HISTOIRE DE LA GAULE

TOME III. — LA CONQUÊTE ROMAINE ET LES PREMIÈRES INVASIONS GERMANIQUES.

CHAPITRE V. — ARIOVISTE ET CÉSAR[1].

 

 

I. — BURBISTA ET ARIOVISTE.

Ce qui augmentait les dangers de la Gaule du côté barbare, c’est que Daces et Suèves ne furent pas, comme les Cimbres et les Teutons, des peuplades errantes, cherchant des domaines, isolées au milieu des hommes. C’étaient de véritables nations, rayonnant autour du foyer de leur race dans une activité continue ; rien n’interrompait les terres soumises à leur nom ; et, en ce moment, leur force de cohésion était encore accrue par la gloire surnaturelle de leurs chefs.

La fortune subite des Daces était due aux efforts d’un seul homme, leur roi Burbista[2] (depuis 82 ?). A cette petite peuplade, perdue parmi les nations thraces, il donna l’empire du Danube. Pas une seule fois il ne fut vaincu. Ses conquêtes étaient régulières et durables, comme la récompense périodique qu’il méritait des dieux. Car les dieux l’aimaient et le protégeaient. Il avait près de lui un grand-prêtre, Décinéos, qui ne le quittait jamais, prédisant ses victoires, multipliant les prodiges sous ses pas[3]. Autour de ces deux hommes, pendant trente ans, les Daces délirèrent d’enthousiasme et de confiance. Une parfaite concorde régnait dans la nation. Leur roi fit d’eux ce qu’il voulut. Comme tous les Barbares, ils avaient goût à s’enivrer : il leur commanda de ne plus boire de vin et de détruire leurs vignobles ; et ils obéirent. Ce qui prouve aussi qu’il savait les conduire vers le bien. Son empire, pareil à l’Islam[4], fut l’œuvre d’une foi ardente et disciplinée[5].

Tout autre paraissait son contemporain, le roi suève Arioviste (depuis 72 ?)[6]. Celui-là ne fut guère qu’un brigand, mais d’audace et d’intelligence supérieures. Pendant près de quinze ans, ni lui ni ses hommes ne dormirent sous un toit[7] : ils ne connaissaient que la course, la bataille et le meurtre, leurs armes, leurs chariots et leurs tentes, et quand ils avaient besoin des dieux, ils recouraient aux prophéties de leurs femmes[8]. Suivi de ses hordes, Arioviste ne redoutait personne et ne respectait rien. Aucune entreprise ne lui sembla impossible, et il acceptait avec une joie sauvage tous les adversaires qui se présentaient[9]. Au surplus, sa frénésie se conciliait avec la ruse et la malice ; il savait endormir ses ennemis par des propos d’amitié et de belles promesses[10]. Intelligent, grand parleur, prudent et soupçonneux[11], habile à observer les hommes et à retenir les faits, il n’avait rien de la simplicité d’allures qui faisait le charme de certains Barbares[12] : personne ne lui en imposait ni par la flatterie ni par la menace, et il répondit plus tard à Jules César en homme qui ne se laisse pas payer de mots[13]. Avec cela, despote, colère, arrogant, cruel, brutal, exigeant l’obéissance immédiate, toujours prêt à ordonner un supplice[14], c’était la plus violente des tempêtes humaines qui fût alors déchaînée sur l’Occident.

On put croire un instant que ces deux hommes, Burbista et Arioviste, se heurteraient l’un à l’autre, et que Suèves et Daces se disputeraient dans les plaines du Danube l’empire de l’Europe. Leurs domaines allaient se toucher, entre Passau[15] et Vienne ; leurs avant-gardes se rencontrèrent : déjà les Daces commençaient à piller les terres des Germains[16]. Ceux-ci, de leur côté, s’entendaient avec les Gaulois du Dorique, que menaçait Burbista, et Arioviste épousa la sœur de leur roi (avant 58)[17]. Mais le monde était assez- grand pour contenir ces deux ambitions ; et, tandis que Burbista s’occupait du Levant, Arioviste ne songea plus qu’à la Gaule.

 

II. — ARIOVISTE AU SERVICE DES SÉQUANES.

Car les Gaulois, en ce moment, commirent la pire folie de leur existence : ils demandaient à Arioviste d’intervenir dans leurs querelles. Ces Suèves, qui rêvaient de fonder partout de nouveaux empires, qui venaient d’arracher aux Helvètes leurs terres du Rhin, les Celtes les invitèrent à franchir le fleuve et à faire la guerre au milieu d’eux. Le lent suicide de la Gaule commençait.

La lutte des Éduens contre les Séquanes et les Arvernes était devenue la principale affaire du pays[18]. Un jour vint où les Éduens parurent décidément les plus forts[19] : leurs rivaux envoyèrent alors des agents au delà du Rhin, chez les Suèves, pour louer des chefs et des hommes[20].

Ce n’était assurément pas une chose nouvelle. De tout temps, les Gaulois recoururent à des mercenaires : les riches en prenaient comme gardes, les peuples comme auxiliaires. On les recrutait partout, chez les Celtes et les Belges, en Espagne et en Bretagne, chez les Aquitains et les Germains[21]. Ceux-ci, comme les Galates d’autrefois, ne demandaient pas mieux que de se vendre au plus offrant. Lorsque les Séquanes expédièrent leurs recruteurs en pays suève, ils ne faisaient, en apparence, que continuer une ancienne habitude. On en ramena quinze mille lansquenets, avec le roi Arioviste : cela coûta très cher, beaucoup d’argent comptant et beaucoup de promesses (avant 62)[22].

