HISTOIRE DE LA GAULE

TOME IV. — LE GOUVERNEMENT DE ROME.

CHAPITRE XVI. — LA RESTAURATION.

 

 

I. — LA FIN DE TETRICUS.

Ce qui permit à Tetricus de réaliser son désir sans nuire à la Gaule, c’est que les successeurs de Gallien furent d’excellents princes, comparables aux meilleurs des Antonins et des Sévères.

Le premier fut l’Illyrien Claude[1], ancien général de la frontière du Danube, proclamé d’abord par les officiers et l’armée, accepté aussitôt avec enthousiasme par le sénat et le peuple de Rome (24 mars 268)[2]. Tout de suite, l’œuvre de restauration commença.

Claude alla au plus pressé, qui était la défense des provinces centrales, envahies par les Goths[3]. Mais il ne se désintéressa point de la Gaule : un fort détachement de troupes fut envoyé au delà des Alpes, sans doute pour essayer de délivrer Autun (269)[4].

La mort subite de Claude (270) n’arrêta pas les progrès de l’unité. Son compatriote Aurélien[5], qui le remplaça, eut d’abord à reconquérir l’Orient. Ce ne fut qu’après trois ans (en 273) qu’il put songer à l’Occident, où Tetricus continuait son règne bizarre.

La fin de ce règne fut encore plus singulière. Tetricus ne fit rien pour le prolonger. Il ne défendit, contre l’armée d’Aurélien, ni les cols des Alpes ni les passages du Rhône[6] ou de la Saône ni les seuils des montagnes centrales ; il parait l’avoir tranquillement attendue sur les bords de la Marne, à Châlons[7], carrefour stratégique qui gardait les routes du Nord.

On peut penser, d’ailleurs, que Tetricus ne se souciait ni de stratégie ni d’opérations militaires. Il continuait à suivre son armée plutôt qu’à la conduire[8]. Cette lutte lui paraissait souverainement inutile. Il lui tardait de revoir la paix du monde[9]. Quand Aurélien s’approcha, il lui écrivit, dit-on, ce mot de Virgile : Eripe me his, invicte, malis, arrache-moi à ces maux, chef invaincu[10].

La bataille eut lieu cependant. Mais Tetricus se rendit ou se fit prendre au cours du combat[11]. L’armée perdit pied. Et Aurélien vainqueur n’eut plus qu’à constater la soumission de son rival et la défaite de l’Occident[12].

Pourtant, le rôle de Tetricus n’était point fini. Ses derniers actes furent les plus beaux de cette extraordinaire destinée. Tandis que la Gaule rentrait dans le monde romain, Tetricus voulut rentrer dans la carrière administrative, comme si rien de grave ne s’était passé au cours de sa vie publique[13]. Aurélien n’y vit aucun inconvénient, et lui rendit la place qu’il avait jadis occupée lors de son avènement à l’Empire, celle de gouverneur de province. Seulement, au lieu d’une région lointaine, Tetricus reçut un district italien, assez voisin de Rome[14] : ce qui était l’avancement normal. Un temps où pouvait se produire une pareille chose, ne manquait ni de vertu ni de noblesse.

Tetricus vécut longtemps encore, riche et considéré[15]. Et cet excellent homme fut à tout jamais le seul Romain qui, après avoir été César, Auguste et imperator, ait eu le courage de rester au service de l’État et le bonheur de mourir en paix.

 

II. — RÉFORMES D’AURÉLIEN.

Aurélien, après la bataille de Châlons, eut fort à faire pour remettre un peu d’ordre en Occident. Il dut punir des villes qui n’obéirent pas aussitôt, Trèves[16] et Lyon[17] : peut-être les capitales de la Gaule ont-elles regretté trop haut de ne plus appartenir à un empire indépendant. Il fit la chasse aux Barbares qui, cela va sans dire, avaient profité de la guerre civile pour circuler de ce côté-ci du Rhin[18]. Quand d’autres soins le rappelèrent en Italie, il confia la Gaule, afin d’y continuer la besogne commencée, à un de ses bons généraux, Saturninus, avec une autorité supérieure sur les pays de l’Occident[19].

C’était maintenir, le titre d’Auguste en moins, le cadre régional créé par l’Empire des Gaules. — Mais une telle décision s’imposait, si on tenait à mettre de l’unité et de la vigueur dans la défense de la frontière et dans la répression des désordres. Et il fallait bien d’autres mesures, si on voulait profiter des tristes expériences de la dernière génération, et soumettre la Gaule, provinces, armée et villes, à une organisation nouvelle en rapport avec ses nouveaux dangers. Il est probable que Saturninus fut chargé de ces réformes[20], suivant des plans arrêtés par son empereur.

La principale, semble-t-il, fut de renoncer à l’habitude des villes ouvertes, si tentantes pour les pillards barbares. Aurélien fit donner l’exemple par Rome elle-même : elle s’entoura, sous son règne, d’une puissante enceinte de murailles, longue de près de quinze milles[21]. Dans les Trois Gaules — je ne parle pas des colonies de l’Est et du Midi, qui avaient leurs remparts depuis l’origine —, les chefs-lieux des cités importantes durent imiter la capitale de l’Empire, et se transformer, l’une après l’autre, en sombres forteresses[22]. On commença sans doute par les villes les plus voisines de la frontière. Mais la règle s’étendit à toutes les autres : la tradition citait, parmi les premières de l’intérieur qui aient alors construit leurs remparts, Orléans[23] et Dijon[24].

D’autres mesures seront prises pour renforcer la résistance aux Barbares. — On dédoublera les cités trop grandes, qui se prêtaient mal à la défense militaire[25] : de celle des Carnutes, de celle des Santons, d’autres encore, il sera formé deux territoires municipaux, chacun d’eux, comme la nation d’autrefois, avec ses chefs et sa métropole, celle-ci maintenant fortifiée : Angoulême, chez les Santons, prendra rang de chef-lieu à l’égal de Saintes[26] ; Genabum ou Orléans, chez les Carnutes, à l’égal de Chartres[27]. — On rapprochera du Rhin les services généraux des provinces gauloises, pour donner plus d’autorité aux chefs militaires. Lyon va perdre, toujours au profit de Trèves, quelques-uns de ses privilèges[28] : le vrai centre de la Gaule devenait une citadelle de la frontière. — Peut-être enfin de rudes menaces furent-elles adressées aux Chrétiens[29].

C’est un nouvel Empire qui commence, où tout révèle la crainte du péril et le besoin de se défendre, hérissé de forteresses, plein de soldats, astreint à une discipline impérieuse, en état de siège permanent.

Mais cette réorganisation du monde exigeait le travail de nombreuses années. Aurélien se borna à l’ébaucher : il mourut moins de deux ans après avoir rendu l’unité à l’Empire (275). Et alors, comme dans les longues convalescences, une reprise soudaine du mal entrava le retour des forces.

 

III. — LA GRANDE INVASION DE 276.

A la mort d’Aurélien eut lieu un des beaux épisodes de l’histoire romaine. Les armées et le sénat laissèrent l’Empire vacant, et l’on crut au retour de la République. Puis, on s’entendit pour nommer Tacite (275), un noble et bon vieillard de soixante-quinze ans, et tout le monde continua à parler de l’ère de la liberté[30]. Le sénat l’annonça en termes délirants à la curie de Trèves, à celle de Carthage, associant à son enfantin enthousiasme les grandes cités de l’Empire[31]. Il revenait à ses idylles politiques du temps des Gordiens et de Decius.

Les Barbares accoururent aussitôt pour détruire la chimère. — Saturninus venait de quitter l’Occident[32]. Ce départ d’un grand chef, l’apothéose de la vie civile, la vieillesse de Tacite n’étaient point de nature à rétablir en Gaule l’esprit militaire. C’est à peine si on avait commencé de mettre le pays en état de défense. Les Barbares se hâtèrent de profiter des circonstances avant qu’il ne fût trop tard pour eux ; et, en 275[33], d’un commun accord, Alamans et Francs[34] traversèrent la frontière.

Ce qui se passa ensuite fut effroyable. Ni dans le passé de la Gaule ni dans celui de la France nous ne trouverions un malheur pareil. La migration des Cimbres, la conquête de César, l’invasion d’Attila, les pirateries des Normands, les guerres des Anglais, rien n’approche de la catastrophe de cette année (275-276)[35].

Par-dessus le fleuve passèrent, non pas quelques bandes disposées à revenir bientôt, mais des myriades d’hommes décidées à aller jusqu’au bout des terres. Personne ne put les arrêter. Des soldats, des chefs préposés aux frontières, il n’est question nulle part : peut-être, gagnés par les rêveries du sénat, se laissèrent-ils tous surprendre, comme des sentinelles endormies[36]. Au delà, les Barbares ne trouvèrent plus que campagnes épanouies et villes encore ouvertes. Et ce fut la grande curée dans la Gaule romaine.

