HISTOIRE DE LA GAULE

TOME VII. — LES EMPEREURS DE TRÈVES. - I. - LES CHEFS.

CHAPITRE II. — LES COLLABORATEURS DE DIOCLÉTIEN[1].

 

 

I. — DIOCLÉTIEN ; L'EMPIRE PARTAGÉ ENTRE JUPITER ET HERCULE.

Dioclétien[2] sut comprendre les leçons du passé et appliquer les remèdes qu'elles indiquaient.

Faut-il en attribuer le mérite à l'homme lui-même, à la netteté de son intelligence et à son esprit de décision ? Ou bien, eut-il auprès de lui quelques-uns de ces conseillers avertis et patriotes qui ne manquèrent jamais à la fortune de l'Empire romain ? Toujours est-il que de son avènement et de ses premiers actes date pour cet Empire et surtout pour la Gaule une très longue période, plus d'un siècle, sinon de prospérité, du moins de tranquillité, où bien des ruines se réparèrent, où les campagnes furent remises en valeur, ou l'activité intellectuelle se réveilla, où les hommes accomplirent mieux leur devoir, et où le monde civilisé se redressa pour faire face aux Barbares et s'assurer un dernier regain de travail et de confiance. J'ai peine à croire, cette renaissance de l'Empire commence à Dioclétien, si les contemporains reconnaissants ont attaché son nom à cette aube nouvelle[3], que ce fut affaire de hasard, de chance ou de flagornerie ; et j'aime mieux supposer qu'il y a aidé par la profondeur de ses réflexions, la sagesse de ses desseins, l'habileté de ses actes, un intense désir de faire son métier d'empereur, et que ce n'est point par simple caprice qu'il cherchait à imiter Marc-Aurèle[4].

Au surplus, c'est peu à peu que les réformes furent introduites, et il n'y en eut aucune qui n'ait été justifiée par un précédent historique ou un motif politique. On sent que chez le nouvel empereur la théorie est peu de chose, et que l'expérience prime tout : je ne le juge pas d'après les dithyrambes de ses panégyristes[5] ou les injures des Chrétiens[6], je le juge d'après la nature et les résultats de son œuvre.

Proclamé empereur en Orient (284)[7], il ne songe d'abord qu'à se débarrasser de son rival Carin, qui amenait contre lui les troupes de l'Occident. Ces troupes, auxquelles les luttes sur le Rhin ou le Danube avaient donné une force particulière[8], vainquirent les Orientaux sur ces terres d'Illyrie où se décidait d'ordinaire la lutte entre les deux moitiés de l'Empire[9]. Mais une fois victorieuse, l'armée de Carin supprima son chef et proclama Dioclétien[10], comme si, son amour-propre satisfait, elle ne voulait plus reconnaître que l'unité de l'Empire et la valeur supérieure de son adversaire.

Cette unité rétablie, assuré du pouvoir, Dioclétien s'adjoignit comme César, c'est-à-dire comme héritier, un de ses officiers supérieurs, Maximien[11]. Jusque-là rien ne différait de ce que tous les empereurs avaient fait depuis Auguste : c'était un règlement de succession, et pas autre chose. L'unité de l'Empire demeure intacte (285 ?)[12].

Quelques mois se passent, pendant lesquels Dioclétien peut se rendre compte de l'état de l'Occident : la mort de Probus, le départ de Carin et de son armée, ont livré de nouveau la frontière aux Barbares[13] et la mer aux pirates ; et les vagabonds de la Gaule, les Bagaudes, se sentent maintenant assez nombreux pour s'organiser en armée et commencer des opérations de longue haleine[14]. Que ce triple danger s'accroisse, et la Gaule va de nouveau être perdue pour l'Empire.

Alors Dioclétien n'hésite pas. Renouvelant la tradition de Marc-Aurèle son maître[15], il fait de Maximien un Auguste[16], et il partage l'Empire entre ses deux chefs, mais entre deux chefs qui doivent s'aimer, s'aider, se parler comme deux frères[17] Un couple fraternel gouvernera le monde en une absolue unanimité[18].

Pour que ce lien familial et politique soit encore plus respecté des peuples, pour que cette union ajoute un nouveau prestige aux titres impériaux, Dioclétien prendra le nom de Jupiter, et donnera celui d'Hercule à Maximien[19]. — Cela nous parait bizarre et puéril[20], Les contemporains n'en ont point jugé ainsi, je mets à part les Chrétiens. Dioclétien Jupiter et Maximien Hercule, c'était une famille divine qui présiderait à cet Empire de la terre où beaucoup voyaient l'image du ciel[21] ; c'était le réveil, dans le monde romain, de ce double culte de Jupiter maitre du Capitole et d'Hercule héros du Palatin qui, depuis l'origine, avait fait l'orgueil et la sainteté de la Ville Éternelle[22] ; c'était mettre, au-dessus ou en dehors de toutes les religions[23], la religion nationale par excellence ; c'était résumer par des dieux symboliques les devoirs essentiels de l'Empire et de ses chefs, sagesse à la tête et courage aux mains, commander et agir, Jupiter la loi et l'arbitre de l'univers et Hercule le dompteur du sol et le pacificateur des hommes[24]. Et c'était aussi rappeler à tous que Maximien ne serait que le collaborateur dans l'acte de travail, et que Dioclétien demeurerait le créateur du droit et l'inspirateur de l'œuvre[25].

En sa qualité d'Hercule, Maximien reçut la tâche principale, qui était en Occident. Dioclétien se réserva l'Orient[26]. Au-dessus des deux moitiés de l'Empire, Rome restait la souveraine morale du monde[27]. Mais le fait qu'elle dépendait d'Hercule et non pas de Jupiter, marquait pour elle un premier pas vers la déchéance ; et le fait que Maximien, à la tête de la principale armée active de l'Empire, se dirige vers l'Occident pour combattre et s'installer en Gaule, appelle celle-ci au premier rôle et l'impose à l'attention des hommes[28].

 

II. — MAXIMIEN[29] ; LA REPRESSION DES BAGAUDES.

Les Chrétiens ont fait de Maximien une sorte de brute, un tyran forcené, cruel, avide, violent et fourbe[30], et il est possible qu'il ait plus d'une fois donné prise à ces jugements. Mais il fut en tout cas ce qu'il fallait être en ces heures terribles, homme de tête et d'action[31].

Ce qui pressait le plus, ce n'était pas le Barbare de la frontière, c'était le Bagaude de l'intérieur. Avant d'arriver jusqu'au Rhin, on devait s'assurer les routes de la Gaule, que tenaient les révoltés.

Qu'étaient-ils exactement ? Nous les connaissons fort mal, et la tradition a mêlé sur leur compte beaucoup de légendes à très peu de faits réels[32]. On les appelait les Bagaudes, Bagaudæ, et peut-être se sont-ils désignés ainsi eux-mêmes[33], par dérision pour leurs propres misères, comme feront plus tard les Gueux des Pays-Bas, qui transformaient en titre de gloire un sobriquet d'injure. Car le mot signifiait en gaulois les vagabonds, les fugitifs[34], et c'était bien là le caractère commun de tous ces hommes, qu'ils avaient fui leur condition originelle, cultivateurs hors de leurs champs, ouvriers hors de leurs ateliers, soldats déserteurs loin de leurs tentes, et sans doute Barbares loin de leurs patries[35].

Dans l'ensemble, le paysan dominait, et de beaucoup. Le prolétariat rural faisait le nombre et la force des troupes de ces Bagaudes[36] : le laboureur y est fantassin, et le pâtre cavalier, disait un contemporain[37]. Bergers, bouviers, forestiers, agriculteurs, vignerons, esclaves, colons, et sans doute aussi fermiers et derniers survivants de la petite propriété[38], la terre misérable avait rejeté dans la révolte tous ceux qu'elle ne nourrissait plus.

Que voulaient-ils et que prétendaient-ils faire ? Nous ne le saurons jamais[39]. L'histoire nous montre les Bagaudes apparaissant en un jour, et disparaissant presque aussitôt[40]. Elle n'a pas de détails sur ces malheureux, elle eut même honte de parler de la guerre qu'on leur fit et des victoires qu'on remporta sur eux.

On a dit qu'il y avait des Chrétiens parmi eux[41] : j'en doute fort, le Christianisme n'ayant pas encore pénétré dans les campagnes gauloises. On a dit encore que leur principale forteresse était la butte du vieux Saint-Maur dans la cité des Parisiens : je ne vois là qu'une pure légende. Il est vrai que des légendes de celte sorte montrent l'impression que l'affaire des Bagaudes fit plus tard sur les chroniqueurs du Moyen Age, qui, à la différence des historiens modernes, n'ont pu se résigner à ne rien savoir.

L'organisation de leurs troupes semble avoir été assez bien comprise, puisque Maximien eut de la peine à les réduire. Ils eurent, croit-on deux chefs suprêmes, Ælianus et Amandus[42] : s'il était vrai que ces chefs eussent frappé monnaie et pris le titre d'Auguste[43], cela prouverait de hautes ambitions chez ces maîtres de vagabonds, mais des ambitions qui les rapprocheraient singulièrement de la banalité du siècle. Je ne pense pas qu'ils aient eu à leur disposition de très fortes armées : s'ils ont essayé de surprendre des villes[44], je ne vois pas qu'ils en aient occupé nulle part. Leur stratégie consista surtout à multiplier les petites bandes, à préparer une guerre de surprises, d'embuscades et de coups de main[45].

Maximien mit certainement longtemps à les vaincre, et peut-être ne réussit-il pas à les détruire entièrement. Son armée, comme toutes les armées romaines, était mal faite pour ces escarmouches imprévues et sans cesse renouvelées[46]. S'il la conduisit tout entière avec lui par le Grand Saint-Bernard[47], une fois en Gaule il dut sans doute la partager en corps nombreux pour les rabattre sur les insurgés. Il n'en vint à bout, j'imagine, qu'en divisant le pays en secteurs militaires, correspondant aux carrefours et aux seuils principaux[48], et en refoulant et relançant les bandes de misérables à la façon d'un gibier aux abois ou à la manière dont Pompée avait traqué et supprimé les pirates[49]. Les nouvelles forteresses de l'intérieur purent jouer un rôle dans cette guerre, et servir de points de départ, d'appui ou de repère aux détachements impériaux[50]. On parla d'innombrables combats, dont aucun d'ailleurs ne mérita la gloire d'une victoire triomphale[51]. A la fin, les routes de la Gaule furent dégagées, et le pays rendu à ce qui restait de la paix romaine[52].

Toutefois, — et cette remarque reviendra souvent dans l'histoire de ce nouveau siècle romain, si plein d'utiles labeurs et que le succès absolu ne récompensa jamais, — il ne faut point parler ici de la destruction définitive des insurgés gaulois. Beaucoup échappèrent à la mort par une nouvelle fuite, et regagnèrent les bois ou les montagnes d'où ils étaient partis pour combattre Rome. Plus d'un malheureux les y rejoindra. Jusqu'à la fin de l'Empire il y aura des troupes de Bagaudes, et on les verra descendre sur les grandes routes aux heures de négligence. En marge de la vie publique et normale, une société d'irréguliers, de gens sans aveu ou hors la loi, disséminés à l'écart dans les régions difficiles, continuaient, à l'abri de leurs retraites, leurs rêves ou leurs méfaits[53].

 

III. — TRÈVES CAPITALE DE L'OCCIDENT.

 Maximien, à la frontière du Rhin, s'est arrêté un instant à Mayence[54], qui était le centre de la défense militaire et le lieu  ordinaire des concentrations d'hommes. C'était un poste de danger et de combat, qui pouvait convenir aux jours de bataille, mais qui n'était point fait pour la résidence auguste d'un empereur. L'hiver venu, il s'installe à Trèves, et il y prend possession, avec la pompe accoutumée, du titre consulaire (287)[55].

Cette cérémonie, qui se déroula dans la plus grande ville de la Gaule, prit l'importance d'un acte symbolique, la valeur d'une ère nouvelle. Ce n'était pas le hasard d'un voyage d'une expédition qui avait conduit l'empereur à Trèves pour revêtir la trabée consulaire et y recevoir les vœux solennels[56] : c'était la volonté ferme et réfléchie de faire de cette ville le centre militaire et politique de l'Occident en défense. A la même date, son frère Dioclétien s'installait à Nicomédie, et, lui aussi, inaugurait son consulat dans cette cité lointaine[57]. Nicomédie, face au Bosphore, était pour l'Orient ce que Trèves était pour l'Occident : l'empereur s'y trouvait à égale distance de ses ennemis de l'Euphrate et de ses ennemis du Danube ; elle commandait les routes militaires de terre et de mer qui vont de la Thrace à la Cappadoce et du Pont-Euxin à la mer Égée. Et Trèves, de la même manière, à égale distance des murailles romaines de l'île de Bretagne et des forteresses de l'Illyrie danubienne, proche de Cologne et de Mayence les deux grandes citadelles du Rhin, à portée des Francs au nord et des Alamans au sud, solidement bâtie sur cette Moselle qui est devenue la route nécessaire des renforts en hommes et des convois de vivres[58], Trèves était désignée depuis l'origine pour devenir le quartier général d'un empereur de frontière[59]. Germanicus et Claude avaient pressenti ce rôle, Postume l'avait esquissé, Maximien le réalisait. C'est à Trèves que l'Empire romain va commencer son dernier siècle d'Occident, qui sera peut-être son plus beau siècle, non pas certes par les œuvres de la paix et les joies de la vie, mais, ce qui vaut mieux, par les efforts de la volonté et la résistance aux malheurs. Séjour d'empereurs qui sont là pour travailler et pour combattre, la ville de la Moselle va prendre une grandeur et une dignité que sa rivale du Tibre pourra plus d'une fois envier[60].

Rome n'en restait pas moins la ville souveraine, le siège du sénat, la dispensatrice des noms suprêmes, l'ombilic de la terre, la mère de l'autorité impériale, la patrie unique[61]. Mais les deux nouveaux empereurs ne la connaissaient que de nom. Ni l'un ni l'autre n'avaient eu la pensée de s'y faire saluer à leur avènement. On ne sait trop quand Maximien y apparut pour la première fois[62]. Dioclétien n'y viendra qu'à la vingtième année de son règne, et n'y retournera plus[63]. Lorsque, en 290[64], les deux frères décidèrent de se revoir, afin de traiter ensemble des affaires de l'Empire, ce fut à Milan qu'ils se réunirent. Rome était trop loin de la frontière pour les yeux de ces princes qui ne regardaient plus que l'ennemi. Ils sauvaient son nom et son œuvre, et ne pensaient pas lui devoir autre chose[65].

A Trèves, Maximien voulut avoir l'image de la Ville Éternelle, l'illusion de sa grandeur et de sa vie[66]. Avec la même solennité qu'il y avait inauguré son consulat, il y commémora l'anniversaire de Rome, comme si la majesté de Rome se retrouvait aux bords de la Moselle (21 avril 289)[67]. Quelques mois après, ce fut le jour de sa propre naissance qui y donna lieu à de grandes fêtes et à des discours d'apothéose (21 juillet 291 ?)[68], et bientôt ce sera la fondation de Trèves elle-même que les empereurs et les hommes de l'Occident gaulois célébreront avec enthousiasme et reconnaissance, comme l'ère lointaine qui avait préparé les temps de leur salut et de leur gloire[69].

 

IV. — MAXIMIEN SUR LE RHIN ; L'ALLIANCE FRANQUE.

L'œuvre de victoire et de paix s'exécuta rapidement sur le Rhin. Elle comporta, assez habilement mêlées, des guerres, des intrigues et des alliances.

Maximien délivra d'abord la zone frontière la plus proche, qui était de la Suisse à la Moselle. De ce côté, on avait contre soi, depuis longtemps, les Alamans de Souabe, derrière lesquels les Burgondes étaient apparus en Franconie. Maintenant que la terre d'outre-Rhin est abandonnée aux Barbares, ceux-ci se sont répandus le long du fleuve, l'ont remonté jusqu'au lac de Constance, se sont insinués au sud du haut Danube, installés dans le coude de Bâle en masse d'invasion, ils menacent la Gaule et l'Italie tout ensemble[70]. Une énorme bande s'était constituée, faite des aventuriers de toutes les peuplades[71] ; et quelque part, peut-être du côté de Mayence, elle s'était ruée sur les campagnes de la rive gauche[72].

Mais c'était horde de pillards et non pas troupe de guerriers. Maximien n'eut pas à envoyer un corps d'armée. La bande ne put ou ne sut se nourrir sur ces terres dévastées, la famine se fit sentir, la peste se joignit à la famine, et, quand les détachements romains d'avant-garde se montrèrent, ils eurent surtout à ramasser des Germains pour préparer les cortèges triomphaux de l'empereur[73]. Quant à ceux des Barbares qui purent s'en retourner au delà du Rhin, ils ne songèrent qu'à s'entre-déchirer, Alamans d'un côté et Burgondes de l'autre, et leurs querelles complétèrent au profit de Rome l'échec de leur sotte entreprise[74].

Du côté de Cologne et du Rhin inférieur, en face des Francs, les affaires furent plus compliquées. Les Francs avaient pour complices[75] des bandes d'Hérules[76] venues des terres lointaines de la Germanie, vaillantes et audacieuses[77]. Maximien fonça sur elles avec quelques cohortes décidées, dont il prit lui-même le commandement et se souvenant qu'il avait été simple soldat, l'empereur courut à l'ennemi l'épée à la main. Les Barbares, attaqués à l'improviste et se gardant mal, furent enveloppés et massacrés[78]. Vraiment, il suffisait de peu de chose pour avoir raison de ce monde médiocre.

Alors, on s'occupa des Francs. Contre eux on se battit, non seulement sur la rive gauche[79], mais sur la rive droite. Maximien franchit un instant le fleuve, et il eut même la joie, étrangère depuis des siècles à un empereur romain[80], de descendre le Rhin jusqu'aux abords de l'Océan à travers les terres épouvantées de la Gueldre ou de la Hollande[81]. L'Île des Bataves se reconnaissait encore terre romaine, et jusqu'au Zuiderzee on se croyait toujours dans l'Empire[82].

