HISTOIRE DE LA GAULE

TOME IV. — LE GOUVERNEMENT DE ROME.

CHAPITRE II. — LES ROMAINS À LYON ; AUGUSTE ET AGRIPPA[1].

 

 

I. — FONDATION DES COLONIES DE LYON ET D’AUGST[2].

La mort de César (15 mars 44)[3], les querelles sanglantes que provoqua sa succession, compromirent l’unité de l’Empire et le régime monarchique. Mais elles rendirent au peuple romain le double service de lui faire oublier le rêve des conquêtes lointaines et de l’intéresser aux actes utiles de la politique intérieure.

Les premiers actes qui furent accomplis dans la Gaule, sont précisément ceux qui devaient régler à tout jamais sa manière de vivre comme province. Quelques mois après la fin du dictateur (en 43)[4], le sénat décida la fondation de deux colonies dans la Nouvelle Gaule, ou, comme on disait alors, dans la Gaule Chevelue[5] : l’une à la frontière, celle d’Augst, près du coude du Rhin, l’autre au centre, celle de Lyon, proche le confluent du Rhône et de la Saône ; et il confia l’affaire à Munatius Plancus[6], proconsul de la province.

La colonie d’Augst prit le nom de Raurica[7], qui était celui de la petite peuplade alors installée dans le pays de Bâle[8]. Pour comprendre la nouvelle cité, qu’on regarde, à quelques milles de là, cette ville de Bâle, héritière de la colonie de Plancus. Comme Bâle, Raurica fut bâtie près de la rive méridionale du Rhin, à la sortie de la trouée de Belfort, à l’arrivée des lacs de la Suisse, face aux routes qui viennent d’Alsace et de Souabe : elle protégeait la lisière de l’Empire contre les menaces des Suèves[9], elle fermait aux invasions germaniques la porte de la Gaule la plus ouverte de toutes[10], celle qui avait livré passage aux Cimbres et à Arioviste. Augst était le premier et le plus important secteur de cette longue et forte enceinte de murailles qui marquera bientôt, du côté des Germains, la frontière de la Gaule romaine.

En bâtissant la colonie de Lyon, c’était son centre et sa capitale qu’on indiquait à cette même Gaule. Que, devant Fourvières, comme devant la colline d’Augst, les fondateurs de Lyon, Plancus ou les commissaires du sénat, aient songé surtout à la protection militaire du peuple romain, c’est très probable. La forteresse allait surveiller les routes des Alpes, elle servirait de trait d’union entre les camps de la frontière et les colonies de la Narbonnaise : voilà d’abord l’Italie assurée contre un retour des Barbares de l’Occident. Lyon, ensuite, est la tête de ligne pour toutes les routes qui gagnent, vers l’ouest, la Loire et la Seine : si la Gaule Chevelue se révolte, c’est la nouvelle colonie qui la maîtrisera ; elle la commande, disait un Ancien, à la manière que l’acropole domine une cité[11].

Mais un autre rôle, pacifique et grandiose, fut réservé à la cité de Lyon. Une colonie n’était pas seulement une citadelle de l’Empire, utile par ses remparts et par ses vétérans[12]. Elle était aussi un foyer de vie romaine, emprunté au feu éternel qui brûlait devant le Capitole[13]. Ses citoyens, tous membres de l’État, son sénat, ses magistrats, ses lois, décalque des lois nationales, ses rues même, ses temples et ses édifices, faisaient d’elle l’image de la cité maîtresse. Toute colonie était une nouvelle Rome[14]. C’est donc, sur le coteau de Fourvières, au-dessus du Confluent, à cette rencontre de toutes les routes de la contrée, à ce point prédestiné pour être l’ombilic d’une grande nation, c’est là que les vainqueurs bâtissent maintenant la Rome des Gaules. De là, la culture gréco-latine rayonnera sans peine jusqu’aux extrémités des provinces celtiques. Là s’assembleront les hommes et Ies marchandises de l’Italie et de l’Occident, et là se feront les échanges de choses et de pensées d’où la Gaule sortira un jour transformée en une nation romaine.

Il est douteux que les créateurs de Lyon n’aient point prévu et voulu ce rôle. Car ceux qui ont découvert ce site, ne sont certes pas les bureaucrates romains qui ont préparé le décret du sénat : ce sont les hommes qui ont regardé la Gaule et Fourvières, Plancus, qui commanda au Confluent, César, qui le traversa, les trafiquants italiens, qui s’y établirent avant lui, et peut-être les Celtes eux-mêmes, qui s’étaient jadis querellés à cet endroit[15].

La colonie de Lyon fut donc bâtie par Plancus sur le sommet de Fourvières[16]. Ce terrain appartenait aux Ségusiaves, petite peuplade cliente des Eduens : ils en furent dépossédés, ainsi que du sol de culture environnant[17]. La ville garda son nom celtique de Lugdunum : mais on y ajouta l’épithète de Copia, l’Abondance[18], qui rappelait ou présageait la divinité à laquelle elle était vouée[19]. Le premier élément de sa bourgeoisie fut fourni par les négociants italiens, d’origine civile, qui y avaient déjà élu domicile[20]. Plancus, sans aucun doute, leur adjoignit bon nombre de soldats[21]. Dès le premier jour, Lyon s’annonçait comme une capitale marchande et militaire[22].

 

II. — MUNATIUS PLANCUS, PROCONSUL EN GAULE[23].

Munatius Plancus avait été légat de César pendant la guerre des Gaules. Au moment de partir pour l’Orient, César lui confia le proconsulat de la Gaule Chevelue[24]. C’était alors, sans contredit, le gouvernement le plus important de l’Empire, celui qui devait garantir au dictateur, pendant ses dernières conquêtes, la sécurité de l’Occident.

Plancus se trouvait à son poste lors des guerres civiles qui suivirent la mort de son chef[25] Il se montra un homme fort avisé, bon observateur des faits et des gens, patient, prudent[26], ayant le flair des situations[27], désireux sans doute de richesses et de faste, mais dénué des vastes et criminelles espérances qui germaient alors chez Antoine, Lépide et Octave : il sut comprendre qu’il n’avait point l’envergure d’un héritier de César. D’autre part, malgré son amitié pour Cicéron[28], il ne crut point que la liberté pût être restaurée. Alors, il se laissa vivre, passant d’une alliance à l’autre[29], cherchant l’homme qu’il jugerait le plus capable de rendre la paix au monde, et, jusqu’au moment de s’en remettre à cet homme, faisant son devoir de proconsul[30]. Et cette mauvaise foi de Plancus, que ses ennemis ont rendue fameuse[31], n’était peut-être que fidélité au peuple romain[32].

Son premier soin, en arrivant en Gaule, fut de s’assurer le concours des cités et des chefs[33]. Des largesses, des concessions, ses habitudes de justice et son renom de bravoure leur ôtèrent toute envie de révolte[34]. A Rome, candidats à la tyrannie ou fauteurs de la liberté escomptaient à leur profit quelque défection parmi les peuples sujets ou dans les troupes de l’Occident[35]. Mais tout le monde, au delà des Alpes, ne cessa pas d’obéir[36]. La Gaule ne s’émut pas plus, après la mort de son vainqueur, qu’après son départ pour le Rubicon. Rien n’entrava la fondation de Lyon. Et le miracle de la paix celtique continua[37].

Au sud des Cévennes, la Gaule Narbonnaise était gouvernée par Lépide, qui tenait en même temps l’Espagne de Tarragone. Lépide réussit aussi bien que Plancus à conserver partout la paix[38]. Médiocre et ambitieux, il ne valait pas son collègue : mais la tâche était facile dans un pays que César avait peuplé de ses vétérans[39].

Dès que Lépide et Plancus se sentirent bien les maîtres de leurs soldats et de leurs provinces, ils se rapprochèrent de l’Italie[40], où Octave et Antoine étaient aux prises (avril-mai 43). Plancus, outre cinq légions, avait auprès de lui la cavalerie celtique et quantité d’auxiliaires de toute sorte[41] : son armée ressemblait à celle que César avait menée à la conquête du monde.

Mais il n’eut pas le courage de s’en servir pour combattre. Nul ne put lui reprocher d’avoir ajouté une bataille civile à celles qui ensanglantaient alors l’Empire. Quand il vit qu’Antoine, Octave et Lépide allaient se réconcilier, il jugea la partie perdue pour le sénat, et il remit aux nouveaux maîtres du monde son armée et sa province (octobre)[42]. — Une seconde fois depuis la conquête, en moins de dix ans, la fidélité de la Gaule avait contribué à rétablir l’unité de l’Empire romain[43].

 

III. — AUGUSTE ET AGRIPPA.

Ainsi, Munatius Plancus, après avoir reçu la Gaule des mains de Jules César, l’avait rendue presque aussitôt, avec Lyon en plus, aux héritiers du dictateur[44], Antoine et Lépide ses maîtres de la cavalerie, et Octave son fils adoptif. Antoine la garda pendant près de trois ans (43-40) ; puis, attiré par les séductions de l’Orient, il l’abandonna pour toujours à Octave[45].

Octave[46] la gouvernera d’abord comme triumvir (40-27), puis, sous le nom d’Auguste, comme imperator souverain du peuple romain (27 av.-14 ap. J.-C.). Quinze ans d’obéissance à César, près de soixante ans d’obéissance à son fils, cela fit, pour les débuts de la Gaule, un régime d’une extraordinaire fixité. Les révolutions qui, pendant trente ans, changèrent alors sans cesse les maîtres de l’Italie et de l’Orient, n’avaient aucun contrecoup sur ses destinées. Les lois et les habitudes romaines, grâce à la stabilité politique, purent s’y implanter par des racines profondes, et les pratiques de la monarchie nouvelle, longtemps incertaines ailleurs, s’y appliquèrent aussitôt[47].

Le chef qui inaugura cette monarchie, Auguste, est l’homme du passé qui échappe le plus à notre analyse. On pouvait dire que le sphinx, gravé sur son anneau[48], était le symbole de sa vie ou l’image de son âme. Nul n’arrivait à saisir les traits de son être[49]. Il n’a rien écrit qui rie soit longuement médité ; ses historiens se trouvèrent ses flatteurs ou ses obligés : sa vie, faite en entier de chances et de succès, ne fut présentée que comme le tableau des actes d’un dieu, et la figure de l’homme se perdit sous les couleurs de l’apothéose[50].

Mais cela seul, qu’il soit sorti indemne de tous les dangers et toujours avec un bénéfice plus grand[51], cela témoigne chez Auguste d’une habileté, d’une prudence, d’une sagesse incomparables : et je crois bien que ce fut, dès l’adolescence, le lot principal de son patrimoine moral. Il est de ceux qu’on ne peut se représenter cédant à la fougue de la jeunesse ou aux élans du cœur. Comme, son intelligence ne lui inspira jamais que des moyens termes et des formules de conciliation, on hésite à l’appeler un esprit supérieur. Et cependant, l’édifice qu’Auguste bâtit sur le monde, d’une contexture si délicate, fut autrement solide que l’œuvre de César, aux morceaux taillés à l’emporte-pièce par sa main souveraine[52]. Si le génie se mesure à la patience de l’homme, Octave fut mieux doué que son père, le plus impatient des êtres[53].

Que nous lui refusions notre sympathie, rien ne s’explique mieux. Ses facultés essentielles n’étaient point de celles qui nous séduisent. Auguste réfléchissait trop[54]. Il ignora cette volonté exubérante du pouvoir, de la gloire, de l’action, cette franchise dans les ambitions, cette folie dans les rêves, qui ont donné à César l’allure d’un héros de légende. Son fils fut, toute sa vie, l’homme des passions étroites et des petits moyens. On remarquait chez lui quantité de goûts mesquins, de préjugés vieillots, le respect des cultes démodés, des mots archaïques, des usages surannés[55]. Il était superstitieux, méticuleux et maniaque[56]. Beaucoup le disaient lâche sur le champ de bataille, et cruel de sang-froid[57]. — Mais sa lâcheté était, ce semble, affaire de nerfs : car Auguste n’a reculé ni devant les dangers d’un combat ni devant ceux d’une foule ameutée[58]. Et les petitesses de sa politique ne furent peut-être chez lui que des procédés voulus pour la mettre à la portée du plus grand nombre.

Ce qu’il faut admirer en lui, c’est qu’il sacrifia tout à son métier de souverain, son temps, ses goûts, sa santé, sa jeunesse, et peut-être son âme même[59]. Hadrien et Marc-Aurèle mis à part, nul empereur ne songea davantage à l’Empire, aux besoins et aux destinées de ses provinces[60]. Il ne cessa de les visiter tant que la vieillesse ne fut point là. C’est ainsi qu’il vint cinq fois dans les Gaules[61] : il y séjournait de longs mois, résidait à Narbonne ou à Lyon, convoquant des assemblées de chefs, accueillant les plaintes des indigènes, mettant lui-même en train les principales réformes[62]. Le maître absolu du monde ne fut point pour les nations un despote invisible, figé au loin dans sa majesté immuable, mais un homme d’affaires, sérieux, avisé, jugeant et décidant sur place.

Ce qu’il ne fit point par lui-même, il le laissa faire aux plus capables. Peu de souverains ont choisi avec plus de tact leurs collaborateurs, les ont conservés et soutenus avec plus de constance et moins de jalousie. Tandis que ses successeurs, même les meilleurs, maintiendront comme un dogme leur prééminence en toutes choses, Auguste n’hésitait pas à accorder une autorité quasi souveraine à ceux qui lui inspiraient confiance. Quand il eut reconnu en Agrippa[63] le plus méritant, après lui-même, des serviteurs de l’Empire, il en fit son gendre et, son héritier, et il partagea avec lui, sans arrière-pensée, la réalité du pouvoir[64] : sur les monnaies de certaines cités de la Gaule, nous trouverons au même plan, l’une à côté de l’autre, l’image d’Auguste et celle d’Agrippa[65].

C’est peine perdue que de chercher la nature morale d’Agrippa. Plus encore que celle d’Auguste, elle s’efface sous des dessins de convention. Mais il n’importe. Dans la vie d’Agrippa, ce sont les faits qui intéressent surtout : et ils se marquent avec une netteté, une logique singulières. On l’a regardé comme un grand chef de guerre[66] : cependant, la guerre lui était indifférente en elle-même, il n’a fait, sur le Rhin et ailleurs, que les campagnes utiles au salut présent de l’Empire, et il n’a vu dans la victoire que le moyen de créer un état de choses durable. Ce fut, avant tout, un organisateur, non pas un fonctionnaire suivant le style d’aujourd’hui, dont l’idéal est le cours régulier des affaires périodiques, niais un chef il la manière des anciens intendants du royaume de France, qui cherche toujours le mieux pour l’État, qui examine, décide, réforme et fonde[67]. Si Auguste fut le politique des situations délicates, où il faut réfléchir et louvoyer, Agrippa fut l’administrateur des pays neufs, de ceux où il y ale plus à faire. Créateur de routes, bâtisseur de monuments[68], dresseur de cadastres et de statistiques[69], inspecteur de finances et de garnisons, brasseur d’affaires et préfet de police, Agrippa était désigné pour mettre en valeur les terres de nouvelle conquête. — Auguste lui remit la Gaule après qu’il l’eut reçue d’Antoine[70], et quand lui-même ne pouvait la visiter, il lui envoyait son gendre[71]. Si elle devint si vite romaine, c’est en partie parce qu’elle a rencontré d’abord ces deux maîtres : ce que méconnaissent trop les historiens de notre temps, auxquels l’analyse des institutions fait souvent oublier l’effort et le mérite des hommes qui les ont agencées.

 

IV. — GUERRES DE POLICE GÉNÉRALE.

Obéir, sous Auguste et Agrippa, ce n’est plus, comme sous César et Plancus, livrer des otages, prêter des serments, fournir des soldats, guerroyer à la suite, faire un devoir surtout de vassal et de fidèle. Les nouveaux chefs exigent de plus humbles services, des taches de tout instant et de toute nature, impôts, corvées, réquisitions, comptes et écritures, logement et entretien de troupes, remuement de terres, changement d’habitudes, une obéissance sur place qui se plie aux mille sujétions d’un État bien ordonné.

Il s’en fallait que tout l’Occident fût disposé à ces besognes d’une demi-servitude. L’Empire était loin de présenter encore cette harmonieuse unité qui forcera éternellement l’admiration des hommes. Dans les pays de montagnes, bien des tribus avaient réussi à garder leur autonomie. Presque toutes les provinces étaient séparées les unes des autres par des zones de liberté. Les Alpes demeuraient à moitié indépendantes[72] : ce qui rendait précaires les relations entre l’Italie et la Gaule. Dans les plus lointaines Pyrénées, les Astures et les Cantabres n’avaient jamais reconnu Rome[73], et, sur la longue ligne de ces monts, il ne manquait nulle part de hardis compagnons prêts à fermer les cols qui réunissent l’Espagne à l’Aquitaine et au Languedoc. Tous ces montagnards se ressemblaient dans leur façon de respecter Rome : un imperator s’approchait-il de leurs passages, s’il payait bien ou s’il était en force, on lui offrait la route ouverte ; s’il paraissait une bonne proie, on lui tuait ses hommes et on lui enlevait ses bagages : ce qui arriva à César lui-même, qui fut une fois pillé par tes gens des Alpes comme un vulgaire marchand[74]. Ces choses devaient paraître exorbitantes à Agrippa, l’Hercule du nouveau régime, patron des grandes routes, passagères et sûres[75].

Vingt années de campagnes estivales (entre 2[76] et 7[77] av. J.-C.) soumirent les Alpes, dans les moindres villages de leurs tribus, à la police romaine. Depuis le col de Nauporte, où elles commencent sur l’Adriatique, jusqu’au rocher de Monaco, où elles finissent sur la Méditerranée, les généraux d’Auguste pénétrèrent dans toutes les vallées et traversèrent tous les passages[78]. Le détail de ces expéditions nous échappe, et, au surplus, dut manquer d’intérêt : ce ne furent point d’héroïques batailles, mais des sièges obscurs de redoutes de montagnes[79]. Le tableau symbolique des guerres romaines, ce n’est plus maintenant, comme au temps de Scipion, de Pompée et de César, l’imperator chevauchant à travers le monde, c’est Auguste assis sur le trône, et Agrippa lui amenant le cortège des provinces pacifiées[80].

Les pays des Alpes, de fait[81] ou de nom, furent réduits à la condition de province. Pour plus de sûreté, et afin que les routes et les hommes fussent surveillés de plus près, chaque région forma un gouvernement distinct[82], ayant son chef et sa garnison. Les Alpes Maritimes autour du col de Tende[83], les Alpes Grées en Tarentaise, le long de la route qui descendait du Petit Saint-Bernard[84], les Alpes Pennines dans le Valais, le long de celle qui venait du Grand Saint-Bernard[85], constituèrent ainsi de petits districts militaires, intermédiaires entre la Gaule et l’Italie, destinés surtout à assurer la police sur les grandes voies qui menaient de l’une à l’autre[86].

Une seule région alpestre ne devint point encore terre d’Empire[87] : celle des Alpes Cottiennes, formée par les trois routes qui convergent à Suse, route italienne de la Doire Ripaire, routes gauloises du Genèvre et du Cenis. C’était assurément la région la plus passagère de toutes les Alpes, la plus utile à l’État romain. Mais il s’était créé, autour de Suse pour capitale, un petit royaume de montagnes, quine demandait plus qu’à vivre de la, vie latin[88]. Ses princes, Donnus[89] et ses fils et petits-fils les deux Cottius[90], imitaient en Occident le grand roi Hérode de Judée, glorieux ami d’Auguste. Cottius l’Ancien se fit dans les Alpes le pionnier de l’Empire, fier de son nom de Jules et de son titre de citoyen romain, construisant à grands frais la route du Genèvre[91], surveillant la police des passages difficiles[92], bâtissant à Suse de beaux édifices, et même un arc somptueux orné de bas-reliefs et d’inscriptions latines[93], excellent homme d’ailleurs, aimé de ses sujets, qui durent s’enrichir par ses relations avec Rome, et qui firent plus tard de son mausolée leur temple le plus populaire[94]. Auguste et Agrippa laissèrent à ces petits rois leurs dignités, leurs domaines, leurs tribus et leur cour agreste[95] Ni l’un ni l’autre n’étaient opposés aux formules légèrement mensongères qui ménageaient les traditions sans nuire aux réalités.