Tout ce qui était cité sans murailles fut occupé ou traversé par l’ennemi. Cela fit soixante villes de perdues, un nombre égal à celui des nations dont les chers s’assemblaient au Confluent[37]. L’incendie dévora les édifices publics, les temples furent dépouillés de leurs trésors, les tombeaux profanés, les riches villas livrées au pillage[38]. Des merveilles que l’opulence et la paix de trois siècles avaient accumulées sur le sol de la Gaule, thermes, forums, basiliques, sanctuaires et théâtres, il ne resta que des pans de ruines enfumées. Personne au monde ne pourrait plus les relever et leur rendre la vie et la beauté[39].

Il n’y eut d’épargné que les villes à remparts, Trèves, Autun, Lyon, Narbonne et les colonies du Midi[40], peut-être aussi quelques villes du Centre, déjà fortifiées par Aurélien, et que les Barbares essayèrent en vain d’assiéger[41]. Mais ils entrèrent dans Paris, et les superbes édifices qui formaient à la montagne Sainte-Geneviève une radieuse couronne de pierre et de marbre, furent outragés, éventrés, déchiquetés. Ils franchirent la Loire, ils allèrent à Poitiers[42], à Bordeaux[43], plus loin encore, jusqu’aux Alpes[44] et aux Pyrénées[45].

Aujourd’hui, dans nos musées de France, le souvenir de cette catastrophe est inscrit sur les restes des monuments romains avec plus de force encore que celui de la splendeur impériale. Dans les salles où s’entassent les fragments lapidaires, presque tous sont des débris mutilés, et beaucoup sont abîmés par la flamme[46] : les Barbares de l’an 276 ont passé par là. Dans les vitrines où s’accumulent les petits objets, ce sont des milliers de pièces, des centaines d’amas de monnaies, trouvées enfouies sous terre ou dans les bois, et s’arrêtant à la date néfaste : c’est le vestige de la fuite des Romains, cachant leurs richesses devant l’ennemi qui arrive[47].

Ces malheurs auront cependant un avantage : les désastres de la Gaule feront que les successeurs d’Aurélien seront moins gênés par les souvenirs du passé. Les bourgades détruites, les villas en ruines, les trésors disparus, les populations décimées, les empereurs se trouveront plus libres pour continuer l’œuvre de restauration, imposer de nouvelles lois à l’État, et une forme nouvelle aux villes. Et les débris des monuments écroulés fourniront d’abondants matériaux aux remparts qui vont s’élever partout.

 

IV. — MISÈRES MATÉRIELLES.

Il est impossible que ces malheurs matériels, le désastre de 276, les invasions antérieures, les guerres civiles, les révoltes, n’aient pas bouleversé la société aussi profondément que le sol,

Le commerce et l’industrie des villes durent traverser des crises atroces[48]. Nous cessons de suivre les traces des grandes corporations qui ont fait leur richesse dans les siècles précédents. Inscriptions, sculptures, bronzes et poteries même, tout ce qui se fabrique devient beaucoup plus rare dans les Gaules. La vie de travail, qui décroissait lentement depuis la fin des Sévères, semble s’arrêter.

On peut supposer les pires misères chez les petites gens, paysans ou citadins. La destruction des grands édifices et des cimetières entraînait le chômage de ces multitudes d’ouvriers, artisans, gladiateurs, domestiques et valets de tout genre, dont la vie se passait au service des thermes, des tombeaux, des aqueducs, des temples et des lieux de spectacle. La ruine des campagnes réduisait au vagabondage des milliers de cultivateurs, colons libres ou esclaves de la glèbe. Au temps où les empereurs revinrent pour chasser les Barbares, ils ne surent plus comment nourrir leurs soldats. On avait cessé de semer et de récolter : le blé et le bétail manquaient, et les hommes mouraient de faim[49].

Lorsque l’ennemi quittait le pays, c’était pour le laisser en proie aux horreurs de la jacquerie. Des bandes d’affamés ou de misérables ajoutèrent, si cela fut possible, au mal commis par les invasions. Les chemins étaient sillonnés de ces terribles maraudeurs que les Gaulois appelaient des Bagaudes, cherchant dans les décombres ce qui avait échappé aux Barbares. Nous les avons déjà vus sous Tetricus, grossissant les troupes des soldats acharnés contre Autun[50]. Nous les verrons bien souvent encore, toujours prêts à s’enrôler sous les ordres d’un chef de bandits, d’un officier insurgé, d’un prétendant à l’empire[51].

La Gaule perdit, en ces tristes années, une bonne partie de sa population. Beaucoup d’hommes périrent sous les coups des Barbares ou furent emmenés par eux comme esclaves[52]. Je suppose qu’ils firent une énorme razzia de femmes[53]. La détresse acheva bien des êtres. Quand, la paix revenue, on se mit à rebâtir les villes, on put se contenter d’un terrain fort inférieur à celui qu’elles avaient occupé jusque-là[54]. Paris abandonna la montagne Sainte-Geneviève et la rive gauche, pour s’enfermer, comme aux temps gaulois, dans file de la Cité[55]. Les colonies qu’avaient fondées jadis Auguste et César, embrassaient jusqu’à six mille mètres de pourtour[56] : les nouvelles villes n’en ont jamais beaucoup plus de deux mille[57]. C’est dans un angle de ses anciens remparts que végète maintenant Autun, vingt fois moins grand qu’au temps d’Auguste[58].

Quelle perturbation tous ces maux apportèrent à la vie communale ! Les hommes n’avaient plus le goût d’y participer en qualité de magistrats ou de sénateurs. Responsables de l’ordre en ce temps d’anarchie, responsables de l’impôt en ce temps de désastres, que pouvait être la situation des décurions et des duumvirs ? Le patriotisme municipal va rarement jusqu’à braver la mort et accepter la ruine. Un citoyen fuyait le décurionat comme une nouvelle peste. On a reproché aux Chrétiens d’avoir, par esprit de dévotion, fait le vide dans les sénats locaux : la rigueur du siècle suffit d’abord à en détourner les hommes[59].

 

V. — NOUVEAUX PROGRÈS DE L’ARISTOCRATIE FONCIÈRE.

La seule puissance sociale qui ne succombât point sous le poids de ces malheurs, était l’aristocratie foncière[60]. Qu’elle ait beaucoup perdu, villas, maisons et trésors, cela va de soi. Mais il lui était possible de réparer ses pertes, car elle demeurait maîtresse du sol, dont elle vivait et qui seul permettrait aux autres de vivre encore. Les nouveaux désastres, loin de nuire à son autorité, la rendirent plus utile et plus réelle. Un riche seigneur pouvait seul secourir les malheureux qui l’environnaient, il était leur recours naturel, il devenait leur protecteur, leur patron, leur sauveur même. D’une période d’anarchie, la grande propriété sort presque toujours plus grande encore. Au milieu de ces terres en friche et de ces maisons en cendres, de ces fermiers endettés et de ces biens abandonnés, rien n’était plus facile, pour le maître d’un vaste domaine, que de l’étendre sans mesure, annelant des parcelles dont personne ne voulait plus, se bâtissant un royaume terrien avec les épaves d’un voisinage ruiné[61]. Après que les Barbares se seront retirés, beaucoup de ces riches seigneurs se feront bâtir leurs nouvelles villas sur le modèle des villes que les empereurs élèvent à côté d’eux : ils leur donneront l’aspect de citadelles, avec remparts, fossés, portes et tours[62]. Ils pourront, sous l’abri de cette forteresse qui leur appartient, attendre avec moins de crainte le retour de l’ennemi, et protéger contre lui non pas seulement leur famille et leurs biens propres, mais aussi la foule de serviteurs, de clients, de paysans et de pauvres, dont- le sort est désormais lié à leur fortune. Si d’autres malheurs arrivent sur la Gaule, la grande aristocratie concourra à son salut.

Mais si la paix se rétablit, cette noblesse apportera à l’Empire de graves ennuis. Il sera difficile à l’État de contenir dans de justes limites l’autorité qu’elle a prise. Appuyée sur la force de ses remparts et le nombre de ses serviteurs, elle pourra braver les magistrats et maltraiter les hommes du voisinage, usurper des droits publics, lever des soldats ou louer des mercenaires, et le seigneur s’érigera en maître, despote ou rebelle[63]. Le mal des invasions et des guerres civiles rendit à l’aristocratie des Gaules l’orgueil et la puissance qu’elle avait eus au temps de la liberté celtique.

 

VI. — PROBUS DÉLIVRE LA GAULE[64].

Par bonheur pour tous, à l’heure même de la catastrophe, le vieux Tacite étant mort, l’armée et le sénat s’accordèrent pour donner l’empire au Pannonien Probus[65] (276), dont les Romains ont dit qu’il était la perfection même : vaillance, bonté, esprit de décision, amour de la justice, activité inlassable et bienfaisante, il parut un Alexandre Sévère arrivé à la plénitude des talents et des vertus[66].

Il se hâta d’accourir en Gaule par le Danube et le Rhin avec toutes les forces disponibles[67]. Il semble qu’il ait voulu d’abord fermer la frontière aux Barbares errant à l’intérieur, pour se rabattre ensuite sur eux et n’en point laisser échapper. Une partie de ses hommes furent expédiés sur le bas Rhin, du côté des Francs. Lui-même s’installa sur le haut Rhin, du côté des Alamans. Et la chasse aux Germains commença (277)[68].

