HISTOIRE DE LA GAULE

TOME IV. — LE GOUVERNEMENT DE ROME.

CHAPITRE XIV. — L’EMPIRE EN DANGER.

 

 

I. — TRANSFORMATIONS DU MONDE GERMANIQUE[1].

La dernière année du règne d’Alexandre Sévère (231-5), les Barbares reprirent leur marche en avant.

Depuis l’époque des Cimbres, ils l’avaient souvent recommencée : chaque fois, ils avaient dû l’interrompre pendant plusieurs générations. A partir de cette année, ils ne renonceront plus à l’offensive. Leurs attaques ne permettront jamais un lustre de répit à l’Empire romain. Celui-ci vivra désormais sous la crainte éternelle du danger. Pour durer, il devra modifier sa vie : les périls de sa frontière et l’état du monde extérieur l’obligeront, par contrecoup, à prendre de nouvelles habitudes[2].

Dans les temps où régnaient les derniers des Antonins et les premiers des Sévères, de profondes commotions agitèrent le monde d’outre-Rhin : l’Empire ne s’en apercevait qu’aux chocs intermittents qui secouaient ses frontières. Quand cette période de troubles eut pris fin, la Germanie se montra aux Romains sous une forme toute différente de celle qu’elle gardait depuis Arioviste : d’anciennes peuplades ont disparu, de nouvelles ligues et de nouveaux empires se sont constitués, un désir plus fort d’aventure ou de conquête entraîne les hommes vers les terres du Sud.

La cause initiale du désordre fut sans doute, comme à l’époque des Cimbres, la migration d’une grande peuplade venue des bords de la Baltique, celle des Goths[3]. Plus heureuse ou plus habile que sa devancière, elle évita la frontière de l’Empire, remonta la Fistule, descendit le Dniester, et réussit à s’établir près de la mer Noire, dans l’admirable région de la Russie méridionale, oubliée par les convoitises italiennes[4] (170 ?[5]). — Là, les Goths se trouvèrent à la fois en contact avec les terres romaines et les mers helléniques ; ils purent s’informer et s’instruire de la culture gréco-latine. Leur nom ne fut bientôt plus celui d’un amas incohérent de tribus, mais d’un royaume assez ordonné, bien gouverné, capable de civilisation, et que l’on put comparer à l’ancien État des Daces, fondé par Burbista dans ces mêmes contrées[6].

Pour arriver jusque-là, les Goths durent frôler et froisser les Germains de l’Oder et de l’Elbe. Des tribus, ébranlées par leur passage, se déplacèrent vers l’Occident ou le Midi[7] : ce qui, sans doute, contribua à la descente des Quades et des Marcomans du côté du Danube. Mais alors, arrêtés par Marc-Aurèle à la frontière romaine, comprimés entre elle et la poussée du dehors, les peuples barbares durent en quelque sorte s’allonger et s’appliquer le long de l’Empire. Il y eut entre eux de formidables remous, et, à la fin, Rome vit sur l’autre côté des Carpathes et du Danube se dessiner, du sud au nord, des voisins jusque-là inconnus : Goths, Gépides, Hérules, Vandales, Burgondes et Lombards[8]. Toutes ces nations étaient venues du Nord : on eut dit que la Germanie septentrionale s’était retournée pour se rabattre cet s’appuyer sur le flanc de l’Empire.

Il ne semble pas que ce mouvement de migration se soit étendu jusqu’au Weser et jusqu’au Rhin. Mais ici, à défaut de nouveaux peuples, nous trouvons de nouveaux noms.

Dans les terres basses de l’Elbe et du Weser, sur les côtes de la mer du Nord, le nom des Saxons a remplacé ceux des Cimbres et des Chauques[9]. — A leur gauche, vers l’ouest, celui des Frisons persiste encore, là où nous l’avons toujours connu[10]. — Mais à leur droite, du côté de la Baltique, voici des peuples nouveaux, Angles, Jutes et Danois, qui se partagent les îles, presqu’îles et détroits[11].

Au sud, plus près de la frontière, les changements apparents sont plus grands encore. — Le long du Rhin inférieur, dans les vallées de ses affluents, sur les rives de l’Ems, les débris de ces peuples qui avaient si longtemps vécu sous les menaces ou l’influence de Rome, Chamaves, Sicambres, Usipètes, Tenctères, Bructères et Chattes, se sont rapprochés pour se confondre en un nom nouveau, celui de Francs[12]. — Plus au sud encore, au delà du Taunus, se montre le nom d’Alamans, qui groupe les restes des tribus du Mein, anciens Suèves et autres[13].

Que signifient ces mots, appelés à la plus prodigieuse fortune qui soit échue à des titres nationaux après ceux de Grèce et Rome ? S’agit-il de noms portés d’abord par de simples tribus, qui, devenues puissantes, les auront peu à peu imposés à des tribus soumises ? S’agit-il de vocables d’alliance, pris spontanément par des peuples associés, et servant à désigner, soit l’ensemble de leurs familles, soit les guerriers choisis pour les grandes expéditions ? — Cette dernière solution paraît plus probable, au moins pour les deux groupes principaux de Germains, les Francs et les Alamans[14]. On pourra préférer la première pour les Saxons et les peuples de la mer[15].

 

II. — CARACTÈRE DES NOUVELLES INVASIONS.

En tout cas, pour des Barbares comme pour des civilisés, un nom nouveau entraîne un renouveau de courage, d’audace et d’orgueil[16]. Il s’agit de rendre ce nom illustre sur les champs de bataille, cher aux dieux, connu et redouté de tous. L’apparition de ces mots de Saxons, de Francs et d’Alamans présageait des dangers imprévus pour l’Empire romain.

Ce qui aggrave le péril, c’est que ces peuples ne vont plus attaquer au hasard et à la débandade, ce qu’avaient fait si souvent autrefois Sicambres ou Chattes. Chacun d’eux s’est réservé sa part de la frontière et sa route d’invasion. Les Saxons viendront par le rivage et la mer, de l’estuaire de l’Elbe au détroit que surveille la flotte de Boulogne ; les Francs viseront l’Empire entre Nimègue et Bonn, face à la Germanie Inférieure ; et les Alamans le menaceront de Mayence à Ratisbonne, sur les lignes de la Germanie Supérieure. Il semblait que ces Germains se fussent organisés à la manière des Romains leurs adversaires, se groupant pour l’offensive comme ceux-ci l’avaient fait depuis longtemps pour la défensive.

On a dit que, si ces hommes voulurent entrer dans l’Empire, ce fut surtout par désir d’y vivre en soldats ou en laboureurs : ils cédèrent à une invincible admiration pour ce monde splendide, au rêve d’y trouver une place à son soleil et à son bonheur. — Il est vrai que beaucoup de ceux qui vont franchir isolément la frontière le feront en solliciteurs, prêts à vendre leurs services et au besoin leur liberté, en échange de beau pain, d’or et d’armes brillantes. La plupart de ceux-là mêmes qui se forment en grandes bandes et forcent la barrière des Gaules, n’ont pas d’espérances supérieures : il s’agit pour eux de rester, de gré ou de force, sur des terres romaines, de s’y faire accepter de l’empereur à quelque titre que ce soit ; mieux vaut l’esclavage dans le joyeux Empire que la liberté dans la triste Germanie[17].

Mais c’est méconnaître et l’intelligence et le caractère de ces hommes du Nord, que de voir en eux des éternels quémandeurs de soldes et de terres. Aussi bien que les Gaulois d’avant César, les Germains d’avant Clovis furent capables de pensées supérieures, de tenir à un nom national et à sa gloire, d’aimer une patrie et son indépendance. S’ils avaient pris le titre de Francs, ce n’était point afin de l’échanger contre celui de Romains. Plusieurs de ceux qui partirent des bords du Weser pour piller et vaguer dans l’Empire, même de ceux qui allèrent le plus loin, sur les rivages de l’Orient, finirent par revenir chez eux, au prix de mille dangers[18]. Ils ne fuyaient donc pas leur sol natal, si lugubre qu’en fût parfois l’horizon[19].

Chez les rois et les chefs, il faut parler aussi d’amour pour la victoire, l’empire et la gloire, d’ambitions et d’espérances plus nobles que celle d’être un légat d’Auguste. Ces Germains, les Goths comme les autres, avaient des poètes qui chantaient les hauts faits de leurs héros, et ils eurent des princes qui voulurent être chantés à leur tour[20]. Un roi goth, Hermanaric, se montrera bientôt digne de fonder un très grand Etat, bien plus vaste que celui du dace Burbista, embrassant toutes les plaines de l’Est, depuis la mer Noire jusqu’à la mer Baltique, et ses contemporains auront raison de le comparer à Alexandre (350 ?-375)[21]. Pourquoi cette idée d’un empire national, à nom franc, goth ou germain, ne serait-elle point venue à l’esprit de ces chefs, ainsi qu’elle s’était emparée autrefois des âmes d’Arioviste et de Vercingétorix, de Burbista, d’Arminius et de Marbod ? Germains et Gaulois étaient-ils donc incapables de réfléchir et d’imaginer par eux-mêmes, de se sentir autre chose que des sujets de Rome, avant ou après la lettre ? Refuser à des Francs une ambition germanique, c’est vouloir ramener tout l’idéal des Anciens aux formules de l’Empire romain et de la cité grecque. Il y avait chez eux, chez les Alamans, les Saxons ou les Goths, comme il y avait eu chez les Gaulois de Bellovèse et de Ségovèse, des façons de rêver et des mobiles d’agir qui leur étaient propres. Et c’est ce qui va rendre ces nouveaux peuples si redoutables à l’Empire.

J’ai nommé, face à l’Occident gaulois, les Saxons, les Francs et les Alamans, et, contre la ligne centrale des Carpathes et du Danube, l’empire des Goths. A l’Orient, les Perses, héritiers des Parthes, viennent aussi de constituer un puissant État au delà du Tigre et de l’Euphrate (227)[22]. Par un extraordinaire hasard, tous ces ennemis de Rome se trouvèrent organisés et massés en même temps[23].