Quand la paix eut été rendue aux Alpes (7-6 av. J.-C.), Auguste éleva sur le rocher de La Turbie, en vue de la haute mer, à l’endroit où finit la grande chaîne, un énorme monument où furent inscrits les noms de toutes les tribus soumises[96]. Ce rocher de La Turbie marquait la frontière commune des provinces alpestres, de la Gaule et de l’Italie. Le trophée qu’il portera désormais, rappellera éternellement[97] à leurs peuples la conquête de la montagne et la sécurité de l’Occident. D’esprit si positif que fussent les nouveaux chefs de l’Empire, ils aimaient, comme tous les Anciens, les emblèmes solennels qui consacrent les faits et les imposent au respect des hommes et à la mémoire des générations[98].

La conquête des Pyrénées fut beaucoup plus rude que celle des Alpes. Du reste, comme il s’agissait surtout des Pyrénées espagnoles, elle n’intéressa la Gaule que d’assez loin. Il fallut, afin de réduire les Cantabres, dix années d’une guerre atroce (29[99]-19[100] avant J.-C.), dont Auguste dut s’occuper en personne (26-25[101]). Pendant son séjour dans l’Ouest. Il fit à Dax une saison d’eaux chaudes pour soigner ses rhumatismes[102] : ce qui permet de supposer que les grands cols des Pyrénées de Gascogne, Somport ou Roncevaux, le, virent souvent passer. C’était la première fois, depuis Hasdrubal, que les seuils de l’Occident étaient traversés par un maître du monde : les marches et les séjours d’Auguste achevaient l’unité de ce monde et affinaient dans le détail l’œuvre de la conquête[103].

Ce sont également les derniers épisodes de l’histoire de la conquête que les campagnes entreprises alors contre certaines peuplades de la Gaule. Vers le temps où Octave la reprit sur Antoine, il fallut que son lieutenant Agrippa guerroyât avec vigueur contre les Aquitains du Sud-Ouest (en 39-38)[104]. Et encore, dix ans plus tard, on dut envoyer contre eux Messala, qui se fit accompagner du poète Tibulle pour chanter ses victoires (en 28 ?)[105]. Dans le Nord, au temps de la bataille d’Actium, Carrinas bataillait chez les Morins de Flandre[106], et Nonius chez les Trévires de la Moselle[107]. Mais cela, c’est la tâche de Jules César qui s’achève dans les Gaules : Morins et Aquitains, peuples de la frontière, avaient été à peine touchés par les armes du grand proconsul, et ils ignoraient ce qu’était une vraie victoire de Romains. Carrinas et Messala combattirent les dernières traces de la liberté, et non pas les premiers essais d’une révolte[108].

Ces choses finies, la paix prévalut partout[109]. Les légions furent installées à la frontière du Rhin, tournant le dos à la Gaule. Il ne resta, comme garnison à l’intérieur, qu’une cohorte urbaine de douze cents hommes, qui fut placée à Lyon[110]. Mais elle suffisait, disait-on, à contenir tous les peuples conquis par César[111].

Est-ce à dire qu’ils ne pensaient pas à la révolte ? On ne l’affirmera point. Maintes fois, au cours du long règne d’Auguste, on entend parler dans les Gaules de luttes intestines, de précautions à prendre, de chefs qui s’agitent, de foules qui s’inquiètent[112]. Tous n’y avaient pas oublié les souvenirs et les usages nationaux. La langue, les leçons des druides, les chants des bardes, les lieux saints, les cités fameuses de Bibracte, d’Alésia et de Gergovie, les antiques dynasties royales, étaient encore des choses vivantes et respectées ; et plus d’un Gaulois conservait sans doute au fond de son âme le désir de restaurer leur pouvoir[113]. Je sais bien qu’aucun des écrivains de ce temps ne parle de ce désir. Mais ce sont écrivains du peuple vainqueur, Virgile, Tite-Live, Strabon, dont la mission fut d’étaler l’apothéose du peuple romain. Par eux, nous ne connaissons que l’obéissance, la flatterie ou l’admiration des sujets, et nous ignorons les rancunes ou les espérances des vaincus. Ceux-ci n’ont point écrit, ou ils ont parlé tout bas. Évitons de prêter aux Gaulois des sentiments de servilité romaine qui n’étaient peut-être pas encore descendus dans toutes les âmes.

 

V. — PREMIÈRES TRANSFORMATIONS POLITIQUES.

Presque chaque année, les Gaulois voyaient disparaître quelque chose de leur passé.

Tant qu’Octave ne fut point reconnu par le monde comme chef souverain, tant qu’il eut besoin des Gaulois contre ses rivaux, il les laissa le plus souvent vivre à la manière d’autrefois, ainsi que César avait dû le faire. Une fois devenu Auguste et imperator unique, il leur appliqua plus franchement quelques-unes des règles de la discipline romaine[114].

César n’avait point touché à l’unité traditionnelle de la Gaule Chevelue. Mais la contrée était trop vaste pour qu’un seul homme pût bien l’administrer ; ou, si cet homme y devenait un maître trop obéi, tel que le fut César ou Plancus, il serait un danger pour l’Empire[115]. Auguste sut concilier les intérêts de cet Empire avec les plus chères habitudes du pays : ce qui fut d’ailleurs son principal désir dans toutes les affaires de la vie publique. Pour sauvegarder ces intérêts, il divisa les Gaules en quatre provinces d’étendue presque égale, Narbonnaise, Aquitaine, Celtique, Belgique[116]. Pour respecter ces habitudes, il ne mit dans chacune de ces provinces que des peuples accoutumés à vivre ensemble. La Belgique[117], au nord de la darne, c’était l’ensemble des cités de l’ancienne fédération belge[118] ; la Celtique ou Lyonnaise[119], au nord du Rhône et de la Loire, c’étaient les anciens Celtes d’Armorique, du pays carnute, de l’Empire éduen[120]. Il est vrai que l’Aquitaine provinciale[121] paraissait une création artificielle : ce nom n’avait été jadis, semble-t-il, que celui des peuplades à demi ibériques d’entre Garonne et Pyrénées, et il fut alors étendu arbitrairement aux cités gauloises d’entre Garonne et Loire[122], Santons, Pictons, Arvernes et leurs amis[123]. Mais Auguste s’arrangea pour que les Celtes de cette province ne fussent point confondus avec les Aquitains : un régime distinct fut fixé pour ces deux groupes opposés de peuples[124]. Puis, même morcelée en tronçons, la Gaule n’en conserva pas moins une belle apparence d’unité[125] Le plus souvent, les trois provinces de la Gaule Chevelue étaient groupées sous les ordres d’un maître unique, et, ce qui devait flatter l’amour-propre des Gaulois, ce maître fut presque toujours un des proches d’Auguste, Agrippa[126], Drusus[127], Tibère[128], Germanicus[129]. C’était un prince de la maison divine qui commandait leurs escadrons et qui assemblait leurs chefs. Et l’on verra bientôt ce que fera le plus intelligent de ces légats souverains de la Gaule[130], Drusus, pour reconstituer l’union morale de la grande nation, compromise par le règlement provincial de l’empereur Auguste.

Au-dessous des ressorts provinciaux apparaissaient les districts municipaux des cités gauloises. Auguste s’en occupa avec un souci pareil, celui de les ramener à une mesure commune. Quelques-unes de ces cités, comme celles des Arvernes et des Éduens, s’étendaient encore sur de vastes empires, ce qui les faisait trop puissantes. On jugea bon de détacher d’elles les peuplades clientes, et on abolit sans doute dans les Gaules cet usage de la clientèle, qui pouvait entraîner de dangereuses ententes : c’est ainsi que les Ségusiaves du Forez et les Vellaves du Velay, vassaux, ceux-là des Éduens et ceux-ci des Arvernes, formeront désormais des cités distinctes, libres de tout autre lien que l’attache à Rome et à César[131].

En revanche, la Gaule présentait partout, mais surtout dans les régions extrêmes, Ardennes, Alpes et Pyrénées, quantité de cités infimes ou de simples tribus, dont le nombre et la petitesse encombraient de rouages inutiles le mouvement des affaires. Les unes furent rattachées, en tant que cantons ruraux ou pagi, à quelque grande cité du voisinage[132] comme les gens de l’Aunis aux Santons de la Saintonge[133]. Les autres furent groupées par trois ou quatre[134], de manière à former ensemble une nouvelle cité de dimensions raisonnables : par exemple, les anciens Aduatiques de Namur, les Condruses du Condroz, associés aux Éburons survivants, constituèrent la grande peuplade des Tongres[135]. D’une trentaine de tribus qu’avait rencontrées César au sud de la Garonne, les Aquitains furent ramenés au chiffre d’une dizaine[136] de peuples[137]. D’antiques communautés de vallées alpestres s’effacèrent dans le cadre de vastes districts municipaux. Une entente plus forte s’établit ainsi entre les petits pays de la Gaule, il se mit plus d’harmonie et d’équilibre dans ses régions naturelles. Sous l’impulsion des Romains, les forces locales continuaient à se rapprocher, et Auguste conduisait à son terme l’œuvre accomplie par le nom celtique.

Nulle part, d’ailleurs, il ne poussa les choses à l’extrême : ce n’était point un logicien, un homme de théorie, à la manière de César. Bien des petites cités survécurent à cette organisation municipale. Les gens de Senlis ou de Meaux maintinrent leur autonomie communale à côté de la puissante nation des Rèmes ; et la misérable tribu des Boïens du pays de Buch ne fut point absorbée par la brillante cité des Bituriges bordelais ses voisins. Auguste se garda de heurter trop violemment des traditions ou des passions locales.

Dans chacune de ces peuplades, même chez les Barbares de l’Océan et des Pyrénées, auguste enracinait le principe éternel de la cité antique, la prééminence d’une ville centrale sur le territoire de la nation. Celles des peuplades qui avaient ignoré ou négligé jusque-là l’empire et le culte d’une capitale, reçurent du premier des empereurs leur lieu souverain, tête et sanctuaire des hommes et des choses[138] : les Trévires de la Moselle eurent Trèves pour métropole, les Tarbelles de l’Adour eurent Dax, les Tricasses de la Seine eurent Troyes[139]. Et ces villes nouvelles, plantées au milieu des nations, résidences nécessaires des magistrats et des prêtres indigènes, allaient être comme des stations permanentes, disposées pour recevoir les ordres de Rome et les transmettre au plus profond de leur pays.

Beaucoup de peuples gaulois, il est vrai, étaient déjà habitués à porter leurs hommages à une ville souveraine, tels que les Éduens à Bibracte, les Arvernes à Gergovie. Mais il arriva ceci sous le règne d’Auguste, que ces deux peuples, dont on ne changeait pas les habitudes politiques, durent changer leurs habitudes matérielles. L’ordre leur vint un jour (12 av. J.-C. ?) d’abandonner leurs vieilles cités, Gergovie et Bibracte, et de se bâtir de nouvelles capitales sous des noms différents et sur d’autres emplacements[140]. Les chefs romains avaient plus d’une raison de vouloir la fin de ces repaires de montagne, menaçants et inhospitaliers. Bibracte et Gergovie étaient, fixés aux rochers mêmes du sol, les souvenirs tenaces de l’indépendance ; ces enceintes énormes, dominant des hauteurs d’aspect rebutant et d’accès difficile, pourraient abriter un jour d’immenses armées de révoltés ; perdues l’hiver dans la brume ou sous la neige, elles se soustrayaient, la moitié de l’année, à la vie normale du peuple romain ; et d’ailleurs, été comme hiver, éloignées des grandes routes de la plaine, juchées sur des sommets à la fin de rudes montées, elles imposaient aux marchands italiens un surcroît de fatigues et de dépenses inutiles. La descente dans la plaine fut donc décidée. Autun se bâtit pour les gens de Bibracte, et Clermont pour ceux de Gergovie. C’étaient villes de plaine ou de coteau à pentes légères, étalées sous des cieux cléments, au milieu de riches campagnes, à portée de tous les hommes ; les voies du commerce les traversaient sans détour et sans effort ; et leur sol aplani put recevoir les nobles constructions des édifices à la romaine.

Enfin, ce qui était plus grave encore, ces villes acceptèrent des noms nouveaux, qui sanctionnaient la gloire et l’empire des maîtres du jour : le mot de Bibracte s’oublia pour faire place à Augustodunum, la ville d’Auguste, celui de Gergovie à Augustonemetum, le sanctuaire d’Auguste. Ces célèbres et puissantes peuplades, Éduens et Arvernes, ont beau subsister comme corps de nation, comme patries municipales : leurs foyers ne sont plus à la même place, et ils tirent leur chaleur, non plus des souvenirs du passé gaulois[141], mais des énergies présentes du peuple romain. Après la défaite de Vercingétorix, c’était pour la Gaule une autre étape vers la fin suprême que la mort de Bibracte et de Gergovie.

J’incline à croire qu’elle l’accepta sans trop de déplaisir. Aucun écrivain ne nous parle de révoltes à ce propos. Les hommes du pays, marchands, cultivateurs, industriels, riches ou désœuvrés, eurent intérêt à changer leurs solitudes du Morvan ou des Puys pour les gaietés des bonnes terres. Même avant l’arrivée des Romains, les Celtes s’étaient disposés à quitter les montagnes afin de se rapprocher des fleuves et des routes. Une nouvelle période était déjà commencée dans l’histoire des sites de grandes villes[142]. Auguste et Agrippa se, bornèrent à pousser les hommes, d’une main peut-être un peu rude, dans la voie où ils s’étaient engagés.

Du reste, ces villes neuves, Autun et Clermont, restèrent villes de Celtes. Nulle part dans la Gaule Chevelue Auguste ne fonda de colonie. Il la laissa obéir et se transformer d’elle-même, sans la contrainte de forteresses romaines ou d’immigrants italiens. Peut-être les hommes d’État qui réfléchissaient alors le plus sur les choses de l’Empire, Agrippa et Drusus, firent-ils comprendre au sage empereur que, pour obtenir des Gaulois ces profonds changements dans leur vie, il fallait ne pas leur infliger le voisinage insolent d’une troupe de maîtres. Mieux valait, pour le bonheur de l’Empire, des villes celtiques qui se métamorphosent, que des colonies latines qui se dressent, des marchés indigènes sur les fleuves que des camps romains sur les routes[143].

Il en alla tout autrement dans la Gaule du Midi. Sur le Rhône et la Méditerranée, la dislocation des peuplades indigènes, commencée par César, s’acheva sous son fils, sans ménagement chez les chefs, sans résistance chez les sujets. Aux six ou sept colonies fondées par le dictateur, Auguste en ajouta une douzaine, qui relièrent les autres entre elles. Et si, à côté des vétérans qui s’y installèrent, il admit comme colons et bourgeois un certain nombre d’indigènes[144], ces villes d’Auguste n’en furent pas moins lés très fortes citadelles du nom latin. La colonie de Toulouse, bâtie sur les bords de la Garonne non loin de la colline qui avait porté jusque-là la vieille capitale des Volques Tectosages, fit à tout jamais disparaître ce nom depuis longtemps fameux[145]. Celle de Mimes enveloppa de ses remparts, présent de l’empereur, la source divine la plus célèbre de la Gaule[146]. Dans les riches terres du Comtat, quatre nouvelles colonies, Apt[147], Cavaillon[148], Carpentras[149], Avignon[150], vinrent renforcer celle d’Orange. Aux portes de Marseille, Aix se transforma en grande ville, et, devant la gloire de son nom colonial, on oublia l’antique acropole des Salyens, Entremont, tristement abandonnée sur son plateau aux portes de la cité neuve[151].

Ce contraste entre la Gaule Chevelue et la Narbonnaise, là peuplades indigènes, ici colonies romaines ou latines, détermina l’empereur Auguste à ne point placer ces deux régions sous le même régime provincial. Quand il eut fini sa tâche dans le Midi, bâti les colonies[152] et tracé les routes, il en remit le gouvernement à un proconsul désigné par le sénat (22 av. J.-C.)[153] : ce qui fut la situation normale des provinces paisibles, dépourvues de garnisons, aux allures déjà latines[154]. Il garda la haute main sur les Alpes, sur les trois provinces de la grande Gaule, sur la frontière du Rhin ; des légats ou des préfets l’y représentèrent comme imperator suprême : et cela signifiait que ces pays étaient encore soumis à la loi militaire, surveillés par des postes de soldats, exposés à des dangers, vivant à la merci du droit du glaive[155].

 Mais qu’on se garde d’insister sur ces différences politiques  entre les deux régions et les deux régimes, provinces du sénat et provinces de l’empereur, pays à toges et pays à soldats. C’étaient subtilités du droit public, dont les provinciaux s’apercevaient rarement. Sous le respect un peu malicieux des apparences, Auguste insinuait sournoisement les règles d’un droit uniforme. Les pouvoirs de tous les gouverneurs, quel que fût le type de leur province, furent établis de la même manière. Tributs, taxes indirectes, agences des routes et des postes, administration des biens impériaux, services du cens et du recrutement, tous les rouages nécessaires à l’entretien d’un grand empire fonctionnèrent également sur l’une et l’autre des Gaules.

De ces nouvelles pratiques, aucune n’inquiéta plus les Gaulois que celle du cens. C’était le recensement général de tous les hommes et de toutes les fortunes ; et, dans la pensée des Anciens, cette opération, accompagnée dé formalités religieuses[156], signifiait la mainmise solennelle d’un souverain sur ses sujets et sur leurs biens. Elle était, si je peux dire, la descente de la formule de la conquête sur chacun des êtres et sur chacune des choses du pays vaincu[157]. Imposer à la Gaule entière ces marques précises et minutieuses de l’obéissance, l’inventorier comme un domaine à affermer, ce serait l’humilier plus qu’aucun ordre n’avait pu le faire encore. A Rome, on hésita longtemps avant de s’y résoudre. Mais il le fallait, pour répartir également les charges de la province, connaître ses ressources en hommes et en argent[158]. Auguste s’y décida enfin, et, lorsque, l’an 27 avant notre ère, il n’eut plus d’ennemis à redoutes dans le monde, il ordonna le recensement de toutes les Gaules. Lui-même, à cet effet, vint dans le pays, et, pendant l’opération, s’installa à Narbonne[159]. Personne ne bougea[160]. Mais, pour obtenir cette obéissance, il avait été besoin de la présence du souverain. — Quinze ans plus tard (en 12 av. J.-C.), on eut à refaire ou à compléter le recensement. Auguste le confia au plus grand personnage de l’Empire, son beau-fils Drusus. Les choses se passèrent moins bien cette fois. Il y eut chez les Celtes des colères et des grondements. Mais nul ne se risqua dans un acte de rébellion[161] : ce que les contemporains célébrèrent comme une victoire, le dernier terme de la conquête des Gaules par le peuple romain[162].