Ce fut, à travers leurs bandes, un carnage pareil à celui qu’ils avaient fait en Gaule. Probus s’arrangeait de manière à ne rencontrer à la fois que de petites troupes, qu’il était sûr d’écraser[69]. Il finit par massacrer, dit-on, jusqu’à quatre cent mille ennemis[70]. Au reste, il ne les tuait qu’à son corps défendant. Il préférait faire des prisonniers qu’il expédiait ensuite dans les provinces comme soldats ou laboureurs[71]. D’autres captifs étaient échangés contre le butin ou les Romains que les Barbares avaient enlevés l’année précédente[72]. Probus voulait que cette guerre, au lieu de ne faire que détruire, servit aussi à réparer.

Du côté du Rhin ou du Danube, outre les Francs et les Alamans[73], Probus eut à combattre bien d’autres peuples. Une série de batailles furent livrées contre les Burgondes et les Vandales[74] ; une autre, contre des Lygiens ou des Semnons[75]. Ces nations venaient de fort loin, de l’Elbe, de l’Oder ou de la Vistule, Peut-être n’avaient-elles point pris part à la grande curée de 276. Mais le bruit du butin fait par les Francs et les Alamans avait sans doute pénétré jusqu’à elles, et elles se précipitaient pour avoir leur part du profit.

L’arrivée de Probus, sa lutte contre la Germanie presque entière, sa victoire décisive sur elle, changèrent, dans cette volte-face miraculeuse de la Fortune, le désastre gaulois en un triomphe universel. Neuf rois barbares, partis de l’autre côté de la frontière, vinrent se jeter aux pieds de l’empereur, et s’engagèrent à lui livrer seize mille mercenaires comme otages, à lui payer un tribut annuel[76]. Probus franchit le Rhin à son tour, pénétra dans la Souabe, releva une fois de plus la ligne de remparts qui l’enfermait, et de nouvelles défenses se dressèrent sur le Neckar[77]. Des traités de paix furent conclus même avec des peuplades de l’Elbe[78]. Et, au delà du hein et de la grande forêt, le nouveau maître de Rome, comme autrefois Maximin, Marc-Aurèle, Drusus et César, aperçut encore le mirage d’une Germanie romaine[79].

 

VII. — L’ŒUVRE DE PROBUS.

C’étaient ces réveils triomphaux de l’Empire romain qui frappaient de stupeur ses ennemis et suscitaient jusqu’au délire les espérances de ses peuples. Probus parut à la Gaule un dieu descendu sur terre pour la sauver. Aucune persécution religieuse ne ternit ses droits à la reconnaissance des hommes[80]. Toutes les villes lui offrirent des couronnes d’or, qu’il consacrait dans les temples[81]. Des récits extraordinaires se répandirent sur les secours mystérieux qu’il avait reçus du ciel. On racontait qu’un jour où l’armée souffrait de la disette, il tomba une abondante pluie de grains de blé, à former des monceaux devant les tentes des soldats[82].

Probus fut peut-être le seul à ne point s’enivrer de la victoire, et à garder le sens des choses. Pas une seule imprudence ne fut commise par lui[83]. Les seize mille Barbares qu’il avait pris comme auxiliaires, pouvaient former des troupes dangereuses si on les laissait ensemble : il les établit, par bandes de moins de cent, dans toutes les provinces de l’Empire[84]. Les soldats risquaient, dans les années de paix qui allaient suivre, de s’énerver à ne rien faire : il leur fit bâtir des forteresses, réparer les routes, et même planter des vignes[85].

Car, pour rendre à la Gaule une partie de ses richesses, il avait enfin abrogé l’édit qui limitait le nombre de ses vignobles[86]. Le vin était alors, comme aujourd’hui, la récolte qui rapportait le plus, et l’on savait que la Gaule lui offrait les meilleurs terrains de l’Empire. Cette mesure de Probus fut pour son sol l’ère d’un temps nouveau. Les vignes se pressèrent sur les collines du Bordelais[87] et sur les coteaux qui entourent Paris[88]. Une source de prospérité se répandit sur ces provinces, prostrées sous les misères il y avait à peine quelques mois. La vie renaissait dans les glèbes[89], l’or reparaissait dans les temples, les soldats montaient la garde aux frontières, des remparts s’élevaient autour des villes et des châteaux[90], et la Gaule pouvait envisager avec confiance ses prochaines destinées.

 

VIII. —DERNIÈRES CONVULSIONS.

Il y eut bien encore, de loin en loin, quelques courtes convulsions, dernières traces du mal qui s’éteignait.

Sous Probus, un chef d’armée, Proculus, prit la pourpre à Cologne. sollicité par les gens de Lyon, qui ne se consolaient sans doute pas de la déchéance de leur cité[91] ; l’empereur en fut débarrassé sans avoir besoin d’une vraie guerre (280 ?)[92]. Un autre usurpateur, du côté du haut Danube, ne réussit pas davantage (280 ?)[93]. Les Gaulois paraissaient enfin las de changer de maître.

Probus, pourtant, périt comme tant d’autres chefs, égorgé par les soldats qu’il obligeait à de rudes travaux (282)[94]. Mais la mort du grand empereur n’arrêta point la régénération de l’Empire.

Il avait formé d’excellents généraux, qui le remplacèrent et continuèrent son œuvre[95] : Carus[96], qui lui succéda tout de suite[97], puis, après une courte incertitude, Dioclétien (284).

Celui-ci devait régner plus de vingt ans, ce qui ne s’était point vu depuis les Antonins, et mourir dans son lit[98]. Cela, plus qu’autre chose, signifiait que l’Empire était enfin restauré dans toute sa force et venait d’entrer dans une nouvelle phase de sa vie.

 

IX. — DES CAUSES DU SALUT DE L’EMPIRE.

Depuis quinze ans que Gallien a disparu, Nome n’a été gouvernée que par des maîtres excellents, généraux intelligents, administrateurs de mérite, hommes de courage, de travail et de devoir. Ces souverains, Claude, Aurélien, Tacite, Probus, se sont tellement ressemblés dans leur conduite et leur caractère, qu’on les dirait appartenir à une même lignée, admirable et ininterrompue. On vient de voir la grandeur de leurs entreprises. La rénovation de l’Empire est d’abord l’œuvre de ces chefs, c’est-à-dire de quelques hommes.

Cette suite de bons empereurs rendit confiance aux provinces. Elles persistèrent à penser que les dieux ne cessaient point d’aimer l’Empire. Pour connaître les hommes de ce temps, rappelons-nous l’intensité de leurs sentiments religieux. Ils croyaient au Génie du Peuple Romain[99], divinité mystérieuse et redoutable, dont la présence invisible animait les plus grands des Césars, dont la colère provoquait les mauvais règnes. Après la mort de Gallien, le Génie regarda de nouveau du côté de ses peuples, ils sentirent qu’il les protégeait encore : il inspirait le choix le meilleur à ceux qui nommaient les princes et les actes les plus dignes aux princes qu’on avait choisis.

Car ces quatre souverains ont été choisis et ne se sont point imposés. Leur proclamation est le fait de volontés libres et de décisions mûries. Armée et sénat s’entendaient pour chercher de bons candidats. C’est l’armée, ou, plutôt, l’état-major qui nomma Claude, Aurélien et Probus ; c’est le sénat qui nomma Tacite. Entre elles, les jours d’élection, l’une et l’autre puissance rivalisaient parfois de compliments et de déférence[100].

J’affirme, du moins pour ce temps-là, que ces attitudes étaient sincères. Officiers et sénateurs paraissent animés de passions généreuses, de sentiments désintéressés, d’une conscience profonde de la dignité romaine. Nous n’avons rien vu de pareil depuis la mort d’Alexandre Sévère. Une nouvelle génération est arrivée au pouvoir, forte et réfléchie, dont la jeunesse a subi l’expérience d’angoisses et de, désastres, qui trouve et qui veut les mesures propres à sauver l’État. Elle s’associe avec les princes qu’elle a désignés. Et cette ardente collaboration, ces efforts de tous pour rétablir la majesté de l’Empire, est un des plus beaux spectacles qu’ait offerts l’histoire de Rome, plus émouvant que la paix des Antonins et que les conquêtes de César.

Comme j’aimerais à savoir quelles leçons ont instruit cette société nouvelle, qui engendre l’Empire à une seconde vie ! Elle n’était certes pas chrétienne, et je l’imagine plutôt hostile au Christianisme. Axais elle n’était pas non plus l’élève des philosophes grecs, disparus de la scène publique depuis Marc-Aurèle, ni la disciple des légistes syriens, qui avaient gouverné le monde au temps des Sévères. Ses croyances religieuses l’entraînaient surtout vers les grands cultes de la nature et de la vie, la Terre-Mère et le Soleil[101], ou encore vers une vague Providence qui confond en elle tous les dieux[102]. Le peu que nous puissions lire des écrits de ce temps, est de la pure rhétorique, de forme banale et vide de sens[103]. C’est ailleurs qu’il faut placer la discipline morale qui a guidé les âmes de ces hommes de devoir, soldats comme Probus ou sénateurs comme Tetricus.

