HISTOIRE DE LA GAULE

TOME VI. — LA CIVILISATION GALLO-ROMAINE - ÉTAT MORAL.

CHAPITRE II. — LA VIE INTELLECTUELLE[1].

 

 

I. — LA PROPAGATION DU LATIN.

La vie intellectuelle montre des faits de même sorte que la vie religieuse : des traditions nationales qui s'oublient, la langue des vainqueurs qui s'impose, l'intelligence même des vaincus qui s'adapte aux formes de la pensée latine. Aines et corps, hommes et sol, tout ce qui relève de l'histoire présente alors des phénomènes semblables de conflit ou d'accord.

Comme les dieux et les produits de l'Italie, la langue latine pénétra dans les Gaules, et, comme eux encore, elle y pénétra, non pas avec les légions, mais avant elles. Trafiquants et légats du sénat l'avaient déjà. fait connaître lorsque César arriva. Si les Éduens étaient fiers de leur titre de frères du peuple romain, si eux et les Arvernes cherchaient à connaître l'histoire d'Énée et de Troie, cela suppose qu'ils n'avaient pour les idiomes du Midi que curiosité et sympathie[2]. Ne nous représentons pas ces peuples en amoureux passionnés de leur langue, s'obstinant à la défendre et à la conserver par respect pour la patrie et par haine de l'étranger. Une telle manière de faire fut assez rare dans l'Antiquité. Cette question du langage n'y avait pas le caractère politique et national que nous lui donnons aujourd'hui, d'ailleurs à juste titre[3]. Lorsque Vercingétorix souleva la Gaule contre César, il laissa graver en lettres latines les légendes de ses monnaies[4]. Les hommes de ce temps et de ce pays acceptaient de bonne grâce la suprématie du latin et du grec, et cela ne les empêchait pas de se dire gaulois et patriotes, pas plus que l'emploi du français ne troublait le zèle national des rois de Prusse ou que l'usage de l'anglais ne gène l'énergie des savants et des politiques du Japon contemporain. Celtes et Belges voyaient dans le latin la langue souveraine du monde civilisé : ils s'en servaient pour ne plus être traités de Barbares.

La conquête ne fit qu'accélérer le mouvement. Sous des influences très diverses, le latin pénétra toutes les régions de la contrée et toutes les classes de la société. Chaque année, le service militaire expédiait des milliers de paysans et de prolétaires dans les camps de la frontière, et c'était pour y rester vingt années ou davantage : quand ils en revenaient, je pense qu'ils avaient appris le langage de Rome. On peut en croire mutant de ces Gaulois qui faisaient le voyage d'Italie par désœuvrement ou pour affaires. En sens inverse, trop de marchands, de banquiers, de colporteurs, d'esclaves, de gladiateurs, arrivaient d'Italie dans les pays transalpins, pour que le latin n'y fût pas entendu et compris sur toutes les routes et dans tous les marchés.

Les tribunaux romains, dans les métropoles de provinces, ne jugeaient qu'en latin. C'était la langue des documents émanant de l'État, discours du prince, délibérations du sénat, rescrits impériaux, édits et sentences des gouverneurs, règlements et décrets des conseils provinciaux, légendes des monnaies et inscriptions des bornes milliaires[5] : aucun n'est gravé en celtique, et aucun même ne porte en regard de son texte la traduction dans l'idiome indigène[6]. Je ne sais si les dieux romains exigeaient, à l'égal de l'État, d'être servis en latin : mais en tout cas, en se convertissant à Mercure et à Jupiter, il était impossible que le Gaulois n'apprit point quelques-uns des mots favoris de son nouveau dieu. Toutes les forces qui agissaient sur les hommes, crainte ou plaisir, intérêt ou religion, les poussaient à parler la langue des-vainqueurs, et la seule force contraire qui ait pu les retenir sur leur idiome national n'était que celle de l'habitude.

L'état social de la Gaule favorisait également l'extension du latin. Ce que Rome développa le plus dans le pays, ce fut la vie municipale et la vie en corporation : et l'une et l'autre étaient imprégnées de pratiques italiennes. Ce que Rome y laissa du passé, ce fut la puissance de l'aristocratie : or le grand seigneur est un titre merveilleusement disposé pour propager la langue du souverain ; s'il brigue les honneurs, s'il veut éviter le fâcheux renom de Barbare ou de rustaud, s'il est ambitieux ou intelligent, et il est le plus souvent d'un et l'autre, il faut qu'il parle bien le latin, qu'il le fasse parler à ses enfants[7] ; et de proche en proche, dans chacun de ces domaines qui ressemblent à de petits royaumes ; le latin se répand dans la foule d'amis, de parasites et de serviteurs qui écoutent et copient le patron.

Dans cette concurrence entre le latin et le gaulois il y eut quantité d'épisodes, dont le caractère varia suivant le temps, les lieux, les questions engagées.

 

II. — DE L'INTERVENTION DE L'ÉTAT EN MATIÈRE DE LANGAGE.

Quel fut d'abord, en cette affaire, le rôle de l'État ?

Il est très probable qu'il ne garda pas, à l'endroit du langage, la même neutralité qu'à l'égard des dieux et des cultes. Je viens de dire `qu'aucun acte d'ordre politique, c'est-à-dire sorti de lui, ne fut écrit en gaulois ; et je pense aussi que de très bonne heure il n'y eut de valable, dans les affaires civiles, que les documents composés en langue latine, contrats, testaments, mémoires ou plaidoiries : c'est de cette manière que sont rédigées les pièces datées des deux premiers siècles[8], et rien ne nous invite à y voir des traductions d'originaux celtiques.

Nous avons constaté le même fait en matière de documents municipaux. Qu'il y ait eu, sous César et Auguste, une période de transition, où l'usage du gaulois ait été encore admis pour les décrets des décurions, c'est possible[9] ; et nos cités de la Gaule romaine durent bénéficier d'une tolérance semblable à celle dont jouirent les communes ou les paroisses gasconnes sous les derniers Valois, avant d'échanger pour toujours la langue d'oc contre le français des Ordonnances[10]. Mais une tolérance de ce genre ne dura guère plus sous les empereurs que sous les rois de France. J'estime qu'elle avait pris tin partout au temps de Claude, et que s'il y eut çà et là quelques résistances, ce dont je doute, cet empereur y mit bon ordre. Si l'on appelait alors l'ancien vergobret celtique du nom de préteur ou du nom de duumvir, ce n'était pas pour qu'il rédigeât des arrêtés en gaulois ; si Claude voulut donner aux principaux chefs de la Gaule la cité et la toge romaines, ce n'était pas pour qu'ils conservassent l'habitude de s'exprimer en Barbares'. Il était fort sévère là-dessus, et il jugeait indigne de porter le titre de citoyen quiconque ignorait la langue de Rome[11]. C'est sous son règne que le latin fit dans les Gaules le pas décisif.

Après lui, les choses continuèrent d'elles-mêmes, sans intervention de l'État. Je ne vois aucun empereur, jusqu'à Septime Sévère, qui ait eu à s'occuper de cette question. Mais nous connaissons assez tous ces princes pour pouvoir affirmer que, s'ils avaient eu à agir, ils auraient agi dans le sens latin, et suivant les principes de Claude[12].

Avec Septime Sévère, les tendances des pouvoirs publics paraissent se modifier. Il en fut alors des mots ainsi que des dieux : on témoigna plus de libéralisme pour les éléments survivants du passé indigène. Le terme de leuga, lieue, se montra sur les bornes milliaires ; Sévère Alexandre se laissa interpeller en gaulois par une soi-disant druidesse[13] ; quelques villes perdirent leur nom latin et leur titre impérial pour prendre l'antique appellation de leur peuple, et Augusta, par exemple, devint Treveri ou Trèves ; on reconnut aux particuliers le droit d'utiliser le celtique pour rédiger leurs dernières volontés[14].

Mais, dans la voie des concessions au passé, ni Sévère ni aucun de ses successeurs n'alla plus loin que ces quelques détails. L'idée de créer un enseignement et de favoriser les lettres en langue indigène leur fut absolument étrangère, autant qu'à Louis XIV de fonder une chaire de breton, de basque ou de provençal, et une telle idée n'a pu venir même à aucun Gaulois. Si des princes ou des gouverneurs ont encouragé la formation d'écoles, ce n'était, si peu entichés fussent-ils d'esprit italien, que pour y faire apprendre le latin ou le grec.

Ce dernier automne de la langue celtique se ramène donc à quelques épisodes sans portée. Aucun des Césars gallo-romains, de Postume à Tetricus, ne fit du celtique un instrument de règne. Ceux de la Restauration, d'Aurélien à Dioclétien, imbus et épris des choses romaines, ont sans doute mis tout en œuvre pour renouveler l'énergie des dieux, de la langue et de l'esprit latins. A ce moment enfin se développait le Christianisme, dont les victoires ne pouvaient être que favorables au parler de Rome.

 

III. — LES RÉSISTANCES DU CELTIQUE[15].

Quelles étaient alors les positions qui restaient au gaulois dans les domaines où l'État n'intervenait point ?

Dans le domaine religieux, il avait assez bien résisté jusqu'au temps de Claude. C'est en langue celtique qu'est rédigé le calendrier de l'Apollon de Coligny, et nous possédons, écrites en formules gauloises, une trentaine de dédicaces d'autels contemporaines des premiers empereurs[16]. Mais passé ce temps, le latin est le maître absolu de l'épigraphie religieuse : — Je parle de la religion publique et légitime. Il est rare, pour celle-là, qu'elle, tienne aux parlers populaires, elle a droit aux langues souveraines ou civilisées : un dévot de Marseille, de nos jours, se garde bien de rédiger en provençal l'ex-voto qu'il suspend dans la chapelle de la Vierge sa bienfaitrice[17].

Le celtique a duré beaucoup plus longtemps dans les œuvres et les formules de la sorcellerie. Celle-ci a été, comme à l'ordinaire, le refuge des traditions chassées d'ailleurs. Encore au troisième siècle, c'est en celtique que prophétisent les devineresses, que se gravent les incantations magiques[18], que se transmettent les recettes médicales[19]. Et en cet ordre d'idées, soyons sûrs que le vieil idiome a lutté jusqu'à la fin de l'Empire, bien qu'il se soit peu à peu réduit à des formules toujours pareilles, et à la fin vides de sens pour ceux qui les répétaient[20].

Dans la vie marchande, la décadence a été aussi rapide que dans les temples des dieux. Les premiers industriels gaulois n'hésitaient pas à se servir du celtique pour leurs marques de fabrique : ils faisaient suivre leurs signatures de la clausule avot, un tel a fait, et non pas de fecit son équivalent latin[21]. Mais dès la fin du premier siècle[22], les mots romains fecit, officina, manu, sont à peu près seuls en usage.

L'épigraphie funéraire fut plus rebelle encore que les inscriptions religieuses ou industrielles au maintien des traditions indigènes. Dès le temps d'Auguste, on ne trouve presque pas d'épitaphes celtiques[23] ; et comme, dès ce temps-là, la Gaule voulait honorer ses morts en gravant leurs noms, leurs titres et leurs mérites, il ressort bien qu'elle jugea la langue gauloise inutile à la parure de la tombe. Or, quand les morts renoncent à quelque usage, c'est que cet usage commence à être méprisé des vivants.

Qu'on n'objecte pas les noms propres gravés sur les tombes, et dont beaucoup, jusqu'au troisième siècle, ont été empruntés à la langue des druides. Un nom d'homme, en matière de langage, ne signifie rien. Les familles peuvent le choisir sans le comprendre : c'est une habitude et pour ainsi dire un meuble verbal, qu'on se transmet sans connaître son origine[24]. Qui pense chez nous à l'étymologie des prénoms de Pierre ou de Charles, et même, pour les noms de famille, à celle de Duval ou de Lafont ?

Il est du reste évident que la langue celtique ne pouvait se maintenir en matière épigraphique. Les Gaulois n'avaient jamais eu le goût des inscriptions[25]. Quand ils le prirent des Romains, ils trouvèrent plus naturel d'y consacrer la langue où il s'était développé. Graver en gaulois était trop loin de leurs habitudes[26]. Le celtique n'eut pas à garder se place dans ce genre de travail : car il lui avait été aussi impossible de la prendre qu'il le fut au provençal ou au gascon, lorsque, sous les Bourbons, on grava les noms des rues et les dédicaces des statues royales.

Mais même dans les lettres privées, on sent bien qu'il perd rapidement de sa force. Ce n'est pas, non plus, une langue qu'on veuille écrire. Les druides avaient habitué les Gaulois à tenir éloignée de leur langage la pratique de l'écriture : l'habitude resta sons les Romains, et l'on ne put se faire à figurer par des signes le mot celtique : Nous avons, du premier siècle de l'Empire, un certain nombre de lambeaux de correspondance, de saluts ou d'exclamations populaires, tracés sur des tessons de poteries ou sur des fragments d'enduits : les mots gaulois y sont d'une extrême rareté[27]. Lorsque, par hasard, ils se montrent en nombre, c'est que nous sommes dans des tavernes ou des mauvais lieux, ou la langue indigène s'attarde sons forme d'appels, de sobriquets et de juron[28].

Partout où l'archéologie nous permet d'atteindre les deux langues et de mesurer leurs forces, le celtique nous apparaît en vaincu. Mais il importe de se rappeler, une fois de plus, que les monuments ; les, inscriptions, la gravure et l'écriture ne nous font connaître que les circonstances les plus solennelles de la vie humaine, ses heures en quelque sorte publiques et extérieures : et ces heures appartenaient au latin, comme elles appartenaient au français dans la Guyenne et la Provence de l'ancienne Monarchie. Car, en ce temps-là, nul Méridional n'eût songé de lui-même à imprimer ou à correspondre en langue d'oc : et si nous voulions juger de la diffusion de cette langue d'après les papiers et les livres qui nous restent de l'époque, nous commettrions d'extraordinaires erreurs[29]. De même, pour juger de l'état du celtique à l'époque romaine, il faudrait, en dehors des inscriptions et des lettres, pénétrer dans l'immense domaine de la parole, entretiens familiers, discussions de marché, propos de table et de rue, chansons et querelles. Or, si nous voulons dire ce qui se passait en ce domaine, ce qu'y avait pris le latin, ce qu'y avait gardé le celtique, nous sommes réduits à de vagues affirmations ou à des hypothèses arbitraires.

Les affirmations ? c'est Irénée, évêque de Lyon, qui déclarait sous Septime Sévère qu'on parlait autour de lui un idiome barbare ; c'est le sénateur Dion Cassius, à la même époque, qui, entendant hurler les soldats de l'empereur venus de la Gaule pour une part, s'épouvantait à l'horreur de leur langage[30] ; ce sont d'autres écrivains qui, très longtemps après, persistaient à railler ]es vulgarités du celtique ou du gaulois[31]. — Mais en tout cela, il s'agit peut-être de plaisanteries ou de colères de bons écrivains contre les incorrections du. parler populaire, contre un mauvais latin sans rapport avec l'ancien celtique. — Alors, les hypothèses sont venues, faute de texte solide sur quoi s'appuyer : et l'on a supposé tantôt l'absolue disparition de l'idiome national[32], tantôt son énergique persistance.

Je ne sais encore que croire, au moins pour les derniers siècles de l'Empire. Nous ne pourrions évaluer exactement, au temps de Louis XIV, la force du dialecte gascon : comment pourrait-on estimer celle du gaulois au temps de Dioclétien ? Tout ce qu'on peut dire sans s'égarer, c'est que sa résistance a varié suivant les classes et suivant les pays ; qu'elle a été plus faible dans le Midi et sur le Rhin, régions pleines de colons ou de soldats, plus tenace en Armorique, en Normandie, en Rouergue et en Gévaudan, terres éloignées des contacts italiens[33] ; et que, si les grands ont rejeté les premiers le parler du pays, il est demeuré plus cher au populaire des villes et aux paysans des campagnes. Comparer précisément sa situation, sous Dioclétien, à celle du gascon ou du provençal sous Louis XIV, c'est, après tout, le meilleur moyen de ne point se tromper[34].

 

IV. — SUR L'EXISTENCE D'UN LATIN PROVINCIAL DE GAULE.

Mais en prenant chez les Gaulois l'empire de l'écriture et du langage, le latin ne fut-il pas obligé à quelques concessions envers les idiomes nationaux, à subir pour une part leur influence ? n'y eut-il pas, dans son vocabulaire, ses formes et sa syntaxe, une intrusion plus ou moins grande de mots et de pratiques celtiques ? ou, en d'autres termes, ne s'est-il pas créé peu à peu une variété de la langue latine propre aux peuples gaulois et adaptée à leurs habitudes linguistiques, ainsi qu'il s'est formé chez eux un Mercure qui n'était point tout à fait le Mercure italien[35] ?

Pour résoudre cette question, on ne peut recourir qu'à deux moyens de travail . l'examen des vestiges latins qui nous restent de la Gaule de ce temps, mots et phrases d'auteurs et d'inscriptions ; et l'étude de la langue parlée aujourd'hui par les descendants de ces hommes, et qui est la fille de leur langue, le français. Le malheur est que l'une et l'autre analyses, celle des témoins et celle des survivances, sont encore fort incertaines, vu le, petit nombre de données précises qu'y rencontre la science du langage[36].

C'est le vocabulaire qui lui a fourni le plus de résultats certains.

Beaucoup de mots gaulois sont entrés dans la langue latine. La plupart, comme il va de soi, désignent des choses propres à la Gaule, des êtres de son sol, tels que l'alouette, alauda en latin[37], des produits de son industrie, tels que la cervoise ou la bière, cervesia[38], et les braies ou pantalons, bracæ[39], des institutions de son pays, telles que la lieue, leuga, et l'arpent, arepennis. Mais à côté de ces emprunts à peu près nécessaires, le latin, en Gaule, accepta du pays quelques autres mots dont il. aurait pu se passer, car il en avait l'équivalent de longue date, comme celui de bladum[40], blé, au lieu et place du vieux romain frumentum. Tous ces mots[41], par l'intermédiaire du latin, sont arrivés jusqu'au français et lui donnent, pour cette part du vocabulaire, une physionomie originale, celtique d'ascendance[42].

A ces mots, demeurés dans notre langue courante, il faut ajouter une assez notable quantité d'expressions régionales ou techniques, termes de métier, appellations locales de plantes, de bêtes, de détails du sol. La majeure partie, peut-être, de la toponymie méridionale et pyrénéenne, ces mots de nive, de neste, de gave ou de garonne pour les torrents ou les ruisseaux, de tuc pour les sommets, de nant pour les vallons ou de baume pour les grottes, doivent remonter, par delà les temps latins, jusqu'aux Celtes et même, plus loin qu'eux, jusqu'aux Ibères ou aux Ligures[43].

Mais cela ne fait pas encore un très grand nombre de mots moins d'un millier sans doute, et assurément point le vingtième du vocabulaire français ; et ces mots, le plus souvent, sont d'usage rare ou restreint. Puis, s'ils ont survécu, c'est qu'ils sont passés par la langue latine, qu'ils en ont pris les formes et les tournures : ils ont fait comme Taran, qui s'est conservé en s'habillant en Jupiter[44]. Loin de dénaturer l'idiome romain, ils ont accru son trésor de mots.

