HISTOIRE DE LA GAULE

TOME IV. — LE GOUVERNEMENT DE ROME.

CHAPITRE X. — LE COLLÈGE[1].

 

 

I. — IMPORTANCE DU COLLÈGE À LA FIN DU MONDE ANTIQUE.

Il faut donner au collège la même place qu’à la famille, à la cité, à la province et à l’Empire. Cette forme de l’accord social a, dans l’histoire des temps antiques, rivalisé avec les autres pour grouper les hommes ; elle aussi a connu des jours de gloire et exercé un rôle souverain. Et si les plus grands historiens du passé ont méconnu ce rôle[2], c’est parce qu’ils se sont absorbés dans leur admiration pour la cité grecque et l’Empire romain, sociétés humaines plus vastes, aux destinées longues et visibles, à la vie riche en histoire et épanouie en monuments : l’éclat de ces deux noms d’Empire et de cité les a empêchés de bien voir ces unions confraternelles qui germaient de toutes parts, à l’ombre des vieilles villes et des grands royaumes, obscures, silencieuses et innombrables.

Si petites qu’elles fussent, elles n’en devinrent pas moins, de toutes les manières de frayer ensemble, l’une des plus douces pour les hommes. Car on entrait librement dans la confrérie. Elle n’était imposée ni par le fait de la naissance, ni par le lieu du domicile, ni par la volonté d’un État. Elle naissait spontanément, au gré des désirs qui poussaient les êtres à vivre plus près les uns des autres. Pour beaucoup, elle tenait lieu de famille. Les collèges se multiplièrent à tel point, qu’il fallut tenir compte d’eux dans la vie politique des cités. Et à la fin, l’Empire romain redouta d’être moins fort qu’une simple confrérie, celle des fidèles du Christ.

Ce n’est point la conquête latine qui a fait connaître aux Gaulois le système de la corporation. Il y avait déjà parmi eux des confréries religieuses, et sans doute aussi des sociétés de transport ou de vente. Mais c’étaient des exceptions : la toute-puissance de l’aristocratie faisait que les individus, au lieu de se rassembler en collèges d’égaux, se partageaient comme clients entre les puissants du jour. Sous le nouveau régime, au contraire, l’institution se propagea avec une incroyable rapidité : un impérieux désir gagna tous les hommes, de s’unir en dehors des cadres traditionnels de la famille, de la cité et de l’État. — Essayons de retrouver les causes de ce fait.

La première est d’ordre économique, et nous y avons déjà fait allusion. Grâce aux progrès de la richesse mobilière et à la construction de grandes villes, la bourgeoisie municipale et le prolétariat urbain se sont simultanément développés dans les Gaules. Ces marchands, ces industriels, ces ouvriers qui pullulent subitement, ont le besoin naturel d’accroître ou d’exercer leurs forces nouvelles, et, pour cela, ils comprennent vite que le meilleur moyen est de se rapprocher et de s’entendre. Aux entreprises commerciales l’association va donner plus d’ampleur et de sécurité en groupant des capitaux et en accordant des initiatives[3]. Aux artisans[4] et aux boutiquiers[5] elle permettra quelques affaires en commun, et, eux que leur humilité ou leur misère faisaient isolés et impuissants, ils pourront, en prenant leur part d’une tâche collective, créer œuvre qui dure, devenir assez forts pour maîtriser la fortune.

Les empereurs encourageaient volontiers ce désir. Ils trouvaient leur bénéfice à la formation de ces sociétés. Quelques-unes, en se chargeant à bon compte de certains services administratifs, évitèrent à l’État ou aux communes les frais d’une exploitation directe[6]. Ceux qui faisaient partie d’un collège d’utilité publique, tout en demeurant de simples citoyens, pouvaient se targuer d’un rôle officiel, paraître quasiment des fonctionnaires[7] : ce qui dut être à cette époque, comme à d’autres, l’ambition de bien des gens. En laissant s’augmenter le nombre et l’importance des corporations, les souverains flattaient ces ambitions ou ces illusions de la plèbe et de la petite bourgeoisie. Ils les intéressaient à la vie de la cité et à celle de l’Empire ; ils leur accordaient un peu, pour qu’elles ne fussent point tentées de demander trop. Cette vie collégiale, avec ses orgueils et ses passions à la fois profondes et mesquines, était un excellent dérivatif aux regrets ou aux espérances politiques qui subsistaient dans les âmes.

Il est vrai que, réunis en confréries, ces marchands et ces artisans pouvaient tenir tête à l’aristocratie foncière, jusque-là souveraine dans les cités. Mais je ne pense pas que les princes aient vu cela avec regret. Il n’était pas inutile à la solidité de l’Empire, surtout dans les provinces de Gaule, que la puissance des corporations municipales fit contrepoids à celle des possesseurs de domaines[8]. Ces corporations avaient peut-être plus de raisons que les propriétaires fonciers pour aimer cet Empire, sa paix et son unité : c’est à lui qu’elles devaient l’existence ; leurs intérêts matériels résidaient surtout dans des biens qui venaient de lui, la sécurité du commerce et l’intensité de l’industrie ; elles n’étaient pas enfin, autant que la noblesse gauloise, attachées au sol et à ce qu’il imposait de souvenirs et d’habitudes. Rome trouvait en elles un appui naturel, tout comme les anciens rois de France, pour contenir la bourgeoisie des grandes communes, ont parfois protégé contre elle les humbles confréries d’artisans[9].

En dehors de l’action des pouvoirs publics, un mouvement irrésistible entraînait les humains vers cette forme de la vie commune. Les autres genres de sociétés, cité, famille, Empire, n’exerçaient plus sur la majorité des êtres une influence souveraine.

Le royaume de César offrait assez peu de séductions aux petites gens. Leurs regards se perdaient dans cet horizon sans bornes. Admirer la grandeur du nom romain, célébrer le miracle de l’unité humaine et la merveille de la cité universelle, c’était affaire de poète, de dévot, de philosophe ou d’homme d’État : les humbles avaient besoin, pour se sentir moins perdus sur la terre, d’une patrie dont ils connussent tous les membres[10].

Il y avait bien la cité. Mais elle demeurait encore, surtout dans les Gaules, une chose trop vaste. En outre, depuis des siècles qu’elle existait, là ou en Orient, elle était devenue une si vieille habitude, que déjà quelques-uns ne s’y intéressaient plus. Tout ce qui avait fait sa jeunesse et sa gloire était disparu : plus d’armes, de libres réunions, d’émeutes et de beaux discours. La vie municipale, dans l’Empire romain, c’était de plus en plus l’expédition mécanique et monotone de quelques affaires de bureaux.

Restait la famille, celle-ci toujours attirante pour les hommes, renouvelant sans trêve son éternelle jeunesse par les joies intenses de ses passions ou les douces accoutumances de son foyer. Drais la famille ne suffit pas à l’instinct d’activité que l’être humain porte en lui. Il faut à un homme, si modeste et si timide qu’il soit, un peu de la vie du dehors, de l’air que respirent les autres, du bruit qu’ils font et des paroles qu’ils prononcent. Joies de maison et joies de rue, il a besoin des unes et des autres ; et, malgré sa dévotion aux Lares de sa famille et aux Pénates de sa maison, il portera aussi ses prières aux Génies des carrefours.

La confrérie fut là pour satisfaire à ses aspirations, pour l’accueillir et l’abriter. Le pauvre ou l’artisan rencontrait chez elle quelques êtres pareils à lui, ses compagnons de métier, ses frères de misère. Il parlait avec eux de sujets qui n’étaient plus la femme, les enfants et le ménage ; il adorait des dieux moins ternes et moins vulgaires que ceux de son foyer ; il voyait enfin un autre horizon que les murs de sa demeure, il se sentait un autre homme, il dédoublait sa vie et sa pensée : ce qui, à de certaines heures, est pour nous tous un désir auquel on ne résiste pas[11].

Tout devint donc, pour les habitants de l’Empire, un motif à fonder un collège : — les intérêts économiques : fabrication, transport ou vente de marchandises ; — les relations professionnelles : métier à protéger, ou carrière à suivre[12] ; — les affaires de quartier ou de village : entretien des ouvrages d’utilité commune[13] ; — les croyances religieuses : adoration d’un dieu, service d’un temple, célébration de fêtes[14], pratique d’une philosophie ; — l’assistance : secours mutuels ou garantie d’une sépulture[15] ; — le plaisir enfin : chasse[16], jeux[17], sports[18] et banquets[19]. Il y eut des sociétés fort nombreuses, et d’autres qui ne comportaient que quelques membres[20] ; il y en eut qui possédèrent d’immenses capitaux, et d’autres où il n’entra que des esclaves ou des misérables[21]. On vit des collèges de soldats, de jeunes gens[22], de vétérans, d’affranchis[23], d’employés publics[24], de propriétaires et de femmes[25]. Mais toutes ces sociétés, quelque diverses qu’elles fussent, s’organisèrent sous une forme semblable.

 

II. — LE COLLÈGE TIENT DE LA CITÉ ET DE LA FAMILLE.

Cette forme, elles l’empruntent tantôt à la cité et tantôt à la famille.

