das Westrœmische Reich besonders unter den Kaisern Gratian, Valentinian II und Maximus, 1865 ; cf. aussi Sievers, Studien, p. 273 et s.

[2] Le 27 juin 363.

[3] Ammien, XXVI, 4, 5.

[4] Du 27 juin 363 au 17 février 364. — Il y eut conflit, au sujet du choix de l'empereur, entre les anciens fonctionnaires de Constance et l'état-major de Julien, où étaient en particulier les généraux des troupes gauloises qui avaient accompagné Julien (proceres Gallorum), Ammien, XXV, 5, 2. — Jovien avait craint un instant la révolte de l'armée de Gaule, et de fait on massacra à Reims Lucillianus, beau-père du nouvel empereur, qui y était venu au nom de Jovien (XXV, 10, 6-7). Mais le gros des soldats, bien tenus en main par Jovin et ses sous-officiers (capita scholarum), accepta le nouveau régime (10, 8). Une députation de l'armée de Gaule (Gallicanus exercitus) fut alors envoyée à Jovien, qui la reçut solennellement à Aspuna en Galatie ; elle avait à sa tête Valentinien, le futur empereur, alors tribun, et que Jovien récompensa en le nommant avec ce titre à la tête de la schola secunda Scutariorum (des gardes du palais) ; XXV, 10, 6-9.

[5] Le 20 février 364.

[6] Ammien, XXX, 9 ; Épit. de Cæs., 45.

[7] Hadriano proximus, Épit., 45, 5.

[8] 28 mars 364 ; Ammien, XXVI, 4, 3.

[9] XXVI, 5, 4. De novembre 364 à septembre 365. C'est alors qu'il fit partir Hilaire.

[10] Il arrive à Paris au plus tard le 18 octobre 365 ; Code Théod., XI, 1, 13 ; cf. Ammien, XXVI, 5, 8. — Germanianus étant alors préfet dans les Gaules (XXVI, 5, 5), peut-être après la mort de Julien (cf. C. Théod., XI, 30, 30 [placer la loi en 363 ? Seeck, Reg., p. 70]). Il l'est encore en 366 (C. Th., VIII, 7, 9).

[11] Peu après le 1er janvier 365 ; sur la glace, et sans doute aux environs d'Augst, XVII, 1, 1 ; cf. XXVI, 5, § 7, 9, 12 et 13 (le récit d'Ammien est assez incohérent). — On recule d'ordinaire le fait en 366 : mais cela nous mettrait trop loin de la mort de Julien, cause essentielle de cette invasion (Ammien, XXVII, 1, 1), et les Alamans n'auraient pas ose se risquer en Gaule, Valentinien étant là.

[12] Charietto avait avec lui les Bataves et les Hérules, et, en outre, le comte [du tractus de Chalon et Séquanie ?] Severianus, accouru de Chalon [? la tradition des manuscrits porte Calidona], où il tenait garnison avec les Divitenses et les Tungrecani. Je ne sais trop où a eu lieu la bataille. Ammien la place sur une grande route après la jonction des deux troupes et au delà d'un pont sur un ruisseau ; XXVII, I. J'hésite à chercher ailleurs qu'aux abords de la trouée de Belfort ou en Alsace. Zosime (IV, 9) semble faire allusion à cette défaite des Romains, qu'il attribue surtout à la fuite des Bataves ; mais il fait intervenir Valentinien dans la bataille, et sans aucun doute à tort. Le combat ne fut d'ailleurs qu'avec la première bande des Alamans, et Charietto y périt.

[13] Une bande a pu pénétrer en Champagne par la route du Rhin à Langres, et de là à Châlons ; une autre, descendre sur Scarponne par Langres, la Meuse et la Moselle ; une troisième, atteindre la Muselle par le col de Saverne. Remis a pu être le point de mire des trois troupes. Tout cela est d'ailleurs très hypothétique.

[14] Fin de l'année.

[15] Il semble que dès la nouvelle du désastre il ait couru à Reims (adusque Remos progressus), lieu important pour les concentrations militaires. Les lois montrent que l'empereur y a séjourné de janvier à juin 366. — Valentinien reçut, à l'occasion de ce danger, une sorte de députations des villes nobles (de la Gaule sans doute), le suppliant de ne pas quitter le pays, par quoi la Gaule manifestait une fois de plus son désir d'avoir un empereur præsens ; Ammien, XXVI, 5, 12-14.

[16] Jovin ne reçus pas tout de suite la direction des affaires : elles furent, pour un motif que nous ignorons, confiées d'abord (printemps-été 365) à Dagalaifus, alors peut-être magister militum (militiæ rector, XXVI, 5, 2 : depuis Jovien ? contra, il est dit magister equitum, XXVI, 1, 3 : avant Jovien ?) et, dans ce cas, supérieur en titre à Jovin (n. suivante). Dagalaif était à Paris avec Valentinien (XXVII, 2, 1 ; fin de l'année 365) : mais il ne fit rien de bon, se déclarant incapable d'attaquer les Alamans dispersés partout ; XXVI, 4, 5 ; XXVII, 2, 1.

[17] Il est toujours magister equitum (XXVII, 2, 1), encore qu'Ammien l'appelle magister armorum à la mort de Julien (XXV, 8, 11 ; 5, 2). Jovien n'avait pu le remplacer par Malarichus, qui avait refusé (XXV, 8, 11 ; 10, 6) : c'est sans doute l'officier franc ami de Silvain. — La date de la maîtrise peditum de Jovin est très difficile à fixer. Si les suscriptions et dates du Code Théod. sont exactes, ce serait en janvier-février 367 (VII, 1, 10), l'année de son consulat, et en janvier 373 (VII, 20, 11). Mais d'autre part, Severus occupe cette fonction en août 367 (Ammien, XXVII, 6, 3) et encore en 371 et 372 (XXIX, 4, 3 ; C. Th., VII, 1, 11 ; VIII, 7, 1.1), et Jovin est encore magister equitum dans l'hiver 369-370, où le remplace Théodose (Ammien, XXVIII, 3, 9) Il est possible qu'il ait alterné avec Severus à la tête de l'infanterie entre 367 et 373.

[18] Prope locum Scarponna (Scarponne près de Nancy) ; Ammien, XXVII, 2, 1. Jovin dut aller de Paris à Metz et remonter ensuite la Moselle.

[19] Je suppose près de la Moselle (prope flumen), en aval de Metz, Jovin arrivant par un défilé boisé ayant vue sur la rivière (route de la rive droite ?), XXVII, 2, 3.

[20] Jovin a dû gagner les abords de Châlons en reprenant la route de Metz à Reims et redescendant de là par la grande voie militaire ; la bataille eut lieu en rase campagne, prope Catetaunos..., in aperta planitie ; XXVII, 2, 4-7.

[21] Asperitate frigorum (XXVII, 2, 8) : en mars-avril 366 au plus tard.

[22] XXVII, 2, 4-9. Ammien indique, comme ayant pris part a la bataille, les Armaturæ ou gardes du palais, et les Ascarii, auxiliaires qu'on croit être des pontonniers, et qui dans ce cas ont pu être utilisés pour passer la Marne à l'insu de l'ennemi et le tourner per iter aliud (2, 9). — Ammien donne les chiffres, à proportions étranges, de 6000 morts et 4000 blessés pour l'ennemi, 1200 morts et 200 blessés pour les Romains.

[23] Il y eut sans aucun doute, en 365, 366 et plus tard, d'autres combats contre les Barbares, qu'Ammien néglige (XXVII, 2, 11). Et ce parait avoir été surtout contre les bandes de pirates saxons et francs (XXVII, 8, 5), et, entre autres, combats sur le Rhin et le Wahal où se signala Théodose le père de l'empereur (Paneg., XII, 5).

[24] Redeanti Parisios imperator occurrit ; XXVII, 2, 10. Comme, d'après les dates des lois, Valentinien est resté à Reims de janvier à juin 366, et de nouveau en novembre, il est probable qu'il a dû revenir à Paris pendant l'été, les opérations ayant sans doute pris fin de bonne heure. — La localité Veronæ (signature de la loi du 6 décembre 366, VII, 20, 9) dissimule quelque villa ou prætorum du pays de Reims, et non pas Veromandui (Vermand), comme le suppose arbitrairement Seeck (Regesten, p. 228). De même, le Mantebri de la loi du 17 sept. 366 (et non 365, comme le veut Seeck : XII, 6, 1).

[25] Une inscription célèbre de Reims, conservée par Flodoard (Hist. ecclés. Rem., I, 6, Patr. Lat., CXXXV , c. 40 : Corpus, XIII, 3256), est une longue dédicace métrique qu'on disait être celle de la basilique cimétériale de Saint-Agricole (Saint-Nicaise), laquelle aurait été construite ou décorée par Jovin (corporis hospitium lætus metator adornat) : mais je ne peux renoncer à l'idée qu'il s'agit de son épitaphe et de sa tombe. Il y est appelé bis datus mentis equitum peditumque magister, ce qui peut être qu'une allusion à ses maîtrises successives de la cavalerie et de l'infanterie, mais signifier aussi qu'il a été deux fois maître général des deux milices. L'inscription montre en tout cas qu'il était absolument chrétien. — Quant au tombeau dit de Jovin à Reims (Espérandieu, n° 3677 ; représentation de chasses), c'est très certainement une œuvre du premier siècle et ne pourrait mériter son nom que s'il était prouvé qu'il a été remployé pour recevoir la dépouille de Jovin : ce pour quoi nous n'avons aucun indice.

[26] XXVI, 4, 5 (il n'est question ici que des Saxons) ; XXVII, 8, 5.

[27] Cf. Ammien, XXVII, 8, 1. Il s'agissait sans doute aussi pour lui de protéger les rivages de la Gaule contre les pirates (XXVII, 8, 5). — Il resta à Reims jusqu'au milieu de l'été (Nemasia, dans la loi du 4 août 367, XII, 7, 3, doit être quelque villa entre Reims et Amiens). Il est à Amiens dès le 18 août (VIII, 14, 1).

[28] Ammien, XXVII, 8. Théodose fit venir les quatre corps des Bataves, Hérules, Jovis et Victores, troupes vaillantes entre toutes, débarqua à Ratupiæ (Richborough près de Sandwich) et prit Londres pour point de départ des opérations. — Il est question, à propos d'elles, de guerre navale contre les Saxons et peut-être contre les Irlandais (Scotii), qui avaient commencé à descendre en Bretagne ; Paneg., XII, 5 ; Ammien, XX, 1, 1. — Ce sont sans doute ces guerres de Bretagne qui ont valu a Valentinien le titre de Francicus Maximus (en 369 ; Corp., VI, 1175), l'expression de Francs englobant certainement les Saxons dans la terminologie officielle.

[29] XXVII, 6, 1-3.

[30] Et non de César, ce que remarque Ammien (6, 16), et en cela, dit-il, il suivit l'exemple de Marc-Aurèle (que les princes de ce temps prenaient toujours pour modèle). Gratien, né en 359, avait donc 8 ans.

[31] Cela résulte des faits.

[32] C'est ce qu'indiqua une acclamation officielle de la cérémonie, familia Gratiani [le père de l'empereur] hoc meretur ; 6, 14. — Ce besoin de légitimité, ce désir de créer une dynastie ou de se rattacher aux anciennes dynasties, si sensible au IVe siècle, se montrera encore par le mariage de Gratien avec Flavia Constantia, la fille de Constance II, et peut-être aussi par celui de son père Valentinien avec Flavia Justina, la veuve de Magnence. Cf. t. VIII, ch. I, § 2.

[33] In Campum ; 6, 5. Je ne sais où a pu être le Champ de Mars d'Amiens : peut-être sur l'emplacement de la Citadelle ? — Le 24 août 367.

[34] XXVII, 6, 6-9 (propitia Cælestis Numinis, prospera Deo spondente).

[35] XXVII, 6, 10. Cf. t. VIII, ch. I, § I.

[36] XXVII, 6, 11.

[37] XXVII, 6, 12-13.

[38] Les chroniqueurs parlent à ce moment d'une pluie de laine dans l'Artois sous Valentinien (Jérôme, ad a. Abr. 2383 [367] ; Orose, VII, 2, 8 ; Frédégaire, II, 45) : j'interprète cela comme signifiant une réorganisation de manufactures de drap du pays.