Les vrais changements qui transforment une langue sont ceux qui modifient ses sons, les modes de ses déclinaisons et de ses conjugaisons, la structure de ses phrases. Or, de changements de cette espèce, aucun n'a été encore perçu dans le latin lors de son passage d'Italie en Gaule. L'analyse minutieuse des inscriptions de nos pays a fait découvrir des centaines de formes qui s'y parlaient dans le langage populaire[45] : toutes ces formes se retrouvent sur les monuments d'Italie ou d'Afrique[46]. Et si l'on en rencontre parfois qui, au premier abord, font songer à des habitudes celtiques, on s'aperçoit bientôt que les langues italiotes étaient soumises à des pratiques semblables[47].

En phonétique[48], par exemple, les Celtes échangeaient volontiers i pour e long[49] : quand ils écrivirent en latin, il leur arriva de mettre, au datif, Cæsare au lieu de Cæsari[50]. Mais un usage pareil existait dans le latin vulgaire[51]. Qui nous dit, quand nous constatons cet échange de lettres sur une inscription de Paris, si le graveur a suivi son penchant gaulois ou s'il s'est inspiré d'un usage romain[52] ?

En morphologie, on a remarqué chez les Latins de Gaule un pluriel féminin en -as qui est étranger aux Romains[53]. Cela, peut-on penser, est une transfusion du celtique. Mais un pluriel semblable se montrait chez les Osques de Campanie[54], et l'on sait que beaucoup de gens de cette sorte vinrent en Gaule comme soldats, colons ou marchands. Dans cette forme qui nous étonne, n'aurions-nous pas un emprunt fait à une vieille langue italiote[55] ? et toutes ces bizarreries d'orthographe ou de grammaire qu'offre la Gaule, ne prendraient-elles par leur origine dans le patois de ces hommes d'outre-mont qui furent les plus anciens immigrants sur ces terres et les premiers maîtres de langue de leurs habitants ? Tout se tient en histoire, et dieux et mots ne procèdent pas autrement. En étudiant les idoles mystérieuses de la religion des Gaules, nous nous sommes souvent demandé si le modèle n'en venait pas de l'Italie. Et voici qu'en parlant des formes les plus étranges de leur langage, la même solution se présente à nous.

Mais à défaut des témoins authentiques, ne reste-t-il pas la survivance la plus forte et la plus visible d'un latin gallo-romain, d'un latin propre aux seuls pays celtiques, ne reste-t-il pas la ,langue française elle-même ? Elle n'est assurément que du latin transformé, et l'on peut suivre ces transformations siècle par siècle. Mais pourquoi te latin s'est-il modifié en Gaule autrement qu'en Espagne, en Italie, en Portugal ? Comment se fait-il que certaines formes du français, telles que le pluriel aimons, soient si différentes des formes correspondantes de l'italien et du latin, amiamo et amamus, et que par suite elles demeurent inexplicables par une simple évolution de la langue romaine[56] ? N'est-il pas surprenant que le domaine du français corresponde, à vingt siècles de distance, au domaine de l'ancien celtique[57] ? que là où il s'arrête aujourd'hui, sur l'Aa de Flandre ou la Barre de Moselle, ce sont là où s'arrêtaient, au temps des Morins et des Trévires, les hommes de pure espèce gauloise ? et que les centres du parler de France, Orléans, Bourges, Paris et Lyon, aient été également les centres de la vie celtique ? Comment ne point supposer, devant de tels faits, que les hommes de cette contrée n'ont jamais perdu les habitudes, les pratiques, les tournures du langage gaulois, qu'elles se sont maintenues dans les cadres verbaux et grammaticaux fournis par les Romains, et transmises ensuite au français né dans ces mêmes cadres, et qu'en définitive notre langue doit son originalité, et pour ainsi dire son esprit et son âme, aux influx gaulois descendus à travers les mots et les phrases jusqu'à l'âge de maintenant[58]. — Voilà ce que beaucoup de chercheurs ont cru jadis[59], et ce que quelques érudits croient encore[60].

Ceux qui les combattent font à cette hypothèse deux réponses justes. L'une, c'est qu'aucun chaînon intermédiaire ne s'est encore révélé entre une forme gauloise et une forme française. L'autre, c'est que l'identité du domaine celtique et du domaine français sont les conséquences semblables d'une même cause et non pas le prolongement d'un même fait : la France et son langage se sont développés sur le même sol, dans les mêmes limites, le long des mêmes routes et autour des mêmes carrefours que la Gaule et son dialecte ; des conditions identiques, nées de la terre, ont créé deux patries pareilles, à un millénaire de distance, et chacune de ces deux patries, réussissant à vivre de sa vie propre, a formé son langage suivant les lois mystérieuses de ses accords naturels. Entre l'une et l'autre, entre la Gaule et la France, il n'existe aucun lien direct : le celtique, et avec lui l'ibère, le ligure, l'aquitain, le lusitan, l'italiote, ont disparu sorts les flots de la latinité. Et si, longtemps après leur disparition, le français et l'espagnol ont surgi dans une Romania uniforme, ce n'étaient pas des êtres anciens qui renaissaient, mais des êtres nouveaux qui croissaient dans des cadres éternels[61].

Il est possible que cette théorie soit vraie. Elle est aujourd'hui dominante[62]. Mais, pas plus que l'autre, elle ne possède les preuves qui entraînent la certitude. Comme tant de théories historiques, elle demeure à la merci du lendemain.

 

V. — ENSEIGNEMENTS.

Une chose, en tout cas, est hors de doute, et c'est celle qui importe le plus à l'histoire de la civilisation gallo-romaine : si le celtique a persisté ou s'il s'est formé un patois gallo-romain, ni l'un ni l'autre n'ont exercé une sérieuse influence sur l'esprit des Gaulois. Il en fut de ces façons de langage comme du gascon ou du provençal avant le romantisme[63]. Ce n'étaient ni parlers d'école ni parlers d'écrivains. On n'en faisait point des instruments d'art et de science, des organes du travail intellectuel. Ils servaient à transmettre d'anciennes coutumes ; ils ne jouaient point de rôle dans la vie nouvelle des peuples gaulois.

Le premier acte de cette vie nouvelle fut la fondation d'écoles. Il s'en ouvrit, dès le temps d'Auguste, dans les grandes villes. L'une des plus célèbres était celle d'Autun chez les Éduens, où se donnaient rendez-vous les fils de la noblesse celtique[64]. Ces Éduens avaient été, entre les peuples de la Gaule, le plus curieux des œuvres dues à l'esprit et à la culture du Midi : ils gardèrent cette place d'honneur sous la domination romaine ; et moins d'un quart de siècle après sa naissance, Autun possédait, sous le nom d'écoles, un grand collège aristocratique où, avec la direction de maitres arrivés d'Italie, la jeunesse de toute la Gaule venait s'instruire des arts libéraux de Rome, grammaire, éloquence et poésie[65]. Une autre université s'établit à Marseille : mais celle-ci enseignait surtout les sciences et les lettres helléniques, et elle avait pour principale clientèle des étudiants latins envoyés par les meilleures familles de Rome et de l'Italie[66]. — Ainsi, Marseille et Autun, qui avaient jadis ouvert la Gaule aux légions romaines, prolongeaient leur ouvrage en la soumettant aux maitres d'école du Midi.

Nous ignorons ce que furent, dans les créations de ce genre, les parts respectives de l'État impérial, des villes et des particuliers. On peut supposer que le gouvernement a prêté un vigoureux appui à l'école d'Autun, qui collaborait si utilement à la tâche de Rome[67] ; que les cités, Éduens et Marseille, ont largement doté leurs instituts[68] ; mais que le meilleur de leurs ressources et de leur gloire résultaient de l'empressement des familles.

A côté de ces grandes écoles, des régents ou, ainsi que l'on disait alors, des grammairiens s'installèrent un peu partout dans les Gaules, cherchant la fortune et la rencontrant quelquefois. Les plus heureux arrivaient à se faire agréer comme précepteurs dans les riches familles du pays[69]. Beaucoup se bornaient à ouvrir de petites écoles ou à courir le cachet. On vit des écolâtres latins à Marseille[70] et des écolâtres grecs à Trèves, des maîtres de grammaire à Vienne[71], à Limoges, sans doute dans tous les chefs-lieux de cités, et même dans de fort petites bourgades[72]. Ce n'étaient pas toujours des Italiens, ayant passé les Alpes pour trouver un gagne-pain. Lorsqu'un Gaulois savait bien le latin, il ne lui répugnait pas de l'enseigner à son tour, et il le faisait, on peut le croire, avec l'ardeur du néophyte. Quand Claude eut soumis la Bretagne à l'Empire, ce furent, semble-t-il, des maîtres gaulois qui se chargèrent d'apprendre aux vaincus la langue de leurs nouveaux chefs[73]. Un Biturige de Bourges s'établit à Limoges pour y tenir école de grammaire et de poésie[74].

Car ces écolâtres, comme les régents de l'Ancien Régime, faisaient un peu tous les métiers : ils enseignaient à lire et à écrire, à calculer, à bien parler, même à composer des vers, même à se bien tenir[75]. J'imagine que, le cas échéant, ils servaient de comptables[76], de traducteurs, de lecteurs, de copistes, d'écrivains publics[77]. Il se peut que les municipalités les aient aidés à vivre ; je doute que l'État ait fait beaucoup pour eux.

Le moyen principal, par lequel l'État encourageait alors le travail intellectuel[78], ce n'était point l'école, mais le concours. Il institua pour la Gaule des joutes d'éloquence qui, bien entendu, se célébrèrent à Lyon, devant l'autel du Confluent, au moment des grandes fêtes. On ne nous dit pas quelles étaient les conditions de ces concours : mais si les Romains y prenaient part, les Gaulois n'en étaient pas exclus ; et en voyant avec quel amour-propre ils se sont mis à l'école du latin, nous pouvons affirmer que dès la première heure ils tinrent à honneur de paraitre, de briller et de vaincre dans les tournois classiques du sanctuaire lyonnais[79].

On voudrait estimer les résultats (le cette émulation et de cet enseignement, indiquer jusqu'à quel point l'instruction s'est développée dans la Gaule romaine. Mais en cela encore notre science de l'Antiquité se trouve eu défaut. Si elle nous fait connaitre par les inscriptions et les textes des milliers de Gaulois usant des lettres latines, elle nous laisse ignorer ceux qui ne savaient ni lire ni écrire, et rien ne nous dit qu'ils fussent moins nombreux. Sans doute l'épigraphie nous introduit dans les milieux les plus humbles : il y a des tombes à inscriptions pour de très pauvres gens, et il y a des gobelets à apostrophes bachiques pour de fort vulgaires buveurs. Mais est-il certain que ces buveurs et ces pauvres fussent en mesure de lire et de comprendre les mots gravés qu'on leur mettait sous les yeux ? L'épigraphie, ne l'oublions pas, ne nous conduit souvent qu'à des faits d'exception : beaucoup de morts n'avaient pas d'épitaphes, beaucoup de pots ou de verres étaient sans inscription. Si vous êtes frappé de la quantité de textes lapidaires que nous a conservés la Gaule, j'ai également le droit de faire état des vastes régions qui n'en ont point fourni. Vous en avez des centaines dans la ville de Bordeaux : mais la campagne bordelaise, si riche pourtant, est absolument dépourvue d'inscriptions. L'Armorique et la Normandie, si peuplées qu'elles fussent, n'en ont livré jusqu'ici que dans fort peu de localités. Ni le Gévaudan ni le Quercy ni le Rouergue n'ont pratiqué communément l'écriture lapidaire. Remarquez encore ceci, qui a son importance : l'épigraphie nous a procuré quelques actes officiels venant de l'État, en très petit nombre d'ailleurs ; elle ne nous en a presque point donné qui émanent des magistrats municipaux. Et ce que le populaire a cependant le plus besoin d'apprendre, ce sont les règlements locaux, de police, de voirie ou de marché. Il est donc probable qu'ils étaient portés à la connaissance du public, non point par l'affiche gravée, mais, comme au Moyen Age, par le cri de l'appariteur sur la place et au carrefour.

De la nature, du nombre des inscriptions nous ne pouvons rien conclure sur le degré de l'instruction générale. Je ne saurais, ainsi qu'il est arrivé à d'autres[80], en recevoir l'impression que la Gaule romaine en était à peu près au même point que la France actuelle, c'est-à-dire que presque tout le monde savait lire et écrire au temps des Antonins. Cela ne me paraît point possible. La population entière d'un pays ne s'instruit pas en deux siècles. En arrière de notre vie intellectuelle présente il y a dix siècles de régents et de maîtres d'écoles qui l'ont peu à peu préparée : et avant' la Gaule impériale personne, sauf quelques initiés, ne savait la valeur des lettres moulées.

Je crois deviner, à la lecture de ces inscriptions urbaines et de ces épitaphes métriques, à la vue de ces foules de jeunes auditeurs qui écoutaient à Autun ou à Toulouse les rhéteurs et les grammairiens en renom, je suppose une bourgeoisie et une noblesse municipales avides de s'instruire ; et cela me rappelle la France de la Renaissance et de Louis XIII, où le livre imprimé, l'entretien savant et l'enseignement des collèges créèrent dans les villes une élite intellectuelle plus nombreuse et plus ardente que ne l'est même celle de nos cités démocratiques. Mais la masse du peuple français, dans les campagnes et les marchés, ne se préoccupait guère alors de ce qui s'imprimait, se lisait et s'écrirait : et je pense qu'il en était de même sous les Antonins. — Je ne veux point dire par là que ce populaire gaulois fût dénué d'intelligence, de connaissances et de sens pratique. Lire, écrire et passer par l'école ne sont point les seuls moyens de s'instruire et de réfléchir.

 

VI. — ÉPIGRAPHIE.

Des progrès de la Gaule en langue latine, la preuve aujourd'hui la plus visible est sa richesse en inscriptions. La première conséquence et la première nouveauté que le triomphe de Rome produisit sur notre pays en matière de langage et d'écriture, c'est qu'il devint, à la façon de l'Italie et de la Grèce, une terre épigraphique.

Les Celtes avaient ignoré ou repoussé la coutume de graver sur la pierre ou le bronze, pour en éterniser le souvenir, les faits ou les noms de leur histoire publique et de leur vie familiale[81]. Ils ne tenaient pas à cela, soit que la mémoire leur suffit, soit que les dieux et les morts leur en fissent défense. Entrés dans le monde romain, ils prirent à leur tour l'habitude de graver[82] sur une matière durable des formules solennelles, destinées à la connaissance de tous, présents et à venir. L'inscription fut chez eux la façon naturelle de la publicité, l'expression de la gloire pour les horizons restreints.

Les actes importants de l'autorité étaient gravés sur des plaques de bronze, qu'on exposait dans les édifices publics[83]. Sur les parois du temple provincial de Lyon, les Gaulois pouvaient lire le fameux discours où l'empereur Claude plaida leur cause. Chaque sanctuaire conserva les règlements édictés par ses prêtres[84] ; chaque ville, les lois qui la concernaient[85] ; chaque citoyen, les diplômes qui lui appartenaient[86]. La gravure donnait au document sa valeur authentique, et le constituait en pièce d'archives, protégée et garantie.

D'outres inscriptions faisaient corps avec les édifices, publics ou privés, et leur servaient de dédicaces permanentes. C'étaient, par exemple[87], celles qui portaient les noms des dieux auxquels des dévots avaient donné une chapelle ou une statue, et, au-dessous de leurs noms, ceux des dévots eux-mêmes, donateurs des présents, et aussi l'indication des motifs qui avaient amené leur générosité[88]. C'étaient encore les épitaphes des tombeaux, avec les noms des défunts, leurs âges, leurs qualités, les noms des survivants et les formules de piété ou de regret habituelles au style funéraire[89]. — Quelle différence, à cet égard, entre les temps de Mercure et ceux de Teutatès ! Le Gaulois n'avait jamais désigné et signé les bâtisses, les temples et les tombeaux qu'il élevait. De même que les Chrétiens du Moyen Age, il éprouvait rarement le besoin d'écrire ce qu'il faisait, et de le rappeler à tous. Le dieu savait bien, sans qu'on eût à le lui dire, que cet autel était pour lui, quel fidèle le lui avait donné, et à quel titre. Il était fort inutile que les passants connussent le nom du mort qui reposait sous la pierre, des parents qui le pleuraient, des sentiments qui avaient accompagné les funérailles : c'était affaire entre le défunt et ses proches. Une sorte de pudeur sacrée présidait aux rapports de l'homme avec ses dieux et avec ses morts. Il les sentait trop puissants et trop loin de lui, pour qu'il osât les traiter comme des hommes d'affaires avec lesquels on prend acte par quelques mots gravés. Ces sentiments disparurent, et d'autres les remplacèrent, qu'on a le droit de trouver plus vulgaires. Les Gaulois voulurent qu'aucun de leurs bienfaits et de leurs deuils lie fût ignoré de personne. Presque tous les ex-voto avaient leurs dédicaces, inscrites en lieu visible. Les épitaphes des tombes se dessinaient en façade, le long de la route qui bordait la concession funéraire, à portée de l'œil du passant. On invitait celui-ci à lire, et à haute voix, de manière à être entendu du mort. Plus d'une fois l'inscription se terminait par cet appel du défunt à l'inconnu qui marche sur le chemin : Lis-moi, je te prie, ô voyageur[90]. Ces tombes parlantes, ces temples à dédicaces, supposent chez l'homme de ce temps des manières d'envisager la mort et la divinité toutes différentes de celles que révélaient les sanctuaires mystérieux et les fosses anonymes de l'époque gauloise. Défunts et dieux écoutent, lisent et parlent maintenant le langage articulé, les lettres écrites : ils se sont instruits à l'exemple des hommes, ils se sont rapprochés d'eux. L'imitation des habitudes et des formules lapidaires chères aux Romains contribua à changer le caractère de la divinité : l'épigraphie servit de véhicule aux croyances nouvelles.

Des affaires de l'État et de la religion elle gagna rapidement celles de l'industrie et de la vie privée. Graver ou mouler sur un objet une inscription qui ne le quitterait plus, c'était le meilleur moyen d'indiquer à tout jamais soit état civil, j'entends par là la manufacture dont il était sorti[91], la personne à qui il appartenait[92], sa destination, son poids ou sa contenance[93]. L'usage de ces signatures indélébiles, marques de fabrique ou cachets de propriétaire, se répandit dés le début de l'Empire dans les provinces les plus reculées de la Gaule : les moindres céramistes de vaisselle ou de figurines inscrivaient leurs noms ou leurs initiales sur leurs plus vilains produits, et sans doute les plus obscurs bourgeois de Nîmes ou de Trèves avaient, tout comme Auguste, leurs anneaux à signatures. Chacun voulait montrer ou perpétuer son nom.