Un collège ressemblait à une cité en ce qu’il était un corps qui s’administrait lui-même[26]. Il tenait des assemblées[27], prenait des décisions qu’on appelait des décrets[28], nommait des chefs[29]. Ces chefs, par leurs titres et leurs attributions, rappelaient ceux des municipes : une corporation avait des patrons[30], des membres honoraires[31], des maîtres ou magistrats, magistri[32], des intendants ou curateurs, curatores[33], et, en outre, si elle était d’importance, des fonctionnaires de moindre rang, questeurs[34] ou autres. Elle obéissait à un règlement ou loi[35], elle possédait un lieu de réunion[36], un capital[37], des biens meubles et immeubles[38], et elle pouvait élever des monuments sur les places publiques[39]. Les plus riches avaient des édifices affectés à leurs affaires[40], des esclaves[41], des affranchis[42], des comptables, des chefs de bureaux, une nombreuse domesticité attachée à leurs différents services[43]. Un collège était souvent désigné par l’expression de corpus ou communauté qui s’appliquait aussi aux cités et à l’Empire, Parfois même, on disait de lui, comme de l’État romain ou d’un peuple gaulois, qu’il était une chose publique, respublica[44].

A la famille, il empruntait les épisodes et les formules de sa vie morale. Les membres d’un collège devaient vivre unis par les liens d’une amitié fraternelle[45]. Ce devoir était le principal pour les confréries de petites gens, humbles sociétés de secours mutuels. Mais aucune corporation n’y échappait : les membres, d’un corps de marchands ou d’artisans pouvaient se donner le titre de frères[46], qui était habituel dans les églises chrétiennes. Beaucoup de collèges, tous peut-être, assuraient à leurs adhérents des funérailles et une sépulture : une confrérie, pareille à une famille, avait ses tombeaux, rapprochés les uns des autres : la mort, plus encore que la vie, unissait les hommes d’une même alliance[47]. De leur vivant, ils mettaient en commun leurs sentiments religieux. L’adoration d’un dieu collectif était l’affaire essentielle de certains collèges, par exemple des églises de Chrétiens ou des adorateurs d’Isis. Mais même les corps les plus riches de marchands ou d’artisans se rassemblaient aux jours de fêtes pour prier un dieu favori autour d’un autel coutumier[48]. Dans quelques collèges, le soin du culte, la souveraineté morale de l’assemblée, appartenaient non pas à un magistrat, mais à un père, et parfois, à coté de lui, à une mère, pater ou mater collegii[49]. Tous les membres formaient donc une grande famille, se réunissant autour d’un foyer dans un accord fraternel librement consenti.

Image de la cité et de la famille, différent pourtant de l’une et de l’autre, plus intime et plus amical que la première, plus vivant et plus varié que la seconde, par là s’explique que le collège ait exercé un tel attrait sur les hommes au temps des empereurs. Voyez alors les communautés chrétiennes de la Gaule : car c’est en elles que l’esprit de confrérie arriva à la plus forte intensité.

Elles se sont constituées en églises[50], c’est-à-dire en assemblées ou, pour ainsi dire, en comices de cités[51], chacune suivant une loi qui lui est propre et qui émane de son fondateur[52]. Il y a en elles des riches et des pauvres, des esclaves et des citoyens, des hommes et des femmes[53]. A leur tête est un chef ou surveillant, l’évêque[54], que des anciens[55] et des diacres[56] assistent dans l’administration. Mais l’évêque est aussi un père pour les siens[57], tous sont frères entre eux, et ils ne se donnent pas d’autre nom[58]. Par delà leur directeur terrestre, ils obéissent à un maître[59] dont ils prennent le nom[60], qui est le Christ, et à son père, le Dieu qui est dans le ciel[61]. Les Chrétiens sont la cité et la famille de ce dieu.

 

III. — LE COLLÈGE PAR RAPPORT À L’ÉTAT.

Le collège, — et n’est un des traits essentiels de l’institution, — tire son existence à la fois des lois de l’État romain et des coutumes de la cité.

Nulle société ne peut se fonder sans l’assentiment de l’autorité souveraine[62]. Si misérable que soit un collège, même composé de quelques membres et bornant son ambition à dresser des tombes et à murmurer des prières, même ne dépassant pas dans ses pratiques et ses ambitions l’horizon d’une bourgade ou d’un quartier, il relève d’abord de l’État, il échappe en principe aux pouvoirs municipaux. L’autorisation de se réunir est donnée par le sénat ou l’empereur, et il est probable qu’on leur soumettait les statuts en faisant la déclaration de société[63]. Ce sont leurs représentants, proconsuls, légats ou intendants, qui contrôlent les actes des corporations[64], et, si elles dévient de leur but, si elles enfreignent les lois, c’est encore à l’État qu’il appartient de les dissoudre et de poursuivre les membres[65]. Tenir un collège illicite, ce n’est pas un délit de police municipale, mais un crime contre l’État[66].

Cela se comprend, et tous les gouvernements modernes ont agi comme l’Empire romain, soustrayant à la connaissance des magistrats municipaux les moindres détails de la vie des associations. Tout collège qui se créait, n’était-ce pas un être public qui apparaissait, et qui pouvait, grandissant peu à peu, devenir un danger pour la ville où il s’abritait et dont l’État romain avait la garde[67] ? Une confrérie est un asile tout prêt pour une faction : on l’avait vu dans la Rome républicaine, que les hétairies entraînèrent aux pires discordes[68] ; on avait vu quelque chose de semblable dans la Gaule indépendante, et César s’était hâté de déclarer que l’Empire romain serait incompatible avec le désordre municipal. La peur de ce désordre fit la sagesse du droit impérial[69], et toute association humaine, la famille mise à part, n’existe que par lui et demeure sous sa tutelle.

Les documents qui nous font connaître les corporations gauloises se réduisent à des inscriptions, très courtes et très sèches. Cependant, elles nous montrent bien ce lien étroit, de tutelle et de dépendance, qui, en dehors des pouvoirs locaux, unissait directement les collèges et l’empereur. On voit les plus puissants d’entre eux, ceux des nautes d’Arles, correspondre avec les agents de l’empereur et défendre eux-mêmes leurs intérêts menacés par le fisc[70]. Les nautes parisiens votèrent un jour un collier d’honneur à Tibère : il lui fut offert par les membres du collège, et un monument érigé à Lutèce perpétua le souvenir de la cérémonie[71]. A Périgueux, la société des bouchers éleva un autel à ce même Tibère[72], grand ami, semble-t-il, des corporations de la Gaule. On devine que, pour toutes, le chef immédiat, ce n’est pas le magistrat du lieu, mais César Auguste.

 

IV. — RÔLE MUNICIPAL DU COLLÈGE.

Toutefois, l’existence une fois obtenue de l’État, le collège la consacre à la cité où il a pris naissance.

Une association est un organe municipal, et le demeure. Elle ne renferme que des hommes domiciliés dans la cité où est son siège[73]. Si elle veut des patrons ou des membres d’honneur, elle les prend parmi les hauts fonctionnaires et les riches habitants du pays[74]. Quand elle ajoute à son titre une indication locale, c’est le nom de sa cité[75] ou de sa bourgade[76]. Nul ne peut appartenir à des collèges de communes différentes[77], et le droit romain n’admettait pas de corporation qui s’étendit sur plusieurs municipes[78]. Le collège était, en quelque sorte, un quartier humain de la cité.

Aussi, la plupart d’entre les corporations ont, dès l’origine, mêlé leur vie aux intérêts de leur cité[79], et elles y sont devenues des rouages réguliers, à demi libres, à demi commandés[80].

Voici, par exemple, les corps de métier les plus répandus dans les villes de la Gaule, forgerons[81], charpentiers de maisons[82], charpentiers de navires[83], maçons[84], stucateurs[85], scieurs de long[86], tisserands ou drapiers[87]. Ils se réunissent pour des cérémonies communes, des fêtes intimes, des discussions sur les intérêts professionnels[88] ; et cela va de soi. Mais outre leurs affaires propres, il faut qu’ils songent à celles de la ville. En cas d’incendie, par exemple, c’est à eux qu’on fait appel[89], et, pour combattre le feu, ils sortent, s’assemblent, se rangent, sous les ordres d’un magistrat municipal[90].

A côté des confrères de l’atelier étaient les confrères de la route. On appellera ainsi les collèges auxquels donnaient naissance les affaires de transport : nautes de la mer[91], nautes des fleuves[92], utriculaires ou fournisseurs d’outres de passage[93], bateliers de barques[94] ou de radeaux[95]. Je doute fort que tous ceux-ci ne fussent point chargés, pour le compte de la cité, d’assurer la circulation des fournitures publiques, du blé de réquisition, des dépêches et des fonctionnaires. Les plus importantes sociétés de ce genre, celles des nautes d’Arles, avaient en tout cas la mission de transporter, moyennant subsides et sous le contrôle de l’État, les grains destinés à l’approvisionnement de Rome[96]. Et, comme certaines d’entre elles, telles que les nautes parisiens, conservaient encore le droit de porter des armes, lances et boucliers, je suis tenté de croire qu’on leur confiait le soin d’exercer la police sur les eaux et les bords des rivières, d’y pourchasser et d’y arrêter maraudeurs et contrebandiers[97].