Une chose encore, sous Auguste, rappelait aux Gaulois le souvenir et la honte de cette conquête : c’était que le fils de César maintenait soigneusement la distance entre vainqueurs et vaincus, citoyens romains et sujets étrangers[163]. Observateur prudent des rites politiques, féru lui-même d’archaïsmes et de préjugés, il n’eut garde de traiter Rome et ses traditions arec cette désinvolture qui avait rendu César si prodigue du droit de cité. Auguste le refusait à tous[164] ; et, un jour que sa femme Livie le lui demandait pour un Gaulois, il l’éconduisit avec fermeté[165]. La bourgeoisie romaine reprit les habitudes de l’ancien patriciat : elle se replia dans sa ville et la ferma aux vaincus, qui, depuis les jours de César, se pressaient à ses portes[166]. Et les Celtes ne trouvèrent plus devant eux qu’une cité close et un maître étranger.

 

VI. — PREMIÈRES RÉFORMES MATÉRIELLES.

Mais ce pouvoir exorbitant des maîtres, Auguste et Agrippa le consacraient, non pas à leurs fantaisies personnelles ou aux caprices du peuple romain, mais au profit de la province elle-même. La Gaule, en échange de sa liberté et de ses traditions, reçut un bien-être qu’elle n’avait jamais connu[167].

Ce n’est pas qu’elle fût exempte de grosses charges. Le tribut auquel César avait taxé la Nouvelle Gaule, quarante millions de sesterces, était ridicule pour ce grand pays, plus riche et plus peuplé que l’Égypte[168], qui en avait payé deux à trois cent millions[169]. Auguste le doubla sans doute, et peut-être fit-il plus encore, afin de le mettre en harmonie avec les ressources de cette terre et les besoins de tout l’Empire[170]. Il introduisit ou organisa le système des impôts indirects, douanes à la frontière, droits de successions et autres, et je pense qu’il régularisa les corvées et prestations. Mais la Gaule pouvait fournir ou payer tout cela : et l’on croira sans peine que le régime de la liberté, avec les mercenaires à solder, les pilleries à supporter, les nobles à entretenir, lui avait coûté bien davantage.

Il est vrai que les agents de perception n’étaient point tous irréprochables ; et parfois, les mauvais jours de Fontéius revenaient sur la Gaule. Auguste eut le tort de choisir son personnel financier parmi les subalternes de sa maison, esclaves ou affranchis[171], auxquels on ne pouvait demander de la grandeur d’âme. L’un d’eux, Licinus[172], envoyé comme intendant fiscal dans les Gaules[173], s’y rendit célèbre par ses exactions. Intelligent, madré, avide et féroce, il imagina tous les moyens pour faire payer deux fois le contribuable : comme l’impôt était versé par mensualités, on raconta qu’il fixait à quatorze mois l’année gauloise[174]. Mais les Licinus furent l’exception sous le règne d’Auguste. Celui-là, d’ailleurs, ne venait point de Rome : c’était un Gaulois ou un Germain, entré jadis comme prisonnier de guerre dans la domesticité de César[175] ; ce roi des filous[176] était un compatriote des vaincus, et il leur montra par son exemple qu’ils pouvaient se tirer d’affaire. — Lorsque Auguste vint en Gaule (15 av. J.-C.), il se mit, comme à l’ordinaire, au courant de tout. Licinus lui offrit ses trésors, essaya de lui persuader que les Gaulois étaient taillables à merci[177]. Le prince lui fit rendre gorge[178], et les provinciaux purent voir que l’empereur du peuple romain était, non pas l’exploiteur à mort de leurs ressources, mais le curateur de leurs biens.

Agrippa, surtout, fit merveille pour mettre la Gaule en pleine valeur. Il la dota[179] d’un réseau de routes enveloppant le pays, réunissant ses capitales par les lignes les plus directes, rattaché au réseau des voies italiennes par les quatre cols des Alpes, cols du littoral, du mont Genèvre, du Petit et du Grand Saint-Bernard, au réseau de l’Espagne par les trois montées de Roncevaux, du Somport et du Pertus[180]. — Ne disons pas toutefois, comme l’insinuaient les Anciens, que les routes d’Agrippa furent une chose nouvelle, l’œuvre originale d’un administrateur de génie. Même en matière de chemins, on ne crée rien d’un seul coup : ces voies n’ont fait que remplacer les anciens sentiers des Gaulois, sur lesquels, depuis longtemps, on pouvait circuler très vite. Ce qu’elles présentèrent de nouveau, et cela suffit pour les appeler de la très bonne besogne, ce fut l’armature inusable de leur chaussée, ce furent les bornes qui les jalonnaient, marquant et pour ainsi dire éclairant les distances et les directions ; et ce fut, surtout, qu’elles formèrent un système unique, toutes convergeant vers Lyon, des Alpes et des Pyrénées, de l’Océan et de la Méditerranée, image monumentale de l’harmonieuse unité de la Gaule. Lyon, comme Rome qui lui servait de modèle, était le milliaire sacré auquel menait tout chemin[181].

Mais la plus grande nouveauté, sur ces voies d’Agrippa, ce fut la police qu’y assurèrent les hommes de l’empereur. Le temps est bien fini, de ces querelles entre tribus et familles, qui faisaient d’un chemin gaulois un long coupe-gorge. La trêve des routes et des foires, patronnée jadis par le dieu des Celtes, est devenue une paix éternelle[182] sous les lois d’Auguste, émule heureux de Teutatès[183]. Assurément, les voies romaines de la Gaule eurent, comme les nôtres, leurs vagabonds, leurs trimardeurs et leurs brigands, et les attaques à main armée y étaient moins rares qu’on ne le croit[184]. Mais enfin des précautions régulières furent désormais prises pour y garantir la sécurité publique. Des détachements militaires stationnèrent aux endroits les plus dangereux. Une flotte fut ancrée dans le port de Fréjus, de manière à surveiller à la fois les parages de la mer Intérieure et les sentiers des dernières Alpes[185]. On mit des cohortes à garder les principaux passages des montagnes entre Italie et Gaule[186]. Et la cohorte urbaine installée à Lyon était là pour prêter main-forte lors des grandes chasses aux bandits.

Les monnaies d’Auguste complétèrent l’œuvre des chemins d’Agrippa. En cela encore, ne parlons pas de profonds changements. Il y avait beau temps que Marseillais et Gaulois frappaient monnaie, en espèces variées et souvent fort bonnes. Ce que l’État romain introduisit, ce fut un système unique de pièces concordantes, à poids fixes, à valeurs immuables, de rapports constants entre elles[187]. On ne put émettre nulle part que des as ou des deniers, ou leurs fractions, conformes aux étalons latins[188]. A travers le numéraire local circulèrent toujours, de gré ou de force, les pièces sorties des bureaux de l’État[189]. Enfin, par-dessus les anciens ateliers des cités grecques et gauloises de la province, Auguste organisa la Monnaie impériale de Lyon[190], destinée à les annihiler tous : ce qui affirmait encore la primauté politique et matérielle de la colonie de Plancus.

Aidés et protégés par l’État, les marchands avaient entre eux des relations plus fréquentes et plus longues. Une des choses qui nous frappent, dans la Gaule d’Auguste, c’est le nombre des lieux de foire ou de marché qui se montrent alors de tous les côtés. Les uns se transformeront très vite en petites capitales, comme Angers chez les Andécaves[191], Beauvais chez les Bellovaques[192], Feurs chez les Ségusiaves du Forez[193]. Les autres demeureront bourgades rustiques, tout en prenant fièrement un des noms de la maison impériale, et se disant marché de Germanicus ou marché de Jules[194]. Qu’il s’agît d’humbles marchés, de villes neuves ou de colonies superbes[195], les noms des maîtres s’attachaient ail sol de la Gaule, pour y perpétuer le souvenir des bienfaits du nouveau régime.

Si chaque année effaçait de ces terres une tradition de la vie nationale, elle leur apportait une source nouvelle de profits. Et comme, après tout, il y avait encore, pour les surveiller de loin ou les maîtriser de près, huit légions à la frontière de la Germanie[196], vingt colonies au sud des Cévennes, la flotte de Fréjus, la garnison de Lyon et la police des routes, aidées toutes maintenant par les grands chemins d’Agrippa, il n’est plus besoin de s’émerveiller à propos du miracle de la paix gauloise : elle était le sentiment naturel d’êtres et de peuples chez qui les avantages et les craintes du moment sont désormais plus forts qu’un noble attachement au passé.

Qu’on ajoute à ces bénéfices matériels quelques-unes de ces caresses dont le maître actuel est coutumier. On a vu qu’il vint cinq fois dans les Gaules, et que, lorsqu’il n’y était pas, il s’y fit représenter par un prince de la maison régnante[197]. Les hommes d’autrefois n’étaient pas plus insensibles que nous à ces séjours de souverains. Cela n’allait pas sans de beaux cortèges, de grandes fêtes, beaucoup d’argent dépensé[198]. Auguste et les siens se montraient affables et généreux pour tous, distribuant de riches offrandes aux cités, déférents à l’endroit des vieilles divinités du sol. On vit l’empereur, en Narbonnaise, élever un temple au dieu du Mistral, Circius, ce qui ne dut pas déplaire aux gens du Midi[199]. Les villes et les nations prodiguaient, en l’honneur du prince, les marques publiques de leur reconnaissance, inscriptions, autels, bustes, statues et temples[200]. Une fois même, les Gaulois lui offrirent, à la manière celtique, un collier d’or colossal, du poids de cent livres[201], honorant Auguste comme s’il était un dieu de leur race, Ésus ou Teutatès[202].

Que ces actes  fussent parfois les manœuvres d’intrigants désireux de plaire au souverain, c’est possible. La spontanéité est ce qui manque le plus aux épisodes des voyages officiels. Mais l’histoire doit souvent juger sur les dehors que les hommes se sont donnés. L’apparence, en ce temps-là, était celle d’un complet accord entre la Gaule et ses maîtres.

 

VII. — L’AUTEL DE ROME ET D’AUGUSTE.

Cet accord fut enfin consacré par une de ces solennités symboliques où les Romains se complurent à résumer les grands faits de leur histoire.

L’an 12 avant notre ère[203], Claude Drusus, beau-fils de César Auguste, gouvernait les Gaules au nom de l’empereur. Il venait d’achever les opérations du recensement, et, de cette tâche toujours délicate, il n’était venu à bout qu’au prix de longs efforts[204]. Alors, comme pour effacer les misères de la sujétion par les beautés du nouvel Empire, le fils de l’empereur célébra à Lyon, au centre de la Gaule et en présence de ses chefs et de ses foules[205], la cérémonie la plus émouvante qu’elle eût contemplée depuis la reddition à César d’Alésia et de Vercingétorix.

On avait dressé, au confluent de la Saône et du Rhône, un autel monumental destiné aux dieux dominateurs du monde et de, la Gaule, la ville de Rome et l’empereur Auguste : Romæ et Augusto, disait, en une formule d’une grandiose simplicité, l’inscription de la dédicace[206]. C’était le premier jour d’août[207], de ce mois où le prince régnant avait ses plus glorieux anniversaires. Autour de Drusus, le maître futur de la terre, se groupaient les représentants des soixante cités de la Gaule Chevelue[208] : aucune ne manquait, de celles qui avaient formé autrefois les empires de Celtill et de Vercingétorix. A la tête de l’assemblée, choisi par elle, se tient le plus noble des Éduens[209], la peuplade glorieuse et sainte entre les Celtes. Et cela dut rappeler aux hommes du pays les temps, à peine anciens d’un demi-siècle, où les prêtres de toutes les cités de la Gaule allaient aux sacrifices nationaux sous la conduite du premier de leurs druides. Mais aujourd’hui, l’autel où va sacrifier le pontife suprême de la Gaule, a été élevé pour le peuple romain, et le chef de l’église gauloise s’appelle le prêtre de Rome et d’Auguste.

L’autel, comme on le pensait de tous les monuments du peuple romain[210], avait été construit pour l’éternité. Chaque année, à la même date[211], la Gaule devait envoyer à Lyon son grand-prêtre et le conseil de ses députés, et communier avec ses maîtres au lieu saint du Confluent.

Que de réflexions suggère cette œuvre nouvelle de l’Empire ! Il y a toujours danger, avait dit, Jules César, à réunir des Celtes ensemble[212]. Si Auguste le permet maintenant, c’est qu’il est sûr clé leur fidélité. Loin de souffrir de cette réunion d’hommes, la puissance romaine retrempera dans leur accord son énergie sacro-sainte. Ils arrivent au Confluent en cortège de dévots et de prêtres, et leur devoir essentiel est une prière collective adressée, au nom de la Gaule, aux divinités suprêmes de l’Empire. Chez ce peuple chevaleresque et religieux, esclave de son serment, un hommage de ce genre, de piété et non d’obéissance, deviendrait la garantie la plus forte de son dévouement. Mais c’est aussi, devant l’autel du Confluent, un hommage rendu par les vainqueurs à la Gaule d’autrefois. La voici qui reparaît avec son assemblée de chefs, son concile de prêtres, son pontife suprême. Elle a retrouvé le pouvoir de s’unir, d’échanger des paroles, d’avoir des pensées communes, et, en parlant du présent, de rappeler le passé. Auguste, quinze ans auparavant, avait décidé que le pays formerait trois provinces : par les mains de Drusus, il venait de restituer à la Gaule Chevelue l’aspect religieux d’une grande nation. Au lieu fixé pour ces réunions de chefs, convergent déjà les vallées et les routes de la contrée ; ce foyer religieux où les hommes vont prier, s’allume à l’endroit que la nature leur impose pour souverain, près de la ville que Rome leur a donnée pour capitale. Auguste et Drusus continuaient au Confluent l’œuvre commencée par Plancus sur le coteau de Fourvières.

 

 

 



[1] Pour l’histoire générale de l’Empire : Lenain de Tillemont, Histoire des empereurs, 1re éd., in-4°, 5 v., 1699-1701, et VI, 1738 ; Crevier, Hist. des emp. rom., 6 v., 1750-6 (nullement à dédaigner) ; de Champagny, Études sur les emp. rom., 12 v. in-12°, 1870-8 ; Duruy, Histoire des Romains, éd. in-8°, III-VII, 1871-85 ; éd. illustrée, in-4°, IV-VII, 1882-5 : Schiller, Geschichte der rœmichen Kaiserzeit, 1883-7 ; Goyau, Chronologie de l’Empire romain, 1891 (rend de très grands services) ; von Domaszewski, Geschichte der rœm. Kaiser, 1909. Pour les chap. II-V : Peter, Geschichte Roms, III, 1867 et 1869 (va jusqu’à Commode) ; Asbach, Rœm. Kaisertum, Cologne, 1896. Pour Auguste, Gardthausen, Augustus und seine Zeit, 1891-1904.

[2] Jullien, Histoire de L. Munatius Plancus, 1892 ; Allmer, Musée de Lyon, II, 1889, p. 137 et suiv. ; de La Tour, Note sur la colonie de Lyon, Acad. des Inscr., C. R., 1901, I, p. 82 et s. Comme histoires de Lyon, en dernier lieu, Steyert, Nouv. histoire de Lyon, I, 1895 ; pour les histoires antérieures, Charléty, Bibliographie critique de l’histoire de Lyon, Ire p., 1902, surtout p. 23 et s ; comme revues, Revue du Lyonnais, depuis 1835, et Revue d’Histoire de Lyon, depuis 1902. Pour Augst ou Bâle, en dernier lieu : Burckhardt-Biedermann, Zeitschrift für die Geschichte des Oberrheins, n. s., XXIV, 1909, p. 391 et s. ; le même, Die Kolonie Augusta Raurica, Bâle, 1910.

[3] À ce moment, la Gaule était encore gouvernée par Hirtius. Elle ne tenta aucun mouvement : De Gallia... Germanos illasque nationes, re audita de Cæsare, legatos misisse ad Aurelium (officier inconnu), qui est præpositus ab Hirtio, se, quod imperatum esset, esse facturos ; Cicéron, Ad Att., XIV, 9 ; cf. XIV, 1, 1 ; 4. Hirtius fut cependant obligé de faire à beaucoup de cités des largesses et des concessions (præmia, octroi de titres ou privilèges ?), que Plancus renouvela l’année suivante (Cicéron, Ad fam., X, 8, 3). — On trouve chez les Rèmes et les Trévires des monnaies à son nom (Cab., n° 7359, 8086-93, 9233-42 ; Blanchet, Traité, p. 382-4). — Il semble qu’il ait été alors question de réintégrer Marseille dans ses possessions (Cicéron, Ad Att., XIV, 14, 6 ; Philippiques, XIII, 15, 32). En tout cas, il y eut, pour confirmer ou élargir la liberté que lui avait laissée César, des mesures prises par ses successeurs, Lépide, Antoine ou Octave (οί μετ' έκεϊνον ήγεμόνες, Strabon, IV, 1, 5).

[4] Voici comment Dion raconte les faits (XLVI, 50, 3-5). — Le sénat a appelé à son secours contre Antoine les deux gouverneurs de la Gaule, Plancus et Lépide. Puis, inquiet à leur endroit après la trahison de M. Junius Silanus, légat de Lépide (entre le 14 et le 21 avril), il leur enjoignit, pour les arrêter, de fonder Lyon. — Comme il est impossible que le sénat ait improvisé cette fondation au milieu de ces guerres civiles, il faut bien admettre qu’elle ait été décidée depuis longtemps. — Il me parait également difficile que l’on y ait procédé tout de suite, vu que Plancus et Lépide avaient tout autre chose à faire, même s’il ne s’est agi que d’une simple cérémonie, initiale ou terminale. J’incline à croire (avec Jullien, p. 120-3) que les actes essentiels de la fondation ont été accomplis après la mise hors la loi de Lépide (30 juin 43) et avant la formation du triumvirat (novembre), et qu’ils le furent par Plancus seul : car tous les documents qui relatent cette fondation, ne parlent que de lui : C. I. L., X, 6087 ; Jérôme et Eusèbe, année d’Abraham 1992, p. 141, Schœne ; Suétone, Reliquiæ, p. 289, éd. Roth ; Sénèque, Ad Lucilium, 91 [XIV, 3], 14 ; id., De morte CL., 6 [lire Munati au lieu de Marci] (cf., sur ce texte, l’édition Allan Perley Ball, 1902, p. 180-1) ; les monnaies de Lyon à la légende Copia Felix Munatia (de La Tour, Ac. des Inscr., C. R., 1901 ; Blanchet, Rev. num., 1901, p. 531-2, et Traité, p. 427-8 ; Willers, Num. Zeitschrift de Vienne, 1902, p. 65 et s.). — J’hésite beaucoup à voir, dans les fameux médaillons du Génie de Lyon (Déchelette, Vases céramiques, II, p. 270 et s.), Plancus et la scène de la fondation : c’est bien plutôt quelque scène de sacrifice local et périodique.

[5] Gallia Comata : Dessau, Inscr. Lat. sel., n° 916 ; Suétone, l. c. ; Pline, IV, 103 ; Jérôme, l. c. ; Mela, II, 20 ; Lucain, I, 443. — Gallia ultima : Cicéron, Phil., V, 2, 5 ; VII, 1, 2. — Τήν νεόληπτον Γαλατίας : Appien, De b. c., II, 48, 197 ; Nicolas de Damas, Vit. Cæs., 28, p. 450, Didot.

[6] Note suivante.

[7] La fondation est mentionnée seulement par l’épitaphe de Plancus (X, 6087) : In Gallia colonias deduxit Lugudunum et Rauricam. Elle est sans doute antérieure à celle de Lyon, et des premiers temps de 43. Colonia Raurica [var. Rauriaca], Pline, IV, 106 ; oppidum Rauricum, IV, 79. Depuis Auguste, Augusta Rauricorum (Ptolémée, IV, 9, 9 ; etc.). Etc. — La question se pose, pour Augst comme pour les colonies de César, dans quels rapports elle se trouvait avec les Bauraques. Le fait qu’elle s’est appelée Raurica indiquerait une incorporation ; mais le texte de Pline (IV, 106), qui distingue la colonie et la peuplade, permet de supposer, comme à Nyon et à Lyon, la coexistence de l’une et l’autre respublica, chacune avec son territoire ; cf. en dernier lieu, et dans ce sens, Burckhardt-Biedermann, Die Kolonie Augusta, p. 17-8.