Leur passion principale, inspiratrice de leurs pensées et de leur vie, a été Rome même, son histoire, sa grandeur, son avenir. Ils étaient bien les hommes nés aux approches du millénaire de la Ville. C’est cette religion du nom et du destin romains qui explique pourquoi les soldats, enseignes au repos, demandent un empereur au sénat[104] ; pourquoi Tetricus, Auguste en Gaule, abandonne le pouvoir afin de rendre l’unité à l’Empire ; pourquoi le sénat, dans un jour d’enthousiasme, déclare que le monde est libre et n’obéit qu’à des magistrats. La patrie fut la souveraine divinité de ces hommes : elle était alors si vaste et si riche en souvenirs, qu’elle suffisait à leur adoration[105], comme le culte de l’hellénisme a suffi à tant de Grecs et comme celui de la liberté, dans les premières années de la Révolution, devait satisfaire tant de Français.

Faisons aussi, pour comprendre ce renouveau, la part des provinces et des armées illyriennes, situées au centre de l’Empire. Les empereurs dont nous venons de parler et beaucoup de ceux qui régnèrent ensuite, étaient illyriens de naissance. Les meilleurs de leurs soldats l’étaient également[106]. C’est de ces pays que sortait le dieu le plus populaire de ce temps, le Soleil, patron céleste des armées romaines. Peu importait qu’on l’adorât sous les espèces et suivant les rites de Mithra : il n’en était pas moins, par son origine, le dieu des grandes montagnes et des vieux sanctuaires de l’Europe danubienne[107]. Les hommes de ces régions, quelle que fût leur ascendance nationale ; Celtes, Ligures, Thraces, Daces ou Illyriens, formaient une espèce très vaillante, disciplinée, solide, sans l’éclat intellectuel de l’Hellène ou la fougue aimable du Gaulois, mais faite pour la résistance et incapable de se décourager[108]. Si, dans les beaux jours de l’Empire, elle n’ajouta rien à sa gloire, elle aida plus que toute autre à son salut dans le siècle de sa détresse.

Mais ce salut fut aussi l’œuvre de l’aristocratie foncière. Celle-ci établissait, entre les terres et les hommes de l’Empire, un lien plus fort encore que le culte de Rome, que l’autorité du prince, la puissance d’une armée et la constance des provinces illyriennes. Les grands propriétaires de Gaule, sénateurs romains, constituaient, avec ceux du reste du monde, un seul corps de noblesse, dont les membres avaient la même culture, les mêmes traditions, les mêmes ambitions : et cela, chez eux, façon de vivre ou de penser, choses de l’esprit ou de l’âme, leur venait de la tradition romaine. C’était une immense fraternité sociale, maîtresse à la fois du sol provincial et des honneurs publics, et faisant circuler à travers l’Empire le souffle d’une volonté commune[109].

Enfin, ce qui rétablit l’Empire et prolongea sa vie, c’est que les trais siècles vécus par lui avaient changé son unité politique en union morale. Assurément, il restait de profondes divergences entre les provinces, et beaucoup de Gaulois, dans leur langue, leur religion, leurs mœurs, demeuraient fidèles à des habitudes régionales. Mais ces divergences étaient moins fortes que les ressemblances, et le maintien de quelques coutumes n’empêchait pas les Gaulois d’appartenir, corps et âme, à la culture gréco-latine. — C’est cette culture qu’il convient maintenant d’étudier : recherchons comment elle a transformé les hommes et le sol dé notre pays.

 

FIN DU QUATRIÈME TOME

 

 

 



[1] Imp. Cæsar M. Aurelius Claudius Augustus. — Homo, De Claudio, 1903.

[2] Zosime, I, 41 ; Claudius, 15, 2 ; 4, 2 ; etc. — La date est contestée.

[3] Zonaras, III, 26 ; Zosime, I, 42-46 ; etc.

[4] C. I. L., XII, 2228 ; cf. III, 1551. Il semble bien que le détachement se soit arrêté à Grenoble, peut-être par suite de la chute d’Autun, et que Grenoble ait été sous ce règne et celui d’Aurélien le lieu de concentration des armées romaines pour surveiller et menacer les empereurs des Gaules. — Claude fut reconnu dans les Alpes Maritimes, toujours zélées pour les nouveaux empereurs (inscription de Briançonnet, Revue épigr., 1898, n° 1244). — Il est probable qu’il recouvra également, et sans peine, et dès 268, toute l’Espagne (cf. Markl, Num. Zeitschrift de Vienne, XVI, 1884, p. 416) ; le texte de l’Histoire Auguste (Claudius, 7, 5) ne s’applique qu’au début du règne.

[5] Imp. Cæsar L. Domitius Aurelianus Augustus. — Homo, Essai sur le règne de l’empereur Aurélien, 1904.

[6] Il est cependant possible que Lyon ait opposé quelque résistance (Hist. Auguste, Proculus, 13, 1).

[7] Apud Catalaunos, Eutrope, IX, 13 ; Jordanès, Rom., 290 ; clade Catalaunica, Pan., VIII [V], 4 ; Eusèbe et Jérôme (aput Catalaunos), année d’Abraham 2289.

[8] Il semble qu’alors un gouverneur de la Belgique, Faustinus, præses, se soit révolté contre lui à Trèves, mais pour faire la guerre à Aurélien pour son compte ; Aurelius Victor, De Cæsaribus, 35, 4 ; Polémius, p. 522.

[9] Aurelianus, 32, 3. — Je placerais à cette date l’usurpation de Domitianus, connue par un bronze trouvé près de Nantes (Revue num., 1901, p. 319-324), si du moins elle eut lieu en Gaule (contra, Zosime, I, 49, 4 ; cf. Homo, Aurélien, p. 81 ; Stein, Mener Studien, XXIV, 1902, p. 339-346).

[10] Virgile, Énéide, VI, 365 (Eutrope, IX, 13 ; Orose, VII, 23, 5 ; Triginta tyranni, 24, 3).

[11] Aurelianus, 32, 3 (Tetrico exercitum suum prodente) ; Jord., Rom., 290 ; Eutrope, IX, 13 ; Aurelius Victor, De Cæsaribus, 35, 4-5.

[12] Outre les textes de la note précédente, Aurelius, 41, 8 ; Zosime, I, 61, 5 ; Zonaras, XII, 27.

[13] Si ce n’est qu’il apparut avec son fils au triomphe d’Aurélien (Aurelius, 34, 2), et vêtu à la gauloise, clamide coccea, tunica galbina, bracis Gallicis : ce qui devait former un costume fort bariolé et fort éclatant, écarlate et jaune, et ce qui prouve la persistance du vêtement indigène en vestes versicolores.

[14] La région de Lucanie ; Eutrope, IX, 13 ; Aurelius, 39, 1 ; Trig. tyr., 24, 5 ; Aurelius Victor, De Cæsaribus, 35, 5 ; Épit., 35, 7.

[15] Lui et son fils : Eutrope, IX, 13 ; Trig. tyr., 24, 5 ; 25 ; Aurelius Victor, De Cæsaribus, 35, 5. La maison des Tetricus se trouvait sur le Célius, entre les deux bois, en face de l’Isium de Metellus [au sud et près de la via Labicana actuelle, en avant de l’église des SS. Pietro e Marcellino ?] ; Tetricus y fit installer une mosaïque représentant Aurélien lui donnant, à lui et à son fils, la prétexte et la dignité sénatoriale [consulaire ?], recevant d’eux le sceptre, la couronne et la cyclas impériale. Et la présence d’un tel tableau, dans la maison d’un ancien empereur, était une chose étonnante et belle.

[16] Il fallut y soumettre Faustinus.

[17] Lugdunensibus, qui et ab Aureliano graviter contusi videbantur (Proculus, 13, 1).

[18] Les Francs ? Aurelius Victor, Cæsaribus, 35, 3 ; Aurel., 33, 4. — On peut également alléguer ici les trésors de monnaies enfouis sous Tetricus, très nombreux dans la région entre Rhin et Seine (Blanchet, p. 41=2 ; Homo, p. 118). — Il y eut peut-être aussi des incursions de pirates, Saxons ou autres, sur les côtes de la blanche (mène argument ; Blanchet, p. 41-2 ; Homo, p. 117-8). — Il est possible que cette campagne sur le Rhin, pendant ou après le séjour d’Aurélien, ait été confiée à Probus, peut-être avec un commandement supérieur sur la frontière du bas Rhin (Probus, 12, 3).

[19] Cela parait résulter de l’Histoire Auguste (Saturninus, 9, 5) : la chose est souvent contestée (en dernier lieu, Prosop., III, p. 176). Une allusion à cette organisation des pouvoirs, chez Zonaras, XII, 27. — La création de ce grand gouvernement s’explique également par la mesure prise alors (Homo, p. 146-7), de ne plus confier l’une et l’autre Germanie qu’à un chevalier, præses (cf. C. I. L., XI, 1641). Ce chevalier, d’ailleurs, ou ce præses, est simplement l’héritier, de ces procuratores délégués au gouvernement des provinces, de plus en plus nombreux au milieu du IIIe siècle. Il fallait bien un chef supérieur pour imposer une direction commune à ces moindres fonctionnaires.