 

III. — MAXIMIN EN GERMANIE[24].

Alexandre Sévère, malgré son amour pour les hommes et pour la paix, avait bien compris le danger de l’Empire, et que le meilleur moyen d’éviter l’attaque de ses ennemis était de prendre les devants par une vigoureuse offensive. Une armée considérable fut concentrée à Mayence, un immense pont de bateaux fut construit sur le Rhin[25], et, comme Marc-Aurèle à la fin de sa vie, le jeune prince se préparait à d’utiles conquêtes sur terre barbare, lorsqu’il fut assassiné (235).

Son successeur Maximin[26] était une sorte de colosse brutal, qui faisait contraste avec l’intelligente et douce bonté de l’empereur disparu[27] Il eut cependant assez d’ambition et de qualités militaires pour continuer la grande entreprise. Il fit encore venir de nouvelles troupes, acheva comme il le fallait les préparatifs de la campagne, puis franchit le Rhin et la ligne des forts, et entra dans la Germanie indépendante[28].

De ce qu’il y fit, le détail nous échappe. Mais il semble bien que ce fut une longue aventure, à la façon de celles qu’avaient conduites dans ces parages Drusus, Tibère et Germanicus.

Submergés par les milliers d’hommes de l’armée d’invasion, les Germains ne purent opposer aucune résistance efficace[29]. Les soldats de Maximin étaient bien choisis et bien conduits : mais on leur permit tous les pillages et tous les excès. Un instant, les Barbares pensèrent arrêter l’ennemi, en se réfugiant en masse derrière des marécages : Maximin alla les chercher, de l’eau jusqu’à la ceinture, et les fit tous massacrer[30]. Puis, le pillage et l’incendie reprirent.

L’armée romaine fit ainsi, dit-on, près de deux cents milles de marche[31] sur le sol ennemi : ce qui dut l’amener jusqu’à l’Elbe[32]. Il y avait deux cent trente ans que, depuis l’expédition de Tibère, les légions romaines n’étaient plus arrivées sur les bords du fleuve célèbre. Ce retour victorieux à la lueur des incendies montrait à toutes les nations l’éternelle vigueur du peuple romain : il ressemblait de plus en plus à Hercule, et l’on comprend que beaucoup d’hommes aient alors voulu faire de ce dieu le maître et l’image de l’Empire.

Maximin espéra un instant que Rome pourrait garder ces conquêtes. Les projets d’annexion, oubliés depuis Marc-Aurèle, furent repris. On parla d’étendre les provinces jusqu’à l’Océan septentrional, jusqu’à la Baltique ou à la mer du Nord[33] : cela pouvait se faire encore, et c’eût été le plus sage.

En attendant de réaliser ce projet, Maximin, après avoir assuré la paix aux frontières de la Gaule, descendit le long du Danube pour rendre le même service aux terres illyriennes. Et là aussi, il fit une besogne sanglante et nécessaire (236)[34].

Mais c’étaient trop de guerres et des habitudes trop violentes au gré des sénateurs et des juristes romains, façonnés à la vie honnête et pacifique par le dernier des Sévères. Ils se résolurent et réussirent, non sans peine, à se défaire de Maximin (238)[35]. — Ce demi-barbare, comme on l’appelait[36], n’en avait pas moins épouvanté les Germains pour quelques années : ce qui permit à l’Empire de se livrer de nouveau aux, discordes civiles ou aux expériences politiques[37].

 

IV. — RESTAURATION DE L’AUTORITÉ SÉNATORIALE[38].

Car de curieuses tentatives de réforme politique donnent une originalité inattendue aux années qui vont suivre.

Le règne d’Alexandre Sévère avait marqué, dans l’histoire du régime impérial, l’apogée de l’autorité civile. Jamais les armes ne s’inclinèrent plus bas devant les toges : les vrais chefs du monde, en ce temps-là, ce furent les sénateurs de Rome, les riches propriétaires de l’Italie, les légistes et les juristes, et, au-dessus d’eux, dirigeant leurs efforts avec une incomparable maîtrise, le grand conseil d’Empire. On crut revoir alors les siècles de l’ancienne curie romaine, cette assemblée de rois ou de dieux, mais avec un idéal de justice et de paix[39] qui fut toujours étranger au sénat de la République.

L’avènement de Maximin, proclamé par la soldatesque, avait été un défi qu’elle jeta aux sénateurs de Rome. On a vu qu’ils le relevèrent, et la chute de Maximin rappela aux légions que le sénat n’était plus, comme au temps de Vitellius, résigné à toutes les obéissances.

Mais il fallait prévenir de nouveaux conflits entre les armées et l’autorité civile, chercher une solution qui conciliât ces deux puissances, également indispensables à la grandeur de l’Empire. — Ce à quoi s’appliquèrent les légistes de ce temps, sans réussir d’ailleurs à trouver cette solution.

Le sénat accepta d’abord des empereurs de son milieu, les deux Gordiens, père et fils, qui étaient peut-être les plus riches propriétaires du monde entier (mars 238)[40]. — Quand ils eurent disparu après quelques semaines, il les remplaça par deux Augustes associés, Maxime Pupien et Célius Balbin, celui-ci chargé des guerres et celui-là du gouvernement (avril 238)[41]. — Chose singulière, et qui rappelle les temps très lointains du consul militaire et du consul domestique. Car on se mettait alors à rechercher dans les annales de la République les institutions qui serviraient à établir un nouveau régime. — Pupien et Balbin tués par les soldats (juillet 238), on en revint à l’empereur unique, qui fut un troisième Gordien[42], mais on lui donna une sorte de premier ministre ou de maire de palais en la personne du préfet du prétoire, qui fut son beau-père Timésithée[43]. — Six ans après, c’est un nouveau meurtre d’empereur (244), et l’avènement d’un favori de l’armée, Philippe[44] : celui-ci, à la différence de Maximin, est un assez bon prince, d’humeur paisible, respectueux du sénat et des formes civiles[45]. A défaut des lois, les mœurs firent un instant l’accord entre soldats et magistrats. — Enfin, quand les troupes ne voulurent plus de Philippe et lui substituèrent Decius (249)[46], un acte solennel semble être intervenu entre le sénat et le nouvel Auguste.

L’empereur devait demeurer unique, et se réserver surtout les affaires militaires. Il laissait à la curie plus d’autorité dans la confection des lois, la surveillance des fonctionnaires, le contrôle des finances et de la justice[47]. A la tête du grand corps régénéré, on plaça une sorte de vice-empereur au civil, juge et intendant suprême, que le sénat put choisir à sa guise, et, pour lui donner un nom, on emprunta encore au droit de la République le titre de censeur (251)[48].

 

V. — LES PROGRÈS DE L’ARISTOCRATIE FONCIÈRE.

Cherchons à expliquer cette restauration du sénat, devenu plus fort et plus considéré que dans les temps mêmes où Auguste et Tibère affectaient de lui réserver la moitié du pouvoir[49].

L’arrivée de tous les provinciaux au droit de bourgeoisie, leur acceptation définitive de la patrie romaine, voilà, peut-être, la cause morale de ce grand fait. Le sénat a cessé d’être pour la Gaule ce qu’il lui est apparu aux jours de la conquête, l’ennemi, le vainqueur et le bourreau, le conseil directeur de l’État victorieux. Il est, maintenant, le corps d’élite où se réunissent, dans la capitale, les plus nobles des bommes, le majestueux et vivant symbole de l’unité romaine et du genre humain[50].

Tandis que son prestige grandit, l’autre force du monde impérial, l’armée, passe de plus en plus aux mains d’auxiliaires lointains ou barbares. Depuis Antonin, les légions elles-mêmes se recrutent assez rarement parmi les habitants des provinces de l’intérieur : la coutume est que le soldat soit un enfant de la frontière[51] ; si, au sortir du service, il reçoit des terres, ce ne sera jamais que près des camps où il a vécu, et où ses fils iront le remplacer[52]. Il ne connaît plus que de nom les grandes villes  et les riches campagnes du reste de l’Empire : c’est pour lui comme un pays étranger. Et, à leur tour, les habitants de ces villes et de ces campagnes, restant citadins ou paysans depuis leur naissance jusqu’à leur mort, ne savent que par ouï-dire ce qu’est un soldat, un ennemi et la vie militaire. Dans quelques années même, le métier des armes sera chose interdite aux sénateurs[53]. Il n’existe plus une armée d’Italiens, telle qu’était autrefois la garnison de Rome, formée par les cohortes urbaines et prétoriennes : car Septime Sévère a réservé ces corps d’élite aux meilleurs sujets de la province[54]. Pour faire face à l’invasion, Marc-Aurèle a enrôlé tout ce qu’il a pu des Illyriens de l’Empire ; on dit même qu’il dut acheter des soldats en Germanie : en tout cas, les Barbares vaincus ou fugitifs lui fournirent des mercenaires par milliers[55] Partout, au prétoire, dans le palais, aux camps des frontières, dans les légions, les ailes et les cohortes, ces Barbares s’introduisent en groupes sans cesse plus nombreux, venus de terres en dehors de l’Empire, Sarmates, Goths, Vandales ou Francs[56]. Qu’on laisse les choses continuer, ce sera, entre la population civile et la population militaire, non pas seulement divorce d’existence, mais encore contraste absolu d’origine : l’État romain ressemblera à celui de Carthage, où la riche bourgeoisie des marchands confiait le soin de sa défense à un ramas de mercenaires exotiques[57] ; et, en face de cette armée où Rome est presque une inconnue, le sénat apparaîtra comme le seul refuge de la tradition nationale.

Mais son influence ne s’expliquerait pas si elle ne s’était pas appuyée sur quelque force réelle. Je me demande si cette restauration du sénat n’est point la conséquence des progrès faits dans l’Empire par la grande aristocratie foncière.