C'étaient les Francs qui dominaient dans ces bas pays. L'empereur s'aboucha avec l'un d'eux[83], Gennobaud[84], et, disent les contemporains, on eut désormais, pour garder la frontière de Rome, un chef barbare, un roi de France[85], client et soldat de César. C'était même mal dire que de l'appeler barbare : ce royaume franc, s'écriaient les flatteurs officiels de Maximien, ce n'était plus une peuplade étrangère, c'était une sentinelle romaine en face de la Germanie, et, pour ainsi parler, la cité d'Empire la plus avancée du côté du Rhin. L'on racontait en effet que Gennobaud avait conduit lui-même ses guerriers devant l'empereur, que Maximien lui avait conféré solennellement le titre de roi, que le Franc, s'adressant alors à ses hommes, leur avait fait jurer d'obéir au maitre de Rome comme il lui obéissait lui-même, et que, leur montrant César Auguste, il les avait invités à le contempler tel qu'un dieu et tel qu'un souverain[86]. En cette scène, d'un roi franc se convertissant à l'Empire romain sur la frontière de Germanie, c'était une nouvelle histoire qui, à l'insu de tous, commençait dans le monde (288 ?).

Sur mer enfin, Maximien réorganisa la flotte de Boulogne[87] et il en confia la direction à un homme du métier et du pays, le Ménape Carausius[88]. Ce n'était qu'un ancien pilote : mais son audace et sa connaissance des choses de l'Océan firent de lui un amiral hors ligne, qui ne ressemblait guère à ces chefs romains si souvent inintelligents et timorés en matière navale[89]. En quelques semaines de courses, il purgea le Détroit des pirates, saxons, frisons ou francs[90].

Ces beaux faits d'armes et de politique risquaient d'être sans lendemain, si l'on ne prenait pas ensuite des précautions infinies. A chaque instant, un événement imprévu rappelait la permanence du danger. Le premier janvier 287[91], au moment même où Maximien parcourait les rues de Trèves en cortège triomphal, on vint lui annoncer en toute hâte que des bandes ennemies se montraient au voisinage de la ville. Il n'hésita pas, quitta la trabée consulaire, prit la cuirasse et l'épée, et, les portes ouvertes, lui et ses hommes dispersèrent les brigands. Puis l'on rentra dans Trèves, et la fête reprit son cours[92]. L'histoire est donnée pour vraie[93]. Mais si elle ne l'était pas, elle n'en serait pas moins le résumé et le signe de ce qui attendait un empereur du côté de la Germanie, de rapides heures de joie achetées au prix de rudes batailles.

 

V. — LA MAIN-D'ŒUVRE BARBARE EN GAULE.

Les chefs romains rendaient la pareille aux Barbares. A leur tour, ils franchissaient le fleuve à l'improviste, se ruaient sur les villages ou les campements ennemis, et c'était alors quelque formidable razzia, d'où l'on rapportait pêle-mêle des trésors repris aux Germains, des Romains délivrés, des femmes, des enfants, des hommes et des bestiaux, poussés en troupeaux lamentables[94].

Que la pompe oratoire dont les rhéteurs contemporains ont enveloppé cette histoire ne nous fasse point illusion. Ce que les empereurs faisaient là ce n'était qu'une chasse à l'esclave, traitant la Germanie à la manière dont les Arabes, depuis deux siècles, ont traité l'Afrique des noirs[95].

L'excuse, chez Maximien, était que pour réparer les maux faits par les invasions germaniques, il fallait beaucoup de bras. De telles razzias procuraient aux terres latines la main-d'œuvre dont elles avaient besoin, leur rendaient en partie la population qu'elles avaient perdue. C'étaient des préludes ou des préparations à la restauration économique de la Gaule. Depuis la mer du Nord jusqu'à la mer Noire, Dioclétien et son collaborateur ne cessèrent, sept ans durant, de chasser au Barbare. Il y eut des expéditions terriblement fructueuses, par exemple celles qui, sur le Danube, mirent fin aux derniers restes des Quades et des Marcomans[96], jadis si redoutables à Marc-Aurèle, ou celles qui transformèrent les bandes armées des Sarmates en une colossale réserve de bétail agricole, où l'on comptait par dizaines de milliers de têtes[97]. La Germanie achevait de se dépeupler pour repeupler l'Empire.

Comme, de cet Empire, c'était la Gaule qui avait le plus souffert, ce fut elle qui reçut la majeure partie du butin. On classait les misérables en différentes catégories, suivant leurs aptitudes ou leurs destinations Les uns étaient enrôlés aussitôt comme soldats, et c'étaient en particulier ceux des Germains qui, enlevés par quelque tribu ennemie de leur voisinage, avaient été délivrés par les troupes romaines : l'empereur leur rendait à demi la liberté, mais en les prenant à son service[98]. D'autres étaient réservés dès l'origine au travail des champs[99] ; et ce fut pour la Gaule une fortune inespérée que ce subit afflux de laboureurs barbares.

On expédia d'abord ces hommes dans les cités voisines de la frontière, qui avaient été le plus ravagées, et où surtout il importait de refaire le sol, par exemple chez les Trévires de la Moselle et les Nerviens du Hainaut[100], où l'on semait le blé destiné à nourrir les troupes et le palais[101]. Puis[102], ce fut dans les campagnes de l'Amiénois, du Beauvaisis, de Troyes, et dans ce pays de Langres dont il fallait reconstituer le fameux cheptel de bêtes ovines, instrument séculaire de la draperie gauloise. Tantôt, on formait avec ces étrangers de petits villages[103], qui portaient leur nom national, villages des Francs, des Sarmates, des Marcomans[104], et ces lieux sont devenus nos bourgades de Francs, de Sermaise ou de Marmagne, conservant à travers les siècles le site de leur fondation, et le vocable de leur origine[105]. Tantôt, on répartissait les captifs entre les propriétaires fonciers, et c'était une joie et comme une revanche pour le Romain de Trèves ou de Bavai, de confier son champ à un Franc ou à un Frison, laborieux et durs à la fatigue[106]. Avant d'être distribués dans les chantiers de travail, les troupeaux humains étaient massés sous les portiques des villes, et la foule gauloise, qui naguère avait tremblé devant ces Barbares, se pressait pour regarder ces monceaux d'épaves vivantes, où les hommes abattus se mêlaient aux vieilles femmes décharnées, où les mères essayaient de rassurer, en frissonnant elles-mêmes, les enfants attachés à leurs propres chaînes[107]. Mais grâce à ces misères de l'ennemi vaincu, le sol de la Gaule, en êtres et en moissons, commença à reprendre vie[108].

 

VI. — EFFORTS DE RÉORGANISATION MORALE ; LES PERSÉCUTIONS.

La confiance ou l'illusion renaissait très vite dans cet Empire où les plus effroyables malheurs avaient été suivis des plus brillantes victoires. Il y avait six ans à peine que Maximien était arrivé à Trèves, et les lettrés de Gaule entonnaient à nouveau leurs chants d'allégresse sur le réveil de la Fortune romaine[109]. On se hâtait de déclamer joyeusement au milieu de ruines encore fumantes. Maximien, si rude soldat qu'il fût, savait l'action que paroles et discours pouvaient exercer sur ces foules longtemps désemparées, et dont il fallait ranimer ou rajeunir la mentalité latine. La rhétorique classique, qui, elle, n'avait point souffert des invasions, mit ses imperturbables périodes au service des espérances nouvelles. Si les guerres précédentes avaient détruit les écoles et laissé les rhéteurs sans emploi, Maximien leur tailla de la besogne à sa cour et leur procura un vaste auditoire : à Trèves, les jours des fêtes impériales, un des plus illustres orateurs du pays[110] vint célébrer devant César Auguste, presque en face de la Porte Noire dressée contre l'ennemi tout proche, les courses triomphales du prince, l'Empire restauré Rome éternelle et invincible (289 et 291). A peine rassuré sur son avenir, la Gaule se remit à pérorer.

Maximien n'ignorait pas non plus que la solidité de la frontière dépend en partie de la foi, du courage et de l'accord à l'intérieur. C'est pour cela, sans nul doute, qu'il persécuta les Chrétiens. Que lui ou ses subalternes les aient jugés et condamnés sans mesure et sans réflexion, avec cruauté ou perfidie, je le croirai sans peine ; et qu'il y ait eu faux calcul[111] et crime d'humanité à frapper les hommes d'une croyance sincère, cela va de soi. Mais songeons qu'en ces années extraordinaires le danger était partout et que le monde semblait périr ne se sauverait que par le dévouement de tous à la cause romaine et à la volonté de l'empereur. Et puis, les nouveaux princes, Dioclétien et Maximien, ne se contentaient plus, comme leurs prédécesseurs, d'être Augustes, souverains pontifes et demi-dieux ; ils s'étaient faits dieux tout à fait, ils avaient pris les noms de Jupiter et d'Hercule, ils s'étaient mis eux-mêmes au rang de ces abominables idoles que le Christianisme était venu combattre et cela dut amener, chez les fidèles de l'Évangile, un redoublement de colères et de sarcasmes à l'endroit des maîtres de la terre[112].

Si donc Maximien a donné des ordres pour épurer l'armée ou les bureaux, pour punir ceux des soldats ou des fonctionnaires qui sacrifiaient le métier à la prière, s'il a même fait ou laissé saisir et exécuter les extrémistes de la foi nouvelle, les agents de propagande et de conversion[113], cela s'explique et n'est point à la honte de l'empereur. C'est ce qui put[114] amener en ce temps quelques-uns des plus célèbres martyres de la Gaule[115] : dans le Valais, celui de saint Maurice et de ses compagnons, officiers aux troupes thébaines amenées d'Orient par Maximien[116] ; à Marseille, celui de saint Victor, noble devenu chrétien qui refusait de servir l'Empire et qui bornait la tâche de sa vie à soutenir et à encourager ses frères de croyance[117] ; dans la Belgique de Reims, saint Quentin en Vermandois, saint Crépin et saint Crépinien à Soissons, d'autres encore, dont le principal crime était de proclamer trop librement leur foi[118].

Mais ne donnons pas à ces faits, si lamentables qu'ils fussent, une grande importance historique. Le nombre de ces exécutions fut, somme toute, assez restreint ; et je pense qu'elles furent fort peu remarquées en dehors des groupes de fidèles. Assurément, leur rôle dans l'avenir sera considérable ; elles doteront le sol et la vie de la Gaule de légendes touchantes, de pèlerinages universels, et même de nouvelles forces sociales. La vieille capitale ruinée du Vermandois, Augusta, devra à la tombe du martyr son nouveau nom, Saint-Quentin, et sa résurrection pour une gloire millénaire[119]. Autour du sépulcre réel ou supposé de saint Victor de Marseille, s'élèvera un monastère[120] qui deviendra riche et puissant, plus riche qu'une grande ville, plus puissant qu'un grand seigneur : il aura suffi d'un meurtre ordonné par Maximien, pour créer une des souverainetés de la Gaule chrétienne[121]. Mais ce sera l'affaire d'un très lointain avenir. Pour le moment, à part quelques amis qui prient sur des cadavres mutilés, la Gaule romaine, sans prendre garde à ces choses, continue les taches de son dur labeur.

 

VII. — LA TÉTRARCHIE ; CONSTANCE.

Mais les événements trompèrent de nouveau son énergie et  celle de son empereur. Sur l'Océan, Carausius, l'amiral de la flotte, dès qu'il en eut fini avec les pirates, se révolta contre Maximien[122]. Sur le Rhin, le danger, écarté de Mayence, refluait vers la Suisse[123] et le Danube[124] ce qui était une menace plus directe contre l'Italie. Au loin, les indigènes de l'Afrique étaient en pleine insurrection, et il fallait encore surveiller la Perse menaçante, l'Égypte révolutionnaire, et jusqu'aux Barbares des déserts libyens[125]. Deux empereurs, deux années ne suffisaient pas. Dioclétien, avec sa présence d'esprit habituelle, modifia ou plutôt développa son système de gouvernement.

Le principe en était, qu'à toute large zone de défense militaire correspondit une armée et un prince souverain[126], mais que, l'Empire étant une seule cité, ses quatre chefs devraient former une seule famille, exerçant le pouvoir dans une volonté unanime[127].

Au premier rang, les deux Augustes, frères pour toujours, Dioclétien en Orient et Maximien en Occident ; au-dessous d'eux, près de chacun d'eux, un fils adoptif qui est un César, Galère avec Dioclétien, Constance avec Maximien. Quand mourra un Auguste, ce fils le remplacera dans son titre suprême, et il lui sera aussitôt donné[128] un César pour coadjuteur. Chacun de ces quatre chefs a son armée, son palais, sa frontière à défendre, sa résidence préférée, siège de son gouvernement. Constance[129], de Trèves[130], surveillera le Rhin et administrera la Gaule et, ses deux annexes traditionnelles[131], la Bretagne et l'Espagne. De Milan[132], Maximien, maitre en Italie et en Afrique, est à portée des Alpes et du haut Danube. Le bas Danube échoit à Galère[133], avec les Balkans et la Grèce. Dioclétien se réserve l'Orient d'Asie et d'Afrique. Mais s'il y a quatre domaines d'autorité, n'y a toujours qu'une Rome, qu'un sénat, un couple consulaire, les mêmes lois et un seul Empire[134] ; et Dioclétien, en sa double qualité de Jupiter et d'aîné des Augustes, est le père divin de cette famille et de cet Empire[135] (293[136]).

La Gaule, à ce nouveau régime, perdit de ne plus être le siège d'un Auguste, mais elle y gagna de ne plus voir ses forces et l'attention de son prince dispersées sur une moitié du monde, du Danube aux colonnes d'Hercule, des monts d'Écosse aux déserts de Numidie. Elle n'entraînait plus dans son histoire que les deux pays qui réellement dépendaient de ses initiatives militaires, l'île de Bretagne, que sa flotte de Boulogne protégeait contre les pirates, l'Espagne, dont la frontière d'Empire était sur le Rhin. La collaboration devenait plus étroite, la solidarité plus profonde, entre les nécessités de la Gaule et les actes de son armée et de son chef. Peu à peu, l'appel de la contrée se faisait écouter des maîtres du monde.

Le César de Trèves, Constance, a tout ce qu'il faut pour faire réussir la réforme, pour que la Gaule accepte et soutienne son nouveau chef. Sans montrer une intelligence ou une volonté supérieures, il est droit, humain, accueillant, actif et ferme, très éloigné de la brutalité systématique de Maximien[137]. La nombreuse lignée de fils et de filles qui se pressent à son foyer rappelle aux peuples la fécondité des âges anciens, que l'on avait crue à jamais disparue[138]. Il fut très vite aimé et vénéré des hommes du pays[139]. La Gaule parut revenir à ces temps de Drusus et de Germanicus, où elle avait un maitre qui n'était que pour elle, et qu'elle chérissait.

 

VIII. — L'EMPIRE MARITIME DE CARAUSIUS[140].

La principale affaire, celle qui avait motive la nomination de Constance, était la répression de l'insurrection navale, la guerre à l'empereur de la mer.

Je prononce à dessein ces mots d'empereur et d'empire de la mer. Car ne voir en Carausius qu'un Auguste vulgaire, faire de l'île de Bretagne l'origine ou le centre de sa domination, c'est méconnaître la nature de son œuvre, la plus singulière qui soit encore apparue dans les siècles de la Rome impériale[141].

C'est, sur l'Atlantique, l'équivalent de la thalassocratie que les pirates de la Méditerranée avaient organisée au temps de Pompée. Pour la première fois depuis la ruine de la marine vénète du Morbihan, les mers et les rivages de la France donnaient naissance à une énergie navale digne de leur merveilleuse nature. On eût dit, sur terre et sur l'Océan, que les destins tentaient de briser l'immensité monotone de l'Empire romain et de rendre vie et vigueur à ces grandes forces régionales qu'il avait cru abattre pour toujours, ici la Gaule du Rhin, et à côté la toute-puissance des mers armoricaines[142].

Carausius avait admirablement compris ce qu'on pouvait, ce qu'on devait faire sur ces mers et sur ces rivages de la Gaule. Maximien les lui avait confiés, à charge de les interdire à la piraterie, et il l'avait sans doute nommé duc d'Armorique, avec autorité sur les deux rives de la Manche, et, je pense, depuis le cap du Figuier jusqu'aux îles de la Frise. C'était la première fois que l'Océan romain voyait un commandement de ce genre, et, à vrai dire, qu'un empereur apercevait les droits et les devoirs inhérents à la maîtrise des mers.

La malchance de Rome voulut que ce premier essai tournât contre elle. Carausius, on l'a vu, eut raison des pirates, nous ne savons comment[143]. Mais il est possible que ce fut surtout en les enrôlant[144], procédant avec eux à la manière dont Maximien raflait les Francs. Au lieu de les livrer aux employés de l'État, il les garda au service de la flotte, en qualité d'esclaves, de marins ou de soldats, et chacune de ses victoires apportait ainsi à ses escadres un nouveau contingent d'équipages. Maximien, n'obtenant de lui que des refus, voulut s'en débarrasser[145]. C'est alors que Carausius se fit proclamer Auguste[146]. L'empereur prépara aussitôt une expédition navale contre le rebelle, par la Moselle et le Rhin[147] ; mais le mauvais temps et le manque de bons pilotes la firent misérablement avorter[148], et, d'accord avec Dioclétien, Maximien se résigna à accepter Carausius comme César Auguste[149], en attendant le jour où on pourrait le vaincre à coup sûr[150].

Le Ménape régna donc à l'écart de Rome et à sa guise. S'il ne rejeta rien des formules classiques de gouvernement[151], il fit de son Empire une œuvre mixte, aussi bien barbare que latine[152]. Le principal de sa force venait de la Germanie de Hollande[153] et des Francs en particulier ; et l'on pensait déjà que ces hommes, sous couleur d'obéissance à l'usurpateur, s'essayaient à conquérir le monde romain : car, de ces auxiliaires barbares, Carausius en eut ou en mit partout dans son Empire, comme soldats en Bretagne, comme matelots sur ses navires, comme alliés sur les rivages de la Gaule.