Grâce à cet appoint, les Séquanes et les Arvernes eurent raison de leurs ennemis. A chaque bataille, c’étaient des pertes terribles chez les Éduens[23]. A la fin, voyant leur noblesse et leur sénat décimés, ils acceptèrent les conditions du vainqueur. Ils cédèrent les terres contestées des bords de la Saône[24], reconnurent la prééminence des. Séquanes, et leur livrèrent à titre d’otages les fils des plus nobles familles. Comme les Éduens étaient les alliés du sénat, on fit jurer à leurs chefs de ne point recourir à cette alliance. Le druide Diviciac, l’un des plus riches et des plus influents, fut le seul à refuser le serment : il dut quitter le pays, et il partit pour Rome[25].

Ce fut, dans la Gaule entière, comme le début d’un nouveau règne. Les clients des Éduens transportèrent leur hommage au peuple de Besançon, et ils lui remirent les enfants nobles en garantie de leur foi[26]. Peut-être les Séquanes auraient-ils dû partager l’hégémonie avec les Arvernes leurs alliés. Mais ils agissaient comme s’ils étaient les seuls maîtres de la Gaule : la présence d’Arioviste semblait leur en assurer l’empire[27].

 

III. — LA GAULE VAINCUE PAR ARIOVISTE.

C’est alors qu’Arioviste changea d’attitude. Il était le plus fort, il l’avait vu sur le champ de bataille. Aux hommes qu’il avait amenés se joignirent d’autres bandes ; au delà du Rhin, il demeura en rapports incessants avec la jeunesse du nom suève[28]. Les Séquanes ne s’étaient point aperçus qu’ils avaient appelé, non pas une troupe de mercenaires, mais l’avant-garde d’une nation.

Arioviste parla donc en vainqueur, et il réclama, comme récompense, un tiers du territoire séquane[29]. Après la Franconie et la Souabe, c’était l’Alsace qu’il voulait donner aux Suèves. Et il semble bien que, sans attendre le congé de ses alliés, il se soit emparé de force de la Haute Alsace, qui appartenait aux Séquanes et qui formait bien le tiers demande. Il y installa son camp et fit appel aux hommes de sa nation. Des milliers de Germains franchirent le Rhin et prirent possession de leur nouveau domaine[30]. L’empire suève s’étendait maintenant des bords de l’Oder jusqu’à la trouée de Belfort, et, par cette brèche toujours ouverte, menaçait toute la Gaule.

Elle parut comprendre le danger. Les Séquanes, au lieu de s’humilier devant Arioviste, essayèrent de réparer le mal qu’ils avaient fait, et ils appelèrent aux armes leurs clients, anciens et nouveaux. Tous répondirent à leur cri de détresse, et les Éduens eux-mêmes firent cause commune avec leurs vainqueurs de la veille[31].

Arioviste, de son côté, invita à la bataille ses compatriotes de Germanie. Bientôt, il eut dans son camp cent vingt mille hommes[32]. Les Gaulois, toutes forces réunies, vinrent planter leurs enseignes en face de lui : selon leur coutume, ils remettaient à une bataille le sort de leurs nations[33].

Mais le Germain était habile et prudent. Il refusa le combat et se renferma dans son camp : il s’était posté en lieu sûr, à l’abri de marécages. Les Gaulois ne purent le forcer à sortir de ses lignes : ils durent se contenter de dresser leur campement à portée de l’ennemi. Arioviste ne bougea pas.

Des mois se passèrent ainsi : les Gaulois, énervés par l’attente, finirent par négliger les précautions nécessaires. Ils se dispersaient à travers champs, se gardaient mal, oubliaient les Germains. Un jour, Arioviste sortit à l’improviste avec tous ses hommes et, presque sans lutte, fit un grand massacre dans l’armée gauloise (début de 60 ?)[34].

Les dieux, comme dira plus tard Arioviste, avaient prononcé et lui avaient donné la Gaule : car toutes les nations s’étaient présentées en armes contre lui, et toutes étaient vaincues[35].

Cependant, il ne paraît pas avoir poussé tout de suite ses conquêtes vers le sud. Je doute qu’il ait alors franchi la trouée de Belfort et qu’il ait songé à s’étendre au delà des Vosges[36] : son ambition se borna, durant quelques mois, à assurer aux siens les riches et vastes plaines de la rive gauche. De toutes parts, les nations suèves envoyèrent des émigrants pour peupler les terres du Rhin et les arracher aux Gaulois : les Vangions s’établirent autour de Worms[37], les Némètes autour de Spire[38], les Triboques enlevèrent aux Médiomatriques la Basse Alsace et le pays de Strasbourg[39] Plus au nord, à l’embouchure du Mein, cent mille hommes se montrèrent sur le fleuve et menacèrent les Belges de la Moselle (58)[40]. Au lieu d’une randonnée rapide dans la Gaule, Arioviste procédait à de durables établissements. Et c’est grâce à lui que le nom germanique allait s’implanter pour des siècles entre les Vosges et le Rhin.

Cela ne l’empêchait pas de maintenir ses prétentions sur le reste de la Gaule. Il imposa des otages aux Éduens, qui avaient été les plus maltraités dans la bataille[41], il en prit ou en reçut d’autres peuples[42] ; il multiplia ses exigences, réclama terres ou tribut[43] : il répétait que la Gaule était sienne et qu’il y avait tous les droits du vainqueur[44]. Il est probable qu’il n’attendait que de nouvelles circonstances pour reprendre vers le sud sa marche de conquérant[45].