[8] Rauraci, autre forme du nom. — J’ai idée qu’elle prit ce nom parce qu’il y avait à Augst une source ou un sanctuaire au nom de Raurica ; cf. dea Segeta chez les Ségusiaves (C. I. L., XIII, 1641 et 1646), la déesse Dexivia (C. I. L., XII, 1062-4) chez les Dexuiates (Pline, III, 34), etc.

[9] Et aussi des Rètes, qui pouvaient arriver en descendant soit le Rhin soit la Limmat.

[10] Voyez à Augst (Basel-Augst) la vallée de l’Ergolz, qui mène aux lacs suisses, et que suit une voie romaine. — Il est possible qu’Augst, Nyon, et Lyon se rattachent à une même ligne militaire, imaginée par César.

[11] Ώσπερ άκρόπολις, Strabon, IV, 6, 11.

[12] Coloniam... velut arcem, Tite-Live, X, 1, 7 ; se coloniam Romanam et partem exercitus, disent les Lyonnais (Tacite, Hist., I, 65).

[13] Subsidium adversus rebelles, et imbuendis sociis ad officia legum ; Tacite, Ann., XII, 32. Je parle ici des colonies romaines, et non des colonies latines.

[14] Aulu-Gelle, XVI, 13, 8 : Coloniæ... ex civitate quasi propagatæ sunt et jura institutaque omnia populi Romani... habent... Populi Romani... quasi effigies parvæ simulacraque esse quædam videntur. Cf. Kornemann ap. Wissowa, R.-E., IV, c. 583 et s.

[15] Une preuve de la fréquence des séjours de Celtes près du Confluent, est la découverte, dans ces parages, de trésors de monnaies gauloises, surtout de pièces allobroges du dernier siècle avant J.-C. (Blanchet, p. 587).

[16] La situation résulte d’innombrables preuves, textes et ruines. En dernier lieu, Germain de Montauzan, Les Fouilles de Fourvière en 1912, Lyon, 1913.

[17] Cela résulte de l’existence simultanée de la colonie de Lyon et de la cité des Ségusiaves. Mais il est fort difficile de fixer la limite entre les deux territoires. — Il faut remarquer que les Anciens ont longtemps indiqué une assez étroite dépendance entre Lyon et les Ségusiaves (Pline, IV, 107 ; Strabon, IV, 3, 2) : il a dû se maintenir entre eux un lien politique ou religieux qui nous échappe. — On a supposé (Hirschfeld, Sitzungsberichte de l’Ac. de Berlin, ph.-hist. Cl., 1895, XIX, p. 393-5) que les colons furent plus tard dotés de terre dans le pays de Valence. Je croirais plutôt, à cause du lien supposé tout à l’heure, que leur principale dotation a été chez les Ségusiaves ; peut-être aussi chez les Ambarres. — A l’aide des circonscriptions ecclésiastiques du Moyen Age, on pourrait supposer, pour le territoire primitif de Lyon, le pagus minor, soit les archiprêtrés d’Anse et de L’Arbresle, et, en plus, sans doute celui de Meyzieux et le suburbium (cf. Auguste Bernard, Cartulaire... de Savigny, p. 1079) ; mais cela serait fort conjectural. — Une hypothèse toute différente, et encore moins plausible, est celle qui retrouverait l’étendue du territoire lyonnais à l’aide de la zone parcourue par les aqueducs de la colonie (Allmer, Musée, II, p. 160-2). Dans ce cas, le territoire lyonnais, au moins au temps de Claude, serait surtout dans le pagus Jarensis ou le pays du Jarez : ce qui me parait fort difficile ; cf. Germain de Montauzan, Les Aqueducs antiques de Lyon, 1908, p. 27-8.

[18] Cf. n. suivante ; monnaies d’Octave au nom de Copia (Cab., n° 4665-84) ; corne d’abondance figurée sur la plus ancienne monnaie lyonnaise (Blanchet, Traité, p. 427, pl. 3, n° 24) ; etc. Le surnom de Felix disparut de très bonne heure.

[19] Il pourrait se faire, cependant, que ce nom fût la traduction ou l’interprétation de celui d’une divinité indigène, de même que la Victoria romaine adorée à Camulodunum de Bretagne (cf. R.-E. de Wissowa, III, c. 1449) parait l’équivalent d’une grande déesse indigène (Dion, LXII, 7, 3). Dans ce cas, je croirais volontiers que la Copia de Lyon (cf. n. précédente) rappelle la Terre ou la Terre-Mère, dont le culte parait avoir été fort développé à Lyon, au moins plus tard (C. I. L., XIII, 1751 et s.). — Il y a certainement un lien entre ce nom de Copia, la corne figurée sur la monnaie lyonnaise et la représentation d’Hercule sur cette même monnaie (ici, n. précédente), la corne étant un des attributs de l’Hercule classique. Mais il serait aussi possible que le choix de ce dieu ait été déterminé par quelque culte local (sur l’Hercule gaulois, cf. t. II). — L’hypothèse contraire a été faite, que Munatius aura voulu honorer Hercule, le dieu de Tibur, la ville de sa famille (Willers, Numism. Zeitschrift de Vienne, 1902, p. 74-5). — Au surplus, il est possible qu’il ait voulu concilier l’un et l’autre, l’Hercule de son pays et un Hercule local.

[20] Cela résulte de Dion, XLVI, 50, 4.

[21] Cela résulte de ce que dit Tacite, Hist., I, 65 : Se (Lyon) partem exercitus, des nombreuses épitaphes de vétérans, d’ailleurs postérieures, trouvées à Lyon (C. I. L., XIII, n° 1828-1909), et du fait que Plancus, lors de la fondation, songeait à établir quelques-uns de ses soldats (Cicéron, Ad fam., X, 22, 2 ; 24, 2).

[22] Peut-être aussi religieuse, si l’on admet un ancien lieu sacré soit à Lyon, soit au Confluent.

[23] Cf., sur lui : de Klerck, Diss.... de L. Munatio Planco, Utrecht, 1855 ; Kleijn, Diss. litt. de L. et T. Munatiis Plancis, Leyde, 1857 ; Jullien (p. 42, n. 2) ; Stæhelin, M. Pl., dans Basler Biagraphien, I, 1900 ; Drumann, Geschichte Roms, IV, 211 éd., par Grœbe, 1908, p. 223 et suiv.

[24] Il est certain que Plancus a gouverné la Gallia Comata tout entière ; Suétone, p. 289, Roth ; Jérôme, l. c. ; Dion, XLVI, 29, 6 ; Cicéron, Phil., V, 2, 5 ; Appien, III, 46, 190.

[25] Je ne crois pas qu’il eût déjà pris possession de la Gaule au moment où elle apprit la mort du dictateur (mars 44) : elle était encore gouvernée par Hirtius. Plancus dut arriver sur ces entrefaites, peut-être assez tard dans l’année (Cicéron, Ad fam., X, 8, 3). — Il prit, quoique simple prétorien, le titre de proconsul (Fastes triomphaux, C. I. L., I, 2e éd., p. 50). — On cite C. Furnius comme son légat (Cicéron, Ad fam., X, 8, 5).

[26] Cela est déduit des faits de sa vie ; cf. Cicéron, Ad fam., X, 3.

[27] On lui reprochait nimis service temporibus (Cicéron, Ad fam., X, 3, 3).

[28] Cicéron, Ad fam., X, lettres 3, 4, 7, 9, 11, 15, etc.

[29] Velleius, II, 63, 3.

[30] Cicéron, Ad fam., X, 4, 3 ; 7 ; 8 ; 21, 5-6 (provinciam tuear).

[31] Velleius, II, 63, 3.

[32] Cicéron, Ad fam., X, 4, 3 ; 7 ; 8 ; 21, 5-6. C’est ce point de vue qui domine dans ses lettres, et c’est celui qu’oublient les écrivains anciens ou modernes (Velleius, Drumann, même Jullien), qui lui reprochent ses variations.

[33] Omnium civitatium consensu (Cicéron, Ad fam., X, 8, 6), principes Galliæ (id., X, 21, 5) : ce qui semble indiquer que, comme César ou Pompée, il ait réuni un conseil des chefs.

[34] Cicéron, Ad fam., X, 3, 1 ; 9, 3 ; 21, 5.

[35] Cicéron, Ad Att., XIV, 9, 3 ; Phil., V, 2. 5-6 ; 13, 37.

[36] Le seul fait d’armes en 44-43 parait avoir été une campagne de Plancus contre les Rètes (ex Rætis, C. I. L., X, 6087 ; imperator à la fin de 44. Cicéron, Phil., III, 15, 38) : comme les Actes triomphaux (C. I. L., I, 2e éd., p. 50), au lieu de Rètes, mettent ex Gallia, l’expédition dut avoir lieu à la frontière entre Rètes et Helvètes et se rattacher à la fondation d’Augst, — Monnaies (des Ségusiaves ?) au nom de L. Munat(ius Plancus) (Cab., n° 4787 ; Blanchet, Traité, p. 426-7).

[37] Omnia plena pacis, Cicéron, Ad Att., XIV, 9, 3.

[38] A noter seulement les faits suivants — Au temps de la bataille de Modène, les Allobroges, et peut-être aussi les Voconces, se séparent de Lépide pour se rattacher à Plancus ou au sénat (Cicéron, Ad fam., XI, 11, 1 ; 11, 4 ; X, 23, 2). — Il semble bien que Lépide ait préféré le séjour de Narbonne à celui de l’Espagne (Cicéron, Ad fam., X, 33, 2 ; X, 26, 1).— Monnayage de bronze d’Antibes, au nom de Lépide, aux types de Vénus et de la Victoire (Cab., n° 2179-2208). Monnayage d’argent de Cavaillon, à la corne d’abondance, et sous ce même nom (Cab., n° 2544-9 ; Blanchet, Traité, pl. 3, n° 23).

[39] Il est à remarquer que, au printemps de 43, Sextus pompée vint s’installer avec sa flotte, sinon dans le port, du moins dans les parages de Marseille, et que des envoyés du sénat se rendirent dans cette ville à l’effet de le rejoindre (Cicéron, Philipp., XIII, 6, 13).

[40] Voici les mouvements militaires qui intéressent les routes de la Gaule.

Le point de départ des armées est, semble-t-il, Lyon pour Plancus (Cicéron, Ad fam., X, 9, 3) et les abords d’Avignon pour Lépide (ab confluente Rhodani, X, 34,1 : l’expression, cependant, ferait plutôt songer à Lyon). Tous deux se préparent, disent-ils, à secourir le sénat contre Antoine (Dion, XLVI, 50. 3). C’est à ce moment que, par crainte d’eux, le sénat rend son décret sur Lyon.

Plancus se met en marche le premier, pour prévenir Lépide, le 26 avril. Il passe le Rhône, peut-être à Lyon, descend à Vienne (magnis itineribus Viennam [perveni], et envoie ses cavaliers au-devant de lui, via breviore [de Lyon directement sur Grenoble par Bourgoin ?] (Cicéron, Ad fam., X, 0 ; 11, 2). Lui-même, de Vienne, continue par la rive nord de l’Isère ; ses cavaliers, au-devant, doivent courir sur la route de l’Italie, sans doute vers le Petit Saint-Bernard. Lorsqu’il apprend la victoire du sénat à Modène (vers le 21 avril), il s’arrête, rappelle ses cavaliers, et campe, je crois à Cularo, Grenoble (X, 11, 2 ; cf. 23, 7).

Lépide, apprenant cette bataille, et que les vaincus, Marc-Antoine et son frère Lucius, viennent de son côté, Lépide quitte les abords d’Avignon et campe à Forum Voconii. Au-devant de lui, son légat Q. Terentius Culleo garde les Alpes Maritimes (Appien, III, 82, 340). — Il a dû gagner la via Aurelia par Arles ou Cavaillon et Aix. — L’emplacement de Forum Voconii (connu également par les itinéraires, C. I. L., XII, p. 635) a donné lieu à d’innombrables hypothèses. Comme l’endroit est à 24 milles de Fréjus (Ad fam., X, 17, 1), non loin, vers l’ouest, du point où la route passait l’Argens (Ad fam., X, 34, 1), Vidauban serait assez désigné (à la condition de ne pas chercher l’exactitude rigoureuse des chiffres). Le pont serait, soit aux abords du pont actuel, soit au pont du chemin de fer. Lépide camperait sur la rive sud, soit dans la plaine en avant du pont, soit sur la colline en arrière de la chapelle Sainte-Anne (X, 34, 1 et 3 ; Plutarque, Ant., 18 ; Appien, III, 83, 340-2). — Cf., entre cent études, la dernière, Poupé, Le Lieu de rencontre, etc., 1911, extrait du Bull. de la Soc. d’Ét. ... de Draguignan, XXVIII (Forum à Châteauneuf et les deux camps séparés par la Florièye) ; autres : Rabou, Rev. arch., 1861, I, p. 122 (Châteauneuf) ; Doze, Bull. Soc. Et.... de Draguignan, III, 1860, p. 14 ; Aube, Le F. V., Aix, 1864, et F. V., Réponse, Aix, 1865 (Le Luc) ; Thouron, Forum Vocontium, 1863, dans la Soc.... du Var, Toulon (plaine des Arcs) ; Truc, F. V., Paris, 1865, et Réponse, etc., Draguignan, 1865 (plaine des Arcs) ; Liotard, Notice sur F. V., Draguignan, 1865 (Le Cannet) ; Rossi, F. V., Toulon, 1866 (Le Cannet), etc. ; Maillaux du Tilly, Congrès arch. de 1876, Arles, XLIII, 1877, p. 850 (Vidauban) ; Pierrugues, F. V. et la voie Aurélienne d’après le Cartulaire de Lérins, dans le Bull. de la Soc. Niçoise des Sc. nat. et hist., II, 1880, p. 203-212 (Vidauban) ; Bérard, F. V., Soc.... de Draguignan, XV, 1884-5 (Châteauneuf) ; Michel, Forum Vocontium, même volume (Le Cannet) ; etc. — De toutes manières, le choix de Forum Voconii par Lépide a été déterminé par l’arrivée, sur ce point, d’une route vers Lyon et Grenoble, le mettant en communication directe avec Plancus : et il est par suite impossible de placer la localité ailleurs que dans les parages de Vidauban.

De l’autre côté des Alpes, après Modène, se produisent deux mouvements semblables, à la rencontre des précédents.

C’est Marc-Antoine qui arrive à Fréjus le 15 mai (Ad fam., X, 17, 1), sans doute par la roule du littoral, le légat de Lépide ayant livré le passage (Appien, III, 83, 340). Son avant-garde est déjà passée à Fréjus (X, 15, 3) et campe au-devant de lui, face à Lépide, de l’autre côté du pont de l’Argens (X, 34, 1) : aux Quatre-Chemins ou derrière la chapelle Saint-Martin. Antoine arrive lui-même au pont et à ce camp. — Le 29 mai, il s’unit à Lépide (I, 23, 2).

Alors, de son côté, Décimus Brutus, d’Ivrée, remonte la vallée de la Doire, franchit les Alpes par le Petit Saint-Bernard (Strabon, IV, G, î : si ce texte s’applique à ce moment), et, par la rive nord de l’Isère, cherche à rejoindre Plancus, ce qu’il fera à Grenoble, vers le 8 juin (Ad f., X, 23, 3 et 7).

C’est maintenant entre Grenoble et Vidauban que les évènements vont se dérouler, et circuler courriers (Ad f., X, 21, 1) et armées. Ce qui prouve l’existence, dés ce temps-là, d’une route directe entre ces deux points, une route subalpine par le col de la Croix-Haute, Montsaléon, Sisteron, Riez et, je crois, Aups [Anteis, Anteæ, de la Table de Peutinger ?]. Remarquez que Plancus déclare qu’il n’y a, entre les deux points, que huit jours de marche (Ad fam., X, 18. 4 ; cf. 23, 3) : la distance à vol d’oiseau est de 200 kil., soit, probablement, environ 20 milles de marche par jour ; donc la roule était bonne et sûre. Cette route traversait le pays des Voconces, dit Plancus (Ad f., X, 23, 2) : soit qu’il fasse allusion au col de la Croix-Haute, qui est dans leur arrière-pays, soit, plutôt, qu’il entende par Voconces étalement les gens du Gapençais et de Sisteron. — Plancus part de Cularo, Grenoble, construit un pont sur le Drac (c’est l’Isara de X, 15, 3), passe celte rivière (à Pont-de-Claix ?) le 12 mai (id.), campe sur l’autre rive (à Claix ?) ; le 14 mai [?], il fait partir ses cavaliers (id.) ; le 21 mai, il part lui-même (3, 18, 4 ; 21, 2). Mais Antoine et Lépide viennent de se réunir le 29 mai à Vidauban, et marchent contre lui (23, 2). Lorsque Plancus apprend leur arrivée, il se trouve campé à 40 milles de Vidauban, derrière une rivière, près des Voconces (23, 2) : on peut supposer à Riez, derrière le Colostre (on a aussi pensé à la Durance, au Verdon). Ses adversaires campent à 20 milles de là (23, 2) : on peut supposer à Aups. — Hors, Plancus retourne sur ses pas, repasse le Drac (Isara), coupe le pont le 4 juin (I, 23, 2), et revient à Grenoble (23, 7), où Brutus le rejoint. — Il y a ensuite, entre les deux armées, toujours sur la route de Grenoble à Vidauban, une série d’escarmouches (XI, 13, 4) et de négociations.

Tout finit par le triomphe diplomatique d’Antoine. En juillet, l’armée d’Espagne Ultérieure, commandée par Asinius Pollion, vint le rejoindre (Tite-Live, Ép., 120), sans doute par la via Domitia et la via Aurelia. Plancus fit la paix avec Antoine et Lépide (Appien, III, 97, 399 ; Tite-Live, Ép., 120). Décimus Brutus, laissé seul, revint en Italie pour combattre Octave, brouillé avec le sénat (Dion, XLVI, 53, 2), et revinrent aussi Lépide, Plancus, Antoine et Pollion, pour négocier avec Octave (Dion, XLVI, 54, 1 ; Plutarque, Ant., 18, etc.). Mais sur ces derniers points, il manque des données d’itinéraires. — Cela fit, en tout cas, d’énormes passages de troupes dans le Midi de la Gaule.

Le seul itinéraire qui reste à examiner est celui de la fuite de Brutus, célèbre dans l’histoire du temps. Je suppose ceci, sous réserves. — De Grenoble, il repasse les Alpes par le Petit Saint-Bernard (peut-être ici Strabon, IV, 6, 7). Arrêté par les hommes d’Octave vers Aoste, il repasse encore les Alpes, mais par le Grand Saint-Bernard, pour gagner la Franche-Comté et le Rhin, et de là, par la Rétie et le Tyrol, Aquilée (par l’Arlberg et la roule des Cimbres ? celle à laquelle aurait pensé Pompée en 49 pour aller d’Illyrie en Espagne ? Cicéron, Ad Att., X, 9, 1). Pendant ce voyage, il finit par ne lui rester que 300 cavaliers celtes, et bientôt plus que 10. Il doit se trouver entre Besançon et le Rhin. Alors, il songe à revenir en Italie directement, par la route qu’il vient de quitter, déguisé cette fois en Gaulois. Mais il est pris et tué par un chef séquane, δυνάστη, nobilis vir (Camilos ou Camillos, Appien, III, 97-8 ; Capenus, Tite-Live, Ép., 120 ; Dion, XLVI, 53, 2-3 ; Orose, XI, 18, 7 ; Canielus, Velleius, II, 64, 1 ; Valère Maxime, IV, 7, 6). — Ces courses extraordinaires font supposer également, même en pleine montagne, des routes praticables. — Sur cette fuite, cf. von Hagen, Quæst criticæ de bello Mutinensi, 1886 (thèse de Marbourg), p. 50-2 ; Paulus, De Decimo, etc., 1889 (thèse de Münster), p. 55-7 ; Gardthausen, Auguste, l. II, ch. 2, n. 16 ; Bondurant, Decimus, p. 109-110.