[20] Instauravi Gallias, lui fait-on dire (Saturn., 9, 5). — Réparation de routes, sous Aurélien, le long du Rhône, rive gauche (XII, 5548-9, 5553), rive droite (5561, 5571), voie Aurélienne (5456), près d’Orléans (XIII, 8973), en Armorique (XIII, 8997), sur le Rhin (XIII, 9139).

[21] Aurelius, 39, 2 [quindecim ?] ; en réalité, douze milles trois quarts, Homo, p. 261.

[22] Il est possible que l’idée première en soit venue à Valérien et à ses généraux après les évènements de 253, car on trouve alors la mise en état des anciens remparts de Cologne, et, hors de la Gaule, les enceintes de Vérone en 265 (C. I. L., V. 3329) et d’Athènes (Zosime, 1, 29, 4). Les empereurs gallo-romains ont pu l’appliquer, par exemple à Trèves et sur les bords du Rhin (Lélianus restaura plerasque Galliæ civitates, Trig. tyr., 5, 4). Mais il s’agissait alors surtout de villes fortes à réparer (du moins d’après l’état actuel de nos connaissances). — La fortification des villes ouvertes, après Aurélien, fut continuée surtout par Probus, puis par Dioclétien (Grenoble, C. I. L., XII, 2229 : celle-ci pas encore chef-lieu de civitas), et, sans doute, plus tard encore (Dax, chef-lieu de cité, Revue des Ét. anc., 1901, p. 214 ; Bayonne, Revue des Ét. anc., 1905, p. 154 : non chef-lieu). La mesure fut sans doute progressivement étendue à des villes moindres. — Villes fortes signalées par les textes : sous Dioclétien, Boulogne (Panegyrici, V [VIII], 6), Grenoble (C. I. L., XII, 2229), Langres (Eutrope, IX, 23) ; sous Julien, Sens (Ammien, XVI, 4, 2), Paris (Julien, Mis., p. 340 d, Sp.), Troyes (Ammien, XVI, 2, 7), Besançon (Julien, Epist., 38, p. 414 c, Sp. = p. 535, H.), Amiens (Sulpice Sévère, V. Martini, 3, 1) ; sous Valentinien ou ses fils, Bordeaux (Ausone, Urbes, 140). Pour Tours, Dijon, Orléans, voyez le deuxième et troisième note ci-dessous. Dijon n’était pas chef-lieu, Orléans l’était peut-être dès lors. Je ne peux affirmer que Langres et Besançon, qui étaient libres ou colonies, n’aient pas reçu des remparts à une époque antérieure. Je néglige les remparts cités dans les Vies de saints, genre de source très suspect. Pour ces villes et toutes les autres places fortes, la date, aux abords de l’an 300, que-nous assignons à leurs remparts, résulte de ce que, jusqu’ici, l’on n’a trouvé dans les matériaux de leurs assises aucune inscription postérieure à l’Empire gallo-romain. Voyez les preuves détaillées dans les travaux suivants. — Schuermans, Remparts d’Arlon et de Tongres, paru dans Bull. des Commissions royales d’Art et d’Archéologie, XVI, 1877 ; XXVII, 1888 ; XXVIII, 1889 ; XX1X, 1890 (le premier de notre temps à avoir indiqué fermement cette date pour l’ensemble des remparts de la Gaule : on pensait autrefois, d’ordinaire, à la période des invasions du Ve siècle ; mais bien des érudits avaient déjà proposé, au moins dès le XVIIIe siècle, la date de 300) ; Jullian, Inscriptions romaines de Bordeaux, II, 1890, p. 293 et s. ; Blanchet, Les Enceintes romaines de la Gaule, 1907.

[23] Sur des preuves très faibles : 1° le nom, civitas Aurelianorum ou Aureliani (cf. C. I. L., XIII, 921), qui peut venir, aussi bien que d’Aurélien, de n’importe quel empereur appelé Aurelius, Caracalla, Probus et bien d’autres, ou qui même, à la rigueur, a pu être le nom, Aurelianum, d’un domaine d’un faubourg de Genabum, nom passé ensuite à toute la ville ; l’attribution à Aurélien est une tradition constatée au plus tôt vers l’an 1000 (cf. Soyer, Mém. de la Soc. d’Agr.... d’Orléans, X, 1910, p. 74-88) ; 2° la présence d’un milliaire l’Aurélien sur la route d’Orléans à Paris (C. I. L., XIII, 8973).

[24] Tradition rapportée par Grégoire de Tours, veteres ferunt (Hist. Francorum, III, 19), mais qui ne repose peut-être que sur quelque récit de Vie de saint [celle de Bénigne ?]. — Peut-être Tours a-t-il été fortifié par Aurélien, si on accepte pour 275-6 son mystérieux siège par les Francs.

[25] Je n’ai aucun argument à alléguer pour rapporter ce dédoublement à Aurélien (j’ai pensé un instant à Caracalla), et il est probable qu’il ne se fit pas partout en même temps, qu’il dépendit de circonstances locales, et que, dans la plupart des cas, il est de beaucoup postérieur à ce règne. hais j’ai estimé devoir en parler ici, parce que je crois qu’il se rattache à la transformation dés villes en places fortes : une ville, non chef-lieu, comme Orléans ou Angoulême, une fois devenue place de guerre, devait tendre à revendiquer le titre de chef-lieu ou civitas. — Outre ces deux, dont nous allons parler, citons les suivantes : Châlons détaché de Reims, peut-être avant 350 (Ammien, XV, 11, 10 ; Notice des Gaules, 6, 4) ; Boulogne et Thérouanne, dédoublement des Morins, disjointes sans doute de très bonne heure, 300 au plus tard (Notice, 6, 12-3) ; Auxerre séparée de Sens ou des Éduens, également d’assez bonne heure (C. I. L., XIII, 921) ; les Rutènes dédoublés en Rutènes de Rodez et gens d’Albi, Albigenses (Notice, 12, 4-5 : dédoublement qui a une cause très ancienne). Verdun démembré des Médiomatriques de Metz (Notice, 5, 3 et 5) ; de Vienne, ou de l’ancien peuple des Allobroges, se détachent les cités de Genève et Grenoble (peut-être seulement sous Gratien, qui donna son nom, Gratianopolis, à l’ancien Cularo ; peut-être sous Dioclétien et Maximien, qui donnèrent des murailles Cularonensibus, C. I. L., XII, 2229) ; chez les Éduens, formation des cités d’Autun, Chalon (Ammien, XV, 11, 11), Mâcon, Nevers (les deux premières avant 350, les autres à des dates très incertaines) ; les Tarbelles de Dax (ou peut-être une autre cité) voient Aire, civitas Aturensium, se constituer en cité à leur détriment (Notice, 14, 9). — On verra que tous ces morcellements ont leur principe dans l’existence de très grands pagi, ayant conservé, dans l’ensemble de la civitas, des habitudes propres. — Faisant cela, les empereurs du III’ et du IVe siècle ont continué l’œuvre qui s’était déjà faite dans la Gaule indépendante, qu’avait reprise Auguste en morcelant les grandes cités du Midi, qui s’était produite par exemple chez les Voconces. Et après l’Empire romain, les rois barbares la continueront. — En Aquitaine seulement, on revient sur la concentration opérée par Auguste.

Inversement, et, sans doute aussi, souvent plus tard qu’Aurélien, on groupa ensemble sous un seul chef-lieu plusieurs cités voisines : cela, je crois, parce que ce chef-lieu avait seul reçu des remparts. — Ainsi, les Ambarres et peut-être les Ségusiaves sont rattachés à Lyon (Notice, 1, 3) ; peut-être Carcassonne et Roussillon (Elne) à Narbonne (Notice, 15, 2) ; les Calètes de Juliobona ou Lillebonne sont rattachés à Rouen (Notice, 2, 2) ; Bayeux englobe les Viducasses de Vieux (Not., 2, 3) ; dans les Alpes Pennines ou valtis Pœnina, les quatre petites cités (C. I. L., XII, 147) n’en forment plus qu’une seule, Vallenses (Notice, 10, 3). — Ce mouvement de concentration, dont nous avons vu également l’équivalent sous Auguste, se continuera également après l’Empire. — L’une et l’autre chose, après tout, groupement et morcellement, seront éternelles sur le sol de France, suivant que les circonstances donneront plus de force aux affinités naturelles de régions voisines ou à leur besoin d’isolement.

[26] Civitas Santonum et civitas Ecolisnensium, séparées avant le dernier quart du IVe siècle (Ausone, Epist., 15, 22 ; Notice, 13, 4 et 5). — Je ne crois pas qu’on puisse faire état de l’épiscopat d’Ausone pour placer au IIIe siècle la création de la cité d’Angoulême.

[27] Civitas Carnotum, Chartres, et civitas Aurelianorum, séparées sans aucun doute avant la fin du IVe siècle (Notice, 4, 3 et 7 ; C. I. L., XIII, 921).