Car ses progrès ont été continus, peut-être depuis Trajan, sans aucun doute depuis Marc-Aurèle. Ce dernier lui avait accordé de nouveaux privilèges. Les malheurs du règne, les désordres qui suivirent, ne lui firent sans doute que demi-mal. Il est rare que les misères publiques, que les temps de discorde et d’anarchie n’atteignent pas surtout la classe moyenne, celle de la bourgeoisie laborieuse, usiniers qui fabriquent, boutiquiers qui vendent, commerçants qui transportent, petits propriétaires qui exploitent leurs biens. De ces crises, d’ailleurs passagères, la grande aristocratie romaine sortait toujours plus forte, ne fût-ce que de la faiblesse plus grande du monde environnant. Au cours du troisième siècle, on aperçoit des familles de propriétaires, comme celle des Gordiens, dont la richesse et la puissance sont démesurées[58] ; on les voit possédant des biens, non pas dans une seule province, mais dans toutes les régions de l’Empire[59]. Par là, au même titre que l’État, elles ont des attaches et des intérêts universels. Malgré les efforts des Sévères, il semble que l’importance des villes et de l’industrie diminuent au profit des fortunes foncières : qui sait si, en accordant tant de privilèges aux corps de métier, ces princes n’ont pas voulu réagir à tout prix contre l’excès de la vie terrienne, et soustraire artisans et trafiquants à la tyrannie croissante des possesseurs ? Un vaste domaine, c’était, on l’a vu, une sorte de petit royaume, et, à la faveur de la puissance de son maître, on dirait qu’il cherche alors à se détacher du territoire de sa cité, à avoir sa justice propre, à usurper des droits régaliens[60].

Or, presque tous ces chefs de domaines ou ces grands seigneurs sont, en droit, sinon en fait, des sénateurs romains : ils portent le titre d’hommes clarissimes, ils appartiennent à la grande noblesse héréditaire de l’Empire. Peut-être même ont-ils usé ou abusé de peur qualité de sénateurs pour étendre leurs possessions et en faire des terres privilégiées[61]. Ils sont tous, d’ailleurs, imprégnés jusqu’à la moelle de culture classique, et des maîtres grecs et romains ont seuls façonné leur esprit et dirigé leur volonté[62].

Le sénat, c’est donc la réunion des hommes les plus riches et les plus instruits de l’Empire. Derrière lui, il y a, pour soutenir ses prétentions, d’immenses domaines, des millions d’esclaves, d’affranchis, de clients et de parasites, une quantité énorme de besoins qui unissent à sa vie celle des provinces. Il se sent soutenu par elles. Et c’est pour cela qu’il tient tête aux armées[63].

 

VI. — LE MILLÉNAIRE DE ROME.

Cette puissance d’une aristocratie foncière, orgueilleuse et cultivée, ce prestige d’un conseil souverain, étaient pour l’Empire des gages de durée et de paix intérieure. Cela valait véritablement, comme soutien du monde classique, les soldats de la frontière. Les maîtres du sol ne séparaient point leurs ambitions et leurs habitudes de la grandeur latine. C’était grâce à eux, au contact de leurs manières et de leurs serviteurs, que le nom de Rome, à chaque génération, jetait de plus profondes racines dans la terre gauloise.

Sur cette terre, les incidents politiques étaient très rares. A peine nommés, les empereurs obtenaient aussitôt des Gaules les marques ordinaires de la dévotion[64]. On immolait pour leur salut des taureaux à la Terre-Mère, de plus en plus puissante de ce côté des Alpes[65]. Ils n’en perdaient pas moins très vite le pouvoir et la vie. Les Gaulois n’en avaient nul désespoir, et ils continuaient d’obéir et de prier.

Après tout, la vie normale ne souffrait point de ces changements de princes. J’imagine que les bureaux, à Rome et aux chefs-lieux de provinces, expédiaient les affaires sans être troublés par les révolutions du palais. Partout, les grandes voies impériales recevaient les soins qui leur étaient nécessaires[66]. Le conseil des Trois Gaules se réunissait régulièrement à Lyon, et, en lisant les documents qu’il a laissés pour cette époque, nul ne se douterait des tragédies qui ensanglantent l’Italie et des malheurs qui menacent aux frontières. Il n’y est trace que des préoccupations habituelles à ce genre d’assemblée : accusera-t-on le gouverneur ? à qui élèvera-t-on une statue ? et ce sont alors lettres de recommandation, témoignages d’électeurs, projets d’honneurs à décerner. On dirait que la grande assemblée ne sort pas des affaires du jour et des questions personnelles[67]. Comme elle, le monde provincial vivait dans une sorte de vie stagnante, si peu agitée qu’elle semblait ne pouvoir plus changer.

Qu’on renouvelât trop souvent les maîtres de l’Empire, c’était un mal plus apparent que réel. Aucun de ces princes ne fit tort au nom d’Auguste. Tous eurent leur mérite, même Maximin. Le temps de Commode s’éloignait de plus en plus dans le passé, tel que le cauchemar d’une seule nuit. On doutait qu’un nouveau Néron fût jamais possible à la tète du monde. Philippe, Decius furent des chefs bien doués, et les braves gens n’avaient point de scrupules à prier pour eux la Terre-Mère.

L’Empire put donc célébrer, avec une joie presque sans mélange, les fêtes du millénaire de Rome, qui se présenta sous l’empereur Philippe (248). Mille ans de progrès continus, d’une marche régulière vers la conquête de l’univers, une telle pensée était de nature à provoquer le délire des Romains, à surexciter leur imagination et leur foi. Et je crois que les fêtes du millénaire furent en effet prodigieuses, par le bruit, la dépense, l’allégresse des hommes, le concours des multitudes. Le malheur est qu’elles se passèrent comme tout se passait alors dans la Rome païenne, de façon grossière et banale. Ce furent des combats, des courses de chars, des exhibitions de bêtes rares, des jeux, des sacrifices aux vieux dieux, et rien d’autre[68]. De ce miraculeux anniversaire, il n’est resté ni un grand monument ni une belle œuvre de poésie ni une page superbe de discours. Le corps de l’Empire était demeuré vigoureux, mais son esprit était devenu incapable de rien créer.

 

VII. — LES MISSIONNAIRES CHRÉTIENS EN GAULE.

Ce qui manquait au monde païen, — une passion sincère, l’intensité de la vie, de la variété dans les sentiments, la beauté des œuvres et la gloire des hommes, — s’épanouissait alors dans la société chrétienne. Saint Cyprien, évêque de Carthage (249-258), exerçait l’empire sur elle, la dominant par ses facultés de chef, par la loyauté de son âme, par la netteté de son intelligence[69].

Ce fut à l’époque de Cyprien que la conversion des Gaules, différée depuis la mort d’Irénée, fut enfin reprise par les missionnaires.

La tradition parlait d’une pléiade de sept missionnaires, qui avaient été ordonnés pour annoncer la foi dans les Gaules : à chacun d’eux on assigna une grande ville, dont il serait l’évêque, et d’où il partirait pour de nouvelles batailles. Paul vint à Narbonne, Trophime à Arles, Saturnin à Toulouse, Martial à Limoges, Denys à Paris, Gatien à Tours, Austremoine chez les Arvernes. Et la grande conquête commença[70].

Il est possible que ces faits soient vrais, et que la tradition ait conservé fidèlement les noms des villes et des hommes auxquels le Christianisme gaulois a dû ses nouvelles victoires ce récit ne présente aucun détail qui soit invraisemblable[71].

Mais il est également possible que la tradition ait groupé ensemble des apôtres d’époque différente, qu’elle ait fait une seule mission de départs successifs, une seule guerre, méthodique et conquérante, de, campagnes isolées et dispersées, et qu’elle ait rapproché des dates, associé des noms, supprimé des faits, afin d’arriver et de s’arrêter au chiffre mystérieux de sept évêques, s’avançant ensemble dans une marche solennelle et prédestinée.

Ce qu’on peut au moins tenir pour vrai, c’est que le Christianisme pénétra alors dans les grandes villes du Midi et du Centre, étrangères jusque-là à son influence. Narbonne, Arles et Toulouse, les plus vieilles colonies du Sud, Limoges, Clermont, Tours et Paris, les cités les plus neuves de la Celtique, eurent enfin leurs petites assemblées et leurs évêques. L’église de Lyon et ses filiales de l’Est ne furent plus isolées dans le monde gaulois.

A la différence des églises qu’avaient fondées saint Paul, les maîtres d’Irénée et Irénée lui-même, les nouvelles confréries étaient d’origine et de tendances latines. D’aucun de ces fondateurs on ne peut affirmer qu’il vint de Grèce ; d’aucune de ces communautés on ne peut supposer qu’elle eut le grec pour langue courante. Il est probable que, vers le même temps, les vieilles églises de Lyon et de Vienne prirent à leur tour les usages romains[72]. Le Christianisme occidental s’écartait des formes helléniques qui avaient encadré sa première vie.

Comment procédèrent ces apôtres ? quelles résistances eurent-ils à vaincre ? et jusqu’où portèrent-ils leurs pas ? La tradition a négligé de nous le dire. Elle ne se préoccupe encore, dans la vie des saints, que de l’épopée de leur martyre. Cette histoire, qui fixa de nouvelles destinées à la Gaule, qui a dû être riche en épisodes de tout genre, demeurera peut-être à jamais ensevelie dans les ténèbres.

Nous ne savons même pas d’où sont partis les missionnaires. On a dit que c’était de Rome[73] : cela n’est point certain. Peut-être l’influence de saint Cyprien a-t-elle été pour beaucoup dans ces glorieuses affaires. Peut-être furent-elles facilitées par l’empereur Philippe, dont on a supposé qu’il était chrétien[74].

Tout en s’étendant au loin, l’Église Universelle achevait de se constituer, telle que l’avait rêvée autrefois le grand évêque de Lyon. Mlle eut, dans chaque région de l’Empire, ses assemblées de prêtres, qui fixaient le dogme et les rites, jugeaient et condamnaient les hérétiques[75]. A côté de leurs assises politiques de Narbonne et du Confluent, les provinces gauloises voyaient se former les mystérieux conciliabules des évêques chrétiens, se groupant en conseil de légistes et en cour de justice[76] Le Christianisme imitait, pour le plus grand profit de sa puissance, les institutions fédérales de l’État romain. Il semble de plus en plus qu’il veuille continuer l’Empire et lui assurer, sous une forme plus sainte, un nouveau millénaire.