Sa domination, quand il eut réalisé toutes ses ambitions, reposait sur quatre éléments très distincts. — Il était d'abord maitre de la mer[154] ; il la tenait sous une flotte puissante, formée en partie par l'ancienne escadre de Boulogne, mais en partie aussi par de très nombreux navires de construction récente, dont il avait peut-être tracé lui-même les plans à la façon romaine[155]. Car, à coup sûr, cet homme semble avoir eu, de la mer, à la fois expérience et la passion[156] ; et l'on disait que de ces troupes de Barbares envoyés sur ses navires, lui et ses instructeurs avaient su faire des marins excellents[157]. — Sur terre, du côté du continent, la possession incontestée de Boulogne, à la fois forteresse redoutable et port de vaste envergure, lui assurait le passage du Détroit, et, en cas de danger, un double refuge d'une longue sécurité[158]. — En face, la Bretagne, qui lui appartenait en entier[159], lui avait apporté des ressources militaires de tout genre : les légionnaires romains de l'ancien corps d'occupation[160], les troupes auxiliaires qui les appuyaient de temps immémorial[161], des étrangers, marchands gaulois ou autres, enrôlés de force comme recrues[162], et, en plus grand nombre encore, des mercenaires barbares attirés de Germanie par de belles promesses[163], et, parmi ceux-ci, surtout une troupe de Francs, prêts à toutes les audaces[164]. — Enfin, et ceci est le plus digne de remarque, Carausius s'était allié très étroitement avec les Francs des Pays-Bas et de la Frise[165] ; il était en fait le maitre de cette extraordinaire région où la terre et la mer s'enchevêtrent, où les hommes vivaient encore en amphibies à la manière d'Ulysse ou des Argonautes, où les guerriers de France étaient à la fois de hardis combattants et des nageurs intrépides[166], véritables héritiers des anciens Bataves[167], et, comme eux, capables également de vaincre sur les deux éléments qui faisaient leur vie.

A demi romain, à demi franc, réunissant par sa souveraineté navale les terres et les mers de l'Angleterre, de la Belgique et de la Hollande, unifié par l'Océan[168] qui rapprochait ses régions disparates et leur donnait des intérêts communs[169], l'Empire de Carausius était l'édifice le plus original que nous ayons vu en Europe depuis la chute du monde gaulois. Il y avait en lui des germes de durée et de grandeur ; il pouvait rendre de bons services à l'Europe et à l'humanité. Sans doute, sa fondation affaiblissait l'ensemble du corps romain : mais, mieux que lui, il fermerait la mer aux pirates du Nord, il saurait propager les choses latines le long des rivages lointains, il accomplirait, sous la forme limitée d'une domination régionale, les tâches nécessaires devant lesquelles avait reculé la masse trop grande de l'Empire des Césars.

 

IX. — LA GUERRE CONTRE CARAUSIUS.

Pour la dignité de l'Empire romain, il fallait que la Bretagne lui fût rendue. On toléra Carausius pendant six ans (288-293). Mais à peine investi du pouvoir, Constance commença les opérations[170], pour lesquelles, du reste, Maximien avait tout réparé[171].

La première partie, la plus importante, fut de nettoyer la mer. Des flottilles avaient été construites sur tous les fleuves de la Gaule ; puis, descendues aux estuaires, elles rabattirent et pourchassèrent les bateaux ennemis de proche en proche jusqu'au Détroit, et sans doute en en détruisant un très grand nombre. Et c'était là une excellente stratégie navale, celle même qu'indique la structure du sol gaulois, ou les grands fleuves sont autant de routes convergeant vers la frontière de mer[172]. La flotte principale de Carausius, refusant la bataille, se tint à l'abri dans les ports anglais, surtout derrière l'île de Wight[173] : elle s'imaginait sans doute que Constance ne songerait d'abord qu'à débarquer en Angleterre, et elle le guettait au passage[174].

Mais Constance se garda bien de risquer déjà l'aventure. Il marcha droit sur Boulogne[175], où s'étaient réfugiés les hommes de Carausius[176]. Ce siège fut mémorable, et l'une des gloires du nouvel Empire : on le conduisit par terre et par mer, et, pour être sûr que personne n'échappât et que nul vaisseau ne pût apporter des renforts, on ferma le port par une digue jetée en pleine mer, et que rien ne put ébranler[177] tant que dura la bataille[178]. Boulogne finit par se rendre[179] (293).

Constance eut la sagesse d'attendre encore avant de songer au passage[180]. Il tenait d'abord à s'assurer la libre disposition de tous les rivages qui faisaient face à la Bretagne[181], à isoler et bloquer les révoltés dans l'île. Il partit avec son armée pour les terres des Pays-Bas où se tenaient les Francs, alliés Carausius. Maitre des routes de terre et de mer, il put pénétrer partout où il voulut[182], pourchassa les Barbares dans leurs forêts et leurs marécages, et leur rappela à tous que la véritable souveraineté de Rome était avec lui, et non pas avec l'archi-pirate de Bretagne[183].

Carausius se trouvait enfin réduit à son île, sans alliés, et à demi privé de la mer. Ses officiers se débarrassèrent du vaincu, et le remplacèrent par l'un d'eux, Allectus (293)[184]. Mais Constance ne voulut pas encore brusquer les choses, sachant ce que coûtait, depuis César, la descente en Bretagne[185].

Il la prépara trois ans[186]. Quand tout fut en état (296), deux flottes, parties l'une de Boulogne avec Constance, l'autre de la Seine avec l'armée principale, convergèrent vers le pays de Kent[187]. Trompées par le brouillard, les escadrilles ennemies, embusquées près de l'île de Wight, laissèrent passer les Romains[188]. On n'eut pas de peine à débarquer[189] et à remporter presque aussitôt une grande victoire[190]. Le chemin de Londres était ouvert[191] ; les Francs ne réussirent pas ou ne cherchèrent pas à en interdire les approches[192] ; Constance y fit son entrée solennelle[193] ; et tels étaient dès lors le prestige et l'importance de la grande cité, que toute la Bretagne se soumit aussitôt, jusqu'aux monts lointains des Pictes[194].

Mais si l'Empire de Carausius disparut, son œuvre ne fut pas entièrement perdue pour le monde romain : il en resta la nécessité d'un vaste commandement maritime sur l'Océan, et l'avantage d'une entente avec les Francs.

 

X. — LES FRANCS DOMICILIÉS DANS L'EMPIRE.

Sur le Rhin, pendant ce temps, personne n'avait bougé, Maximien étant venu en personne surveiller cette frontière[195].

Constance put alors la réorganiser d'une manière définitive. A certains égards, il s'inspira de Carausius, qui avait voulu voir dans les Francs, non pas les ennemis acharnés du monde romain, mais les auxiliaires possibles de son avenir[196]. A la faveur de son amitié, beaucoup d'entre eux s'étaient installés dans l'île des Bataves et les îles voisines, et même au-delà en Flandre, en Brabant, en Campine[197]. Constance les en avait brutalement chassés, et, pour ceux qui se laissèrent prendre, il les expédia en Gaule comme esclaves ou colons agricoles[198]. Mais cela fait, il reconnut presque aussitôt, à l'exemple de Carausius, que si on savait s'y prendre, quelques-uns de ces Francs pourraient devenir, à la frontière même, de bons serviteurs de Rome, soldats et laboureurs tout ensemble.

Il avait récupéré cette île fameuse des Bataves, résidence trois fois séculaire d'une peuplade germanique célèbre entre toutes celles qui s'étaient soumises à l'Empire. Mais depuis un demi-siècle que le grand pillage avait commencé[199], les malheurs de la frontière avaient réduit ces Bataves presque à néant[200], et d'eux il ne restait plus guère que le nom, attaché pour toujours à leur terre[201], et les corps de soldats d'élite qui servaient dans l'armée romaine[202]. On ne pouvait pourtant pas laisser à l'abandon cette île de bon terrain, et qui, de Nimègue aux abords d'Utrecht, du Wahal au Rhin, couvrait la frontière romaine comme un boulevard entre deux fossés. Alors Constance y installa une troupe de Francs, non pas de ceux qu'il venait de vaincre, et qui n'étaient qu'une bande d'aventuriers, mais une tribu entière, organisée déjà et à demi disciplinée, celle des Saliens, arrachée pour toujours, de gré ou de force[203], à son domaine traditionnel de la Frise transrhénane[204]. Et ces Francs Saliens, une fois domiciliés en Batavie, y commenceront une existence le plus souvent paisible et régulière[205], sous la surveillance du comte militaire de la Germanie romaine (vers 297 ?[206]). Un pas de plus était fait dans la captation des Francs par le monde latin : l'ami de Maximien, Gennobaud, était resté chez lui, roi vassal mais chef libre[207] ; la tribu salienne était sur terre d'Empire, et ses rois ou ses princes étaient des sujets autant que des hôtes[208].

A l'autre extrémité de la frontière, les Alamans, au contraire, continuaient à vivre en voisins inquiets et tracassiers. Ils tendaient de plus en plus à faire contraste avec les Francs, dont beaucoup préféraient l'entente avec César : ceux-ci semblaient s'inspirer de Civilis le Batave[209], dont ils tenaient les terres à titre précaire ; les Alamans prenaient modèle sur Arioviste le Suève, qui avait commandé à leurs aïeux. S'ils concluaient un traité avec Rome, c'était souvent pour l'endormir dans une fausse confiance. Un jour Constance, étant près de Langres, à plus de quarante lieues de la frontière, fut assailli par une troupe d'Alamans, venue on ne sait comment[210]. La forteresse, nouvellement bâtie, le sauva[211]. Il en ressortit l'épée à la main, fut blessé, mais vainqueur, pourchassa les brigands jusque près du Rhin, et en fit par cieux fois un beau massacre[212]. C'était l'histoire du consulat de Maximien recommençait à Langres.

Pourtant, de ce côté-là encore, et grâce l'appui que les soldats et les succès de Maximien apportaient sur le haut Danube, on arriva à une certaine sécurité. L'Empire, évidemment, reconstituait ses forces et sa puissance. Ses ennemis rapprenaient la crainte et ses habitants le travail. Depuis trente ans[213], la Gaule n'avait pas vu les Francs au delà de Trèves, ni les Alamans au delà de Langres. Une génération d'hommes grandissait, qui n'avait jamais connu de Barbares sur ses terres autrement que comme esclaves ou colons. Des chefs germains servaient l'empereur avec une absolue fidélité et une intelligence rare : on sentait, à voir leur conduite, qu'ils aimaient le prince et respectaient Rome. Deux se faisaient remarquer, Crocus, roi chez les Alamans[214], et Bonitus le Franc. Ce dernier surtout chef rince ou roi chez les Francs, comte, duc ou tribun dans l'armée impériale, allait être pour la famille de Constance un appui de tout instant[215], et fera élever son fils Silvain dans les usages et au service de Rome. Il était visible, pour un esprit attentif, que le nom franc ne se séparerait plus des destinées de la Gaule.

 

XI. — RESTAURATION MATÉRIELLE ET PAIX MORALE.

Au surplus, ni Maximien ni Constance ne se laissaient entraîner à de trop grandes illusions à l'endroit de leurs amitiés barbares. Ils acceptaient des auxiliaires, ils concluaient des traités, mais ils prenaient des précautions infinies, comme si le danger allait de nouveau surgir à tous les points de la Gaule[216]. Sur la frontière de terre, on remit en état les forteresses traditionnelles[217]. D'autres furent construites le long de la Manche et de l'Atlantique, afin de servir d'appui à la flotte : car j'imagine que l'on conserva les escadres de Carausius[218] pour les mettre aux aguets sur les rivages depuis Walcheren jusqu'à l'Adour[219]. A l'intérieur du pays, enfin, partout où les routes militaires avaient besoin d'être surveillées, au débouché des montagnes ou au passage des fleuves, de puissantes murailles furent bâties, gardiennes inexpugnables des lieux stratégiques[220] : Bayonne commença son rôle de citadelle au pied des Pyrénées[221], Grenoble à la descente des Alpes[222], Blaye à l'estuaire de la Gironde[223], et bien d'autres à la place qu'elles ont conservée depuis lors.

Appuyée sur des murailles et sur des victoires, la confiance grandissait d'année en année. De belles récoltes étaient venues l'accroître. On disait que les granges s'écroulaient sous le poids des moissons ; la terre de Gaule, une fois de plus, réparait par ses blés les ruines faites par les guerres des hommes[224]. Des ordres étaient donnés pour replanter partout les arbres fruitiers[225]. La forêt, à son tour, reculait devant les sillons[226]. En Aquitaine, les vignes, que nulle restriction ne gênait plus, pouvaient s'étendre librement sur les graves et les coteaux[227], le vin de Gaule recouvrait son renom, et les tavernes de la frontière se remplissaient des joyeux propos des buveurs, à qui Bacchus redevenait accessible. Des villas se reconstituaient[228], d'autres se bâtissaient sur des sites nouveaux[229], et, en dépit des remparts et des tours qui entouraient et assombrissaient leurs demeures, les grands seigneurs y reprenaient allégrement la vie fastueuse d'autrefois[230]. Les villageois retrouvaient le chemin de leurs bourgades héréditaires, et y rallumaient les foyers abandonnés dans un jour de malheur[231]. On réparait les anciennes chaussées militaires[232] ; on en traçait d'autres à travers les montagnes centrales[233] ou le long des fleuves qui menaient à la mer[234]. La circulation devenait plus intense, les hommes reparaissaient avec leur gaieté coutumière sur les sentiers de pèlerinage chers à tant de générations de leurs aïeux, et les sanctuaires de la campagne voyaient revenir à eux l'hommage reconnaissant de leurs dévots[235].

Dans les villes, l'œuvre de fortification achevée, on relevait les temples, les monuments civils, les aqueducs mêmes[236]. Des écoles neuves se dressaient sur les ruines des anciennes[237] Par-dessus les décombres des rues, un nouveau dallage en larges pierres permit un cheminement plus facile aux piétons et au charroi. Maisons bourgeoises et hôtels de seigneurs surgissaient de partout : l'empereur faisait appel à toutes les bonnes volontés, aux riches et aux pauvres, pour rendre la vie et refaire une population à ces villes longtemps désertes[238]. A Autun, Constance amenait des ouvriers venus de la Bretagne : l'île voisine, qui avait peu souffert des invasions, devait à la Gaule de soulager ses misères[239]. Chose plus singulière encore, le fisc impérial se relâchait de ses exigences, et les bureaux recevaient l'ordre de ne pas entraver la tâche de tous ces hommes qui façonnaient une Gaule à demi neuve[240]. Constance était pour elle comme un fondateur, et les villes n'avaient point tort de désirer porter son nom[241]. Enfin, la divinité elle-même s'intéressait à l'œuvre réparatrice : on disait que les enfants arrivaient en plus grand nombre dans les familles, et que la mort y frappait moins vite les vieillards[242] ; les dieux de l'heure, Jupiter et Hercule, semblaient s'entendre avec Apollon, dieu cher à Constance[243] pour ne plus envier la gloire des familles nombreuses.

La vie morale, elle aussi, se restaurait sous ce double appel d'un noble prince au travail et à la tolérance.

Pour le travail, aux écoles reconstruites il assura des maîtres dignes d'elles et à ces maîtres une situation digne d'eux. Le professeur cessa d'être un meurt-de-faim, un vagabond. A l'Université d'Autun Constance donna comme chef[244] un de ses secrétaires d'État[245], Eumène[246], ancien rhéteur éden[247], devenu fonctionnaire d'Empire, et qu'il rendit à la fois à sa patrie, à l'enseignement et à l'art oratoire ; il voulut écrire lui-même la lettre de nomination, en termes qu'il sut choisir pleins charme[248], et il ajouta au titre et à l'emploi un traitement de grand fonctionnaire[249]. Désormais, les maîtres des écoles surent que leur carrière ne serait plus ni médiocre ni fermée, et que les meilleurs pourraient accéder aux dignités les plus hautes. De nouvelles écoles se fondèrent[250] dans des villes jusque-là assez rebelles aux taches intellectuelles[251], et les jeunes générations des riches seigneurs ou des bourgeoisies municipales rapprirent ce qu'était Homère, et à mettre au-dessus des armes de Rome la discipline de la Grèce[252]. L'Université de Bordeaux inaugura une vie de gloire[253], et les Muses se firent enfin entendre dans cette cité qui n'avait encore connu que le Mercure de son commerce et l'Hercule voyageur de son port[254]. Tandis que le dieu de Maximien n'avait été que l'Hercule des batailles et des grands travaux, celui de Constance, disaient les rhéteurs de l'école, était l'Hercule aimable et sert qui préside au chœur des Muses[255].

Ce n'était point d'ailleurs le dieu que préférait Constance. Son humeur modérée et pacifique l'éloignait de Jupiter et d'Hercule, les dieux impérieux et violents qui commandaient alors à l'Empire. Il allait plus volontiers vers Apollon ; et au delà des divinités de la Rome antique rajeunies par Dioclétien, il s'élevait d'ordinaire jusqu'au Soleil éternel, qui échauffe et qui éclaire tous les hommes et l'univers en son entier[256]. On voyait bien qu'il s'irritait du trop grand nombre de dieux[257], qu'il cherchait une religion capable de les concilier ou de les absorber tous. Je croirais sans peine qu'il était de ceux, de plus en plus nombreux parmi les êtres d'élite, qui priaient une Divinité unique et supérieure, planant au-dessus ou en dehors de tous les dieux de confrérie, de ville ou d'État.

Cela dut le rendre indulgent et même accueillant pour les Chrétiens : son Apollon était le plus tolérant des dieux antiques, celui qui avait frayé le plus volontiers avec tous les peuples et tous les cultes[258]. Le Père des Chrétiens semblait, comme le Soleil, régner dans les cieux, et les prières de ses fidèles montaient toujours vers un seul et même souverain : à quoi bon alors, pour des questions de noms, tourmenter des êtres convaincus qui ne veulent que croire et espérer ? Aussi, lorsque les édits de persécution furent promulgués par Dioclétien (303), Constance, malgré l'unité de l'Empire et l'universalité de ses lois, s'arrangea pour que ces édits fussent lettre morte de ce côté des Alpes. Tandis que les violences se multipliaient en Italie et en Afrique, où commandait Maximien, la Gaule ne connut aucun procès pour Christianisme. L'Église y a cessé de craindre du jour où Constance y a pris le pouvoir[259]. Pour ne pas avoir l'air d'ignorer la loi de l'État, il fit démolir quelques édifices consacrés au culte[260] : mais en ce temps-là la maison chrétienne n'était pas encore un temple de Dieu, c'était simplement le lieu de réunion des fidèles ; la muraille pouvait être renversée, le culte n'en souffrait point ; et partout où les Chrétiens se réuniraient, là serait leur église et Dieu serait avec eux. Constance le savait sans doute, et, sur la poussière de l'église démolie, l'assemblée es fidèles reprenait ses chants et ses ardeurs[261].