[39] Ab Ambianis Treveros festinans, Ammien, XXVII, 8, 1. Il alla à Trèves au plus tard le 13 octobre (C. J., VI, 4, 2), en faisant le détour par Reims (8 octobre, C. Th., IX, 40, 10 ; XIV, I, 4).

[40] Remarquez l'abandon absolu d'Arles.

[41] Tout ceci a été très bien vu par Zosime, IV, 12, 2.

[42] En 368, XXVII, 10, 1-2 : il s'agit d'un regalis ou prince alaman, nommé Rando, lequel avait préparé son coup de longue main. — On a supposé que le fameux médaillon de Mayence représentait Valentinien et Gratien ramenant et réconfortant les captifs faits par ce chef (Unverzagt. Germania, III, 1919, p. 74-78) : mais le style de l'objet rappelle, comme les figures, le temps de Dioclétien, et Gratien, qui clan alors un enfant, n'eût pas été représenté en homme fait.

[43] On pouvait certainement dire alors de Mayence ce qu'Ammien dit de la grande place de Carnuntum sur le Danube (près de Vienne) pour la même époque (XXX, 5, 2), oppidum desertum quidem nunc et squalens, sed ductori exercitius perquam oportunum.

[44] Expédition de 368, qui parait avoir été particulièrement importante (solitis gravior), avec renforts venus d'Italie et d'Illyrie : départ de Mayence [?], le Mein franchi, combat près de Soliconmum [Solicinium d'après l'édition de Gelenius], autour d'un massif de hauteurs voisin de marécages, retour à Trèves ; engagés, les Scutarii et les Gentiles du palais, et la légion des Joviam ; côté de Valentinien et de Gratien, les deux magistri rei castrensis Jovin et Severus. Ammien, XXVII, 10, 5-16. Ce doit être en partie la route suivie par Julien en 359. On a, je crois à tort, identifié Solicinium avec Sumelocenna (Rottenburg dans les Champs Décumates). On a plus justement proposé, comme le lieu de la rencontre, le Schweinsberg près de Heilbronn. — Expédition de 369 au mons Piri (XXVIII, 2, 5-9), au cours inferieur du Neckar : vers Heidelberg ? le Heiligenberg ? (Corp. inscr., XIII, II, p. 225 ; Schumacher, II, p. 116) ; il est à Brisach le 30 août. — A cette expédition bien plutôt qu'à la précédente doivent se rapporter les renseignements d'Ausone parlant de Valentinien et Gratien occupant Lupodunum (Ladenburg, la ville des Suèves) et par-dessus le Neckar atteignant les sources du Danube (à moins que ce ne soit une amplification poétique ; voyez ses deux Epigrammata, 4 et 5, ad fontem Danuvii, et Moselle, 423-4), expédition dont Ausone, qui a dû y assister, ramena son esclave Bissula, virguncula Sueba, conscia nascentis Danuvii (Rissula, 4). — Campagne de 370 par la Rétie, sous la direction de Théodose, magister equitum ; Ammien, XXVIII, 5, 1 ; Paneg., XII, 5. — Expédition de 371, au départ de Mayence, par Wiesbaden (Aqua Mattiacæ), usque ad quinquagesimum lapidem, 75 kil., ce qui mènerait singulièrement loin, soit à la hauteur d'Andernach en aval du Rhin, soit bien au delà de Hanau en amont du Mein : j'incline vers la première solution, et qu'on a suivi l'ancienne route militaire, qui bordait le limes vers le nord, de Zugmantel à Niederbieber ; retour à Trèves. Valentinien a avec lui Severus, encore ou de nouveau magister equitum, et Théodose (l'ancien), sans doute magister equitum ; Ammien, XXIX, , 2-7. — Dans l'ensemble, on a dû parcourir, et systématiquement, tout l'ancien territoire des Champs Décumates.

[45] En particulier en 370 (XXVIII, 5, 9-14 ; XXX, 7, I1 ; Symmaque, Orat., II, 13, p. 326). Il est bon de ne pas oublier ces longs rapports d'amitié des Burgondes avec Rome, pour comprendre la suite de leur histoire.

[46] Ammien, XXVIII, 2, 1 (à la date de 369) : Valentinianus, magna animo concepiens et utilia, Rhenum omnem a Rætiarum exordio adusque fretalem Oceanum [le passage en Bretagne] magnis molibus communiebat, castra extollens altius et castella turresque adsiduas per habiles locos et oportunos qua Galliarum extendetur longitudo. De même, XXX, 7, 6 : Utrubique Rhenum celsioribus castris [ce qui semble indiquer, ou une surélévation des forts ou des tours existants, ou l'inauguration de forteresses plus hautes suivant un système nouveau] munivit atque castellis, ne latere usquam hostos ad nostra se proripiens posset. Cf. la loi de 364 sur la refectio turrium, C. Th., XV , 1, 13. — Ce sont tous ces travaux indiqués par Ammien, que Symmaque décrit, avec les expressions fort vagues dont il est coutumier, dans son Oratio de 370 (p. 248, n. 6) : Castella pro fascibus eriguntur (§ I), illi (les Germains) civitatibus obsidentur (§ 13). Mais dans l'ensemble, on voit par ce discours que ces travaux ont fait une énorme impression à Rome et dans l'Empire. — Outre les localités mentionnées par les textes, le burgus élevé en 371 par la VIIIe légion près de Schwaderloch sur le Rhin helvète (burgum... laco confine, Dessau, 8949 ; Corp., XIII, 11538), et un autre burgus, sans doute élevé la même année, à Summa Rapida dans les mêmes parages du Rhin, en amont du confluent de l'Aar (courant de Kadelburg, m'écrit Stæhelin ; Corpus, XIII, 11537). C'est le long du Rhin helvète que l'on peut, je crois, le mieux saisir le soin avec lequel Valentinien garda la frontière, bâtissant des burgi à tous les endroits de passage possibles.

[47] Nonnurnquarn etiam ultra flumen ædificiis positis subradens barbaros fines ; XXVIII, 2, 1. Cette question des têtes de pont paraît avoir préoccupé particulièrement Valentinien ; on en signale une en face de Kaiser-Augst (cf. Schumacher, II, pl. 5) ; peut-être à Bâle ; sans doute à Altripp, à Brisach ; et on en trouvera sans doute ailleurs. Cf., pour l'époque antérieure, à Cologne, à Mayence.

[48] Le cours du Neckar fut détourné d'un fortin (munimentum celsum et tutum), dont les remparts étaient menacés par ses eaux, et que Valentinien avait élevé sans doute près de son embouchure ; XXVIII, 2, 2-4. Il s'agit donc d'un fortin sur la rive droite du Rhin, vers l'emplacement de Mannheim, peut-être à Nerkarau, face à l'Altripp actuel, à qui il servait de tête de pont. — On rapporte d'ordinaire à ce fortin, en le plaçant à Altripp, tous les travaux décrits par Symmaque dans son discours de 370 (éd. Seeck, p. 323 et s.) ; Corpus, XIII, II, p. 175 et 231. Je ne le crois pas. Altripp, sur la rive gauche, n'est pas en contact avec le Neckar, et l'embouchure du Neckar ne peut pas être dite dans la regio Nemetensis ou de Spire (§ 28, p. 329). — En réalité, Symmaque parle de travaux variés et différents, exécutés en 369. Dans la regio Nemetensis, et sans doute à Altripp, c'est un port intérieur sur la rive gauche du Rhin, analogue à celui de Bordeaux, recessum fluminis murorum ambitus vindicavit (§ 28). Et il est également question, dans ce discours de Symmaque, si mal compris, des guerres et des traités. La mention du Neckar (§ 23) signifie l'alliance avec les Alamans de cette région. Je ne rapporterai au munimentum de la rive droite que la haute citadelle décrite au § 20, au confluent du Rhin et d'un autre fleuve, avec ses digues qui la protègent et sa tour qui la domine avec son couronnement de plomb doré, et il est très probable qu'il a servi de tête de pont à Altripp. — Je crois en revanche qu'on a eu raison (Corpus, id.) de voir en ce fortin l'héritier de la colonia de Ladenburg (Lopodunum), détruite par les Alamans (Symmaque, § 16). Et il est également certain que les travaux exécutés à Altripp ont été en grande partie effectués à l'aide de matériaux empruntés à Ladenhurg, (cf. Schumacher, II, p. 114). — Ceux qui rapportent à Alta Ripa tous les textes, admettraient volontiers qu'elle était alors sur la rive droite du Rhin (vers Neckarau), qu'elle aurait été détruite par le déplacement du fleuve, et que le nom aurait passé sur le lieu bâti de la rive gauche : et ce dernier point n'est certainement pas inacceptable (cf. Maurer dans la Zeitschrift fur die Geschichte des Oberrheins, n. s., III, 1888, p. 303 et s. ; etc.).

[49] Artificibus peritis aquariæ rei copiosaque militis manu ; XXVIII, 2, 2.

[50] Les textes cités montrent bien que le système de construction préconisé par Valentinien comportait des éléments plus résistants que le système de 300, dont, les incursions des Alamans avaient sans doute montré les défauts : plus d'élévation de la muraille, tours plus nombreuses, plus hautes, toujours avec un couronnement en cône (voyez le médaillon de Mayence et celui de Londres). — Sur toutes ces constructions, voyez maintenant Schumacher, II, passim, en particulier p. 111 et s.

[51] J'ai tout lieu de croire que Valentinien s'occupa particulièrement de la Haute Alsace et du pays d'Augst, que Julien n'avait pas eu le temps d'inspecter à fond et qui était peut-être le secteur rhénan le plus menace par l'invasion. — De là son séjour à Brisach (30 août 369, Brisiaci, C. Th., VI, 35, 8), dont je persiste à croire, malgré l'opinion courante, que la situation topographique était la même, le principal bras du Rhin ayant la colline à sa droite. — De là, la construction d'un fort prope Basiliam et le séjour qu'il y fit (en 374 ; Ammien, XXX, 3, 1 ; 10 juillet, Code Théod., VIII, 5, 33, Robur étant Bâle) : la situation exacte de ce fort demeure d'ailleurs énigmatique ; l'hypothèse, très répandue, qui le place à Blotzheim en Haute Alsace, n'est en réalité fondée sur aucun indice sérieux ; on a songé, avec infiniment plus de  vraisemblance, à une localité de la rive droite, ayant servi de tête de pont à Bâle. De là encore, je crois, l'importance particuliers que prit alors Bâle, Bastlia, et je ne serais pas étonné qu'elle dût son nouveau nom à ce qu'elle servit assez souvent alors de résidence à l'empereur (cf. per regiam, XXX, 3, 3) : nous sommes à une époque de manie hellénisante en matière toponymique (Cularo devint Gratianopolis, Grenoble). C'est sans doute vers ce temps-là qu'Augst perdit son rang de civitas, qui passa à Bâle (c'est la situation dans la Notitia Galliarum, 9, § 5 et 9, civitas Basiliensium et castrum Rauracense ; Augst est encore chef-lieu de civitas et un siège d'évêché au temps du concile de Cologne en 346 [Justinianus Rauricorum], et sans doute encore sous Julien. Et c'est pour cela que j'hésite de moins en moins à placer Robur à Bâle même et à lire chez Ammien Basiliam quod appellant accolæ Robur : le munimentum visé par Ammien serait distinct de Bâle ou Robur, mais à chercher uniquement sur le terroir même de Bâle et peut-être sur le terrain où elle s'est développée. — Si vraiment c'est à Valentinien, qu'est dû d'avoir compris la merveilleuse situation de Bâle, supérieure pour la défense du Rhin à celle de l'Augst d'Auguste, c'est un singulier mérite à l'actif de cet empereur. Il a dû se rendre compte du peu de profit que dans certaines circonstances la défense militaire de la frontière avait tiré de la situation d'Augst. — Quant à Augst ou Rauraca, je rappelle que, depuis la fin du siècle précédent, elle n'est plus sur l'emplacement primitif, à Basel-Augst, mais plus près du Rhin, à Kaiser-Augst, sous forme de castrum de médiocre étendue.