 

VIII. — LA PERSÉCUTION DE DÉCIUS.

Decius, le successeur de Philippe, eut le courage d’entreprendre la suppression de l’Église chrétienne : ce fut le premier empereur qui osa cette tâche, maintenant presque surhumaine. Une foi profonde dans les dieux de Rome, un ardent désir de fortifier et de rajeunir l’Empire, le besoin de réveiller les devoirs civiques pour mieux résister aux Barbares, et sans doute les excès de la propagande au temps de son prédécesseur, le décidèrent à une persécution générale (250-251)[77].

En Gaule, on rapporta à cette persécution la fin de quelques-uns des récents missionnaires. Denys de Paris, après avoir subi mille tortures, fut décapité[78]. Saturnin de Toulouse fut attaché à un taureau furieux, que l’on chassa du haut de l’escalier du Capitole[79]. Et il dut y avoir, çà et là, d’autres victimes.

Toutefois, la tradition ajoutait que les cinq autres missionnaires moururent paisiblement au milieu de leurs églises, enrichies par leurs soins[80]. Je la croirais volontiers sur ce point : car, d’ordinaire, elle exagère l’horreur des persécutions, et, quand elle l’atténue, c’est pour se rapprocher de la vérité. Sans doute Decius n’eut-il pas le temps d’agir vigoureusement contre les églises de Gaule, ou ne les jugea-t-il pas dangereuses au point de mériter une répression sanglante[81].

Après lui, les disciples des sept missionnaires reprirent paisiblement la pieuse tâche. On les vit à Bourges[82], peut-être à Reims[83], peut-être plus loin encore, à Bordeaux[84] près de l’Océan, à Trèves[85], près de ces armées du Rhin qu’Irénée avait déjà failli atteindre.

Mais ils trouvèrent rarement ces miraculeux triomphes qu’ils rêvaient. Il n’arrivait à leur foi que quelques pauvres, toujours prêts à entrer dans le royaume d’un dieu[86]. Les fidèles n’avaient pas toujours de quoi acheter ou louer une maison où tenir leur assemblée[87]. Quand un riche sénateur se convertissait, on racontait le fait comme un prodige voulu par Dieu[88]. A ce compte, pour conquérir la Gaule, il faudra aux Chrétiens un temps infini, à moins que les empereurs ne viennent à leur secours[89].

Il n’y avait plus, en ces assemblées chrétiennes de l’extrême Occident, ni grandes passions ni folles ardeurs. On n’y trouvait aucun prêtre qui eût l’allure d’un vrai chef. L’hérésie y était mollement combattue[90]. Si les évêques du pays avaient pris l’habitude de se réunir, il ne sortait pas de leur conseil des résolutions énergiques. Dans la persécution comme dans la liberté, l’église de Gaule, depuis la mort d’Irénée, demeurait la plus terne du monde chrétien.

 

IX. — DÉCHIREMENT DE L’EMPIRE SOUS GALLIEN.

Les Germains ne faisaient pas plus de progrès du côté de ce même Occident. Tandis que les Goths, organisés en empire, devenaient un redoutable ennemi pour les provinces du Danube, les Barbares de l’Ouest ne parvenaient pas à se remettre des coups assenés par Maximin. Leurs médiocres levées de boucliers n’aboutissent, pendant ces vingt ans, qu’à de misérables déroutes. Que les Francs remontent le Rhin jusqu’à Mayence[91], que les Alamans descendent le Danube jusqu’à Ratisbonne[92], ils se heurtent toujours à des lignes intactes et à de bons généraux. Aux frontières comme à l’intérieur, un empereur était encore le vaillant champion de Rome et de ses dieux.

Cette belle résistance s’arrête brusquement à la mort de Decius (251), et, moins de dix ans après les fêtes du millénaire, la crise décisive éclate.

L’origine en fut la plus honteuse des guerres civiles. On ne put s’entendre longtemps sur le nom d’un nouveau prince. Les armées et le sénat avaient accepté d’abord Gallus (251)[93]. Puis, les légions du Danube n’en voulurent plus, et proclamèrent Émilien (253)[94].

On vit alors les mêmes mouvements de troupes qu’à l’époque de Vitellius : Émilien et ses Illyriens marchèrent vers l’Italie, où se trouvait Gallus[95]. Celui-ci appela à son secours les soldats du Rhin, que commandait Valérien[96]. Toutes les armées de l’Europe franchirent tour à tour les Alpes, se portant à la conquête de Rome[97]. — Il y avait près de deux siècles, depuis la mort de Néron, que ni Rome ni l’Italie n’avaient senti sur leur sol sacré l’horreur des luttes civiles et des batailles fratricides.

Mais au temps de Vitellius et de Néron, les Barbares ne se risquaient pas à franchir la frontière, même dégarnie d’hommes. Cette fois, dès que les soldats se furent éloignés, ils fondirent en masse sur l’Empire. Ils guettaient cette occasion depuis de longues années, ils en profitèrent tous en même temps, comme si un mot d’ordre leur fut donné par quelque chef audacieux, lançant le signal de l’attaque le long de la frontière, des bords de la mer Noire jusqu’à l’île des Bataves.

Valérien put rétablir l’unité politique de l’Empire, en prenant comme Auguste la place et de Gallus et d’Émilien, tués l’un après l’autre (août 253)[98] : mais le mal était fait, et les ennemis couraient partout dans les provinces du monde romain.

Les Goths ont remonté le Danube, et vont enlever à Rome la Dacie de Trajan[99] : ce qui sera le premier affront qu’elle aura subi depuis le désastre de Varus, 950 ans auparavant. Les Alamans ont percé la muraille, occupé la Franconie et la Souabe, traversé le Rhin[100], et les voici s’aventurant autour des Alpes, en Suisse, en Bourgogne, en Auvergne même : les plus hardis arriveront plus loin encore, jusqu’en Italie et jusqu’auprès de Milan[101]. Les Francs, eux aussi, ont franchi le Rhin : devant eux, dans la Gaule sans armes, ils ne trouvent aucun obstacle, poussent toujours plus au sud leurs bandes de pillards, même au delà des Pyrénées, dans les champs de la Catalogne[102] (253-255 ?[103]). De plus loin encore, les montagnards de l’Écosse[104], les nomades des déserts d’Afrique[105], les Perses du grand royaume oriental[106], accourent pour prendre part à l’énorme curée.

Il faut rendre cette justice à Valérien[107] que, comme Decius, il fit son devoir avec intelligence et courage[108]. — A chacune des régions envahies il imposa un dictateur militaire[109], et il donna ces postes de confiance aux meilleurs généraux des dernières guerres[110]. — Pour stimuler ou rassurer l’esprit public, il décréta de nouvelles poursuites générales contre les Chrétiens (257-8)[111]. Car, depuis Marc-Aurèle, tout danger de frontière provoquait une persécution : on jugeait ces hommes les ennemis du dedans et peut-être de connivence avec ceux du dehors[112]. — Du côté des Barbares de l’Occident, à la défense de la frontière du Rhin, il envoya son fils Gallien, qu’il s’était associé comme Auguste. — Enfin, lui-même partit au-devant de l’adversaire le mieux organisé et le plus digne d’un empereur, le roi des Perses[113].

Mais alors arriva une nouvelle catastrophe : Valérien fut battu et fait prisonnier (260)[114]. Et jamais, depuis trois siècles qu’on obéissait à des empereurs, l’Empire n’avait connu un désastre de cette espèce, son chef divin aux mains de l’ennemi.

De ce malheur, un autre mal sortit encore. Valérien fut remplacé partout par son fils Gallien[115], incapable, débauché et cruel, plus mauvais qu’aucun des vingt Augustes qui avaient suivi Commode. Peut-être même fallait-il remonter beaucoup plus haut dans l’histoire pour retrouver un maître aussi odieux : et l’on faillit parler de lui comme d’un nouveau Néron[116]. L’avènement de Gallien signifiait-il que les dieux avaient enfin condamné le peuple romain, et forgé l’instrument de sa perte ?

Pourtant, même dans ces années où toutes les nations et tous les dangers conjurèrent contre lui, il ne perdit pas confiance, et il put sauver sa fortune[117].

 

 

 



[1] Pour la bibliographie générale, t. III, ch. II, n. 32. Ajoutez, pour ce chapitre et les suivants, von Wietersheim, Geschichte der Völkerwanderung, II-III, 1860-2 ; 2e éd., p. p. Dahn, I, 1880, p. 160 et s. ; les premières pages de chacune des parties du grand ouvrage de Dahn, Die Könige der Germanen, depuis 1861 ; du même Dahn, Urgeschichte der germanischen und romanischen Völker (Allg. Gesch. d’Oncken), II, 1881, p. 189 et s. ; Seeck, Geschichte des Untergangs der antiquen Welt, I, 2e éd., 1897-8, l. II.

[2] Cf. ch. XV ; ch. XVI, § 2.

[3] La cause de sa migration nous échappe : peut-être les incursions des Danois de Suède (cf. Jordanès, Getica, III, 23).

[4] Sur ce point, contrairement à leurs habitudes, ils s’étaient bornés à des comptoirs ou villes sur la côte.

[5] Je place cet établissement vers 170, en lui rapportant les bouleversements à la frontière de Dacie dont parle Dion pour cette date (LXXI, 12). — La mention, à ce propos, des Cotini de la Silésie (id.) montre que les Goths ont dû prendre la route, d’ailleurs naturelle, de la Vistule ou de l’Oder, du pied des Carpathes, du Dniester jusqu’à la mer, c’est-à-dire, en somme, la route traditionnelle des marchands et de l’ambre (cf. Jordanès, Get., XVI, 89). — Avec ou derrière eux durent venir les Vandales, auxquels Marc-Aurèle eut affaire en Pannonie (Marcus, 17, 3 ; 22, 1), sans doute aussi les Burgondes (cf. Zosime, I, 68, 1). Vandales et Burgondes ont dû s’arrêter alors en Silésie, petite Pologne, Galicie. — Par la même ligne vinrent plus tard les Gépides (Jordanès, Get., XVII, 97), et sans doute aussi les Hérules (Jordanès, III, 23). — L’ensemble de ces invasions représente la descente, vers le sud, de l’ancien groupe des peuples du Nord-Est de la Germanie, peuples autrefois dits Vandales ou Tandili, et sur lesquels domine maintenant le nom gothique. — Elles ont englobé les dernières traces du monde celtique sur la route du nord des Carpathes, Cotini et Bastarnes, comme celles des Suèves ont fait disparaître les États celtiques sur la route du Hein, de l’Elbe et du Danube.