L'attrait de la lettre gravée finit par être si fort, au temps des Antonins et des Sévères, que l'on en vînt à tracer des inscriptions sans motif sérieux, pour le plaisir d'avoir à les lire et à les faire lire. Je ne songe pas seulement aux bavardages incohérents et déplaisants que les hommes fixaient sur les enduits des murailles ou les tessons de poteries pour imposer au public la confidence d'une colère ou d'une joie passagères[94] ; je fais allusion aux exclamations, aux appels, aux serments, aux souhaits, dessinés en belles lettres moulées ou gravées, qui accompagnaient les bagues de fiançailles ou les vases à boire. Je t'aime, aime-moi, lisait-on sur les unes[95], et, sur les autres : A boire, gargotier, ou Buvons sec[96]. A quoi bon vraiment ces inscriptions, et bien d'autres de ce genre ? C'était transformer les lettres en motifs d'ornement, ce pour quoi elles ne sont point faites ; et c'était utiliser l'écriture, non plus à la noble mission de conserver le souvenir, mais à la besogne ridicule de marquer les banalités de la vie.

Cette fureur épigraphique sévit surtout dans les trois premiers siècles de l'Empire. Elle tend à décroître après Sévère Alexandre. Dés lors, les marques de fabrique sont une rareté, et les potiers fie signent plus leurs produits. Le nombre des idoles à noms gravés diminue, comme si les dieux revenaient à leurs goûts d'autrefois. Il y a moins d'épitaphes, et les Chrétiens, de plus en plus influents dans l'Empire, se résignent malaisément à inscrire les noms et qualités de leur Dieu et de leurs morts[97].

 

VII. — LE GREC EN GAULE.

La presque totalité de ces inscriptions, plusieurs dizaines de milliers, sont en langue et lettres latines. Nous en possédons bien moins de cent en langues gauloise, les unes en alphabet grec, les autres en alphabet latin[98]. Il en reste bien plus d'une centaine en langue grecque, qui n'appartiennent point toutes à Marseille, mais viennent aussi de Nîmes, de Béziers, d'Autun, de Suisse et de Bordeaux même[99].

Car la Gaule n'a jamais perdu le contact direct avec la langue et la pensée des Hellènes. Elle le gardait, grâce au voisinage de Marseille et de ses colonies, au nombre d'esclaves, de marchands, d'artistes et de médecins orientaux qui se répandaient dans les villes. Celtes et Belges, quoique s'instruisant surtout des choses italiennes, ne cessèrent pas un instant de rechercher aussi l'école de la Grèce' Quelques grandes familles faisaient venir d'Athènes ou de l'Asie des précepteurs pour leurs enfants, et peut-être des philosophes pour eux-mêmes. Si tant de riches Italiens ont envoyé leurs fils à l'université de Marseille, les gros bourgeois de Narbonne ou de Lyon les ont certainement imités. Trèves en Belgique eut son grammairien grec[100], et peut-être Béziers en Narbonnaise son rhéteur attique[101].

Les premiers d'entre les Gaulois n'ignoraient pas le grec et savaient en faire un usage fort élégant. Il arrive parfois que sur des épitaphes, après la dédicace funéraire à la façon romaine, banale et solennelle, nous lisions deux vers en langue grecque, plainte touchante du survivant ou éloge ému du défunt[102] : on dirait que le Gaulois a laissé au latin ce qui était formule consacrée, et qu'il a réservé au grec le soin d'exprimer un sentiment plus profond. Et cette poésie, aimable et douce, brillant à la fin de la sèche épitaphe latine, me fait songer à ces formes gracieuses des aiguières et des poteries helléniques, qui, dans les anciennes sépultures de la Celtique, rayonnaient   au milieu des rudes armes et de la vaisselle grossière du guerrier gaulois.

Le latin eut beau faire son œuvre : il n'écarta jamais l'influence grecque. Aucun des empereurs ne l'a désiré. Lorsque Caligula institua les concours oratoires de Lyon, il donna à la langue de Démosthène la même place qu'à celle de Cicéron. Le petit neveu d'Auguste s'en vint étudier-le grec à Marseille. Même en Occident, il passa toujours pour langue d'État et d'étude, aussi utile que l'autre à la vie publique et à l'éducation d'un honnête homme. Le plus fameux écrivain de la Gaule, Favorinus, y recourut pour ses ouvrages. Ceux des Gaulois qui se destinaient aux magistratures savaient qu'ils en auraient besoin en Orient. Nul d'entre eux n'ignorait qu'il était le parler favori d'un Hadrien et d'un Marc-Aurèle. La Grèce, qui les avait initiés à la civilisation du Midi, demeurait pour eux une capitale morale, d'intelligence et de beauté[103].

Il semble cependant que, vers le temps de ces empereurs, son influence ait un instant baissé dans les Gaules. L'école grecque de Marseille est, à cette époque, déchue de sa prospérité[104]. On parle beaucoup trop le latin dans la ville phocéenne. Des inscriptions de personnages publics y sont en cette langue ; sénateurs et prêtres y portent les titres romains de décurions ou d'augures, comme si le latin était devenu, dans les assemblées et les affaires municipales, d'usage officiel[105].

Ce déclin de l'hellénisme ne fut pas de longue durée et se limita peut-être à la ville qui en avait été le foyer. Marseille, évidemment, ne reprit jamais sa physionomie ionienne. Mais chez tous les Gaulois, l'amour du grec grandit à nouveau au cours du troisième siècle. On désira à l'école d'Autun des maîtres illustres pour enseigner la langue et les lettres helléniques[106]. Les noms grecs, si aimables et si séduisants, ne furent plus réservés aux esclaves, et se répandirent dans les plus grandes familles[107]. Parmi les derniers représentants de ce siècle, contemporains de la restauration impériale, on cite des hommes de souche gauloise qui discouraient plus volontiers dans l'idiome d'Athènes que dans celui du Latium[108]. Il arriva, sur les bords du Rhin, qu'on voulut adorer Minerve sous son nom de Pallas[109]. Des mots grecs avaient pénétré dans le langage courant, étaient devenus des expressions populaires : on disait pie au lieu de bibe, bois, zeses au lieu de vivas, porte-toi bien[110] ; les druidesses avaient grécisé leur nom et étaient devenues des dryades, dryades ; la Grèce fournissait aux familles les sobriquets de tendresse et les appels d'affection[111]. Bientôt, on donnera des appellations grecques aux villes, anciennes ou nouvelles[112]. L'Empire romain, dans la dernière période de son existence, allait faire appel à l'hellénisme pour sauvegarder l'unité morale du monde antique.

Au surplus, langue et lettres latines n'apportaient d'ordinaire aux Gaulois que des formes et des pensées helléniques.

 

VIII. — LECTURE ET LIBRAIRIE.

L'éducation littéraire des Gaulois se manifesta de deux manières, par le désir de connaitre les œuvres du Midi, par celui d'en produire de semblables.

Le commerce des livres se faisait dans les grandes colonies, à Lyon surtout. Car Lyon avait ses libraires, ce qui étonnait fort les courtisans de Domitien, pour qui c'était pays barbare. Ils ne débitaient pas seulement les classiques, mais aussi les modernes, et Pline et Martial y apprirent avec une joyeuse surprise qu'ils vendaient leurs ouvrages[113]. Je doute que ces libraires eussent fait leurs affaires, s'ils n'avaient eu pour clients que les colons, vieux soldats qui ne se piquaient pas de lettres, ou que les fonctionnaires, qui avaient dû porter leurs livres dans leurs bagages. Mais il y avait à Lyon, à Narbonne, à Toulouse, à Vienne, tant de Gaulois désireux de s'instruire, de faire leur cour aux hommes du jour, d'âtre au courant de la mode, que les nouveautés littéraires venues de Rome devaient faire prime sur les marchés de la librairie.

Parmi les anciens, Homère et Virgile, comme de juste, étaient les plus demandés. Il n'est pas rare de trouver sur nos inscriptions des citations de Virgile : dans une bourgade perdue du Gévaudan, un père de famille, pour célébrer la mémoire d'un fils disparu, emprunte à l'Énéide un de ses vers les plus touchants[114]. Homère a certainement inspiré quelques-unes des sculptures ou des mosaïques qui décoraient les temples et les villas[115], et c'est sans doute dans ses poèmes que les enfants apprenaient les premiers éléments de la langue grecque[116]. Il conservait sa royauté même à l'extrême Occident et au déclin du monde antique, tandis que Virgile, à ses côtés, faisait grandir rapidement la sienne.

Au-dessous d'eux, le plus goûté parmi les poètes était déjà Lucain, qui dés les temps carolingiens deviendra pour quelques petits fils des Gaulois une sorte de demi-dieu[117]. Horace est encore populaire dans les écoles[118]. Çà et là, on s'aperçoit que les Celtes lisaient et commentaient les dramaturges des deux langues, mais surtout Ménandre[119] et Térence[120].

Voilà pour les poètes : et c'étaient eux, en effet, qui étaient les favoris à l'école, dans la vie artistique, dans la rêverie intime. Parmi les prosateurs, Platon tenait le premier rang comme philosophe[121], Salluste comme historien[122], Cicéron comme orateur[123] : il en était ainsi par tout l'Empire, et la Gaule laissa aux gloires littéraires du monde, grecques et latines entremêlées, le rang qui leur était depuis longtemps assigné.

 

IX. — ART ORATOIRE.

Les Gaulois s'éprirent surtout de rhétorique et de poésie. En cela, ils imitèrent les Italiens : leur tempérament, imaginatif et déclamatoire, les porta de lui-même vers les genres littéraires que leurs maîtres affectionnaient[124].

Comme orateur, avocat ou rhéteur, le Gaulois fut aussitôt au niveau du Romain de l'Empire. Sa maîtrise en éloquence lui valut de paraître tout de suite un bon citoyen, gagné aux traditions latines.

De ces ouvriers de la parole, lauréats des concours de Lyon, avocats aux prétoires des gouverneurs, fondateurs de séminaires juridiques en Gaule ou en Bretagne[125], nous connaissons surtout ceux du Midi, issus sans doute de colons romains. De Nîmes est sorti Cnéius Domitius Afer, le plus célèbre des orateurs de la Gaule et le parleur le plus enragé de l'Empire : à Rome, où il vécut, il domina le sénat de son éloquence infatigable sous le règne de quatre Césars, Tibère, Caligula, Claude et Néron, terrible à ses adversaires, salut de ses clients, et qui avait fait de l'art oratoire sa seconde existence ; car il ne sut jamais renoncer à la parole, malgré la vieillesse, malgré les faiblesses de l'âge et les défaillances de l'esprit[126]. De Narbonne vint Votiénus Montanus, hardi et imprudent, n'épargnant même pas les empereurs de sa langue mordante, et qui finit par mourir victime du ressentiment de l'implacable Tibère[127]. Afer et Montanus, voilà les deux plus grands noms de l'éloquence gallo-romaine : mais à peine appartiennent-ils à la Gaule, car ils vécurent à Rome toute leur vie d'orateur, ne jugeant rien de beau que la gloire et les périls de la Ville Éternelle[128].

Mais la vogue de Rome n'était point telle, qu'elle absorbât toutes les ambitions. La Gaule offrait tant de jeunesses à instruire, d'affaires à plaider, d'argent à gagner, d'applaudissements à récolter, que les mieux doués des avocats consentaient à y revenir après quelques passes en Italie. Tels furent ce Florus, sous Vespasien, qui préféra s'assurer en Gaule le titre de prince des orateurs, plutôt que de lutter contre la concurrence de ses confrères du Forum[129] ; ce Gabinianus, qui le précéda ou le suivit dans la jouissance de ce renom recherché[130] ; cet Ursulus, leur précurseur à tous deux, qui était de Toulouse, dont l'enseignement fut célèbre dans le monde entier[131], et qui valut le premier à sa ville natale cette gloire d'éloquence qu'aucun siècle ne lui a ravie depuis.

Tous ces maîtres — étaient du Midi, et il est à croire que la rhétorique latine débuta en Narbonnaise, où vivaient tant de Romains, et où l'art de la parole, comme la vigne, se développe si aisément. Mais, comme la vigne également, il ne se renferma point dans ces limites administratives, et dés le premier siècle il gagna aussi toute la Gaule. Entre Gaulois de Celtique ou de Belgique et colons de Toulouse ou de Narbonne, je ne vois plus de différences quand il s'agit de bien parler. Ces Gaulois du Nord étaient également merveilleux de dons naturels. Les Romains en étaient frappés d'étonnement. Des fils de vaincus et de Barbares faisaient revivre ces temps fameux de la République où la toge de l'orateur s'imposait à la force des armes. L'avocat helvète Claudius Cossus arrêta la colère des bandes de Vitellius prêtes à brûler sa cité : habile et pathétique, maître absolu de lui au milieu de ses larmes, tremblant de douleur et impassible en son âme, il finit par apitoyer la soldatesque en furie[132]. Ces souplesses oratoires ne plaisaient point toujours aux fonctionnaires impériaux, qui ne se payaient pas de mots et de gestes, et qui leur préféraient les connaissances juridiques et l'étude approfondie des questions ; et quand les Romains eurent conquis la Bretagne, et que les Bretons se mirent à faire du droit en hommes positifs, avec bon sens et sans phrases, les gouverneurs appelèrent plus volontiers à leur tribunal les nouveaux conquis, préférant leur équité naturelle aux talents et aux habiletés de la race gauloise[133].

La renommée de ces rhéteurs du Nord pénétrait jusqu'à Rome, la grande dispensatrice de la gloire. Elle connut Julius Africanus de Saintonge[134], qui vint dans la capitale pour battre en brèche Domitius Afer lui-même. Celui-ci, en sa qualité de Nîmois, était un orateur à la vieille façon romaine, d'allure classique, impeccable dans la composition et le style ; l'autre annonçait véritablement le Gaulois, par sa fougue, la recherche de l'expression, la prolixité des développements, la hardiesse des métaphores[135] : ardeur et imagination mêlées, il ressemblait à un contemporain de Vercingétorix plus qu'à un disciple de Scævola ; au dedans de l'éducation latine, la sève gauloise travaillait encore.

Car c'est bien là la note dominante que la Gaule donna à l'éloquence latine. — Arrière, dit le Gaulois Aper dans le Dialogue des Orateurs, arrière l'érudition, le travail patient de l'école ! ce qu'il faut à un orateur, c'est de la vie, de la vigueur et de l'éclat. Vous recherchez la perfection, vous croyez qu'elle est signe de santé. Allons donc ! le véritable orateur vaut par la force, la gaieté, la vivacité, le luxe des mots et la variété des mouvements. N'être qu'en bonne santé littéraire, c'est déjà de la faiblesse. L'avocat n'est pas un homme de lettres, mais un homme de combat[136]. — Le Gaulois allait ainsi aux batailles de la parole tel qu'il alla jadis à celles de la guerre. Il représentait aux yeux des Romains un type nouveau à éloquence, oublié depuis les triomphes de l'atticisme et de la perfection classique.

Cette perfection, le Nîmois Afer la défendait à Rome, où Africanus apporta le genre nouveau. Les friands de langage, comme Quintilien, se délectaient à les comparer. Quel signe des temps que ce spectacle ! La lutte pour la primauté de l'éloquence mettait aux prises, à Rome même, deux hommes de Gaule, l'un de Nîmes, l'autre de Saintes, héritiers des maîtrises rivales d'un Cicéron et d'un Hortensius.

 

X. — POÉSIE.

Les premiers poètes qui chantèrent en latin dans les Gaules furent également des fils de ce Midi narbonnais qui avait reçu tout d'abord les semences des lettres. Varron, qu'on avait nommé ou surnommé le Varron de l'Aude, fut le plus connu de ces initiateurs[137] : il composa des épigrammes comme Catulle son contemporain, des Argonautiques comme Apollonius de Rhodes, leur modèle à tous deux ; mais il écrivit aussi, ce qui nous frappera davantage, un poème sur la guerre d'Arioviste[138]. Voilà du nouveau, et un effort vers de beaux sujets, pleins de vie et d'actualité. Le malheur est que cet effort ou ne réussit guère ou fut dédaigné : car les seules choses qu'on voulut retenir du poète narbonnais furent celles qu'il avait imitées d'autrui, et qui ne servaient de rien[139].

De Narbonne, les Muses classiques montèrent vers toutes les Gaules. Il y avait à Périgueux une société qui leur était consacrée[140]. A Limoges, un Gaulois s'intitule leur amant. Des mosaïques, sur les bords de la Moselle, reproduisent leurs images. Les pentes du Lubéron, les vallons de la Tarentaise, les collines de l'Armagnac, les bords du Rhin entendirent. l'écho de vers latins[141]. Pour honorer leurs morts et leurs dieux, les dévots préfèrent souvent aux froides formules de l'épigraphie une inscription métrique plus gracieuse et plus personnelle[142]. De ces poésies d'autels et de tombes, beaucoup n'ont d'autre charme que leur naïveté, et sont simplement l'hommage d'un homme du Nord aux lettres du Midi[143]. Mais quelques-unes sont dés œuvres de goût et de sentiment, telle cette invocation gravée sur la tombe d'une chienne par sa maîtresse éplorée : Qu'elle était douce et qu'elle était aimable ! Tant qu'elle vécut, elle se couchait toujours près de moi, partageant mon lit et mon sommeil. Quel péché, Myia, que tu sois morte ! Tu ne te permettais d'aboyer que si quelque rival s'approchait de ta maîtresse. Quel péché, Myia, que tu sois morte ! Un grand tombeau te recouvre maintenant, corps sans conscience. Et tu ne peux plus gronder, ni folâtrer, ni répondre à mes caresses par de douces morsures[144]. Et voici le salut à Sylvain, inscrit sur un autel rustique de la Tarentaise par un intendant impérial dépaysé au fond des Alpes[145] : Sylvain, à demi enfermé dans le tronc d'un frêne sacré, gardien souverain de ce petit jardin de montagne, je te dédie ici ma reconnaissance rythmée, en remerciement de ce que, à travers les champs et les monts des Alpes, à travers les hôtes, odorants de ton bois, tu me gardes sain et sauf par ta grâce bienfaisante, pendant tout le temps que je juge et gouverne, et que je gère les biens de César. Ramène-nous à Rome, les miens et moi, fais-nous revoir par ta protection les terres d'Italie, et je consacrerai mille grands arbres à ton nom.

Rien ne nous autorise à attribuer ces vers à des écrivains du pays. En dehors de Varron, la Gaule n'a donné aucun grand nom à la poésie durant les trois premiers siècles de l'Empire. Mais elle prendra ensuite une belle revanche.

 

XI. — PROSE.

Discours et poésies étaient des morceaux de courte étendue : la littérature de longue haleine attira moins les Gallo-Romains, colons ou Celtes. Môme en prose, en genre didactique ou narratif, ils évitaient les longues œuvres.