 

IV. — LE COMPLOT NATIONAL.

C’est vers ce temps[46] que s’organisa en Gaule un vaste complot, qui va déterminer l’arrivée des Romains, et par lequel Jules César commence le récit de ses campagnes. Voici de quelle manière le proconsul présente les faits :

Orgétorix[47], le plus noble et le plus riche d’entre les Helvètes, aspirait à la royauté, et la noblesse de sa nation le soutenait. Il proposa à son peuple d’émigrer loin de ces terres des Alpes où il vivait à l’étroit, et de chercher de nouveaux domaines : les Helvètes étaient assez forts pour conquérir en Gaule ce qu’ils voudraient. L’exode fut décidé ; les préparatifs commencèrent : Orgétorix fut envoyé en ambassade vers les cités voisines, afin d’obtenir le libre passage[48]. Mais, en route, il ne négocia pas seulement pour les Helvètes, il travailla pour lui-même. Chez les Séquanes, il s’aboucha avec Castic, le fils du roi déchu[49], et l’incita à prendre le pouvoir. Chez les Éduens, les hommes les plus considérables étaient deux frères, Diviciac et Dumnorix[50]. Celui-là, on l’a vu, avait quitté son pays pour ne point prêter serment aux Séquanes, et, réfugié à Rome, il sollicitait auprès du sénat ; la magistrature suprême était aux mains de Dumnorix, qui, loin de secourir son frère, ne songeait qu’à consommer sa perte : riche, populaire, entouré d’une garde nombreuse, Dumnorix ne rêvait que du titre suprême. L’entente s’établit entre lui et Orgétorix : l’Helvète donna sa fille à l’Éduen ; celui-ci noua d’autres alliances, en particulier avec ses voisins les Bituriges. Le complot prenait corps. Il fut convenu qu’Orgétorix, une fois roi chez les Helvètes, mettrait son peuple à la disposition de Castic le Séquane et de Dumnorix l’Éduen. Et ensuite, maîtres à eux trois des trois plus fortes nations, ils imposeraient leur autorité à tous, et l’unité à la Gaule entière[51]. —

Ainsi, d’après César, cet accord n’aurait été que l’entente coupable de trois ambitieux préparant un nouveau bouleversement de la Gaule sous les regards d’Arioviste aux aguets. Et il est en effet possible que ces hommes aient pensé surtout à leur intérêt propre, comme les trois Romains qui, à la même date, concluaient un pacte de domination universelle, Pompée, Crassus et César.

Mais, si égoïstes que soient les chefs d’une conjuration politique, il est rare qu’ils ne prétextent pas à leurs desseins de nobles motifs. Voici ce qu’Orgétorix, Dumnorix et Castic pouvaient alléguer en faveur de leur entreprise.

— Même après le dernier désastre, tout n’était point perdu pour la Gaule. Arioviste n’avait dû la victoire qu’à la surprise. Ces Germains n’étaient point invincibles. Sur les bords du Rhin supérieur, de Bâle à Constance, les Helvètes défendaient vaillamment contre les Suèves leurs nouveaux domaines, et leur frontière demeurait intacte[52]. Ce qu’un seul peuple pouvait faire,- il n’était pas interdit à la Gaule de l’espérer.

Sa défaite résultait surtout de sa désunion. Dans la grande bataille contre Arioviste, son principal peuple, celui des Éduens, s’était présenté déjà décimé par les Séquanes et les Arvernes. Il fallait, en face de l’ennemi, un accord absolu de toutes les nations[53].

La domination exclusive d’un État ne pouvait amener cet accord. Seul, il serait impuissant contre tous. Mais si les affaires étaient confiées à trois peuples associés, aux trois plus forts, l’obéissance s’établirait dans le corps entier de la Gaule.

Cette souveraineté, ce condominium de trois nations ne serait efficace que si, dans chacune d’elles, l’autorité supérieure demeurait incontestée. Le gouvernement par le sénat et les chefs favorisait les divisions et les conflits : c’était le régime qui, depuis la chute de Bituit, avait amené les guerres civiles, l’alliance avec Rome, l’appel aux Germains[54]. La monarchie pouvait seule assurer la discipline et maintenir la dignité.

A eux trois, Dumnorix, Orgétorix et Castic seraient les rois de la Gaule : mais ils la sauveraient de l’anarchie et de l’étranger. Qu’ils fussent, comme le dit César, de vulgaires ambitieux, c’est possible, quoique nous ne soyons pas tenus de croire le Romain sur parole. Ils n’en défendaient pas moins les intérêts supérieurs du pays, entre Arioviste qui s’approchait et Diviciac qui complotait à Rome. —

 

V. — DIVICIAC À ROME ; LA POLITIQUE DU SÉNAT.

Diviciac[55], pendant ce temps, s’installait à Rome. C’était un homme habile, insinuant, et grand discoureur[56]. Bien que fugitif, il n’en demeurait pas moins un des personnages les plus importants de la Gaule[57] : sa qualité de druide[58], ses richesses, le rang qu’il occupait dans sa cité, lui assuraient des relations chez presque tous les peuples[59] ; il est même possible qu’il ait été le premier des druides, le chef de l’église celtique. Comme sa nation, celle des Éduens, était depuis soixante ans l’alliée fidèle du peuple romain[60], Diviciac fut bien accueilli. Il devint l’hôte de Cicéron, il s’entretint avec lui de religion et de philosophie[61] ; il obtint audience du sénat : et ce fut un curieux spectacle de voir pérorer le chef gaulois, appuyé sur son long bouclier[62].

Ce qu’il désirait, on le devine aisément : c’était l’intervention du proconsul de la Province pour délivrer les Éduens et de l’hégémonie des Séquanes et des intrigues de Dumnorix ; c’était qu’on rétablit son peuple au-dessus des Gaulois, et lui-même au milieu de son peuple. Comme, en ce moment, Arioviste s’était arrêté, Diviciac, semble-t-il, insista sur le péril le plus proche, sur les préparatifs des Helvètes et le complot national[63].