[6] Cf. Jordanès, Getica, XI, 67. — Les Cotini semblent avoir été accueillis dans l’Empire, y avoir formé une civitas ; Dion, LXXI, 129 3 ; C. I. L., VI, 2831. Les Bastarnes le seront ensuite. Sur ces transferts, cf. Seeck, I, 2e éd., p. 576-8.

[7] Gentibus, quæ pulsæ a superioribus barbaris fugerant ; Hist. Aug., Marcus, 14, 1. — C’est le cas des Lombards de l’Elbe moyen, que nous voyons, vers 166, apparaître, je crois sur la haute Theiss (Dion, LXXI, 3, 1 a). — Vers le même temps, il semble que le Brandebourg des Semnons ait été en partie déserté par ses habitants (LXXI, 20, 2, p. 275, Boissevain).

[8] Un exemple curieux de ces déplacements est fourni par les Dulgubnii, que nous avons vus jadis quelque part dans le Hanovre, et que nous trouvons maintenant sujets de Rome, au sud du Danube, entre Vienne et Pesth (von Domaszewski, Rœm.-Germ. Korr., III, 1910, p. 84-5).

[9] Les Saxons paraissent avoir été d’abord une petite tribu de l’ancien pars des Cimbres (Ptolémée, II, 11, 7 et 16), peut-être dans le Holstein. Le nom des Chauques, après Marc-Aurèle, n’apparaît plus que comme partie des Saxons (Zosime, III, 6, 1). L’extension des Saxons est du IIIe siècle (Eutrope, IX, 21 ; Orose, VII, 25, 3), et peut-être faut-il en voir le point de départ au moment de l’ambassade de peuples de ce pays à Caracalla en 213. — Elle correspond assez à celle du nom des Ingyévons.

[10] Panegyrici, Bæhrens, V [VIII], 9. — Il y avait en ce temps-là dans l’armée romaine de Bretagne un cuneus Frisiorum, Frisionum, auquel appartenaient entre autres des Germains cives Tuihanti. Ces derniers étaient sans doute tirés du pagus de la Twenthe, voisin de la Frise, ancien domicile des Tubantes, et il est possible que ces Frisons au service de nome fussent des indigènes de la Frise indépendante plutôt que des Frisons transportés à l’ouest du Zuiderzée. Ces régions des Pays-Bas étaient donc peut-être revenues sous l’influence romaine. — Sur eux et les précédents, en dernier lieu L. Schmidt, Geschichte der deutschen Stämme, II, 1, 1911.

[11] Les Danois arrivés sans doute de Suède dans les îles (cf. Bremer, § 111), et sans doute avec les Jutes, ceux-ci dans le Jutland (cf. Bremer, § 135). Les Angles, à leur différence, ne sont pas des immigrés : ils sont devenus le nom dominant de la ligue de Nerthus à l’est du Jutland (Ptolémée, II, 11, 8).

[12] Si on examine chronologiquement les textes relatifs aux Francs, on les voit apparaître pour la première fois entre 241 et 257 du côté de Mayence (Hist. Auguste, Aurelianus, 7, 1 et 2 ; 33, 4) : et alors le nom ne peut s’appliquer qu’aux Chattes de la Hesse. — Mais en 277, nous voyons que le nom est donné à des Germains des basses terres de la rive droite du Rhin (Probus, 12, 3). Et c’est désormais là que nous trouverons le nom, soit qu’il y ait erreur dans les premiers textes de l’Histoire Auguste, soit que le nom, après s’être étendu aux Chattes, se soit ensuite limité aux peuples de la plaine en aval de Bonn. — Voici les différentes peuplades qui ont pu se grouper sous ce nom. — I. En amont, les Chattes, déjà cités. — II. Les peuples des marais et terres basses voisines du Rhin inférieur : 1° les Salii, d’origine frisonne ?, peut-être alors dans le Salland en Over-Yssel (cf. Ammien, XVII, 8, 3) ; 2° les Chamavi (Table de Peutinger), arrivés ou installés de bonne heure dans le Hamaland au sud du Salland ; 3° les Attuarii (Ammien, XX, 10, 2), établis peut-être à l’origine à l’est des Saliens et des Chamaves, dans la Twenthe, et descendus ensuite au sud de ces derniers, entre Ruhr et Lippe, sur les terres des Usipètes. Ce sont ces trois peuples qui sont spécialement, plus tard, appelés Francs, et j’incline à croire que c’est parmi eux, et plus particulièrement chez les Chamaves, que le nom a pris naissance. Salland et Hamaland étaient sans doute les agri vacui et militum usui sepositi si souvent convoités par les Barbares (Tacite, Ann., XIII, 54). Et les peuples de ces terres ont peut-être été d’ordinaire à la solde de l’Empire. — III. Les restes des peuples suivants, autrefois célèbres : 1° Bructères ; 2° Marses, qui sont peut-être les anciens Sicambres ; 3° Usipètes ; 4° Tenctères ; 5° Ambivariens ; 6° Tubantes dans la Twenthe ? peut-être à rapprocher du premier groupe) ; 7° Chasuarii ? : ces noms, dont quelques-uns se conserveront jusqu’au ive siècle (Sulpice Alexandre apud Grégoire, Hist. Franc., II, 9 ; Panegyrici, VII [VI], 12 ; X [IV], 18), sont ceux des populations de l’Ems supérieur, de la Lippe et de la Ruhr, intermédiaires entre Chattes et vrais Francs. — Dans l’ensemble, le nom franc (les Chattes mis à part) semble l’héritier de celui des Istévons. II renferme les populations qui, avant les Romains, ont subi le plus le contact de la civilisation gauloise, et qui, sous l’Empire, ont été le plus longtemps en rapports avec Rome, parfois même à demi vassaux de l’Empire. Et tout cela est capital pour comprendre l’histoire ultérieure des peuples de ce nom. — En dernier lieu, Schmaus, Geschichte und Herkunft der alten Franken, Bamberg, 1912 (vulgarisation).

[13] Le nom, Alamanni, Alemanni, apparaît d’abord en 213, pour s’appliquer à des voisins des Chattes (Dion, LXXVII, 13, 4 ; 14, 2). On ne peut guère songer alors qu’à des populations voisines du lime, dans le Haut Palatinat et la Franconie, là où Tacite (Germ., 41-42) place les Suèves Hermundures et Naristes [?], et où se trouvaient aussi les Juthungi (Dexippe, 22, Hist. Gr. min., I, Dindorf) : et je crois qu’il y a beaucoup d’Hermundures parmi les Alamans. Mais il doit y avoir aussi des tribus d’autres peuples de l’intérieur (Asinius Quadratus ap. Agathias, I, 6), par exemple des fameux Semnons, qui semblent se disloquer depuis le passage des Goths. — Je ne verrais donc aucune objection à accepter l’opinion courante, qui fait du nom d’Alamans l’héritier de l’ancienne ligue suève des Semnons. — En tout cas, il s’agit de peuples qui ont subi l’influence ou tout ou moins l’attraction de Rome (Tacite, Germ., 41 ; Dion, LXVII, 5, 3), mais cependant infiniment moins que les Francs.

[14] Sur les étymologies données à ces noms, voyez en dernier lieu Ihm dans la Real-Encycl., aux mots Franci et Alamanni.

[15] La question la plus difficile à résoudre est de savoir ce qui se passe alors dans les terres centrales, celles du moyen Weser, chez les Chérusques de jadis, et celles du moyen Elbe, dont tous les anciens peuples ont disparu, Marcomans les premiers, puis Hermundures, puis Lombards, et Semnons en dernier lieu.

[16] Et sans doute une organisation nouvelle.

[17] Fustel de Coulanges, L’Invasion germanique (Institutions, II), p. 322 et s.

[18] Zosime, I, 71, 3-5.

[19] Cf. Tacite, Germanie, 2.

[20] Jordanès, Getica, XIII, 78 ; XIV ; Tacite, Ann., II, 88 ; Germ., 2. Cf. Kurth, Hist. poétique des Mérovingiens, 1803, p. 31 et s.

[21] Jordanès, Getica, XXIII. Cf. t. VI.

[22] Cf. von Gutschmid, Geschichte Irans, 1833, p. 162-3.

[23] Cf. Liste de Vérone, p. 251, 2, Seeck.

[24] Seeck, Der erste Barbar auf dem rœm. Kaiserthrone, dans les Preuss. Jahrbücher, LVI, 1885, p. 267 et s.

[25] Soit que l’ancien pont de Mayence ait été alors détruit, soit, plutôt, pour le doubler. Hérodien, VI, 7, 5-8 ; Maximinus, 11, 7-9. Alexandre eut surtout l’idée excellente d’amener quantité d’archers orientaux et maures, pour lutter contre les armes de jet germaniques : ob hoc maxime Orientalia secum trahebat auxilia, quod nulli magis contra Germanos quam expediti sagittarii valent.

[26] Imp. Cæsar C. Julius Verus Maximinus Augustus. Il s’associa, comme César ou peut-être comme Auguste, son fils C. Julius Verus Maximus.

[27] Hist. Auguste, Max., 2, 2.

[28] Hérodien, VII, 1, 5 et s. ; Max., 10 et s. ; Eutrope, IX, 1 ; Orose, VII, 19, 1.

[29] Max., 11, 7-9 ; 12, 1 ; Hérodien, VII, 2.

[30] Navale quoddam prœlium in palude (Max., 12, 1-4 ; cf. Hérodien, VII, 2, 6-7). On n’alla pas au delà de ce marais (Max., 12, 6), lequel parait avoir été à la lisière d’une grande forêt : vers Dessau ?

[31] Le chiffre, trecenta vel quadringenta, est donné par les principaux manuscrits ; Max., 12, 1. Mettons 300 ou 400 milles aller et retour : mais il faut les compter, non depuis Mayence, mais depuis le limes et le Mein vers Gross-Krotzenburg (barbarici soli) : ce qui peut en effet nous mener à Dessau (cf. n. précédente). Mais la tradition est si vague ! — On a pensé aux abords du Harz (von Wietersheim et Dahn, I, p. 191).