Il y eut une exception, et ce fut un des ouvrages les plus curieux de la littérature romaine, l'Histoire Universelle de Trogue-Pompée : celui-ci, chevalier romain du, pays des Voconces, contemporain d'Auguste, était fils et petit-fils de Gaulois[146]. Il eut le courage d'écrire en quarante-quatre livres une histoire générale du monde, depuis Ninus jusqu'à Auguste, et depuis l'Assyrie jusqu'aux Colonnes d'Hercule[147]. L'ouvrage est perdu : mais, si l'on en juge par les résumés qui nous en restent, surtout par celui de Justin[148], ce n'était guère qu'un amoncellement de matériaux groupés sans beaucoup d'ordre ; avec ses redites, ses retouches, ses retours en arrière. il ressemblait un peu à ces romans à entrelacements qui furent chers à nos ancêtres. Au récit des épisodes il mêlait des réflexions sur lui-même, et pas mal de légendes à un fort grand nombre de faits. C'était du reste un esprit curieux : il s'intéressa à d'autres histoires qu'à celle de Rome, à l'Espagne et à l'Orient, et il fit connaître bien des nations et des événements que devaient ignorer la plupart des lettrés de son temps. Mais l'intelligence était médiocre, et son livre fait l'effet d'un énorme centon, présentant la vie des peuples à la façon dont Pline l'Ancien présentait la vie de la nature. Çà et là cependant, apparaît un peu de critique, et du bon sens historique : Trogue-Pompée ne veut pas de longs discours en style direct, où l'on fait parler les personnages comme ils auraient dû parler, et comme sans doute ils ne l'ont point fait ; si l'historien veut donner son avis, qu'il le donne lui-même, et qu'il ne le place point, sous forme de belles phrases, dans la bouche des orateurs ou des capitaines d'autrefois ; en-procédant ainsi, disait Trogue-Pompée, Salluste et Tite-Live ont dépassé les limites fixées à l'histoire[149]. Cette semonce à la rhétorique ne sentait point le Gaulois.

Les autres écrits en prose sont de simples essais, de grammaire, de critique, d'histoire, de philosophie, des morceaux de littérature ou de science aimables et faciles, dans le genre des travaux que publiaient Plutarque et Lucien. Ceux que Rome et la Grèce apprécièrent le plus, sortaient du style du rhéteur Favorinus, citoyen romain d'Arles et ami intermittent de l'empereur Hadrien[150].

Favorinus eut des idées sur toutes choses, et il les exprima en parole et en écrit : sur la philosophie d'Homère, sur Socrate, sur la grammaire, sur la fièvre, sur le soleil, sur le Mistral de son pays[151]. Mais il ne possédait, je pense, ni la conscience naïve d'un Plutarque ni la finesse aiguisée d'un Lucien : il valait surtout par lei ressources de sa mémoire, l'étendue de son savoir, le charme de ses improvisations[152] ; car c'était, non pas seulement un fort habile polygraphe, mais un conférencier supérieur, un merveilleux jouteur du langage, en quoi peut-être apparaissait le Provençal. Il n'en fallut pas davantage, en ces temps de l'Empire où l'on aimait à la fois les pages vite lues et les discours bien apprêtés, pour faire de Favorinus un homme considérable, le rival et le maitre des plus célèbres rhéteurs de la Grèce et de Rome[153]. Il eut des élèves fameux, tels qu'Hérode Atticus[154] ; on lui éleva des statues à Athènes et à Corinthe[155]. Le nombre des sujets traités et la variété des auditoires lui valurent d'être le parleur universel de l'Empire. Mais Favorinus se réclamait si peu de la Gaule ! S'il savait bien le latin, il n'écrivit guère qu'eu grec[156]. Peut-être ne dut-il à Arles que son berceau[157] : la seule relation qu'on lui prête avec sa ville natale fut d'avoir refusé d'y acquitter une charge municipale[158]. La Gaule et les Gaulois étaient assez indifférents à ce favori de la Grèce. Si nous possédions ses œuvres, je ne sais si on y trouverait rien qui fût le reflet ou l'écho du Rhône, des Alpines et de la Camargue. L'Arlésien parla bien un jour du Mistral, Circius, mais ce fut pour chercher l'étymologie du mot[159]. Il faudra attendre dix-huit siècles pour que les poètes comprennent l'éternelle beauté de ces terres méridionales. Mais enfin, à la gloire de la Gaule et de la Provence, on peut dire qu'elles ont fourni sous Hadrien le seul rhéteur qui ait pu se mesurer avec les maîtres d'Athènes et de Smyrne.

Favorinus dut susciter en Gaule un bon nombre d'imitateurs[160]. Le temps était venu, des compilations faciles, des commentaires élégants, du travail fait sans fatigue sur des choses créées par autrui. On n'imaginait plus, à peine si l'on réfléchissait, on se souvenait surtout, et l'on copiait. C'était l'exploitation, pour de médiocres profits, de l'héritage laissé par les penseurs et les érudits d'autrefois.

De Favorinus et de ses élèves, aussi bien que de Trogue-Pompée ou que des poètes et des orateurs de la Gaule, il nous reste trop peu d'œuvres pour que nous puissions porter un jugement sur leur mérite d'écrivains. Grâce à Sénèque, Lucain et Martial, nous connaissons assez bien l'allure propre aux lettrés d'Espagne, emphatique et vigoureuse. Ceux de la Gaule nous échappent encore, du moins dans les premiers siècles de l'Empire ; et nous ne saurions dire dans quelle mesure ils ont donné aux lettres grecques et latines dés facultés nouvelles et l'air du terroir.

 

XII. — OUBLI DES TRADITIONS NATIONALES.

En tout cas la forme et le fond de ces œuvres, sujets traités, langues employées, comparaisons, métaphores et figures, dérivent uniquement de Rome ou de la Grèce. Aucune d'entre elles n'est inspirée par les souvenirs gaulois, aucune n'emprunte aux traditions ou aux formules nationales quelque épisode qui tranche ou quelque morceau qui brille. Ce qui ne peut se décalquer d'un modèle classique est exclu de leurs pages.

Voyez l'Histoire universelle de Trogue-Pompée. Sur quarante-quatre livre, il n'y en a pas un seul qui soit réservé en entier à la Gaule. Le passé de l'Espagne l'intéresse plus longtemps que celui de son pays[161]. S'il parle des invasions gauloises dans le monde, c'est à propos de l'Italie et du Danube[162], et c'est Marseille qui lui fournit l'occasion de dire quelques mots des Celto-Ligures de la Provence[163]. Je ne crois pas qu'il ait ignoré les traditions et les poèmes celtiques[164], mais il a délibérément écarté les faits qu'ils racontaient. Il ne veut connaître d'entre les Gaulois que les amis ou les ennemis des Grecs et des Romains, et leur histoire ne compte à ses yeux que lorsqu'elle se mêle à celle de la Méditerranée.

Ni en Afrique[165], ni en Étrurie, ni même en Espagne, on ne vit lettrés aussi peu soucieux des destinées de leur peuple, des souvenirs de leur sol, des beautés de leur pays. On dirait que la haine des dieux du Capitole et de Delphes pesait encore sur la Gaule, et que ses écrivains s'efforçaient d'en oublier l'histoire pour se faire pardonner le jour toujours néfaste de l'Allia[166]. L'État romain, de son côté, ne fit rien pour retrouver ou conserver les vestiges du passé ; et aucun prince, aucun écrivain n'imita pour la Gaule l'exemple de l'empereur Claude, -composant l'histoire de la nation étrusque[167]. On en vint à une telle ignorance de ses annales qu'on finit par s'imaginer ceci de prodigieux, que les Gaules avaient été une fois vides d'habitants, et peuplées alors par des bandes de fugitifs accourues de Troie et de la Grèce[168].

Pour garnir le passé du pays, les Gaulois et leurs maîtres mettaient des fables et des histoires classiques. Les. faiseurs de légendes s'en donnèrent à cœur joie[169]. Hercule, les Argonautes, les Dioscures, les Doriens, Ulysse, ces voyageurs mythiques de la Grèce primitive, furent regardés tour à tour comme les premiers colons de la Gaule[170]. Tout esprit de critique disparut sous le triomphe des maniaques d'école. On méprisa les belles aventures d'Ambigat le Biturige, de Bellovèse et de Ségovèse ses neveux, où il y avait pourtant une si bonne part de vérité. Quand les héros helléniques ne suffisaient pas, on recourait aux grands hommes de Rome. Besançon sur son forum éleva des statues à Scipion et à Pompée[171]. A Reims, la grande porte de la cité offrait l'image de la louve et des fils de la Vestale[172] : car les Rèmes ne pouvaient faire autrement que de se dire les fils de Remus, puisque les Éduens et les Arvernes persistaient à se croire issus d'un sang troyen.

Pendant ce temps, les vieux poèmes druidiques s'oubliaient. Il n'y avait plus de bardes pour chanter des hymnes celtiques. Aucune trace ne restait des travaux accomplis par Teutatès. Les prophéties des devins se transformaient en dires de bonne aventure. Personne ne songeait à recueillir ces vestiges sacrés d'une grande nation. Nul lettré d'Occident n'aperçut la beauté de ces paroles en ruine, de ces témoins des âges disparus, et n'aurait compris la noble grandeur d'un Charlemagne, faisant pieusement noter les chants de la nation franque[173].

La Gaule, en s'oubliant ainsi elle-même, contribuait à détruire son propre passé. Elle mourait une seconde fois. Après avoir perdu l'existence dans la vie présente, elle la supprimait dans la vie d'autrefois.

 

XIII. — THÉÂTRE.

Rhétorique, histoire et poésie s'adressaient à l'élite : le théâtre intéressait la population entière, avec ses esclaves, ses paysans et ses prolétaires.

A première vue, nulle forme de littérature ne fut plus populaire dans les Gaules ; et jamais même le théâtre ne passionna davantage les hommes de nos pays, ni dans les temps chrétiens des mystères ni à l'époque moderne des drames et des vaudevilles. Qu'on se rappelle en effet ces détails, que l'archéologie nous révèle : chaque chef-lieu de cité eut son théâtre, et non pas seulement les colonies du Midi, Arles, Orange ou Fréjus[174], mais encore les villes indigènes de la Gaule intérieure, grandes ou petites, Autun, Paris et autres[175] ; et il y eut aussi des théâtres dans de simples bourgades de pays, comme Alésia[176], et il y en eut même près des sanctuaires de frontière ou des marchés de campagne, à Champlieu à la lisière de la forêt de Compiègne, à Herbord dans les champs du Poitou, aux Bouchauds près des bois de l'Angoumois[177]. Le hombre de ceux dont les ruines ou le souvenir nous ont été conservés ou signalés, édifices de pierre solides et massifs, atteint la centaine ; et nous ne connaissons pas ceux qui s'élevaient en charpente[178]. Le plus petit renfermait un millier de places, et le plus grand en offrait bien près de dix mille. Ajoutez que les amphithéâtres pouvaient se prêter, par certaines dispositions de leur structure, à des représentations de même genre que les théâtres ordinaires[179].

Or il se trouve que ce chapitre, le plus abondant de la vie littéraire des Gallo-Romains, en est le plus mystérieux. Du genre de spectacles qu'on y donnait, nous ne dirons absolument rien d'assuré.

Peut-on même parler, à propos d'eux, de vie littéraire ? Il faudrait, pour que ces théâtres aient tenu leur place en littérature, qu'ils aient vu jouer des comédies ou des tragédies, des pièces de Ménandre, de Térence, de Plaute, de Sénèque ou de leurs derniers imitateurs des temps impériaux. Cela n'est nullement certain. Je ne trouve aucune trace, sur les mosaïques et les bas-reliefs de la Gaule, de scènes bien caractérisées, empruntées à une action de théâtre et non pas à une page de livre[180]. Les inscriptions ne font pas la moindre allusion à des pièces représentées. On lisait beaucoup Ménandre et Térence dans les écoles : cela ne veut point dire qu'on les jouât. Que les grands seigneurs se donnassent parfois le luxe de les monter en spectacle sur des théâtres privés, c'est possible : mais de tels plaisirs n'auraient guère convenu aux milliers de paysans groupés sur les gradins des Bouchauds ou de Champlieu.

On y représentait cependant bien quelque chose ; et les épitaphes nous font connaître des acteurs, des troupes, des entrepreneurs de spectacles. Le plus riche d'entre les Gaulois au temps de Claude, Valerius Asiaticus de Vienne, avait même une compagnie de comédiens ou d'histrions à ses gages, à la manière d'un prince du sang sous l'ancienne Monarchie. Mais ces représentations, à ce que je suppose, n'offraient rien de littéraire, et elles s'adressaient aux yeux et aux sens, non point aux oreilles et à l'esprit.

C'étaient surtout choses de ballerine, jongleurs, mimes et pantomimes, danses, sauts et acrobaties de tout genre. L'épigraphie ne nous a fait bien connaître que deux acteurs qui furent les favoris du public méridional. C'est le vieux Gallonius, de Narbonne, qui gagna une fortune comme jongleur, pilarius : et cela lui permit de se bâtir un beau tombeau, où il ne manqua pas de faire figurer en façade les boules glorieuses, instruments de ses destins[181]. Et c'est le jeune Septentrion, d'Antibes, qui mourut à doute ans, après avoir un instant charmé par ses danses les spectateurs du théâtre municipal, saltavit et placuit, dit son épitaphe[182] : remarquez qu'il s'agit du théâtre d'Antibes, la ville de la Gaule la plus proche de l'Italie, à demi-grecque, la mieux disposée pour goûter les élégances de l'art dramatique. Si elle était si follement éprise de danseurs, quelle piètre figure devaient faire de vrais acteurs devant les bûcherons du Valois ou les bergers de la Champagne ! En Gaule, plus encore qu'en Italie, ce fut dans les théâtres le règne des 'histrions et des baladins. Si nous voulons comprendre les joies pour lesquelles ils furent bâtis, qu'on regarde les pistes de nos cirques et les tréteaux de nos foires. La beauté et la noblesse de ces édifices ne doivent pas nous faire illusion sur le rôle qu'ils ont joué.

Je ne serais cependant point étonné si les scènes de la Gaule avaient souvent donné asile à des pièces religieuses, analogues à nos anciens mystères ou à ces pastorales encore si populaires dans notre Midi provençal ou basque : j'entends par là des drames sacrés, à demi improvisés par les acteurs, qui figuraient quelque épisode de la vie des dieux, Léda et le cygne[183], Jupiter et Ganymède, Prométhée et le vautour, les travaux d'Hercule, Andromède et Persée, le jugement de Pâris[184], les combats des dieux contre les géants. Ce qui me le ferait croire, c'est le caractère religieux que le théâtre a pris chez tous les peuples au début de sa vie, et, en Gaule, il ne faisait que de . commencer. Toujours, du reste, dans les villes comme dans les campagnes, le théâtre est près d'un temple, et bien souvent il semble son annexe indispensable : à Champlieu, celui-ci est à gauche, celui-là est à droite de la même grande route, l'un en face de l'autre.

Dans ce temple de Champlieu, on peut voir encore les bas-reliefs sacrés qui ornaient les parois, racontant les histoires de Léda, de Prométhée ou de Dédale[185], des victimes de Jupiter ou d'Apollon. Et je suis tenté de croire que ces mêmes épisodes se déroulaient les jours de fêtes, sur la scène du théâtre voisin, jouées ou mimées par des acteurs de passage ou d'occasion, aux applaudissements d'une foule rurale, un instant émerveillée par ces aventures étranges[186].

Mais qu'il prît la forme de mystère ou de mime, le théâtre n'apportait rien qui développât, chez les peuples de la Gaule, la dignité morale et la vie de l'esprit. Il ne servait qu'à leur faire connaître, sous leurs espèces les plus grossières, les plaisirs et la religion de Rome[187].

 

XIV. — DES PRATIQUES SCIENTIFIQUES.

Le domaine où les traditions gauloises résistèrent le plus, fut celui de la science populaire, métrologie, astronomie et médecine.

On a déjà vu leur force de résistance en ce qui touchait au sol, en ce qui était la manière de le mesurer : la lieue celtique réussit à l'emporter sur le mille latin[188], et l'arpent indigène sur le jugère italien. Mais le ciel et le temps, eux aussi, n'abandonnèrent jamais les mesures celtiques.

Le calendrier romain imposa à la vie publique des Gaulois ses douze mois solaires, ses nones, ides et calendes, et ses périodes de nundines[189] ; et ils durent aussi les accepter pour le courant des affaires civiles, religieuses et privées[190]. Mais à côté des périodes nundinales de huit jours, les Belges pratiquaient l'antique semaine au chiffre sacré des sept journées, demeurée chère aux Orientaux, et que l'Empire romain finit par adopter. Et quant aux vieilles lunaisons, familières aux hommes depuis des millénaires, il ne fut pas possible de les oublier. Les prêtres y demeurèrent longtemps fidèles, les sorciers n'y renoncèrent jamais, et populaire et paysans ne cessèrent de demander à la lune de régler leurs actes et de classer leurs besognes. On recourait à ses mois pour les pratiques de la magie, pour les travaux des champs, pour les décisions de la vie intime, pour les précautions utiles à la santé[191]. — Ce qui était, après tout, tantôt nécessaire et tantôt naturel. Le mois solaire, dont rien ne révèle le début, les divisions et la fin, n'est que pur calcul de savant, sans rapport avec la vie des êtres. La lune, au contraire, avait fixé elle-même le cours et les quartiers de chacun de ses mois, et on comprenait bien, à observer vents et marées, beau temps et tempête, qu'elle obligeait la nature à se conformer à ses phases.

La médecine savante[192] et la médecine populaire se faisaient également concurrence, celle-là, presque entière entre les mains de praticiens grecs ou orientaux[193], celle-ci, représentée par les sorciers et rebouteurs de villages et de faubourgs.

Mais n'établissons pas entre les deux une très grande différence. Ces médecins grecs qui sont venus chercher fortune en Gaule, payés grassement par les villes ou par les grands seigneurs[194], installés dans l'attente d'une clientèle ou débitant leurs drogues dans les foires, n'apportaient souvent que de très antiques formules d'ordonnances, où se mêlaient à tort et à travers les matières les plus hétéroclites : un sorcier ne faisait ni pis ni autrement. Nous connaissons la composition des onguents ou des putes que vendaient les pharmaciens oculistes, si nombreux dans les Gaules[195] : il y entre des produits qu'on peut croire efficaces, miel, vinaigre, plantes aromatiques, mais aussi des produits étranges, qu'on soupçonne absolument inutiles, poudre d'or, poudre de pierre précieuse[196], fiente d'oiseaux ou cendre de coquillages[197]. Certainement, pour prescrire de pareilles drogues, il fallait que le médecin crût autant à leur vertu magique qu'à leur valeur physique : il ne guérissait qu'à la condition d'être dévot, et il immolait toujours un coq à Esculape.

Il y eut de nobles exceptions, des hommes d'intelligence et de travail qui cherchèrent avec méthode les moyens de guérir vraiment. On vit se former dans la Gaule, au premier siècle, des écoles ou des traditions de saine pratique, dont les médecins de notre temps pourraient se réclamer. Leur mot d'ordre, d'ailleurs, était la guerre à la drogue.