Arioviste, du reste, prenait ses mesures pour ne pas être mis en cause. Il eut la présence d’esprit d’envoyer des ambassadeurs en Italie, porteurs de présents bizarres (60-59 ?)[64]. C’était la première fois, je crois, qu’une mission de Germains arrivait jusqu’à Rome. Depuis les extrémités des mondes connus, la Ville Éternelle était acceptée comme l’arbitre des nations. De sa décision dépendait le sort de l’Occident.

Diviciac et Arioviste, chacun à sa manière, réussirent à détourner sur les Helvètes toute l’attention du sénat. — Les Suèves, en effet, étaient encore loin de la frontière : les Helvètes y touchaient. Si ce dernier peuple rétablissait l’unité gauloise, l’œuvre de Domitius serait compromise ; s’il se bornait à chercher des terres, la Province craindrait mille dégâts[65] : un demi-siècle auparavant, ces Helvètes avaient fait autant de mal que les Cimbres ; leur nom était demeuré odieux au peuple romain’. Il fallait les obliger à rester chez eux. Sur ce point, à Rome, les hommes d’État pensèrent tous de la même manière[66].

Où ils différèrent, ce fut sur la façon d’écarter le péril. Les uns, comme Cicéron, Caton, le parti des sages et des modérés, espéraient arrêter les Helvètes par des décrets, des menaces et des intrigues ; ils avaient peur d’une guerre inconnue, qui jetterait le peuple romain dans de nouvelles aventures au profit des pires ambitieux. Mais c’était précisément cette guerre que quelques-uns souhaitaient, comme Metellus, consul pour l’année 60[67], et César, qui allait lui succéder l’année suivante.

Au début, les partisans de la paix l’emportèrent. Un décret fut rendu par le sénat, qui enjoignit à tout gouverneur de la Province de protéger les Éduens et les autres amis du peuple romain, dans la mesure où cette défense serait conforme aux intérêts de l’État (61)[68]. C’était autoriser les proconsuls à envahir la Gaule le jour où ils le jugeraient utile[69]. — Mais le sénat s’arrangea pour qu’ils n’eussent pas à le faire : une ambassade solennelle fut envoyée aux peuples de la Gaule, afin de leur intimer l’ordre de refuser le passage aux émigrants (mars 60)[70]. On fit bon accueil aux députés d’Arioviste, et, comme if ne quittait pas le voisinage du Rhin, on put sans trop d’imprudence lui accorder le titre d’ami, que César l’aida à obtenir[71] : sans doute désirait-on le détourner, au besoin, contre les Helvètes (59)[72]. Peut-être aussi négocia-t-on avec les magistrats de ce peuple, pour lui dénoncer les menées d’Orgétorix[73]. Et, pendant quelque temps, le sénat put croire qu’il triompherait par le seul prestige de sa volonté.

Orgétorix, .accusé par les siens d’aspirer à la tyrannie, fut sommé de comparaître devant l’assemblée de son peuple : s’il était condamné, c’était la peine des tyrans, le supplice du feu. Il tenta de résister, sa clientèle fut assez forte pour le soustraire au tribunal : la guerre civile allait s’engager, lorqu’Orgétorix mourut, peut-être de sa propre main[74]. Les conjurés perdaient leur principal chef, et les Helvètes, leur guide à travers la Gaule. Partout, les esprits se calmèrent : Cicéron et le sénat se réjouirent ; mais le consul Metellus, auquel on avait attribué la Gaule Transalpine pour l’année 59[75], demeura morfondu d’une paix qui lui enlevait ses chances de triomphe et de pillage (fin de 60)[76].

Le répit ne dura pas un an. Après la mort d’Orgétorix, son peuple ne renonça pas au départ, ni Dumnorix à ses intrigues. Les pourparlers continuèrent entre les Helvètes et le chef éduen : ceux-là attendaient de lui les moyens de traverser la Gaule et d’y conquérir, et Dumnorix espérait d’eux, en échange, les moyens de devenir roi[77]. Rome fut informée de ces menées, sans doute par Diviciac[78] : les inquiétudes du sénat se réveillèrent, et aussi les désirs des ambitieux.

Mais à ce moment, ces derniers étaient les maîtres. César, revenu d’Espagne, entrait en charge comme consul (janvier 59) : son alliance avec Crassus et Pompée lui permettait les vastes entreprises. Il se fit décerner par le peuple, pour cinq ans[79] les provinces d’Illyrie et de Gaule Cisalpine, et le sénat y ajouta la Gaule au delà des Alpes (février 59)[80]. C’était à lui que reviendrait la mission de protéger les Éduens, et de décider s’il y avait lieu de mettre les légions en marche.

 

VI. — JULES CÉSAR.

Jules César avait alors quarante-trois ans[81]. De la route que les dieux assignent à l’activité humaine, il avait déjà parcouru plus de la moitié, et il ne s’était encore signalé par aucune action d’éclat. Ce qui comptait le plus dans sa carrière, c’était, à Rome, son consulat (59), et, en province, sa préture d’Espagne (61). Mais si, comme consul, il s’était révélé novateur hardi et administrateur habile[82], bien d’autres avant lui méritèrent pareil éloge ; et si, en Espagne, il avait vaincu des peuples lointains et montré ses vaisseaux à l’Océan de Galice[83], il n’avait fait que suivre les traces de Junius Brutus, de Scipion Émilien et de Pompée. Quant au reste de sa vie, il ne valait pas la peine d’en parler : quelques coups d’audace à l’Alcibiade, pour que la foule s’occupât de lui[84], des rapports suspects avec Catilina, Clodius et les pires des démagogues[85], une entente mystérieuse avec Pompée et Crassus[86], des accointances successives avec les hommes des différents partis, pour mettre à profit n’importe quelle révolution[87], des dettes énormes[88], d’étranges débauches[89], un bon talent d’avocat et d’écrivain[90] : en tout cela César ressemblait à la plupart des ambitieux qui pullulaient dans Rome.