Une ville s’en remettait souvent à ses collèges du devoir de prier ses dieux et de divertir ses habitants : on doit unir ces deux choses, car fêtes religieuses et jeux publics étaient alors inséparables. Ce fut un collège, celui des sévirs Augustaux, qui assuma partout, pour la moitié, les offices du culte impérial[98]. Les corporations professionnelles, nautes, bouchers ou autres, ont si souvent élevé des monuments aux Césars, qu’on se demande si ce ne fut point parfois au nom de la cité tout entière[99]. Des sociétés de jeunes gens ou de veneurs donnaient des combats et des chasses dans les lieux publics, pour la plus grande joie de leurs amis et de leurs compatriotes[100]. Bien des sanctuaires de campagne ou des chapelles de carrefours seraient demeurés sans honneurs et sans ornements, si les dévots du quartier ne s’étaient point formés en confréries pour les enguirlander aux jours de fêtes.

En échange des services qu’elle rend à sa cité, une confrérie reçoit d’elle d’assez nombreux privilèges. Ses membres ne seront jamais perdus dans la foule des simples citoyens. Ils assistent en corps à certaines cérémonies[101] ; ils ont des places réservées sur les gradins de l’amphithéâtre municipal[102]. Si l’empereur visite la ville, les sociétés ont leur rang dans le cortège, serrées autour de leurs enseignes : car elles portent emblèmes et drapeaux[103], comme les cohortes de cités gauloises dans les armées de l’Empire[104]. Il est probable que ces prérogatives, purement honorifiques, étaient complétées par des avantages matériels, tels que des exemptions de corvées ou de taxes[105]. Les collèges se transformaient en corps de privilégiés, de même que le sénat local était devenu la classe aristocratique des décurions. — Riches ou pauvres ne pouvaient se résigner à vivre confondus avec la masse des hommes. Chacun voulait sa place à part et des droits spéciaux. On ignorait de plus en plus, dans ce monde romain, le principe d’égalité et les pratiques de la démocratie.

 

V. — CONVENTUS DE CITOYENS ROMAINS ; SYNAGOGUES.

Surveillés par l’État et enfermés dans leur cité, les collèges ne faisaient courir de danger ni à l’un ni à l’autre. Ils les servaient au contraire tous les deux, dévots aux empereurs, dont ils entretenaient les autels, bons patriotes dans leur ville, où ils mettaient plus de vie et de gaieté.

Il en eût été autrement si les collèges étaient sortis des limites municipales pour prétendre à un rôle provincial ou universel, si, par exemple, les corporations similaires de cités différentes s’étaient associées en vue d’une action commune : Mais rien de cela ne se produisit dans les temps romains. Soit que l’État ait veillé de très près à bloquer les confrères dans leur cité, soit que l’esprit des Anciens ait rarement conçu l’idée d’un collège agissant hors de sa ville[106], l’Empire n’offre aucun cas de ces relations internationales entre corps de métier, de ces vastes fédérations cultuelles ou professionnelles qui furent ou seront les plus redoutables adversaires des nations modernes.

Il faut signaler pourtant trois exceptions à cette règle.

La première est fournie par les sociétés ou groupements de citoyens romains qui se formèrent dans les cités provinciales, au temps où ces citoyens y étaient encore en petit nombre[107]. Ils s’y réunissaient (comme nous dirions de nos jours) en colonies ou chambres de commerce[108], que l’on appelait du mot tout juridique de conventus[109] ; ils tenaient des assemblées, et un curator, sans doute leur élu, était chargé de défendre leurs intérêts auprès des magistrats municipaux[110]. D’ordinaire, les compagnies romaines de ce genre, pareilles à des collèges, s’enfermaient dans le ressort d’une cité. Mais parfois aussi elles embrassaient les citoyens de toute une province[111]. De plus, il semble que les différents conventus d’une même contrée fussent en correspondance les uns avec les autres, et en relation constante avec les hommes et les magistrats de Rome[112] : l’ensemble de ces membres y apparaissait comme une vaste et puissante société de citoyens romains qui se dressait contre les cités indigènes. — Il suffit de formuler cette conclusion pour montrer qu’une telle entente, loin d’affaiblir l’État romain, lui prêtait appui : c’étaient ses enfants qui se groupaient d’un bout à l’autre d’un pays hostile ou conquis, de manière à affirmer leur qualité et leurs droits. Ces conventus présentaient, sur terre étrangère, l’image de la patrie italienne. Au reste, à la fin du second siècle, quand le droit de bourgeoisie se fut étendu par toute la Gaule, ils disparurent en silence[113].

C’était une institution de même genre[114] que celle des synagogues de Juifs installées dans les plus grandes villes. Elle aussi, la synagogue est une colonie ou une chambre de nationaux dans une cité étrangère ; elle aussi, est un essaim déposé par un peuple loin de sa ruche natale. Toutes les communautés juives correspondent entre elles, s’envoient des messages et des hôtes. Leur union maintient, en face de l’unité du peuple romain, celle d’Israël dispersé[115]. Mais, vu leur petit nombre et le peu d’importance de chacune d’elles (il n’est ici question que de la Gaule), les empereurs n’avaient rien à redouter de leur existence[116].

Le troisième fait de coalition internationale, celui-ci plus net que chez les Romains et que chez les Juifs, nous est fourni par les Chrétiens.

 

VI. — LES ÉGLISES CHRÉTIENNES.

De même que les collèges de secours mutuels et de culte commun, auxquels la loi romaine aurait pu les assimiler[117], les assemblées ou églises[118] chrétiennes étaient, dans leur principe, des sociétés municipales, et les sectateurs du Christ acceptaient volontiers les conséquences de ce principe. Ils disaient couramment l’église de Lyon ou l’église de Vienne. Chacune de ces confréries se faisait peu à peu son histoire, elle avait sa vie particulière, elle développait son amour-propre. Dès le début du monde chrétien, le patriotisme de diocèse se forma avec une rare intensité[119], comme si quelque chose de l’antique énergie des cités avait pénétré dans l’assemblée des Chrétiens du lieu.

Mais, à la différence d’un collège d’Isis ou d’une confrérie de charpentiers, cette assemblée ne cesse de regarder bien au delà de l’enceinte de la ville et des frontières de la cité, jusqu’aux dernières limites de l’horizon des hommes : le souvenir de son origine, la nature de ses ambitions, ses affections les plus fortes, la détournent de la vie locale. Semblable en cela à un conventus de Romains et à une synagogue de Juifs, elle n’est point sortie spontanément du sol municipal, elle a été fondée par des envoyés venus de très loin, cherchant à créer partout de nouvelles fraternités[120] : l’église de Marseille est peut-être l’œuvre de saint Paul, celle de Lyon fut sans doute établie par des Chrétiens d’Asie. Puis, à peine constituée, une assemblée nouvelle éprouve l’ardent désir de rayonner autour d’elle, de créer dans les cités voisines des sociétés qui soient pareilles à elle-même : une église ne recevait la vie que pour la propager aussitôt. Mères et filles à la fois, ces confréries de Chrétiens demeurent unies entre elles par un lien indissoluble : elles sont, en quelque sorte, fondues ensemble par la coalition éternelle de tous les êtres qui portent ce nom. Pour un fidèle du Christ, ce qu’il appelle l’église ou l’assemblée de Lyon ou de Vienne, c’est en réalité une réunion accidentelle des frères du pays[121], ce n’est pas sa vraie cité, sa vraie famille, sa patrie ou sa république morale, comme est le collège municipal pour un Isiaque de Nîmes ou la colonie de Lyon pour le citoyen romain de Fourvières. L’organe fondamental et perpétuel chez les Chrétiens, leur État divin, c’est l’ensemble de tous les frères dispersés dans le monde. D’une extrémité de la terre à l’autre, les églises s’entretiennent sans cesse, afin de n’avoir qu’une seule âme et de ne paraître qu’un seul corps[122]. Persécutés par Marc-Aurèle, les Chrétiens de Lyon adressèrent aussitôt une longue lettre à leurs frères d’Orient pour leur raconter en détail leurs glorieuses tribulations[123]. Ce fut des églises d’Asie que celle de Lyon reçut ses chefs ou ses orateurs[124]. L’unité profonde du corps des Chrétiens se manifestait déjà par le désir, chez quelques-uns, de reconnaître la supériorité morale de l’évêque de la plus grande ville, celui de Rome : de Lyon, on lui écrivait comme à un arbitre[125]. Toutes ces églises disséminées peuvent se comparer aux tribus d’un même peuple, aux dèmes ou aux quartiers d’une même cité[126], le peuple et la cité du Christ : être Chrétien, c’est appartenir à cette cité, et elle leur tient lieu de famille et de patrie[127].

Rien de pareil, depuis la fin de la République, ne s’était présenté dans le monde romain. Au-dessus des vieilles formes sociales, famille, cité, empire, voici une nouvelle fraternité qui grandit, par delà les remparts des villes, les limites des provinces, les frontières des nations, rompant les attaches séculaires aux lignes marquées sur le sol.