C'est à Marseille surtout qu'elles se formèrent, dans ce milieu intelligent où les Hellènes avaient inculqué le sens de la critique et l'initiative du travail intellectuel. Grâce à ses médecins, à Marseille devint pour les malades de l'Ancien Monde le foyer des espérances. et de la santé[198], ce que Lausanne voudrait être aujourd'hui. Voici la maison de Crinas, l'inventeur du régime alimentaire, guérissant ses clients par la seule surveillance de leurs repas, calculant exactement le moment et sans doute le menu[199] ; et voici celle de son concurrent Charmis, propagateur de l'hydrothérapie sous la forme de bains glacés en toute saison[200]. D'autres, ailleurs, préconisaient les bains chauds, les cures aux stations thermales et minérales. Par engouement ou par raison, le public alla à ces novateurs. Crinas gagna une fortune qui lui permit de reconstruire à ses frais remparts et bâtisses de sa ville, fort endommagés depuis le temps de César : car il était bon Marseillais[201]. Charmis attira à ses consultations l'aristocratie de l'Italie, et l'on vit de vieux consulaires grelotter de froid aux baignades hivernales qu'il leur imposa[202].

Pline l'Ancien se moque de ces pratiques. Il n'y voit que charlatanisme et désir de lucre. Mais Pline est fort suspect ; il n'entend rien à la médecine, et personne, dans l'Antiquité, n'a collectionné avec plus de soin les remèdes les plus stupides. Que Crinas et Charmis aient obligé leurs 'malades à quelques rites de magie ou à quelques observances d'astrologie au cours de leur cure, c'est probable, et ils n'échappaient point aux sottises de leur temps[203]. Mais il faut voir le fond et non la forme. Hydrothérapie et régime étaient de la bonne et naturelle médecine. Ni les Marseillais ni les adeptes de méthodes semblables n'allaient au hasard. Lorsque ses médecins envoyèrent Auguste soigner ses rhumatismes aux sources chaudes de Dax, ils savaient bien ce qu'ils faisaient[204]. Ce fut pour des motifs légitimes, et non pour des caprices de mode, que se détermina vers ce temps le renom respectif des eaux de la Gaule : et quand on voit que les plus visitées étaient Dax, Luchon et Vichy, on peut affirmer que les médecins de la Gaule ont rencontré juste en faisant leur choix.

Quant aux remèdes pour bonnes gens, herbes et simples en particulier, ils remontaient aux plus vieilles croyances de la Gaule ligure et celtique. Il n'y a plus à en parler, nous les connaissons de longue date, gui, verveine, sauge, centaurée, bétoine et autres : ils sont à la même place dans les armoires de village et dans les confiances du populaire. Gardons-nous d'ailleurs d'en sourire : l'expérience avait montré qu'ils avaient de réelles vertus, et il est possible que la science y revienne un jour.

Grâce à ces expériences des générations antérieures, aux observations qu'elles avaient faites sur la vie de la nature, aux découvertes qui en étaient résultées, la Gaule apportait encore une bonne part au travail scientifique qui s'accomplissait sur son sol.

A ne juger que par l'apparence, tout ce qui était science lui venait de la Grèce ou de Rome : c'est d'elles qu'elle reçut les ingénieurs qui bâtirent ses navires[205], les architectes qui dressèrent les plans de ses villes[206], les maçons qui établirent le degré de résistance des mortiers de ses murailles, les étonnants hydrauliciens qui construisirent ses canaux, ses aqueducs, ses siphons[207] et les orgues hydrauliques alors si populaires[208], les cartographes qui ornèrent de tableaux géographiques les portiques de ses écoles[209], et les sténographes qui fixaient à l'instant les moindres détails de la parole[210]. Depuis l'édifice compliqué qu'était le bâtiment de guerre jusqu'au signe mystérieux de l'écriture convenue, les Gaulois paraissaient avoir emprunté à leurs vainqueurs toutes les œuvres visibles de la réflexion humaine.

Mais si l'on se rappelle ce que la Gaule avait fait dans les temps de l'indépendance, l'art des Vénètes constructeurs de navires, la solidité des remparts gaulois, l'excellence de l'outillage agricole et du matériel de carrosserie, les procédés variés et dosés de la fumure des terres, on affirmera que les hommes de ce pays n'étaient inférieurs à personne en matière d'application intellectuelle et d'invention scientifique. Ils auraient pu, pour beaucoup de choses, se passer de ces maîtres d'à côté, et, pour d'autres, se former peu à peu d'eux-mêmes aux pratiques de la science. Certes, s'il n'y avait pas eu la conquête, il leur aurait fallu plus de temps, plus d'attention pour comprendre et pour appliquer les découvertes de l'esprit. Mais une éducation plus lente, plus longue, plus difficile, porte en elle de particuliers bienfaits. Si la Gaule avait dû, pour s'instruire, montrer plus d'énergie, elle eût par là même moins copié et moins imité, trouvé et inventé davantage. En recevant de ses vainqueurs une science toute faite, elle s'interdit les efforts qui conduisent à de nouveaux progrès.

 

 

 



[1] Hist. littéraire de la France, I, 1, 1733 ; Monnard, De Gallorum oratorio ingenio, rhetoribus et rhetoricæ Romanorum tempore scholis, Bonn, 1848 ; Jung, De scholis Romanis in Gallia Comata, Paris, 1835 ; Budinszky, Die Ausbreitung der Lateinischen Sprache, 1881, p. 79-116 ; tout cela, à peu près inutile.

[2] Il est toutefois digne de remorque que l'Éduen Diviciac, même après son voyage de Rome, ne parle avec César qu'à l'aide d'interprètes (De b. G., 1, 19, 3).

[3] Tacite dit bien, il est vrai, que les Bretons refusèrent d'abord d'apprendre le latin, mais il ajoute aussitôt qu'ils ne lardèrent pas, non seulement à l'apprendre, mais à devenir bons avocats (Agricola, 21).

[4] Il semble bien que les chefs de l'Empire des Gaules en 89-70 se soient servis du latin. — Il serait cependant possible que des prophètes populaires, comme Maric, aient eu, par esprit de réaction, recours au celtique.

[5] Discours de Claude affiché à Lyon. On a dû y afficher aussi le sénatus-consulte de Marc-Aurèle sur la limitation des frais de la gladiature. Rescrit d'Hadrien sur la police des aqueducs, XIII, 1623. Documents provinciaux du milieu du IIIe siècle, marbre de Vieux. Monnaies, milliaires.

[6] Remarquez l'absence complète d'individus se disant interprètes ou traducteurs ; je ne parle pas de ceux que César avait avec lui en Gaule (De b. G., I, 11) ; V, 36). Le seul interpres mentionné en épigraphie (XIII, 8773) est en pays germanique.

[7] Strabon note déjà le goût des grands de Gaule pour les précepteurs étrangers.

[8] Testaments d'un Lingon (XIII, 5708), d'un Nîmois (XII, 3801), donation d'un Narbonnais (XII, 4393). Sauf la question des fidéicommis.

[9] Remarquez cependant le latin dans les anciennes monnaies municipales. — Il serait possible que nous ayons mention d'un décret municipal à Alésia (XIII, 2880) : gobedbi dugiiontiio = magistratus probaverunt ??. — Sans grande portée est le maintien, avec terminaison latine, de quelques titres municipaux : vergobretos, gutuater, dannus (XIII, 4228), platiodannus, arcantodan[nus] (curator ou magister monetæ, sur les monnaies), moritex (navicularius marinus, XIII, 8184 a).

[10] Dans la mesure où le latin avait été remplacé, dans les documents officiels, par l'idiome local ; voyez les documents réunis par Paul Meyer, Doc. lingu. du Midi de la France, I, 1909. Mais il reste tout un travail à faire.

[11] Dion Cassius, LX, 17, 4.

[12] Commode à part, dont la politique, si l'on peut employer ce mot au sujet d'un tel prince, le rapproche plus de Septime que de Marc-Aurèle.

[13] Hist. Auguste, Alex., 60, 6. De même, Aurélien, Aur., 44, 4. De même, Dioclétien, Num., 14, 2. Il s'agit d'ailleurs de misérables sorcières de cabarets, suivant les soldats pour leur dire la bonne aventure ; et il est possible que celles d'Aurélien et de Dioclétien leur aient parlé en latin. — Jusqu'à nouvel ordre, je fais des réserves sur la phrase soi-disant celtique d'une Vie de saint Symphorien (Fragmenta Burana, de W. Meyer, Berlin, 1901, p. 162) : memento betoto divo, que la Vie traduit par memorare Dei tui.

[14] Plus exactement, des fidéicommis, pour la rédaction desquels la coutume laissa toujours une très grande liberté. Il est d'ailleurs probable que l'autorisation est antérieure aux Sévères, et quo l'usage des fidéicommis eu langue indigène fut une des nombreuses procédures détournées par lesquelles on put concilier les pratiques juridiques des Celtes avec le jus civile. L'emploi des noms de nombre celtiques, tricontii, petrudecameto, dans un règlement funéraire (XIII, 2394), vient peut-être de ce qu'il reproduit un fidéicommis.

[15] Pour ce § et le § 4, en dernier lieu, Dottin, La Langue gauloise, 1918.

[16] Les plus récentes paraissent celle d'Alésia et le calendrier.

[17] Vérifications faites par Louis Clerc. Au sanctuaire de Notre-Dame de Socory dans le Pays Basque, dans une région où le basque est seul usité dans la vie courante, je n'ai pas retrouvé une seule inscription basque parmi une cinquantaine d'invocations pariétaires (octobre 1017).

[18] Tablette de plomb de Rom chez les Pictons, que je ne crois pas antérieure au IIIe s. de notre ère. Celle d'Eyguières est plus ancienne. Il est incertain si les tablettes de Poitiers (XIII, 10020, 80), de Paris (XIII, 3051), d'Amélie-les-Bains (XII, 5387) renferment des mots celtiques. Le plus grand nombre d'ailleurs sont en latin.

[19] Je songe aux formules énigmatiques du médecin Marcellus Empiricus le Bordelais, VIII, 170, 171, etc., sans affirmer que ces formules soient d'origine celtique. Cf., sous réserves, Grimm (et Pictet), Ueber Marcellus Burdigalensis et Ueber die Marcellischen Formeln, 1849 et 1855 (Académie de Berlin). En dernier lieu, Dottin, La Langue gauloise, p. 214 et s.

[20] C'est sans doute le cas pour Marcellus (n. précédente).

[21] C. I. L., XIII, 10015, 1, 10, 38 et 85 (figurines) ; 10010, p. 121 (vaisselle) ; Esp., I, p. 109 (sur l'arc d'Orange, à la suite, je crois, du nom de l'artiste qui a fabriqué le bouclier copié sur le bas-relief) : avot, aveot, et aussi avotis, avoti(s ?), avote [e = i ?], avota ? Peut-être s'agit-il de personnes différentes du même verbe. — Les bordereaux de Mommo et autres sont en latin.

[22] D'après l'impression que me font les formes des lettres et des noms.

[23] Les épitaphes celtiques sont, semble-t-il, bien moins nombreuses que les dédicaces. Voyez le recueil des inscriptions chez Rhys dans les Proceedings of the British Association, II, IV et V, 1906, 1910, 1911 : 1° The Celtic Inscriptions ; 2° Notes on the Coligny Calendar ; 3° The Celtic Inscriptions, Additions ; et surtout chez Dottin, La Langue gauloise, 1918 (61 textes épigraphiques).

[24] Je crois cependant qu'au début on a compris le sens de noms comme Cinto, Divixtus, etc., et qu'on les a choisis à dessein.

[25] En dehors des actes publics et privés ; l'inscription paraît avoir été incompatible avec la tombe. L'épigraphie, chez les Celtes, étant donc surtout affaire de documentation, affectée à des cas où le latin devint nécessaire, on comprend qu'elle n'ait plus utilisé que la langue des vainqueurs.

[26] Remarquez que les inscriptions celtiques se présentent surtout dans les régions les plus anciennement romanisées, dans celles où l'épigraphe latine est également le plus représentée, où les monuments indiquent la force intensive de la civilisation impériale.

[27] XIII, 10017, en particulier 24 et s. (sur tessons) ; VIII, 3139 (sur enduits).

[28] Inscriptions, interprétées par J. Loth, sur pesons de fuseaux (Acad. des Inscr., C. r., 1916, p. 168-186).

[29] Cf. Bourciez, dans Bordeaux (monographie municipale), I, 1892, p. 89-90.

[30] Dion, LXXIV, 2, 6 ; il peut d'ailleurs s'agir d'autres langues que du gaulois.

[31] Textes de Sulpice Sévère, Pacatus, Claudien, Sidoine, Apollinaire. Cf. aussi Jérôme, Comm. in Epist. ad Galatas, II, 3, Migne, P. L., XXVI, c. 337 ; Galatas... propriam linguam eamdem pene habere quam Treviros : texte qui n'est peut-être, comme tant de choses chez Jérôme, qu'une réminiscence d'érudit.

[32] Théorie régnante ; cf. en dernier lieu Bourciez, Précis historique de phonétique française, éd. de 1900, p. XI.

[33] L'opinion courante attribue à l'immigration des temps mérovingiens tous les éléments celtiques de notre Bretagne (Loth, L'Émigration bretonne en Armorique, 1883) : mais la preuve n'est point faite, que toute trace gauloise eût disparu du pays.

[34] Les mêmes questions se posent, avec plus de difficultés encore, pour la langue aquitanique, laquelle devait être une langue ibéro-ligure, cf. l'excellent répertoire de Seymour de Ricci, Revue Celtique, XXIV, 1903, p. 71-83. — Voici les vestiges qu'on en peut observer, uniquement d'après de très courtes inscriptions, presque toutes des deux premiers siècles. 1° Pas de noms communs transmis directement (heraus comme tel est absolument douteux, XIII, 409). 2° Des radicaux de noms communs bien visibles dans les noms propres : le principal, and- (XIII, 263-4, 321, 324, 344, etc.), pouvant signifier autre chose que le ande- (= très) des Celtes, mais pouvant aussi signifier quelque chose de semblable (grand ?) ; har- (XIII, 118, 309) ; bon- (XIII, 3 :37-8) ; semb- (XIII, 389) ; -tarris (XIII, 267) ; etc. 3° Certaines habitudes phonétiques : fréquence de h, cc, nn, rr, ss, ll, x, xs ; mais ce peuvent être simplement des habitudes orthographiques, qui d'ailleurs ne sont pas étrangères aux Celtes. 4° Des noms propres particuliers, qui peuvent, malgré leur apparence latine, être des noms communs indigènes : Silex (XIII, 381) ; Sabinus. — Il semble, d'après la phonétique, qu'on puisse distinguer un dialecte de plaine, celui d'Auch, plus voisin du celtique, et un dialecte de montagne. — Que la langue basque soit apparentée à cette langue, en soit l'héritière, c'est ce que je mets de moins en moins en doute. Toutefois, les idiomes aquitaniques avaient encore, à l'époque latine, une zone beaucoup plus développée que le basque actuel. Outre les cités purement pyrénéennes (Conserans, Comminges, Bigorre, Béarn, Oloron, la portion basque de la cité de Dax [future cité de Bayonne]), ils atteignaient l'Adour à Aire (XIII, 422 et s.) et englobaient la cité d'Auch (XIII, 455 et s.). Peut-être arrivaient-ils sur l'Aude en Narbonnaise (à Moux, XII, 5369-70). Et cette extension correspond à la zone ibérique après l'invasion des Celtes. Mais on a lieu de croire que, avant la fin de l'époque romaine, les dialectes aquitaniques se sont rapprochés des limites que le Moyen Age et les temps modernes ont assignées au basque. Et il est également certain que, à la différence de ce que l'on suppose pour l'Armorique, la langue indigène (qui devait se continuer par le basque) ne disparut jamais sous les influences latines. — Je dois ajouter que, d'après ce que nous connaissons (vocabulaire et phonétique), les divergences ne me paraissent pas fondamentales entre l'aquitain et le celtique. Et il est bien probable que, depuis l'arrivée des Celtes sur la Garonne, les influences celtiques n'ont cessé de se faire sentir sur l'aquitain, et qu'elles ont continué à agir même sous l'Empire romain.

[35] Le passage, si souvent cité, de Cicéron (Brutus, 46, 171), in Galliam... verba non trita Romæ, ne se rapporte évidemment qu'à la Gaule italienne.

[36] En dernier lieu : Meyer-Lübke, Gramm. des langues romanes, tr. fr., I, 1890. § 20 et 650 ; le même, Einführung in das Studium der Romanischen Sprachwissenschaft, 1901, § 33-37, 185-189, etc. ; Grœber, Grundriss der Romanischen Philologie, I, 2e éd., 1904-6, p. 390 et s. ; Bourciez, Éléments de linguistique romane ; Dottin, Manuel pour servir à l'étude de l'Antiquité celtique, 2e éd., 1915, p. 62 et s. ; le même, La Langue gauloise, p. 69-79. — Le premier travail un peu complet est celui de Thurncysen, Keltoromanisches, Halle, 1884 ; et, le même, Archiv für Lat. Lex., VII, 1892, p. 523 et s. — Comme étude de détail intéressante, celle de Geyer sur les gallicismes de Marcellus Empiricus, Archiv für Lat. Lexik., VIII, 1893. Sur la toponomastique, Meyer-Lübke, Einführung, § 196 et s. ; Grœhler, Ueber Ursprung und Bedeutung der Branz. Orisnamen, I, 1913.

[37] Ajoutez les noms des espèces de chiens, de marne.

[38] Sans doute aussi le mot de sapo, savon.

[39] Et peut-être aussi les mots de sagum, soie, cucullus, cagoule.

[40] Mot reconstitué à l'aide du français blé ; bien entendu sous réserves ; cf. Diez, Etymologisches Wörterbuch, 4e éd., 1878, p. 50-51. Et que la Gaule ait continué à désigner le blé par son nom national, cela s'explique par le fait qu'elle ne dut rien à l'Italie pour ce genre de culture.

[41] Les plus intéressants, mais sur lesquels il est le plus difficile de préciser, sont évidemment les verbes, par exemple, croit-on, arroser (de adrosare ?), cribler (de criblare), charmer (de carminare), changer (de cambiare), etc.

[42] Il faut d'ailleurs distinguer deux couches historiques de mots empruntés par le latin au celtique : l'une, qui vient sans doute de la Cisalpine, date d'avant César ; l'autre, de la Transalpine, et postérieure à César. A un autre point de vue, on peut distinguer les mots qui sont devenus commune à toutes les langues romanes, et ceux qui n'ont passé qu'au français. Malgré l'apparence, il ne paraît pas que cas deux groupes correspondent aux deux couches historiques. Bourciez, Éléments, p. 200.

[43] Cf. Bourciez, Bulletin hispanique, III, 1901 (Les Mots espagnols comparés aux mots français) ; Jud, Della storia delle parole Lombardo-ladine (Bulletin de dialectologie romane, III, 1911).