En réalité, il n’y avait aucun citoyen romain, pas même Pompée, il n’y avait personne au monde en ce temps-là, ni roi d’Orient, ni despote barbare, qui portât dans son âme une ambition plus profonde que celle de César. Agir sur la terre et dominer sur les hommes, occuper de son nom la pensée des peuples et imposer son œuvre à la postérité, être plus fort que tous les vivants et plus illustre que tous les morts, l’ambition était chez lui sans repos et sans mesure, et elle le dominait aussi forte et tenace que le plus impérieux des instincts[91]. Et je ne sais si nul héros dans l’histoire, et même Alexandre ou Napoléon, a été à ce point l’esclave d’un tel sentiment, la victime continue d’une force inexorable : César, à de certains moments, souffrait de son ambition comme d’un mal qui fait pleurer[92]. Quand, en Espagne, parvenu à l’extrémité de l’Occident, il vit que tout était soumis à Rome, qu’il ne lui restait rien de grand à conquérir, et qu’il avait atteint l’âge vécu par Alexandre, des larmes de douleur lui vinrent aux yeux[93].

Car, à l’âge de quarante-trois ans, il peut se demander s’il lui restera assez de vie pour devenir un Alexandre ou simplement un Pompée. Que l’occasion s’offre à lui de les égaler en gloire, de vaincre, de posséder, de découvrir l’inconnu, il se jettera à corps perdu dans les aventures, et, pour réparer le temps gâté dans sa vie, il voudra aller très vite, toujours plus loin, il ajoutera de nouveaux desseins à des entreprises à peine ébauchées, il arrivera, sans y prendre garde, jusqu’au rêve et à la chimère[94]. Une imagination délirante est la rançon dont de tels hommes payent les bénéfices de leur vie. Ils finissent par oublier ce qu’ils ont fait, en s’absorbant dans ce qu’ils voudraient faire ; et ce qu’ils veulent est de plus en plus prodigieux, et, à de certaines heures, ce sont presque les fantômes de la folie qui se présentent à leur esprit sans cesse en travail. Alexandre, maître de l’Orient, convoitera Carthage, Cadix et la Méditerranée entière ; et César, maître de l’Empire romain, désirera prendre l’Orient et le Nord, les Parthes, les Daces et les Germains, et brasser ensuite à sa guise toutes ces terres et tous ces hommes[95].

Quand il fera ce rêve insensé, il aura soixante ans. 1ltais il ne savait pas ou ne voulait pas savoir ce que l’on doit demander à la nature humaine, et à quel moment il faut lui céder. L’excès de sa volonté et de son désir, la vigueur tyrannique des images de ses rêves, obscurcissaient son intelligence, et l’empêchaient de comprendre et de juger les hommes, et lui tout le premier. — Certes, il observait ses amis et ses serviteurs, il les étudiait assez pour tirer d’eux un bon parti, et les mettre chacun à la place qui lui convenait, celui-ci à la guerre et celui-là aux finances[96]. Mais sa science des hommes n’allait pas au delà de l’expérience de l’ouvrier qui connaît l’emploi de chacun de ses outils. La nature intime, le vrai caractère, les pensées secrètes de ses amis ou de ses ennemis, lui échappèrent, et il en vint toujours à demander à ceux-là plus d’efforts et à ceux-ci plus de misères qu’ils n’en pouvaient endurer. Il se trompa sur Brutus[97] et sur Vercingétorix, sur les Romains du jour des Lupercales[98] et sur les Gaulois de l’année de Gergovie[99]. Cet homme, trop plein de lui-même, eut peine à comprendre que d’autres hommes eussent des regrets, des rancunes, des fiertés ou des remords ; et, livré sans répit à des tâches précises ou à des songes complaisants, il ne voyait pas les colères d’autrui et les résistances de l’idéal.

Autant que les hommes, il défia les dieux et la nature elle-même. Jamais la crainte de la divinité ne l’empêcha d’agir[100]. La nature, il la maîtrisa par des travaux invraisemblables. Ce qu’il osa faire pour prendre des villes et des peuples confond notre imagination. Il semble parfois qu’il ait été vraiment jaloux du nom d’Hercule[101], ainsi qu’il l’était de celui d’Alexandre : la montagne, le fleuve, le marécage, la forêt et la mer, il alla contre eux comme s’il s’agissait de batailles à livrer aux éléments ; et, puisque c’était par le moyen des hommes qu’il luttait ainsi, il ne s’aperçut pas toujours que leurs forces avaient des limites, et que la nature, elle aussi, avait son degré de résistance.

Il est vrai que, lui, était d’une complexion extraordinaire, sèche, nerveuse, capable des plus longs efforts matériels et de l’attention la plus soutenue, et que jamais une faiblesse physique ne l’arrêta au cours d’une entreprise[102]. Et, comme le hasard, aussi bien que sa vigueur propre, le protégea contre tous les périls, il finit par se croire, je ne dis pas invulnérable, mais supérieur à tous les risques et à toutes les blessures[103]. — Cela lui donna une confiance en sa fortune qui ne se démentit jamais, sauf lorsqu’il vit les poignards des assassins, et qu’il s’enveloppa de sa toge pour mourir[104]. Jusque-là, qu’il s’agît d’affronter la tempête sur une barque ou d’agiter une enseigne au milieu des ennemis, César entrait allègrement dans le danger : ce qui faisait de lui le meilleur de ses soldats[105].