[32] Peut-être (car il ne devait pas y avoir le choix entre beaucoup de routes depuis Mayence), peut-être a-t-il suivi le chemin de Drusus et de Tibère en 9.

[33] Hérodien, VII, 2, 9. De même, Max., 13, 3-4.

[34] Hérodien, VII, 2, 9 ; Max., 13, 3 ; cf. Tillemont, Max., art. 3.

[35] Cf. Tillemont, art. 4-11.

[36] Semibarbarus, Max., 2, 5.

[37] En Gaule, il semble qu’il ait bien fait la besogne courante, en particulier la réparation des routes : en Forez (XIII, 8861-70), Velay (8887), Berry (8940), Armorique (8953-4), Normandie (8984-9), Suisse (9058 ; XII, 5534), Souabe (X111, 9083), dans les Alpes Maritimes (XII, 5427-8), sur le Rhône (XII, 5545, 5359). Vu le peu de longueur du règne, cette profusion de milliaires, répandus partout, indique une restauration générale des routes, peut-être dans un intérêt militaire. — Aucune trace certaine en Gaule de persécution contre les Chrétiens. — Je me demande si la mémoire de Maximin n’a pas été systématiquement dénigrée.

[38] Cf. Lécrivain, Le Sénat romain depuis Dioclétien, 1888, p. 3 et s.

[39] Hérodien, VI, 1, 1-2 ; Alex., 16.

[40] Gord., 3, 5 et s. ; 32 ; etc. Les faits d’opulence qu’on cite d’eux sont extraordinaires, mais non impossibles. — L’aîné (voir l’inscription de Bordeaux, C. I. L., XIII, 592) s’appelait imp. Cæsar M. Antonius Gordianus Sempronianus Romanus Africanus Augustus, et ces noms paraissent aussi ceux de son fils. C’est le premier exemple, depuis l’avènement de Vespasien, d’empereurs appartenant à une vieille famille de Rome, et leur richesse doit venir d’héritages accumulés.

[41] Unus qui res domesticas, alter qui bellicas caret (Balb., 2, 5). — Imp. Cæsar M. Clodius Pupienus Maximus Augustus et imp. Cæsar D. Cælius Calvinus Balbinus Augustus.

[42] Imp. Cæsar M. Antonius Gordianus Augustus.

[43] Gord., 31, 1 ; 23. 6-7 ; 24 ; 27. Timésithée (C. Furius Sabinius Aquila Timesitheus) fut peut-être un des fonctionnaires qui ont le mieux connu et visité tout l’Empire, et on peut dire qu’il avait servi dans le monde entier. En Gaule, il vint une première fois, au début du règne d’Alexandre Sévère, comme procurator rationis privatæ de Belgique et Germanies ; il y revint, peut-être avec lui en 234-5, comme vice procuratoris patrimonii dans la Belgique et les deux Germanies et en même temps vice præsidis provinciæ Germaniæ Inferioris ; il y revint encore vers 233, comme intendant en Lyonnaise et Aquitaine. Ce fut peut-être le meilleur des serviteurs civils de l’Empire en ce temps. Voyez la dédicace de la statue que lui élevèrent à Lyon deux de ses amis ou clients indigènes, un Arverne et un Médiomatrique (C. I. L., TIII, 1307). — On place alors, en 241, mais sans certitude, l’apparition du nom des Francs, et la campagne d’Aurélien contre eux, en qualité de tribunus legionis VI Gallicanæ (la légion ne peut guère être que la XXIIe, mais Aurélien a pu être préfet de quelque cohors Gallica : Aurel., 7, 1-2 ; Tillemont, Histoire, Gordien le Jeune, art. 3). Mais ces faits peuvent tout aussi bien appartenir aux campagnes contemporaines de Valérien. — K. F. W. Lehmann, Kaiser Gordian III, 1911.

[44] Imp. Cæsar M. Julius Philippus Augustus. Il s’associa son fils comme César d’abord, comme Auguste en 247.

[45] Gord., 31, 2-7 ; Zosime, I, 19, 3.

[46] Imp. Cæsar C. Messius Quintus Trajanus Decius Augustus, mari de Herennia Etruscilla, père de Q. Herennius Etruscus Messius Decius Cæsar et de C. Valens Hostilianus Messius Quintus Cæsar.

[47] Cela me parait résulter des conditions de la censure de Valérien. Voyez le mot d’Emilien, plus bas en note. — Cf. Herzog, Geschichte und System, II, p. 521-2.

[48] Hist. Auguste, Valer., 5-6 [1-2]. Le choix de ce titre de censeur s’explique parce que la censure comporta toujours des pouvoirs extraordinaires. — On nomma censeur le futur empereur Valérien, qui, comme les Gordiens, appartenait, semble-t-il, à une vieille gens romaine, parentibus ortus splendidissimis (Aurelius Victor, Epit., 32).

[49] Remarquez le retour au pouvoir de très vieilles familles romaines, et, dans les noms des empereurs, des noms qui rappellent les temps de la République.

[50] Marc-Aurèle a sans doute aidé à cela.

[51] Alex., 58, 4-5 (note suivante).

[52] Attesté depuis Alexandre : Sola quæ de hostibus capta sunt limitaneis ducibus et militibus donavit, ita ut eorum essent, si heredes eorum militarent, etc. (H. Auguste, Alex., 58, 4-5.

[53] Sous Gallien, Aurelius Victor, De Cæsaribus, 33, 33-4 ; 37, 6.

[54] Dion Cassius, LXXIV, 2.

[55] Dion, LXXI, 11, 4 ; 16, 2 (prisonniers ou otages entrés au service) ; sous Commode, Dion, LXXII, 2, 3.

[56] Sous Alexandre (Alex., 58, 3) ; sous Postume (Gall., 7, 1) ; sous Claude (Cl., 9, 4 ; Zosime, I, 46, 3) ; sous Aurélien (Dexippe, Fr. h. Gr., III, p. 685-6) ; sous Probus ; etc. Cf. Fustel de Coulanges, L’Invasion (Inst., II), p. 381 et s.

[57] Tout cela a été bien vu et bien dit par Aurelius Victor, De Cæsaribus, 37, 5-7.

[58] Cyprien, Ad Donatum, 12, p. 13, Hartel.

[59] Il est impossible de ne pas appliquer à ce temps l’expression fameuse d’Ammien (XXVII, 11, 1), patrimonia sparsa per orbem Romanum ; cf. en effet Marcus, 11, 8 ; Pline, Lettres, VI, 19, 4.

[60] Gromatici veteres, p. 35, 15-6 et p. 46, 5-6 (saltus privati) ; Ulpien, Digeste, XI, 4, 3, et XI, 4, 1, 2 (qui semble bien indiquer une tentative des sénateurs, sous Marc-Aurèle, pour constituer un droit d’asile en faveur de leurs domaines) ; Digeste, L, 11, 1, et Pline, Lettres, V, 4 (foires sur des domaines). Cf. Beaudouin, Les grands Domaines, p. 199-200, p. 8-9, p. 151 et s. (en faisant remarquer que les textes des premiers siècles ne nous font bien connaître que les domaines de l’Afrique, et que les textes généraux appartiennent surtout au Bas Empire). — Un exemple d’un ensemble de domaines (massa) en Gaule, près de Lyon, est fourni, à la date de 226, par la massa ferrariarum (groupes d’exploitations de mines de fer) d’une femme de sénateur nommée Memmia Sosandris, massa affermée par elle à des mancipes ou socii vectigalis (C. I. L., XIII, 1811) ; cf., là-dessus, Beaudouin, p. 233.

[61] Il semble, en effet, que ce soit également sous Marc-Aurèle que les prædia senatorum apparaissent comme une catégorie distincte de domaines (Digeste, II, 4, 3 ; XI, 4, 1, 2).

[62] Cf. tome V.

[63] De cette restauration sénatoriale, on peut trouver également une preuve dans cette parole d’Emilien (253), écrivant au sénat : Βασιλειαν ύμΐν καταλεμάνω, κάγώ ό στρατηγός ύμέτερος πανταχοΰ άγωνίζομαι (Continuateur de Dion, fr. 2, Didot, Fr. hist. Gr., IV, p. 193). Remarquez aussi le fait, assez insolite, d’une dédicace pro salute Gordiani, senatus ac Romæ (C. I. L., XIII, 7996).

[64] Monuments à Gordien Ier (XIII, 592 : me paraît de Bordeaux, et non d’origine africaine) ; Gordien III (XII, 9, Vence ; 5366, Narbonne ; XIII, 511, Lectoure) ; Philippe (XII, 10, Vence ; 1567, Die ; 4227, Béziers ; Année épigr., 1910, n° 217, prés de Nîmes) ; Decius (XII, 11, Vence) ; famille de Gallien (XII, 12, Vence ; 93, Briançon ; 171, Antibes ; 1352, Vaison). — Remarquez le loyalisme démonstratif de certaines cités des Alpes, comme Vence.

[65] Gordien III : à Lectoure (XIII, 511) ; Philippe : à Die (XII, 1567) et près de Nîmes (Année épigr., 1910, n° 217).

[66] Bornes milliaires, surtout dans les Trois Gaules, aux noms de Gordien III (C. I. L., XIII, 8901, 8911, 9039, 9099, 9107), de Philippe (8873, 8878, 8889, 8905, 9100, 9108 ; XII, 5531), de Decius (XIII, 8865, 8903, 8939, 9090, 9097, 9101-2, 9109-10, 9123, 9126), de Gallus (XII, 5518, 5538 ; XIII, 8880, 8885, 9008, 9056, 9070-1).

[67] Monument de Vieux, daté du 16 décembre 238 (C. I. L., XIII, 3162). Remarquez que le monument est d’une des années les plus troublées de l’Empire, celle qui vit les luttes entre Maximin, Pupien, Balbin et les trois Gordiens. Et la grande innovation qu’annonce ce monument, c’est qu’il est le premier élevé par les Trois Gaules hors du Confluent, dans le pays d’origine du bénéficiaire : Tres prov. Gall. primo umquam in sua civitate posuerunt.

[68] Eutrope, IX, 3 ; Hist. Auguste, Gord., 33 ; Aurelius Victor, De Cæsaribus, 28, 1 ; etc.