[28] Lyon garda cependant sa Monnaie, Vienne et Cologne perdirent la leur, on peut supposer aussi Trèves, mais pour un instant seulement (Blanchet, Manuel, I, p. 138). — Il semble qu’Aurélien soit revenu en Gaule au début de 275 (Aurel., 35, 4), pour y réprimer des troubles (Zonaras, XII, 27 ; Georges le Syncelle, I, p. 721, Bonn), et on a conjecturé qu’il y avait un lien entre ces troubles et ceux des monétaires de Rome (Homo, p. 311). C’est peut-être alors qu’il frappa Lyon.

[29] Il n’est pas impossible qu’elles aient été la conséquence de progrès faits par les Chrétiens sous les empereurs gallo-romains. Mais tout cela, progrès et persécution, est chose fort incertaine. Car, bien que la tradition ait multiplié les martyres sous Aurélien, j’hésite à les accepter, au moins pour le compte de cet empereur : 1° les écrivains chrétiens eux-mêmes ne faisaient d’Aurélien un persécuteur qu’à la dernière heure de sa vie ; 2° Grégoire de Tours ne prononce jamais son nom à propos de vies de saints ; 3° la tradition a toujours eu une tendance à attribuer à Aurélien des faits antérieurs et postérieurs, sans doute par suite d’une confusion de son nom avec celui d’empereurs persécuteurs au nom d’Aurelii (Marc-Aurèle, Caracalla, Dioclétien, Maximien, etc., tome VI). Toutefois, une persécution en 275, au moment des troubles qui auraient motivé un voyage d’Aurélien en Gaule, une persécution à cette date est une chose possible, si l’on songe qu’en 274 Aurélien dédia à Rome le grand temple du Soleil, que des solennités de ce genre exaltaient toujours les peuples de l’Empire, et que, par exemple, la persécution de Lyon en 177 a suivi les dédicaces faites en 176 en l’honneur de la Mère. — Quoi qu’il en soit, les martyrs attribués à Aurélien peuvent se répartir en deux groupes. — I. Ceux dont on ne donne guère que le nom et le supplice, et au sujet desquels il est encore impossible de rien supposer (cf. Tillemont, Mémoires, IV, p. 345-350) : Révérien et autres, à Autun (1er juin, Acta, I, p. 40), Prisque, Cot et autres, à Cociacus ou Saints dans le pays d’Auxerre (26 mai, VI, p. 363), Julie et autres, à Troyes (21 juillet, V, p. 133), Sanctien, Augustin et autres, à Sens (4 septembre, II, p. 670), Colombe, près de Sens (31 décembre, Martyrologe d’Usuard, Migne, P. L., CXXIV, c. 857-8 ; etc.), Savinien, à Troyes (29 janvier, III, p. 556 ; Analecta Bollandiana, IV, p. 145 ; le même que celui de Sens ?), Vénérand, à Troyes (14 novembre, Martyrologium Romanum), Sabine, à Troyes (29 janvier, III, p. 560). On peut y rattacher Savinien et Potentien, censés les deux premiers évêques de Sens, et leurs compagnons, Éodald, Sérotin, Altin, aussi énigmatiques encore que les précédents (31 décembre, Martyrologe d’Usuard, l. c. ; Tillemont, IV, p. 482-4, 727 ; Fliche, Les Vies de saint Savinien, 1912). De même, Patrocle de Troyes (Grégoire, In gloria mart., 63 ; Acta, 21 janvier, II, p. 707 ; Tillemont, IV, p. 203-6 ; peut-être sous Valérien). Sauf ce dernier, aucun ne parait connu de Grégoire de Tours. Remarquez que toutes ces cités sont voisines, en majeure partie dans la province de Sénonaise constituée au cours du IVe siècle, toutes en tout cas dans la province de Ire Lyonnaise, telle qu’elle existait sous Dioclétien (Ammien, XV, 11, 11). Ce qui me fait croire, ou que cette persécution date de Dioclétien, ou que la tradition s’est formée à partir de son époque. Il n’y aurait de motif à remonter jusqu’à Aurélien que s’il était prouvé qu’il eût dédoublé la Lyonnaise : la chose, du reste, n’est point impossible. — II. Les saints dont l’histoire parait se rattacher à celle de la propagande lyonnaise : Bénigne, à Dijon ; Andoche, Thyrse et Félix, à Saulieu ; les Trois Jumeaux, à Langres ; et le plus célèbre de tous, Symphorien, à Autun. Pour ceux-là, évidemment, il y a un procédé de raccourci historique si extraordinaire (leur mission ou conversion vers 150, leur supplice vers 275) que cela empêche de rien conclure. Si l’on veut accepter leur martyre comme j’ai accepte, dans l’ensemble, la mission, on ne peut guère le placer que sous Septime Sévère. — Cf. Allard, Les Dernières Persécutions du troisième siècle, p. 233-240.

[30] Imp. Cæsar M. Claudius Tacitus Augustus. — Hist. Auguste, Tacitus, 3-8.

[31] Voici le texte de la lettre à Trèves (Tacitus, 18, 5) : Senatus amplissimus curiæ Trevirorum. Ut estis liberi et semper fuistis, lætari vos credimus. Creandi principis judicium ad senatum redit. Simul etiam præfecturæ urbanæ appellatio universa decreta est. — Évidemment, le texte de la lettre est fabriqué. Mais je crois que c’est à l’aide d’un texte authentique. Rien n’était plus naturel que d’écrire à Trèves, alors la principale ville des Gaules, que d’intéresser les grandes cités au choix des nouveaux empereurs, car les villes paraissent, en ce temps-là, avoir été assez indépendantes à cet égard (Autun, Lyon). L’auteur initial de l’Histoire Auguste semble avoir connu les archives de Trèves. — Dans un sens beaucoup plus sceptique : Lécrivain, Études sur l’Histoire Auguste, 1904, p. 65 ; Hohl, Vopiscus, Tubingue, 1911, p. 84.

[32] Zosime, I, 66, 1.

[33] L’entrée des Barbares dans l’Empire parait dater du milieu de septembre 275, si l’on peut se fier au document du 25 de ce mois, par lequel le consul l’annonce au sénat : Limitem Transrhenanum Germani rupisse dicuntur (Tacitus, 3, 4) : il s’agit du limes de Souabe rétabli par Postume et Lélianus. Les Germains ont, du reste, dû choisir le temps des moissons.

[34] Qu’il y eût les uns et les autres, et bien d’autres, cela résulte du récit des guerres de Probus.

[35] Pour ce qui suit, les témoignages des auteurs paraissent nets et concordants : Eutrope, IX, 17 : Gallias a Barbaris occupatas ; de même, Orose, VII, 24, 2 ; Probus, 13, 5 et s. : Gallias, quæ omnes, interfecto Aureliano, a Germanis possessæ.... Per omnes Gallias securi vagarentur ; Jérôme, a. d’Abraham 2294, p. 185, Schœne ; Zosime, I, 67, Zonaras, XII, 29.

[36] Voici une hypothèse que je propose pour expliquer que la frontière fût en grande partie dégarnie de troupes. Tacite doit être mort vers avril 276, sans du reste être venu en Gaule (milliaires à son nom : Nantes, C. I. L., XIII, 9001-2 ; Poitou, 8928 ; Berry, 8923 ; Helvètes, 9076). La Gaule, après sa mort, reconnut sans aucun doute son frère, imp. Cæsar M. Annius Florianus Augustus, dont nous avons un milliaire à Périgueux (XIII, 8895), et d’autres inscriptions en Espagne, Bretagne, Germanie, Dalmatie (II, 1115 ; VII, 1156 ; XIII, 9135, Cologne ; III, 10061), et qui fut donc accepté par tout l’Occident (Zosime, I, 64, 3). Florianus fit une grande guerre contre Probus pendant les deux mois de son règne, mai-juin 216 (cf. Prosop., I, p. 65), et, pour cela, il dut dégarnir la frontière du Rhin : ce qui permit aux Barbares, qui avaient déjà franchi le limes en septembre 275, de se répandre en 276 dans toutes les Gaules. — Ce serait donc la répétition des faits de 253, 268, 273.

[37] Soit qu’il y ait eu environ ce chiffre de villes détruites, soit que l’Histoire Auguste se soit bornée, selon une habitude qui lui est familière, à développer l’expression de urbes Trium Galliarum. Sexaginta per Gallias nobilissimas civitates [veut-on dire par là les métropoles ?] ; septuaginta urbes nobilissimæ captivitate hostium vindicatæ (Probus, 13, 6 ; 15, 3) ; Julien, Conv., p. 314 a, Sp. ; Zonaras, XII, 29.

[38] Cf. n. suivante.