Au service de cette volonté indomptable, il mettait une intelligence forte, curieuse de toutes les sciences, très souple, très éveillée, prompte à comprendre et à s’assimiler, mais en même temps nette et ordonnée[106]. Quand il eut à gouverner Rome et l’Empire, il se montra un législateur de premier ordre, et pour tous les services. Dans la façon dont il dispose ses troupes en ordre de marche, sur un champ de bataille, autour d’une ville assiégée, on signale rarement un oubli ou une confusion[107]. Tout cela, sièges, campagnes et combats, sera de la besogne bien faite, où chaque chose vient à son heure et se met à sa place.

Oserais-je ajouter que ce n’est rien de plus, et qu’il n’y eut pas, dans les succès militaires de César, cette part de combinaisons savantes qui fait l’originalité d’un grand capitaine, d’un Hannibal ou d’un Napoléon[108] ? Il en est de ses guerres comme de ses Commentaires, ce sont des œuvres correctes, mais qui sentent l’école et non pas le génie. Je ne nie pas que ses marches ne soient des prodiges de vitesse, et ses sièges, des modèles de ténacité[109] ; et c’est évidemment à ces deux facultés qu’il dut de vaincre presque toujours : mais elles viennent de son tempérament, décidé, audacieux, obstiné et confiant, et ce ne sont pas des ressources fournies par son intelligence[110].

L’âme de César, enfin, ne méritait ni admiration profonde ni affectueuse sympathie. Ce serait outrager la justice et la vertu que de la comparer à celle de Caton, enfermée dans le culte de tous les devoirs. Mais elle ne valait même pas celle de Pompée, que de généreux scrupules, le besoin d’être loué et le respect de soi-même préservèrent des ambitions les plus coupables, et que ses amis ont aimé jusqu’à l’adoration[111]. César était un mélange de dons séduisants et de vices insupportables. Il savait plaire quand il le voulait, et il le voulait souvent ; sa parole était caressante, il trouvait de délicates attentions, il ne se montra incapable ni de bonté ni de patience, ni de sentiments plus doux pour ceux qui l’approchaient, femmes et amis[112]. Mais ses colères[113] et ses vengeances ne furent ni moins sanglantes ni moins durables que celles de Marius et de Sylla ; et s’il a pu être clément, ce fut pendant si peu de temps, depuis le Rubicon jusqu’à Pharsale, et il eut alors tant d’intérêt à l’être[114] ! Il ne semble pas qu’il ait versé le sang par plaisir, mais il n’a jamais hésité devant une cruauté utile, il ne s’est point attendri sur les morts qu’il semait à foison, et il n’a point toujours respecté les vaincus[115]. Car il poursuivit d’ordinaire ses adversaires, Barbares ou Romains, avec un acharnement[116] où il laissa parfois sombrer sa dignité d’homme ; et il lui arriva de les frapper en secret, à l’improviste, non comme un justicier qui punit, mais comme un tyran qui se venge[117]. Si les circonstances l’avaient laissé à Rome, il eût ressemblé plus à Catilina qu’aux Gracques. Placé par son proconsulat en face d’ennemis à combattre, il devint le plus meurtrier des conquérants qu’ait produits le peuple romain.

 

VII. — NÉCESSITÉ DE L’INTERVENTION ROMAINE.

Ce qui rendait cette guerre transalpine désormais inévitable, c’est qu’à cette date de 59, elle était la première qu’on pût commencer. En Orient, attaquer les Parthes au delà de l’Euphrate avait paru à Pompée inutile ou périlleux[118] ; l’Égypte livrait ses richesses à Rome sans qu’on eût besoin de la conquérir[119]. En Occident, au contraire, il y avait à prendre presque toute la Gaule, l’île de Bretagne, la Germanie, l’empire des Daces, terres riches en blé, en troupeaux, en mines et en esclaves. C’était au delà des montagnes, du côté du Rhône, du Rhin et du Danube, que regardaient tous ceux qui convoitaient de la puissance et des richesses. Soldats et officiers désireux de butin[120], d’avancement ou d’honneurs, jeunes nobles traqués par leurs créanciers, chevaliers, publicains, trafiquants et capitalistes à la recherche de nouveaux marchés et de nouveaux placements, consulaires enfin, comme César, qui demandaient à la guerre la gloire du triomphe, de l’or pour acheter les suffrages et la maîtrise d’une armée pour dominer dans Rome[121] : tout ce monde, depuis le proconsul qui rêvait d’un empire universel, jusqu’au valet de légion détrousseur de cadavres[122], avait besoin d’une conquête en Gaule, en Germanie ou en Dacie. Et c’est pour cela que César, le chef avéré de ces hommes, se fait attribuer les trois provinces du nord, Cisalpine, Transalpine, Illyrie. A son gré, il attaquerait Gaulois, Suèves ou Daces.

Le malheur pour la Gaule était qu’il fallait commencer par elle. La migration des Helvètes et la puissance d’Arioviste fournissaient de très sérieux motifs à l’intervention du nouveau proconsul. Jamais pires ambitions ne purent se colorer de plus légitimes excuses. La question, en 59, n’était pas de savoir si César passerait la frontière ; personne n’en doutait plus : on pouvait seulement se demander jusqu’où il mènerait les légions, et si, après la Gaule, il attaquerait encore Arioviste et Burbista. Mais, quoi qu’il advînt de César, l’Occident, en proie à ces trois hommes, trouverait son maître.