Le contraste avec le reste de l'Empire aidait la Chrétienté de Gaule à fixer et à étendre sa vie. C'est en ce temps, je crois, qu'elle marqua ses progrès essentiels dans les grandes villes[262]. Peut-être arriva-t-elle dès lors à constituer des Églises dans toutes les cités, depuis les Pyrénées jusqu'au Rhin. La religion du Christ était désormais la seule qui fût à la fois une force politique et une puissance morale : car elle était devenue l'une et l'autre par le nombre de ses fidèles, leur ferveur dans la propagande, leur discipline, leur obéissance aux évêques leurs chefs, leur organisation en diocèses municipaux[263]. Qu'étaient, à côté d'elle, si bruyants et si riches fussent-ils, les dévots du Soleil ou de la Terre, disséminés autour de mille sanctuaires, sans loi commune, sans lien qui les unit, sans amitié qui en fit de vrais frères ? et qu'étaient surtout les derniers adorateurs de Jupiter et d'Hercule, dont toute la foi tenait dans des flagorneries de fonctionnaires[264] ? Il n'y avait qu'un seul culte vraiment universel, qu'une alliance religieuse embrassant les hommes de toutes les cités, et c'était le corps des Chrétiens, corpus Christianorum, l'assemblée mondiale ou l'Église catholique, comme on disait dès lors[265].

Constance ne s'inquiétait point de ses progrès et de sa puissance, et, à la différence de ses prédécesseurs au pouvoir, il ne crut pas qu'une religion universelle, même appuyée sur une confrérie unique, pût devenir un danger pour l'Empire de Rome. Il laissa le Christianisme pénétrer au palais et dans l'armée ; il garda pour officiers des fidèles de Jésus[266] ; et la femme qu'il avait aimée et épousée avant de devenir César, Hélène[267], appartenait à la foi nouvelle et lui avait donné son fils aîné et héritier présomptif, Constantin[268]. On raconta même, plus tard, qu'aux derniers jours de sa vie il ouvrit enfin les yeux à la vraie lumière et son âme au Dieu souverain[269].

Dans cette Gaule que Constance achève de restaurer, bien des choses du passé avaient repris vigueur, et surtout les richesses du sol et les charmes des lettres latines. Mais elle vient de faire place à deux forces nouvelles, encore timides ou incertaines, mais qui peuvent un jour prétendre dominer, les Francs à la frontière et l'Église dans les âmes.

Sans doute n'était-ce point ce qu'avait désiré Dioclétien, lorsqu'il voua la maturité de sa vie à refaire le monde romain. Certes, il avait réussi à lui rendre sa grandeur et son énergie. Mais le nouvel Empire n'est point celui qu'il a rêvé, le royaume de Jupiter et de Rome. Et au jour son abdication[270], une mélancolie profonde put se mêler à la joie d'avoir fini sa tâche (305)[271].

 

 

 



[1] En dernier lieu, G. Costa, G. Valerius Diocletianus, Rome, 1912 (extrait du Dizionario epigrafico) ; les anciens travaux (Hunziker, Zur Regierung des Kaisers Diocletianus und seiner Nachfolger, dans les Untersuchungen de Budinger, II, 1868 ; Preuss, Kaiser Diocletian, 1869) sont à peu près inutiles, comme la plupart des monographies faites en ce temps sur les empereurs du IVe siècle. — Sur les idées directrices de Dioclétien, voyez les excellentes remarques de Goyau, La Tétrarchie, 1912 (Études offertes à P. Fr. Girard). Les Regesten de Seeck ne commencent qu'avec le Code Théodosien, en 311 (Stuttgart, 1919). La petite Chronologie de Goyau, 1891, rend toujours de grands services.

[2] Caius Aurelius Valerius Diocletianus.

[3] Aurei parens sæculi, dit Lampride, Heliog., 35, 4 ; Paneg., II, 9 ; etc.

[4] Capitolin, Marcus, 19, 12.

[5] Aur. Victor, De Cæs., 39, 8 ; Paneg., II et III.

[6] Lactance, De mort. pers., 7.

[7] Le 17 novembre 284, dit Seeck (après bien d'autres ; I, 2e éd., p. 438), plutôt que le 17 septembre (Chronicon Paschale, p. 510, éd. de Bonn) : mais c'est à la condition de supprimer la date (15 oct. 284) de la loi du Code Justinien, III, 7.

[8] Exercitum fortiorem ; Eutrope, IX, 20.

[9] A Margus, au milieu de 285 ; Eutrope, ibid. ; Aur. Victor, De Cæs., 39, 11. Comme toutes ces batailles de guerres civiles, ce fut un formidable massacre, ingens prœlium (Eutrope) : les rencontres avec les Barbares étaient peu de chose à côté.

[10] Aur. Victor, De Cæs., 39, Il et s. ; Eutrope, IX, 20.

[11] Idace, Patr. Lat., LI, c. 906 = Chron. minora, I, p. 229 : le 1er avril ; en 285 ? Toutes ces dates ont été discutées depuis plus de trois siècles et le sont encore. — La simple désignation comme César me parait en tout cas certaine ; cf. Eutrope, IX, 20 et 22 (ex Cæsare Augustum) ; Orose, VII, 25, 2 et 5.

[12] Avec cette nuance, que Maximien, à la différence des anciens Césars, simples héritiers présomptifs, a sans doute reçu des l'origine l'Occident à pacifier (cf. Eutrope, IX, 20 ; Aur. Victor, De Cæs., 39, 17).

[13] Paneg., II, 5 : deux groupes d'envahisseurs, les Mamans et les Burgondes (sans doute du côté de Mayence), les Hérules et les Chaibones (du côte de Cologne ?). Ces Hérules sont une petite partie de la nation, établie jadis au Danemark ou sur la Baltique, rattachée au groupe vandale ou goth. Ils viennent directement de là tandis que le gros de la nation suivait les Goths sur le Danube. Eux et les Chaibons avaient dû s'installer provisoirement dans les terres de Frise ou de Hollande. — Des Chaibons je ne peux rien dire. Leur nom est inconnu par ailleurs, et différemment transmis (Chaibones, Caybones, Caynones, Cavione, Caivones). — Les Burgondes viennent d'arriver en Franconie, dans la vallée du Mein, après avoir échoue dans une tentative d'établissement sur le Danube. C'est au cours de leur migration en remontant le fleuve que Probus a dû les combattre (Zosime, I, 68, 1), et peut-être est-ce alors, et sur les indications de Probus lui-même, qu'ils se sont installes du côte du Mein. En Franconie, ils ont dû songer a une installation définitive, s'il est vrai qu'ils aient établi ou utilisé des bornes de frontière du côté des Alamans (Ammien, XVIII, 2, 15, terminales lapides Alamannorum [les manuscrits ont Romanorum ; la correction vient de Gelenius, éd. de 1533, Bâle, p. 611, peut-être d'après un autre ms..] ; mais, étant donné que les Alamans étaient établis sur les terres romaines du limes transrhénan, il ne serait pas impossible qu'il fallût conserver la leçon Romanorum et songer à ce limes lui-même, devenu ligne frontière des Burgondes] et Burgundiorum confinia distinguebant). Je crois qu'ils ont dû occuper et employer quelques-uns des forts romains abandonnes des Champs Décumates, ce qui a fait dire que leur nom venait de burgus et qu'ils étaient soboles Romana (Ammien, XXVII I, 5, Il ; Orose, VII, 32, 12) peut-être même cette dernière expression est-elle justifiée par le fait que les Burgondes ont pu trouver dans cette région des colons romains et gaulois, et les incorporer dans leurs tribus. — Il ne faudra jamais perdre de vue ces détails pour comprendre leur histoire ultérieure.

[14] Aur. Victor, De Cæs., 39, 17 ; Eutrope, IX, 20.

[15] Il semble bien, en fait, que l'adoption de Maximien comme frère et le partage de l'Empire aient été volontairement imités de la conduite de Marc-Aurèle à l'endroit de Lucius Verus.

[16] Au début de 286 ? Il me parait arbitraire de supposer (Seeck, I, 2e éd., p. 26) que Maximien se soit fait proclamer Auguste à l'insu et en dépit de Dioclétien. Orose (VII, 15, 5) et Eutrope (IX, 22) placent cette proclamation au moment de l'organisation de la tétrarchie, ce qui me parait non moins impossible. — Il est du reste certain que la situation officielle, que les titres protocolaires de Maximien sont demeures quelque temps imprécis ou incertains, du moins pour les populations. Le Panégyrique de 289 ne l'appelle que Cæsar (II, 4 et 6), mais l'invoque en morne temps comme sacralissimus imperator (II, 1) et le traite visiblement de frater (II, 1) et d'égal de Dioclétien. Une inscription de Numidie l'appelle encore en 290 nobilissimus Cæsar (VIII, 8332), et une autre du même pays, de 285-6 ?, unit ce titre à celui de Augustus (VIII, 10396).

[17] Te tuunique fratrem ; Paneg., II, 1 (prononcé le 21 avril 289).

[18] Aur. Victor, De Cæs., 39, 17-18 ; Eutrope, IX, 20.

[19] Aur. Victor, De Cæs., 39, 18 ; Paneg., II, 2, 11, 13 ; etc.

[20] Il y avait même ceci de contradictoire en apparence, que Dioclétien et Maximien se traitaient de frères, et qu'Hercule était le fils de Jupiter. Peut-être rapprochait-on cette bizarre famille de la conception religieuse qui faisait de la Terre à la fois la mère et l'épouse d'un même dieu.

[21] Même après l'établissement de la tétrarchie, on maintint la comparaison (Paneg., V, 4) : Illa Jovis et Herculis cognata majestas cælestium rerum similitudinem requirebat... Elementa quatuor... quadrigæ solis et duobus cæli luminibus adjuncti Vesper et Lucifer. Les religions célestes étaient alors en pleine vogue.

[22] Paneg., II, 13. — Remarquez le réveil du culte d'Hercule déjà sous Postume.

[23] De là la colère particulière des Chrétiens contre ces noms et ces familles de Jupiter et d'Hercule empereurs ; voyez Lactance, De m. p., en particulier 52.

[24] Jove rectore cæli et Hercule pacatore terrarum ; Paneg., II, 11.

[25] Paneg., II, 14 : Diocletianus facem, tu (Maximien) tribuis effectum.

[26] Cf. Paneg., II, 14.

[27] Paneg., II, 13 et 14 (paroles très visiblement prononcées pour calmer les susceptibilités de Rome). Ce Panégyrique [II des éditions courantes, X des manuscrits, le premier de la série gauloise] a été prononcé à Trèves devant Maximien pour commémorer l'anniversaire de la fondation de Rome, 21 avril 289 : ce qui marque encore le désir de flatter ou de ménager la capitale, imperii mater, gentium domina (II, 14).

[28] Voyez la fin du Paneg., II, 14 (has provincias tuas).

[29] Marcus Aurelius Valerius Maximianus.

[30] Lactance, De m. p., 8 ; sans parler des Acta sanctorum.

[31] C'est ce que dit un des écrivains les plus pondérés du IVe siècle, Aurelius Victor, De Cæsaribus, 39, 17 : Maximianum fidum amicitia, quamquam subagrestem, militiæ tamen atque ingenio bonum.

[32] La présence de Bagaudes dans l'enceinte [ancien oppidum gaulois ?] de Saint-Maur-des-Fossés est une attribution purement légendaire, due à quelque roman historique ou hagiographique de l'époque mérovingienne. La première trace s'en trouve dans les documents relatifs à la fondation du monastère de Saint-Maur par saint Babolin : diplômes et actes de 638 à plus tard, dont la plupart sont regardés comme faux, mais où l'allusion au castrum Bagaudarum date certainement du vue siècle (Pardessus, II, p. 58 et s.) ; et Vita Baboleni, faite au XIe siècle, en partie d'après ces documents (P. Fr. Chifflet, Bede... concordia, 1681, p. 356 et s.). La source de ce roman doit être quelque amplification d'Orose, qui nous manque. Voir la discussion de ces questions Revue des Études anciennes, 1920, p. 107 et s. ; et pour tous ces documents relatifs aux origines de Saint-Maur, en dernier lieu Baudot, Histoire de l'abbaye des Fossés, 1925 [ms., thèse de l'École des Chartes].

[33] Eutrope, IX, 20 : Cum rusticani factioni suæ Bacaudarum nomen imponerent ; de même, Jérôme, ad a. Abr. 2303 [287] : Factioni sua nomen Bacaudarum indiderat.

[34] Je rapproche le radical de celui (italo-celtique) de vagus ; le suffixe -auda est franchement gaulois. Dottin (La Langue gauloise, p. 230) rapprocherait au contraire bagauda de l'irlandais bàg, combat. Les manuscrits donnent tantôt bag-, tantôt bac-, ce qui est sans importance (cf. Dottin, La Langue gauloise, p. 63). — Bagaudica rebellio se trouverait peut-être déjà à propos de l'affaire d'Autun sous Tetricus. — Y a-t-il maintenant un rapport entre ce mot bagauda et le mot de la basse grécité βαγεύει, que Suidas (I, c. 701, Gaisford) traduit précisément par πλανητεύει, vagatur (cf. Du Cange, Gloss. mediæ et infimæ Græcitatis, I, c. 164) ? C'est ce que je ne saurais décider.

[35] Cf. sur les déserteurs, t. VIII, ch. III, § 13. — On peut regarder comme un prélude au soulèvement des Bagaudes les bandes de déserteurs et autres sous Commode et Septime.

[36] Agricolæ, rusticus vastator, Paneg., II, 1 ; agrestes ac latrones, Aur. Victor, De Cæs., 39, 17 ; rusticani, Eutrope, IX, 20, 3 ; rusticorum manus, Orose, VII, 25, 2 ; rusticorum multitudo, Jérôme, an. Abr. 2303, Schœne ; de même, Prosper Tiro, p. 445, Mommsen (expression qu'on retrouvera dans la tradition chrétienne).

[37] Arator peditem, pastor equitem imitatus est ; Paneg., II, 1. Les bergers devaient monter à cheval pour garder leurs bêtes, et du reste ils abusaient de cet avantage pour se livrer au brigandage : de là les lois du Code Théodosien pour leur interdire l'usage du cheval (IX, 30, 2 et 5).

[38] On a supposé que les exactions de Carin avaient provoqué la prise d'armes des Bagaudes (d'après Paneg., III, 5, exacerbatas sæculi prioris injurus provincias). La tyrannie fiscale fut sans doute une des causes : mais il y en eut bien d'autres, et l'origine du soulèvement est dans la situation générale de la terre.

[39] Rien n'indique de leur part des plans de réorganisation politique ou sociale.

[40] Je parle de la grande révolte : car le nom et la condition de Bagaude devaient durer jusqu'a la fin de l'Empire ; cf. t. VIII, ch. IV, § 1, ch. III, § 13.

[41] La croyance au Christianisme des Bagaudes s'annonce peut-être dès le Ve siècle (si dans la Passio de saint Maurice écrite par Eucher au milieu du Ve siècle, l'expression multitudinem Christianorum vise les Bagaudes, ce qui n'est nullement assuré ; Acta, 22 sept., VI, p. 342 ; Krusch, Mon. Germ. hist. Script. rer. Merov., III, p. 34) ; elle s'affirme au plus tard, au VIIe siècle. Ce qu'on dit alors d'eux provient sans doute du faux Orose et se retrouve surtout dans les documents relatifs au soi-disant castrum Bagaudarum de Saint-Maur-des-Fossés. Revue des Et. anc., 1920, p. 45 et s.

[42] Eutrope, IX, 20 ; Aur. Victor, De Cæs., 39, 17 ; Orose, VII, 25, 2. Les textes donnent tantôt Helianus, tantôt Ælianus.

[43] Cela est d'ailleurs de plus en plus douteux. Les monnaies aux noms de A. Pomponius Ælianus Aug. et Cn. Sal(vius) Amandus Aug. n'ont jamais été retrouvées (me dit Blanchet), et les gentilices ne laissent pas que de surprendre. On ne les connaît que par Goltzius, Thesaurus rex antiquariæ, éd. de 1579, p. 73 et 76. Il semble pourtant qu'Eckhel (VIII, p. 41) ne se refuse pas à accepter des monnaies au nom de C. Amandus.

[44] Plerasque urbium tentare ; Aur. Victor, 39, 17.

[45] Hostem barbarum... rusticus vastator imitatur... Militares habitus ignari agrirolæ appetiverunt ; Paneg., II, 4.

[46] Le gros de l'armée devait être formé par les anciennes troupes de Carin.

[47] Si l'on admet l'itinéraire indiqué par la première Passio de saint Maurice et de la Légion Thébaine (22 septembre), Maximien aurait franchi les Alpes en septembre, et, dans ce cas, étant donné qu'il est à Mayence en juin 286, vraisemblablement en 285 (plutôt qu'en 286, comme l'a pensé Tillemont). Parmi ses troupes était un corps de Thébains amené sans doute d'Égypte ou d'Orient ; tout cela est vraisemblable ; cf. Revue des Études anciennes, 1920, p. 41 et s. Mais il est probable que d'autres troupes ont dû devancer Maximien.