[39] Cela résulte jusqu’à l’évidence des faits suivants : 1° on s’est partout servi des débris de ces édifices pour construire les soubassements des murailles des villes aux abords de 300 : dédicaces de fontaines et socle de la Tutelle à Bordeaux (C. I. L., XIII, 596-600, 584), temple à Sens (XIII, 2940), gradins de théâtre ou d’amphithéâtre à Paris (XIII, 3035), et des milliers d’autres, qu’on retrouvera sans peine en examinant la provenance des monuments figurés chez Espérandieu (II et s.) et des inscriptions dans le Corpus (XIII) ; 2° la description que les auteurs nous ont faites des villes murées d’alors ; 3° aucun de ces édifices, même de ceux dont il restait encore debout d’énormes parties, n’ont plus joué le moindre rôle dans la vie politique et religieuse de ces nouvelles villes. — C’est ainsi qu’en dehors et aux portes du Paris de Julien, qui est l’île de la Cité, l’édifice dit des Thermes n’était sans doute alors qu’une ruine gigantesque ; de même, aux portes du Bordeaux d’Ausone, le temple dit des Piliers de Tutelle. On pourrait trouver près de cent exemples de ce genre dans les différentes villes de la Gaule, et dire d’elles ce qu’Ammien Marcellin disait d’Avenches et Julien de Besançon. — L’aspect de ces villes encombrées de ruines est indiqué, d’une manière générale, par Orose, lequel d’ailleurs attribue le désastre au temps de Gallien (VII, 22, 8) : Extant adhuc per diversas provincias in magnarum urbium ruinis parvæ et pauperes sedes, signa miseriarum et nominum indicia servantes [les noms des anciennes constructions conservés par d’humbles bicoques installées dans leurs ruines ?].

[40] Avec cette réserve, que Lyon et Autun, du fait des guerres civiles, avaient déjà subi pareils désastres.

[41] Le siège de Tours par les Barbares (appelés ici Celtes), ce siège, rapporté par un fragment d’Eusèbe (Didot, Fr. hist. Græc., V, I, p. 23), conviendrait assez à cette époque. Je suis cependant assez sceptique sur l’emploi par les Francs de machines de guerre : peut-être se sont-ils fait accompagner de quelques troupes d’un prétendant à l’Empire, et y a-t-il là un épisode de la lutte entre Florianus et Probus.

[42] Blanchet, Trésors, n° 570, 582, 583.

[43] Blanchet, n° 595, 598, 600.

[44] Blanchet, n° 170, 171, 175, 176, 185, 204. 207 : desquels il semblerait qu’une bande ait cherché à gagner les Alpes Grées (Tarentaise, Petit Saint-Bernard).

[45] Blanchet, n° 618 (Hasparren), 624 (Haute-Garonne), 614-5 (Landes). J’incline a croire qu’une grosse bande a suivi la route de Poitiers à Bordeaux, de là à Dax, Bayonne, Roncevaux.

[46] Inscr. rom. de Bordeaux, II, p. 301-2, I, p. 426 et s.

[47] Blanchet, n° 29, 45, 64, 89, 171, 176, 313, 377 (trésors d’Évreux, 112.000 pièces environ), 396, 421, 422, 433 (le trésor à la patère, de Rennes), 448, 498, 509, 524, 525, 529. — A dire cependant toute ma pensée, je commence à croire qu’il y a abus dans l’emploi qu’on a fait des trésors de monnaies comme arguments historiques. Beaucoup, dans leur composition ou leur abandon, peuvent être le résultat de simples hasards. Et bien d’autres hasards peuvent après, coup dénaturer le caractère de ces trésors. Voici, par exemple, un trésor trouvé à Schwenningen en Wurtemberg, qui sur 114 monnaies connues, en renferme 112 allant de Philippe à Claude, et 2 seulement de Carus et Carin, aucune d’entre 270a et 282 : qu’on suppose ces deux pièces perdues ou négligées par l’inventeur, et on n’eût pas hésité à attribuer ce trésor à une invasion sous Tetricus ; Nestle, Funde antiker Münzen, Stuttgart, 1893, p. 71, n° 117.

[48] La séparation de la Gaule d’avec le reste de l’Empire (ch. XV) a pu fermer à ses industries un grand nombre de débouchés.

[49] Zosime, I, 67, 3-5 ; Zonaras, XII, 26.

[50] On traduit d’ordinaire le mot par rebelles ; je préfère vagi.

[51] Voyez vers 280 le cas de Proculus, armant ses 2000 esclaves pour arriver à l’empire (Proculus, 12, 2) ; la guerre est alors considérée comme un modus latrocinandi (Proculus, 13, 3). Tome VI.

[52] Ou même par des nobles qui profitaient de l’anarchie pour se livrer au brigandage (n. précédente et suivante).

[53] Les gens du pays aidaient les Barbares à piller et détruire : voyez le curieux exemple de ces nobles d’Albenga en Ligurie latrocinantibus, et s’enrichissant ainsi pecore ac servis (avant 280 ; Proculus, 12, 1). A ce qui se faisait dans ce pays d’Italie, on devine ce qui se passait en Gaule.

[54] A Bordeaux, l’amphithéâtre est à 700 mètres des remparts de la nouvelle cité.

[55] Julien, Misopogon, p. 340 c, Sp.

[56] Autun, 5922 m. ; Nîmes, environ 6200 m. ; Trèves, 6418 m. ; etc. Cf. Blanchet, Enceintes, p. 283.

[57] La plus grande parait Poitiers, avec 2600 m. ; à ont plus de 2000 m. ; 22, de 1000 à 2000 m. seulement ; Blanchet, p. 283-4.

[58] Autour de la cathédrale actuelle ; Harold de Fontenay (Autun, 1889, p. 24-25), donne un peu plus de 10 hectares au nouvel Autun, au lieu des 200 hectares de celui d’Auguste (id., p. 13). C’est aux remparts de la grande enceinte d’Auguste, alors abandonnée, que fait allusion le texte d’Ammien (IV, 11, 11) : Mœnium Augustudum magnitudo vetusta. — De même, ce que Julien dit de Besançon (Epist., 38, p. 414 c, Sp.). — De même, Avenches (Ammien, XV, 11, 12) : Aventicum, desertam quidem civitatem, sed non ignobilem quondam, ut ædificia semiruta nunc quoque demonstrant.

[59] Sur les traces (hors de Gaule) de l’abandon des curies avant le IVe siècle, cf. Kübler ap. Wissowa, R.-Enc., IV, c. 2343 et s. — Le plus ancien texte qui puisse s’appliquer à la Gaule, est celui d’Ulpien (Digeste, L, 2, 1) : Decuriones, quos sedibus civitatis ad quam pertinent relictis in alia loca transmigrasse probabitur, præses provinciæ in patrium solum revocare et muneribus congruentibus fungi curet.

[60] Ch. XIV, § 5.

[61] Voyez l’histoire des nobles d’Albenga.

[62] Ce qu’on appelait burgus ; Sidoine, Carmina, 22, 6, 17, 117 et s. : villa fortifiée de Pontius Paulinus, Bourg en Gironde, datant du IVe siècle.

[63] Cf. tome VI.

[64] Lépaulle, Ét. Hist. sur M. Aurelius Probus, Lyon, 1884, p. 51-68 ; Dannhæuser, Unters. zur Geschichte des Kaisers Probus, Iéna, 1909 (bonne thèse). Sur l’ensemble du règne, en outre, Bœhm, De M. Aurelius Probo, 1867.

[65] Imp. Cæsar M. Aurelius Probus Augustus. — Son avènement est peut-être d’avril 276, mais il dut se débarrasser d’abord de Florianus.

[66] Probus, 21-23 ; Eutrope, IX, 17.

[67] Cum ingenti exercitu, Probus, 13, 5. — Il n’a pu arriver en Gaule avant la fin de 276.

[68] Zosime, I, 67, 1-2 ; 68, 1 ; Eutrope, IX, 17 ; Probus, 12, 3 ; 13-15 ; Zonaras, XII, 29.

[69] Zosime, I, 68, 2-4.

[70] Probus, 13, 7 ; 14, 2 ; 15, 3.

[71] Probus, 14, 3, 4 et 7 ; 15, 2, 3 et 6.

[72] Probus, 14, 6 ; 15, 5 ; Zosime, I, 68, 5.

[73] Zosime, I, 68, 1 (les Francs seuls nommés).

[74] A un lieu de passage [sur le Rhin, vers Ausgt ?] (Zosime, I, 68, 1-4).

[75] Πρός Λογίωνας [je n’affirme pas qu’il s’agit des anciens Lygiens]... καί Σέμνωνας [Zosime fait de ce nom celui d’un chef, peut-être a tort] ; Zosime, I, 67, 6-7.

[76] Probus, 14, 2-3 ; 15, 2-3.

[77] Reliquias ultra Nigrum fluvium et Albam (Rauhe Alp, le Jura Souabe] removit ; Probus, 13, 7. Cela signifie qu’il reconstitua ou essaya de reconstituer, au delà du Neckar et du limes interior, le limes exterior. On a nié ce fait (en dernier lieu : Dannhæuser, p. 55-6 ; Koepp, 2e éd., p. 87). Il s’accorde bien cependant avec l’ensemble des événements ; et si les traces archéologiques de l’œuvre transrhénane de Probus font défaut, cela s’explique par le retour offensif des Germains dans les années qui vont suivre.