 

 

 



[1] Sur la Gaule au temps de César et sur les campagnes du proconsul, outre les livres généraux, et les livres sur l’organisation militaire : Les Faicts des Romains, f° 20 et suiv., ms. du XIIIe s., Bibl. nat., fr. 23 083 (à titre de curiosité, mais intéressant pour montrer les recherches faites au Moyen Age sur la topographie de la Gaule ; cf. Meyer, Romania, XIV) ; Dupleix, Mémoires des Gaules, 5e éd., 1639, p. 175 et suiv. ; duc de Rohan, Le parfaict Capitaine, autrement l’Abbregé des guerres de Gaule, etc., 4e éd., 1643 ; de Bury, Hist. de la vie de Jules César, I, 1758 ; [Pecis] : 1° Essai sur les qualités, etc., ou Dissert. préliminaire aux campagnes de Jules César, Milan, 1758 ; 2° Les Campagnes, etc., I (seul paru ?), Milan, 1760 ; Davon, Analyse critique des Faits Militaires de César, Genève, 1779 ; de W[arnery], Mélange de remarques, surtout sur César, Varsovie, 1784 Rœsch, Commentar über die Commentarien das Cæsar, Halle, 1783 (réponse très intelligente à de Warnery) ; de Vaudrecourt, Les Commentaires, 2 v., Paris, 1787-8 ; Turpin de Crissé, Commentaires, etc., I et II, 1785 ; Napoléon, Précis des guerres de César, écrit par M. Marchand, 1836 (la plupart des questions bien résolues, surtout d’après d’Anville) ; Drumann, 2° éd., par Grœbe, III, p. 209 et s. ; R. G. P., The Commentaries of Cæsar considered as apocryphal, dans Colburn’s United Service Magazine and Naval and Military Journal, 1850, I, p. 512 et suiv., II, p. 437 et suiv. (fort curieux, pour montrer ce que peut amener l’excès de critique militaire et topographique de l’œuvre de César) ; Mommsen, Rœmische Geschichte, III, ch. 7 ; Kiehl, Cæsars Veldtoglen in Gallie, I (seul paru), Leyde, 1853-4 (programme) ; Kœchly et Rüstow, Einleitung zu C. Julius Cesar’s Commentarien, Gotha, 1857 ; A. von Gœler, Cæsar’s Gallischer Krieg, 1858 (in... 58 bis 53), 1859 (in... 52), 1860 (...in ...51), réunis et complétés après sa mort par son fils sous le même titre, 1880 ; de Saulcy, Les Campagnes de César dans les Gaules, 1862 : Fallue, Analyse raisonnée des Commentaires, 1862 ; Sarrette, Quelques pages des Commentaires de César, 1863 ; Creuly, Carte de la Gaule sous le proconsulat de César, 1864 (extrait de la Revue archéologique) ; Maissiat, Jules César en Gaule, 3 vol., 1865-81 ; Eichheim, Die kümpfe... gegen C. J. Cæsar, Neuburg, 1866 ; [Napoléon III], Histoire de Jules César, II, 1866, et vol. de planches (préparé par Maury, Creuly, de Saulcy, Desjardins, Stoffel, trop injuste souvent pour von Gœler ; je renvoie à l’éd. in-8°) ; Deller, Jahresberichte dans le Philologus, VIII, 1858, XIX, 1863, XXII, 1865, XXVI, 1867, XXX, 1872 ; Thomann, Der franzcesische Atlas, 3 fasc., Zurich, 1868, 1871, 1874 ; Long, The Decline of the Roman Republic, IV, 1872 ; van Kampen, Quindecirn ad... Commentarios tabulæ, [s. d.] ; Froude, Cæsar, Londres, 1879, p. 194 et suiv. ; Jæhns, Cæsars Commentarien, 1883, Beiheft z. Militär-Wochenschrift ; Dodge, Cæsar, Boston, 1892 ; Warde Fowler, Julius Cæsar, 1892 ; von Peucker, Wanderung liber die Schlachtfelder, 2e éd., 1893, p. 59 et suiv. ; Rice Holmes, Cæsar’s Conquest of Galli, 1899 (très utile ; une 2e éd. va paraître) ; Delbrück, Geschichte der Kriegskunst, I, 1900, p. 417 et suiv. ; Ferrero, Grandeur et Décadence de Rome, II, Jules César, 1905 (trad. fr.) ; Veith, Geschichte der Feldzüge C. Julius Cœsars, Vienne, 1906 ; Œhler, Bilder-Atlas zu Cæsars Büchern, 2° éd., 1907 ; les édit. avec commentaires, parmi les plus anciennes, celle de de Vigenere (trad.), 1584, parmi les récentes, celles de Schneider, 2 v., 1840-9, de Kraner, de Benoist. — Nous n’avons pas voulu, en ce qui concerne les questions de topographie locale, donner une bibliographie complète ; on en trouvera les éléments dans les livres généraux cités t. II. A ces livres il faut ajouter le fameux Index locorum in Commentarios, etc., de Marlianus, le premier essai d’ensemble qui ait été tenté sur la géographie de César, et qui, sur plus d’un point, a touché la vérité (à la suite de la plupart des anciennes éd. de César à partir de 1477, et à part, p. p. Buonaccorso da Pisa, in-4°, s. d.). — La source essentielle est César, Commentarii de bello Gallico, livre VIII par Hirtius. Deux classes de mss., α et β (sur ces deux classes, voyez, en dernier lieu, B. Richter, Kritische Bemerkungen, etc., programmes de Stargard, 1889 et 1907, et Klotz, Rh. Mus., LXIV, 1909, p. 224 et suiv.). Principales édit. critiques : Nipperdey, 1847 ; Holder, 1882 (index très utile) ; Kraner, 16e éd., par Dittenberger, 1898 (avec commentaires) ; Kübler, 1893 ; Meusel, 1894 (la plus sobre et la plus claire) ; voyez aussi Meusel, Lexicon Cæsarianum, 2 v., 1887-93 (à la fin, tabula conjecturarum). — On connaît le reproche, d’ailleurs vague, fait à César par Asinius Pollion (ap. Suétone, 56), parum integra veritate. Et quelques modernes sont