[69] Monceaux, Histoire littéraire de l’Afrique chrétienne, II, 1902, en particulier p. 231.

[70] Grégoire de Tours, Hist. Fr., I. 30 : Hujus tempore [sous Decius, 249-251 ; plus loin, Grégoire donne la date de 250 pour le début de l’épiscopat de Saturnin à Toulouse, confondant sans doute la date de ce début avec celle du martyre], septem viri episcopi ordinati ad prædicandum in Galliis missi sunt... Turonicis Gatianus episcopus, Arelatensibus Trophimus episcopus, Narbone Paulus episcopus, Tolosæ Saturninus episcopus, Parisiacis Dionysius episcopus, Arvernis Stremonius episcopus, Lemovicinis Martialis episcopus. — Les traditions postérieures ajouteront à cette liste beaucoup d’autres noms.

[71] Aucun des noms n’a une forme suspecte. — Il faut remarquer, à l’appui de cette tradition, que saint Cyprien, vers 255, peu après le temps de cette mission, mentionne un évêque à Arles, Marcianus, un autre à Lyon, Faustinus, et d’autres en Narbonnaise ou dans les Trois Gaules, coepiscopos nostros in Gallia constitutos (Epist., 68, 1-3, Hartel). On peut également alléguer, en sa faveur, que les sept évêques ne correspondent pas aux futures métropoles des provinces gauloises des IVe et Ve siècles, correspondance qu’une tradition forgée en ces derniers temps n’eût pas manqué d’établir.

[72] Contra, Renan, Marc-Aurèle, p. 343.

[73] Grégoire de Tours, In gl. confess., 29 (a Romanis episcopis) ; Fortunat, Carmina, II, 8, 11 ; et la presque totalité des traditions locales.

[74] Eusèbe, VI, 34.

[75] Cyprien, Epistolæ, 68 (vers 255).

[76] A concilio sacerdotum sententiam, Cyprien, Epist., 68, 2.

[77] Eusèbe, VI, 39 et s. : le principe de l’édit fut de rendre obligatoires l’abjuration et le sacrifice aux dieux devant les autorités publiques. — Cf. Tillemont, Mémoires, III, p. 305 et s. ; Allard, Histoire des persécutions pendant la première moitié du troisième siècle, p. 277 et s.

[78] Grégoire, Hist. Franc., I, 30 : Diversis pro Christi nomine adfectus pœnis præsentem vitam gladio imminente finivit ; Fortunat, Carmina, I, 11. — Grégoire place évidemment le martyre sous Decius. Une tradition ultérieure, moins croyable, le plaçait sous Aurélien. — Tillemont, Mémoires, IV, p. 446 et s. Les Acta (9 octobre, IV, p. 792-4) n’ont point d’autorité.

[79] Grégoire, ibid. : Tauri furentis vesligiis allegalus ac de Capitolio præcipitatus. De même, Sidoine Apollinaire, Epist., IX, 16, 3 ; Fortunat, Carmina, II, 7. Le martyre parait le résultat d’une intervention populaire plutôt que d’un procès régulier. Ce genre de supplice est particulier ; il peut se rattacher à quelque rite indigène plutôt qu’à l’usage romain ou grec de précipiter le coupable de saxo. — On a supposé avec vraisemblance qu’il y avait un lien entre ce taureau et le culte de la Mère et que la martyre de Saturnin était un nouvel épisode de la lutte entre les deux religions ; E. M[abille], H. g. de Languedoc, n. éd., I, p. 337-8. — Les Actes donnent la date de 250, qui est évidemment celle du martyre (29 nov., Acta sincera de Ruinart, 1689, p. 109-113) ; cf. Tillemont, III, p. 297-8 ; Allard, p. 328. Ce sont les seuls de Gaule, relatifs à des martyres antérieurs à Dioclétien, qui paraissent authentiques ; l’auteur les dit extraits ex actis publicis et rédigés par lui annos L [?] après l’évènement.

[80] Grégoire, ibidem. — Aucune de leurs Vies ne me parait avoir de valeur : sur celles d’Austremoine, en dernier lieu Leclercq, Dict. d’Arch. chrét., fasc. 30, c. 1906 et s. (cf. Grég. de Tours, In gl. conf., 29).

[81] Hirschfeld (Zur Gesch. des Christenthums, p. 397) suppose, dans le libellicus d’une inscription de Lyon (C. I. L., XIII, 1979), un fonctionnaire impérial chargé d’expédier les libelli, ou attestations de sacrifice, accordés aux Chrétiens renégats : mais y avait-il assez de Chrétiens à Lyon pour exiger un fonctionnaire spécial ? Sur ces libelli, cf. Mitteis et Wilcken, Grundzüge, I, p. 130-1, n° 125-6.

[82] Grégoire, Hist. Franc., I, 31 ; In gloria confessorum, 79, où il est question d’Ursinus, mais où la tradition est beaucoup plus corrompue. Grégoire rapporte que l’établissement des Chrétiens à Bourges fut facilité par Leucadius, descendant de Vettius Épagathus, primus senator Galliarum [membre ou président du conseil des Gaules ?] et grand propriétaire dans le pays, notamment à Déols, où on montra plus tard la tombe somptueuse de son fils Lusor (saint Ludre) ; In gloria confess., 93 ; H. Fr., I, 31 [peut-être le fameux sarcophage, d’ailleurs plus ancien, Espérandieu, n° 1560]. Je ne peux attribuer de valeur à la Vie de saint Ursin publiée par Faillon, II, c. 424-8. — Peut-être la mission pénétra-t-elle aussi dans le Gévaudan.

[83] Cela peut être tiré du fait que Reims et Trèves avaient, au concile d’Arles en 314, chacune son quatrième évêque (Mansi, II, c. 476 ; cf., pour Trèves, Mon. Germ. Scriptores, XIII, p. 298, et, pour Reims, Flodoard, Hist. Rem. ecclesiæ, I, 5, Script., p. 417). — La tradition donnait pour premiers évêques à Reims Sixte et Sinice, dont on faisait également des évêques de Soissons. Cf. Flodoard, I, 3, Scriptores, XIII, p. 414 ; Acta, 1er sept., I, p. 125-9 ; Tillemont, IV, p. 494 et s.

[84] C. I. L., XIII, 657, 633. — Il n’existe aucune tradition ancienne pour cette ville, où cependant le Christianisme a pu pénétrer de bonne heure, comme dans toutes les villes de commerce, pleines d’étrangers et d’Orientaux.

[85] Cf. C. I. L., XIII, 633. — Si ces résultats sont exacts, c’est alors seulement que les Chrétiens auraient attaqué les métropoles des Trois Gaules autres que Lyon.

[86] Grégoire, H. Franc., I, 31.

[87] Grégoire, id. Toutefois, Grégoire nous les montre, à Bourges, offrant comme prix d’une maison 300 aurei et un plat d’argent, ce qui est, après tout, une forte somme : mais ce détail peut être légendaire.

[88] Grégoire, H. Franc., I, 31.

[89] Il semble bien que, même dans les églises fondées par les sept missionnaires, il y ait eu plus d’une interruption dans la suite des évêques. — La tradition a groupé autour de ces sept évêques un nombre incalculable de disciples, dont l’action se serait fait sentir à peu près dans toutes les cités de la Gaule. En soi, cela n’est point impossible. Mais, vu le nombre très restreint de martyres gaulois avant Dioclétien, il parait plus vraisemblable de reculer d’une génération cette propagande générale et ceux de ces évangélistes dont le nom peut être authentique.

[90] Cyprien, Epistolæ, 68, Hartel.

[91] En 241 ?

[92] Entré 238 et 244 ? c’est-à-dire vers la même époque (Germanorum pour Alamannorum, Gordiani, 34, 3).

[93] Imp. Cæsar C. Vibius Trebonianus Gallus Augustus, d’origine italienne, s’associa son fils, imp. Cæsar C. Vibius Afinius Gallus Veldumnianus Volusianus Augustus.

[94] Aurelius Victor, Cæsaribus, 31. — Imp. Cæsar M. Æmilius Æmilianus Augustus.

[95] Aurelius Victor, Cæsaribus, 31 ; Zosime, I, 28, 4.

[96] Zosime, I, 28, 5. Il dut arriver par le haut Danube et le Norique, trop tard pour empêcher Émilien de passer en Italie (Eutrope, IX, 7 ; Victor, Cæsaribus, 32, 1 ; Zonaras, XII, 22 ; Zosime, I, 28, 6 ; 29, 1 ; Jérôme, année d’Abr. 2271).

[97] Textes à la note précédente.

[98] Aurelius Victor, Cæsaribus, 31 et 32, 1 ; Epit., 31 ; Eutrope, IX, 5 ; Zonaras, XII, 24 ; Zosime, I, 28, 1-2. Gallus en mai, Émilien en août 253.

[99] Zosime, I, 29, 2-3 ; Eutrope, IX, 8 ; Aurelius Victor, Cæsaribus, 33, 3. Le monnayage romain cesse en Dacie après 255 (Mommsen, R. G., V, p. 220 ; on a dit après 256-7, Rappaport, Die Einfälle der Goten, 1899, p. 51-4). Là s’étalent maintenant Goths, Vandales, Burgondes, Gépides, Hérules et Lombards.

[100] Liste de Vérone, édit. Seeck, p. 253 : Istæ civitates sub Gallieno imperatore a barbaris occupatæ sunt : il s’agit des cités d’outre-Rhin, et sans doute dans l’enceinte du limes : Usip[i]i, Tuuanium [Taunus], Nictrensiuin, Nouarii [ ? ; cf. C. I. L., XI, 6053 ?], Casuariorum [Chasuarii établis là par Rome ?]. La dernière inscription datée, dans les pays du limes, est actuellement de 249.