[52] C'est cette inspection constante de la frontière qui explique pourquoi Valentinien, à la différence de presque tous les empereurs, date tant d'ordonnances de localités intimes, qui ne sont que des castra, des stations ou des villas fortifiées de la frontière ou de ses abords, qu'il visite ou construit (de même, autour de Reims). — En 368, Novo Mansione (? ; 20 sept., C. Th., I, 6, 6). — En 369, Tyberiade (on a supposé Tibertacus, station près de Cologne, Itin. Ant., p. 375, W. ; 4 mai, C. Just., III, 12, 4) ; Conplati (près de Trèves : j'ai peine à corriger en Confluentibus, Coblentz ; je préfère à la rigueur Commlingen sur la Sarre, à quoi on a également songé [sur la route de Trèves à Saverne ?] ; 17 mai, C. Th., VIII, 7, 10) ; Martiatici (l'hypothèse Mattiacum est difficile à admettre ; 4 juin, X, 19, 6) ; Altaripa (Altripp, près de Spire ; 19 juin, XI, 31, 4) ; Bristaci (30 août). — En 370, Altino pour Alteio [cf. X, 4, 3] (Alzei ; 15 août, XI, 31, 5). — En 371, Contionaci (Konz près de Trèves, peut-être au carrefour des routes de la Moselle et de la Sarre ; 29 juin, 12 et 20 juillet, 7 et 10 août ; IX, 3, 5 ; XI, 1, 17 ; II, 4, 3 ; C. Just., VI, 22, 7 ; C. Théod., IV, 6, 4) ; Nasonaci (Nassogne en Luxembourg belge, peut-être station militaire au carrefour de la route qui de Tongres menait d'un côte à Trèves par Arlon et de l'autre à Reims ; 30 mai, 5 juillet, 22 août ; VIII, 7, 12 ; VI, 7, 1 ; VI, 4, 21). — En 373 ? Alteio (Alzei ; 4 avril ; X, 4, 3). — En 374, Robore (Bâle ; 10 juillet, VIII, 5, 33).

[53] Ce Macrianus en 359 parait établi du côté du Neckar, vers les Burgonde. (XVIII, 2, 15), si du moins c`est le même personnage. En 370, il parait encore en contact avec les Burgondes (XXVIII, 5, 8-9 ; cf. XXX, 7, 11). En 371, il semble qu'il touche au contraire au Rhin du côte de Mayence et de Wiesbaden (XXIX, 4, 2), sans doute à la suite d'un déplacement et d'un accroissement de puissance (auctum inter crebras mutationes sententiarum, ïn nostros adultis viribus exsurgentem). Il devait être en particulier roi chez les Bucinobanies, pagus alaman en face de Mayence (XXIX, 4, 7). Il semble bien que Macrien ait tendu à fonder un grand État alaman.

[54] En 374, sur la rive droite du Rhin, face à Mayence ; XXX, 3, 4-6. Fœdus sollemni ritu impletum ; 3, 7.

[55] Ammien, XXX, 3, 7. Valentinien a dû l'autoriser ou l'aider à se constituer un vaste État des deux côtés du Taunus entre le Mein et la Sieg ; mais il finit par s'en prendre aux Francs (Ripuaires ??) et fut tué chez eux, in Francia, par le roi (de ces mêmes Francs ?) Mallobaud, général de l'Empire ; Ammien, ibid.

[56] En somme, ce sont autant d'efforts faits dans la région de l'ancien limes pour organiser un système de royautés vassales, au lieu et place de l'autorité directe des temps des Antonins et des Sévères.

[57] Il y eut également, je pense, des négociations avec les chefs du Brisgau (en 368 ; Ammien, XXVII, 10, 3 ; XXX, 7, 7), dont l'ancien roi, Vadomar, servait alors l'Empire, ou il avait été duc de Phénicie (Ammien, XXI, 3, 5 ; XXVI, 8, 2 ; XXIX, 1, 2). — Remarquez le curieux règlement sur les fournitures auxquelles ont ou n'ont pas droit les regales ou leurs legati lorsqu'ils traversent le Rhin (en 367, adresse à Jovin ; C. Th., VII, I, 9).

[58] Même chez les Ripuaires [??], en supposant que le fameux Mallobaud, qui fut général de l'Empire, ait été roi chez eux (Ammien, XXX, 3, 7). — Sauf les Francs pirates de la mer du Nord, qui doivent n'être autres, chez Ammien, que les Frisons, et qui font cause commune avec les Saxons.

[59] En 370. Orose, VII, 32, 10 ; Ammien, XXVIII, 5, 1-7 ; XXX, 7, 8 ; l'affaire fut soutenue par le comes [de la Germanie Inférieure ? des deux Germanies ?] Nannenus, puis par le magister peditum Severus. Je suppose les Saxons venus par mer, débarqués au débouché de la Meuse, en aval de Bois-le-Duc, et prenant la route de Tongres à travers le Brabant des Saliens, et la défaite des Barbares quelque part sur la route, près d'un vallon creux (in valle abdita) et d'un carrefour (divortium itineris), ou guettaient les cataphractaires romains (XXVIII, 5, 5-6). Les chroniqueurs placent le lieu de la bataille Deusone in regione Francorum (Jérôme, ad a. Abr. 2389 [373] ; Cassiodore, p. 152, Mommsen) : il s'agit sans doute de la localité célèbre par son temple d'Hercule (Deusoniensis) ; j'incline à croire que cette localité, et par suite le lieu de la bataille, n'est autre que le Dispargus des Francs Saliens, que je place à Diest, au passage de la Demer. En tout cas, il s'agit d'un lieu de la Toxandrie ou du Brabant.

[60] Ammien, XXXI, 6, 5 ; XXII, 7, 8.

[61] Ce dernier point me parait résulter du rôle d'Ulphilas et de l'intensité et du succès de la propagande chrétienne au nord du Danube ; Socrate, IV, 33 ; Sozomène, VI, 37 ; Philostorge, II, 5 ; etc. ; cf. Tillemont, Mémoires, VI p. 604 et s. ; Bessell, Das Leben des Ulfilas, 1860.

[62] La seule critique qu'on pourrait adresser à Valentinien, et qui serait très grave, c'est, à la différence de Julien, de ne s'être point assez préoccupé de la défense maritime et des affaires de pirates, aussi dangereuses que jamais. Aucun texte ne parle de flotte au cours de son règne sauf à propos de la guerre de Théodose contre les Scotti ou Irlandais (bellis navalibus). J'hésite cependant à formuler ce reproche.

[63] Voici la liste des préfets de Valentinien. De 363 [?] à 366, Germanianus. — En 367, Florentius, qui est sans doute autre que l'ancien préfet de Julien ; Code Théod., XIII, 10, 5. — J'ai de grands doutes sur la préfecture gauloise de Probus (Sex. Petronius Probus ; cf. Seeck, Real-Enc., l. c., 2205-6) en 367 (C. Théod., XI, 1, 15 [366 ?] ; C. Just., VII, 38, 1) — De 368 à 371, Viventius (Rufius Viventius Gallus ??) (C. Th., VIII, 5, 30 ; VIII, 7, 10 ; XII, 1, 75). — Enfin, de 371 a 376, le fameux Maximinus, célèbre par ses cruautés (C. Just., VI, 22,7. C. Théod., IX, 24, 3 ; IX, 19, 4, 16 avril 376 ; Ammien, XXIX, 3, 1 ; XXVIII, 1, 41). — On a l'impression que Valentinien laissait ses préfets assez longtemps en charge, et les choisissait parmi d'anciens fonctionnaires rudes et capables, et parfois, comme Maximin, d'une excessive sévérité. Voyez la comparaison faite par Ausone avec les temps de Gratien.

[64] Comparez le rôle d'Aix-la-Chapelle sous Charlemagne.

[65] Peut-être seulement au début de 374 (Seeck, Regesten, p. 244, d'après la loi du 5 février, C. Th., XIII, 1, 10).

[66] Symmaque en 369-370 (Orat., III, du 25 février 369, à Gratien ; p 330, Seeck), à l'occasion de l'aurum oblatitum. C'est lors de ce voyage qu'il se lia avec Ausone, qu'il accompagna sans doute au delà du Rhin (Epist., I, 14, p. 9, Seeck, Ausone, Epist., 18, 7). — Je me demande si la curia dont parle Ausone dans sa Gratiarum actio (1, 5) est bien le sénat de Trèves et ne vise pas plutôt les délégations du sénat romain.

[67] Outre la Gratiarum actio d'Ausone, discours de Symmaque : 1° du 25 février 30, 2° du même jour et pour la même circonstance à Valentinien (Oratione, 1), 3° du 1er janvier 370, à l'occasion du troisième consulat de l'empereur (Or., II).

[68] Neumagen : Noviomagus, divi castra inclita Constantini ; Ausone, Mos., 11.

[69] Ausone, Mosella, 9. Il est possible que la chose ait été faite à la suite d'une des nombreuses expéditions de ce règne contre les Sarmates (Ammien, XXVI, 4, 5, début du règne).

[70] Ausone, Mos., 2 et s. : sur la route de Trèves à Mayence on montrait à Bingen (Viago) l'endroit æquavit Latias ubi quondam Gallia Cannas. On interprète d'ordinaire comme s'il s'agissait d'une défaite des Gaulois, celle des Trévires en 70 par les Romains : mais il peut s'agir de toute autre défaite, par exemple sous Magnence ou sous Constance. Et je ne crois pas impossible qu'il s'agisse, au contraire, d'une défaite imposée par la Gaule aux Barbares, par exemple sous Maximien ou sous Constance.

[71] Ausone dut être appelé sans doute en 365, Gratien (né en 350) étant âge de six ans. Il fit passer son élève tour à tour par les cycles consacrés de la grammaire et de la rhétorique (cf. t. VIII, ch. V, § 3), et son avancement dans la carrière des honneurs fut sans doute en rapport avec le passage de son élève d'un cycle à l'autre ; Valentinien le fit tour à tour comes (propter tua incrementa, lors des classes de grammaire) et quæstor (communis beneficii, après l'avènement de Gratien en 367). Ausone, Liber protrepticus, V. 82 et s. ; Gratiarum actio, 2, 11.

[72] L'idée lui en vint sans doute au retour (par Mayence) d'une campagne où il accompagna les deux Augustes (en 269 ?) ; Mosella, 422 et s.

[73] Athanase, à la fin du règne de Constantin, au temps où l'on construisait la grande église, était déjà frappé de l'assiduité et de l'affluence des fidèles à l'église de Trèves (Ad Const., § 15, P. Gr., XXV, c. 613). — J'hésite à rapporter à cette époque l'envoi de missionnaires chez les Burgondes par les évêques de Trèves, si tant est qu'il faille accepter cette tradition (Orose, VII, 32, 13, dit modo, et ne parle pas de Trèves). De même, j'ai des doutes sur l'apostolat de Lubentius dans la région de la Lahn (Acta, 13 octobre, VI, p. 200 ; Gesta Trevirorum ap. Pertz, Scriptores, VIII, p. 153).

[74] On y lisait, la traduction par Évagre de la Vie de saint Antoine par Athanase (Augustin, Confess., VIII, 6, 15, P. L., XXXII, c. 755, p. 182, Knœll). — Il faut lire chez Augustin l'émouvant récit que l'officier ou magistrat Ponticianus lui avait fait lors de son séjour a Milan (vers 386 ?). Pendant que l'empereur assistait a Trèves aux courses du cirque, trois de ses compagnons et lui allèrent se promener in hortos muris contiguos, au cours de la promenade, deux d'entre eux entrèrent dans une petite maison (casa) où vivaient en commun un petit groupe de Chrétiens, et, là trouvant un exemplaire de la Vie d'Antoine (sans doute le livre essentiel de cette communauté), ils se mirent à la lire. Alors l'un d'eux, qui était fonctionnaire impérial (agens in rebus), saisi d'enthousiasme, jura de se consacrer lui aussi à la vie sainte. Et son compagnon l'imita. Et tous deux restèrent dans la maison. Ils avaient des fiancées, qui, elles aussi, se consacrèrent alors à Dieu. — Je placerais volontiers cette scène pendant, les séjours de Gratien à Trèves, entre 375 et 381. Il ne faut point d'ailleurs considérer ces hommes comme des moines et leur maison comme un cloître : c'étaient de simples laïcs, ayant fait vœu de pauvreté ou de chasteté ; et il n'est pas sûr que la maison ou plutôt la cabane, casa, ne frit pas surtout leur lieu de réunion : c'est une confrérie libre et non un monastère, et il faut rapprocher cela des Continents de Victrice (De laude sanctorum, § 3, P. L., XX, c. 445). Et cela diffère également du séminaire de Marmoutier. L'institution monastique a pris les formes les plus diverses avant de trouver ses règles et son office. Cf. t. VIII, ch. VI, § 1 et 13.