[44] Cette latinisation des mots celtiques se manifeste également dans les noms propres empruntés à la langue indigène, qui tous ont pris la terminaison latine, et dans certaines formes grammaticales, inspirées évidemment du celtique, et qui apparaissent çà et là en épigraphie : les noms de nombre petrudecameto, au quatorzième jour, tricontii, les trente, et simplement latinisées dans la transcription (XIII, 2194) ; l'expression énigmatique omnes anlecessi (pour antecessi ?, XIII, 645) ; l'indication de la filiation par la terminaison -knus (XIII, 6094, 6478, deo Taranucno, fils de Taran ? ; XIII, 720, Auriknus ?).

[45] C. I. L., XII, p. 950 et s. ; XIII, index (à paraître).

[46] Pour prendre des exemples, fecit s'écrit feci, feic(it), fic(it) ; Bohn, C. I. L., XIII, III, p. 121 ; on trouve conjux, cojux, conjunx, cojunx ; defunctus, defuctus, defutus ; ponendum, ponedum, pondum ; etc. Tout cela est banal en latin vulgaire.

[47] C'est ce qui résulte de l'étude de Pirson, La Langue des inscriptions latines de la Gaule, Bruxelles, 1901 (Bibl. de la Fac. de Phil. et des Lettres de Liège). Il est d'ailleurs possible qu'il se soit produit en linguistique, entre celtique et latin, dos phénomènes d'adaptation ou de conciliation (de mot à mot, de forme à forme, de tournure à tournure), pareils à ceux que nous avons maintes fois constatés entre les dieux et les institutions des deux civilisations. Et celte adaptation a d6 être singulièrement facilitée par le fait qu'il ne devait pas y avoir des divergences fondamentales entre le celtique et le latin, tous deux dérivant d'un italo-celtique primitif, et par le fait que le celtique présentait encore (je persiste à le croire) des analogies avec certains parlers de l'Italie moins évolués (osque, ombrien). C'est cette adaptation de formes similaires, latines et celtiques, qui est à la base de la thèse de Mohl, mais avec, selon lui et sans doute à juste raison, contamination des formes latines par les formes celtiques similaires : — Le celtique a modifié les formes latines homophones et étroitement apparentées par le sens et l'origine à leurs correspondants indigènes — ; le celtique — attire à lui une forme latine exactement correspondante — ; — les formes étaient tellement semblables qu'elles devaient déteindre les unes sur les autres — ; — toute désinence latine semblable à la désinence celtique correspondante est régulièrement contaminée par elle — ; Les Origines, p. 36, 141, 46, 138. Et remarquez que Mohl parait ignorer ce que les linguistes ont appelé l'unité italo-celtique : ce qui ajoute une singulière force à sa théorie.

[48] Cf. Meyer-Lübke, Gramm., I, § 650. Remarquez, dans la phonétique celtique, la persistance d'un son intermédiaire entre d, t, s, figuré en épigraphie latine par un D barré ou un Θ grec. Mais je ne l'aperçois que dans les noms propres, souvent en redoublement . Meddignatius (avec d barrés) dans une inscription de 236 (XIII, 7281).

[49] Cf. Pedersen, Vergleichende Grammatik der Keltischen Sprachen, 1909-1913, I, p. 51. Voyez, dans une inscription d'Alésia, le datif Uevete pour Ueveti, 3e déclinaison (C. I. L., XIII, 2880).

[50] Dédicace des nautes parisiens : Tib. Cæsare Aug., au datif, XIII, 3026.

[51] A Narbonne, XII, 4883. La forme latine primitive est -ei, qui a pu passer à -e et -i. Pirson, p. 120 ; Corssen, Ueber Aussprache der Lat. Sprache, I, 1858, p. 210 et s.

[52] Il faut pourtant noter que Consentius, grammairien du Ve siècle, attribuait ce fait d'échange entre e et i à la nature gauloise (Keil, V, p. 394). Les seuls gallicismes que Pirson a cru pouvoir reconnaître sont : la redoublement de s dans les suffixes de certains noms propres (p. 87) : mais je dois faire remarquer que le fait est surtout fréquent dans les régions pyrénéennes ; l'assimilation de nd en nn (par exemple Secunnus pour Secundus, et, du coté des Pyrénées, Annossus pour Andossus (p. 91) : mais les exemples de ce dernier fait sont encore trop peu sûrs et trop peu nombreux pour pouvoir l'affirmer.

[53] D'Arbois de Jubainville, La Déclinaison celtique en Gaule à l'époque mérovingienne, 1872, p. 20 et s. (exemples tirés des textes mérovingiens) ; cf. le même, Éléments de grammaire celtique, 1903, p. 18.

[54] Von Planta, Grammatik der Oskisch-Umbrischen Dialekte, II, 1897, p. 96 (c'est la forme indo-européenne primitive).

[55] Ce qui s'opposerait à cette solution, ce qui ferait préférer l'origine celtique à cette forme en -as, c'est, dit d'Arbois de Jubainville (p. 22), qu'elle ne se retrouve pas en Italie, où l'influence osso-ombrienne devrait être plus forte. Toutefois, von Planta en cite quelques exemples.

[56] Mohl, Les Origines, en particulier p. 46-55. — Même remarque pour le pluriel féminin français en -es, qui vient du thème -as, si la forme -as dérive du celtique. — Sans vouloir proposer une origine celtique, je dois mentionner ici la question, en vieux français, des accusatifs en -ain (Bertain de Beria) et en -on (Charton de Charlot), les uns et les autres, mais surtout ces derniers, attribués à l'influence de la déclinaison germanique, ceux en -ain encore fort discutés. — autres faits du français qu'on a attribués à des influences celtiques (Dottin, La Langue gauloise, p. 177) : la tendance à la nasalisation ; l'usage des liaisons d'un mot à l'autre ; la formation de verbes réciproques au moyen de particules ; la mise en évidence du sujet au moyen de c'est ; l'addition de particules démonstratives, ci, , après les noms ; etc.

[57] Je n'hésite pas à le déclarer ici : la philologie romane ne se suffit plus à elle-même. (Mohl, Les Origines, p. 151).

[58] Mohl, Introd., p. 79 : C'est ainsi que des écrivains allemands ou anglais, qui écrivent en français, trahissent leur nationalité, non par des incorrections, mais par des tournures, des constructions, de simples associations de mots.

[59] En dehors d'ailleurs, pour ceux-là, de tout esprit critique, et avec des excès de tout genre. Le dernier, et de beaucoup le plus expérimenté, est Grenier de Cassagnac, Hist. des origines de la langue française, 1872. Il se réclame en particulier de Pezron (Antiquité de la nation et de la langue des Celtes, 1703). Mais Grenier de Cassagnac fait trop d'honneur aux idées saugrenues de Pezron, qui a dit entre autres choses : La langue des Titans, qui a été celle des Gaulois, s'est conservée jusqu'à nous.

[60] C'était la pensée de Mohl, si injustement combattu ; voyez son livre si remarquable Les Origines romanes : première personne du pluriel en gallo-roman, Prague, 1900, dont la thèse est en germe dans son Introduction à la chronologie du latin vulgaire, 1899, p. 211 et s. Mohl du reste l'atténuait, et avec beaucoup de sagesse et de science, en n'admettant l'influence du celtique qu'en raison de sa parenté avec les langues italiotes. L'influence exercée par les idiomes indigènes sur le latin des diverses régions romanes est en raison directe de la parenté plus ou moins étroite de ces idiomes avec la langue latine (Les Origines, p. 145). — Voyez aussi quelques pressentiments de Schuchardt, Der Vokalismus des Vulgärlateins, I, 1866, p. 87.

[61] En dernier lieu, Bourciez, Éléments de linguistique romane, 1910, p. 141 et s. Il admet d'ailleurs que la différenciation des latins provinciaux a pu commencer avant 400, et que la décentralisation politique, la ruine des écoles, les invasions n'ont fait que l'accélérer. C'est le mot de Jérôme, Comm. in Ep. ad Gal., II, 3, P. L., XXVI, c. 357 : Ipsa latinitas et regionibus quotidie mutetur et tempore.

[62] Théorie de la linguistique dite romane, Diez, Meyer-Lübke, Gaston Paris, soyez, de ce dernier, l'article de début de la Romania, I, 1872.

[63] Sauf, bien entendu, les quelques essais en idiome provincial qui ont précédé en France le réveil au XIXe siècle.

[64] Tacite, Ann., III, 43. — L'école d'Autun subsistait encore sous Dioclétien (Panegyrici, IV = IX, Eumène, Pro instaurandis scholis), mais nous ne savons rien sur elle entre Tibère et Dioclétien. — On lui donnait le nom de Scholæ Mænianæ.

[65] Sans doute y étudiait-on aussi le grec ; cf. Strabon, IV, 1, 5, peut-être allusion à Autun. — Nous ne savons rien sur le fonctionnement originel de cette école. On supposera qu'elle ressembla d'abord à celle que Sertorius institua à Huesca pour la jeunesse espagnole.

[66] Strabon, IV, 1, 5. Tacite, Ann., IV, 44 ; Agricola, 4. — Il semble résulter de parvulus que l'enseignement y débutait par les études primaires. — Un des plus anciens et plus célèbres maîtres et rhéteurs de Marseille est Volcacius Moschus, de Pergame et de l'école d'Apollodore, exilé à Marseille à la suite d'une accusation capitale, et qui y enseigna jusqu'à sa mort (de 20 [?] av, à 25 ap. J.-C.) ; Sénèque, Controversia, II, 3, 4 ; 5, 13 ; VII, 3, 8 ; X, pr., 10 ; X, 1, 3 et 12 ; 2, 17 ; 3, 1 ; 4, 20 ; 6, 1 ; Suasoriæ, 1, 2 ; Horace, Épîtres, I, 9 ; Pseudacronis scholia, à ce dernier endroit, II, p. 210, Keller. — Un autre rhéteur marseillais paraît avoir été Pæstus, contemporain de Moschus ; Sénèque, Contr., X, pr., 10. Mais je ne suis pas sûr que l'un et l'autre n'aient pas déjà enseigné à Marseille également en latin.

[67] Voyez Sertorius à Huesca. De même, Agricola en Bretagne, Tacite, Agr., 21.

[68] Cf. Strabon, IV, 1, 5, où il est question de sophistes grecs engagés par les villes κοινή. — Outre ces deux villes, on peut supposer des écoles municipales dans les localités suivantes. Toulouse, ce qui expliquerait l'épithète de Palladia que lui donne Martial (IX, 99), et la vogue de son maître de rhétorique L. Statius Ursalus (Tolosensis celeberrime in Gallia rhetoricam docet, Jérôme, année d'Abraham 2873). Arles, où on trouve scholastici. A Vienne, une fillette originaire de Lyon, âgée de sept ans, scholastica, XII, 1918. Lyon : affranchi d'Auguste, âgé de dix ans, de studentibus, XIII, 2038 ; Ausone, Grat. actio, 7, 31, parlant de Julius Titianus le jeune, magister, qui occupe, au commencement du IIIe siècle, municipalem scholam apud Vesontionem Lugdunumque ; C. I. L., XIII, 2027, condiscipulatu (il s'agit d'affranchis) ; en revanche, nous connaissons un Lyonnais de dix ans mort à Rome in studiis (XIII, 2040). Narbonne : discens ?, XII, 5074. Reims : Fronton ap. Consentius, Gr. Lat., V, p. 349 : Illæ vestræ Athenæ Dorocorthoro. Besançon (voir Ausone, plus haut). Trèves : XIII, 3702, grammaticus Græcus. Cologne : XIII, 8356, scolasticus. A Avenches professores, XIII, 5079. Autres maîtres cités à Vienne, à Limoges. — Les juris studiosi sont des légistes ou, si l'on préfère, des avoués, des avocats consultants (surtout à Nîmes, XII, 3339, 5900).

[69] Sophistes grecs que les Gaulois engagent ίδία (Strabon, IV, 1, 5). — D'un degré supérieur devait être le philosophus, ami des plus grands seigneurs (C. I. L., XIII, 8159).

[70] Inscr. Gr. Sic., 2434.

[71] C. I. L., XII, 1921 : s'il s'agit d'un grammaticus ou grammairien et non d'un grammateus ou greffier.

[72] S'il s'agit de maîtres d'école et non de précepteurs : Esp., n° 5149, 5503.

[73] C'est ainsi que l'on peut interpréter le vers de Juvénal (XV, 111) : Gallia causidicos docuit facunda Britannos. Il peut s'agir du reste de maîtres de rhétorique et de droit.

[74] Artis grammatices doctor morumque magister, Musarum semper amator ; C. I. L., XII 1, 1393 = Esp., n° 1584.

[75] Note précédente.

[76] Il y avait cependant des maîtres spéciaux de calcul et de comptabilité, comme dans l'ancienne France : doctor artis calculatur[i]æ à Worms, XIII, 6247.

[77] Librarius (XII, 1592) à Die chez les Voconces, doctor librarius (XIII, 444) à Auch, peuvent désigner des copistes pour libraires ou particuliers, ou des maîtres d'écriture ; le doctor en question s'intitule aussi lusor latrunculorum, joueur et sans doute professeur d'échecs.

[78] Je parle de la période antérieure à Dioclétien.

[79] Juvénal, I, 43-4 : Palleat... Lugdunensem rhetor dicturus ad aram.

[80] Haverfield pour la Bretagne, The Romanization of Roman Britain, 3e éd., p. 31 ; Cumont pour la Belgique, Comment la Belgique fut romanisée, 1913, p. 93.

[81] Non pas qu'ils ignorassent l'épigraphie, mais elle était chez eux l'auxiliaire de la vie légale, elle servait à conserver des documents, des actes. On a considéré (Hirschfeld, C. I. L., XII, p. 300) comme celtique l'usage de graver des inscriptions, épitaphes ou dédicaces, sur le tailloir des chapiteaux (ibid., n° 3044, p. 356, 383, n° 2920-1 ; cf. Esp., n° 1104). J'en doute ; et si cet usage a continué une tradition indigène, il ne s'est pas répandu avant la conquête, et il ne parait pas avoir duré longtemps.

[82] Je dis graver, parce qu'il nous est resté fort peu d'inscriptions peintes en Gaule. Les inscriptions gravées étaient souvent préalablement peintes (pour guider le graveur) et souvent peintes après coup, dans les deux cas au minium. Inscription uniquement peinte, à Angoulême (Congr. arch. d'Angoulême, 1912, II, p. 94, héron de Villefosse). — Une place à part doit être faite pour les dédicaces en lettres de métal clouées sur les monuments, à la Maison Carrée de Mines, au temple de Livie à Vienne, à l'arc d'Orange. — Lettres gravées dont le creux est rempli d'étain, C. I. L., XII, 4247.

[83] Il y a cependant des règlements d'administration sur pierre, exposés à titre d'avis ou de rappel (celui d'Hadrien sur les aqueducs).

[84] Calendriers de Coligny et du lac d'Antre ; autel de Narbonne (XII, 4333).

[85] Jusqu'ici, aucun document épigraphique de la Gaule ne se rattache aux lois municipales. Il n'y a, dans cet ordre d'idées, que des mentions (sur pierre ou marbre) de concessions de terrains (XII, 3179), de police de ruisseau (XII, 2426) ou de champ de foire (XII, 2462), de réglementation intérieure d'édifices (XII, 3316-8), de consécration d'autels et de sacrifices (XII, 4333). peut-être de décret honorifique (XII, 5413). — Règlements et documente provinciaux. — Règlements et documents relatifs aux collèges, XII, 4393 (sur marbre), XIII, 3498 (sur bronze). — A des pagi, XII, 594, 1243.

[86] Tablettes de bronze appelées diplômes militaires (concessions de droits aux vétérans). Je pense que les sculptures funéraires représentent souvent, sous forme de tablettes, des diplômes de ce genre ou des diplômes de citoyens. Testaments. — Tablettes magiques.

[87] Pour les édifices civils et les statues de personnages publics, cf. XII, p. 957 et s. (ædificia). — Du même genre, les bornes milliaires, qui sont de véritables dédicaces de routes. — Dédicace, c'est-à-dire enseigne, d'auberge (XIII, 2031).

[88] Cf. C. I. L., XII, p. 959-980 (dedicationes), etc. Les espèces de ces dédicaces sont infinies, mais peuvent se ramener à quatre groupes : celles des édifices ; celles des autels, celles des images, celles des objets mobiliers ; car le pauvre allait jusqu'à marquer, en lettres cursives, sur un vulgaire pot d'argile, qu'il en faisait présent à Mercure.

[89] Cf. C. I. L., XII, p. 961-4 (laudationes, sepulcra), etc.

[90] Cf. Cagnat, Cours d'épigraphie latine, 4e éd., 1914, p. 286. Voyez le texte si formel de Trimalcion préparant son tombeau (Pétrone, Sat., 71) : Horologium in medio, ut quisquis horas inspiciet, velit nolit, nomen meum legat.

[91] Vaisselle, briques, lampes, figurines de terre cuite, verres, bronzes, les signatures d'oculistes, de mosaïstes, etc. Voyez, comme emploi plus rare, les marques sur objets de cuir, XIII, 10014. Du même genre, les noms des ouvriers ou artistes sur les boucliers en bas-relief de l'arc d'Orange.

[92] A noter, dans cette catégorie, outre les sceaux, cachets et anneaux de tout genre : les marques de fer destinées à indiquer, sur les bestiaux, les noms des propriétaires ; les graffiti indiquant sur les poteries les propriétaires des vases, par exemple (XIII, III, p. 478) Attici catilus, olla mea. — L'usage de ces graffiti apparaît pour les objets précieux dès le temps de la conquête, si c'est à ce temps que remonte le vase d'argent d'Alésia, propriété du Gaulois Μεδα(μου) Άραγε(νου) ; XIII, 10026, 24 ; cf. ici, p. 17t, n. 3.

[93] Indication des remèdes sur les cachets d'oculistes ; des valeurs sur les poids ; des poids ou des contenances sur les vases ; indication de vins ; instruments pour marquer les sacs de blé de l'annone ; plombs de douane ; tessères de jeux ; etc.

[94] Les graffiti sur parois de maisons ou d'édifices sont, cela va sans dire, très rares en Gaule : mais je me demande si l'on a bien examiné, à ce point de vue, soit les murailles des monuments, soit les débris d'enduits ; cf. XIII, 3139 (correspondance ou testament d'amour) ; L'Année épigr., 1912, n° 162 (adieu aux Arlésiens gravé sur un des piliers des Arènes). Graffiti sur tessons de poteries, XIII, III, 10017. Injures grossières au passant qui lit, 10017, 40.

[95] C. I. L., XIII, III, 10024, 40.

[96] Sur les vases de Bonassac, en lettres en relief, appels surtout aux convives : Gabalibus feliciter ; cervesariis [aux amateurs de bière] feliciter ; amica veni ad me ; etc. (C. I. L., XII, 5687, 50-5 ; XIII, 10012) : inscriptions que je crois contemporaines des Antonins. Sur les vases peints de Belgique, des abords de 300, surtout appels au tenancier ou de celui-ci au buveur ; et, en particulier, sur une gourde de Paris, le dialogue : ospita, repte lagona cervesacopo, conditum abesestreple, da (10018, 1 et s.). — Un groupe assez inexplicable est celui des pesons de fuseaux en pierre ou en schiste (10019, 17 et s. [très incomplet] ; Héron de Villefosse, Bull, arch., 1914, p. 213-230, 489-490), avec des appels de tout genre à des filles de service, de bains, de tavernes ou de mauvais lieux : nata Vimpi (le nom de Vimpas doit être un sobriquet professionnel), etc. — Tout à fait mystérieuses sont les longues inscriptions en relief de certains vases de Montans (XIII, 10012, 18 ; Déchelette, Vases céram., I, p. 133-4), que je crois d'ailleurs les derniers en date de la poterie rouge vernissée.