[101] Eutrope, IX, 7 et 8 : Alamanni, vastatis Galliis, in Italiam penetraverunt ; Aurelius Victor, De Cæs., 33, 3 ; Orose, VII, 22, 7 (Alamanni, Gallias pervagantes) ; Jérôme, années d’Abraham 2277-78, p. 183, Schœne ; Zosime, I, 30, 3 et 4 ; Frédégaire, II, 40, p. 64, Krusch (leur fait détruire Avenches). — Grégoire de Tours (et bien des hagiographes après lui) donne à une bande d’Alamans un roi du nom de Chrocus, lui fait détruire le temple de Vassogalale chez les Arvernes (à Clermont même plutôt qu’au puy de Dôme ; cf. Audollent, Bull. arch., 1907, p. 375-380), le fait ensuite passer peut-être par le Gévaudan, descendre (sans doute par la fameuse voie Regordane vers Alais à travers les Cévennes) jusqu’à Arles, où il est pris (Hist. Franc., I, 32 et 34). Et il n’y a rien que de très vraisemblable dans toute cette histoire, nom du chef compris. — En revanche, je doute fort de la circonstance suivante, qu’intercale Grégoire dans ce récit : il semble attribuer à Chrocus le supplice d’un certain nombre de Chrétiens, notamment en Auvergne et dans le Gévaudan. Il est impossible que les Barbares aient fait la moindre attention aux Chrétiens. Grégoire, comme tant d’autres hagiographes, a uni en un seul groupe de faits, déterminés les uns par les autres, les pillages des Germains et les martyres des Chrétiens. — Sur Chrocus, en dernier lieu Coville, Crocus, dans les Mélanges littéraires publiés par la Faculté des Lettres de Clermont-Ferrand, 1910. Coville accepte l’histoire, sinon le nom, de Chrocus, et il a raison contre tous ceux qui l’ont précédé (Monod, Études critiques sur les sources de l’hist. mérov., 1872, p. 96-7 ; etc.).

[102] Eutrope, IX, 8 : Germani usque ad Hispanias penetraverunt et civitatem nobilem Tarraconem expugnaverunt ; Orose, VII, 22, 7-8 (Germani ulteriores) ; VII, 41, 2 ; Jérôme, a. d’Abr. 2280. A cette invasion on peut peut-être rapporter un des textes sur Aurélien combattant les Francs (Aurel., 7, 1) : Francos... vagarentur per totam Galliam. — On peut rattacher à ces invasions les enfouissements de trésors datant de ce temps (Blanchet, Les Trésors de monnaies romaines, 1900, p. 37-8).

[103] Deux dates sont possibles au sujet du début de ces deux invasions. Celle de 257, c’est-à-dire après le départ de Gallien ; elle parait justifiée par les écrivains latins, et par le fait que Grégoire semble faire l’invasion contemporaine de la persécution de 257-258. C’est l’opinion courante ; en dernier lieu, Homo, Revue hist., CXIII, 1913, p. 16-17 ; auparavant, surtout von Wietersheim et Dahn, I, p. 622 et s. — Celle de 253, que j’ai préférée, non sans hésitations, pour les motifs suivants : 1° ces invasions cadrent mieux avec le fait des guerres civiles de 253 ; 2° Gallien réorganisa la frontière du Rhin et ne la laissa qu’à de bons généraux  ; 3° c’est surtout en 253 qu’elle fut dégarnie de troupes (cf. Zosime, I, 28-29) ; 4° c’est bien vers cette date que le limes parait rompu ; 5° Zosime place avant l’arrivée de Gallien le principal danger germanique (I, 33, 1-3) ; 6° Valérien persécuta les Chrétiens en 257-8 : s’y serait-il risqué au milieu des périls d’une invasion ?

[104] Liste de Vérone, 13, 2-4.

[105] Hist. Auguste, Sat., 9, 5.

[106] Zosime, I, 36, 3 ; etc. En 259 au plus tard.

[107] Imp. Cæsar P. Licinius Valerianus Augustus.

[108] J’hésite à accepter l’épithète de iners, qu’on lui a donnée (Victor, Ép., 32, 1).

[109] Ce que semble indiquer Zosime, I, 30, 4.

[110] Entre 253 et 257, Aurélien parait avoir eu un commandement supérieur, avec le titre de dux, sur le Rhin et par toute la Gaule (Aurelianus, 9, 4, où on l’appelle Galliarum restitutor ; cf. 8, 2). — Après lui, Postume. — Cf. Zosime, I, 30, 4.

[111] On interdit les assemblées et on ordonna l’abjuration, et, à défaut, l’exil ou la mort des prêtres ; Acta proconsularia Cypriani, 1 ; Cyprien, Epist., 80. Cf. Allard, Les Dernières Persécutions du troisième siècle, 1887, p. 50 et s. — Grégoire de Tours (Hist. Franc., I, 33-4) ne mentionne, à propos de cette persécution, que les martyres des saints de l’Auvergne et du Gévaudan, Liminée, Antolien, Cassius, Victorin, Privat (l’évêque de Javols ou des Gabali). Il est vrai, comme on l’a vu, qu’il les rattache à l’invasion des Alamans. On peut, tout en écartant ce rapport, accepter pour ces martyres le règne de Valérien, 257-258. Reculer Privat jusqu’au Ve siècle sous prétexte qu’il n’y a pas eu d’invasion au IIIe (Tillemont, Mém., IV, p. 221 et 651), c’est manifestement se tromper. Les Actes de saint Privat (21 août, Acta, IV, p. 439) n’ont d’ailleurs aucune valeur. — De la même manière, s’il faut accepter les martyres de Didier, évêque de Langres, et de son archidiacre Valère (23 mai, Acta, V, p. 247 ; 22 octobre, IX, p. 532), ceux de Florentin et Hilaire, d’Autun (27 septembre, VII, p. 392), celui d’Antide, évêque de Besançon (25 juin, VII, p. 40), d’Ausone, évêque d’Angoulême (22 mai, V, p. 137), c’est à la condition d’en rapprocher la date (je dis la date seulement) de celle des invasions contemporaines de Valérien, et non pas, comme le font leurs Actes, de la date des invasions de Vandales au début du Ve siècle. Mais rien n’est plus incertain que la tradition qui rapporte ces martyres. — Enfin, sans aucun lien avec des invasions, on peut, si l’on accepte la tradition, attribuer à Valérien le martyre de Ponce à Cimiez (14 mai, III, p. 277) et celui de Patrocle à Troyes (Grégoire, In gloria martyrum, 63 ; Acta, 21 janvier, II, p. 707 ; placé aussi sous Aurélien). Mais j’ai bien des doutes ; cf. Tillemont, Mém., IV, p. 16 et 203. — La tradition ayant attribué de nombreux martyres à Aurélien, on a supposé qu’il présida à la persécution de 257-8 comme gouverneur en Gaule (n. précédente), notamment en ce qui concerne Patrocle de Troyes, sub Aureliano præside, disent ses Actes (Tillemont, Mém., IV, p. 205, 646 ; etc.). Mais cela nie parait bien difficile. — Enfin, Aubé (L’Église et l’État dans la seconde moitié du troisième siècle, 1883, p. 412-421) placerait volontiers lors de cette persécution les morts de Saturnin, de Symphorien, et, en outre, de Rogatien et Donatien de Nantes, de Firmin d’Amiens, que la tradition donne comme victimes de Dioclétien (t. VI). Il n’y a aucun argument sérieux en faveur de ces hypothèses.

[112] C’est ce genre de calomnie populaire qui, en temps d’invasion, s’attache aux religions détestées : on fit le même reproche aux Juifs lors des incursions des Normands ; Ann. de Saint-Bertin, éd. Dehaisnes, p. 67, a. 848.

[113] Lactance, De mortibus, 5 ; Hist. Auguste, Gall., 21, 5 ; Aurelius Victor, De Cæsaribus, 32, 5 ; Épitomé, 32, 5 ; etc.

[114] Lactance, De mortibus, 5 ; Hist. Auguste, Gall., 21, 5 ; Aurelius Victor, De Cæsaribus, 32, 5 ; Épitomé, 32, 5 ; etc.

[115] Imp. Cæsar P. Licinius Egnatius Gallienus Augustus, associé du reste à son père dès l’avènement de celui-ci en 253.

[116] C’est l’expression dont se sert Tillemont (Hist., Gallien, art. 1). — Je crois d’ailleurs que, comme pour Valérien  et Maximin, on a exagéré ses vices. Voyez ses guerres en Gaule. Je n’irais cependant pas jusqu’à le juger avec la même bienveillance qu’Homo (L’Empereur Gallien, Rev. hist., 1913, CXIII) : il y a trop de témoignages défavorables à Gallien, et, parmi ces témoignages, il y en a un qui n’est point suspect, celui de l’honnête et sage Ammien Marcellin, etiam Gallieno ferocior (Ammien, XXI, 16, 9) ; voyez aussi Julien, Conv., p. 313 c, Sp.

[117] Suite des gouverneurs des provinces de Gaule pour ce chapitre et les deux suivants (cf. dernière note du chapitre précédent).

I. Narbonnaise. — Aucun, à coup sûr, pour cette période.

II. Lyonnaise. — Vers 237. Badius Comnianus, procurator et vice præsidis (XIII, 3162). — Vers 273, très hypothétiquement. Domitianus.

III. Aquitaine. — En 268. Tetricus, præses.

IV. Belgique. — Vers 238. L. Julius Apronius Mænius Pius Salamallianus, legatus Augusti vice quinque fascium provinciæ Belgicæ (Eph. epigr., VII, 395). — Sous Gordien III ou après. Petronius Polianus (III, 1017). — Sous Tetricus en 273. Faustinus.

V-VI. Germanies. — On doit rappeler ici les gouvernements, à Mayence ou Cologne, de Valérien ??, d’Aurélien, de Postume, de Silvanus, de Lélianus, de Probus, de Saturninus, de Proculus. — Peut-être dès le temps d’Aurélien. Un chevalier, inconnu, præses prov. Germaniæ Superioris (VI, 1641).

VII-IX. Alpes. — Vers 240. M. Aurelius Masculus, præses dans les Alpes Maritimes (V, 7881). — Numérien. Latinius Martinianus, proc. Auguste dans les Alpes Grées (XII, 110). — Annius Rufinus en 284 ?, procurator et præfectus Alpium Maritimarum (XII, 78).

L’extrême brièveté de cette liste pour 235-284 est due surtout à la rareté des textes épigraphiques dans cette période. Mais à cela il peut y avoir aussi d’autres causes.