[75] Voir la note précédente.

[76] Interpretationem Psalmorum Davidicorum et De synodis librum quæ [var. quem] et [pour le compte d'un ami] apud Treviros manu mea ipse descripseram ; Jérôme, Epist., 5 (P. L., XXII, c. 337 ; p. 22, Hilberg).

[77] Vers 372 ? Il alla de Rome en Gaule vers sa vingtième année (adolescentulus) avec son compagnon d'études Bononus (Adv. Jov., II, 7, P. L., XXIII, c 296). C'est en Gaule qu'il résolut de se consacrer au Christ (Epist., 3, § 5, P. L., XXII, c. 334 ; p. 17, Hilberg). Son séjour à Trèves est mentionné, Epist., 5 (cf. n. précédente) ; ce séjour résulte encore de la remarque qu'il a faite des analogies entre la langue des Trévires et celle des Galates. On a dit qu'il aurait subi a Trèves l'influence de moines ou d'ascètes gaulois (cf. Augustin, Conf., VIII, 6, 15) ; cela me parait difficile, mais non impossible, à la date de 372. Sur ce voyage, en dernier lieu Cavallera, Saint Jérôme, I, I, 1022, p. 179.

[78] Ammien, XXX, 9, 5 : Hoc moderamine principalus inclaruit quod inter religionum diversitates medius stetit, nec quemquam inquietavit neque ut hoc coleretur imperavit aut illud, nec interdictis minacibus subjectorum cervicem ad id quod ipse coluit inclinabat, sed intemeratas reliquit has partes ut reppenit ce dernier mot semble bien indiquer la continuation de la politique de Julien. De même, Ambroise, Epist., 21, § 2, P. L., XVI, c. 1003 ; Sozomène, VI, 6, P. Gr., LXVII, c 1309 ; 7, c. 1312 ; Philostorge, VIII, 8, p. 129, Bidez. II va sans dire que Valentinien rétablit la libelle d'enseignement supprimée par Julien (Code Th., XIII, 3, 6 [de Jovien ?]), et interdit à nouveau les sacra nocturna, que Julien avait rétablis (loi de 364, C. Th., IX, 16, 7 ; Zosime, IV, 3, 3). Ses autres lois religieuses ne visent que l'astrologie ou les opérations magiques (IX, 16, 8-10). Et il déclare avec une réelle grandeur dans une de ces lois (IX, 16, 9), que chacun doit être libre en matière de culte : Testes sunt leges a me in exordio imperii mei datæ, quibus unicuique, quod animo inbibisset, colendi libera facultas tributa est. Valentinien, évidemment, quoique chrétien, a dû penser sur les choses religieuses ce que dit le païen Symmaque dans un passage célèbre (Epist., X [Relat]., 3, § 10, p. 282, Seeck) : Quid interest qua quisque prudentia verum requirat ? Uno itinere non potest perveniri ad tam grande secretum.

[79] Je ne suis qu'un laïc, faites vos affaires à votre guise, je n'ai rien à y voir, tenez vos assemblées comme et où vous voulez, répondit-il aux évêques qui lui demandaient à se réunir pour régler la foi (Sozomène et Philostorge, l. c.).

[80] Je ne peux suivre Rufin (Hist. ecclés., I, 31), lorsqu'il appelle Hilaire natura lenis et placidus (il peut y avoir une confusion avec Rhodanius ; Sulpice, Chr., II, 9, 7). Ceci fait allusion seulement, je crois, aux démêlés d'Hilaire avec Lucifer de Cagliari, qui lui reprocha son désir de conciliation au cours de son exil. Lucifer échoua du reste dans sa tentative d'extrémisme : l'Occident n'eut pas son Donatisme, et cela, peut-être grâce à l'habileté d'Hilaire (Sulpice, Chron., II, 45, 8).

[81] Car j'hésite beaucoup à placer son voyage en Italie en 362-363, comme le fait Coustant (Vita, § 100) : je ne sais si Julien l'eut permis. — Après le concile de Paris, Hilaire écrivit son liber contra Dioscurum medicum, dédié au préfet Salluste ; Jérôme, De v. ill., 100 ; Epist., 70, § 5, P. L., XXII, c. 668. L'ouvrage est perdu ; et il est remarquable que, malgré la gloire d'Hilaire, une part si importante de ses œuvres ait disparu.

[82] Le vrai chef moral des Églises d'Italie, en ce temps-là était Eusèbe de Verceil, dont la vie et l'œuvre présentent de singulières analogies avec celles d'Hilaire. Celui-ci s'entendait d'ailleurs avec Eusèbe, tout en se réservant peut-être le premier rang (Rufin, I, 31).

[83] Évêque de Milan de 355 à 374.

[84] Voyez le Contra Auxentium d'Hilaire, Patr. Lat., X, c. 609 et s.

[85] T. VIII, ch. VI. § 1.

[86] On peut hésiter sur la date, Athanase, aux dates de 369 et 371, parlant de synodes tenus en Gaule pour proclamer la vraie foi (Épist. ad Afros, § 1, Patr. Gr., XXVI, c. 1029 ; Epist. ad Epict., § 1, id., c. 1052). Mais j'ai peine à croire qu'Athanase pense à autre chose qu'aux réunions du retour d'Hilaire. On place d'ordinaire le concile en 374 (le 12 juillet ?) ; Héfélé-Leclercq, I, p. 982.

[87] Les quatre articles qui forment les Actes sont accompagnés, je ne vois point pourquoi, par une lettre à l'évêque de Fréjus ; Mansi, III, c. 491 et s. ; [Labat], Conc. Gall. coll., I, c. 229 et s. ; Maassen, p. 190-1.

[88] Il y eut d'abord, par ordre de Valentinien, une conférence où Hilaire fut convoqué avec une dizaine d'évêques en présence du questeur et du maître des Offices, ceux-ci évidemment, comme le remarque Constant, en qualité d'observateurs ou de témoins et non d'arbitres ou de juges (Contra Auxentium, P. Lat., X, 7, c. 613-4). Ensuite, dit Hilaire (§ 9, c. 615), jubeor de Mediolano proficisci, cum consistendi in ea [urbe] invito rege [Hilaire se sert toujours de cette expression] nulla esset libertas. Ceci, sans doute après l'arrivée de Valentinien à Milan en novembre 364.

[89] Ici, n. précédente.

[90] Il fut remplacé en 374 par Ambroise. Chose étrange, nous verrons entre l'action d'Ambroise et celle de Martin les mêmes similitudes qu'entre celles d'Eusèbe et d'Hilaire.

[91] On a dit qu'il copia de sa propre main des livres sacrés (Diplomata de Pardessus, I, p. 24 ; cf. Vita ex scriptes, § 112, P. L., IX, c. 176).

[92] Liber ou tractatus Mysteriorum, cité par Jérôme (De vir. ill., 100), retrouvé en 1887 dans le manuscrit d'Arezzo (Gamurrini, S. Hilarii tractatus de Mysteriis, Rome, 1887) ; édition de Vienne, LXV, Feder. — Homilia ou tractatus in Job (Jérôme, De vir. ill., 100 ; Apol. adv. Rufinum, P. L., XXIII, c. 399 ; Augustin, Contra Julianum, II, 8, 27, P. L., XLIV, c. 692) : perdu sauf de petits fragments (Patr. Lat., X, c. 723-4 ; édit. de Vienne, p. 230-1).

[93] Tractatus in Psalmos : conservé en grande partie (Corpus de Vienne, XXII, éd. Zingerle, 1891 ; à compléter par les découvertes récentes (Setzungsberichte de l'Acad. de Vienne, Ph.-hist. Classe, CXXVIII, 1893 ; Delisle, Bibl. de l'École des Chartes, LXXI, 1910, p. 299 et s.).

[94] Hymne ; Isidore de Séville, De eccles. offic., I, 6, Patr. Lat., LXXXIII, c. 743 ; Jérôme, De viris ill., 100, et Comm. in Epist. ad Gal., II, præf., P. L., XXVI, c. 355, où il remarque qu'Hilaire eut grande peine à former les Gaulois aux chants d'Église : Hilarius... Gallos in hymnorum carmine indociles vocat. Très peu en sont conservées : les unes depuis longtemps, mais d'authenticité discutable, trois par le ms. d'Arezzo ; cf. l'édit. de Vienne, LXV, p. 207 et s., p. 245 et s. De Labriolle (Hist. de la litt. latine chrét., 2e édit., 1924, p. 331) a justement remarqué que ce qui nous reste de ces hymnes montre qu'Hilaire s'en est servi pour affirmer sa foi et y être encore homme d'action et de lutte. Son séjour en Orient lui avait permis de se rendre compte de l'efficace propagande qu'est susceptible d'exercer la parole chantée, dit de Labriolle, p. 330.

[95] Ligugé, Locoteiacus, Locotigiacus, dans le diocèse de Poitiers, sur le Clain, à huit kil. de la ville, non loin des routes de Saintes et de Bordeaux. La fondation du monastère est rapportée à Martin, mais date de l'épiscopat d'Hilaire ; Sulpice Sévère, Vita Martini, 7, 1 ; Fortunat, V. Hilarii, 12, 41 : Grégoire de Tours, De virtutibus s. Martini, IV, 30 ; cf. Revue des Ét. anc., 1910, p. 276 et s. ; 1922, p. 306 et s. — Ambroise, peut-être pour faire pièce à Martin, attribuait à Eusèbe de Verceil (mort peu avant 374) le premier monastère d'Occident (type Ligugé ou Marmoutier) ; Epist., 1, 63, § 66, P. L., XVI, c. 1207. Il est fort possible qu'il y ait lien entre l'œuvre d'Hilaire à Ligugé et celle d'Eusèbe.

[96] Pour les monastères, voyez Athanase, V. Antonii, en particulier le prélude ; Patr. Gr., XXVI, c. 835 et s. C'est peut-être à la même inspiration orientale que se rattache la fondation du monastère d'Eusèbe de Verceil, contemporain et compagnon de lutte d'Hilaire ; Ambroise, Epist., I, 63, § 66, Patr. Lat., XVI, c. 1207. — Sur les origines de la liturgie gallicane, t. VIII, ch. VI, § 8.

[97] De l'innombrable bibliographie de saint Martin (cf. Ulysse Chevalier, Biobibliographie, c. 3108-3112, et encore à compléter) Tillemont, Mémoires, X, 1705 ; Reinkens, Martin von Tours, 1876 ; Paul Albert, Variétés morales et littéraires, 1879, p. 64 et s. (très fines réflexions) ; Lecot de La Marche, Saint Martin, 1881 ; Régnier, Saint Martin, 2e éd., 1907 ; Babut, Martin de Tours, [1913] (œuvre subtile et intelligente, mais trop agressive et de parti pris) ; Delehaye, Saint Martin et Sulpice Sévère, dans les Analecta Bollandiana, 1920, XXXVIII (particulièrement au courant). — Sur la valeur de Sulpice Sévère comme source, outre Tilleront : l'admirable édition de Jérôme De Prato, 1741-1754 ; Bernays (qui ne s'occupe que de la Chronique), Ueber die Chronik, etc., écrit en 1861, réimprimé dans les Gesammelte Abhandlungen, II ; Lavertujon, La Chronique de Sulpice Sévère, 2 v., 1896-9. — Les attaques contre Sulpice, peu fondées, datent au moins d'une certaine école du XVIIe siècle (voyez Joseph Antelmi, De ætate sancti Martini, etc., Paris, 1693). Là-dessus, Revue des Études anciennes, 1910, 1922 et 1923 (Notes gallo-romaines, XLVII, XCIII-XCIX).