[48] J'entrevois, dans la Gaule du IVe siècle, plusieurs secteurs militaires qui peuvent avoir été organisés par Maximien en vue de la pacification intérieure de la contrée. — 1° Le district de la Savoie, Sapaudia (nommée d'abord par Ammien, XV, 11, 17, pour la date de 355 ; le mot est certainement d'origine gauloise). Ce secteur comprenait originellement, je crois, les vallées latérales des Alpes du côté de la Gaule, depuis Grenoble (Not. dign., Occ., 42, 15) jusqu'à Genève (Ammien, ibid.) par Chambéry, puis, au delà la région des lacs bordant le Jura, par Genève, Nyon et Yverdon (Not. dign., Occ., 42, 17) : c'était un commandement militaire long et étroit sur des chemins de rocade, et surveillant par là toutes les routes franchissant les cols des Alpes et du Jura (cf. Revue des Ét. anc., 1920, p. 273 et s.). N'oublions pas que les Alpes semblent avoir été un pays d'élection pour les Bagaudes (cf. Zosime, VI, 2, 10) : de là peut-être sous Constance, la création de la cohors prima Flavia Sapaudica (Not., Occ., 42, 17). — 2° Un secteur sur la double route de Reims à Amiens par Soissons et par Saint-Quentin : il correspondrait à la zone de persécution de Rictiovar et persisterait dans le tractus (de surveillance militaire) inter Remos et Ambianos de la Not. dign., Occ., 42, 67. — 3° Le district dit limes ou tractus Nervicus ou Nervicanus (Not. dign., Occ., 37 ; Paulin de Nole, Epist., 18, 4), qui s'étendait sans doute primitivement sur les cités des Nerviens (Hainaut) et des Ménapes (Flandre). — 4° Un secteur fluvial et maritime, pourvu de flottilles, allant de Vienne sur le Rhône à Marseille, appelé Gallia Riparensis (Not. dign., Occ., 42, 13) et destiné à appuyer en arrière les lignes de la Savoie. —5° En avant de la Savoie, sur les cols des Alpes, un tractus Italiæ circa Alpes (Note dign., Occ., 24). —De ces secteurs, dont on aperçoit les vestiges onomastiques ou administratifs dans la Notitia dignitatum, la création ne peut guère être placée ailleurs que sous Maximien vers 285-286, au moment où l'Empire eut à rétablir les affaires de Gaule, à la fois contre Bagaudes, pirates et Barbares : c'est peut-être à la création de ces commandements que fait allusion le Panégyrique (II, 11, eos... quorum dactu, etc.). Avec plus d'incertitude, car ils peuvent se rattacher à des organisations postérieures de protection militaire, sont les suivants. — 6° Le tractus de route entre Paris et le passage de la Cure sur la voie de Sens et Auxerre, qu'on peut rattacher à la mise en état du chemin de la rive gauche de la Seine. — 7° Le tractus des routes et montagnes cévenoles de Roanne au Velay et au delà, qu'on peut rapprocher de la construction de la route a travers les Cévennes (j'hésite, encore qu'elle puisse être justifiée, à accepter la correction de Longnon, Le Moyen Age, XXVIII, 1915-6, p. 396, per tractura Virodunensem et Catalaunorum, zone de Verdun à Châlons). Ces deux secteurs, connus par la Not. dign., Occ., 42, 66 et 68. — 8° Ajoutez, et celui-ci très certainement du temps de Maximien, le grand commandement militaire et maritime de l'Armorique et de l'Océan. — Voyez aussi, là-dessus, t. VIII, ch. II, surtout § 4 et 9.

[49] Voyez le partage des régions maritimes en secteurs de commandement ; Plutarque, Pompée, 26.

[50] Cf. Ammien, XVI, 2, 12.

[51] Paneg., II, 4 (cursim prætereo..., oblivionem illius victoriæ malle quam glorium) ; 6 (transeo innumerabiles tuas tota Gallia pugnas) ; Eutrope, IX, 20.

[52] Contrairement à la réputation faite par les Chrétiens à Maximien, on parle à ce propos de sa clementia (Paneg., II, 4), et il est bien sûr que Maximien a voulu le silence et l'oubli de cette triste guerre (id.).

[53] D'après Zosime, VI, 2, 10 (Bagaudes dans les Alpes au début du Ve siècle), et Salvien, De gubernatione Dei, V, 5, 22 ; 6, 24. et s., édit. Pauly (dans la Gaule en général au milieu du Ve siècle). Cf. t. VIII, ch. III, § 13, ch. IV, § 1.

[54] Supposé d'après le fait, qu'il combattit d'abord Alamans et Burgondes. Il y était certainement le 21 juin 286. Fragm. juris. Vatic., § 271. — Un monument célèbre (médaillon de plomb trouvé à Lyon et conservé au Cabinet des Médailles) représente : en un registre supérieur, deux empereurs, qui semblent bien Dioclétien et Maximien, faisant des largesses au peuple ; en un registre inférieur, un groupe de gens en appareil de fête, traversant le Rhin sur un pont, entre les deux forteresses de Kartel (Custellum) et Mayence (Mogontiacum). Comme aucun texte ne permet de croire que Dioclétien soit venu à Mayence, il est probable que la largitio du registre supérieur se rapporte à une entrevue des deux princes, et la festivitas d'en bas à quelque solennité contemporaine, comme le retour de Maximien. A la rigueur, on pourrait supposer une rencontre entre Maximien et Constance, ou même une cérémonie présidée par Constantin et Maximien mais c'est infiniment plus douteux.

[55] D'après Paneg., II, 6, pour la cérémonie.

[56] Paneg., II, 6 (togam prætextam... vovetur pro futuris).

[57] Je le suppose d'après Nicomediam studens Romæ coæquare ; Lactance, De m. p., 7.

[58] Fluvius hic noster, etc. ; Paneg., II, 12.

[59] Il semble bien que les empereurs l'aient dès l'origine résolument décidé, et pour Trèves et pour Nicomédie : c'est ce qu'indique la péroraison du Panégyriste de 289 : quand vous aurez visité Rome, l'Orient et la Gaule vous réclameront aussitôt à nouveau, adhuc præsentia tua fruimur, et jam reditum desideramus (Pan., II, 14).

[60] Cf. Paneg., II, 14 : Ne huic (Trèves) invideas (Rome) civitati, cui nunc ille (Maximien) similitudinem majestatis tuæ confert.

[61] Le Panégyriste de Maximien de 289 (II) a bien senti qu'il fallait maintenir le prestige de Rome ou calmer ses légitimes inquiétudes, en rappelant à chaque instant qu'elle était sedes numinis vestri, religio sacræ urbis, domina gentium, imperii vestri mater (II, 1, 14), et en prévoyant le jour où Rome recevrait la visite même des deux empereurs, cum vos ilta imperii vestri mater acceperit (II, 14), promesse qui paraît avoir été faite par les deux princes. Et c'est pour cela, évidemment, que Maximien a tenu à célébrer à Trèves, avec une solennité particulière, l'anniversaire de la fondation de Rome (Paneg., II). N'oublions pas que ces panégyriques étaient, pour les empereurs, une manière de s'adresser à l'opinion publique par l'organe d'un orateur officiel.

[62] Il ne semble pas qu'il soit passé par Rome avant de franchir les Alpes. Hunc optatissimum principem in Galliiss suis [remarquez ce possessif] retinet ratio reipublicæ, dit le Panégyrique de 289 (II, 14).

[63] En nov. 303, avec Maximien (Lactance, De m. p., 17) ; sur son mépris pour Rome, Lactance, ibid. — Son séjour à Rome en 285 est fort douteux.

[64] Maximien s'est rendu en Italie sans aucun doute par le mont Genèvre (Paneg., III, 9, Alpes Cottiæ), le col des Alpes de beaucoup le plus fréquenté en ce siècle ; c'est par mégarde qu'on fait intervenir ici summas arces Monœci Herculis, IV, 4) ; mais il a pu revenir par Monaco et Marseille. Ce voyage a dû avoir lieu en plein hiver (Paneg., III, 2), à la fin de 290 plutôt qu'à la fin de 288, comme l'a suppose Seeck (I, 2e éd., p. 448-9). Mais il serait possible qu'il y ait eu, en 287 ou plutôt en 288, une autre entrevue très rapide et moins solennelle sur les bords du haut Danube (Paneg., II, 9).

[65] Lors de l'entrevue des deux empereurs à Milan en 290, le Panégyriste (III, 12) a bien soin de marquer, non sans une certaine ironie, qu'ils se rapprochaient ainsi de Rome, et que celle-ci s'efforçait de les voir, vos e speculis suorum montium prospicere conata. Et l'orateur ajoute aussitôt que le sénat de Rome, en envoyant ses délégués à Milan, a montré par là ut ibi tunc esset sedes imperii videretur quo uterque venerat imperator, et ce passage est vraiment capital et comme le renversement de la tradition romaine. Ce second Panégyrique semble avoir pour but, en partie, de dissiper les illusions que Rome avait pu avoir au sujet des résidences ou des visites impériales, et que le premier discours avait encouragées.

[66] Voyez sous Constantin, à Trèves, la construction d'un Circus Maximus qu'on dira æmutum Romano (Paneg., VII, 22). Outre les cérémonies dont nous allons parler, il a dû y avoir à Trèves dies festos victoriis triumphisque celebratos (Paneg., III, 5).

[67] Premier Panégyrique.

[68] Second Panégyrique de Maximien (III de la collection dans les éditions courantes, XI dans la tradition des manuscrits) : le jour est à peu près certain, 21 juillet, anniversaire des naissances de Maximien et de Dioclétien (III, 2, gemini natales) ; la date est plus incertaine, Seeck propose 290 (en particulier Real Encycl., VI, c. 1106). Mais le motif est hors de doute (III, 2), et il n'y a pas de raison de douter qu'il ait été prononce à Trèves. — Je crois qu'il est dû au même auteur que le premier (comparez III, 12, à II, 14 ; voyez les allusions à un premier discours dans III, 1 et 5), tout en reconnaissant qu'il ne manque pas de différences dans la langue et l'allure (elles sont notées par Ruhl, De XII Pan. Lat., Greifswald, 1868, p. 18 et s.). Cette unité d'origine est du reste mentionnée par les manuscrits. Quant au nom de Mamertinus pour l'auteur, il me parait résulter également des rubriques des manuscrits : ejusdem magistri menet [interprète absolument à tort en memoriœ par Seeck] dans la plupart des manuscrits, remplace dans d'autres par Mantertini (éd. Æm. Bæhrens, de 1874, p. XVIII ; et surtout de G. Bæhrens, 1911, p. XI).

[69] Paneg., VII, 22 (sous Constantin, en 310) : Hanc fortunatissimam civitatem, cujus natalis dies tua pietate celebratur.

[70] C'est le retour à l'état de choses avant Vespasien et Domitien.

[71] J'appelle peuplade pour les Alamans le pagus ou le gau, chacun ayant son roi et son territoire à peu près fixe ; voyez en particulier le livre de Cramer.

[72] Paneg., II, 5 : Omnes barbariæ nationes, etc.

[73] Paneg., II, 5. A la fin de 286 ?

[74] Entre 287 et 291 ; Paneg., III, 17.

[75] Soit coïncidence fortuite dans l'attaque, soit alliance entre eux.

[76] Et de Chaibones.

[77] Viribus primi barbarorum locis ultimi ; Paneg., II, 5.

[78] Paneg., II, 5 ; III, 7. Le combat a dû être sur la rive gauche. Fin 286 ?

[79] En 286 et surtout 287. Je songe à des batailles contre les Francs à propos du passage du Paneg., II, 6 : Transeo innumerabiles tuas tota Gallia pugnas (cf. universæ Galliæ minarentur ; II, 5) ; et le fait que l'orateur passe rapidement là-dessus, montre sans doute qu'elles ne furent pas sans ennui.

[80] De là le primus omnium imperatorum du Pan., II, 7.

[81] En 287 ; Paneg., II, 7. Le passage (sur le Wahal) a pu se faire vers Nimègue. Après quoi, il est question d'un lit du Rhin à moitié desséché qu'on traverse par un gué (vers Arnhem ? ou Dorestad ??). — Il dut y avoir concordance de cette expédition avec les opérations de Carausius contre les pirates francs ou frisons.

[82] Quidquid ultra Rhenum prospicio, Romanum est ; Paneg., II, 7. Trophæa Germanica in media defixa barbaria ; Paneg., III, 5.

[83] Le Paneg., II, 10, ne dit pas qu'il s'agisse d'un Franc ; mais cela ressort nettement de la suite des opérations et de Paneg., III, 5, Francos cum rege. D'ailleurs, le nom de Gennobaudes parait franc (cf. Schœnfeld, Wörterbuch der altgermanischen Personen- und Völkernamen, 1911, p. 293) et se retrouvera encore chez les Francs un siècle plus tard (Grégoire, Hist., II, 9) ; le thème genn- se rencontrera dans la France merovingienne, avec Genovefa (Geneviève) et les localités Gennevilliers, Genneville.

[84] Les manuscrits (Pan., II, 10), très corrompus, donnent tous Gennoboudes, mais -boudes est visiblement là pour -baudes, thème courant en onomastique franque. — On aimerait savoir de quelle peuplade il était roi. Je conjecture des Saliens plutôt que des Chamaves, étant donné que les Chamaves seront présentés bientôt en ennemis. Et dans ce cas, ce serait le début de l'histoire capitale du Bas Empire, l'alliance de Rome avec les Saliens. Mais on a tout lieu de croire que ces Saliens et Gennobaud étaient encore sur la rive ultérieure, soit dans leur pays originel, en Salland ou Over-Yssel, soit à la rigueur passés déjà en Vetuwe ou en Gueldre. — La cérémonie ne parait pas avoir eu lieu chez les Francs eux-mêmes (cum sua gente ventendo, dit le Panégyriste à propos du roi Gennobaud ; II, 10).

[85] Cf. reges Franciæ dans le Paneg., VII, 10 ; et dans le même (VII, 6), nationes Franciæ, précisément pour les Francs des bas pays.

[86] Ostendit ille te popularibus suis et intueri diu jussit et obsequia [redevances ?] discere, cum tibi ipse serviret ; Paneg., II, 10 ; cf. III, 5. Voyez une scène de même genre avec Tibère. Il doit s'agir d'un acte religieux et solennel d'hommage. — La mention, courante dans nos livres d'histoire, de deux rois Gennoboud et Esatech provient d'une interprétation assez absurde des leçons des manuscrits, où j'accepte regnam receperit Gennoboudes, a te vero munus acceperit.

[87] C'est à cette occasion, sans aucun doute, que fut crée le commandement militaire et maritime de l'Armorique. Au temps de la Notitia dignitatum, vers 400. le dux tractus Armoricani et Nervicani n'avait, malgré son titre, aucune autorité sur les rivages nerviens, mais son ressort s'arrêtait à la Bresle (en partant de l'Océan), ou commençait la Seconde Belgique, et les rivages de cette province, qui renfermait Boulogne, étaient sous la dépendance du dux Belgicæ Secundæ. De plus, le ressort armoricain ne dépassait pas au sud l'estuaire de la Gironde, et les côtes touchant à l'Espagne dépendaient directement du magister peditum. Enfin, les côtes germaniques à l'est de l'Escaut n'appartenaient pas à ce duc de Belgique, et l'on peut conjecturer qu'elles ressortissaient à un dux Germaniæ Secundæ. Il est impossible que cet état de choses (Not., Occ., 37 et 38 ; 42, 18-1) fût celui qu'on avait créé au temps de Carausius, et on admettra que le commandement de ce dernier allait du Rhin aux Pyrénées n'oublions pas que Carausius commandait à Boulogne, et que le nid des pirates était du côté des Pays-Bas : apud Bononiam per tractum Belgicæ et Armoricæ, pacandum mare accepisset (Eutrope, IX, 21). Mais il est fort possible que les dangers que Carausius fit courir à l'Empire amenèrent plus tard le morcellement de ce commandement de mer, et la séparation de celui de Boulogne ou de Belgique d'avec celui dit de l'Armorique. Cf. t. VIII, ch. II, § 9.

[88] Aur. Victor, De Cæs., 39, 20 ; Eutrope, IX, 21 ; Orose, VII, 25, 3.

[89] Il faut remonter à Drusus, ou à Claude à la rigueur, pour trouver chez les chefs romains une véritable intelligence des choses de la mer.

[90] Aur. Victor, De Cæs., 39, 20 ; Eutrope, IX, 21. En 286-287 ? sans doute pendant que les duces de Maximien nettoyaient par terre le rivage (Pan., II, 11) des Francs et sans doute des Saxons (III, 7, domiis oppressa Francis bella piratica). Les Panégyristes n'insistent pas sur ces victoires, parce qu'elles furent l'œuvre de Carausius, alors révolté.

[91] Premier consulat de Maximien. On a, avec moins de vraisemblance, reculé l'événement au second consulat, 1er janvier 288. Mais, outre que cette audace des Barbares s'expliquerait moins après plus d'années de campagnes énergiques, le Panégyriste n'aurait pas, à la frontière, parlé avec une telle solennité du second consulat, et n'aurait peut-être pas dit (II, 6) ilium consulatus tui primum auspicalem diem.

[92] D'après Paneg., II, 6.

[93] Et elle a pu l'être, puisqu'elle a été racontée, seize mois plus tard, dans un discours semi-officiel.

[94] Expédition transrhénane en 287 plutôt qu'en 288 ; Paneg., II, 7 ; III, 7.

[95] Cf. Meynier, L'Afrique noire, 1911, p. 123. Voyez le mot sinistre et d'ailleurs injuste de Julien sur les Goths : il n'est pas besoin de les combattre, il suffit de leur envoyer des marchands d'esclaves, per quos ubique sine condicionis discrimine venundantur (Ammien, XXII, 7, 8).

[96] Ajoutez les Carpes et les Bastarnes ; Aur. Victor, De Cæs., 39, 43 ; Paneg., V, 5 et 10 ; Eutrope, X, 23. En 295 ou 296 ?

[97] Orose, VII, 25, 12 ; Eutrope, IX, 2.). Il y eut au moins quatre guerres contre les Sarmates, la première en 289 (Paneg., III, 6, 7 et 19). Toties obrita Sarmatio, dit le Panégyriste de 297 (V, 10).

[98] C'est ainsi que j'interprète, hypothétiquement, la question des Lètes et le texte du Panégyrique (V, 21 ; ici, t. VIII, ch. II, § 4). Ce qui n'empêchait pas les Lètes, en temps de paix ou dans l'intervalle des campagnes, de cultiver des champs, peut-être du domaine impérial (excoluit ; Pan., V, 21, où il s'agit de Lètes d'origine franque installés par Maximien chez les Nerviens et les Trévires). Mais la qualité de soldat était chez eux originelle.

[99] Ce qui ne les empêchait pas d'être astreints au service militaire (si ad dilectum vocetur ; Pan., V, 9). Mais la qualité de colon était chez eux originelle.

[100] Sous Maximien, après les guerres de 286-8 ; Paneg., V, 21, où il s'agit de Lètes francs. Il faut cependant reconnaître que les manuscrits donnent, non pas Nerviorum, mais Arviorum, ce qui peut faire songer aux Arvii de Ptolémée.

[101] Je le suppose, étant donné le voisinage de la frontière et de Trèves.

[102] Sous Constance, et après les guerres dites de Batavie en 293 ou 294 ; Paneg., V, 21 et 9, où il s'agit de Francs Chamaves et de Frisons, et ce dernier nom peut designer ici également des Francs, peut-être des Saliens.

[103] On voudrait rechercher si ces villages furent constitués sur des terres du Domaine (cf. t. VIII, ch. I, § 11), ou sur des biens-fonds des municipalités ou des particuliers, ou sur des terrains abandonnés.