[41] Cicéron, Ad fam., X, 8, 6 ; 21, 5.

[42] Il abandonna le gouvernement de la Gaule à Antoine, qui le confia à L. Varius Cotyla avec six légions (Plutarque, Antoine, 18, 5 ; cf. Dion, XLVI, 54, 1) — Toutes les autres légions, réunies, durent gagner l’Italie par la voie du littoral. — Plancus triompha à Rome le 29 décembre (cf. Velleius, II, 67, 4 ; Pline, XXXV, 108).

[43] Il est probable que tous les belligérants entre 44 et 27 ont fait appel à la Gaule pour lui demander des mercenaires. Cavaliers celtes dans l’armée d’Octave à Modène (Dion, XLVI, 31, 2). Le roi Hérode aura auprès de lui Γερμανοί τε καί Γαλάται (Josèphe, De b. J., I, 33, 9 ; Ant. Jud., XVIII, 8 [10], 3)

[44] Cf. Velleius, II, 63, 3.

[45] Voici les faits qui se rattachent au gouvernement d’Antoine. — Il n’avait cessé, pendant le cours de 44, de réclamer la Gaule, sans doute avec l’arrière-pensée de quelque empire d’Occident (Cicéron, Phil., I, 3, 8 ; V, 2, 5-6 ; 13, 37 ; VII, 1, 2 ; VIII, 8, 25). Son séjour en Gaule auprès de César avait dû lui procurer des relations dans le pays. — Après avoir reçu en fait, de Plancus, la Gallia Comata, il se la vit reconnaître par le traité de Bologne en novembre 43, la Narbonnaise restant à Lépide (Dion, XLVI, 55, 4 ; Appien, IV, 2, 7). Le traité de Philippes en 42 donne toute la Gaule à Antoine (Dion, XLVIII, 1, 3). Enfin, le traité de Brindes en 40 la donne à Octave (Dion, XLVIII, 28, 4). — Antoine ne parut jamais en Gaule pendant son gouvernement. — Légats d’Antoine : fin 43, Varius Cotyla pour la Gaule Chevelue ; en 42 (Dion. XLVIII, 10, 1), P. Ventidius Bassus (pour la Chevelue ?), Q. Fufius Calenus (pour la Narbonnaise ?) ; en 41-40 (Appien, V, 51, 213), ce dernier pour toute la Transalpine (?). Cf. Desjardins, III, p. 34-5 ; Ganter, Die Provinzialverwaltung der Triumvirn (thèse de Strasbourg), 1892, p. 8-10. — Aucun fait de guerre, ce qui est étonnant, et ce qui prouve que tous les projets d’Antoine convergeaient dès lors vers l’Orient ou Rome. — Monnaies d’argent d’Antoine à Lyon, en l’honneur du 40e et du 41e anniversaire de sa naissance, soit en 42 et 41 av. J.-C. (Babelon, Descr., I.  p. 168-170 ; Cab., n° 4639-59), frappées sans doute pour quelque largesse faite à cette occasion. — Tout ce qu’on raconte sur le séjour d’Antoine à Lyon, est pure imagination (Allmer, Musée, II, p. 176), mais doit remonter au moins au Ve siècle (Sidoine, Carm., 17, 17-8), peut-être à cause de l’existence dans la région d’un pagus ou vicus Antonius, qui d’ailleurs pourrait lui devoir son nom (Sidoine, ibid.), ou peut-être simplement à cause de quelque localité comme Anthon. — Lors de la rupture entre Octave et Antoine en 40, le premier fit aussitôt occuper la Gaule par Q. Salvidienus Rufus, qui campa alors avec l’armée sur le Rhône, et qui voulut ensuite trahir Octave pour Antoine (Appien, V, 51, 214 ; 54, 225 ; 66, 278). — Les pirateries de Sextus Pompée en 40 durent gêner la circulation dans les parages de la Narbonnaise (Dion, XLVIII, 30, 5), mais n’eurent pas d’autre effet.

[46] C. Octavius, puis C. Julius Cæsar Octavianus, puis imp. Cæsar Augustus.

[47] Discours de Claude sur les Gaulois : Immobilem fidem obsequiumque multis trepidis rebus nostris plus quam expertum (C. I. L., XIII, 1668).

[48] Pline, XXXVII, 10 ; Suétone, Auguste, 50.

[49] Ώσπερ οί χαμαίλέοντες, Julien, Conv., p. 309 a, Sp.

[50] Cela est visible même chez Suétone. Une seule exception, chez Tacite, Ann., I, 2 et 9.

[51] Πάνυ καλώς πέπαισται, dit il en mourant (Suétone, 99, 1).

[52] Mansura in vestigio suo fundamenta reipublicæ quæ jecero, Suétone, 28, 2 ; Tacite, Ann., III, 28.

[53] Auguste répétait souvent : Sat celeriter fieri quidquid fiat satis bene (Suétone, 25, 4).

[54] Machinator doli, Tacite, Ann., I, 10.

[55] Suétone, 40, 5 ; 31, 4.

[56] Suétone, 90-2.

[57] Suétone, 10, 4 ; 15.

[58] Suétone, 20 ; cf. Drumann, IV, p. 300-1, 304.

[59] Suétone, 33 et 78.

[60] Cela me parait bien résulter de sa vie et de la biographie de Suétone : Salubrem magis quam ambitiosam principem (Suétone, Auguste, 42).

[61] I. Il y vint dès 39 pour en prendre possession après Antoine (cf. Appien, V, 75, 318). C’est alors, je crois, que, passant près d’un précipice pendant la traversée des Alpes, il faillit périr dans un complot ourdi par un Gaulois, e primoribus, sans doute complice de Salvidiénus (Suétone, 79, 1). — II. A la fin de 27 (Dion, LIII, 22, 5 ; Tite-Live, Ép., 134). Il était le 1er janv. 26 à Tarragone ; de même, le 1er janvier 25 (Suétone, 26, 3). Il dut repasser en Gaule en 25-24 pour revenir à Rome (Dion, LIII, 28, 3). Et peut-être y revint-il dans le cours de 26 et 25. — III. Au milieu de 16 (Dion, LIV, 19, 1). Il y reste en 15 (LIV, 21), sans doute en 14, revient à Rome en juillet 13 (Dion, LIV, 25, 1-2 ; C. I. L., I, 2e éd., p. 320). — IV. En 10 (Dion, LIV, 36 ; Orose, VI, 21, 22). Il vint à Lyon, où Tibère et Drusus le rejoignirent, et on suppose, je crois à tort, qu’il dédia l’autel du Confluent. — V. En 8 av. J.-C. (Dion, LV, 6, 1). — Ces trois derniers séjours s’expliquent par le désir de surveiller la Gaule pendant les guerres germaniques de Drusus et de Tibère (Suétone, Auguste, 20).

[62] Il semble, en effet, qu’à ces voyages correspondent les réformes d’ensemble opérées en Gaule par Auguste.

[63] Marcus Vipsanicus Agrippa.

[64] Tacite, Ann., I, 3 ; Velleius, II, 79, 1. Cf. Mommsen, Staatsrecht, II, 2e éd., p. 1079 et s.

[65] A Nîmes (Cab., n° 2740 et s.), à Vienne ? (n° 2947).

[66] C’est l’éloge que lui accordaient le plus volontiers les Anciens (Tacite, Ann., I, 3 ; Velleius, II, 79, 1).

[67] Consultis facta conjungens, Velleius, II, 79, 1.

[68] Textes chez Gardthausen, II, p. 419 et s.

[69] Je songe aux fameux Commentarii d’Agrippa (cf. Riese, Geogr. Lat, min., p. VII et s.), qui ont tellement occupé les savants modernes. En dernier lieu, Detlefsen, Ursprung... der Erdkarte Agrippas, 1906. Auparavant, en particulier : Müllenhoff, Ueber die Weltkarte, 1856, Kiel ; Partsch, Die Darstellung Europa’s, etc., 1875, Breslau ; Schweder, Beiträge zur Kritik der Chorographie des Augustus, 1878, Kiel.

[70] En 39-38. Appien, V, 92, 386 ; Dion, XLVIII, 49, 2-3.

[71] En 39-38 (n. précédente) et en 19 (Dion, LIV, 11, 1-2).

[72] Αύτόνομοι, dit Appien des Salasses (Ill., 17).

[73] Immunes imperii. Florus, II, 33, 46.

[74] Les principaux méfaits vinrent des Salasses de la vallée d’Aoste : contre César pendant la guerre des Gaules, contre Décimus Brutus après la guerre de Modène, contre Antistius Vetus vers 33, contre Messala vers 28 (Strabon, IV, 6, 6-7 ; Appien, Illyrica, 17).

[75] Strabon, IV, 6, 11.

[76] La première date est celle de l’expédition de A. Terentius Varro Murena, prétorien, contre les Salasses, et de la fondation de la colonie d’Augusta Prætoria, Aoste (Dion, LIII, 25). — Cette fondation a ceci de particulier, que la colonie fut bâtie à l’endroit où Varron avait établi son camp (Strabon, IV, 6. 7). — Sur ces guerres : Zippel, Die rœm. Herrschaft in Illyrien, 1877, p. 247 et suiv. ; Oberziner, Le Guerre di Augusto contro i popoli Alpini, 1900.

[77] Date (7 ou 6 av. J.-C.) du Trophée des Alpes (Pline, III, 436-7). Comparez la date de 9 ou 8 av. J.-C. pour l’arc de Suse (C. I. L., V, 7231).

[78] Inscription du Trophée, où 48 tribus vaincues (gentes Alpinæ devictæ) sont énumérées a mari Supero (l’Adriatique) ad mare Inferum (la Méditerranée). Il manque à cette liste, du côté de la Gaule, les 15 tribus du royaume de Suse, quæ non fuerunt hostiles, dit Pline (IV, 138), et celles de la Tarentaise.

[79] Dion, LIII, 25 ; 26, 4-5 (succès de M. Vinicius, prétorien, en 25, on ne sait où) ; LIV, 20, 1 (en 16, guerre contre les Alpins de la Lombardie) ; LIV, 24, 3 (en 14, soumission des Alpes Maritimes).

[80] Vase de Boscoreale ; Héron de Villefosse, Fondation Piot, Monuments, 1902, V, p. 137-8.

[81] Je songe aux Alpes de Cottius.

[82] Le titre de præfectus fut porté au début par les gouverneurs de ces provinces (Strabon, IV, 6, 4 ; C. I. L., IX, 3044 ; V, 1838 ; XII, 80), et il avait un caractère militaire (Hirschfeld, Die kaiserl. Verwstlungsb., 2e éd., p. 332-4). — Mention de ces garnisons : Suétone, Tibère, 37, 3 (Alpes Cottiennes : cohors Alpinorum ?) ; Tacite, Hist., II, 14, et C. I. L., V, p. 903 (Alpes Maritimes : cohors I Ligurum, cohors I Ligurum et Hispanorum, la même ; cohors Nautarum) : c’étaient des cohortes formées surtout d’indigènes.

[83] Alpes Maritimæ. Strabon, IV, 6, 4 ; Dion, LIV, 24, 3. — Les peuples de cette province étaient surtout ceux que l’on appelait les Ligures capillati (surtout les voisins de la mer ; Dion, LIV, 24, 3 ; C. I. L., XII, 80 ; Pline, III, 47 et 135) et montani (Pline, III, 135). — Les Alpes Maritimes ont été formées des trois groupes suivants de tribus (gentes). — I. Tribus vaincues sous Auguste et mentionnées sur le Trophée (Pline, III, 137) 1° Brigiani (Briançonnet ?, civitas Brig..., C. I. L., XII, p. 8), dans la future cité de Glandève ?, civitas Glannatica ; 2° Sogionti (civitas Sogiontiorum, C. I. L., XII, 1871), peut-être dans la future cité de Senez, civitas Sunisiensium ; 3° Brodionti (peut-être les Bodiontici de plus bas) ; 4° Nemaloni ; 5° Gallitæ ; 6° Triullati ; 7° Vergunni, dans la future cité de Castellane ? ; 8° Eguituri ; 9° Nematuri ; 10° Oratelli ; 11° Nerusi, réunis à la cité de Vence ? (Ptolémée, III, 1, 37) ; 12° Velauni ; 13° Suetri, dans la cité de Castellane ?, civitas Saliniensium (Ptolémée, III, 1, 38 ; cf. Pline, III, 35, Suebri). — II. Tribus du littoral, depuis longtemps soumises : 14° Deciates, dans la cité d’Antibes ? (Ptolémée, II, 10, 5) ; 15° Oxybii, dans la cité de Vence ? ; 16° Vediantii, dans la cité de Cimiez (Pline, III, 47, Ptolémée, III, 1, 39). — III. Tribus voisines de la Durance : 17° Avantici (?, cf. Pline, III, 37), vallée de Barcelonnette ? ; 18° Bodiontici, tribu de Digne (Pline, III, 31 ; cf. plus haut) ; 19° Sentii (dans le pays de Digne d’après Ptolémée, II, 10, 8, mais peut-être les Sogionti de plus haut). — IV. On peut ajouter quatre tribus des hautes vallées des Alpes Maritimes, mentionnées sur le Trophée, qui paraissent avoir été données à Cottius (Edenates, Eedini, Veamini, Vesubiani). Dans le même cas, les tribus de la vallée de Barcelonnette. — Ces tribus (au moins celles du versant gaulois) ont été groupées, peut-être en partie depuis Auguste, pour former 8 cités (Not. Gall., 17), qui ont fini par prendre les noms de leurs chefs-lieux cités de Vence, Cimiez, Briançonnet (Glandève), Digne, Castellane, Senez, Antibes [celle-ci, semble-t-il, placée dès le début en dehors de la province des Alpes], et l’énigmatique civitas Rigomagensium (Barcelonnette ?, Longnon, Mélanges Renier, 1887, p. 397-504 ; plutôt que Chorges ?)

[84] Alpes Graiæ. Strabon, IV, 6, 7. Elles ne paraissent avoir jamais renfermé qu’une seule cité, les Ceutrones (C. I. L., XII, p. 16), à laquelle on peut peut-être incorporer les Aciravones du Trophée (Pline, III, 137). — Puisque ces Ceutrons de la Tarentaise ne sont pas mentionnés dans le Trophée, on doit croire que, comme les gens des Alpes Cottiennes, ils restèrent soumis depuis César. — Contrairement à l’opinion courante, je distinguerais les Alpes Graiæ des Alpes Atrectianæ ou Atractianæ (cf. C. I. L., V, p. 757 ; IX, 5357, 5439), que je placerais dans les Alpes centrales, pays de Coire ou, plutôt, vallées de la Toce et du Tessin : la jonction, en une seule province, de ces dernières vallées avec le Valais ou les Alpes Pennines (IX, 5439) s’explique par leur union géographique à l’aide du Simplon. Chez Ptolémée (III, 1, 34), il faut lire Atrectiennes au lieu de Cottiennes.

[85] Les Alpes Pennines n’ont jamais compris que les quatre tribus du Valais, dont trois déjà combattues par César. Leur mention sur le Trophée (Pline, III, 137), Uberi, Nantuates, Seduni, Varagri, indique qu’Auguste dut les combattre à nouveau. Civitates IIII vallis Pœninæ, inscription de 23 ap. J.-C., C. I. L., XII, 147. Les gens de la vallée semblent bien s’être déjà appelés tous Vallenses.

[86] L’étendue de ces districts varia du reste suivant les circonstances, routes à réparer ou brigandages à réprimer. — D’ordinaire, et je crois dès le début, les Alpes Grées et Pennines formèrent une seule province, la communication entre le Valais et la Tarentaise étant assurée par le col de Balme et le col du Bonhomme (C. I. L., XII, 113). — Cette réunion parait être attestée, peut-être sous Auguste ou plus tard, par Pline (geminæ Alpium fores, III, 123 ; cf. finitimi, III, 135), en tout cas sous Claude, par Sénèque (Ad Luciliam, IV, 2, 9). Mais, sous Auguste et ses premiers successeurs, le Valais fut aussi réuni à la Rétie : ce qui s’explique par la route de la Furka et de l’Ober-Aip. Le Valais fut de même, plus tard, réuni un instant aux Alpes centrales, sans qu’on sache ce que devinrent alors les Alpes Grées. — Après la transformation en province des Alpes Cottiennes, on créa pendant quelque temps une préfecture avec le Queyras, la vallée de Barcelonnette, le pays de Briançonnet (C. I. L., XII, 80), sans doute le long d’une grande route par les cols d’Izoard, de Vars et de La Cayolle. — Sous Galba, les tribus des Alpes Maritimes voisines de la Durance, Digne et peut-être Senez (cf. Pline, III, 37), furent réunies à la Narbonnaise. — Je crois de plus en plus que tous ces districts alpestres ont fort varié d’étendue et de groupement, et que leur raison déterminante a toujours été la construction, l’entretien et la protection militaire d’une grande route : d’où la forme très étroite et très allongée qu’ont prise d’ordinaire les provinces de ce genre.

[87] En admettant que, sur l’arc de Suse (C. I. L., V, 7231), en l’an 8 av. J.-C., le titre de præfectus, que porte le fils du roi Donnus, soit, non pas un titre de fonctionnaire romain, mais la traduction latine d’un titre indigène, et n’exclue pas sa qualité de roi.

[88] Pline, III, 135 et 138 ; Ammien, XV, 10, 2 et 7. — C’est le groupement de tribus précurseur de cet État, que soumit, en 58, Jules César.

[89] Mort avant 8 av. J.-C. (C. I. L., V, 7231 ; Strabon, IV, 6, 6 ; Ovide, Pont., IV, 7, 29).

[90] C. I. L., V, 7231. L’inscription de l’arc l’appelle præfectus ceivitatium. Mais je crois que Cottius l’Ancien était roi au moins sur les tribus de Suse et abords : sans quoi l’on n’eût pas dit couramment regnum Cottii (Suétone, Tibère, 37, 3 ; Néron, 18 ; Vitruve, VIII, 3, 17), rex et regulus Cottius (Ammien, XV, 10, 2 et 7), ή Κοττίου γή (Strabon, V, 1, 11 ; IV, 6, 6), et l’arc ne montrerait pas Cottius et Auguste assis à la même table (Espérandieu, I, p. 16-17). De même, Mommsen, Rœm. G., V, p. 16. — Lorsque Dion nous dit, à la date de 44 ap. J.-C. (LX, 24, 4), qu’à la mort de Cottius l’Ancien l’empereur Claude accrût le pouvoir de son fils, Cottius II, en le nommant roi, cela peut être roi sur toutes les cités.

[91] Et sans doute également celle du Cenis, vias compendiarias (Ammien, XV, 10, 2 et 7).

[92] Ammien, ibid.

[93] En réalité, comme le monument ne porta point de trophées, c’est moins un arc de triomphe qu’un arc de passage. — En dernier lieu, pour le monument, Espérandieu, Bas-reliefs, n° 16 ; avant, surtout E. Ferrero, L’Arc d’Auguste, Turin, 1901 ; Studniczka, Jahrbuch de l’Institut allemand, XVIII ; 1903, p. 1-24 ; E. Ferrero (contre lui), Atti della Soc. di Arch. de Turin, VII, 1904, p. 280 et s. Pour l’inscription, C. I. L., V, 7231. — L’arc a été construit l’an 9-8 av. J.-C., et a dû commémorer, d’abord le passage d’Auguste, puis la scène et les cérémonies, lors de ce passage, soit du recensement des Alpes Cottiennes, soit de l’installation de Cottius comme præfectus.