[98] Vu la contradiction des textes, deux systèmes sont possibles sur la date de la naissance de Martin (cf. Revue des Études anciennes, 1910, p. 261 et s.). 1° Naissance vers 316 (Grégoire de Tours, Hist., I, 36), ce qui le fait jam septuagenarius en 385 (Sulpice, Dial., II, 7, 4) c'est le système traditionnel, lequel rend très difficile le maintien de son service militaire sous Julien (raconté par Sulpice, V. Mart., 2). 2° Naissance vers 335, étant donné qu'il a fait son service sub Constantio, et sub Juliano, qu'il l'a quitté sous Julien étant encore in adulescentia (Sulpice, V. M., 2, 2 ; 3, 5) : système lancé autrefois sans succès par l'éditeur de Sulpice Giselinus [Ghyselinck] (édit. de 1574), et repris de nos jours par Reinkens (p. 244). J'hésite toujours entre les deux systèmes, mais sans cacher mes préférences pour le dernier, qui empêche de sacrifier le récit très circonstancié de Sulpice, lequel l'écrivit du vivant même de Martin et a pu le tenir de sa bouche. D'autre part, il est vrai, le rôle que j'attribue à Martin durant l'exil d'Hilaire, s'explique moins bien s'il n'est qu'un tout jeune homme.

[99] Sabaria Pannoniarum oppido oriundus, Sulpice, V. M., 2, 1. C'est aujourd'hui Stein-am-Anger. — Mais c'est peut-être le hasard du service militaire de son père qui le fit naître à Savaria ; car ses parents l'ont fait élever à Ticinum (Pavie), où ils se retirèrent (V. M., 2, 1 ; 6, 3) et dont ils ont pu être originaires. Il y eut à Savaria, au cours du IVe siècle, une garnison de Lanciarii (Lancearii Sabarienses, Not., Occ., 7, 82), qui étaient une légion d'élite, et le père de Martin a pu y servir.

[100] In adulescentia... inter scolares alas : il s'agit des scholæ des troupes du palais, troupes d'élite placées sous l'autorité du magister officiorum (Nat. dign., Occ., 9), et dont nous parlons bien souvent ici.

[101] En 356, âgé soit de quarante ans, ce que j'hésite toujours à accepter, soit de vingt ans. Sulpice (V. M., 5, 2) dit qu'il refusa d'abord la prêtrise par modestie.

[102] Sulpice, V. M., 5, 1 : Hilarium, cujus tunc in Dei rebus spectata et cognita fides habebatur. Rien de plus naturel dans le Christianisme d'alors, que de voir un néophyte se chercher un maître.

[103] A Sirmium en 357 ? On racontait qu'il avait été frappé de verges et expulsé (V. M., 6, 4).

[104] Sulpice, V. M., 6, 1 et 4. Il vint deux fois à Milan, avant et après son séjour en Illyrie. De même, Constance a séjourné maintes fois à Milan en 356 et 357. A Milan, Martin eut des démêles avec Auxentius, auctor et princeps Arrianorum.

[105] Sulpice, V. M , 7, 1. — Sur la vraisemblance de ces voyages de Martin, Rev. des Ét. anc., 1910, p. 273-275.

[106] Nommé à cette fonction dès 356 ? Sulpice, V. M., 5, 2. Il n'y a pas a s'étonner, au cas où on placerait sa naissance en 333, que Martin ait pu être fait exorciste à moins de vingt-cinq ans ; cf. Leclercq, dans le Dictionnaire d'archéologie chrétienne, V, I, c. 977. Et c'est peut-être à cause de son âge qu'il refusa la fonction supérieure de diacre, qui impliquait un ministère sacré (diaconatus officio et rninisterio divino ; Sulpice, V. M., 5, 2 ; cf. exorcista gradu sed jam viturte sacerdos, vers de Paulin de Périgueux, qui peut servir de commentaire, V. s. Martini, I, 190). — Cf., sur ces questions d'ordination, Duchesne, Les Origines du culte chrétien, 4e édition, p. 349 et s.

[107] Voyez l'article de Leclercq, dans le Dictionnaire d'archéologie chrétienne, V, I, c. 977.

[108] Voyez la Vita Martini de Sulpice Sévère, en particulier 27. Je considère seulement le nemo vidit ridentem comme visant le rire et non pas la bonne humeur.

[109] On placera la mort d'Hilaire en 367-368 (cf. Sulpice, Chron., II, 45, 9 [qui parait songer à 366] ; Jérôme, Chron., ad a. Abr. 2384 [368] ; Grégoire (Hist., I, 39), soit le 1er novembre ([367], jour de l'anniversaire, natale ?), ou le 13 janvier ([368], jour de la translation des reliques ? Martyrol. Hieronym., p. 8 de l'éd. des Bollandistes). Reinkens (p. 320) propose le 1er novembre 366.

[110] Nonnulli ex episcopis... repugnabant ; Sulpice, V. M., 9, 3-4.

[111] Sans doute le 4 juillet 372 ; Grégoire, Hist., X, 31 [parait songer à 371], et De virt. s Mart., I, 6 ; cf. Tillemont, Mém., X, p. 774-5. Dans un sens tout différent, Babut, p. 304 et s.

[112] Cf. Sulpice, V. M., 10, 9. Sulpice parle de 80 jeunes gens environ dans le couvent. — Le nom de Marmoutier vient de Majus [Majorem] Monastertum (Grégoire, Hist. Franc., X, 31, p. 444, Arndt), qui a dû lui être donné par rapport à Ligugé.

[113] Sulpice, V. M., 23, 1-2. Remarquez l'expression de nutrire, qui est constante en Occident pour ces monastères du IVe siècle. D'un de ces moines, Sulpice dit (Dial., III, 15, 4) : Qui A PRIMIS ANNIS in monasterio inter sacras ecclesiæ disciplinas ipso Martino educante crevisset ; ailleurs, il se sert du mot discipuli (V. M., 10, 5). Remarquez encore que beaucoup de ces jeunes gens que nous appelons des moines de Marmoutier, étaient des fils de grandes familles (multi nobiles, Sulpice, V. M., 10, 8 ; adulescens nobilissimus, 23, 1), et que l'on put même reprocher à l'un d'eux d'avoir esclaves et chevaux (Sulpice, Dial., III, 15, 2).

[114] Plures ex eis episcopos vidimus (Sulpice, V. Mart., 10, 9) ; qua esses civitas cuit ecclesia quæ non sibi de Martini monasterio cuperet sacerdotem ?

[115] Sulpice, V. M., 10, 5 : Discipuli fere octoginta ad exemplum beati magistri ; 10, 6 : Scriptoribus.... minor ætas deputabatur, majores orationi vacabant ; 10, 3-4 ; 10, 9 ; 11, 3.

[116] Sulpice, V. M., 10, 3-4.

[117] Sulpice, V. M., 11, 3.

[118] Grégoire de Tours, Hist. Franc., II, 1. p. 59, 17, Arndt.

[119] Sulpice, V. Mart., 10, 9.

[120] Cf. Sidoine Apollinaire, Epist., IV, 25 ; VII, 5 et 9. Et de tels faits ont dû se passer en Gaule dès le IVe siècle.

[121] Numquam in illius ore nisi Christus ; Sulpice, V. M., 27, 2.

[122] Comparer, t. VI, ch. IV, § 15, l'idéal souverain dans la Gaule païenne.

[123] Sulpice, V. M., 10, 1-2.

[124] Adhærenti ad ecclesiam cellula ; Sulpice, V. M., 10, 3.

[125] Veste sordidum (Sulpice, V. M., 9, 4) ; amphibalus (Sulp., Dial., II, 1, 5) qui doit être l'équivalent de l'amphimallum ou de l'amphitapa : c'est le manteau ou vêtement de dessus ; veste hispida [la tunique], nigro et pendula pallio [le manteau] (Sulpice, Dial., II, 3, 2). Je n'accepterai guère pour Martin le camelorum sætis vestiebantur attribué à quelques-uns de ses moines (V. M., 10, 8).

[126] V. M., 26, 2 ; 10, 7.

[127] V. M., 26, 2 ; 10, 7.

[128] Temperamentum in abstinentra ; 26, 2.

[129] Sulpice, Dialogues, I, 4, 6 : Facis inhumane qui nos Gallos homines eogis exemplo angelorum vivere.

[130] Voyez tout le passage de Sulpice, Dial., I, 24.

[131] Cela ressort des actes et de la tenue habituelle de saint Martin, mais n'est indiqué par aucun texte (sauf peut-être n. suivante). La réaction est au contraire indiquée à l'endroit des prélats à caractère politique, mêles a la vie publique et aux obligations mondaines (Sulpice, Dial., I, 25, 6), et cela peut viser Ambroise, par ailleurs assez souvent en conformité d'attitude avec Martin.

[132] In absolvendis Scripturarurn quæstionibus promptus et facilis (V. M., 25, 6) : cela ne ressemble guère aux écrits d'Hilaire.

[133] Sulpice, Dial., III, 17, 6-7 ; Grégoire de Tours, Hist., I, 39, et ses quatre livres De virtutibus sancti Martini.

[134] Pinus fano proxuna (V. M., 13) : il doit s'agir d'un sanctuaire rural de la Mère.

[135] V. M., 15, 3-4. Autre miracle de ce genre ; 15, 1-2.

[136] Sulpice, Dial., II, 5, 5 et s.

[137] Cf., pour Ambroise, Vita par Paulin, § 28, P. L., XIV, c. 37.

[138] V, M., 7, 2 et s.

[139] V. M., 16 ; 18, 3 et s. ; 19, 1-2 ; 19, 3 et s. ; Dial., II, 2, 3 et s. ; III, 2.

[140] V. M., 17 ; Dial., II, 9 ; III, 6, 2 et s.

[141] De saints, d'anges ou de démons ; V. M., 21 ; 6 ; 22 (le diable vu in personam d'un dieu païen, sans aucun doute au cours des manœuvres de Martin contre les idoles) ; V. M., 24, 4 et s. ; 14, 5 ; Dial., II, 11.

[142] Vita Martini, 14.

[143] Sulpice, Dial., III, 10.

[144] Il y a évidemment parallélisme complet entre les miracles du Christ et ceux de Martin. Mais d'autre part, les uns et les autres sont également conformes aux types permanents des miracles dans le folklore de tous les peuples.

[145] N. précédente.

[146] Per quem Dominus signum virtutis ostenderet ; Sulpice, V. M., 16, 6.

[147] Voyez la fameuse inscription de Vienne : Fœdula, Martini quondam proceris sub dextera tinta ; en 386 ? Corpus inscr., XII, 2115.

[148] Dial., II, 1.

[149] Ammien, XXII, 11, 10 ; XVII, 7, 8. Cf. t. VIII, ch. VI, surtout § 6, 7 et 13.

[150] Sulpice, V. M., Il ; ceci, en un lieu situé entre Tours et Marmoutier, je pense a Saint-Symphorien. — Sulpice dit que l'erreur datait des anciens évêques [le pluriel pour le singulier ? il doit s'agir de Lidoire, le prédécesseur de Martin, de 337 ou 340 à 371 ou 372].

[151] C'est, je pense, pour combattre ces faux saints, sachant sans doute que la Touraine et la Gaule avaient produit peu de martyrs, qu'il dut rapporter à Tours des reliques des fameux saints milanais Gervais et Protais (Grégoire, Hist., X, 31, p. 444, Arndt ; In gloria martyrum, 46) : peut-être c'est alors, en 386, qu'il fit le voyage de Vienne, pour aller au-devant de ces reliques (Paulin de Nole, Epist., 18, 9). — On sait que la découverte des corps de ces deux saints par Ambroise en 386 a été un des plus grands événements de l'histoire religieuse de ce temps (Ambroise, Epist., 22, Patr. Lat., XVI, c. 1019 et s.).

[152] Non temere adhibens incertis fidem, V. Mart., 11, 2.

[153] Cf. Sulpice, Dial., II, 5.

[154] Cf. Ammien Marcellin, XXVIII, I, 21 ; etc.

[155] Pour Valentinien, Dial., II, 5, 5 ; pour Maxime, Dial., III, 11, 8.

[156] Voyez sa lutte contre le comes Avitianus, qui parait avoir été un juge enquêteur chargé d'une commission extraordinaire pour amener des inculpés à la cour (Sulpice, Dial., III, 4, en particulier § 7). Il est possible qu'il s'agisse de l'enquête sur les Priscillianistes.