[78] Lygiens et Semnons, en admettant que ceux-ci fussent encore établis sur l’Elbe.

[79] Limes Romanus extenderetur et feret Cermania tota provincia ; Probus, 14, 5 ; 15, 7.

[80] Le principal dieu public de Probus parait avoir été simplement le Jupiter du Capitole (Probus, 15, 4).

[81] Coronas aureas obtulerunt omnes Galliæ civitates, etc. (Probus, 15, 4).

[82] Zosime, I, 67, 3-5 ; Zonaras, XII, 29.

[83] Julien, qui n’est pas tendre pour ses prédécesseurs, dit de lui (Convinium, p. 314 b, Sp.) : Πολλά πάνυ σωρόνως οίκονομήσας.

[84] Par troupes de 50 et 60 : il disait qu’en matière d’auxiliaires il fallait sentiendum non videndum (Probus, 14, 7). Il en établit dans l'île de Bretagne, qui furent très fidèles (Zosime, I, 68, 6). De même, ceux des Francs qu’il laissa sur le Rhin inférieur (Proculus, 13, 4). Ceux des Francs qu’il installa près de la mer Noire, volèrent des barques (en 280 ?), traversèrent la Méditerranée en commettant mille brigandages, et revinrent par l’Océan dans leur pays (Zosime, I, 71, 3-5 ; Probus, 18, 2 ; Panegyrici, [V VIII], 18). — Rappelons ici l’installation au sud du Danube, vers 279, des derniers Bastarnes, restes des Galates des plus anciennes invasions gauloises ; Probus, 18, 1 ; Zosime, I, 71, 2.

[85] Aurelius Victor, De Cæsaribus, 37, 3 ; Epit., 37, 3 ; Eutrope, IX, 17 ; Probus, 18, 8 ; 20, 2 ; 21, 2.

[86] Eutrope, IX, 17 ; Polémius, p. 522, Mommsen ; Aurelius Victor, De Cæsaribus, 37, 3 ; Epit., 37, 3 ; Probus, 18, 8.

[87] Ausone, Urbes, 129 ; Mosella, 160 ; etc.

[88] Julien, Misopogon, p. 341 a, Sp.

[89] Arantur Gallicana rura, Probus, 15, 6. — C’est cette reprise des cultures et des moissons qui a pu déterminer la belle légende des dieux faisant tomber les grains du ciel pour nourrir l’armée de Probus.

[90] J’attribuerais à Probus la majeure partie des nouveaux remparts de la Gaule. D’abord, après 276, la paix est plus longue qu’après 273, et Probus va régner cinq ans encore en Gaule. Puis, les désastres de 276, bien plus grandi que les précédents, pénétrant plus avant dans les Gaules, ont montré plus nettement la nécessité de se défendre partout. En outre, ils ont produit quantité de ruines, et par là de matériaux qu’on ne pouvait laisser à l’abandon. Enfin, il y a sur Probus le texte de Julien (Convivium, p. 314 b, Sp.) : Έβδορήκοντα πόλεις άναστήσας : il doit s’agir des villes de la Gaule, et, puisque Probus considère ce fait comme son principal titre de gloire, il doit s’agir d’autre chose que de les avoir débarrassées des Barbares. — On remarquera encore l’extrême rareté des inscriptions et des bornes milliaires sous le règne de Probus, et cela doit avoir une cause. Il est possible que tous les ouvriers et matériaux disponibles aient été réservés à la construction des remparts de cités.

[91] Vopiscus, Proculus, 13, 1-5 ; Probus, 18, 5 ; Aurelius Victor, Epit., 37, 2 ; Eutrope, IX, 17. Il a dû être chef militaire à Cologne. — On parle de combats livrés par lui aux Alamans (Proculus, 13, 3) : ce serait bien loin de Cologne, mais le texte de l’Histoire Auguste laisse supposer d’autres Germains. — On donne à sa femme le nom de Vituriga (id., 12, 3), qui peut être celtique (Biturica).

[92] Les Francs, chez lesquels il se réfugia à l’arrivée de Probus, le livrèrent à l’empereur (id., 13, 4 ; Probus, 18, 5 et 7), peut-être après un combat à Cologne (Eutrope, IX, 17).

[93] Bonosus, dux limitis Rætici ; Bon., 14, 2 ; 15, 1-2. Je doute fort qu’il faille placer à Cologne son commandement et sa révolte : les lusoriæ dont parle l’Histoire Auguste doivent être les navires de la flotte du lac de Constance. Ce Bonosus passait pour fils d’une Gauloise et d’un Breton (14, 1). — Il y eut peut-être d’autres soulèvements en Bretagne, en Espagne (Probus, 48, 5 ; Aurelius Victor, De Cæsaribus, 37, 3 ; Epit., 37, 2 ; Zosime, I, 68, 6 ; 71, 3-4 ; Zonaras, XII, 29). Et il serait fort probable que tous ces chefs se soient coalisés pour enlever l’Occident à Probus.

[94] Probus, 21 ; Aurelius Victor, De Cæsaribus, 37, 4 ; Epit., 37, 4 ; Eutrope, IV, 17 ; Zonaras, XII, 29.

[95] Ce que remarque son biographe (22, 3) : Ex ejus disciplina Carus, Diocletianus, Constantius.

[96] Imp. Cæsar M. Aurelius Carus Augustus. — Il est possible qu’il fût de Narbonne (Eutrope, IX, 18 ; Aurelius Victor, De Cæsaribus, 39, 12 ; Epit., 38, 1 ; Zonaras, XII, 30 ; Sidoine, Carmina, 23, 93), mais la chose est incertaine.

[97] Il partagea l’Empire entre ses deux fils, Carin, l’aîné, qui eut l’Occident (M. Aurelius Carinus), et Numérien, qui le suivit en Orient (M. Aurelius Numerius Numerianus) ; Carus, 16, 2 ; Aurelius Victor, De Cæsaribus, 38, 2 ; Eutrope, IX, 18. Tous deux étaient alors Césars, et devinrent empereurs au milieu de 283, à la mort de Carus. — Je n’arrive pas à comprendre pourquoi il y eut des dédicaces à Numérien dans la région des Alpes (Aime, XII, 110 ; Sisteron, 1523). — Numérien disparut en 284, Carin en 285.

[98] Abdication de Dioclétien en 305, sa mort en 313. — Ce que remarque bien Tillemont (Diocl., art. 1) : Ce quatrième tome nous présente une idée plus capable de nous plaire.

[99] Aurélien consacra au Genius Populi Romani, sur le Forum, une statue d’or qui devint célèbre (Chronographe de 354, p. 143, Mommsen). Homo (Aurélien, p. 130) a justement remarqué que cette statue marque une renaissance du culte du Génie. Genius Publicus : Ammien, IX, 5, 10 ; XXV, 2, 3 ; cf. XXII, 11, 7 ; XXIII, 1, 8.

[100] Voyez la lettre de Probus au sénat, Probus, 11. Religioso certamine, Tacitus, 1, 1.

[101] Aurélien surtout, quoique le culte du Soleil ne lui ait pas fait oublier les dieux purement impériaux et romains.

[102] Peut-être est-ce le cas de Probus : Quum divisa Providentia nostros uberius secundarit exercitus (Probus, 15, 7 ; 15, 4) ; l’expression de Providentia est relativement plus fréquente dans les monnaies de Probus (Cohen, 2e éd., n° 467-504). Cela ne l’empêche pas de songer au Jupiter romain (Pr., 12, 7 ; 15, 4) et, comme le montrent ses monnaies (n° 639-698), au Soleil.

[103] Voyez surtout les Panegyrici, d’ailleurs légèrement postérieurs (collection Teubner, édit. Æm. Bæhrens, 1re, 1874 ; 2e édit., p. p. Guil. Bæhrens, 1911). Cf. tome VI.

[104] Tacitus, 2.

[105] Voyez les rappels constants des titres et noms illustres de l’histoire romaine, impériale et même républicaine ; Tacitus, 5 ; Claudius, 1, 3 ; 2, 5.

[106] Claude, né en Illyrie, proclamé sans doute par une armée du Danube ; Aurélien, né sans doute à Sirmium, où il dut prendre l’empire ; Tacite semble un Italien, mais c’est l’armée du Danube qui négocie alors avec le sénat ; Probus est né à Sirmium ; Carus est proclamé à Sirmium, quelques-uns le disaient un Illyrien (Hist. Auguste, Carus, 4, 2-3), et peut-être la tradition qui le fait naître à Narbonne vient-elle d’une confusion avec Narona en Dalmatie. Remarquez le rôle prépondérant que prend alors, dans les pays illyriens, Sirmium, sur la Save, à la jonction, pour ainsi dire, de l’Occident et de l’Orient.

[107] Tertullien, Apologétique, 24, 7 (Bélénus). Cf. Tite-Live, XL, 22, 7 ; Déchelette, Manuel, II, p. 426 et s. ; les tables du C. I. L., III, S., p. 2513-5, 2517-8.

[108] Je le crois d’après son histoire et celle des empereurs qui en sont sortis.

[109] Ici, ch. XIV, § 5, ch. XVI, § 5.