[94] Ammien, XV, 10, 2 et 7.

[95] Le royaume des Alpes Cottiennes me parait constitué de 15 ou 14 cités (15, Pline, III, 138 ; 14, C. I. L., V, 7231). On peut les répartir ainsi. — I. Celles, mentionnées seulement sur l’arc de Suse, qui furent le noyau de l’État et qu’on peut chercher dans lei vallées de Suse et de Briançon, des deux côtés du Genèvre : 1° Segovii ; 2° Segusini, Suse [Sejusiani, Ptolémée, III, 1, 36, qui leur attribue aussi, je crois à tort, Briançon] ; 3° Belaci. — II. Celles, mentionnées sur l’arc seulement, qui paraissent en dehors et autour de cette région centrale, et dont il parait impossible de retrouver la situation : 4° Tebavii ; 5° Venisami ; 6° Iemerii. — III. Celles, mentionnées sur l’arc et dans l’inscription du préfet du Queyras (C. I. L., XII, 80) : 7° Quariates du Queyras ; 8° Savincates, sans doute dans la vallée de Barcelonnette. — IV. Celles dont on trouve le nom et sur l’arc et sur le Trophée : ce qui semble prouver que ce sont des tribus combattues par Auguste, et rattachées ensuite à Cottius : 9° Caturiges, Chorges et Embrun ; 10° Medulli, Maurienne ; 11° Adanates, Edenates (peut-être aussi C. I. L., XII, 80), dans la vallée de Barcelonnette ? ; 12° Egdinii, Ecdini ; 13° Veaminii ; 14° Vesubianii : ces trois dernières peut-être au sud de cette vallée, dans les hautes vallées du Verdon, du Var et de la Tinée ? ; 15° si les Ucenni du Trophée sont les gens de l’Oisans, c’est sans doute la 15° tribu cottienne dont parle Pline (III, 138). — Toutes ces tribus ont formé, sous auguste ou plus tard, les cités de : 1° Suse ; 2° Briançon (C. I. L., XII, p. 15) ; 3° Embrun (C. I. L., XII, p. 11) ; 4° Chorges, Caturiges (C. I. L., XII, 78 ; je doute que ce soit une civitas [Catu]rigomagensium des Alpes Maritimes) ; 5° la Maurienne (?). — Sur la géographie des Alpes gauloises, entre autres : Durandi, Il Piemonte Cispadano antico, 1774, p. 5 et s. ; Florian Vallentin, Les Alpes Cottiennes et Grées, 1883 ; Rey, Le Royaume de Cottius, Grenoble, 1898 (Bull. de l’Ac. Delphinale).

[96] Tropæum Alpium (Pline, III, 137). C. I. L., V, p. 901 et s. Je doute fort que Dion Cassius (LIII, 26, 4) ait songé à ce trophée (hypothèse de Zippel, p. 252-3). — D’imposantes ruines en restent encore. On en a souvent tenté une restitution : en dernier lieu, Formigé, Ac. des Inscr., C. R., 1910, p. 76-87 ; auparavant, voyez, entre autres, les renseignements fournis par Benndorf, Antiquaires, vol. du Centenaire, p. 33-54.

[97] Le village de La Turbie, La Turbia en italien, en perpétue encore le nom.

[98] Cf. les trophées de Scipion et de Pompée sur les Pyrénées, celui de Domitius près du Rhône.

[99] Dion, LI, 20, 5 ; Orose, VI, 21, 1. — Rien n’indique qu’il y ait eu un lien entre cette guerre et celle des Aquitains. Mais cela est possible, vu les anciens rapports entre les deux peuples.

[100] Dion, LIV, 11, 1-5.

[101] Dion, LIII, 25. — Sur ces guerres, cf. Hübner ap. Wissowa, R. E., III, c. 1492-4 ; Gardthausen, Augustus, l. VII, ch. 2.

[102] Auguste tomba malade en 26 (Suétone, 81, 1), et c’est sans doute alors qu’on lui indiqua, nervorum causa, un traitement d’eaux chaudes (cf. 82, 2). Comme, d’autre part, on ne peut douter que les eaux rendues célèbres par le séjour d’Auguste (Crinagoras, Anthol. palat., II, 419) ne soient Aquæ Augustæ ou Dax, et comme ces eaux chaudes sont indiquées surtout pour les rhumatismes, on peut placer en 26-25 la cure qu’y aurait faite Auguste.

[103] A part de cette guerre, et se rattachant peut-être aux affaires d’Aquitaine en 39-38, se placent la révolte et la répression des Ceretani de Cerdagne, qui dépendaient alors de l’Espagne (Dion, XLVIII, 41, 7 ; 42, 1-2).

[104] Appien, De b. c., V, 92, 356 ; Eutrope, VII, 5.

[105] Comme il triomphe en 27 (C. I. L., I, 2e éd., p. 50 et 180, ex Gallia), on peut placer la guerre au plus tard en 28 : Appien, IV, 38, 161 ; Eutrope, VII, 9 ; Suétone, Auguste, 21 ; Aurelius Victor, Épit., 1, 7 ; Vita Tibulli, p. 60, Hiller ; Tibulle, I, 7, 1-12 ; II, 1, 33. Contrairement à Hirschfeld (Aquitanien, p. 434-5, dans les Sitzungsberichte de l’Acad. de Berlin, 1896, XX), je maintiens la vulgate chez Tibulle, Arar Rhodanusque... Garumna... Liger : Tibulle ne parle pas spécialement des rivières de l’Aquitaine, il veut dire que toutes celles de la Gallia Comata ont entendu parler de Messala. — Cf. Schultz, Quæst. in Tibère, 1887, p. 13-16. On a avancé cette guerre jusqu’en 31-30 (Geyza Némethy, Tibulli carmina, 1905, p. 322). Il y a d’ailleurs, sur ces guerres de Messala, d’interminables discussions.

[106] Dion, LI, 21, 6 : parle des Morins et d’autres avec eux, et de Suèves repoussés de l’autre côté du Rhin ; Fastes triomphaux, C. I. L., I, 2e éd., p. 77 ; Virgile, Énéide, VIII, 727. Comme Carrinas triompha le 14 juillet 28, son gouvernement et ses victoires peuvent se placer en 30 ou 29.

[107] Dion, LI, 20, 5 : parle, en 29, de Trévires, avec des Germains pour auxiliaires, battus par Nonius Gallus. On a conjecturé que ce dernier était, non le successeur, mais le lieutenant de Carrinas (Ganter, p. 12-3).

[108] Il ne serait pas impossible que tous ces mouvements, qui coïncident plus ou moins avec des ruptures entre Octave et Antoine, aient été provoqués par des intrigues de ce dernier, fort connu des Gaulois.

[109] Strabon, IV, 4, 2.

[110] Je donne l’effectif indiqué par Josèphe (Tacite parle de mille hommes pour une cohorte urbaine : Hist., II, 93 ; Dion Cassius, de 1500 : LV, 24, 6). Josèphe, De b. J., II, 16, 4 (sous Néron) ; Tacite, Ann., III, 41 (en 21 ap. J.-C.) : ce fut, au milieu de ce siècle, parmi les cohortes prétoriennes et urbaines, celle qui est dénommée coh. XVII Luguduniensis ad Monetam (C. I. L., XIII, 1499 ; cf. Hirschfeld, Verw., p. 250). On a supposé qu’elle avait été précédée, à Lyon, par la XIIIe (Mommsen, Ges. Schr., VI, p. 12).

[111] Josèphe, ibid. — Il serait possible qu’il y ait eu dès lors d’autres postes, analogues à ceux que nous trouverons en d’autres circonstances, par exemple du côté de l’Aquitaine ou de la Franche-Comté. Toutefois, il est à noter qu’il n’est fait aucune mention de postes de ce genre lors de la révolte de 21 ap. J.-C. — Ajoutez la flotte de Fréjus. — Contrairement à cette manière de voir, Ritterling (Bonner Jahrb., CXIV-V, 1906, p. 159 et s.) a supposé, d’ailleurs ingénieusement, que le gros des légions aurait été, jusqu’à la défaite de Lollius, installé chez les Lingons et les Rèmes, au croisement des routes stratégiques (et. Strabon, IV, 6, 11), comme si souvent au temps de César. Ses deux arguments principaux paraissent être : 1° l’envoi de mains d’alliance, vetere instituto, fait en 69 par, les Lingons aux légions (Tacite, Hist., I, 54) : mais l’usage peut précisément remonter à ces campements de César, et il peut être bien postérieur à Lollius ; 2° le rattachement des Lingons à la Belgique (Pline, IV, 106) : mais ce rattachement a pu être des derniers temps d’Auguste, et provoqué simplement par la surveillance que le légat de la Germanie devait exercer sur la route stratégique de Langres à Trèves. Cette hypothèse de Ritterling a contre elle que les pays des Rèmes et des Lingons sont bien loin de la frontière où était, somme toute, le principal danger, et où eurent lieu les principaux combats ; et, en outre, que c’étaient, depuis l’origine, les pars les plus fidèles à Rome, et terres de peuples alliés.

[112] En général, Auguste, Res gestæ, 2e éd. de Mommsen, p. 103. A des dates particulières : en 39 (Appien, V, 75, 318), avant le voyage d’Auguste ; en 39-38 (Dion, XLVIII, 49, 2), au temps de la guerre d’Agrippa contre les Aquitains : en 29 (Dion, LI, 21, 5-6), lors des affaires des Morins et des Trévires ; en 27 (Dion, LIII, 22, 5), avant le second séjour d’Auguste ; en 19 (id., LIV, 11, 2), lorsqu’il y envoya Agrippa ; en 16-15 (id., LIV, 21 ; cf. Suétone, Tibère, 9), lors de son troisième séjour et de l’affaire de Licinus ; en 12 (Dion, LIV, 32, 1 ; Tite-Live, Ép., 137), lors du recensement de Drusus.

[113] Cf. t. V et t. IV, ch. V. En ce qui concerne les sacrifices humains auxquels présidaient les druides, il est à remarquer qu’Auguste ne les abolit point, les permit aux Gaulois, les interdit tantum civibus (Suétone, Claude, 25, 5) : ce qui prouve une extraordinaire tolérance de sa part. On devait livrer les condamnés aux prêtres [des cités ? des cités libres seulement ? ; aux prêtres non citoyens romains ?], ou autoriser les sacrifices volontaires. Voyez les récentes réserves de S. Reinach (Ac. des Inscr., C. R., 1913, 25 avril et 2 mai [à paraître dans la Revue archéologique]).

[114] Cela résulte de ce qu’aucun des changements dont on va parler n’est antérieur à 27 av. J.-C., et que les principaux suivent presque immédiatement, en 27, sa proclamation comme Augustus et l’organisation de son pouvoir (janvier).

[115] C’est pour cela que Marc-Antoine voulait la Gaule en 41, et que le sénat la lui refusait.

[116] Que la Narbonnaise ait été, depuis la mort de César, toujours en principe, presque toujours en fait, au moins depuis 22, séparée de la Gallia Comata, cela résulte des faits cités ailleurs, de l’assertion de Dion (LIV, 4, 1), de l’inscription de Cn. Pullius Pollio, procos. provinciæ Narb. peut-être vers 16-13 av. J.-C. (peut-être la première mention certaine du mot de Narbonnaise ; Dessau, n° 916 ; Revue de philologie, 1889, p. 129), de celle de T. Mussidius Pollianus (C. I. L., VI, 1466), s’il a été proconsul sous Auguste. — Que le morcellement en trois de la Gallia Comata date également d’Auguste, cela résulte de Strabon, IV, 1, 1. On admet d’ordinaire qu’il date du voyage de 27 av. J.-C. (Tite-Live, Ép., 134 ; Dion, LIII, 12, 5) : c’est possible, mais il peut y avoir des anachronismes dans ces textes.

[117] Gallia Belgica ou Belgica seulement.

[118] Il serait cependant possible que l’Armorique (Normandie et Bretagne) ait été à l’origine incorporée à la Belgique (cf. Strabon, IV, 4, 1 ; 3, 1), de manière à constituer un district militaire bordant à la fois la Germanie et la mer de Bretagne. Bien des liens, d’ailleurs, unissaient les deux contrées. — Inversement, Auguste laissa d’abord à la Celtique Lingons, Séquanes et Helvètes (Strabon, IV, 3, 1), qui furent peu après donnés à la Belgique (Pline, IV, 106), sans doute pour confier à un même gouverneur toutes les routes qui menaient au Rhin. — Les expressions de Strabon (IV, 1, 1), πρός τούς καιρούς et ποικίλως, indiquent un certain flottement.

[119] On trouve les deux noms dès le début ; Strabon, IV, 1, 1 ; 3, 1 ; Pline, IV, 105 : Celtica eademque Lugdunensis. On disait beaucoup plus fréquemment Lugdunensis, Lugudunensis, avec ou sans Gallia. L’expression de Celtica ne se rencontre pas en épigraphie et, semble-t-il, ne resta pas officielle.

[120] Éduens, Sénons, Parisiens. Et le nom de Celtique a été affecté à cette province peut-être parce qu’il a pu être jadis revendiqué surtout par les Éduens.

[121] Aquitanica ou Aquitania, avec ou sans Gallia ; Strabon, IV, 1, 1 ; 2, 2 ; Pline, IV, 105 et 108. — Le motif de cette réunion est évidemment le désir de donner aux quatre provinces une étendue à peu près égale. Ce que je ne comprends pas, c’est que le nom officiel ait été, dès le début, celui d’Aquitaine. Peut-être n’y eut-il là qu’un simple caprice administratif. Peut-être les Aquitains ou les Ibères s’étaient-ils jadis étendus au nord de la Garonne (ce que l’on peut également supposer à cause de l’extension du culte de Tutela, cf. t. V).

[122] Il est possible que cette réunion ne soit pas antérieure au voyage de 16-13 av. J.-C., puisque, vers cette date, Pullius Pollion se dit [comes, non legatus] Augus[ti i]n Gallia Comat[a, itemque] in Aquita[nia (Dessau, n° 916). — C’est sans doute sous auguste que Comminges et Conserans furent distraits de la Narbonnaise (cf. Pline, III, 32) et assignés à l’aquitaine (Pline, IV, 108 ; Strabon, IV, 2, 1), dont les rapprochait la nature de leurs populations.

[123] Les Ruteni provinciales ou le pays d’Albi furent alors, je crois, séparés de la Narbonnaise (cf. Pline, III, 37), pour être réunis sans doute aux autres Rutènes (cf. Pline, IV, 109).

[124] Strabon, IV, 2, 1 ; et voyez l’inscription de Pollion.

[125] Outre l’inscription de Pollion, remarquez les faits suivants. Agrippa, qui donnait dans ses Commentaires les dimensions de la Narbonnaise, indiquait, non les mesures particulières des trois autres Gaules, mais celles de la Gallia Comata prise dans son ensemble (Pline, IV, 105). En outre, Pline ne dit pas que cette dernière formait trois provinces, mais tria populorum genera (id.). Enfin, il n’est jamais question, sous Auguste, de légats spéciaux pour l’une d’entre les Trois Gaules, mais seulement pour la Germanie. Il est donc possible que le règlement primitif d’auguste prévit, non la création de trois provinces, nais de trois districts militaires, financiers et judiciaires, subdivisions d’une grande province.

[126] En 39-38. En 19. Dion, LIV, 11, 1 : Ταΐς Γαλατίαις : sans doute aussi la Narbonnaise. Dans les périodes où il n’y eut pas de grandes affaires d’organisation ou d’importantes conquêtes, l’ensemble (plutôt qu’une partie) de la Gallia Comata était confié à un personnage moindre, mais d’ordinaire consulaire : en 34 ou 33, Antistius Velus, prétorien, en supposant qu’il ait combattu les Salasses comme gouverneur en Gaule (Appien, Ill., 17) ; je doute qu’il faille placer à cette date un premier gouvernement de Messala en Gaule (Dion, XLIV, 38, 3) ; en 30 ou 29, C. Carrinas, consulaire ; en 30 ou 29, M. Nonius Gallus (douteux comme consulaire) ; en 287, le consulaire M. Valerius Messala Corvinus ; en 25, je doute que le prétorien M. Vinicius ait gouverné en Gaule ; en 16 (ou 17 ?), M. Lollius, consulaire ; peut-être, entre 39 et 27, Caïus Serenus, procos. Galliæ Transalpinæ, sans doute prétorien (si la fin de l’inscription de Qualburg, C. I. L., XIII, 8700, est authentique). Il n’est pas impossible, d’ailleurs, que jusqu’en 27, un gouverneur de rang prétorien se soit appelé legatus pro consule ou proconsul (Willems, Sénat, II, p. 724).

[127] Nero Claudius Drusus. De 13 (10) à 9 av. J.-C. Dion, LIV, 25, 1 ; 32, et jusqu’à LV, 1. Celui-ci et les suivants, sans doute sans la Narbonnaise.

[128] Tiberius Claudius Nero, puis Tiberius Julius Cæsar. En 16-15 av. J.-C., Suétone, Tibère, 9 : Galliam Comatam ; Dion, LIV, 19, 6 ; cf. 22. — En 9-7 av. J.-C., Dion, LV, 2, 1 ; 6, 1 ; 8, 3. — En 4-5 (6 ?) ap. J.-C. Dion, LV, 13, 1 ; 29, 1 ; etc. — En 10 (9 ?)-11, LVI, 23, 3 ; 25, 2 ; etc.

[129] Nero Claudius Germanicus ?, puis Germanicus Julius Cæsar. En 11 ap. J.-C., avec Tibère, Dion, LVI, 25, 2. — En 12 [??] et en 13, Suétone, Cal., 8. — En 14, Tacite, Ann., I, 31. — Cf. Tacite, Ann., I, 3 ; Velleius, II, 123 ; Orose, VII, 4, 3.

[130] Ils étaient d’ordinaire pourvus du titre de legati Augusti, mais je crois avec l’imperium proconsulare (Dion, LVI, 25, 2 ; consulare et imperatorium nomen, Valère Maxime, V, 5, 3).

[131] Cette mesure, outre qu’elle est logique dans l’État romain, résulte des mentions Segusiavi liberi, Vellavi liberi (Pline, IV, 107 et 109) : liberté, sans doute, par rapport à Rome, mais à plus forte raison par rapport à la nation autrefois souveraine. — La chose a pu être faite sous la dictature de César.

[132] La chose a dû être faite sous Auguste, peut-être à l’occasion de l’acte fédéral de Lyon, peut-être dès le temps d’Agrippa, puisque la plupart manquent dans les listes de Pline, qui doit s’inspirer de ses Commentaires. — L’hypothèse, que quelques-unes de ces petites peuplades auraient été représentées à l’autel du Confluent, n’exclut pas le fait que, au point de vue administratif, elles aient été incorporées à une grande cité. — Sur ces pagi, ch. VIII, § 12.

[133] Anagnutes ? (Pline, III, 108). — De même, réunion aux Pictons des Ambilatri (de Vendée ?, id.). — De même, rapprochement des deux groupes de Ruteni. — En Lyonnaise, Pline ne cite pas les Mandubii d’Alésia, les Ambarri, les Aulerci Brannovices, les Ambivareti, etc., du pays éduen ; il ne conserve, dans ce pays, que les Boii, d’ailleurs incorporés aux Éduens au point de vue administratif (IV, 107). — Disparition des Ambiliati et Ambibarii en Armorique.