 

VII. — SECTES PHILOSOPHIQUES. LE COLLÈGE ET L’IDÉAL NOUVEAU.

Cette société chrétienne préparait donc, dans la vie des peuples, le triomphe du principe collégial. Elle le substituait à l’idée de la famille, de la cité, de l’Empire même. C’était l’accord spontané des êtres qui, dans le monde, se sentaient une âme commune et le désir de penser ensemble. Tous les motifs qui, depuis l’avènement des Césars, poussaient les hommes à s’unir à leur gré, hors de l’État et hors de la maison, se concentrèrent pour aboutir à la formation de ce peuple divin.

Le collège a donc fourni aux habitants du monde ancien le moyen de prendre leur revanche sur le régime social et politique auquel les condamnaient le hasard de la naissance ou les nécessités de la vie. Qu’il fût sectateur du Christ ou d’Isis, confrère charpentier ou naute de Paris, le membre d’une corporation se débarrassait pour un temps, au sein de sa société, de la force obsédante de la cité ou de l’Empire. Il y allait comme dans une patrie de son choix : les mots de corpus et de respublica, constants dans la langue collégiale, lui donnaient l’illusion qu’if se trouvait dans un État confraternel. Les obligations municipales ou les édits des princes avaient beau rappeler la plupart des collèges aux réalités du moment : ceux des hommes auxquels leur bonté ou leur intelligence suggéraient un idéal nouveau, surent se bâtir des confréries où ils abritèrent leurs espérances loin pie la vie du commun. Tel fut le cas des Chrétiens ; tel fut aussi celui des sectes de philosophie.

Sans être des collèges au sens officiel du mot, les groupes d’auditeurs qui s’assemblaient régulièrement autour des philosophes, n’en formaient pas moins des unions morales, des fraternités latente[128]. Ce qui les rapprochait et les attachait à leur maître, c’était l’accord des sentiments, le besoin d’une vie identique, l’effort vers la même discipline, l’acceptation d’un nom qui les définit tous, Épicuriens ou Stoïciens : et cela est bien l’essence morale d’où sont sortis tous les collèges[129].

Dans ces auditoires de philosophes, plus encore que dans les églises de Chrétiens, la volonté dominante est une volonté de combat, et de combat contre la société et les pensées contemporaines. Écoutons Épictète parlant de la cité et de l’empereur, la double clef de voûte de l’édifice romain[130]. — La cité ? mais l’homme est d’abord le membre de cette cité qui embrasse les dieux et les humains[131]. L’empereur et ses ministres ? lorsque tu vas trouver quelqu’un de tes chefs, souviens-toi qu’il en est un autre, qui, d’en haut, considère ce qui se passe, et à qui il faut plaire tout d’abord[132]. Contre César, le philosophe dresse Dieu comme maître, et Socrate comme guide et modèle[133] ; peu importe que César commande, c’est de Socrate que vient la parole qui protège et qui sauve : Aujourd’hui que Socrate n’est plus, le souvenir de ce qu’il a fait et de ce qu’il a dit avant de mourir, demeure le grand bienfait pour l’humanité entière[134]. A quoi bon la paix romaine que les princes promettent à la terre ? Il y a une paix supérieure qu’ils ne sauraient promulguer, et que Dieu seul peut donner à l’âme du sage[135].

Voilà ce qu’on disait dans les plus hardies de ces nouvelles sociétés d’hommes. Les Chrétiens bâtissaient sur terre, en dehors de l’Empire, la cité de leur Dieu. Les Stoïciens n’étaient pas loin de faire chose semblable, et de voir dans l’autorité impériale la source de tout mal. Église ou secte, confrérie ou corporation, le collège, sous ses formes variées, offrait un asile à ceux que lassait le régime du jour et qui voulaient de nouveaux maîtres.

 

 

 



[1] Rabanis, Recherches sur les dendrophores et sur les corporations romaines en général, Bordeaux, 1841 (très intelligent initiateur en la matière) ; Liebenam, Zur Geschichte und Organisation des rœmischen Vereinswesens, 1890 ; Waltzing, Étude historique sur les corporations, etc., 1895-1900 ; le même, art. Collegia dans le Dict. d’arch. chrét. de Cabrol, fasc. 30, 1913, c. 2107 et s. ; Kornemann, au mot Collegium, dans la Real-Encyclopädie, IV, 1900 ; Mommsen, Ges. Schr., III, p. 53 et s. [1904, posthume].

[2] Par exemple, Fustel de Coulanges dans La Cité antique et Mommsen dans le Rœmisches Staatsrecht.

[3] C’est le cas des sociétés qui groupent les gros marchands. Par exemple, à Lyon : 1° negotiatores vinarii, la plus importante de ce genre dans la Gaule entière et, sans aucun doute, la corporation principale de Lyon (XIII, 1911, 1921, 1954, 2033 ; VI, 29722) ; 2° negotiatores corporis splendidissimi Cisalpinorum et Transalpinorum (XIII, 2029), qui parait avoir l’équivalent ou une succursale à Milan (V, 5911) ; 3° sagarii ou drapiers (XII, 1898 ; XIII, 2008, 2010) ; 4° annonarii ? III, 1979) ; 5° negotiatores artis cretariæ, ou négociants en objets de terre cuite (XIII, 2033) ; 6° très hypothétiquement, diffusores olearii ex Bætica, ou marchands d’huile d’Espagne (C. I. L., VI, 29722 ; Coll. Récamier, Plombs, n° 259 : plutôt une agence de société espagnole à Lyon). Sauf de très rares exceptions, ce genre de collèges n’apparaît qu’à Lyon : il ne serait pas impossible qu’il y fût la suite de sociétés de marchands italiens établis là avant la conquête. — Du même genre : les salinatores civitatis Menapiorum et civitatis Morinorum (XI, 390 et 391 : si ce sont des négociants associés) ; les diffusores ou marchands d’huile, à Arles (C. I. L., XII, 714) ; les piscatores ou pêcheurs, notamment conductores piscatus sur les côtes de la Frise (XIII, 8830). — Du même genre encore, les sociétés d’entrepreneurs de transport.

[4] Par exemple, les sociétés des ouvriers du bâtiment et autres citées plus bas § IV. — Les manupretiarii bur(rarii) ou ouvriers tisserands (?), de Saintes (XIII, 1036). Les opifices loricarii, chez les Éduens (XIII, 2828 ; ici, n. 6). Les cuparii ou tonneliers, à Nantes (XIII, 3104) et chez les Helviens (cuparii Vocronnesses, près de Rochemaure, XII, 2669 ; cf. les monts du Coiron).

[5] Par exemple, les laniones de Périgueux (C. I. L., XIII, 941), sans doute marchands bouchers, les holitores, ou marchands de légumes, de Metz (4332), les tabernarii, ou débitants et aubergistes, de Castellane, Salinienses (V, 7907).

[6] Par exemple, pour le transport du blé destiné à Rome (§ IV). Ou encore, pour la fabrication des armes : c’est ainsi qu’il y eut sur le territoire éduen, à Brèves, une corporation d’opifices loricarii travaillant sans aucun doute pour le compte de l’État, et qui paraît avoir été placée sous le contrôle d’un centurion, au moins en ce qui concerne l’agréage des objets fabriqués (C. I. L., XIII, 2828) : l’inscription n’est pas antérieure aux Sévères, et elle me parait marquer, en Gaule, le passage du collège libre au collège officiel.

[7] Voyez par exemple, à Lyon, la demi-assimilation des negotiatores vinarii aux décurions, chevaliers (e plebe) et sévirs (XIII, 1921). — Pour les places d’honneur, cf. § IV.

[8] La preuve que les corpora forment un véritable ensemble, représentant ce que l’on peut appeler la plèbe constituée, et constituée en face du décurionat, parait sortir des deux faits suivants. Certains personnages sont patrons à la fois de tous les collèges d’une ville, y compris celui des sévirs (qui est bien plébéien) ; XIII, 1974. Dans une distribution de sportules, on met d’un côté les décurions, de l’autre corpora omnia (XIII, 1921). — Au point de vue municipal encore, la corporation avait un autre avantage. Comme la qualité de citoyen de la ville n’était pas nécessaire pour y entrer, comme elle s’ouvrait à tous les incolæ ou étrangers domiciliés, elle permit à ceux-ci de prendre leur rang dans la cité où ils avaient élu domicile, de se mêler à sa vie, d’y jouer un rôle. La corporation rendit aux incolæ une classe et une place sociales. Et de fait, on remarquera qu’ils sont toujours très nombreux et très influents dans les corpora (XIII, 2029, 2033, etc.).

[9] Cela m’a paru être le cas de Louis XI à Bordeaux : Jullian, Hist. de Bordeaux, p. 313 ; en général, Sée, Louis XI et les Villes, 1891, p. 310. Et il serait possible que telle eût été, dans la Gaule, la politique de Tibère, assez peu favorable aux cités, et qui parait l’ami des corporations.

[10] Tout cela a été admirablement mis en lumière par Renan, Les Apôtres (Hist. des origines du Christianisme, II, p. 355 et s.).

[11] Voyez également, là-dessus, Renan, Marc-Aurèle (Hist., VII), p. 643-5.

[12] Scholastici ou étudiants, à Arles, 714, 12 (si c’est une confrérie) : on a traduit aussi par rhéteurs ou grammairiens.