[104] Voyez les campements de Lètes ou de Sarmates indiqués dans la Notitia, Occ., 42 (cf. t. VIII, ch. II, § 4) : mais je doute qu'ils aient leur point de départ à l'époque de Dioclétien. Sauf quelques exceptions, ils se présentent moins en villages qu'en garnisons, de villes, de faubourgs ou de castra, en gendarmerie de route. Il est vrai qu'à ces garnisons a pu être annexée une colonie agricole. — La mention la plus nette des colonies agricoles de Sarmates en Gaule est celle du texte d'Ausone (Mosella, 9), ara Sauromatum nuper metata colonis : elle doit être cherchée à Sohren, dans l'Unsruck, sur la route militaire de Mayence à Trèves, et, évidemment, ces colons sarmates devaient à la fois faire le métier de laboureurs et de gendarmes. Mais l'expression de nuper indique un établissement récent, soit dû à Constantin ou à Constance II (en 358-9 ; Ammien, XVII, 12-13 ; XIX, 11), soit même à Valentinien (.

[105] Longnon, Les noms de lieu de la France, p. 132 et 131. — Ainsi que Longnon (p. 129), j'hésite à placer à cette époque l'origine du pagus Arnaus (= Chamavus, l'Amous) dans la cité de Besançon, et du pagus Attoariorum dans la cité de Langres.

[106] Arat mihi Chamavus et Frisius ; Paneg., V, 9. Provincialibus distributos ; ibid.

[107] Totis porticibus civitatum [les chefs-lieux des cités] sedere captiva agmina barbaorum ; Paneg., V, 9.

[108] Barbaro cultore revirescit ; Paneg., V, 9 et 21 (prononcé en 297). De même, III, 15.

[109] Paneg., III, 15 (écrit en 291).

[110] Il n'est guère possible que l'auteur des Panégyriques II et III ne soit point un Gaulois (has provincias..., tu nos ; II, 14).

[111] L'erreur apparaît bien, quand on voit les succès moraux et politiques et les avantages dynastiques que Constance recueillit par la pratique de la tolérance (cf. Eusèbe, De vita Constantini, I, 13 et 17, Patr. Gr., XX, c. 928 et 935).

[112] Voyez la colère de Lactance contre ces titres de Jupiter et d'Hercule, dans le De mortibus persecutorum.

[113] Je ne saurais d'ailleurs admettre, pendant le temps que Maximien gouverna la Gaule, une mesure de persécution générale. Mais je crois à des mesures locales ou individuelles, provoquées par les motifs que j'indique ici.

[114] Je dis ce qui put, parce que je ne saurais affirmer la réalité des martyres dont je vais parler, encore que le fait de ces exécutions paraisse en tout point fort vraisemblable ; je laisse de côté, cela va sans dire, les circonstances et discours dont les ont entourées successivement les rédacteurs des Passiones.

[115] Je ne vais parler ici que des trois groupes de martyres de Maximien qui me paraissent les plus vraisemblables, Saint-Maurice, Marseille et la Seconde Belgique. — A ceux-là il faut, ajouter, d'après la tradition : 4° Genes d'Arles, dont la tradition est particulièrement ancienne (elle se trouve déjà chez Prudence, Peristephanon, IV, 354) ce qui, plus que la Vie (attribuée à tort à Paulin de Nole ; Patr. Lat., LXI, c. 418 et s.), me ferait pencher pour l'existence du saint, et de son martyre (25 août, Acta, V, p. 123 et s.). 5° Donatien et Rogatien, martyrisés à Nantes par un præses Galliarum (24 mai, Acta, p. 281 et s.), les plus vraisemblables après ceux-ci ; 6° Julien de Brioude et Ferreol de Vienne, sub Crispino præside (28 août, VI, p. 169 et s ; 18 sept., V, p. 740 et s.), assez possibles : 7° le groupe des martyrs de l'Île-de-France et pays voisins, Lucien de Beauvais, condamné par Fesceninnus Sisinnius (8 janvier, I, p. 459 et s.), Nicaise, Quirin et Scubiculus (Egobille) de Vadimacus ou Gasny-en-Vexin (11 oct., V, p. 510 et s.), attribués au même persécuteur, Yon (Jonius) de Châtres ou Arpajon, compagnon de saint Denys (5 août, II, p. 13 et s.), et aussi Denys, Rustique et Éleuthère, qu'on attribue à la persécution d'un Julianus : ici nous sommes en pleine incertitude ; 8° le groupe des martyrs de Gascogne, exécutés surtout par Datianus, sur lesquels je fais encore plus de réserves. Lupercius (Loubers) d'Eauze (28 juin, VII, p. 316 et s. ; cependant il parait assez anciennement connu, voir Corp., XIII, 563), Caprais, Fides (Foy) et autres d'Agen (6 oct., III, p. 263 et s.), Vincent de l'Agenais (9 juin, II, p. 163 et s.) ; 9° mêmes réserves, et plus grandes, pour Ferrutius de Mayence (28 oct., XII, p. 530 et s.) ; 10° et pour Reine d'Alise, sub Olibrio (7 sept., III, p. 38). — Pour tous ces saints et les autres, voyez la Bio-bibliographie d'Ulysse Chevalier (2 v., 1905-7), tout en rappelant la médiocrité scientifique de nombre de travaux cités.

[116] Il est possible que le martyre ait été provoqué par le refus de quelque serment ou sacrifice militaire. La seule Passio qui offre quelque garantie, celle d'Eucher, écrite au milieu du Ve siècle (Mon. Germ. hist., Scipt. rer. Merov., III, p. 33, édit. Krusch), attribue le supplice au refus de combattre multitudinem Christianorum [pense-t-il déjà aux Bagaudes ?], ce dont la seconde version, écrite vers 700 (22 sept., Acta, VI, p. 345), fait turbas Bagaudarum. — Eucher donne aux victimes des titres parfaitement corrects, mais dans la hiérarchie des gradés de la cavalerie, Mauricius primicerius, Exsuperius campiductor, Candidas senator : mais je ne suis pas sûr que ces titres fussent déjà en usage sous Maximien. — La description de la route suivie par Maximien est exacte : en venant de Milan, par Summus Penninus [le Grand Saint-Bernard], Octodurus [Martigny], Acaunus [quartier de Tarnatæ dans Saint-Maurice], Caput Lemanni locus [Pennelocus : Itin. Antonin, p. 351, W.]. Mais en principe, dans ces Vies de saints écrites par des hommes du pays, connaissant les lieux et faisant valoir leurs sanctuaires et leurs chemins de pèlerinage, l'exactitude topographique est très loin de prouver la valeur historique. — Voyez sur ce martyre, dans des sens divers : Dufourcq, Étude sur les Gesta martyrum, II, 1907, p. 9 et s. ; Stolle, Das Martyrium des Thebaischen Legion, thèse de Munster, 1890-1891 ; Revue des Études anciennes, 1920, p. 41 et s.

[117] Parmi les nombreuses traditions relatives à Victor, la seule qui puisse avoir quelque rapport direct avec les événements, est celle qu'on peut attribuer à Cassien, milieu du Ve siècle (Acta, 21 juillet, V, p. 143 ; c'est entièrement à tort que dom Quentin la rejette à une époque très tardive, Les Martyrologes historiques, 1908, p. 194). Elle fait de Victor un vir clarus, c'est-à-dire sans doute un vir clarissimus, qui réchauffait le zèle des groupements de Chrétiens (castra Christianorurn circumiens), et qui, présenté à Maximien, refuse le titre de amicus Cæsaris et de servir au palais (consuela militiæ [civile] stipendia) L'affaire a pu se passer lors d'un séjour de Maximien à Marseille, par exemple au retour de l'entrevue de Milan en 290. Revue des Études anciennes, 1921, p. 305 et s.

[118] Il s'agit ici des victimes du fameux Rictiovar (Rictiovarus, Riciovarus, plus rarement Rictiomurus ; le nom est réellement germanique). Toutes sont en Seconde Belgique, sur les deux routes qui menaient de Reims à Amiens, l'une par Fismes et Soissons, l'autre par Saint-Quentin et Vermand. Ces martyrs sont : Quentin (Vermand et Saint-Quentin ; 31 oct., Acta, XIII, p. 725 et s.), Crépin et Crépinien (Soissons ; 25 oct., XI, p. 4 et s.), Valère et Rufin (Bazoches = Basilica en Soissonnais ; 14 juin, III, p. 284 et s.) ; Macre (Macra ; à Fismes ; 6 janv., I, p. 324 et s.) ; Fuscien ? Victoric et Gentien (Saint-Fuscien en Amiénois ; 11 déc., de Bosquet, Ecclés. Gallic. historia, 1636, II, p. 156) ; l'enfant Just [d'Auxerre] et ses compagnons Saint-Just-en-Beauvaisis ; 18 oct., VIII, p. 323 et s.). La plus intéressante des Vies et la plus ancienne (VIe siècle) est celle de saint Quentin, au surplus la figure centrale du groupe. Quant à la tradition qui fait venir Rictiovar à Trèves (4 oct., II, p. 376), elle est trop récente pour qu'on puisse en tenir compte. — La tradition traite Rictiovar de præfectus, titre banal chez les hagiographes et qu'on a eu le tort d'interpréter en préfet du prétoire. S'il a existé, et j'incline à le croire, car la tradition eût difficilement imagine un nom si caractérisé, je verrai simplement en lui un chef militaire opérant sur une zone routière. D'autre part, comme ce nom rappelle de très près celui des Rætobarii, troupe barbare au service de l'Empire (Not. dign., Or., 5, 17 et 58), il est possible que l'officier persécuteur ait été un præfectus Rætobariorum, et que la tradition, dans une de ses erreurs coutumières, aura pris pour son nom celui de sa troupe. Enfin, qu'un préfet militaire ait pu être chargé d'une commission extraordinaire à l'endroit des Chrétiens, cela ne m'étonnerait pas sous Maximien (cf. Lactance, De m. p., 22, judices militares humanitatis litteraram rudeS sine adsessoribus in provincias immissi) — Aucun de ces martyrs ne parait appartenir à la cour ou à l'armée. S'ils sont authentiques, c'est l'action propagandiste qu'on a châtiée, et cela, dans une certaine mesure, ressort de la tradition. — Bien entendu, de ce que j'admettrai volontiers la persécution de Rictiovar, il ne s'ensuit nullement que j'accepte tous les noms de ses victimes et encore moins les invraisemblables détails qui ont grossi cette histoire et dénaturé le fait initial. J'ai d'ailleurs écarté les saints dont l'histoire s'est greffée sur la tradition que je crois originelle. — Cf. Revue des Études anciennes, 1923, p. 367 et s. Dans un sens trop sceptique, Duchesne, Fastes épiscopaux, III, 1915, p 14I et s.

[119] Dépossédé par Vermand, puis par Noyon, comme métropole, Saint-Quentin put, grâce à son saint, conserver ou reprendre la primauté morale de la cité du Vermandois. Le conflit entre Vermand (civitas Vermandorum) et Saint-Quentin (municipium Augusta Virmandorum) est très marqué dans la Vita.

[120] C'est évidemment le monastère de Saint-Victor qui fut fondé au commencement du Ve siècle par Cassien, en face de la cité de Marseille, de l'autre côte du port (Gennadius, 62).

[121] Malgré l'énorme production qu'a provoquée Saint-Victor (voyez Chevalier, Topo-bibliographie, c. 2783-4), il n'a pas encore l'histoire que comporte le sujet.

[122] Pas avant 287, et sans doute à la fin de l'année.

[123] Expéditions rétiques de Dioclétien en 287 ou 288 ; Paneg., II, 9 ; III, 5, 7 et 16 ; V, 3. — En outre, en 291 ou 292, expédition de Maximien contre les Alamans Contienses [on corrige d'ordinaire en Guntienses, et on voit là les Alamans de Guntia, Gunzburg, et de la vallée de la Gunz : mais l'expédition n'a pas dû dépasser les abords de la source du Danube ; Pan., V, 4] : il s'agit, croit-on, d'une marche allant du Rhin (par le pont de Zurzach, a ponte Rheni) au passage du Danube (ad transitum Danuvii, route de Windisch à Brigobanne, près du caput Danuvii) ; Paneg., V, 2 et 3.

[124] Expéditions contre les Carpes, Sarmates et autres.

[125] Paneg., V, 4 et 5 ; Eutrope, IX, 22 : Cum per omnem orbem terrarum res turbatæ essent ; Aur. Victor, De Cæs., 39, 21-24.

[126] La qualité de César, dans le gouvernement tétrarchique, comporte, comme dans la dyarchie de 285, l'exercice effectif du pouvoir, et en particulier du pouvoir militaire.

[127] Le rapport entre le partage de l'Empire et la multiplication des armées, est bien marqué par Lactance, De m. p., 7.

[128] Par qui ? voila ce que nous ne 'avons pas et qui a dû certainement être refile par Dioclétien. Mais le règlement, quel qu'il ait été, ne fut jamais observé, et l'incertitude au sujet de la nomination dos nouveaux Césars fut une des principales causes qui firent échouer le système : l'hérédité naturelle y vint presque aussitôt contrecarrer le choix par les Augustes.

[129] Flavius (et aussi Julius ? Aur. Victor, De C., 39, 24) Valerius Constantius. — Le surnom de Chlorus n'est connu que par le Bas Empire (Zonaras, XII, 31, p. 160, Dindorf). Voyez les premiers travaux de Cantarelli sur Constance, dans les Memorie, II, 1923, de la Pontificia Accademia Romana.

[130] Je ne trouve aucune trace du séjour de Constance à Trèves.

[131] Dès le temps des empereurs gallo-romains.

[132] Le rôle de Milan comme résidence impériale se fixe des Dioclétien, mais il est déjà indiqué sous Gallien, et provoqué dès lors par la nécessité de se rapprocher des Alpes et d'en organiser la défense contre les Barbares (Hist. Aug., Gall., 14, 9 ; Cl., 5, 3 ; Val., 8, 3). Ne pas oublier l'importance de la route du Splugen, vers Coire et le lac de Constance.

[133] Caius Galerius Valerius Maximianus. Avec, sans doute, Sirmium pour résidence principale.

[134] Lactance, De mort. pers., 7 ; Aur. Victor, De Cæs., 39, 24 ; Eutrope, X, 22.

[135] Cf. Julien, Convivium, p. 315, Sp. ; Aur. Victor, De Cæs., 39, 29. L'expression de senior Augustus n'apparaitra, à ma connaissance, qu'après l'abdication, et Dioclétien la partagera avec Maximien (Dessau, 644-7).

[136] La date est certainement du 1er mars 293. Tillemont, qui avait préféré 292, avait lui-même indiqué nettement d'excellentes raisons en faveur de 293 (Diocl., n. 11).

[137] Eutrope, X, 1 ; Paneg., V, 19 ; VII, 6 ; Lactance, De m. p., 20.

[138] La chose a été bien notée par Eusèbe, Vita Constantini, I, 18, Patr. Gr., XX, c. 933. Il eut, d'Hélène, Constantin, et, de Théodora, trois garçons et trois filles.

[139] Non modo amabilis sed etiam venerabilis Gallis fuit ; Eutrope, X, I ; cf. Paneg., VI, 14 ; VII, 4.

[140] Il manque une étude approfondie sur ce sujet. En dernier lieu, les deux travaux de Webb, The Reign and Coinage of Carausius, et The Coinage of Allectus, dans The Numismatic Chronicle de 1906 et 1907. A titre d'intérêt rétrospectif : Grenebrier, Hist. de Carausius, 1740 (où il fait intervenir les Bagaudes) ; Stukeley, The medallic History of M. A. V. Carausius, Londres, 1757-9.

[141] Il y a certaines analogies, qui n'empêchent pas des divergences infinies, entre l'œuvre de Carausius et celle de Sertorius.

[142] Comparez en effet à l'Empire de Carausius la thalassocratie vénète de la Loire à l'Escaut et des deux côtés de la Manche.

[143] On peut supposer que ce fut en rabattant les pirates à l'aide de flottilles parties de la Loire, de la Seine, de la Somme, de l'Escaut et du Rhin, Boulogne et le Détroit servant d'objectif aux divers mouvements (apud Bononium ; Eutrope, IX, 21).

[144] Eutrope, IX, 21 : Consulto ab eo admitti barbaros ut transeuntes cum præda exciperet ; et il faut interpréter en partie dans le même sens Aurelius Victor, De Cæs., 39, 21 : Neque pæœdæ omnia in ærarium referret.

[145] Aur. Victor, De Cæs., 39, 21 ; Eutrope, IX, 21.

[146] Marcus Aurelius Maus [?] Carausius ; cf. Ephemeris epigraphica, IX, n° 1255. — A la fin de 287 ou même au début de 288, et non pas en 286 (date de Seeck, Real Encycl., III, c. 1570).

[147] Le Panégyrique de 289 parle longuement de ces préparatifs, qui doivent s'être faits dans l'hiver 288-289 ; il indique des constructions de navires cunctis simul omnibus ; mais il insiste sur la Moselle. ce qui prouve que Maximien était encore maitre du Rhin inferieur ; Pan., II, 12. Il l'était certainement aussi de Boulogne, II, 12.

[148] L'expédition est cornrnencee en avril 289, et Carausius semble avoir aussitôt évacué le Detroit et être passe en Bretagne (Paneg., II, 12) L'échec de cette expédition est très nettement indique dans le Panégyrique de 217 (V, 12). et, de même, les motifs, inclementia maris, exercitibus in re maritima novis. C'est alors, en 289, que Carausius dut réoccuper Boulogne et la mer, et s'organiser dans les embouchures du Rhin. Le Panégyrique de 291 ne souffle mot de la Bretagne, cela va de soi.

[149] Monnaies de Carausius avec les légendes Pax Auggg. (trium Augustorum), Carausius et fratres sui ; en dernier lieu, Webb, p. 414. Bien entendu, son nom ne figure pas dans les documents officiels de l'Empire.

[150] Assez embarrassé pour parler de cette acceptation de Carausius comme Auguste, le Panégyrique de 297 se borne à dire consilio intermissum bellum (Pan., V, 12).

[151] Voyez les monnaies et les inscriptions : cf. ædificatis in nostrum modeum navibus, de Paneg., V, 12.

[152] Cf. Paneg., V, 16 : Illa barbara aut imitatione barbariæ.

[153] Très nettement marqué dans Paneg., V, 18 : Illa tues (les Francs) nescimus quanto se alias furore jactasset, si fiduciam pervagandi qua patebat habuisset.