[134] Chiffres assez habituels pour les pagi d’une cité.

[135] Tungri, Pline, IV, 106. Tourneur, L’Origine des Tongrois, Louvain, 1908. — Autres groupements, dans le Nord, de tribus en cités définitives : sous les noms des Nervii (Pline, IV, 106), des Morini (id.), des Menapii (id.).

[136] Pro Novem Populis, inscr. d’Hasparren, seconde moitié du IIe siècle ? (C. I. L., XIII, 412). — Le dilectator per Aquitanieæ XI populos, sous Hadrien ? (C. I. L., XIII, 1808), me parait se rapporter à cette même Aquitaine, avant la réduction à neuf peuples (si du moins le chiffre de XI n’est pas une interversion pour IX). — La concentration en 1 ou 9 cités est postérieure à Agrippa et peut-être même à Auguste, puisque Pline cite 28 tribus (IV, 108), et que Strabon (IV, 2, 1) parle de plus d’une vingtaine. A la liste de Pline, il en manque 4, que cite César (De b. G., III, 27). Il est donc possible que le groupement se soit fait peu à peu, allant de 32 à 28, à 20 ou plus, à 11 ou 9. — Il n’y a pas à se préoccuper, comme on le fait d’ordinaire, de ce que Ptolémée (II, 7, 8, 11 et 13) ne mentionne que 5 peuplades.

[137] Voici les tribus mentionnées par Pline ; je marque par un astérisque * les noms qui ont survécu dans l’organisation municipale nouvelle Boviates (Boiates, cité de Buch) ; * Convenæ (Comminges) ; * Begerri (Bigorre, cité de Tarbes) ; * Tarbelli Quattuorsignani (cité de Dax) ; Cocosates Sexsignani (groupés plus tard avec Dax ?) ; Venami (Béarn ? groupés peut-être d’abord avec Dax, détachés ensuite) ; Onobrisates ; Belendi (Belin ?, groupés avec Bazas ?) ; Monesi (Onesii ?, Luchon ?, groupés avec le Comminges ?) ; Oscidates montani (dans la cité d’Oloron ?) ; Sybillates (Soule, groupés avec Dax) ; Camponi (Campan ?, groupés avec Tarbes ?) ; Bercorcates (Born ?, groupés avec Buch ?) : Pinpedunni (les Cinq Vallées ? ou plutôt les Cinco-Villas sur la Bidassoa dans le futur diocèse de Bayonne) ; Lassunni ; Vellates ; Toruates [Tarusates ?] ; * Consoranni (Couserans) ; * Ausci (Auch) ; * Elusales (Éauze) ; Sottiates (Sos, groupés avec Éauze) ; Oscidates campestres (dans la cité d’Oloron ?) ; Succasses : Latusates (pour * Lactorates, Lectoure) ; Basabocates (pour * Basates, Bazas) ; Vassei ; Sennates [cf. Sellatis dans les Nolæ Tiron., t. 87, l. 75] ; Cambolectri Agessinates (dans le Conserans ?). — Les noms suivants, d’après César (III, 27, 1) : Ptianii ; Gates ; Garumni ; Tarusates (Tartas ?, réunis à Dax ?).

Aux neuf noms de cités que nous venons d’indiquer (Dax, Auch, Éauze, Lectoure, Buch, Bazas, Bigorre, Comminges, Conserans) la Notitia Galliarum (14) en ajoute trois autres : Béarn, Oloron, Aire (Aturenses ou vicus Julii). Ces trois cités, auxquelles ont appartenu quelques-unes des tribus énigmatiques de cette liste, ont pu être constituées après la date de l’inscription d’Hasparren, mentionnant les Novem Populi. Mais il serait possible que deux d’entre elles, Oloron et Béarn, fussent plus anciennes, et que l’on ait dit tantôt Novem, tantôt Undecim Populi, suivant qu’on ait ou non compris parmi eux Comminges et Conserans. — On remarquera que, de toutes ces cités, celle de Dax a été de beaucoup la plus avantagée, peut-être à cause du séjour qu’y fit Auguste. — Dans des sens différents du nôtre : Sacaze, Inscr. ant. des Pyr., 1892, p. 542 et s. ; Bladé, Géogr. pol. du S.-O. de la Gaule, dans les Annales du Midi, V, 1893, et souvent ailleurs ; Allmer, Revue épigr., 1895, III, p. 388 et s. ; Hirschfeld, Aquitanien, dans les Sitzungsb. de l’Acad. de Berlin, 1896, XX, p. 435 et s. ; etc.

[138] Μητρόπολις, dit de ces capitales Strabon (IV, 2, 3 ; 3, 5), lequel d’ailleurs, comme Pline, se préoccupe presque exclusivement, dans la Gaule Chevelue, des peuplades et de leurs noms, négligeant leurs capitales.

[139] En admettant, ce qui est fort possible pour ces trois cités, qu’elles n’aient pas eu avant Auguste leur oppidum central. — Voici toutes les métropoles dont le nom remonte à Auguste, ou, pour quelques-unes, peut-être à César ; je marque avec un astérisque * celles qui ont certainement remplacé un oppidum central connu des temps indigènes. — I. En Narbonnaise : Alba Augusta, Aps chez les Helviens du Vivarais (me parait certain, Ptolémée, II, 10, 8) ; Augusta Tricastinorum, Saint-Paul-Trois-Châteaux ; cf. Apta Julia Vulgientium, Apt ; cf. aussi Vasio ou Julienses. — II. Dans l’Aquitaine pyrénéenne : Aquæ Augustæ Tarbellorum, Dax ; * Augusta Ausciorum, Auch, l’ancienne Iliberris. Vicus Julii Aturensium, Aire, ne peut pas avoir été au début une métropole de civitas. — III. Dans l’Aquitaine gauloise : * Augustonemelum Arvernorum, Clermont ; Augustoritum Lemovicum, Limoges. — IV. En Celtique : * Augustodunum Edaorum, Autun ; Cæsarodunum Turonurn, Tours ; Juliomagus Andecavorum, Angers ; Augustobona Tricassium, Troyes ; Augustodurum Baiocassium, Bayeux ; Juliobona Caletorum, Lillebonne. — V. En Belgique : Cæsaromagus Bellovacorum, Beauvais ; * Augusta Suessionum, Soissons ; * Augusta Viromanduorum, Saint-Quentin ; Augusta Treverorum, Trèves ; Augustomagus Silvanectum, Senlis ; Augusta Rauricorum, Augst. — Pour ces noms, surtout Ptolémée, II, 7-10 ; cf. Desjardins, III, p. 435 et s. ; Hirschfeld, C. I. L., XIII, Ire p., préfaces.

[140] Le fait est surabondamment prouvé par la comparaison des ruines de Bibracte et de Gergovie avec celles d’Autun et de Clermont, ruines qui, dans le temps, se substituent les unes aux autres. — La date peut être tirée de ce que les monnaies, à Bibracte, s’arrêtent vers 6 ou 5 av. J.-C. (Bulliot, Fouilles, I, p. 473 ; Déchelette, Les Fouilles du mont Beuvray, 1904, p. 118-119) : la mesure a dû être prise, au moins pour Bibracte, vers le temps du cens et de l’autel du Confluent, et par Drusus. — De semblables transferts de capitales ont dû se produire sur bien des points. En Belgique : Augusta, Soissons, dans la plaine, sur les bords de l’Aisne, a dû remplacer alors l’oppidum voisin de Noviodunum (à Pommiers ?) ; Cæsaromagus, Beauvais, celui de Bratuspantium ; Augusta, Saint-Quentin, celui de Vermand. Vraisemblablement aussi, en Aquitaine : Cahors ou Divona (nom de source), Périgueux ou Vesunna (id.), Limoges ou Augustoritum (ritum = gué, sur la Vienne), et Agen sur la Garonne, ont remplacé des oppida installés sur des collines voisines : Cahors a pu succéder à Mursens, Périgueux à l’oppidum d’Écornebeuf, Agen à celui de l’Ermitage (Momméja, L’Oppidum des Nitiobriges, 1903, extrait du Congrès arch. d’Agen, LXVIII) ; on a supposé, pour le précurseur de Limoges, le Montceix à Chamberet, c’est un peu loin de la ville romaine. De même, Toulouse en Narbonnaise. On en trouverait d’autres en Armorique et dans les cités de la Loire moyenne. — Cf. t. V.

[141] Un fait cependant à noter, au sujet de ce lien avec le passe, est que l’on adore à Autun, comme si elle s’y trouvait, la déesse éponyme, source et ville, de Bibracte (inscriptions d’Autun dex Bibracti, XII, 2652-3). Peut-être y a-t-il eu quelque transfert solennel de culte et de nom, comme l’Antiquité en a connu (Schmidt, Kultübertragungen, 1909), ce qui explique que le Panégyriste ait pu donner à Autun le nom de Bibracte.

[142] Voyez les exemples d’Arras, Amiens, Reims, dans le Nord, etc. — Je me demande même si l’installation de Celtes à Autun et Clermont comme métropoles n’a pas précédé la dénomination de ces villes au nom d’Auguste. En effet, Strabon cite comme métropole des Arvernes Clermont, et sous le nom de Νεμωσσός (IV, 2, 3) ; et Autun, avant de s’appeler Augustodunum, a peut-être voulu prendre le nom et le culte de Bibracte.

[143] Auguste (Res gestæ, 5, 35, p. 119) spécifie qu’il n’a envoyé de colonies qu’en Narbonnaise. Sa politique, à cet égard, a pu, être délibérément différente de celle de César.

[144] Cela résulte de l’importance des indigènes (noms et cultes) dans la plupart de ces cités coloniales, chefs-lieux et territoires. Mais je ne peux pas ne pas admettre également l’envoi de colons, légionnaires, soldats auxiliaires, civils d’Italie, vu la très grande importance de l’élément latin au moins au chef-lieu. D’ailleurs, achat de terrains, installation de vétérans, fondations nombreuses, sont formellement attestées pour la Narbonnaise, par exemple en l’an 16-15, lors de son troisième séjour ; Dion, LIV, 23, 7 ; Res gestæ, p. 62-5, 119. — C’est de ce voyage d’Auguste (Dion, ibid.) que doivent dater la plupart de ces colonies : voyez l’inscription de Nîmes ; et remarquez que Pline, qui parait se servir des Commentaires d’Agrippa, sans doute antérieurs à cette date, n’en mentionne aucune. — Je n’attache pas une grande importance à la présence ou à l’absence du nom de Augusta, car ce nom a pu être omis sur les inscriptions. — La plus grosse question que provoque l’étude de ces colonies, est si elles sont latines ou si, comme celles de César, elles sont romaines. Ce qui, avec grande hésitation, me les fait croire romaines, c’est : 1° la multiplicité des citoyens, mentions de tribus, etc., qu’on y constate ; 2° les titres et noms impériaux qui leur furent donnés ; 3° l’importance qu’Auguste attribua à leur deductio. Mais il n’empêche que la qualité de ville romaine a pu être réservée à la colonie du chef-lieu, et la condition latine attribuée aux pagi et oppida dépendant de ce chef-lieu (cf. Pline, III, 37). Débat semblable sur Vienne. — Cf. Zumpt, Commentationes, I, p. 412 et s. ; Herzog, p. 91-6 ; Kornemann ap. Wissowa, IV, c. 517-8 ; Clerc, Aquæ Sextiæ, p. 151-163.

[145] Mentionnée comme colonie seulement par Ptolémée (II, 10, 6). Mais il me parait impossible que la colonisation ne date pas d’Auguste : la ville était trop importante et elle renfermait trop d’éléments latins ; c’est elle qui a livré la plus ancienne inscription de la Gaule, datée de 47 av. J.-C., et trouvée à Vieille-Toulouse (C. I. L., XII, 5388). — L’abandon de la colline de Vieille-Toulouse pour la plaine où est aujourd’hui Toulouse, est postérieur à cette date de 47, mais, je crois, contemporain d’Auguste (C. I. L., XII, 5386-7). Cf., là-dessus, les excellentes remarques de B[arry], H. g. du Languedoc, I, p. 184. — Dans la même région des Volques Tectosages, il faut également citer, comme colonie d’Auguste, Carcassonne, c(olonia) J(ulia) C(arcaso) (C. I. L., XII, 5371). — Chez les Sordes ou les Bébryces du Roussillon, Ruscino, Roussillon, a dû devenir colonie (cf. Pline, III, 32 ; Thiers, Bull. arch., 1912, p. 85) ; mais l’argument tiré d’une monnaie doit être écarté (Chabouillet, Catalogue, p. IX-XI).

[146] Nîmes était chez les Volques Arécomiques, et, comme Toulouse chez les Volques Tectosages, en qualité de métropole (Strabon, IV, 1, 12). Son titre officiel est colonia Augusta Nemausus. L’inscription de la Porte d’Auguste (C. I. L., XII, 3151) montre que la déduction de la colonie est au plus tard de 16 av. J.-C. : cette inscription indique que, à cette date, Augustus portas, muros coloniæ dal, sans doute lors de son séjour en Gaule, et, comme à cette date il fonda en Gaule nombre de colonies, on peut croire que Nîmes fut de ce nombre. Il est possible, cependant, qu’il y ait eu alors seulement une nouvelle déduction de vétérans, et que limes ait déjà joui, peut-être depuis le triumvirat ou depuis 27, du titre colonial : car les monnaies à la légende NEM COL (argent, Cab., n° 2717-24 ; petits bronzes, n° 2725-39) paraissent antérieures à cette date de 16. En revanche, les fameuses grandes monnaies de bronze de Nîmes (n° 2740-2877), à la légende COL NEM [remarquez l’interversion], au crocodile enchaîné, au palmier, aux têtes d’Auguste et d’Agrippa, paraissent contemporaines de cette date et peut-être la conséquence des mesures alors prises par l’empereur. Ces images font évidemment songer à quelque rapport avec l’Égypte : ce qui parait confirmé par l’existence à Nîmes de cultes et de noms égyptiens (C. I. L., XII, 3043, 3058-61). D’où l’hypothèse (Hirschfeld, Wiener Studien, V, 1883, p. 319 et s., et C. I. L., XII, p. 833 : Allmer, Rev. épigr., II, p. 8-10), qu’Auguste y aurait envoyé des soldats d’Antoine soumis ou transfuges autrefois, au temps de la bataille d’Actium. Et c’est possible ; comparez les colons grecs amenés par César à Côme, Strabon, V, 1, 6. Je me suis demandé si cet emblème, crocodile et palmier, ne rappelle pas l’enseigne de la troupe qui aura colonisé Nîmes. Et j’incline à croire, comme Frœhner (Le Crocodile de Nîmes, 1872), que la monnaie représente moins un symbole que des objets déterminés, conservés dans quelque sanctuaire nîmois. — Autre colonie chez les Volques Arécomiques, je crois : Lodève, Forum Neronis (Pline, III, 37), ensuite C(olonia) Claud(ia) Luteva (C. I. L., XII, 4247 ; peut-être seulement sous Claude, peut-être sous Auguste en l’honneur du père de Tibère, qui y aurait établi un marché. — Il a dû y avoir une autre colonie dans la région maritime, sans doute Substantion près de Montpellier, le Sextantio des textes (C. I. L., XII, p. 507 et n° 4189).

[147] Colonia Julia Apta (C. I. L., XII, p. 137). Je crois le titre de Julia antérieur et étranger à celui de colonia, et donné ou pris dès le temps de César (Apta Julia Vulgientium, Pline, III, 36).

[148] Légende COL CABE dans des monnaies d’Auguste, entre 23 et 6 av. J.-C. (petits bronzes ; Cab., n° 2550-62 ; cf. n° 2563-85).

[149] Colonia Julia [Carpentorate] Meminorum, C. I. L., XII, 1239. Ce paraît être, comme Lodève, un ancien Forum Neronis transformé.

[150] C(olonia) Julia) [plus tard aussi Had(riana)] Avennio, chez les Cavares ; C. I. L., XII, 1120 ; Ptolémée, II, 10, 8.

[151] Col(onia) Julia ou Julia Augusta Aquæ Sextiæ ; C. I. L., XII, p. 65. — Lors de la création de la colonie, on opéra une délimitation entre les territoires d’Arles, fines Arelatensium, et d’Aix, fines Aquensium, et nous possédons encore bon nombre d’inscriptions des pierres de bornage ; en dernier lieu : Albanès, Gallia Christiana novissima, Aix, c. 3-10 ; Clerc, Aquæ Sextiæ, p. 165 et s. — Autres colonies à l’est du Rhône : Riez, Alebece Reiorum Apollinarium (Pline, III, 36), ensuite colonia Julia Augusta Apollinaris Reiorum (C. I. L., XII, p. 49). — Chez les Voconces, Die, col. Dea Augusta Vocontiorum (XII, 690), le titre de colonia sans doute postérieur au nom et à Auguste. — Dans les Alpes Maritimes, Digne, col. Dinia Lub[entia ?], peut-être également postérieure à Auguste ; XII, 6037, p. 863.

[152] Il y a doute sur ce point : car, même après la remise de la Narbonnaise au sénat, il parait y être revenu pour coloniser.

[153] D’après Dion, LIV, 4, 1.

[154] Μηδέν τών όπλων αύτοΰ δεομένας, Dion ; le même, LIII, 12, 2 ; inermes provinciæ, Tacite, Hist., I, 11 ; II, 81 ; III, 5 ; Strabon, XVII, 3, 25. — La présence de la flotte de Fréjus ne modifiait que faiblement ce caractère civil de la province, cette flotte se trouvant à l’angle de la province, dans la ville la plus voisine de la frontière.

[155] Dion, LIII, 12 : Strabon, XVII, 3, 25.

[156] A Rome très certainement (Fustel de Coulanges, La Cité antique, p. 186 et s.). Très probablement dans les provinces : les bas-reliefs de l’arc de Suse peuvent représenter le recensement et la lustratio des quatorze cités de Cottius. Remarquez la coïncidence de la fondation de l’autel du Confluent, de la présence, là, des chefs gaulois (Dion, LIV, 32, 1), et des opérations du recensement.

[157] Cf. Josèphe, A. J., XVII, 13 [15], 5 ; De mortibus persecutorum, 23 ; discours de Claude, C. I. L., XIII, 1668.

[158] C’est le mot de Claude (C. I. L., XIII, 1668) : Ut publice notæ sint facultates nostræ exquiratur.

[159] Tite-Live, Ép., 134 ; Dion, LIII, 22, 5.

[160] Cela paraît résulter du silence des auteurs.

[161] Tite-Live, Ép., 137 ; discours de Claude, C. I. L., XIII, 166S ; cf. Dion, LIV, 32, 1. — Recensement confié à Germanicus en l’an 11 ap. J.-C. ; Tacite, Ann., I, 31 et 33.

[162] Discours de Claude, fin du fragment. Cf. Manilius, IV, 692-3 : Stupefacta Gallia per census.

[163] Il voulait sincerum ab omni colluvione peregrini ac servilis sanguinis incorruptum servare populum ; Suétone, 40, 3.

[164] Civitates Romanas parcissime dedit, Suétone, ibid. Toutefois, à propos du séjour d’Auguste en Gaule en l’an 15-13, Dion signale qu’il donna et ôta la cité et la liberté aux uns ou aux autres (LIV, 25, 1) : il y eut sans doute alors une révision des titres de cités et des listes de citoyens, prélude du recensement de l’an 12. Et il s’agit peut-être d’indigènes faits colons.

[165] Suétone, ibid. : il préféra (car c’était un Gallus tributarius) lui offrir l’immunité fiscale, rien ne lui étant plus désagréable quam civitatis Romanæ vulgari honorem.