[13] Les possessores Aquenses, à Aix-les-Bains.

[14] Juvenes a fano Jovis, à Agen (XIII, 913) ; cultores Uræ fontis, à Nîmes (XII, 3076) ; consacrant (XII, 5379 ; XIII, 1561, 147) ; conlegium Honoris et Virtutis, à Narbonne (XII, 4371), qui doit dissimuler une société de vétérans (plutôt que de juvenes ?) ; XII, 533 ; Dianenses, chez les Arvernes (XIII, 1495) ; Jovenses, à Bordeaux (XIII, 646). Pour le culte d’Isis, pausarii et pastophori, à Arles (XII, 734 et 714), Anubofori, à Vienne (XII, 1919), Ambiaci, à Nîmes (XII, 3043).

[15] Conlig. Piet(atis). XII, p. 808, n° 286 ; collegium sa]lutare, XII, 4449 ; XII, 1929, 3347 ; XIII, 913.

[16] Venatores, à Die, qui ministerio arenario fungunt (XII, 1590), sans doute des gens de bonne condition (cf. Suétone, Néron, 12) ; ursarii, à Aix (XII, 533), qui sont des jeunes gens libres et riches ; à Zurich également (XIII, 5243). Je doute fort, maintenant, qu’il ne s’agisse que de chasses dans l’arène (cf. note suivante) : ne pas oublier que l’ours était autrefois très répandu dans les Gaules.

[17] Arenarii, à Trèves, combattants libres ? (XIII, 3641) ; cf. note précédente.

[18] Cf. les deux notes précédentes.

[19] Copotores, à Bordeaux (XIII, 645).

[20] Cf. l’adage ires faciunt collegium, qui doit dater de Trajan (Digeste, L, 16, 85). Le nombre maximum a pu être, dans la plupart des cas, 150, mais il a pu aller bien au delà (Pline, Lettres, X, 33 ; cf. Liebenam, p. 195). En tout cas, le chiffre était agréé et contrôlé par l’État.

[21] Collège mortuaire d’esclaves, XII, p. 808, n° 286 ; XII, 1929. Ce sont les Collegia tenuiorum de Marcien (Digeste, XLVII, 22, 1 et 3). — Cf. Schiess, Die rœmischen Collegia funeraticia, Munich, 1888.

[22] Juvenes, à Agen ; XII, 533. Collign. juvenum Nemesiorum, à Vence (XII, 22) : on a supposé que Nemesii est le nom du pagus ; c’est peut-être l’équivalent indigène de a fano ; mais c’est plutôt le nom de la déesse Nemesis, équivalent de Diane ou de la Victoire, patronne des jeux et des chasses (cf. von Premerstein, Philologus, LIII, 1894, p. 414). — Demoulin, Les Collegia juvenum, 1897, extrait du Musée belge ; Dict. Saglio, art. Juvenes, 1899 ; Rostowzew, en dernier lieu Rœm. Bleitesseræ, 1905 (Beiheft de Klio), p. 59 et s.

[23] Magistri inter collibertos, XII, 3356 ; 3637.

[24] Esclaves ou libres. A Narbonne, les tabellarii ou courriers impériaux (XII, 4449) ; dans le Rouergue, les esclaves de la familia de Tibère employés dans les mines (XIII, 1550). — Si la lecture dis]signat[ores est juste (XIII, 2653), il s’agit peut-être d’ordonnateurs ou huissiers municipaux chez les Éduens. — Les hastiferi, à Vienne (XII, 1814) et en Germanie (XIII, 7281, 7317, 8184), sont, dit-on, des employés de police, sergents de ville ou, plutôt, gardes champêtres (hastiferi sive pastores, XIII, 7317) : la preuve n’est point faite, et ce pourrait être un col-lège du même genre que les dendrophores. Il n’y a pas de corporation sur laquelle on ait plus discuté ; cf. Maué, Die Vereine, p. 21-22 ; Mommsen, Ges. Schr., VI, p. 156-165 [1889] ; Waltzing, IV, p. 92 ; Haug, R.-Enc., VII, c. 2511-2 ; Graillot, Culte de Cybèle, p. 278-280 ; etc.

[25] Pas en Gaule jusqu’ici.

[26] L’expression courante est collegium, conlegium, collignium, mais corpus est fréquent, et paraît s’employer surtout pour les puissants collèges de negotiatores, fabri, navicularii, nautæ, utricularii (C. I. L., XII, p. 942).

[27] Cela résulte, jusqu’à l’évidence, de tout ce que nous savons d’eux. L’expression juridique pour désigner cette assemblée, devait être conventus ; Waltzing, I, p. 368-370.

[28] L(ocus) d(atus) d(ecreto) u(triculariorum ?), XII, 1815 ; 2331, etc. ; Waltzing, I, p. 376 et s.

[29] Cf. Waltzing, I, p. 384.

[30] C. I. L., XII, p. 942 ; XIII, 1911, 1954 ; etc.

[31] Honoratus, lorsqu’il s’oppose à corporatus (cf. XII, 1898) : je crois que l’honorariat comportait l’inscription, non pas au simple titre de membre, mais à celui de quelque dignité du collège. Waltzing (I, p. 367) assimile cette expression à celle d’ancien dignitaire, honore functus : cela peut être juste dans certains cas, mais point dans tous.

[32] XII, 3356, 719, 1814, 733, 3351, 36375 738, 68, 2754, 1911 ; XIII, 1550. Peut-être surtout au nombre de deux, sans doute surtout annuels et souvent renouvelables (XII, 733, 3351). — On a supposé douze magistri dans un collège à demi servile de Toulouse, seul connu en Gaule avant l’Empire (III, 5388). — Les quinquennales, ou magistri nommés pour cinq ans, sont assez rares en Gaule : seulement chez les dendrophores de Lyon, et encore là quinquennalis perpetuus (VIII, 1752, inscription tardive, comme toujours lorsqu’il s’agit d’honneur dit perpetuus).

[33] XII, 730, 982, 4107 ; XIII, 1954, 1961. Charge annuelle, renouvelable, et peut-être donnée à un seul. Il est possible que, dans les moindres collèges, le curator ait tenu lieu du maître. La coexistence des magistri et des curatores dans un même collège me parait jusqu’ici une chose fort rare, du moins en Gaule. — Il arrivait que le même personnage fût pris comme curator par plusieurs collèges (XII, 4107), mais alors, je crois, comme honoratus.

[34] Chez les négociants en vin, les fabri et les dendrophores de Lyon (VIII, 1,954, 1978, 2026). Chez les esclaves des mines impériales, qui étaient sans doute très nombreux (XIII, 1550) : c’est le seul collège de la Gaule qui soit groupé en décuries, dont les chefs, decuriones, forment une sorte d’ordo dirigeant la corporation.

[35] Cf. Waltzing, I, p. 370 et s. ; IV, p. 315 et s.

[36] C. I. L., XIII, 5096. Cf. Cagnat, article Schola dans le Dictionnaire Saglio ; Waltzing, I, p. 211 et s. — Il n’est pas impossible que l’édifice, à Paris, dit des Thermes de Cluny, n’ait servi de Schola ou maison corporative aux nautæ Parisiaci ; cf. de Pachtère, Paris à l’époque gallo-romaine, p. 85-93. Ce qui me l’a fait supposer, c’est la présence, dans ce qui est évidemment la plus grande salle de l’édifice, de consoles sculptées figurant des avants de navires chargés de faisceaux d’armes, cuirasses, casques, etc. : et ce pourrait être l’emblème des nautes. — Car les corporations possédaient leurs emblèmes, leurs armes parlantes (Rostowzew, Bleitesseræ, p. 96-7) : c’est ainsi que les utriculaires de Cavaillon représentaient une outre sur leurs jetons ou tessères (Babelon et Blanchet, Bronzes, n° 2315), et que les scapharii d’Espagne avaient un navire de charge entre autres emblèmes (C. I. L., II, 1168-1169).

[37] C. I. L., XII, 4393 ; XIII, 1805.

[38] Cf. les deux notes précédentes ; d(e) s(ua) p(ecunia), XIII, 1640 ; XIII, 1495, 1805.

[39] L’autel à bas-reliefs, par exemple, des nautes de Paris (C. I. L., XIII, 3026) ; XIII, 5474.

[40] C. I. L., XIII, 5096.

[41] Diaria Jovensium p(ublica serva ?) ; C. I. L., XIII, 646.

[42] Navicularius, nom d’individu, désigne peut-être un affranchi des navicularii d’Arles (XII, 853). Jus manumittendi à tous les collèges depuis Marc-Aurèle ; Digeste, XL, 3, 1 : ce qui, je crois, a dû sanctionner un état de fait.

[43] Tabularius et affranchi des nautes de la Moselle, à Metz (XIII, 4335) ; apparitor des navicularii d’Arles, affecté à la garde d’une statio de la corporation ? (XII, 718).

[44] C. I. L., XIII, 1805. Don en espèces à un collège en 149, XII, 4393 ; etc. Legs depuis Marc-Aurèle ; Digeste, XXXIV, 5, 20 : mais le fait a dû précéder la loi.

[45] On trouve, par exemple, les expressions fabri fratres (C. I. L., V, 7487), cum fratribus et sororibus (VI, 377).