[157] C'est sans doute le voyage obligé après son élection comme évêque, eo fere tempore, quo primum episcopus datus est, fuit ei necessitas adire comitatum (Sulpice, Dial., II, 5, 5).

[158] Il n'y a pas à parler ici du concile d'Aquilée en 381, si ce n'est pour rappeler la présence d'évêques gaulois, en particulier des provinces méridionales, ce dont se félicita saint Ambroise (on cite les évêques d'Orange, Grenoble, Nice, Lyon, Octodurum [Saint-Maurice] ; Epist., I, § 9, P. L., XVI, c. 930 ; Mansi, III, c. 590 et s.).

[159] Signurn quod perhibent esse crucis Dei, magnis qui colitur solus in urbibus Christus ; dans le Carmen bucolicum (Patr. Lat., XIX, c. 800 = Riese, n° 893) ; on attribue cette œuvre si curieuse à un Severus Sanctus [?] Endelechius, qui pourrait être un Gaulois ami de Paulin (amicum meam Endelechium, Paulin, Epist., 28, 6).

[160] Cela me parait résulter et de ce texte (n. précédente) et de ce que nous savons des Chrétiens gallo-romains de ce temps.

[161] Cf. Zeiller, Paganus, 1917.

[162] Pour tout ceci, t. VIII, ch. III, § 1-4.

[163] J'ai déjà indiqué qu'on avait regardé la victoire de Constantin comme la chute des Herculii.

[164] Jovem bruturn atque hebetem esse dicebat (Sulpice, Dial., II, 13, 6) ; le Diable ne prenait que de loin en loin la figure de Jupiter (V. Mart., 22, 1 ; cf. Dial., III, 6, 4). Sulpice Sévère réunit à Jupiter et à Mercure Venus et Minerve (V. M., 22, 1).

[165] C'est le caractère rural de Mercure qui explique qu'il ait donné tant de mal à Martin : Diabolus in personam plerumque Mercuri se transfiguratum, voltibus offerebat (V. Mart., 22, 1) ; Mercurium (Martinus) maxime patiebatur infestum (Dial., II, 13, 4 ; III, 6, 4).

[166] Cf. Julien, Orationes, VI, p. 200, Sp. ; IV, p. 132, Sp. : Julien rattache volontiers les Muses à Hermès.

[167] Les écrivains ne parlent guère de Mars : mais j'imagine que pour lui, comme pour Mercure, son caractère rural et son allure de démon personnel durent lui donner une certaine force de résistance.

[168] Julien, Orat., IV, p. 144 et 150, Sp., et tout le discours ; les Panégyristes ; Ausone, Professores, 5, 7 et s. — Il est possible que Martin ait eu affaire en particulier aux colonnes de la religion céleste.

[169] Voyez, par exemple, la fête de la roue de feu (sur le territoire de la cité d'Agen), lancée du temple dominant la colline jusque sur la Garonne et ramenée au temple ; Acta sanctorum, 9 juin, II, p. 164. (saint Vincent d'Agen).

[170] Voyez la Tutela de Bordeaux, représentée en Terre-Mère (Courteault, Rev. des Ét. anc., 1922, p. 236 et s.).

[171] Cf. à Autun : Grégoire de Tours, In gloria confessorum, 76 : Simulacrum Berecynthiæ..., in carpento pro salvatione agrorum ac vinearum ; Acta sanctorum, 22 août, IV, p. 496. Cf. Sulpice, V. Mort., 12 : Hæc Gallorum rusticis consuetudo, simulacra dæmonum candido tecta velamine misera per agros suos circumferre dementia.

[172] C'est la Mère de Bérécynte qui est visée par les Acta (n. précédente), lorsqu'ils citent à côté d'elle Diane et Apollon. La Diane du folklore médiéval est le plus souvent une survivante de la Mère : Magna est Diana Mater Deorum, dit une autre Vie de saint (17 mai, Acta, IV, p. 7).

[173] Julien, Orat., V, p. 160, Sp., et tout le discours.

[174] Ambroise, Epist., lettres de Gratien et d'Ambroise, Patr. Lat., XVI, c. 875 et s. ; le même, De obitu Valentiniani, 74 et 75, id., c. 1380 ; Ausone, Grat. actio, 14, 63.

[175] Ambroise, De ob. Val., l. c. ; Ausone, Grat actio, 14, 67 ; 15, 68 et s.

[176] La célèbre loi du 17 mai 376 (Code Théod., XVI, 2, 23), en accordant aux évêques le droit de juger les leurs levibus delictis (mais non en cas d'actio criminalis), stipule qu'ils seront aussi seuls juges dans leurs dissensions (dissensiones). C'est la politique de Valentinien continuée.

[177] Plutôt possible que certain ; voyez la conclusion de Godefroy à la loi du 21 décembre 381, C. Théod., XVI, 10, 7, p. 299, Ritter. Au surplus, il semble que ces actes d'intolérance ne datent que des abords de 382 (Seeck, éd. de Symmaque, p. LIII).

[178] Cf. la loi du 21 décembre 381.

[179] Zosime, IV, 33, 8 (qui vise d'ailleurs surtout Théodose).

[180] Cela résulte de la nature même de la, propagande de Martin, remplaçant les fana par des monasteria ou des ecclesiæ (V. M., 13, 9). En général, Code Théod., XVI. 10, 20 ; Ambroise, De obita Valent., 19, Patr. Lat., XVI, c. 1363 ; Symmaque, Relationes, 3 [Epist., X, 3], § 12-14, p. 282, Seeck]. Il a dû y avoir dans bien des cas transfert des bona templorum à la curie municipale, vente ou location à des particuliers, sans parler de l'incorporation à la res privata du prince. Les espèces juridiques provoquées par cette affaire ont dû être infinies, et varier d'ailleurs suivant la condition originelle de ces biens (qui a certainement présenté de grandes variétés). T. VIII, ch. III, § 6 ; cf. ibid., ch. VI, § 7.

[181] En particulier, l'affaire de l'autel de la Victoire enlevé de la salle des séances du sénat romain (Ambroise, Epist., 17, 3, P. Lat., XVI, c. 962 ; etc.). Placée d'ordinaire en 382, je crois avec raison ; en 376, avait dit Godefroy, ad C. Th. IX, 35, 3, p. 275.

[182] Zosime, IV, 36.

[183] Ausone, Epist., 8, 9 ; 10, 17. — Ce n'est certainement pas un hasard, si c'est du règne de Gratien, en l'an 377, que date la plus ancienne inscription (accompagnée du chrisme) chrétienne de caractère public, et si elle a été trouvée en Gaule c'est la dédicace faite par un Ponitus Ascleprodotus, devotione vigens, gouverneur (prætor) des Alpes Pennines, à Sion dans le Valais, d'un édifice (augustas ædes, ce qui doit désigner une église chrétienne) restauré par ses soins (Corpus, XII, 138).

[184] Il est, très visible que, tandis qu'Hilaire songe surtout aux hérétiques, Martin songe surtout aux païens. On trouvera d'autres contrastes entre l'œuvre du maître et celle du disciple.

[185] Sans doute V. Mart., 13, où illis regionibus et ibi doivent signifier son diocèse ; sans doute aussi V. Mart., 14, 1-2 ; Dial., III, 8, 1. A Amboise (dans le diocèse de Tours) ; Dial., III, 8, 4.

[186] A Levroux dans le diocèse de Bourges ; V. Mart., 14 ; à Clion dans le même diocèse. Dans le diocèse de Chartres [?] ; Dial., II, 4, 4.

[187] In pago Æduorum, et ici Sulpice fait allusion à une propagande assez intense, prædicatione sancta gentiles animos mitigabat (V. M., 15). Mais nous n'en savons pas plus, et le travail de Bulliot et Thiollier, La Mission et le Culte de saint Martin dans le pays éduen, 1892, n'a pour objet que de réunir des documents sur la religion et l'archéologie du pays à l'époque romaine.

[188] Ceci est la question nécessaire à poser, et au surplus impossible à résoudre. Je n'exclus pas une mission reçue de l'évêque de Rome.

[189] En acceptant son passage près de Saintes à Natogialum (Nieul-les-Saintes) ; Grégoire de Tours, De virt. s. Mart., IV, 31. Il n'y a aucun motif sérieux de douter qu'il ait célébré les obsèques de Romain à Blaye (Grégoire, In gl. conf., 45, d'après une Vie écrite de Romain : je ne sais si c'est celle [manuscrit du XIe siècle] qu'on vient de retrouver, Analecta Bollandiana, V, p. 178-181, et qui le fait oriundus ex provincia Africa). La Chronique de Sigebert place la mort de Romain en 385 (Scriptores de Pertz, VI, p. 303) : ce qui correspond au temps du concile de Bordeaux. Martin, pour y aller, devait précisément passer par Saintes et Blaye. Toutes ces questions seront traitées par les Bollandistes aux Acta du 24 novembre.

[190] A Paris, V. M., 18.

[191] A Vienne.

[192] En outre, près de l'Allier, à Artonne en Auvergne (Grégoire, In gl. confess., 5), où il a pu passer en allant à Vienne.

[193] Sulpice, Dialogues, III, 17, 6.

[194] Voici les principaux épisodes de destruction connus. Sans doute pour la Touraine : 1° in vico templum antiquissimum et arborent pinum, sans doute sanctuaire rural de la Mère des Dieux (V. III , 13, 1) ; 2° in vico, fano antiquissimo et celeberrimo (14, 1) ; 3° in vico Ambatiensi (Amboise) castello veteri [sur la colline] idolium noveratis grande opere constructum, politissimus saxis moles turrita in conum [var. tronum ; torum ?] sublime procedens (Dial., III, 8, 4.) ; 4° ailleurs, columnam immensæ molis, cui idolum superstabat (Dial., III, 9, 1) : ces deux derniers textes doivent viser, soit des colonnes dans le genre de celles au groupe du cavalier et du géant, soit à la rigueur des piles funéraires devenues objets de culte. Les temples dont parle Sulpice sont sans aucun doute ces sanctuaires de marches ruraux, si importants dans cette région, Gisomagus par exemple ou Turnomagus, qui sont lieux de foire. 5° A Levroux, Leprosus, dans le diocèse de Bourges, destruction d'un templum opulentissimum, aras omnes atque simulacra (V. M., 14, 3 et 6), ce qui correspond bien à l'importance religieuse de la localité.

[195] Sulpice, V. M., 14, 5 : il s'agit dans ce texte de deux anges hastati adque scutati, qui l'aident ut rusticam multitudinem fugarent, pendant qu'il démolit le temple de Levroux. J'ai peine à croire que ces deux anges ne soient pas des envoyés de Gratien.

[196] Sulpice, V. Mart., 13, 9 Ibi [en Touraine] nullus locus sit [locus dans le sens de vicus] qui non ecclesiis frequentissimis aut monasteriis sit repletus [sans doute le pluriel pour le singulier]. Nam ubi fana destruxerat, statim ibi aut ecclesias aut monasteria [groupements de prêtres] construebat. On voit par là que chaque vicus devait avoir un temple principal, ce qui préparait l'organisation paroissiale des campagnes.

[197] Grégoire de Tours, qui a très certainement sur Martin des documents tourangeaux originels autres que les textes de Sulpice, lui attribue la création des paroisses suivantes (Hist. Franc., X, 31, p. 444, Kr.), invicis Alingaviensi [Langeais], Solonacensi [Sonnay], Ambaciensi [Amboise ; cf. Sulpice, Dial., III, 8, 4], Cisomagensi, [Ciran-la-Latte], Tornomagensi [Tournon-Saint-Pierre], Condatensi [Candes ; c'est là qu'il est mort, Sulpice, Epist., 3, 6]. C'est à ces lieux qu'il faut rapporter les anecdotes de destruction miraculeuse. — Dans le Berry, aux confins de la Touraine, Claudiomagus (Clion), qui a dû être aux temps païens un lieu fréquenté de culte et de marché, est devenu un centre chrétien important, ecclesia celebris, avec martyria (religione sanctorum) et confréries de vierges (sacrarum virginum multitudine) ; Sulpice, Dial., II, 8, 7.