[166] Les seuls progrès que nous trouvions dans ce sens sont les suivants. — La possession du jus Latii, alors, me parait certaine pour toutes les métropoles de cités et beaucoup de vici de la Narbonnaise (Pline, III, 32-37 ; sauf Marseille) : rien ne prouve que l’octroi de ce droit ne date pas de César, du sénat ou des triumvirs. — La possession de ce droit est également prouvée en ce temps pour les cités d’Auch et du Comminges, entre autres de l’Aquitaine (Strabon, IV, 2, 2) : même remarque. — Quant aux colonies romaines envoyées ensuite dans ces mêmes cités latines de la Narbonnaise, rien ne prouve que, de ce fait, tous les habitants aient reçu la bourgeoisie. — Pline (III, 135) attribue le droit latin aux cités des Alpes Cottiennes, aux Ceutrons de la Tarentaise (chef-lieu, Forum Claudii Axima), à Octodurus dans le Valais (Forum Claudii également, chef-lieu des Varagri), et à des cités de Ligures montani et capillati des Alpes Maritimes (peut-être Digne et celles des cités du pays qui ne sont pas mentionnées sur le Trophée). Cela peut venir d’Auguste, qui aura récompensé ces peuples de n’avoir point pris part aux guerres contre Rome (cf. Suétone, Auguste, 47). Mais cela peut aussi venir de Claude ou, à la rigueur, de Néron, qui s’occupèrent d’assez près des Alpes. — Dans un sens différent, on a attribué à Auguste toutes ces distributions du jus Latii en Gaule (Hirschfeld, Festschrift... des Arch. Instituts, 1879, p. 9. — Il est fort possible que les Santons aient eu le Latium dès Auguste.

[167] Cf. Dion, XLIV, 42, 4 et 5.

[168] On évaluait à 7 ou 8 millions la population de l’Égypte (Pietschmann ap. Wissowa. R.-E., I, c. 990), un tiers au plus, je crois, de celle de la Gaule. La surface utile est certainement beaucoup plus étendue en Gaule qu’en Égypte.

[169] On estimait (Jérôme, Comm. in Dan., XI, 5, Migne, P. L., XXV, c. 560) le tribut de l’Égypte, sous Ptolémée II Philadelphe (285-246), à 14.800 talents, soit 70 millions de francs environ ; cf. Rühl, Neue Jahrbücher für Phil., CXIX, 1879, p. 621 ; Hultsch, Metrologie, 2e éd., p. 649.

[170] Ce n’est que de cette manière, et en tenant compte, en outre, des sommes rapportées par les impôts indirects, que peut s’expliquer le texte de Velleius (II, 39, 2) : Divus Augustus pæne idem facta Ægypto stipendiaria, quantum pater ejus Galliis, in ærarium reditus rettulit. Le passage de Dion sur Licinus (LIV, 21, 4) implique d’ailleurs des augmentations d’impôts.

[171] Suétone, Auguste, 67, 1.

[172] C’est sans doute le vrai nom, Licinus et non Licinius ; Dion, LIV, 21, 3, note de Boissevain ; Prosopographia, II, p. 283.

[173] Έπίτροπος τής Γαλατίας, Dion, LIV, 21, 3 ; curationi Galliarum præpositus, Pseudo-Probus ap. Juvénal, I, 109, Jahn, p. 181. Peut-être (cela n’est point prouvé) procurator Galliæ Comatæ (cf. Hirschfeld, Verwaltungsb., p. 377). II séjournait à Lyon (Sénèque, De m. Cl., 6, 1).

[174] Le mois de décembre, disait-il, ne pouvant être que le 10e mois, il créa deux mois qu’il appela 11e et 12e, et fit payer pour eux (Dion, LIV, 21. 5). J’ai peine à croire à cette grossière plaisanterie fiscale. Il est probable que Licinus voulut appliquer à certains impôts le calendrier celtique, qui, étant lunaire, comportait pour une période de cinq ans, outre les cinq séries des 12 mois ordinaires, 2 mois intercalaires, et faire ainsi deux mensualités fiscales supplémentaires, chacune d’elles égale à ce qu’eût comporté le mois de l’année officielle. — Sur les supercheries de ce Licinus, cf. encore Macrobe, II, 4, 24.

[175] Γαλάτης dit Dion, LIV, 21, 3 ; Germanus, dit le Pseudo-Probus.

[176] Multis annis regnarit, Sénèque, De m. Cl., 6, 1.

[177] Dion, LIV, 21, 6-8.

[178] Dion, LIV, 21, 6 (qui prouve qu’Auguste fit une enquête très minutieuse). Malgré tout, il demeura fort riche, et sa fortune resta proverbiale : Pseudo-Probus, l. c., p. 181, Jahn ; Dion, 21, 6-8 ; Juvénal, I, 109 ; XIV, 305-6 ; Perse, II, 36 ; Sénèque, Ép., 119 [XX, 2], 9 ; 120 [XX, 3], 19 ; Sidoine, Ép., V, 7, 3 ; Varron d’Atax ap. Scholiaste de Perse, II, 36, Jahn, et Poetæ Lat. min., Bæhrens, IV, p. 64 ; Martial, II, 32, 2 ; VIII, 3, 6.

[179] Sans doute dès son premier gouvernement, en 39-38.

[180] Ce que Strabon appelle (IV, 6, 11) le réseau des routes d’Agrippa, consiste essentiellement dans les lignes suivantes : 1° de Lyon à la Méditerranée (sans doute par la rive gauche du Rhône), de manière à rejoindre l’ancien réseau du Midi, lequel comprenait la voie du littoral ou Aurélienne, la voie du Languedoc et de la Durance vers le Genèvre ou Domitienne ; 2° la voie d’Aquitaine par les montagnes, Saintes et Bordeaux ; 3° la voie de la Manche par Beauvais et Amiens ; 4° la voie du Rhin, se détachant de la précédente à Langres. — Strabon ajoute ici les deux voies alpestres partant de Lyon, par le Grand et le Petit Saint-Bernard. Il ne dit pas qu’elles soient l’œuvre d’Agrippa, et elles ont pu être commencées avant lui. — Sur ces réseaux, t. V.

[181] Indiqué nettement par Strabon (IV, 6, 11) : Έντεΰθεν τάς όδούς, etc.

[182] Tacite, Hist., IV, 74 ; discours de Claude, C. I. L., XIII, 1668.

[183] Il n’est pas impossible que les Gaulois aient rapproché ce rôle de Teutatès, dont ils ont fait Mercure, et celui d’Auguste, auquel les Romains ont également donné ce nom de Mercure (cf. Beurlier, Le Culte impérial, p. 14 et 41, et, avec des réserves, Riewald, De imp. Rom. cum certis dis et comparatione et æquatione, Halle, 1912, p. 268-9).

[184] C. I. L., XIII, 5010, 6211 ; cf. Suétone, Tibère, 37, 1.

[185] Tacite, Annales, IV, 5 : Rostratæ naves, quas Actiaca victoria captas Augustus in oppidum Forojuliense miserat valido cum remige.

[186] Routes des Alpes Cottiennes (Suétone, Tibère, 37, 3) ; cols des Alpes Maritimes et voie Aurélienne sur le rivage (Tacite, Hist., II, 14).

[187] Du reste, Marseille, dès avant la conquête romaine, avait commencé à se conformer au type du denier latin. De même, Ampurias.

[188] Voyez, par exemple, les pièces simissos publicos Lixovio, demi-as public des Lexoviens, Cab., n° 7156-68.

[189] Cela, évidemment, va de soi.

[190] Il y a à Lyon un atelier dès le temps de Plancus. Strabon, IV, 3, 2 ; C. I. L., XIII, 1499.

[191] Juliomagus = forum Julii, Angers : Ptolémée, II, 8, 8 ; Table de Peutinger ; Comm. notarum Tironianarum, t. 87, 29. — Dans le même sens de marché de Jules ?, Juliobona, Lillebonne, chez les Calètes : Ptolémée, II, 8, 5 ; Itinéraire Ant., p. 382 et 385, W. ; Table de Peutinger.

[192] Cæsaromagus = forum Cæsaris, Beauvais : Ptolémée, II, 9, 4 ; Itinéraire Ant., p. 380 et 384, W. ; Table de Peutinger. — Augustomagus, Senlis, chez les Silvanectes : Itinéraire Ant., p. 380, W. ; Table de Peutinger. — Dans le même sens ?, Augustobona, Troyes, chez les Tricasses : Itinéraire Ant., p. 383, W. ; Ptolémée, II, 8, 10 ; Table de Peutinger.

[193] Forum Segusiavorum : Ptolémée, II, 8, 11 ; Table de Peutinger. — Forum Neronis, Carpentras. — Forum Neronis, Lodève. — Drusomagus, sans doute Sion, métropole des Seduni dans le Valais : Ptolémée, II, 12, 3 ; cf. C. I. L., XII, p. 22. — Du temps de Claude doivent être les Forum Claudii des Alpes.

[194] Germanicomagus : Table de Peutinger (où il faut corriger S en G) : ce sont les ruines du Bois-des-Bouchauds, près de Saint-Cybardeaux, Charente (cf. Chauvet, Sermanicomagus, Ruffec, 1902). Germanicomagus, sur la route de Saintes à Limoges et Lyon, me parait avoir été, chez les Santons, marché et sanctuaire de frontière, entre les tribus des Santons proprement dits (future cité de Saintes) et les tribus de la future cité d’Angoulême. — Un Juliomagus (Table de Peutinger), au nord du Rhin, Schleitheim près de Schaffouse, pourrait être postérieur à Auguste. — Ajoutez, sur la voie Aurélienne, entre Fréjus et Aix, Forum Voconii, nommé ainsi, avant 43 av. J.-C., de quelque gouverneur de la Narbonnaise (peut-être Q. Voconius Naso, préteur en 64 ; Willems, Sénat, I, p. 463. — D’une origine semblable, peut-être, Glanum Livi [Libii dans les manuscrits], Saint-Remy en Provence (Pline, III, 37).

[195] Ornatissima valentissima colonia, XIII, 1668.

[196] Car il ne faut pas oublier que ces légions étaient, sur le Rhin, pour menacer la Gaule aussi bien que les Germains : Præcipuum robur Rhenum juxta, commune in Germanos Gallosque subsidium ; Tacite, Ann., IV, 5.

[197] Drusus a séjourné à Lyon en 12 ; sa femme Antonia, fille du triumvir, y a fait ses couches en 10 av. J.-C., pour y donner naissance au futur empereur Claude, le ter août, au moment des fêtes de l’autel (Suétone, Claude, 2, 1). — Séjour et mort à Marseille, le 20 août, 2 ap. J.-C., du petit-fils d’Auguste, Lucius Julius César, se rendant en Espagne (Dion, LV, 10 a, 9 ; Suétone, Auguste, 65, 1 ; Florus, II, 32 [IV, 12, 421 ; Velleius, II, 102, 3. Prosop., II, p. 181). — Dans le même ordre d’idées, on peut rappeler qu’Auguste, en l’an 6 ap. J.-C., a fixé Vienne comme lieu de résidence à Archélaüs, fils d’Hérode, et ce séjour n’allait sans doute pas sans une petite cour (Josèphe, De b. J., II, 7 [10], 3 ; Ant. Jud., XVII, 13 [15], 2 ; Dion, LV, 27, 6 ; Strabon, XVI, 2, 46).

[198] Dion, LIV, 25, 1 ; 32, 1. Je crois bien qu’Auguste ou son représentant assistèrent régulièrement aux fêtes de Lyon. — Outre les monuments et images dont nous parlerons plus loin, remarquez l’inscription consacrée à Tibère chez les Nerviens (C. I. L., XIII, 3570), sans doute à l’occasion d’un passage à Bavai entre 4-5 ou 10-11 ; cf. per tractum omnem Galliarum... gratularentur, en 4 (Velleius, II, 104, 3).

[199] Sénèque, Quæst. nat., V, 17, 5. On aimerait à savoir en quel endroit.

[200] C. I. L., XII, 145, 146, 3156, 4333 ; Dion, LIV, 25, 1.

[201] Divus Augustus, cum ei Galli torquem aureum centum pondo dedissent ; Quintilien, VI, 3, 79. Il est possible que la chose ait été décidée au conseil de l’autel. Cent livres, cela faisait 32.745 grammes, soit environ 4200 aurei, 113.000 francs environ : ce collier devait représenter, comme dimensions, celui que les nautes parisiens offrirent plus tard à Tibère, et qui est figuré sur leur monument.

[202] Comparez au texte de Quintilien (note précédente) celui de Florus (I, 20, 4) : (Galli) vovere de præda Marti suo torquem.

[203] Cf. Tite-Live, Ép., 137 ; Dion, LIV, 32, 1. On a, sur la foi de Suétone (Claude, 2, 1), préféré parfois la date de 10 (Toutain, Antiquaires de France, vol. du Centenaire, p. 455-8). — Contrairement à l’opinion courante, je crois que c’est l’autel de Lyon, et non un temple à Langres, qui est visé par Cassiodore (Chronica, p. 135, Mommsen) à la date de 9 av. J.-C. : Apud Lingonum gentem [pour Lugdunum] templum Cæsari Drusus sacravit.

[204] Il ne serait pas impossible qu’il y eût un rapport entre les fêtes de l’autel, les images qui l’accompagnaient et les cérémonies du recensement.

[205] Tite-Live et Dion, l. c. ; Suétone, Claude, 2.

[206] Ara Cæsari, dit Tite-Live, mais César doit être ici pour Auguste, comme partout ailleurs dans l’Épitomé, Cf. Strabon, IV, 3, 2 (Καίσαρι τώ Σεβαστώ) ; Suétone, Claude, 2 ; Dion, LIV, 32, 1 ; C. I. L., IIII, 1664 ; Cab., n° 4691-4776.

[207] Suétone, Claude, 2.

[208] Strabon, IV, 3, 2, qui, en indiquant ce chiffre de 60, ajoute qu’il était représenté : 1° par une inscription sur l’autel, donnant les noms des cités ; 2° par les images de ces cités (autour de l’autel ?) ; cf. l’arc de Suse.

On ne peut arriver à reconstituer ce chiffre de 60 cités que de deux manières. — Y intercaler, soit quelques cités de l’Aquitaine non gauloise, soit des Germaniæ gentes accolentes en Belgique (Pline, IV, 106 ; ici, plus loin). C’est la manière courante (Desjardins, III, p. 168 et s. ; Kornemann, Die Zahl der Gallischen civitates, dans Klio, I, 1901). J’hésite à l’accepter. Car l’Aquitaine ibérique a toujours été, en principe, distincte de la Gaule Chevelue, et les cités germaniques sont mentionnées à part par Pline. — Je préfère recourir à un autre système : ajouter aux grandes cités connues un certain nombre de cités obscures ou de tribus, mentionnées seulement par Pline dans sa statistique des Gaules. Pline semble bien emprunter ces noms aux Commentaires d’Agrippa, qui avaient une valeur officielle : Agrippa n’eût point fait figurer ces noms si ces cités ou tribus n’avaient pas eu une certaine individualité. Comme il s’agissait d’une assemblée religieuse, il est possible que le nombre de ces cités ait été ancien et consacré, et que, pour le perpétuer, on ait maintenu la représentation d’antiques peuplades, disparues comme organes politiques ou civitates (par exemple, celle des Boïens, fondus, en tant que cité, avec les Éduens). — Voici donc la liste de Pline (IV, 105-9) : je marque par un astérisque * celles des cités qui ont disparu (du moins à ce qu’il me semble) comme districts municipaux. — I. AQUITAINE (gauloise) ; 1° * Ambilatri ; 2° * Anagnutes ; 3° Pictones ; 4° Santoni ; 5° Bituriges Vivisci ; 6° Bituriges Cubi ; 7° Lemovices ; 8° Arverni ; 9° Vellavi ; 10° Gabales ; 11° Ruteni ; 12° Cadurci ; 13° Nitiobroges ; 14° Petrocori. Un argument de plus pour incorporer dans cette liste les deux premiers noms, c’est que cela permet de conserver, dans le texte de Strabon (IV, 1, 1 ; 2, 1), le chiffre de quatorze qu’il assigne aux cités de cette Aquitaine. — II. LYONNAISE : 15° Lexovii ; 16° Veliocasses ; 17° Caleti ; 18° Veneli ; 19° Abrincatui ; 20° Ossismi ; 21° Namnetes ; 22° Ædui ; 23° Carnuteni [les Carnutes] ; 24° * Boi [cf. plus haut] ; 25° Senones ; 26° Aulerci Eburovices ; 27° Aulerci Cenomani ; 28° Meldi ; 29° Parisi ; 30° Tricasses ; 31° Andecavi ; 32° Viducasses ; 33° Bodiocasses [Baiocasses de Bayeux] ; 34° Uenelli ; 35° Coriosuelites ; 36° [Aulerci] Diablinti ; 37° Riedones ; 38° Turones ; 39° Atesui [Ésuviens] ; 40° Segusiavi. Remarquez l’absence des Ambarri. — A ajouter ici, sans doute, pour avoir l’étendue initiale de la province, les peuples n° 55, 58-60 de cette liste (Lingons, Helvètes, Séquanes et Rauraques), qui, classés par Pline en Belgique, ont dû au début appartenir à la Lyonnaise ; cf. Strabon, IV, 2, 3. — III. BELGIQUE. Ici, la liste devient plus difficile à dresser : je mets entre parenthèses les noms des cités que je crois purement germaniques et étrangères à l’autel du Confluent ; du reste, quelques-uns de ceux-là peuvent être, à la rigueur, intervertis avec les noms à astérisque, qui sont ceux de cités disparues : 41° * Texuandri [peut-être des Germains] ; 42° Menapi ; 43° Morini ; 44° * Oromarsaci, (Britanni ?) ; 45° Ambiani ; 46° Bellovaci ; (Bassi, Catoslugi, peut-être des pagi de la vallée de l’Oise) ; 47° Atrebates ; 48° Nervi ; 49° Veromandui ; (Suæuconi ; cf. à Catoslugi) ; 50° Suessiones ; 51° Ulmanectes [les Silvanectes de Senlis] ; 52° Tungri [il n’est point certain, vu leur origine germanique, qu’ils aient ressorti à l’autel] ; (Sunuci, Frisiavones, Bælasi) ; 53° Leuci ; 54° Treveri ; 55° Lingones ; 56° Remi ; 57° Mediomatrici ; 58° Sequani ; 59° Raurici ; 60° Helveti ; (accolentes Germaniæ gentium in eadem provincia Nemetes, Triboci, Vangiones, in Ubis, etc., Guberni, Batavi).

Quand Tacite (Ann., III, 44) parle des 64 cités de la Gaule, il combine peut-être les 60 de l’autel avec celles de l’Aquitaine ibérique, en ne tenant compte que de celles qui avaient rang de civitus (12 en Aquitaine gauloise, 25 en Lyonnaise, 18 en Belgique, les 9 de la Novempopulanie) ; peut-être ajoute-t-il aux 60 de l’autel les 4 principales de la Germanie (Ubiens, Némètes, Vangions, Triboques). Il n’est pas non plus absolument impossible que Strabon ait simplement donné un chiffre rond, et qu’au lieu de 60 il faille dire 64, et chercher les cités manquantes dans la Belgique de Pline. Le chiffre de 64 apparaît aussi dans des scholies à Virgile, Énéide, I, 286, Thilo : Cæsar quattuor et sexaginta victis Galliarum civitatibus.

[209] Tite-Live, Ép., 137 [139] : Sacerdote creato C. Julio Vercondaridubno [var. dubio] Æduo.

[210] Cf. Tite-Live, XXVIII, 28, 11 ; IV, 4, 4.

[211] Suétone, Claude, 2 ; Dion, LIV, 32, 1.

[212] De b. G., VI, 20.