[46] C. I. L., V, 7487 ; VI, 377.

[47] XIII, 1734 ; XII, 736 (funeraticium chez les fabri d’Arles), 1384 ; etc. Cf. Waltzing, I, p. 265 et s. ; IV, p. 484 et s.

[48] C. I. L., XII, 1282 ; XIII, 1734 ; etc. La Mère des Dieux, par exemple, pour les dendrophores. Cf. Waltzing, I, p. 195 et s. ; IV, p. 431 et s.

[49] En dehors de la Gaule, jusqu’ici. Cf. Waltzing, I, p. 446-9 ; Kornemann, c. 425.

[50] Eusèbe, V, 1, 13.

[51] Ή πολιτείς, V, 1, 9 : ne peut s’appliquer qu’a l’ensemble des fidèles.

[52] V, 6, 1.

[53] Eusèbe, V, 1, 17.

[54] V, 1, 29. Comparez à l’episcopus, délégué de la cité de Marseille dans sa ville et son pays de Nice. Cf. Lœning, Die Gemeirndeverfassung des Urchristenthums, Halle, 1888.

[55] Πρεσβύτερος, V, 4, 1.

[56] Un διάκονος à Vienne, V, 1, 17.

[57] Eusèbe, V, 4, 2. Cf. pater dans les collèges.

[58] Eusèbe, V, 4, 2 ; 2, 3-4.

[59] Maître dans le sens de magister ou maître de philosophie : γνήσιος Χριστοΰ μαθητής, V, 1, 10 ; cf. 32, τής τέχνης Χριστοΰ. Voir le pédagogue dans le bas-relief du sarcophage de La Gayole.

[60] Χριστιανός είμι, V, 1, 19, 20, 50 ; etc.

[61] Τώ πατρί (du Christ), V, 1, 36 ; Θεού πατρός (des Chrétiens), V, 1, 3. L’assimilation de Dieu à un père de famille, explique que les Chrétiens se disent δοϋλοι Χριστοΰ (V, 1, 3) : voyez le bon pasteur apportant la brebis au paterfamilias assis, dans le bas-relief de La Gayole.

[62] Cf. le titre Digeste, XLVII, 22. Omnia corpora Lugduni licite coeuntia ; XIII, 1921, 1974.

[63] Digeste, XLVII, 22, 3, 1 et 2 ; 1, pr.

[64] Præcipitur præsidibus provinciarum, etc., Digeste, XLVII, 22, 1 ; Pline, Lettres, X, 33.

[65] Digeste, XLVII, 22, 1.

[66] Digeste, XLVII, 22, 2 : la chose est assimilée, au point de vue du châtiment, à l’acte de faire occuper un lieu public ou un temple par une troupe d’hommes armés ; cf. Waltzing, I, p. 136-7.

[67] Pline, Lettres, X, 33-4.

[68] Cf. Mommsen, De collegiis, 1843, p. 32-5, 73-8.

[69] Il est probable que, si on rencontre si peu de corpora à Narbonne (cf. C. I. L., XII, p. 522), ce fut par suite d’une mesure prise par l’État : Narbonne n’ayant pas de garnison, ne pouvait être surveillée comme Lyon, qui en avait, et où on laissa se multiplier les collèges, et Narbonne était une de ces villes d’affaires dont on pouvait dire, comme le disait Trajan de Nicomédie en y interdisant un collège, factionibus esse vexatam (Pline, Lettres, X, 34).

[70] Revue épigraphique, inscr. n° 1351 : ordre du préfet de l’annone (?) au procurator ad annonam de la Narbonnaise ?, faisant suite à une plainte des navicularii marini d’Arles : il faudra qu’on applique désormais (aux sacs de l’annone embarqués à Arles ?) charactere regulas ferreas (sans doute des marques poinçonnées contrôlant le poids au départ), et que les convois soient escortés d’Arles à Rome par des agents responsables, prosecutores (de l’administration de l’annone ?). Les navicularii d’Arles s’étaient plaints sans doute de torts qu’on leur avait faits, d’abord lors du règlement des comptes, en évaluant trop bas le poids ou tonnage de la marchandise (indemnitas rationis), ensuite en les condamnant pour fausse déclaration (securitas).

[71] C. I. L., XIII, 3026 ; Revue des Ét. anc., 1912, p. 71.

[72] XIII, 941. Cette importance des bouchers rappelle le Moyen Age.

[73] Mais ils peuvent être incolæ, c’est-à-dire originaires d’ailleurs (C. I. L., XIII, 1998, 2009, 2029, 2033).

[74] XII, 410, 411, 700, 4393, 692, 982, etc. Quelques exceptions, qui s’expliquent par exemple, les navicularii d’Arles prennent pour patron l’intendant provincial de l’annone (XII, 672).

[75] XII, 672, 982, 410-1, 733, 3 :351, 1581 ; XIII, 2828 : Qui in Æduis consistunt ; XIII, 1640 et 1921 : Lugduni coeuntia. Ces deux expressions sont juridiquement consacrées. On en retrouve l’équivalent pour les églises chrétiennes, Eusèbe, V, 1, 3.

[76] Exceptionnel : XII, 982, 2824 ; XIII, 2828 (qui vico Brivæ Sugnutiæ respondent, à Brèves chez les Éduens) ; XIII, 5474 (à Dijon) ; XIII, 5475 (près de Dijon, lapidarii pago Andomo consistentes).

[77] Cela résulte de l’adage juridique (Digeste, XLVII, 22, 1, 2) : Non licet amplius quam unum collegium licitum habere. La formule se trouve dans une constitution de Marc-Aurèle, à laquelle se rattachent peut-être les mesures contre les Chrétiens. — Exception est faite pour les patroni (C. I. L., XII, 700, 982 ; XIII, 1954) et les membres honoraires (XIII, 1972).

[78] Cf. Kornemann, c. 412-3.

[79] Digeste, L, 6, 6, 12 : Ut necessariam operam publicis utilitatibus exhiberent.

[80] On trouve un præfectus dans certains collèges de Lyon : nautes (XIII, 1716, 1967) ; négociants transalpins et cisalpins (XIII, 2029 : si le mot præfectus n’est pas mal placé et ne se rapporte pas aux fabri tignuarii). Il est possible que ce titre désigne un fonctionnaire imposé momentanément au collège, soit par l’État, soit par la ville (cf. XII, 1877, 4371) ; on a supposé, en ce qui concerne les préfets des fabri tignuarii, que c’était le chef désigné par les pouvoirs publics pour conduire le collège aux incendies. Mais je ne suis pas sûr que le préfet n’ait pas été un chef du collège à pouvoirs ordinaires (cf. C. I. L., III, 611 ; XIV, 2631), mais nommé par ses confrères en dehors des formes consacrées et des membres réguliers, comme il en fut souvent des préfets municipaux. Je ne crois pas que le préfet ait fonctionné en même temps que le maître ou le curateur du collège : je pense, plutôt, qu’il l’a remplacé.

[81] Fabri : Vienne, XII, 1911 ; Lyon, XIII, 1954, 1978 ; Vaison, XII, 1386 ; etc. Fabri ferrarii, à Dijon, XIII, 5474. Fabri subædiani (= qui sub ædibus consistunt ? on interprète aussi en ouvriers de charpente), à Narbonne, XII, 4393. — Il est probable que les forgerons étaient d’ordinaire inscrits parmi les fabri tignuarii (XIII, 2036), et que ces mêmes fabri tignuarii étaient aussi désignés par fabri seul. Je doute, cependant, que fabri seul n’ait pas aussi désigné des ouvriers da fer et du bronze, forgerons, fondeurs et chaudronniers : sans quoi ce genre de métier ne serait pas représenté en Gaule.

[82] Fabri tignuarii : Lyon (XIII, 1734, 1939, 1966, 1967, 2029, 2036), Castellane (XII, 68), Arles (XII, 719, 726, 736, 738), Nîmes (XII, 3165), Vienne (1877), Helvètes (XIII, 5154), Feurs (1640), Vellaves (1606), etc. — Sous ce nom, un des plus répandus, doivent être souvent compris maçons, stucateurs, hydrauliciens (XII, 722) et tous les ouvriers du bâtiment, et, aussi, orfèvres, serruriers, forgerons et chaudronniers (XIII, 5154 ; Digeste, L, 16, 235).

[83] Fabri navales, à Arles ; XII, 700, 5811.

[84] Structores, à Sos (Rev. des Ét. anc., 1912, p. 71) ; lapidarii (et ?) structores, à Saintes (XIII, 1034). — Les opifices lapidarii sont plutôt des tailleurs de pierre (Vaison, XII, 1384). Lapidarii, dans le pays de Dijon (XIII, 3475). — De même, les lapidarii Almanticenses ou Almanicenses, qu’on trouve à Arles (XII, 732) et à Cimiez (V, 7869) : je ne vois aucune explication satisfaisante pour cette épithète. — Les maçons sont compris d’ordinaire parmi les fabri tignuarii.

[85] Artifices tectores, associés aux fabri tignuarii : à Lyon (XIII, 1734, 1983) et à Arles (XII, 719).