[97] Un problème en épigraphie latine est de rechercher s'il n'y avait pas un langage mystérieux, accessible aux seuls initiés, désignant des croyances, des propriétés, des procédés de fabrication, et se dissimulant en particulier dans les signes de ponctuation ; cf. XIII, 637 ; le jeu des points dans les marques de Virilis le potier, XIII, III, 10010, 637 ; les feuilles de lierre et les palmes.

[98] Dottin (La langue gauloise, 1918) en donne 61.

[99] Inscr. Gr. Sic., n° 2432 et suiv.

[100] Sur le terroir de Vidy (Lausanne), découverte d'une inscription pariétaire sur stuc, portant un versus reciprocus en langue grecque, qui se retrouve à Pompéi (C. I. L., IV, 2460 a) : ce doit être quelque exercice d'écolier.

[101] Monument d'un rhéteur, élevé par son frère, également rhéteur ; Inscr. Gr. Sic., 2316.

[102] XII, 306, Fréjus, tombe d'un citoyen romain, sans doute indigène ; XII, 4015 (Nîmes) ; XIII, 2198, Lyon, femme romaine ou indigène. Ajoutez les inscriptions métriques, sens addition de formules latines : Inscr. Gr. Sic., 2437 et 2461 (Marseille), 2521 (Bordeaux).

[103] Arrien, Entretiens d'Épictète, IV, 4, 30, etc.

[104] Il n'en est plus question après Tacite.

[105] XII, 407, 410, etc. Je ne vois que des réminiscences d'école dans l'expression de Græculi magistratus appliquée aux chefs de Marseille par le panégyriste de Constantin (Pan. Lat., VII [VI], 19), et dans celle de Gretia appliquée à son terroir par la Table de Peutinger [on y a vu, à tort, le nom ancien de la Crau].

[106] Eumène, Pro rest. sch., 17.

[107] Surtout chez les femmes, si l'on en juge par la famille d'Ausone, sa grand'mère Corinthia, ses sœurs Dryadia et Melania, sa cousine Idalia, etc. (Par., 7, 14, 31, 30) ; cf. l'arbre généalogique, éd. Schenkl, p. XIV.

[108] Le père d'Ausone, né à Bazas, domicilié à Bordeaux, originaire du pays des Éduens, sermone impromptus Latio, verum Attica lingua suffecit culti vocibus eloquii (Epic., 9-10) : il s'agit de discours d'apparat.

[109] J'ai déjà remarqué et je remarquerai de nouveau que les influences grecques ont été particulièrement intenses dans les régions du Rhin.

[110] C. I. L., XIII, 10018, 140-144 et 221, d'ordinaire en lettres latines. — On a également signalé de très fortes influences grecques dans le latin vulgaire de la Gaule : par exemple dans la déclinaison des noms propres (grécisation de -a en -e), dans l'écriture (intercalation de lettres grecques au milieu de lettres latines) ; cf. Pirson, p. 142 et 111.

[111] A Lyon, XIII, 2004 (sur une tombe, en lettres latines, χαΐρε, ύγείαινι) ; à Vienne, XII, 1918 (sur une épitaphe, Julia : Felicissimæ, scholasticæ ίλαρεΐ) ; etc.

[112] Grationopolis, Grenoble, jusque-là Cularo (Not. Gall., 11). Civitas Basiliensium, Bâle (id., 9 ; Ammien en 374, XXX, 3, 1) ; il y a une station de Basilia dans l'itinéraire Antonin (p. 364, W.) entre Reims et Verdun : peut-être s'agit-il d'anciennes résidences royales (cf. Regia en Irlande, Ptolémée, II, 2, 9 ; Reginum ou Ratisbonne ; Reginca).

[113] Bibliopolas Lugdussi esse non putabam,... ex litteris tuis cognovi venditari libellos meos ; Pline, Épist., IX, 11 : lettre à Géminus, supposé gouverneur de Lyonnaise sous Trajan. Sénèque a dédié son De beneficiis à un Æbulius Liberatis, habitant Lyon (Epist., 91 ; De ben., V, 1, 3). — Pour Martial, je songe à ce qu'il dit de Vienne (VII, 88) : Fertur habere meos... libellos inter delicias... Vienna suas. Me legit omnis ibi, etc. Amateurs des vers de Martial à Narbonne (Arcanus [le père de L. Æmilius Arcanus, C. I. L., XII, 4354] ; sans doute aussi Votiénus [le descendant de l'orateur]), à Toulouse (Antonius Primus) ; VIII, 72 ; IX, 93.

[114] A Chanac, XIII, 1568 : Dum memor ipso mei dum spiritus hos reget artus ; voir Énéide, IV, 336, où on lira désormais reget plutôt que regit. A Aix, mosaïque (Inv., n° 44) représentant le combat de Darès et d'Entelle [Virgile, Én., V, 363-484].

[115] Le cadavre d'Hector traîné par Achille, mosaïque à Nîmes ; Inventaire, I, n° 307.

[116] Au moins dans la Gaule du IVe siècle ; Ausone, Professores, 22, 10 et s. ; Ad nepotem, 40 ; Paulin de Pella, Euchar., 72 et s. ; Sulpice Sévère, V. Mart., 1, 3.

[117] Inscription de Trèves, XIII, 3654 = Lucain, VII, 1-2 : Segnior Occano, quam lux [pour lex] æterna vocabat, luctificus Titan namquam magis æthera [contra egit equos].

[118] Ausone, Ad nep., 56.

[119] Ausone, Ad nep., 46, d'où il résulte que Ménandre était un auteur d'école au même titre qu'Homère ; le même, Cento, § 12. — Ésope est rappelé par Ausone (Epist., 16 et 17). Un certain nombre de scènes de bas-reliefs, de mosaïques, de vases moulés, ont pu être inspirées par les tragiques grecs, mais je doute que ce soit directement.

[120] Ausone, Ad nep., 58 ; Epist., 22, § 2, 10. — Plaute est moins lu, sans être oublié ; cf. Ausone, éd. Schenkl, p. 184.

[121] Sulpice Sévère, l. c. ; Ausone, Cento, § 4 ; Griphus, § I. — La vogue des philosophes grecs a dû être très grande chez les lettrés de la Gaule comme chez ceux de tout l'Empire ; mais ce devait être une mode plutôt qu'un désir d'étude ; le fait d'avoir leurs images ne prouve pas qu'on les lisait ; tout au plus les grammairiens, sophistes ou philosophes gagés par les grands seigneurs leur en lisaient-ils des extraits ou des analyses. Voyez en particulier les bustes des philosophes rencontrés çà et là en Gaule (Esp., n° 946) ; la mosaïque d'Anaximandre [?] à Trèves (Krüger, Trierer Jahresb., I, 1908, p. 16 ; Inventaire, n° 1240), celle des philosophes à Cologne (Platon, Cléobule, Aristote, Diogène, Sophocle, Socrate, Chilon ; Inventaire, n° 1640). Le vase d'Héristal, où des figures de philosophes se mêlent à des scènes de débauche (Cumont, Belgique, p. 92), le mot de l'épitaphe de Trimalcion (Pétrone, 71), nec unquam philosophum audivit, montrent la contrepartie de raillerie que cette mode provoquait. L'écho de la satire de Juvénal contre les philosophes se retrouve donc en Gaule (Juvénal, S., 2).

[122] Ausone, Ad nep., 61 et s. ; Grat. actio, 8, 36 ; Epist., 19, 18. La popularité de Salluste sous l'Empire romain est un fait très remarquable ; elle devait persister. Tite-Live était certainement bien moins lu : toutefois, à Trèves, la mosaïque des Muses, de Monnus, a son portrait avec ceux d'Ennius, Virgile et Cicéron.

[123] Ausone, Cento, § 4 ; Profess., 23, 13 ; Epist., 16, § 2, 15 ; Epist., 17 ; etc. — Ajoutez Quintilien, un peu comme succédané de Cicéron ; Ausone, Grat. act., 7, 31 ; Prof., 2, 7 et 16 ; Mos., 404. — On cite encore Démosthène et Isocrate (Ausone, Ép., 17 ; Profess., 2, 19).

[124] Il ne faut pas oublier que la vogue de la rhétorique était alors générale dans l'Empire ; et là encore on peut s'adresser à Juvénal (XV, 112) : De conducendo loquitur jam rhetore Thyle. De même, Tacite dit des Bretons (Agr., 21) : Qui modo linguam Romanam abnuebant, eloquentiam concupiscerent.

[125] Ces maîtres de la parole, dont il va être question, devaient être, non seulement des professeurs de rhétorique tenant Schola pour de tout jeunes gens (cf. Quintilien, X, 3, 13), mais aussi des docteurs en procédure, et sans doute des directeurs de cabinets d'affaires ; c'est chez eux que se formaient les juris studiosi. De ce genre est le patronus inconnu d'une épitaphe nîmoise, qui fut célèbre à Rome même, et qui excellait dans l'art de rédiger les testaments (XII, 4036). En voie de devenir un maître semblable est le jeune homme que ses parents appellent juvenis eruditus causidicus (XIII, 5006).

[126] Supposé né en 14 av. J-C., consul en 39 après, mort en 59 ; Jérôme, année d'Abraham 2062 ; Tacite, Ann., IV, 52 ; Quintilien, V, 10, 79 ; VI, 3, 42 et 81 ; VIII, 5, 3 et 18 ; IX, 3, 66 et 78 ; X, 1, 24 et 118 ; etc. En dernier lieu, Real-Enc., V, c. 1318-20.

[127] Mort en 27 aux îles Baléares, où Tibère l'avait relégué ; Jérôme, année d'Abraham 2043 ; Tacite, Ann., IV, 42 ; Sénèque, Controv., VII, 5, 12 et s. ; IX, præf., 1 ; IX, 2, 19 ; 4, 16 ; 5, 15 et s. ; 6. 18 (édit. H. J. Müller). La passion de Votiénus pour son art était telle, que, lorsque Vinicius prononça contre lui son réquisitoire au nom des colons de Narbonne, l'accusé ne fit, dit-on, attention qu'à la tenue oratoire du discours (Controv., VII, 5, 12). — C'est un de ses fils ou petits-fils dont parle Martial en 93 à propos de Narbonne (VIII, 72).

[128] Dans le même cas, Rufus de Vienne, sous Trajan ou Hadrien ; Juvénal, VII, 213-4. Rufum atque alios cædit sua quemque javentus, quem toties Ciceronem Allobroga dixii ; cela voulait-il dire qu'on raillait son genre provincial ? ce passage a été extrêmement discuté ; en dernier lieu, Désormaux, Allobroge, dans La Revue Savoisienne de 1917. — De même, Julius Secundus, neveu de Florus, qu'on peut supposer gaulois, contemporain de Quintilien, et qui parait être un des interlocuteurs du Dialogue des Orateurs (X, 3, 12 et s. ; X, 1, 120 et s. ; Tacite, Dial., 2, 10, 14 ; Plutarque, Othon, 9). Il fut magister epistolarum d'Othon en 69. — Et encore l'énigmatique M. Aper, du Dialogue des Orateurs.

[129] Quintilien, X, 3, 14 : Julius Florus, in eloquentia Galliarum, quoniam demum ibi exercuit eam, princeps. Il était d'une génération antérieure à Quintilien, ce qui permet de placer sa vogue sous Domitien.

[130] Tacite, Dial., 28 : Jérôme, Comm. in Is., VIII, Præf., Migne, P. L., XXIV, c. 281 (qui le traite de flumen eloquentiæ). Sous Vespasien.

[131] Sous Néron. [L.] Statius Ursulus [var. Sursulus] Tolosensis celeberrime in Gallia rhetoricam docet ; Jérôme, année d'Abraham 2073.

[132] Tacite, Hist., I, 69.

[133] C'est ainsi que j'explique en les rapprochant les deux textes de Tacite (Agr., 21), ingenia Britannorum studiii Gallorum præferre (Agricola), et de Juvénal (XV, 111), Gallia causidicos docuit facunda Britannos.

[134] Quintilien ne dit pas nettement qu'il fût gaulois (voyez cependant son discours à Néron au nom des gaules, VIII, 5, 15) ; il le rapproche de Domitius Afer, et ce rapprochement se retrouve chez Tacite, Dial., 15 ; mais il y a tout lieu de entre que c'est le fils du Julius Africunus e Sanionis que Tacite mentionne en 32 (Ann., VI, 7).

[135] Quintilien, X, 1, 118 : Borum quos viderim Domitias Afer et Julius Africanus longe præstantissimi. Arte ille et toto genere dicendi præferendus et quem in numero veterum habere non timeas ; hic concitatior sed in cura verborum nimius et compositione nonnumquam longior et translationibus parum modicus ; le même, XII, 10, 11 (vires Africani) ; VIII, 5, 15 ; Tacite, Dial., 15.

[136] C'est la thèse soutenue, dans le Dialogue des Orateurs (cf. 2, 5, 15-23), par M. Aper, lequel est un Gaulois (de Gallis nostris, 10), de cité pérégrine (in civitate minime fovorabili, 7), qui parait avoir accompagné Claude en Bretagne (17). Le fait d'avoir choisi un Gaulois pour défenseur du genre moderne, est très remarquable.

[137] P. Terentius Varro Atacinus, surnom qui a pu lui être donné pour le distinguer du grand Varron. Jérôme, année d'Abraham 1935 = 82 av. J.-C. : P. Terentius Varro vico Atace [peut-être dans le sens de quartier de Narbonne] in provincia Narbonensi nascitur, qui postea XXXV annum agens Granas litteras cum sammo studio didicit ; Pseudacron ad Hor., Sat., 1, 10, 48 ; Quintilien, X, 1, 87 ; etc. On attribuait (scholies de Perse, II, 36, p. 285, Jahn, 1843) à Varron de l'Aude la célèbre épitaphe de Licinus : Marmoreo Licinus tumulo jacet, at Cato parvo, Pompeius nullo : quis pulet esse deos ? Les fragmenta (Argonautæ, Chorographia, Ephemeris, Bellum Sequanicum, Elegiæ) ont été réunis par Bæhrens, Fr. poet. Rom., 1886, p. 3326. Cf. Teuffel, trad. franç., I, p. 212 ; Wüllner, De P. Terentii Varronis Atacini cita et scriptis, Münster, 1828 (programme ; utile).

[138] De bello Sequanico. Remarquez ce qualificatif donné à la guerre d'Arioviste.

[139] Quintilien, X, 1, 87.

[140] Inscription en cursive sur vase : (Si qui) Musarum leges nodent [pour violent ?], lupinos X dabunt (XIII, 10017, 38).

[141] Épitaphe du cheval d'Hadrien, Borysthène, sur le terroir d'Apt, qui doit être l'œuvre de l'empereur (XII, 1122 ; vers ioniques) ; inscription à Sylvain ; épitaphe de la chienne (hendécasyllabes) ; épitaphe du jeune sténographe à Cologne (XIII, 8355 ; iambiques dimètres) ; d'une jeune fille a Mayence (XIII, 7113 ; vers scazons).

[142] Épitaphes en vers hexamètres ou pentamètres : XII, 533 (Aix), XIII, 2104 et 2219 (Lyon), 1602 (campagne du Velay), 1568 (du Gévaudan), 3048 (Paris), XII, 5028 (Narbonne) ; épitaphes en vers iambiques senaires : XIII, 1597 (Saint-Paulien, métropole du Velay), XII, 5102 (Narbonne). Dédicaces en hexamètres et pentamètres au Genius papi, XIII, 412 (Hasparren dans le Pays Basque), à la déesse topique Onuava, XIII, 581 (Bordeaux) ; en vers iambiques senaires à Sylvain : ce sont d'ordinaire les bonnes petites divinités topiques qui reçoivent ces hommages poétiques.

[143] Les inscriptions métriques ne sont pas, toutes proportions gardées, moins nombreuses dans les Trois Gaules qu'en Narbonnaise. — Sans doute circulait-il en Gaule des manuels d'inscriptions métriques pour épitaphes ou dédicaces, dont les graveurs du pays ont pu s'inspirer.

[144] XIII, 488, Auch. Il y a peut-être là le souvenir de la pièce de Martial sur la chienne Issa (I, 109).

[145] A Aime, XII, 103 : Silvane sacra semicluse fraxino : il s'agit d'une statue informe taillée dans un tronc de frêne.

[146] Il racontait sa vie et celle de sa famille à la fin du livre XLIII (Italie et Gaule) ; Justin, XLIII, 5, 11. Le nom de Trogus peut être celtique, mais ce n'est point certain.

[147] En réalité, Trogue-Pompée se préoccupait surtout des régions où avait pénétré l'influence grecque ; pour lui, l'histoire de l'Assyrie, de la Perse, etc., sert surtout de prélude à l'histoire grecque ; il hellénise bien plus encore que Hérodote. En Gaule (livre XLIII), il connaît surtout Marseille ; en Espagne (livre XLIV), il s'intéresse davantage aux éléments indigènes, mais il recherche avec soin les fables grecques. Justin l'indique d'ailleurs dans sa préface : Trogus Pompeius Græcas et totius orbis historias Latino sermone composuit, ut, quum nostra Græce, Græca quoque nostra lingua legi possent. Le titre qu'ont Justin et les Prologi, Historia Philippicæ, paraît avoir été donné par Trogue-Pompée lui-même. Sur les sources, surtout helléniques, de Trogue-Pompée, cf. Schanz, G. d. R. L., II, 1, 2e éd., § 329. La principale parait Timagène ; cf. von Gutschmid et Wachsmuth, Rheinisches Museum, n. s., XXXVII, 1882, et XLVI, 1891.

[148] M. Juniani Justini Epitoma Historiarum Philippicarum, etc. Il vivait sous les Antonins. Édition Ruhl, 1886 (collection Teubner). Dans la même édition, Prologi Historiarum Philippicarum, etc.

[149] Justin, XXXVIII, 3, 11.

[150] On peut supposer qu'il est né sous le règne de Domitien et mort sous celui de Marc-Aurèle. Son amitié avec Hadrien est attestée par Spartien, 13, 12 ; 10, 10. Mais nous savons par ailleurs qu'il se brouilla avec l'empereur ; Philostrate, Vies des sophistes, I, 8, 3, Didot ; Dion Cassius, LXIX, 3, 4-6.

[151] On ne possède de lui que des fragments, réunis par Marres, Diss. de Fav. Ar. vita, 1853, ou dans les Fragm. hist. Græc. de Didot, III, p. 577 et s. On lui attribue le plus souvent le 37e discours de Dion Chrysostome (Corinthiaca).