[154] Les Panégyriques n'appellent jamais Carausius que pirata, archipirata ; II, 2 ; V, 12. — Il est possible que Carausius et ses Francs aient limité leur action à la mer du Nord et à la Manche ; mais il y a eu des menaces sur tout l'Océan et la Méditerranée même (cunctis impendere provinciis, etc. ; Pan., V, 17)

[155] Abducta primum classe..., ædificatis præterea plurimis in nostrum modum navibus ; Paneg., V, 12.

[156] Supposé d'après sa vie et son œuvre.

[157] His omnibus ad munia nautica flagitii illius auctorum magisterio cruditis ; Pan., V, 12.

[158] On a supposé, à cause de la quantité de monnaies trouvées sur le continent (trésor de Rouen, 1846 ; Blanchet, rn° 346) et de leur caractère propre, que Carausius eut un atelier monétaire en Gaule, à Boulogne ou Amiens (cf. Blanchet, Num., I, p. 135), et même à Rouen (Webb, p. 50). La première localité est seule possible, mais nullement prouvée.

[159] Paneg., II, 12.

[160] Occupata legione Romana ; Paneg., 12. — J'entends la Bretagne romaine. Il s'agit sans doute de la IIe Augusta. La XXe Valeria Victrix avait dû demeurer sur le Rhin. Mais il y avait peut-être aussi la VIe Victrix, dont on ne ait rien pour cette époque, mais qu'on retrouvera en Bretagne (Not., Occ., 40, 18).

[161] Interclusis aliquot peregrinorum militum cuneis [l'expression est technique] ; Paneg., V, 12. — Sur l'armée de Bretagne, cf. Sagot, La Bretagne romaine, 1911, p. 177 et s. ; Le Roux, L' armée romaine de Bretagne, 1911.

[162] Contractis ad dilectum mercatoribus Gallicanis, ce qui prouve que le commerce de Bretagne demeurait en grande partie aux mains des Gaulois ; Paneg., V, 12.

[163] Sollicitatis per spolia ipsarum provinciarum non mediocribus copiis barbarorum ; Paneg., V, 12.

[164] Paneg., V, 17.

[165] Multus præterea gentibus in conjuratione illius sceleris deprehensis ; Paneg., V, 17. C'est bien des gens des Pays-Bas qu'il s'agit ; remarquez que le Panégyriste considère la défaite de Carausius comme signifiant la fin du danger franc ; Paneg., V, 17 (Francorum [opes] penitus excisœ) ; 18 (omnibus nationibus securitas restituta, et il s'agit ici de Francs). — Il y eut, semble-t-il, deux groupes de Francs en relation avec Carausius : des tribus fixes avec lesquelles furent sans doute signés des traités (gentibus, conjuratione), et des bandes d'aventuriers qui envahirent les terres romaines. Il serait intéressant, mais il est impossible de savoir quels furent ses rapports avec Gennobaud, ou avec les Saliens.

[166] Francus natatu ; Sidoine, Carmina, 7, 236.

[167] Remarquez que les Bataves se disaient Chattes d'origine (Tacite, Germ., 29), et que les Chattes devaient avoir pris le nom franc.

[168] Le Panégyriste montre bien que le danger que fait courir cet Empire, est sur mer, qua patent maria quoque venti ferunt, V, 18.

[169] Les rapports des Francs avec la Bretagne ont dû être très intenses, et s'établir dès l'entrée des Francs dans les Pays-Bas ; ils n'ont fait sans doute que continuer, et aux mêmes endroits, d'anciennes habitudes. On verra l'écho et pour ainsi dire le symbole de ces relations dans la légende de la traversée des âmes des morts, partant d'un port de pêcheurs dépendant des Francs et arrivant en Bretagne après un jour et une nuit de navigation : il peut s'agir la de relations religieuses et commerciales entre le sanctuaire de Walcheren et Londres et la Tamise ; Pseudo-Plutarque, Didot, V, p 20. — Voyez encore la question des arrivages de l'île de Bretagne par le Rhin et le pays des Saliens.

[170] Statim itaque, etc. ; Paneg., V, 6. De même, primo adventu suo ; VII, 5.

[171] Cela résulte d'ailleurs de la rapidité de l'entreprise sur Boulogne (Pan., V, 6).

[172] Le Panégyriste de Constance ne parle pas de cette première série d'opérations, et peut-être parce qu'elle fut effectuée par Maximien, qui l'avait déjà tentée. J'ai dû l'ajouter à son récit. Car le siège de Boulogne par mer serait vraiment inexplicable, si la Manche et le Détroit n'avaient pas été déjà suffisamment nettoyés. Voyez le Panégyriste de 310 (VII, 5) Innumerabili hostium classe ferventem exclusit Oceanum.

[173] On l'y retrouvera après le siège de Boulogne, apud Vectam insulam in speculis atque insidus collocata ; Paneg., V, 15.

[174] En appliquant aux préludes du siège de Boulogne ce que le Panégyriste (V, 13) dit pour la suite des opérations.

[175] Le Panégyriste de 297 dit encore Gesoriacum (V, 6 et 14) ; celui de 310, à propos du même siège, dira Bonomense oppidum (VII, 5). Je me demande si Constance ou Constantin, à la suite de cette affaire, n'ont pas délibérément change le nom officiel de la ville.

[176] On ne parle que d'une armée de terre (Paneg., V, 6 ; VII, 5) ; mais il dû y avoir des restes de flottilles.

[177] Paneg., V, 6 et 7 ; VII, 5. Elle fut construite en madriers et blocs de pierre (trabibus ingestisque saxis ; V, 6).

[178] La tempête la détruisit, dit-on, aussitôt après la fin du siège (Pan., V, 7).

[179] Les assiégés paraissent avoir été reçus a composition et incorporés dans l'armée romaine (exercitu conservato : Pan., VII, 5).

[180] On a dû le lui reprocher (Pan., V, 7).

[181] Numquam ab eorum hostium eversione cessatum est quos adirt continens terra permisit ; Paneg., V, 7.

[182] On peut hésiter sur la route suivie par Constance et sur la région où il fit campagne. Le Panégyriste (V, 8) dit : Illa regio quam obliquis meatibus Scaldis [c'est la lecture qui résulte des leçons des manuscrits, Scaldis, Calidis, Caldis ; on a corrigé en Vahalis] interfluit quamque divortio sui Rhenus amplectitur. S'il s'agit de l'Escaut, Constance aurait suivi une route [mais y en avait-il une ? les archéologues belges l'admettent en grande partie] allant de Boulogne et de Cassel à Anvers et de là vers Bois-le-Duc, et franchi ensuite la Meuse, pour pénétrer par Nimègue dans la région des Bataves : c'était, je crois, l'opinion de Guillaume Bæhrens, appuyée argumentis historicis et geographicis qu'il n'a pas développés (p. 174 de sa thèse, Paneg... Præfatio major, Groningue, 1910). Si l'on admet le Wahal, Constance a pu arriver par la chaussée de Tongres à Nimègue, abîmée par le voisinage des marais de Peel (Paneg., V, 8), occuper la Batavie (ce qu'il a réellement fait ; Pan., IV, 21 ; V, 3 ; VI, 4 ; VII, 5 ; X, 25), et pousser encore au delà, entre les deux bras du Rhin jusqu'à Utrecht et Vechten. D'une part, sans aucun doute, les mots meatibus, obliquis, interfluit, conviennent mieux à la route de l'Escaut, qu'appelle du reste la tradition manuscrite. Mais d'autre part, la vraie chaussée militaire est au voisinage de la rive gauche de la Meuse, et les expressions aquis inbuta, subjacentibus innatat, suspensa late vacillat, sans répugner aux pays de l'Escaut, décrivent avec une rare précision les prairies flottantes et tourbières des marais de Peel (cf. Reclus, p. 207-9), qui bordaient cette route : et l'on voit bien que le Panégyriste a dû accompagner Constance ; sur ce chemin de la Meuse, voyez Habets dans les Verslagen en Mededeelingen der k. Ak. van Wetenschappen, Afd. Letterk., IIe s., XI, 1882. — C'est cette expédition qui est célébrée par tous les Panégyristes sous la rubrique de Batavia. En 293 ou 294 ?

[183] Nous reviendrons sur cette expédition et sur les Francs.

[184] Aur. Victor, De Cæs., 39, 40 ; Eutrope, IX, 22 ; Paneg., V, 12. Les monnaies, chose étrange, ne l'appellent que Allectus, avec les titres impériaux ordinaires.

[185] Le Panégyrique (V, 11-12) se donne de nouveau beaucoup de mal pour expliquer ce retard.

[186] Paneg., V, 9, 11-13. En 293-296. Il fallut refaire une nouvelle flotte (V, 7), peut-être parce que la tempête avait détruit la première devant Boulogne. En tout cas, il fut utile de former des marins et des soldats pour combat naval (in re maritima novis ; V, 12). Matelots et navires romains paraissent en ce moment plus que médiocres.

[187] Paneg., V, 14 Le directeur effectif des opérations fut le préfet du prétoire de Constance, Asclepiodote (Eutrope, IX, 22 ; Aur. Victor, De Cæs., 39, 42) : c'était un des meilleurs généraux formés à la discipline de Probus, à laquelle du reste s'était également formé Constance (Hist. Aug., Probus, 22, 3). — Constance ne débarqua qu'ensuite (Paneg., V, 15 et 19 ; Aur. Victor, ibid.).

[188] Paneg., V, 15 ; Allectus fit alors évacuer sa flotte pour aller combattre Constance.

[189] Paneg., V, 15. Il se passa alors un incident étrange, que l'orateur officiel cherche péniblement à expliquer : les soldats mirent le feu à leurs navires, à l'insu, semble-t-il, du prince. Évidemment, ce monde latin n'a pas le respect ou la confiance dans le navire. Voila une guerre qui a pour enjeu l'empire de la mer, et elle n'offre pas le moindre combat naval.

[190] Allectus y fut tué ; Paneg., V, 16. — On a placé la bataille à Woolmer, près duquel on a trouvé (en 1873) un énorme trésor de 29.800 pièces d'Allectus mais ceci ne constitue pas une preuve.

[191] Il semble que quelques vaisseaux y soient parvenus directement, au départ de Boulogne ; j'ai peine à croire que ce soit par erreur, trompés par le brouillard, comme le dit le Panégyriste (V, 17).

[192] Ils paraissent avoir songé à piller la ville après la bataille ; les Romains les massacrèrent ; Pan., V, 17.

[193] Médaillon du trésor de Beaurains (près d'Arras), qui nous montre Constance s'apprêtant à entrer dans Londres à cheval (Aréthuse, janvier 1924, p. 45 et s.) La présence d'un navire semble bien indiquer qu'il a dû venir par la Tamise : ce que confirme le mot du Panégyriste (V, 19), ad littus illud appuleras : c'est le bord de la Tamise et l'entrée dans Londres qui est ici décrite. Le Panégyriste a eu certainement sous les yeux ce médaillon ou un tableau similaire, et son expression vera luce imperii recreati s'adapte à la légende du médaillon, redditor lucis æternæ.

[194] Cf. Paneg., V, 20. Le récit du Panégyriste s'arrête à l'arrivée solennelle de Constance (V, 19). Ce récit est fait avec une telle précision dans le détail, qu'il est probable que l'auteur a dû accompagner le prince et être attaché à son service.

[195] Paneg., V, 13 (Rheno institisti). Toujours en 296.

[196] Il faut distinguer, parmi les mesures prises par Constance à l'endroit des Francs, les pratiques violentes de 293-294, provoquées par la guerre contre Carausius, puis, après les victoires de Bretagne, les ententes et installations pacifiques auxquelles il prêta la main. Le Panégyrique de 297, écrit au lendemain même de la guerre, ne parle que des premières, et il est extraordinairement hostile aux Francs (V, 8, 9, 17, 18). Mais les secondes sont mentionnées dans le Panégyrique de Constantin en 310 (quid loquar RURSUS Franciæ nationes ? VII, 6), où du reste les Francs sont traités avec plus de bienveillance ; peut-être aussi y est-il fait allusion dans le discours d'Eumène sur les écoles (quæ MODO desunt esse barbaria ; IV, 18).

[197] Multa Francorum milia, qui Bataviam aliosque eis Rhenum terras invaserant (Paneg., VI, 4) ; Bataviam sub ipso quondam alumno suo [Carausius était-il Batave d'origine ou d'éducation ?] a divei sis Francorum gentibus occupatam (Paneg., VII, 5) ; advena hoste (Paneg., IX, 25). Il semble qu'il y ait eu parmi ces Francs des Chamaves et des Frisons (Paneg., V, 9), les Chamaves étant parmi les Francs les ennemis les plus ordinaires de l'Empire, et à cet égard faisant contraste avec les Saliens.

[198] Paneg., V, 8, 9 et 21 ; VII, 5.

[199] En 258.

[200] Sauf ce que nous allons dire, on ne trouvera plus trace de Bataves.

[201] Paneg., IV, 21 ; V, 3 ; VI, 4 ; VII, 5 ; IX, 25 : dans tous ces textes, on n'a jamais Batavi, toujours Batavia, et tous sont à propos de l'expédition de Constance. Au surplus, le nom de Batavia peut se suivre à travers le Moyen Âge jusqu'au mot actuel de Betuwe.

[202] Je rattacherai volontiers à cette réorganisation de la frontière batave la création des quatre corps auxiliaires si célèbres au IVe siècle, des Batavii, Celtæ, Heruli et Petulantes, tous quatre formés par des immigrés des bas pays. Les Bataves sont en principe les indigènes de l'île, plus ou moins expulsés de leurs foyers par les invasions : je dis en principe, car il est possible que dans la suite des temps le vocable ait perdu toute signification ethnique et n'ait plus été qu'un nom de guerre. J'ai déjà parlé des Celtes. Les Hérules viennent des anciens ennemis de Maximien sut le Rhin inférieur. Quant aux Petulantes, le nom ne me parait avoir rien de commun avec le mot latin petulans : c'est un arrangement de quelque vocable géographique ou ethnique des basses terres. — Cette organisation des quatre corps a dû s'accompagner de l'établissement de familles ou tribus de Bataves, Celtes, etc., sur sol romain. — Mais on peut songer aussi à Julien.

[203] Peut-être expulsée par les Saxons (Zosime, III, 6, 3-4).

[204] Le texte essentiel est celui du Panégyrique de 310 (VII, 6) : Quid loquar rursus [opérations postérieures à la victoire de Bretagne] intimas Franciæ nationes [celles qui sont restées chez elles, par opposition à celles qui ont envahi l'Empire] jam non ab his locis quæ olim Romani invaserant [la Batavie et terres soumises] sed a propriis ex origine sui sedibus [les terres de leur domaine originel, portant leur nom, le Salland] atque ab ultimis barbariæ litoribus [les rivages frisons du Zuiderzee] avulsæ [c'est moins une guerre qu'une receptio] ut in desertis Galliæ regionibus conlocatæ [Batavie] et pacem Romani imperii [ces mots semblent bien indiquer une convention solennelle d'ordre politique] cultu javarent et arma dilecta. Peut-être avons-nous aussi une allusion à cette restauration de la Batavie dans cette phrase d'Eumène (IV, 18), hæc ipsa insula quæ modo desinit esse barbaria. — La Batavie comprenait, outre l'île, la rive gauche ou méridionale du Wahal, avec Nimègue. Il est possible qu'on n'ait pas dès lors concédé aux Francs cette dernière région. — Lorsque Julien, en 358, se mit en contact avec les Saliens, il ne leur reprocha que de s'être trop étendus au sud, en Toxandrie, leur établissement en Batavie lui paraissant légitime. L'établissement des Francs en Batavie a du reste été singulièrement facilité par la dépopulation du pays.

[205] En qualité d'agriculteurs (cultu) et de soldats (dilectu). Une fois pour toutes, il importe de ne point voir uniquement des guerriers dans ce monde franc. Comme chez les Hollandais modernes qui les ont remplacés sur ces terres. le travail agricole a tenu une place considérable dans leur vie ; et il faudra se souvenir de cela lorsqu'on voudra étudier, mieux qu'on ne l'a fait jusqu'ici, l'époque merovingienne.

[206] Avant l'affaire de Langres et après la reconquête de la Bretagne (Paneg., VII, 6).

[207] Il n'est pas du tout impossible que ces Saliens soient les Francs de Gennobaud.

[208] Kurth, qui a très bien vu la nécessite d'admettre une installation officielle des Francs Saliens en Batavie (Clovis, 2° éd., I, 1901, p. 84), la place sous Constant vers 311. C'est à la rigueur possible. Mais je me demande si dans ce cas cet établissement batave eût été regardé en 358 comme si complètement légitime. Ce qui a pu se produire sous Constant, c'est la pénétration au sud du Wahal, à Nimègue et aux alentours, et peut-être aussi une réglementation nouvelle de la situation légale des Saliens dans l'Empire.

[209] J'entends Civilis avant la révolte.

[210] En 298 ? La Chronique d'Eusèbe placerait le fait en 301 (ad a. Abr. 2317, p. 187, Schœne), mais manifestement erroné.

[211] L'ennemi arriva si vite, que, les portes ayant été fermée, il fallut hisser Constance par la muraille à l'aide de cordes (Eutrope, IX, 23 ; Théophane, Chron., p. 8, de Boor).

[212] La première bataille eut lieu près de Langres, la seconde près de Windisch, (campos Vindonissæ, Pan., VII, 6 ; campi Vindonii [?], Pan, VII, 4). Constance a suivi la route de Langres à Bâle et coupe les Alamans du Rhin avant qu'ils aient pu le franchir. Paneg., VII, 4 et, 6 (l'auteur, dix ans après, semble avoir vu le champ de bataille, campos adhuc ossibus opertos). — Il semble qu'il y ait eu, dans l'hiver de 298-9, un nouveau passage, par les Alamans, du Rhin pris par les glaces (dans une île, illexerat [in] insulam ; peut-être la même qu'en 357) ; la bande d'ailleurs fut faite prisonnière ; Paneg., VII.

[213] Je pense à l'invasion de 275-6.

[214] Épit. de Cæs., 41, 3 : Croco Alamannorum rege, auxilii gratia Constantium comitato (en Bretagne). La lecture Eroco, courante jusqu'ici, ne parait pas justifiée.

[215] D'après Ammien, XV, 5, 33, qui ne parle de Bonitus qu'à propos des guerres de Constantin contre Tacinius en 311-323. Mais son rôle éminent dans ces guerres permet de supposer bien des services antérieurs.

[216] Sauf quelques exceptions, l'attribution de ces constructions à l'époque de Dioclétien ne peut être affirmée, et quelques-unes peuvent être placées sous Constantin.