[86] Dendrophori : Cimiez (V, 7904), Marseille (XII, 411), Valence (III, 1744), Vienne (1917, 1878), Lyon, où ils paraissent avoir reçu le surnom de Augustales (XIII, 1723, 1751, 1752, 1961, 2026), etc. Je verrais volontiers dans ce collège, à l’état primitif, les bûcherons et scieurs de long, chargés d’abattre les arbres, de transporter les pièces de bois (cf. Espérandieu, n° 1096) et de préparer les poutres. — Comme l’une des plus importantes cérémonies, dans le culte de la Mère des Dieux, était le transport de l’arbre sacré, on leur donna de très bonne heure (depuis Claude ? Lydus, De mensibus, IV, 41) ce nom grec de porte-arbre, et on les assigna au culte de la Mater ; cf. Graillot, Culte de Cybèle, p. 263-278. Il est douteux, cependant, qu’ils n’aient pas, à l’origine, porté un autre nom, surtout en Gaule. — Les hastiferi sont peut-être, primitivement, une société de même ordre, et leur nom, sans doute, rappelle de plus près un mot indigène.

[87] Centonarii : à Cimiez (V, 7906), Aix (XII, 526), Marseille (410), Arles (700), Dîmes (2154), Vaison (1282), Lyon (XIII, 1805, 1961, 1972 ; III, 1898), etc. — Je dis drapiers ou tisserands, faute de mieux. Mais je crois que la majeure partie de ces confrères se rattachaient, comme les précédents, à l’industrie du bâtiment. C’étaient peut-être, à l’origine, les fabricants et dresseurs de tentes. On donnait le nom de centones à toutes sortes de gros draps, et notamment à des couvertures destinées à protéger contre l’incendie (César, De b. c., II, 10, 6 ; III, 44, 7 ; Digeste, XXXIII, 7, 12, 18).

[88] Encore faut-il remarquer que ce que nous connaissons le moins pour ces sortes de sociétés, ce sont leurs préoccupations professionnelles. Et elles ne devaient pas être très fortes, puisque nombre d’ouvriers d’espèces très diverses se rencontraient en elles, par exemple un cretarius dans un collège de fabri (XIII, 1918 ; autres, 2036, 1966, 1967, 2029, 5154). Peut-être n’étaient-ils qu’honoraires, la règle juridique étant ne quis nisi faber recipiatur (Pline, X, 33). En tout cas, la lettre de Pline montre bien que la seule préoccupation de l’autorité publique, quand il s’agissait d’autoriser un collège de fabri, était incendia compescenda.

[89] Attesté surtout pour les fabri tignuarii, dendrophori, centonarii : Pline, Lettres, X, 33-4 ; Code Théod., XIV, 8, 1 (loi de 315). Ce sont ces collèges qui sont visés, dans les inscriptions de Cimiez, sous la formule tria collegia, quibus ex senatusconsulto coire permissum est (C. I. L., V, 7881, 7905, 7920).

[90] On a supposé le præfectus armorum et vigilum de Nîmes, le præfectus fabrum, les préfets des collèges. — Sur cette question et sur tout ce groupe de collèges : Hirschfeld, dans les Sitzungsberichte de l’Académie de Vienne, phil. hist. Classe, 1884, CVII, p. 239 et s. ; Maué : 1° Die Vereine der Fabri, Centonarii und Dendrophori im rœmischen Reich, Francfort, 1886 ; 2° Der Præf. fabrum ; Waltzing, II, p. 192 et s. ; Kornemann, Real-Enc., VI, c. 1903-18.

[91] Navicularii marini, à Arles (XII, 672, 692, 697 ?, 704, 932, 3318 ?) ; à Narbonne, il n’est pas sûr qu’ils fussent groupés en société (4398, 4406). — Les navicularii d’Arles, les plus importants corps de métier dans cette colonie, formaient cinq corpora (Revue épigr., n° 1351 ; C. I. L., XII, 672) : sans doute étaient-ils trop nombreux pour un seul corpus et la loi n’acceptait-elle qu’un certain nombre de membres dans chaque collège (cf. Pline, Lettres, X, 33). — Ce ne devaient point être des matelots, mais des armateurs, maîtres de barques, maîtres-portefaix, entrepreneurs d’arrimage et acconiers. C’étaient leurs esclaves qui servaient de matelots.

[92] Nautes de la Saône et du Rhône, à Lyon : nautæ Ararici (XII, 1005 ; XIII, 1972, 5489) ; nautæ Rhodanici (XII, 1797) ; nautæ Rhodanici et Ararici (XII, 3316, 3317 ; XIII, 1688, 1695, 1918) ; nautæ Rhodanici Rhodano navigantes (XIII, 1996) ; nautæ Rhodanici Arare navigantes ? (XIII, 1960, 1966) ; etc. C’est peut-être, sous divers noms ou en diverses sections, le même corps ou groupement de corps, le plus important de Lyon après celui des vinarii, et exerçant, en fait ou en droit, le monopole des transports d’Arles à Lyon et peut-être sur la Saône. — Nantes de la Saône et de la Loire, à Lyon, nautæ Ararici et Ligerici (XIII, 1709). Il résulte bien de ce titre que cette société se chargeait aussi des transports par terre entre ces deux rivières, sans doute chez les Éduens, de Chalon ou de Mâcon à Roanne. Et cela est confirmé par un monument portant à la fois l’épitaphe d’un nauta Araricus et les figures d’un porteur et d’un charretier (C. I. L., XIII, 5189 ; Espérandieu, n° 3521). — Nautes de la Durance, nautæ Druentici : à Arles (XII, 721 et 731), à Ernaginum ou Saint-Gabriel (XII, 982). — Nautes de l’Ardèche et de l’Ouvèze ?, Atr. et Ovid., XII, 3316, 3317, 4107, peut-être chargés surtout des transports par terre chez les Helviens. — Nautæ Parisiaci, à Paris, sur la Seine (XIII, 3026). — Nautæ Ligerici, sur la Loire, à Nantes (XIII, 3105, 3114). — Nautæ Mosallici, sur la Moselle, à Metz (XIII, 4335). — Nautæ Aruranci Aramici, sur l’Aar et une autre rivière, à Avenches, sans doute société de transport pour les Helvètes (XIII, 5096). — C’est, je crois, un pur hasard de ne pas trouver des nautæ Garonnenses : il serait possible que les milites Garronenses qu’on rencontre plus tard à Blaye (Not., Occ., 37, 15), fussent une société de nautes organisée militairement au Bas Empire.

[93] Utricularii : île de Saint-Honorat (XII, 187), Cavaillon (XII, 136 * : authentique), Nîmes (XII, 3351), Arles (XII, 129, 731, 733, 4107), Riez (372), Vaison (1387), Vienne (1815), Ernaginum (XII, 982), Lyon (XII, 1742 ; X1II, 1954, 2039), Autun (XIII, 2839). — Sur l’emploi des outres pour passer les rivières, Calvet, p. 11 et s. — Je crois, d’ailleurs, que cet usage avait disparu en grande partie à l’époque romaine, et que nos utricularii étaient de simples passeurs, leur nom demeurant, comme si souvent dans les collèges et les gens de métier, la survivance d’un ancien état de choses. — Calvet, Dissertation sur un monument singulier des utriculaires, Avignon, 1766 ; Schwarz, De collegio utriculariorum, dans ses Opuscula academica, 1793, p. 33 et s. ; en dernier lieu, Héron de Villefosse, Bull. arch., 1912, p. 103-116 ; Bonnard, La Navigation intérieure de la Gaule à l’époque gallo-romaine, 1913, p. 197 et s.

[94] Je suppose que les nautæ Arecarii et Condeates, à Lyon (XIII, 1709, 1688), sont des passeurs. Mais ce peuvent être aussi les entrepreneurs de transport du pays de Lyon.

[95] Ratiarii superiores à Genève, XII, 2597 : peut-être pour le haut lac, partie haute du lac ; ratiarii Voludnienses (XII, 2331), à Saint-Jean-de-La-Porte près de Montmélian, à l’endroit où devait s’organiser la batellerie sur l’Isère : actuellement, c’est près de ce point, en remontant l’Isère, qu’elle cesse d’être navigable et qu’elle n’est plus regardée que comme flottable pour des radeaux.

[96] Annonæ deserviunt : ils menacèrent même, si on ne leur rendait pas justice, de cesser le service, autrement dit de faire grève, cum quadam denuntiatione cessaturi propediem obsequii.

[97] Les hastiferi également ? Les ursarii peut-être ? En 245, les juniores de Béda chez les Trévires élèvent à leurs frais une tour de guette, farator (XIII, 4131). C’est ce qui explique pourquoi un certain nombre de ces collèges seront, je crois, transformés en milices publiques au Bas Empire (voyez dans la Notitia les milites Ursarienses à Rouen, Occ., 37, 21).

[98] Peut-être aussi, à partir d’Antonin ou de Marc-Aurèle, les dendrophores, du moins dans leurs rapports avec la Mère des Dieux : de là, dans certaines villes, leur surnom de Augustales.

[99] XII, 2331 ; XIII, 3026, 941, 1752, 4131. Peut-être est-ce ce que signifie le publice posierunt des nautes parisiens (XIII, 3026).