[198] Sulpice, V. Mart., 17, 1 et s. (il s'agit d'un proconsul, Tætradius) ; 19, 1. et s. (il s'agit d'un ancien préfet, Arborius, neveu d'Ausone) ; Dial., II, 2, 3 et s. (Evanthius, oncle de Sulpice Sévère) ; III, 3, 1 et s. (l'épouse du comte Avitianus) ; 14, 3 et s. (Lycontius, ancien vicaire de préfet).

[199] Cf. t. VIII, ch. III, § 1-4.

[200] Sans parler des conversions par complaisance, comme on en signala dès Constantin (Sozomène, II, 5, Patr. Gr., LXVII, c. 945).

[201] T. VIII, ch. III, § 2 ; cf. V. Mart., 19, 3-5 ; 25, 4 ; Dial., III, 17, 3. La conversion doit se placer vers 389-390 ; la rencontre avec Victrice et Martin à Vienne, vers 386 (Paulin, Epist., 18, § 9, Patr. Lat., LXI, c. 242) ; la guérison des yeux de Paulin par Martin, soit à Vienne en 386, soit ailleurs entre 386 et 389.

[202] Gennadius, 19. Cf. t. VIII, ch. III, § 2, ch. V, § 9, ch. VI, § II.

[203] Un des plus célèbres disciples de Martin, prêtre à Marmoutier, mort vers le même temps que lui, fut Clarus (saint Clair ; au 8 novembre) : adulescens nobilissimus, cura relictis omnibus se ad Martinum contulisset ; Sulpice, V. M., 23 ; Epist., 2, 4. Il faut ajouter Heras, qui fut évêque d'Arles de 408 à 412 (cf. Prosper, p. 466, Mommsen), et Brice, successeur de Martin à Tours. Peut-être aussi Romain de Blaye. Il n'y a aucun indice, au contraire, que Victrice ait été disciple de Martin : c'est un ancien soldat, qui s'est fait licencier pour se consacrer au Christ (Paulin, Epist., 18, § 7). Je laisse de côté tous les noms de disciples introduits par la fantaisie des hagiographes ultérieurs. cf., sur les disciples de Martin, Tillemont, Mém., X, p. 351 et suiv.

[204] La fille d'Arborius, lequel, préfet de Rome et neveu d'Ausone, était entre tous, comme on disait, alors, une sublimis potestas, un des plus hauts fonctionnaires de l'Empire ; Sulpice, V. Mart., 19, 1-2.

[205] Que cette lutte contre les sanctuaires ruraux ait été générale en Gaule sous Gratien (375-383), c'est ce que montre le fait que, pour ceux de ces sanctuaires qui ont continué à subsister après le IIIe siècle, les monnaies s'arrêtent d'ordinaire vers ce temps-là, ce qui ne peut pas s'expliquer par des faits d'ordre militaire. De Vesly, Les Fana, p. 141 (arrêt entre 378 et 388). — C'est également à cette époque qu'il faut rapporter la création des paroisses rurales de vici que nous trouvons mentionnées à la fin du siècle, par exemple chez Ausone au village de son domaine du pagus Novarus entre Saintes et Poitiers, celebri frequens ecclesia vico (Epist., 25, 94). Toutefois, l'existence de telles paroisses, au moins dans les vici importants, apparaîtrait des 346 sur les bords du Rhin, si le concile de Cologne est authentique. Et on en trouverait sur le territoire de Marseille ou d'Arles dès les abords de 300 (Nice, Toulon, Garguier, Ceyreste) ; — Les paroisses rurales constituées dans les villas doivent être le plus souvent postérieures, et se rattacher aux générosités des nobles convertis sous Théodose.

[206] Gallia Martinum, Delphinum Aquitania sumsit ; Paulin, Carmina, 30, v. 76. Il dirigea la lutte contre Priscillien dès 380 (Sulpice, Chron., II, 48, 2 ; il assista au concile de Saragosse), baptisa Paulin au plus tard vers 389-390 (Paulin, Epist., 3, 4, P. Lat., LXI, c. 163). Il vivait encore vers 403 ; il a dû mourir peu après (Paulin, Epist., 35).

[207] Au plus tard lors de la rencontre à Vienne avec Martin et Paulin, en 386 ? Paulin écrit à Victrice qu'il le rencontra apud Martinum (Paulin, Epist., 18, § 9, P. Lat., LXI, c. 242). L'expression de Paulin, Martinum cui te Dominas parem fecit, indique bien chez Victrice la dignité épiscopale, et sans doute même métropolitaine. — Sur saint Victrice, il y a un bon livre de Vacandard dans la collection Les Saints, 1903, 2e éd.

[208] La mission de Victrice se place, d'après Paulin (Epist., 18, § 4, P. L., LXI, c. 239 ; lettre écrite vers 399), in terra Morinorum [cité de Thérouanne et sans doute aussi de Boulogne], in remotissimo Nervici littoris tractu [même région, et aussi, ou plutôt seulement la Flandre maritime jusqu'à l'Escaut, ancienne dépendance des Ménapes, de l'Aa à l'Escaut], ubi quondam deserta silvarum ac littorum pariter intuta [à la suite des malheurs du IIIe siècle] advenæ barbari [établissements de Saxons] aut latrones incolæ [des bergers libres à demi nomades, plutôt que des brigands] frequentabant, nunc venerabiles et angelici sanctorum [moines-prêtres] chori urbes [de simples villages], oppida [plutôt des villas], insulas [non pas les îles du Rhin, mais les îlots de galets ou de sables au milieu des marécages de la Flandre maritime, par exemple à Saint-Pierre-de-Calais, Marck, Oye, etc. ; cf. Lesmariés, Dunkerque, p. 428-9], silvas ecclesiis [les églises paroissiales] et monasteriis [les groupes ecclésiastiques qui desservent les oratoires] plebe numerosis... celebrant.

[209] Voyez la lettre que lui adresse le pape Innocent le 15 février 404 (Epist., 2, Patr. Lat., IX. c. 469 et s.) il avait demandé à Innocent de lui indiquer Romanæ ecclesiæ normam atque auctoritatem.

[210] Sulpice, Dial., III, 2, 4 ; Paulin, Épist., 18, § 9.

[211] C'est bien sous le règne de Gratien que les chroniqueurs placent la grande célébrité de Martin ; Prosper, p. 461, Mommsen : Martinus episcopus Turinorurn Galliæ civitatis mutas [miraculorum signis, ajoute Isidore de Séville, Chron., § 105, c. 1051, Migne] clarus habetur. — Voyez, dans cet ordre d'idées, l'éloge particulier fait par les Chronica Gallica (Chr. min., p. 629, Mommsen) de Martin et d'Ambroise, considérés comme les plus grands évêques du temps de Valentinien. Ce que Sozomène dit de Martin (III, 14, P. Gr., LXVII, c. 1081) est emprunté à Sulpice Sévère. — Il n'y a pas à s'arrêter au document appelé liber Martini De Trinitate, profession de foi (professio fidei catholicæ) qu'on a reconnue depuis longtemps n'émaner nullement de saint Martin (cf. dom Labat, c. 277).

[212] Imperator Cæsar Flavius Gratianus Augustus. Il avait 16 ans et demi à la mort de son père.

[213] Cf. Ammien, XXX, 10, 6 ; XXXI, 10, 18 ; Ausone, Gratiarum actio, 14-15, 63-71.

[214] Et même ceux qu'on appela des tyrans, c'est-à-dire les usurpateurs Magnence, Maxime et Eugène.

[215] C'est le souverain idéal de ce temps-là. Ammien, XXXI, 10, 19 ; XXI, 16, 11.

[216] Le 17 novembre 375, au cours d'une expédition sur le Danube.

[217] Flavius Valentinianus (junior) Augustus.

[218] Ammien, XXX, 10 . Merobaud et les autres chefs qui entouraient Valentinien, craignaient un coup d'État des troupes de Gaule (cohortes Gallicanæ, miles Gallicanus), non semper dicatæ legitimorum principum fidei [remarquez ce souci croissant de la légitimité], velut imperiorum arbitræ. Gratien, en l'absence de son père, était alors à Trèves. Les généraux agirent avec une telle rapidité, que le jeune Valentinien, qui était alors à 100 milles de là avec sa mère Justine dans la villa de Murocincta, put être amené et proclamé au camp 6 jours après la mort de son père.

[219] Le 9 août 378.

[220] Théodose était originaire d'Espagne et son avènement fournit aux écrivains du temps une des très rares occasions, en dehors des affaires de l'Église, de parler des hommes et choses de ce pays ; Panegyrici, XII, 4.

[221] Le 19 janvier 379, à Sirmium. — Flavius Theodosius Augustus.

[222] C'est ainsi que j'interprète le mot d'Ammien (XXXI, 10, 19), incidentia multa parvi ducebat et seria.

[223] Ammien, XXXI, 10, 18-19.

[224] Ammien, XXXI, 10, 18 ; Épit. de Cæs., 47, 4.

[225] Gratien ne fit un long séjour en Italie qu'à partir de 381, y resta peut-être toute l'année 382 et au moins jusqu'en juin 383. Et ce fut sans doute en son absence, et peut-être à cause de la longue durée de ce séjour, que Maxime réussit à se faire proclamer et accepter comme Auguste.

[226] Dès le début de 378 ; Ammien, XXXI, 10, 3.

[227] Ou tout au moins dès le départ du gros de ses troupes ; Ammien, XXXI, 10, 5-6.

[228] Il y eut, semble-t-il, deux passages du Rhin par les Alamans. L'un en février, sur la glace, à la suite de quoi les Mamans furent repoussés par les Celtes et les Pétulants, campés dans le voisinage (ils étaient donc revenus d'Orient) : il s'agit des Alamans Lentiens seulement, et sans doute d'un passage du côte de Zurzach. L'autre passage fut plus près de Bâle ? mais au printemps, après le départ de ces troupes pour l'Orient, et exécute par une armée fournie par tous les pagi des Mamans (de 40.000 à 70.000 hommes suivant les récits, dit Ammien, XXXI, 10, 5 ; le premier chiffre parait déjà exagéré).

[229] Ammien, XXXI, 10, 6 : à la tête de l'armée étaient Nannienus et Mallobaudes, celui-ci rex Francorurn et comes Domesticorum.

[230] Apud Argentariam, qui est Horbourg près de Colmar : peut-être la rencontre eut-elle lieu sur la route, à travers bois, de Horbourg à Brisach ; Ammien, XXXI, 10, 8-10 ; Orose, VII, 33, 8 ; Épit. de Cæs., 47, 2 ; Jérôme, ad a. Abr. 2393. En juin ?

[231] La tradition (n. précédente) fixait à 30.000 le nombre des Barbares tués ; Ammien dit qu'il ne s'en sauva que 5.000, qui purent se cacher dans les bois épais des environs (le Kastenwald, entre Colmar et Brisach ?) ; XXXI, 10, 10.

[232] Ammien, XXXI, 10, 11. Sans doute au passage traditionnel de Zurzach.

[233] Ammien indique (XXXI, 10, 11-17) que Gratien eut à combattre dans un pays fort accidenté, une première zone de collines et de rochers, puis une autre de montagnes plus hautes. De Zurzach jusqu'à la Rauhe Alp ?? ou plutôt, seulement jusqu'aux montagnes du Randen ? en tout cas contre les Lentiens (dans l'occurrence, surtout en Klettgau et Hegau). Il gagna ensuite le Danube par le sud du lac de Constance (Arbor Felix, Arbon) et de la Bavière, jusqu'à Lauriacus (Lorch ; voir Itin. Ant., p. 235-8, W.) ; Ammien, XXXI, 10, 20.

[234] Bellicosus ; Ammien, XXXI, 10, 18.

[235] Gentes hebetavit occiduas ; 10, 18.

[236] Il semble que Gratien soit revenu en Gaule par l'Italie du nord [Galliam veterem], le Splugen [insuperabilia Rætiæ], le haut Rhin [Rheni accolas], la route de Bâle à Mayence le long du Rhin [Sequanorum invia, porrecta Germaniæ] ; Ausone, Gratiarum actio, 18, 82.

[237] Gratien dut revenir à Trèves en septembre 379 (il y est le 14 ; C. Th., XIII, 3, 12). C'est à la fin de 379 que le poète Ausone, consul de l'année, prononça devant lui le panégyrique traditionnel, que l'absence de l'empereur l'avait empêche de lire le far janvier. Peiper (p. CIII) a supposé, d'après 7, 34, que la Gratiarum actio avait été prononcée en Gaule ailleurs qu'à Trèves, et avant le retour de Gratien dans cette ville.