[152] Philostrate, I, 8, 6 ; Aulu-Gelle, II, 22, surtout 27 ; XII, 1, surtout 24 ; XIV, 1, surtout 32 ; XVI, 3, surtout 1. Aulu-Gelle est resté ébloui de son talent de conférencier.

[153] Son rival parait avoir été surtout le fameux Polémon de Smyrne (Philostrate, I, 8, 5 : I, 25, 12).

[154] Philostrate, I, 8, 4 ; II, 1, 34.

[155] Philostrate, I, 8, 4.

[156] Aulu-Gelle, XX, 1, 20 ; XIII, 25, 4. Favorinus disait de lui-même : Opera mihi princeps et prope omnis in litteris disciplinisque Græcis sumpta est. On a supposé qu'il avait fait son éducation à Marseille : mais il n'y a aucun argument pour ou contre cette hypothèse.

[157] D'ailleurs, il ne cachait point son origine gauloise : Aulu-Gelle, II, 22, 20 ; Philostrate, I, 8, 1 ; 37e discours de Dion, 27.

[158] Dion Cassius, LXIX, 3, 8 ; Philostrate, Vies, I, 8 — il demanda devant le tribunal d'Hadrien, l'exonération des munera municipaux et en particulier de la charge de άρχιερεύς [pontifex ? flamen ?], soit comme domicilié à Rome, soit plutôt en tant que rhéteur (philosophe, dit Philostrate). Il se désista, craignant l'opposition du prince (lequel, semble-t-il, ne voulait pas l'assimiler à un philosophe), et reconnut qu'il devait λειτουργεΐν τή πατρίδι ώς καί έκεινη γεγενημένον. Je crois que le débat a dû porter sur le sens à donner aux mots orator et philosophus dans les rescrits de Vespasien et d'Hadrien louchant les immunitates (Dig., L, 4. 18, 30).

[159] Favorinus apud Aulu-Gelle, II, 22, 20 . Nostri Galli ventum ex sua terra flantem, quem sævissimum patiuntur, Circium appellant a turbine, opinor, ejus ac vertigine. En réalité, le nom du Mistral, Circius ou Cercius, n'a sans doute rien à voir avec circus.

[160] Le seul parmi ses élèves connus dont le nom intéresse la Gaule, est Alexandre Peloplato de Séleucie, qu'on disait être mort dans ce pays, έν Κελτοΐς, étant ab epistulis Græcis de Marc-Aurèle, et sans doute envoyé là comme tel en mission ; Philostrate, Vies, II, 5, 12.

[161] Sans doute parce que les historiens grecs dont il se sert parlaient plus longuement de l'Espagne. Les Anciens, du reste, à cause de Cadix et de Carthage, ont toujours accordé une prééminence historique à l'Espagne sur la Gaule.

[162] En Italie : VI, 6, 5 ; XX, 5, 4 et s. ; XXIV, 4 et s. ; XXVIII, 2, 4 ; XXXVIII, 4, 7 et s. En Illyrie surtout, XXIV, 4 et s.

[163] XLIII, 3, 4, et la suite.

[164] Ducibus avibus, à propos de l'exode des Celtes sur le Danube (XXIV, 4, 3), semble indiquer une tradition gauloise.

[165] Qu'on se rappelle tout ce que les Romains ont raconté de Didon (Justin, XVIII, 5 et s.).

[166] Remarquez que sous Claude on reproche encore aux Gaulois l'affaire de l'Allia (Tacite, Ann., XI, 23).

[167] Et de Carthage : Græcas scripsit historias, Tyrrhenicon viginti, Carchedoniacon octo ; Suétone, Cl., 42. L'écrivain de l'Empire qui s'est le plus préoccupé des Gaulois est le Grec Timagène, mort vers l'ère chrétienne : quæ diu sunt ignorata collegit ex multiplicibus locis (Ammien, XV, 9, 2), et c'est peut-être à lui que Tite-Live, Trogue-Pompée et les autres ont emprunté tout ce qu'ils disent des migrations gauloises. Toutefois, il est fort possible que Timagène n'ait fait que copier Posidonius, le seul écrivain de l'Antiquité qui parait s'être vraiment inquiété des Celtes. Et il est d'ailleurs constant que Timagène s'est préoccupé moins de connaitre l'histoire vraie de la Gaule que de lui imposer des héros helléniques. — Cf. Hirschfeld, Kleine Schriften, p. 1 et s. (écrit en 1894) ; Susemihl, II, p. 377-381.

[168] Loca hæc occupasse tunc vacua ; Ammien, XV, 9, 5 ; Jérôme, Comm. in Ep. ad Gal., II, 3, Migne, XXVI, c. 355 (Aquitania Græca se jactet origine).

[169] Du moins jusqu'aux abords de l'ère chrétienne. Car, sous l'Empire, je crois bien que l'on a cessé de créer de nouveaux mythes pour la Gaule.

[170] Outre les épisodes dont nous avons parlé à cet endroit, il faut ajouter les suivants, qui ne sont connus que par les écrivains de l'Empire et qui se réfèrent aux voyages d'Hercule : 1° A Alésia, où l'Hercule grec s'est greffé sur quelque héros indigène ; 2° sur les bords de l'Océan (Ammien, XV, 9, 3), où la présence d'Hercule et de ses Dorienses a dû être provoquée par quelques noms de lieux celtiques rappelant ceux de chefs grecs ; 3° au Pertus (Silius Italicus, III, 415 et s.), où ses amours avec la nymphe Pyréné doivent avoir été racontées d'assez bonne heure par les trafiquants d'Elne. La littérature et l'archéologie d'Hercule devaient être fort riches en Gaule ; Ammien Marcellin (XV, 9, 8) semble dire qu'il y a vu des monuments gravés racontant ses voyages, ses luttes contre le tyran Tauriscus, ses mariages et les fondations d'États ou de villes aux noms de ses enfants : il doit s'agir de légendes étymologiques qui avaient dû être forgées dans les cités et qu'on avait dû ensuite figurer en bas-relief sur des arcs ou dans des temples ; cf. Diodore, IV, 10. — Il y eut aussi des récits sur des colons grecs venus de la guerre de Troie (Ammien, XV, 9, 5). Et il est bien probable qu'on fit venir Ulysse en Gaule (Claudien, In Ruf., I, 124), comme on le fit venir en Germanie (Tuc., 3) et en Écosse (Solin, XXII, 1).

[171] C. I. L., XIII, 5380-1.

[172] Plafond de l'arcade du nord (Espérandieu, V, p. 38).

[173] Éginhard, Vita, 29.

[174] Autres théâtres coloniaux : Vienne, Valence, Nîmes, Augst, Lyon. Dans des villes municipales non coloniales du Midi : Vaison, Antibes, etc.

[175] Autres théâtres de chefs-lieux : Bordeaux, Saintes, Périgueux, Limoges, Cahors, Bourges, Feurs, Le Mans, Orléans, Angers, Jublains, Vieux, Lillebonne, Lisieux, Évreux, Rouen, Meaux, Soissons, Langres, Besançon, Avenches, etc.

[176] Autres théâtres de vici (cf. n. suivante) : Boug, Locmariaquer, Mandeure, Vervins et Nizy-le-Comte chez les Rames, Chassenon chez les Lémoviques, Valognes chez les Unelles, etc.

[177] Autres dans des lieux de marché, d'eaux ou de pèlerinage (cf. n. précédente) : Triguères (Sénons), Chenevières (Sénons), Sceaux (ville d'eaux chez les Sénons), Bouiy (Carnutes), Bonnée (Carnutes), dans la région limitrophe des Carnutes et des Sénons : il y a là une agglomération de théâtres très remarquable, unique en Gaule, qui me fait croire au voisinage de lieux saints de premier ordre, peut-être le sanctuaire des druides ; Chateaubleau chez les Sénons, à la frontière de la cité de Meaux ; à Areines près de Vendôme (Vindocinum), sans doute pèlerinage carnute à la frontière des Cénomans ; à Allonnes [?] prés du Mans ; à Arnières et au Vieil-Évreux chez les Éburoviques ; chez les Andes, à Gennes et à Aubigné, frontière des Cénomans et des Turons ; dans la cité de Nantes, Mauves et Petit-Mars ; en Normandie, au sanctuaire de Berthouville ; Saint-André-sur-Cailly près de Rouen ; aux Aqua' de Moingt en Forez ; Cadayrac dans la cité de Rodez ; Drevant, Néris, Levroux chez les Bituriges ; Tintiniac, Chassenon et sans doute d'autres (on a cru en trouver des vestiges à Monceaux, à Puy-de-Jouer, à Breth, à Magnac-Laval) chez les Lémoviques ; La Terne chez les Santons de l'Angoumois, à la frontière des Pictons ; d'autres dans les lieux sacrés des Trévires ; à Grand ; etc. — Et il est évident que bien d'autres lieux saints ou marchés continuèrent à avoir des théâtres en bois.

[178] Peut-être y avait-il des théâtres de villas.

[179] Même sans cela, les mêmes espèces de jeux pouvaient être célébrés dans des édifices différents, comme des pugilats dans les cirques (Ammien, XIV, 7, 3).

[180] Remarquez qu'un lisait surtout Térence et Ménandre et que l'art figuré reproduit, non pas des scènes de leurs comédies, mais des épisodes mythologiques qui peuvent parfois remonter, je crois indirectement, aux tragiques grecs : ces épisodes, d'ailleurs, ont pu tire tout aussi bien représentés par des-pantomimes que par des drames. Il y a, sur des mosaïques, des figurations d'acteurs (Aix, Grand, Avenches ; Inv., n° 45, 1000, 1400 ; cf. Blanchet, Décoration, p. 90) : mais c'est exceptionnel, et je n'y retrouve pas une vraie scène.

[181] C. I. L., XII, 4501.

[182] Pueri Septentrionis, qui Antipoli in theatro biduo saltavit et placuit ; XII, 188. C'est quelque danseuse du même genre que la Voconce Phœbé, morte à Rome à douze ans, emboliaria [actrice d'intermèdes] artis omnium erodita (C. I. L., VI, 10127).

[183] C'est, de beaucoup, le thème mythologique le plus populaire en Gaule, et c'est, à franchement parier, le moins recevable.

[184] Voyez la représentation du jugement de Pâris dans un mucus à Corinthe, Apulée, X, 30 et s. : comparez au bas-relief de Bordeaux, Espérandieu, n° 1066.

[185] Esp., n° 3803 et s. Remarquez la concordance, que ces fables de Dédale et de Prométhée, figurées à Champlieu, sont spécialement notées comme sujets de spectacle par Martial (De spectaculis, 8 et 7).

[186] Voyez du reste les allusions très nettes que font les écrivains chrétiens à ces sortes de représentations : Tertullien, Apol., 15 ; Arnobe, Adv. gentes, IV, 35 ; VII, 37 ; Minucius Félix, 37, 12 ; Actes de saint Victor, I, 7, 21 juillet, V, p. 145, anc. éd. ; et les aveux concordants des écrivains païens : Suétone, Néron, 12 ; Apulée, X, 30 et s. — Les vases à reliefs d'applique, avec scènes de ce genre, peuvent être parfois des souvenirs de représentations (cf. Déchelette, Céram., II, p. 211 et s., etc.). — Certaines figures de divinités, dans nos bas-reliefs de marbre ou de pierre, peuvent également reproduire les traits d'acteurs ayant joué le rôle de dieux, et certains bas-reliefs mythologiques peuvent être la copie des spectacles donnés lors de l'inauguration d'un monument.

[187] Car il parait certain que dans ce genre de représentations on allait jusqu'aux dernières limites, tantôt de la cruauté (lorsque par exemple on faisait jouer jusqu'à la mort inclusivement le rôle de Dédale ou d'Hercule sur son bûcher à des condamnés à mort, Chrétiens ou autres), tantôt de la licence : c'est un spectacle de ce dernier genre que dut abolir sous Trajan un magistrat de Vienne, gymnicus agon, fondé par un particulier, qui mores Viennensium infecerat (Pline, Epist., IV, 22), et Pline regrette qu'on ne puisse en faire autant à Rome. Il est bien probable, à voir les réclamations que la mesure provoqua, que l'exemple ne fut point suivi en Gaule. Je ne sais si aucune civilisation a poussé plus loin tout à la fois l'immoralité des spectacles et la profanation des choses religieuses. La religion, en cette affaire, colportait le vice.

[188] Ajoutez la rasta germanique, employée dans les provinces de Germanie, égale à deux lieues ou trois milles (Gromatici, p. 373), soit 4435 m. 50, qui était l'équivalent de notre lieue française commune (4444 m. 44). De même, le pied de Drusus, dans les mêmes régions, valant 0 m. 333, se rapprochait plus que le pied latin de l'ancien pied français (0 m. 324).

[189] Autrement dit la semaine de huit jours, le huitième étant celui des foires ou des nundinæ. Et je me demande si le vase de Gundestrup et les monuments similaires à huit faces ne présentent pas des combinaisons de la semaine des sept jours planétaires avec les périodes nundinales, l'empereur (ou un Génie local) étant le dieu du huitième jour ou des nundines.

[190] Sauf peut-être dans certaines prescriptions d'anniversaires, où l'on paraît indiquer le 14e jour du mois celtique. — Y a-t-il une trace d'une tradition indigène dans le calendrier de Grand (XIII, 5955), où les mois sont divisés en quatre périodes par les calendes, les nones, les ides et les 25 ou 24 (VIII kal.), et où les quatre saisons sont marquées directement aux 24 ou 25 juin, septembre, décembre et mars ?

[191] Voir Pline, XVIII, 321 et s. ; Virgile, Géorgiques, I, 276 et s. ; etc.

[192] Maurice Albert, Les Médecins grecs à Rome, 1894.

[193] Strabon, IV, 1, 5 ; Pline, XXIX, 11. — La plupart de ceux qui suivent portent des noms grecs. A Mayence (XIII, 7094, importance de la dévotion dans la pratique de la médecine). A Nîmes, XII, 3341, 3342, 3343. A Arles, XII, 725. A Narbonne, XII, 4485-9 ; Ac. des Inscr., C. r., 1914, p. 225. Sans doute à Vienne, XII, 1804. A Bordeaux, XIII, 617, 640. A Lyon, XIII, 2019. A Avenches, XIII, 5079. A Hermes dans le pays de Beauvais, XIII, 3475. A Cologne, XIII, 8343. A Autun, XIII, 2074 (originaire de Metz). A Metz, XIII, 4333, 4334, 11359 : je crois qu'il y avait à Metz une école importante de médecine, rattachée à quelque sanctuaire : un bas-relief trouvé dans le pays, à Sainte-Fontaine (Esp., n° 4131), paraît représenter cinq jeunes gens, sous la conduite d'un vieillard, allant offrir un coq à la divinité de l'endroit ; je crois que c'est la schola d'un médecin avec son maitre.

[194] N. précédente, en particulier le texte de Strabon.

[195] C. I. L., XIII, III, p. 604-6.

[196] Isochrysum et amethystinum.

[197] Pline, XXIX, 127 ; voyez du reste, pour l'oculistique, l'extraordinaire chapitre de Pline, XXIX, ch. 38. — Une opération aux yeux semble figurée sur un monument du sanctuaire de Montiers-sur-Saulx, Musée de Bar-le-Duc (Espérandieu, n° 4865) ; une autre, quoi qu'on ait dit, sur le monument de Mavilly (Esp., III, p. 107). )'incline à rapporter à ces opérations le nom de Apollo Mogounus (XIII, 5313). — Trousse de médecin oculiste trouvée à Reims, conservée au Musée de Saint-Germain (s. XVI. 4 G, p. 129, Reinach).

[198] Seulement, à notre connaissance, au premier siècle, époque de Crinas et de Charmis (Claude, Néron, Vespasien).

[199] Pline, XXIX, 9.

[200] Pline, XXIX, 10. On rapporte à ce médecin ce que Galien dit d'un Charmis qui recommandait à Rome l'antidote universel d'Ælius Gallus (XIV, 128, 114, 120, 127, De antidotis, Kühn). — Le Charmis de Marseille dont parle Élien (Hist. an., V, 38), qui écrivit sur le chant du rossignol, est évidemment un autre. — Il serait possible de faire des Gallo-Romains des deux Serenus Sammonicus [ce dernier nom peut être celtique], père et fils, contemporains des Sévères, dont l'un (Quinius Serenus, le fils ?) a laissé entre autres écrits des vers sur la médecine. — Nous n'avons à mentionner ici que pour mémoire Ausone le père et Marcellus Empiricus, qui appartiennent au IVe siècle.

[201] Le chiffre de la fortune laissée par lui à sa mort est chez Pline, c, mais il y a certainement erreur ; la correction c = 100.000 sesterces est inadmissible ; on peut supposer c = 10 millions de sesterces. Il en avait dépensé à peine moins de son vivant pour les constructions en question. Pline (XXVIII, 22) cite le prix de cc, 200.000 sesterces, 50.000 francs, demandé par Charmis pour une cure faite e provincialibus (pour un provincial venu à Rome ou soigné hors de Rome ?). A vrai dire, vu l'énormité des fortunes dans l'Empire, cela ne me parait pas excessif.

[202] Pline, XXIX, 10.

[203] Il est d'ailleurs possible que Crinas n'était point dupe ; mais, s'il avait agi laïquement, la mentalité des hommes de ce temps était telle, qu'il ne leur eût inspiré aucune confiance.

[204] Qu'il eût des rhumatismes, cela résulte du scholiaste d'Horace (ad Ép., I, 15, 3, p. 254-5, Keller), dolore arthritico laboraret. Et si le traitement ne lui réussit qu'à moitié, c'est qu'il souffrait aussi du foie (destillationibus jocinere vitialo, Suétone, 81). C'est alors qu'intervint le régime, d'ailleurs bien choisi, d'Antonius Musa, bains froids et cure de laitue.

[205] Architectus navalis à Arles, XII, 723.

[206] Philippus, architectus maximus, XII, 2993 [inscription douteuse].

[207] Peut-être, de toutes les sciences gréco-romaines, celle qui arriva en Gaule à son apogée, et qui y connut le plus tard la décadence, est-elle la res aquaria. Et j'entends par ce mot, et l'art des fontainiers, qui fut poussé très loin dans la construction des pompes (cf. Saint-Germain, n° 17324, Cal. ill., p. 214) ou des jets d'eau (voyez la curieuse description d'Apulée, X, 34) et des siphons, et la science des ingénieurs géomètres, qui arrivèrent, pour le transport des eaux, à noter les plus faibles dénivellements. Voyez les remarques de Belgrand à propos des prises d'eau de l'aqueduc de Lutèce (Les Travaux souterrains de Paris, III, 1877, p. 53) : L'ingénieur a profité, pour dériver les sources du groupe Chilly, de la seule dépression de terrain qui existe sur le plateau,... laquelle n'est pas appréciable.

[208] A Arles, XII, 722.

[209] A Autun, Eumène, Pro rest. sch., 20.

[210] A Cologne, XIII, 8355 : Doctus in compendia tot literarum et nominum notare currenti stilo quot lingua currens diceret.