[100] Soit dans les villes, soit dans les théâtres ou amphithéâtres des vici ou pagi. Ils intervenaient aussi dans les sacra. XII, 533, 1590.

[101] Panegyrici veteres, VIII [V], 8.

[102] Nîmes, XII, 3316-7 ; Arles, XII, 697, 714 ; dans le cirque, à Lyon, XIII, 1805 (cf. 1919).

[103] Exornavimus vias (à Autun)..., omnium signa collegiorum protulimus ; Pan. vet., VIII [V], 8. — Ces signa devaient présenter les emblèmes des corporations.

[104] Je crois bien qu’il faut établir une certaine analogie entre les nautæ Parisiaci, par exemple, et les cohortes auxiliaires ou les numeri militaires.

[105] Au moins à partir des Sévères, Digeste, L, 6, 6[5], 12 (bien entendu, les honorati n’étaient point dispensés) ; L, 6, 6, 3 ; etc. ; cf. Kornemann, c. 447 et suiv. ; Houdoy, Droit municipal, p. 507-512.

[106] Sauf, comme le remarque Kornemann (c. 412), la compagnie dionysiaque d’artistes ambulants, embrassant toute la terre : c’est à cette compagnie que se rattache la σύνοδος de Nîmes (C. I. L., XII, 3232 ; Inscr. Gr. Sic, et It., 2498-2502). Ce qui empêchait tout danger, c’est qu’il ne s’agissait que d’artistes, et que leur dieu ou patron était l’empereur, nouveau Bacchus. Cf. en dernier lieu Poland, Geschichte des griech. Vercinswesens, 1909, p. 143-7. — Il est encore admissible que certaines sociétés de négociants et de transport aient eu des relations, bureaux ou correspondants, en dehors de leur cité.

[107] Curator civium Romanorum : Auch, XIII, 444 ; Périgueux, 950-4 ; 963, 970 ; Saintes, 1048 ; Bourges. 1194. Chez les Helvètes, curator civium Romanorum conventus Helvetici, XII, 2618 ; XIII, 5013, 5026.

[108] Le point de départ de ces conventus est, en effet, le groupe associé des marchands italiens établis dans une ville étrangère, et il est probable que la plupart d’entre eux date, même en Gaule, d’avant la conquête ou, au moins, de Jules César. Mais je crois bien que ces conventus ont fini par admettre les indigènes faits cives Romani. — En revanche, après l’octroi de la civitas à tous les habitants de l’Empire, il resta des conventus civium Romanorum limités aux incolæ de la cité (Briançon, C. I. L., XII, 94 interprétation, proposée sous réserves, d’une inscription disparue).

[109] Le mot s’entendait notamment des assemblées de collèges : les conventus de citoyens romains sont donc des assemblées collégiales sans la lex et sans le cadre du collège.

[110] C. I. L., XIII, 444 et 1194 (simples affranchis) ; 950-4, 965, 970, 1048 (grands personnages de la cité) ; XII, 2618, XIII, 5013 et 5026 (chez les Helvètes : parfois étrangers à la cité, mais peut-être le conventus helvète s’étendait-il hors du pays). — Les curatores colon(orum) d’Avenches doivent être, non pas des magistrats municipaux, mais les anciens curateurs du groupe des citoyens romains domiciliés à Avenches et transformés en colons sous Vespasien (C. I. L., XIII, 5071-3). — On trouve un q(uæstor) c(ivium) R(omanorum) chez les Nerviens (XIII, 3573).

[111] C. I. L., XIII, 1900, summus curator c. R. provinc. Aquit. ; 1921, de même, provinc. Lug. Il s’agit de hauts magistrats lyonnais. Peut-être ces summi curatores représentaient-ils les citoyens romains auprès du gouverneur, les simples curatores, auprès du magistrat local.

[112] Cf. Kornemann, Real-Enc., IV, c. 1198-9.

[113] Il est fort probable qu’ils se bornèrent de plus en plus à un rôle religieux, à continuer de vieilles cérémonies (cf. XIII, 5026). — Sur ces conventus, en dernier lieu Kornemann, Real-Enc., IV, c. 1179 et s. [paru en 1900] ; avant : Mommsen, Ges. Schriften, V, p. 420-2, VI, p. 193-8 [1881 et 1873] ; Morel, Mémoire sur les Associations, etc., Lausanne, 1877 (Mém. et Doc. p. p. la Soc. d’Hist. de la Suisse romande, XXXIV) ; Mitteis, Reichsrecht und Volksrecht, 1891, p. 149-131 ; Kornemann, De civibus Romanis in provinciis imperii consistentibus, 1891 ; Schulten, De conventibus civium Romanorum, 1892.

[114] La comparaison a été souvent faite ; cf. Théodore Reinach, Dict. Saglio, art. Judæi, p. 624 ; Schürer, Geschichte des jüdischen Volkes, III, 4e éd., 1909, p. 71 et s.

[115] Th. Reinach, id., p. 624-6.

[116] Aucune trace certaine de synagogue en Gaule. Il est probable qu’il y eut des colonies juives dans les grands centres commerciaux, Arles, Bordeaux, Narbonne, Trèves, et surtout Lyon (pour cette ville, cf. Fleury La Serve, Les Juifs à Lyon, Revue du Lyonnais, VII, 1838, p. 257-8 [médiocre] ; Salomon Reinach, Cultes, III, p. 449 et s.). Il fait rappeler ici les exils de princes juifs à Vienne et à Lyon et la présence de Juifs dans le cortège de Caligula. Une tradition, rapportée en langue araméenne, raconte que, sous Vespasien, des Juifs, fugitifs de Jérusalem, débarquèrent à Bordeaux, Arles et Lyon (Gross, Gallia Judaica, 1897, p. 75), et elle n’offre en soi rien que de fort plausible.

[117] Tertullien, Apologétique, 38-39. — Sur ces rapports, entre cent travaux, Liebenam, p. 264 et s. ; en dernier lieu Waltzing (Bull. de l’Ac. roy. de Belgique, classe des Lettres, 1912, p. 387-401) : celui-ci, développant la pensée de Duchesne (Hist. anc. de l’Église, I, 1906, p. 381-7), a montré que, contrairement à l’opinion acceptée depuis de Rossi, les églises chrétiennes n’ont jamais pu être assimilées à des collèges funéraires. Voyez également son dernier article (cf. note 1).

[118] Comparez ce mot avec celui de conventus désignant l’assemblée du collège et la colonie de citoyens romains : comme cette dernière, l’église chrétienne est une assemblée collégiale sans le cadre et la lex consacrés.

[119] Voyez, pour Lyon, Eusèbe, V, 1-5 ; pour Rome, V, 6.

[120] Eusèbe, V, 6, 1.

[121] Eusèbe, V, 1, 3.

[122] Les Chrétiens de Lyon écrivent à leurs frères d’Asie (Eusèbe, V, 1, 3), τήν αύτήν... έλπίδα έχουσ.ν. C’est pour répondre à ce reproche de coalition entre les églises, que Tertullien a écrit ce passage, trop peu examiné jusqu’ici (De præscript., 20) : Illis (ecclesiis) communicatio pacis et appellatio fraternitatis et contesseratio hospitalitatis, nous ne faisons qu’échanger des saluts de paix, le nom de frères et des tessères d’hospitalité . Du reste, les églises de Chrétiens faisaient bien d’autres échanges, et il n’est point prouvé que les collèges ordinaires aient fait entre eux, de ville à ville, des échanges semblables à ceux qu’indique Tertullien. Et cela justifie l’expression de factio, qu’il semble qu’on leur ait appliquée (Tertullien, Apolog., 38, 1 ; 39, 1).

[123] Eusèbe, V, 1.

[124] Irénée par exemple.

[125] Eusèbe, V, 6 ; V, 3, 4.

[126] C’est pour cela, peut-être, que les Chrétiens ont appelé έπίσκοπος le chef de leurs églises, par analogie avec le magistrat local qu’une cité grecque envoyait dans une bourgade de son ressort, comme Marseille à Nice.

[127] Eusèbe, V, 1, 20.

[128] Tertullien les compare aux Chrétiens à ce point de vue, Apologétique, 3, 7-6 ; cf. 38, 5.

[129] Le rapprochement se justifie d’autant plus que l’on inscrivait dans les inscriptions philosophus Stoicus ou Epicurius (Dessau, n° 7776-84), que les écoles de ces philosophes étaient organisées sous un chef et avec des règlements agréés par l’autorité impériale (Dessau, n° 7784), et que le titre de philosophe, comme celui de membre de collège, pouvait comporter des immunités (Digeste, XXVII, 1, 6, 7-8 ; L, 5, 8, 4 ; cf. Houdoy, p. 505-7).

[130] Cf. ch. I, § 2 et 3.

[131] Arrien, Entretiens d’Épictète, II, 5, 26.

[132] Arrien, Entretiens d’Épictète, I, 30, 1.

[133] Arrien, Entretiens d’Épictète, I, ch. 19, 25 et 29 ; II, ch. 1 ; III, ch. 1 et 5 ; IV, ch. 8.

[134] Arrien, Entretiens d’Épictète, IV, 1, 169.

[135] Arrien, Entretiens d’Épictète, III, 13, 12.