[217] Paneg., IV, 18 (date de 297) : Alarum et cohortum castra toto Rheni restitua. Par exemple, Winterthur, Vitudurum, en 294 (Corpus, XIII, 5249), et d'autres de forme similaire dans la même région, par exemple, Altenburg (le castrum de Vindonissa, Windisch), Soleure et Olten (cf. Stæhelin, Revue des Études anciennes, 1923, p. 38-9). — Près de là, Constance, Constantia, mais en Rétie (Anon. de Ravenne, IV, 26), peut être aussi attribuée à Constantin. — C'est également à cette époque, Constance ou Constantin, qu'on a rattaché la construction des forteresses de l'Alsace, des Vosges et du Rhin, Horbourg, Saverne, Sarrebourg, etc., et, comme elles résistèrent fort peu aux invasions des Alamans de 350 à 356, on a supposé qu'elles étaient mal construites (Schumacher, Stedelungs- und Kultui geschichte der Rheinlande, II, 1923, p. 109 et s.).

[218] Le commandement de mer fut conservé, mais peut-être pour être partagé entre le duc d'Armorique et le duc de Belgique. On verra le rôle important de la flotte lors des guerres de Constantin.

[219] Sur la sécurité maritime après la guerre de Bretagne, Paneg., V, 18 : Omnibus nationibus securitas restituta maritimo situ.

[220] Outre les trois dont nous allons parler, les suivantes, mais peut-être dues à Constantin —1° Constantia, Coutances (Not., Occ., 37, 20, 42, 34), l'ancienne Cosidia. — 2° La Constantia dont parle Ammien (XV, 11, 3), à l'embouchure de la Seine, ne me paraît pas devoir être confondue avec Coutances : c'est le lieu terminal de la grande route qui suivait la Seine, à chercher vers Harfleur ou Graville. — 3° Pour protéger le passage en Espagne par le col du Pertus, castrum Helena (nomme d'après Hélène, femme de Constance et mère de Constantin), Elne (Eutrope, II, 9, Orose, II, 29, 7 ; Il. 42, 9, Épit. de Cæs., 41, 23). 4° Peut-être le vicus Helena, qui semble un castrum sur grande route au passage d'une rivière, non loin d'une colline, entre Tournai et Arras (Sidoine Apollinaire, Carmina, 3, 213 : mais le nom pourrait être celui d'un cours à eau) : il me parait s'agir d'un castrum gardant le passage de la Deule, à la frontière des cités d'Arras et de Tournai, entre Hénin, Pont-à-Sault et la colline d'Ostricourt.

[221] Lapurdum ; Not., Occ., 42, 19, cf. Revue des Et. anc., 1903, p. 150 et s. Lapurdurm a dû s'appliquer strictement à la plate forte ; le nom de Baiona, qui apparaitra beaucoup plus tard, a dû désigner la partie basse, le port ; voyez Gavel, Éléments de phonétique basque, 1920, p. 94-95.

[222] Fortifiée sans doute avant la nomination de Constance comme César ; Corpus, XII, 2229 (mention d'une porta Jovia et d'une porta Hercuna). Peut-être comme point d'appui contre les Bagaudes des Alpes.

[223] Blavia militaris ; Ausone, Epist., 10, 16 ; Not., Occ., 37, 15.

[224] Panégyrique de 291 (III, 15) ; de 297 (V, 3 et 21) ; de 297 (IV, 18).

[225] Tot manu positæ arbores convalesunt (IV, 18).

[226] Ubi silvæ fuere jam seges est (III, 15).

[227] Aquitaniæ altisque provinciis... novis vitibus locum metari ; Panégyrique de 311, VIII, 6.

[228] C'est à des reconstructions rurales que se rapporte le texte d'Eumène en 297 (Paneg., IV, 18) : Ubique mari vix repentis veterum fondamentorum vestigiis excitantur. Voyez chez Grenier (Habitations, p. 119) la reconstruction de quelques villas rustiques et (p. 179) la construction de nouvelles villas urbaines chez les Médiomatriques (Lorraine).

[229] J'attribue à cette époque la villa fortifiée (burgus) de Bourg en Gironde (Sidoine, Carm., 22, 117-9), laquelle a dû remplacer, comme centre de domaine, la villa dont on a trouvé des traces aux Gaugues, plus à l'ouest, la situation de Bourg étant infiniment meilleure au point de vue de la défense militaire.

[230] Voyez t. VIII, ch. III, § 2, et ch. IV, § 2.

[231] D'après les conclusions de Marteaux et Le Roux, Boutæ, p. 489-490, lesquels apportent à cette reconstruction l'emploi dans les maisons d'un pavage ou macadam en calcaire blanchâtre concassé (cf. ibid., p. 339).

[232] En particulier les routes des Alpes : du Rhône au Genèvre par Valence et le col de Cabre (Corpus, XII, 5501) ; directe du Petit Saint-Bernard à Genève (XII, 5510-7) ; du Grand Saint-Bernard (XII, 5520-7).

[233] Je songe a une route à travers les Cévennes par le col du Pal ; milliaire de 306-7 au pont de la Baume (Corpus, XII, 5584).

[234] Je songe à la route, le long de la rive gauche de la Seine, de Paris à Sens, dont je ne trouve pas trace avant le milliaire de la tétrarchie (XIII, 8974 : je me demande maintenant si RCO ne signifie pas simplement reficundam coeraverunt ; voyez les indices de Dessau, p. 828). — Il est possible qu'on ait alors substitué la route de la rive gauche à celle de la rive droite, celle-ci, qui traversait des terrains marécageux dès sa sortie de Paris (cf. De Pachtère, p. 39), ayant dû être abîmée dans les malheurs du siècle précédent, l'autre, au contraire, abordant tout de suite les hauteurs à la montagne Sainte-Geneviève.

[235] Monnaies de Constantin dans une partie des fana normands (de Vesly, Les Fana, p. 141) ; Paneg., VII, 21-22, en 310 (les eaux thermales de l'Apollon éduen, Bourbon-Lancy). Et voyez le pèlerinage de Constantin à Grand [?] en 309 ?. Reconstruction du sanctuaire de Berthouville ?

[236] Notez en particulier cette instauratio templorum sous Constance (à Autun ; Paneg., V, 21 ; IV, 4 ; tous deux de 297). On occupa à la réfection des aqueducs d'Autun les légionnaires en garnison pendant l'hiver (de 296-207 ? Paneg., IV, 4). En général, Pan., IV, 4 et 18.

[237] Il me paraît évident qu'on a dû donner satisfaction à Eumène, sollicitant (en 297) du præses Lugdunensis l'appui impérial pour la restauration des fameuses écoles Mænianæ (de restituendis patriæ meæ Mænianis ; Paneg., IV, 2). Eumène demande qu'on l'autorise à affecter à cette restauration les 600.000 sesterces que Constance lui veut allouer comme salarium (IV, 11).

[238] Tot urbes instaurari mœnibus, incolis frequentari ; Paneg., IV, 18 ; V, 21. L'empereur contribua de ses deniers, au moins à Autun ; id., IV, 4.

[239] Paneg., IV, 4 (artifices transmarinos) ; V, 21 (ex hac Britannicæ facultate victoriæ plurimos, quibus illæ provinciæ redundabant, artifices). L'abondance de la main d'œuvre artisane en Bretagne est digne de remarque.

[240] Supposé d'après Paneg., IV, 4, don ou abandon à Autun de maximæ pecuniæ, d'après Eutrope, X, 1, disant, de Constance, fisci commoda non admodum adfectans. On racontait que Dioclétien reprochait à Constance de n'avoir aucune réserve dans ses trésors (Eusèbe, V. Constantini, I, 14 ; cf. le totum ærarium indulgent d'Eumène, Paneg., IV, 4, qui ne vise que Constance).

[241] Pour Autun, Flavia est civitas Æduorum (Panégyrique de 311, VIII, 14) ; on peut évidemment songer à Constantin : mais l'auteur de 297 dit de Constance à propos d'Autun : cum te rursus habeat conditorem (Pan., V, 21 ; cf. IV, 14) ; et Eumène, qui parle vers le même temps, donne à Autun le titre de colonia (IV, 5).

[242] Panégyrique de 291, III, 15 : Hominum ætates et numerus augentur.

[243] Cette idée d'un accord céleste entre les deux grands dieux de l'Empire restante et l'Apollon de Constance est assez bien marquée par le Panégyriste de 297 (V, 4).

[244] Auditorio huic te præficere decrevimus ; Panégyrique d'Eumène, IV, 14.

[245] Sacræ memoriæ magister ; Paneg., IV, 11.

[246] Le nom n'est conservé que par la fin de la lettre de Constance : Vale, Eumeni carissime nobis (Pan., IV, 14).

[247] Qu'il fût ancien rhéteur, cela résulte de ad pristinas artes (IV, 15 et 14) ; il était petit-fils d'un maitre d'Autun, originaire d'Athènes, célèbre jadis à Rome, installe ensuite chez les Éduens. Mais Eumène n'a été ni élève ni rhéteur à Autun même, à cause de l'intermissio des études en 269 (cf. Pan., IV, 17). — Ici doit se poser la question, si controversée, des rapports de temps et d'origine entre le Panégyrique d'Eumène (IV) et celui prononce à l'anniversaire impérial de Constance (V, 1er mars 297 ; à Trèves ?). Pour la date, le pro restaurandis scholis d'Eumène me parait postérieur à l'autre de quelques mois : il y est fait très nettement allusion aux grandes victoires de Galère en Orient au cours de 297 (IV, 21), qu'ignore l'orateur du Paneg. V, et à la pacification générale de l'Empire après ces victoires (IV, 21), peut-être aussi à la seconde série d'opérations contre les Francs (encore toute récente, modo, IV) ; si le mot de la lettre de Constance (IV, 14 : Constantu Cæsaris ex natta revertentis) doit être maintenu, il peut s'agir d'un voyage fait par Constance au delà des Alpes pendant l'expédition de Maximien en Afrique. Cela mettrait le Panégyrique d'Eumène vers octobre 297. — L'auteur du Panégyrique à Constance (V) offre évidemment d'étranges similitudes avec Eumène : comme celui-ci, il a été tour à tour maitre de rhétorique et fonctionnaire au palais (adyta palatii ; V, 1), et il doit habiter Autun (V, 21). D'autre part, son discours offre avec celui d'Eumène un très grand nombre de locutions semblables (cf. Brandt, Eumenius, p. 39-41, liste d'ailleurs incomplète). J'hésite cependant à ne pas attribuer les deux œuvres à deux orateurs différents. Eumène appelle Autun sa patrie, ce que l'autre ne dit jamais. Eumène semble n'avoir quitte les fonctions de magister memoriœ que pour être envoyé à l'école d'Autun (IV, 15 : ex otio jacens veut seulement dire qu'il a perdu l'habitude de la rhétorique) ; l'autre, après un long congé, semble être revenu à la cour, auprès de Maximien et de Constance (vers 293 ; V, 1 et 2), et, s'il parle au nom d'Autun (V, 21), il ne dit pas qu'il y enseigne. L'orateur impérial, quoique rompant un long silence, est un habitué de l'éloquence officielle (V, 1) ; Eumène est plus nettement un novice en cette manière (IV, 1). Le Panégyriste de Constance ne dit pas un mot des écoles, qui passionnent Eumène. Le style a une allure différente, plus pénible chez Eumène. Quant aux réminiscences d'expressions, d'ailleurs éminentes, elles peuvent s'expliquer par le fait qu'Eumène aurait connu le Panégyrique à Constance et s'en serait inspiré. — Peut-être celui-ci est-il l'œuvre de ce Glaucus qu'Eumène salue, dans son discours (IV, 17). — L'orateur de Constance semble avoir, recommandé par lui, prononcé un panégyrique devant Maximien, où il racontait tous les événements antérieurs à la création de la tétrarchie (1er mars 293) et à la campagne de Maximien contre les Alamans Contiens (292), et il est visible qu'il a voulu que son présent discours fit suite au précédent (ab his quæ secuta sunt inchoare ; V, 1). On peut évidemment supposer que ce dernier est le Panégyrique de 291 : mais il y a trop de différences entre les deux morceaux, et on a dû prononcer bien des discours de ce genre.

[248] Paneg., IV, 14.

[249] Solarium in sexcenis milibus nummum ex reipublicæ viribus consequi volumus [pris sur les recettes de la ville ; cf. t. VIII, ch. V, § 2] ; Paneg., IV, 14. Il est a peu pros impossible de savoir à quoi correspondaient alors le sesterce (nummus) et cette somme. Elle a dû cependant être très forte, d'une part puisqu'elle fut affectée par Eumène à reconstruire et à réaménager les écoles (ad restitutionem, 11), mais encore parce qu'elle est dite représenter le double du traitement d'un magister memoriœ, 300.000 sesterces (geminarent, 11), lequel était un très haut fonctionnaire. On peut donc incliner à considérer ces 600.000 sesterces comme correspondant à la valeur traditionnelle du sesterce, soit 100 sesterces pour le sou d'or ; 600.000 sesterces représenteraient 6.000 sous d'or, et, si l'on évalue le sou d'or suivant le type de Dioclétien (5 gr. 45, 18 à 19 francs), un peu plus de 100.000 francs (calculs similaires chez Kuhn, Verfassung, I, p. 102 ; Seeck, Num. Zeitschrift de Vienne, XXVIII, 1896, p. 178-9, n'arrive qu'à 13.000 à 14.000 francs ; voyez sur cette question les très justes remarques de Hirschfeld, Kleine Schriften, p. 629-630). Ce chiffre parait excessif pour un rhéteur, mais Eumène était un des plus hauts fonctionnaires de l'Empire. Peut-être, à la rigueur, s'agit-il d'un salarium donné une fois pour toutes, et, dans ce cas, il faut accepter le sexcentis des manuscrits à 14, et corriger ainsi le sexcenis des manuscrits à Il : mais j'en doute.

[250] Cela résulte des encouragements donnés par Maximien et Constance fovendis honorandisve litterarum studiis (Paneg., IV, 19).

[251] Cf. Bordeaux, Soc. arch. de Bordeaux, I, 1874, p. 45, et t. VIII, ch. V, § 5.

[252] Cf. t. VIII, ch. V, § I et 4.

[253] A la rigueur sous Constantin, aux premiers temps duquel appartiennent les plus anciens maures célèbres par Ausone (vers 315 : Macrinus, Thalassius, Romulus, Corinthius ; Professores, 11, 13 et 19).

[254] Je songe à l'Hercule de bronze trouvé vers l'entrée du port intérieur (Soc. arch. de Bordeaux, I, 1874, p. 45).

[255] Heraclen comitem ducemque Musarum ; Paneg., IV, 7.

[256] Il n'y a pas à en douter ; Paneg., V, 2 ; VI, 14 ; VII, 7.

[257] Eusèbe, V. Constantini, I, 17, éd. Heikel (P. Gr., XX, c. 933).

[258] Lisez Macrobe, I, 17.

[259] Eusèbe, Hist. ecclés., VIII, 13 ; V. Const., I, 13 ; Lactance, De m. p., 8, 15 et 16 ; Optat, I, 22, p. 26, Ziwsa ; Sozomène, I, 6, Patr. Gr., LXVII, c. 872.

[260] Lactance, De m. p., 15. Eusèbe (VIII, 13, 13, Schwartz) dit le contraire, peut-être pour n'avoir pas compris quelque texte latin, μήτε τών έκκλησιών τούς οΐκους καθελών.

[261] Lactance, De m. p., 15 : Conventicula, id est parietes, qui restitui poterant, dirui passus est ; verum autem Dei templum, quod est in hominibus, incolume servaret. Voyez l'expression d'Eusèbe τών έκκλησιών τούς οΐκους καθελών, qui traduit conventicula. L'expression de conventiculum était consacrée en ce temps-là pour désigner le local où se réunissaient les Chrétiens d'une localité : c'est la domus ecclesiœ (cf. Ammien, XV, 5, 30).

[262] Voyez les Actes du concile d'Arles.

[263] Voyez t. VIII, chap. VI, surtout § 1 et 3.

[264] Voyez les Panégyriques II, III, IV, V, VI.

[265] L'expression, et plutôt dans le sens d'orthodoxe que dans celui d'universel, apparaît pour la première fois officiellement dans la loi de Constantin contre les hérétiques, 313 ? ; Code Théod., XVI, 2, 1. Cf. t. VIII, ch. VI, § 1.

[266] Eusèbe, V. Const., I, 16 et 17, Patr. Gr., XX, c. 931-3.

[267] Flavia Helena, qu'il dut répudier en 203 pour épouser Flavia Theodora Maximana, la belle-fille de Maximien, ce qui le fit entrer dans la famille des Herculii.

[268] Né le 27 février, on a supposé d'ordinaire 274 (Seeck, I, 2e éd., p. 436, va jusqu'à 288).

[269] Eusèbe, V. Const., I, 17. Le second Panégyriste de Constantin (VII, 7) le fait au contraire mourir en pleine foi païenne, en accord avec Jupiter, en adoration de l'Océan, des astres et de la lumière éternelle ; et sans doute l'orateur répond-il à des rumeurs propagées par les Chrétiens.

[270] Le 1er mai 305 ; Lactance, De m. p., 19.

[271] L'importance que les préfets du prétoire prirent dès le temps de Dioclétien comme administrateurs souverains du territoire, nous invite à donner ici la liste de ceux de ces magistrats qui nous sont connus, et à négliger celle des gouverneurs de provinces, leurs subordonnés (cf. t. IV, dernière note des ch. V, XII, XIII et XIV) ; de ceux-ci, d'ailleurs, nous ne connaissons qu'un fort petit nombre pour le IVe siècle (cf. t. VIII, ch. I, § 4). — La liste des préfets dressée par Borghesi (Œuvres, X, 1897, revu et complété par Cuq) appelle des réserves. — Il faut d'abord exclure, comme préfets du prétoire de Maximien, tous les præfecti des Acta sanctorum : ce sont magistrats secondaires, et leur existence est d'ailleurs problématique (Rictiovarus, dont on a fait à tort un C. Ceionius Rufius Varus ; Julianus ; Asterius [possible à la rigueur comme préfet ; cf. Revue des Ét. anc., 1921, p. 308-9] et Euticius, dans les Actes de saint Victor, etc.). — Le seul préfet certain pour cette époque en Occident est Asclepiodotus, dès 293 (Code Just., 2 ; 31, 9 ; 70, 4 ; VIII, 17, 9), au moins jusqu'en en 296.