[238] Voyez le panégyrique d'Ausone, fin de 379.

[239] Les dangers refluent sur Cologne.

[240] Remarquez l'effacement politique des préfets du prétoire dans les Gaules sous son règne. — Maximin, le fameux préfet de Valentinien, est remplacé par Antonius de 376 à 378 (C. Théod., XIII, 3, Il ; XI, 39, 7, 12 janvier 378), préfecture dont ne parle aucun texte de façon précise (cf. Seeck, édit. de Symmaque, p. CVIII). — Puis vient, dès le 20 avril 378 (Code Théod., VIII, 5, 35 : Auxonium dans la suscription), le poète Ausone (Decimus Magnus Ausonius), lequel est sans doute encore en charge en 379. J'hésite à accepter l'hypothèse de Seeck (Regesten, p. 148 et 473), renouvelée de Godefroy (Prosop., p. 59), qu'Ausone, son fils et leurs successeurs aient obtenu à la fois les préfectures de Gaule et d'Italie ; mais il faut avouer que cette hypothèse est justifiée par le vers d'Ausone, deux fois répété, præfectus Gallias et Libyæ et Latio (Ans. lectori, 36 ; Epicedion, 2, 42), et par la loi à Hesperius (C. Th., XIII, I, 11) ; je crois d'ailleurs, comme l'a supposé Godefroy, que si Ausone et son fils ont été préfets en titre de tout l'Occident, ils ont pu en fait se partager les provinces. Mais en tout cas, la pluralité en principe des préfectures me parait résulter d'une loi de 378 (C. Th., X, 19, 9), mentionnant illustres viros præfectos Galliarum et Italiæ, et du mot même de duplex præfectura dont se sert Ausone lui-même (Liber protrepticus, 91). Remarquez enfin qu'Ausone, nommé consul pour 379, ne remercie Gratien qu'en tant que præfectus Galliarum (Grat. actio, 8, 40). — Puis, en juillet 379, le fils d'Ausone, Decimius Hesperius Hilarianus (Code Théod., XIII, I, 11) : mais cette préfecture est douteuse. — En 380 [peut-être dès la fin de 379 ; Code Théod., XI, 31, 7], Siburius ; douteux. — En 380 encore, mais sans certitude, Sextus Petronius Probus (C. Théod., VI, 28, 2 ; 35, 10). — En 381 ? Flavius Afranius Syagrius ? (d'après Sidoine, Epist., VII, 12, 1). — En 382-383 ? Hypatius ? (cf. Ammien, XXIX, 2, 16). — En 383, Proculus Gregorius (Sulpice, Chron., II, 49, 2). — Il faut enfin faire place sous le règne de Gratien (entre 380 et 383) à la préfecture de Manlius Theodorus, célébrée par Claudien (De Manlii Theodori cons., 47-60 ; voyez l'index dans l'édit. Jeep, II, p. 255). — Sur les discussions que provoquent les préfets de ce règne, Borghesi, Œuvres, X, édit. Cuq, p. 699 et s. ; Seeck, Regesten, p. 148 et 473. — Il est évident que la préfecture des Gaules, sous Gratien, ne conserve ses titulaires guère plus d'une année, qu'elle est rarement donnée à des administrateurs, tels que le furent Florentius sous Constance et Maximin sous Valentinien. Ce changement de caractère apporté par Gratien dans la préfecture, me parait marqué au début de la Gratiarum actio d'Ausone (1, 3) : Palatium, cum terribile acceperis, amabile præstitisti : forum et basilicæ olim negotiis plena, nunc votis pro tua salute.

[241] Nann[i]enus comes en 370 en Germanie Inferieure, diaturno bellorum labore conpertus (Ammien, XXVIII, 5, 1) ; nous le retrouvons en 378 à la bataille de Horbourg, dux virtutis sobriæ (XXXI, 10, 6-7). C'est sans doute lui que Grégoire appelle Nanninus ou Nannenus et nous le montre magister militaris de Maxime vers 388, et refusant de franchir le Rhin qua non inparatus et parce que les Barbares seraient in locis suis fortiores : en quoi, on reconnaîtra sa prudence. Je crois le nom germanique.

[242] En 355, lors de l'affaire de Sylvain, il est, près du prince, tribunus Armaturarum, troupe d'élite du palais (XIV, 11, 21 ; XV, 5, 6) ; en 378, lors de la bataille de Horbourg, il est dit comes Domesticorum et rex Francorurn, vir bellicosus et fortis (XXXI, 10, 6 et 7). C'est sans doute sous le règne de Gratien qu'il fit périr dans une embuscade, et au delà du Rhin, le roi des Alamans Macrien (Mallobaudes bellicosi regis, XXX, 3, 7). La tradition d'Ammien mit tantôt me- tantôt ma-, ce qui n'a aucune importance ; les germanistes acceptent Mallobaudes comme la véritable orthographe.

[243] Gentilium rector en 355, lors de l'affaire de Sylvain, autre troupe d'élite du palais (XV, 5, 6) ; il refuse en 363-364, à la mort de Julien, la succession de Jovin comme magister armorum (XXV, 8, Il ; 10, 6).

[244] Flavius Merobaudes ; Ammien, XXVIII, 6, 29 (en 371) ; XXX, 10, 2-4 (en 375 : il préside le conseil de guerre qui déclare Auguste le jeune Valentinien), XXXI, 7, 4 (en 377 : il fait tout son possible pour que la Gaule ne soit pas démunie de troupes au moment de l'affaire des Goths). Il fut fait consul pour 377 et pour 383. Tout porte à croire qu'il a été maître général de la milice sous Valentinien et Gratien. C'est de lui que le Panégyriste de Théodose dit (Paneg., XII, 28), qu'il mourut (en 383) post amplissimos magistratus et purpuras consulares et contractum infra unam dumum quemdam honorum senatum, c'est-à-dire que ses parents et descendants avaient été eux aussi admis aux charges importantes et au clarissimat. Et il s'exprime sur Merobaud comme il l'aurait fait sur un Paulin ou un Probus. — Son nom prouve une origine germanique et fort probablement franque.

[245] Sur les variantes du nom, Schœnfeld, p. 189-192. Richomeres comes Donmesticorum de Gratien en 377 (Ammien, XXXI, 7, 4) ; sans doute ensuite magister equitum ; consul en 384 ; magister utriusque militiæ en 391 (en Occident ; Code Théod., VII, 1, 13 ; peut-être a-t-il succédé à Bauto). — On a révoqué en doute son origine franque (Seeck, édit. de Symmaque, p. CXXXV) : mais le nom se retrouve chez les Saliens (cf. Grégoire, H. Fr., II, 9). Ammien (XXXI, 12, 15) signale l'illustration de sa naissance. Par suite, il n'y a pas d'impossibilité à ce que ce Ricomer soit le père de Theudomer, qui, dit-on, fut plus tard roi chez les Francs [Saliens] (Grégoire, H. Fr., II, 9, p. 77, Arndt ; Frédégaire, III, 9).

[246] Très certainement un Franc ; voyez ce que Zosime dit de lui et d'Arbogast son rival (IV, 33, 2). Chef dans l'armée de Gratien en 380 (Zosime, ibid.), consul en 385 ; maître des deux milices en Occident au moins de 383 ? à 391 ?

[247] Cf. n. précédente.

[248] Les généraux francs jouent alors exactement le même rôle que les généraux illyriens à l'époque de la Restauration. — Les Alamans, à coup sûr, ne furent pas exclus des hautes charges : Agilo, tribunus stabuli en 354 (XIV, 10, 8), puis tribanus Gentilium [et ?] Scutariorum, devient magister equitum en Orient en 360 (XX, 2, 5), et ensuite magister peditum de Constance et de Julien (XXI, 12, 16) ; le roi Vadomar est fait duc de Phénicie après 360 (XXI, 3, 6). Mais il est certain qu'ils y furent infiniment moins nombreux que les Francs ; ils apparaissent assez rarement à l'armée après Constance, et il semble qu'on les tienne des lors éloignés du Rhin : Valentinien, par exemple, ne veut installer qu'en Bretagne les soldats alamans, avec pour tribun un roi de leur nation (Ammien, XXIX, 4, 7) ; et Ammien, qui n'a pas un mot contre les chefs francs, nous donne quantité de détails qui montrent qu'on suspectait toujours la fidélité des officiers d'origine alamanique (XIV, 10, 8 ; XXI, 3,5 ; XXIX, 4,7) ; les généraux francs, au contraire, ne quittent guère la Gaule ou l'Italie, et cela, depuis Silvain. — On a fait (Schœnfeld, p 68) un Germain de Dagalaifus, qui fut comes Domesticorum, magister equitum, puis militum, consul (en 366). Je crois plutôt à une origine asiatique.

[249] De même, Vadomar. Ammien, XXIX, 4, 7, dit de Valentinien à la date de 373 : Regem Fraomarium in Britannos translatum potestate tribuni Alamannorum præfecerat numero, ea tempestate [on dut le réduire à la fin du siècle, au temps de la guerre de Horbourg] multitudine viribusque fiorenti ; nationis ejusdem primates item regere milites jussit.

[250] Voyez la conduite de Ricomer, qui est certainement de très noble origine, s'offrant de se rendre comme otage chez les Goths en 378 (Ammien, XXXI, 12, 15, pulchrum facinus).

[251] Le consulat.

[252] Voyez le mot de Zosime sur Arbogast et Bauto (IV, 33, 2).

[253] Lettres de Libanius (n° 785, 891, 926, 944, édit. Wolf ; voyez aussi Orat., I, § 219-220, p. 180, Forster) et de Symmaque (Epist., III, 54-69, Seeck). Libanius fit son panégyrique consulaire en 384 (Orat., ibid.).

[254] A Milan, à l'occasion de son consulat de 385 ; Augustin, Conf., VI, 6, 9 ; le même, C. litt. Pet., III, 25, 30, p. 185, Petschenig. Voyez les lettres que lui adresse Symmaque, Epist., IV, 15 et 16.

[255] Bauto sans doute, encore que les textes ne soient pas nets (Ambroise, Epist., I, 24, § 4 et 8 ; 1, 57, § 3 ; Patr. Lat., c. 1036-8, 1175). Mais n'oublions pas que sa fille Eudoxta épousa Arcadius, le fils aîné de Théodose, en 395 (Philostorge, XI, 6, p. 136, Bidez).

[256] Sans doute Arbogast ; Ricomer : Libanius, Orat., I, § 219, p. 180.

[257] L'expression dont se sert Libanius (Orat., I, § 219, p. 180) indique bien que Ricomer adorait les dieux de l'Empire. C'est pour cela que j'accepterais difficilement l'opinion courante, qui fait de Clovis un adorateur des dieux germains, lequel, à vrai dire, ne pouvait guère être plus germanique que Silvain ou Mallobaud. Cf. t VIII, ch. VI, § 10.

[258] Mérobaud fut même, chose extraordinaire, consul deux fois, en 377 et 383 ; Ricomer, en 384, Bauto, en 385. L'alternance de consuls, tirés de la noblesse romaine et des préfets d'une part, des maîtres de la milice et des chefs barbares de l'autre, est bien marquée par Ausone dans son panégyrique de Gratien (Grat. ætio, 4, 16). Elle parait inaugurée en 362 par Julien avec le consulat de Mamertin et de Nevitta, celui-ci sans doute d'origine barbare, mais dont il n'est nullement prouvé qu'il fût un Franc (XXI, 10, 8).

[259] Voyez les expressions du Panégyriste. Cf. t. VIII, ch. III, § 1.

[260] Il reste une dernière question à poser : à quel groupe de Francs appartenaient ces Francs, aux Saliens sujets de l'Empire, ou aux Chamaves, Ripuaires, Attuaires ou autres, indépendants sur la rive droite ? Aucun indice ne permet jusqu'ici de répondre à coup sûr pour aucun de ces chefs. Ricomer peut être un Salien, Mallobaud, roi peut-être chez les Ripuaires.

[261] Sur le préfets de ces deux règnes, voir la note du § V. — Les beaux jours de Trèves.