partis de là pour révoquer en doute chiffres et résultats des campagnes : Monetus un des premiers (Galliæ geographia, 1634, p. 337-343), puis de Warnery (qui a dit tout l’essentiel à ce sujet), Eichheim, en dernier lieu et surtout Rauchenstein et Delbrück, dont le but est sich von der Autorität des geschriebenen Wortes zu befreien (p. 442), ce qui fait de son livre une sorte de reconstruction souvent arbitraire ; en outre : Eyssenhardt, Neue Jahrbücher, LXXXV, 1862, p. 755 et suiv. ; Petsch, Die historische Glaubwürdigkeit der Comm., etc., 2 fasc., Gluckstadt, 1885-6 ; Sumpf, Cæsars Beurteilung semer Offiziere, 2 fasc., Quedlinburg, 1892 et 1893 ; etc. Mais n’oublions pas, à propos de Pollion, qu’il semble avoir critiqué surtout le De bello civili, évidemment plus sujet à caution. J’avoue m’être presque toujours fié à César, dont l’œuvre me paraît, le plus souvent, témoigner, d’abord d’une réelle exactitude, résultat des habitudes intellectuelles de sa vie de chef militaire, et, ensuite, d’une sorte de franchise peut-être affectée, en tout cas d’assez belle allure : 1° il n’est jamais en opposition fondamentale avec les autres auteurs ; 2° je ne l’ai jamais vu dissimuler un danger, des mécomptes ou une défaite ; 3° il a toujours rendu justice à ses lieutenants (le jeune Crassus, Sabinus même, Décimus Brutus, Caninius et Fabius, Quintus Cicéron, Labienus ; Sumpif est absolument inexact et injuste à l’endroit de César, comme l’a montré Rice Holmes, p. 217-220) ; 4° il a, en écrivant, rendu justice à ses adversaires, peuples et hommes ; 5° il donne, quand il s’agit de gros chiffres d’armées gauloises, sa source (I, 29 ; II, 4 ; VII, 73), et il en détaille même le total, ce qui montre bien qu’il est allé au-devant du reproche d’exagération (nominatim ratio, I, 29, 1 ; certum numerum, VII, 75, 1 ; numerus inibatur, VII, 76, 3). Ce qu’on peut lui reprocher, c’est : 1° de ne pas exposer les motifs, surtout les motifs politiques, qui le font agir ; 2° de ne pas préciser sur les routes suivies et les lieux de bataille (p. ex. campagne d’avant Alésia ; marche en Aquitaine ; contre les Morins). Mais son livre a été improvisé, je crois, au cours de l’hiver de 52-51 (il s’arrête à l’indication des quartiers d’hiver, automne 52) ; il avait des motifs politiques pour ne pas expliquer tout, motifs tirés de sa situation à Rome et tirés de la situation de la Gaule ; l’habitude de ne point nommer les lieux est assez générale dans l’Antiquité. Voyez les excellentes remarques de Rice Holmes, p. 173-244. — L’existence d’un journal de César, Έφημερίδες, distinct des Commentaires (cf. Servius ad En., XI, 743), est aujourd’hui complètement niée (cf. Nipperdey, éd. de 1847, p. 5 et s.). — Les autres écrivains (qu’il ne faut pas négliger) répètent d’ordinaire César, quelquefois (surtout Dion Cassius) sans le comprendre, ou, s’ils ajoutent quelques détails, ils peuvent presque toujours s’intercaler, assez utilement, dans le récit des Commentaires. Nous avons noté les contradictions, assez rares. — Plutarque (Vie de César, éd. Sintenis) est souvent indépendant de César, et peut-être aussi de Tite-Live. — Même remarque pour Suétone (éd. Ihm). — Appien (Celtica, éd. Mendelssohn) parait plus encore indépendant qu’eux deux, mais c’est une source bien mauvaise, où se mêlent tous les noms propres (cf. Celtica, I, 4). — Il me parait souvent d’accord avec Plutarque. Sur eux deux, cf. Thouret, Leipziger Studien, I, 1878, p. 328 et suiv. ; Kornemann, Die historische Schriftstellerei des... Pollio, dans les N. Jahrbücher für class. Phil., Supplément, XXII, 1896 (qui voit dans Asinius Pollion leur source commune). — Nous ne pouvons juger Tite-Live qu’à travers ses nombreux exploiteurs : l’Épitomé (éd. Jahn), Orose (éd. Zangemeister), Lucain (éd. Hosius) ; Florus (éd. Rossbach), les scholies de Lucain (éd. Usener), Polyen (éd. Wœlfflin et Melber), Eutrope et Dion Cassius ; tous, sauf Lucain, assez entachés d’erreurs ou de négligences. Évidemment, Tite-Live a, plutôt que changé, ajouté à César, et dans un sens pompéien. — Il semble y avoir chez Dion Cassius (éd. Boissevain, excellente) des additions à César, mais souvent encore ce que l’on croit des additions ne sont que des erreurs faites par l’auteur en lisant les Commentaires, des étourderies résultant de sa légèreté (entre mille, Arioviste est dit un Allobroge, XXXVIII, 43, 3), ou des réflexions dues à ses préoccupations psychologiques : il a voulu expliquer les faits et gestes que César se bornait à raconter. Voyez sur lui : Heller, Philologus, XXII, 1865, p. 108 et s. ; Jelgersma, De fide et auctoritate Dionis, Leyde, 1879 ; Micalella, La fonte di Dione Cassio (campagnes de 58), Lecce, 1896 ; surtout Columba, Cassio Dione e le guerre Galliche, Naples, 1902 (Accademia). — Il a dû y avoir des récits de contemporains, entre autres à propos des campagnes des légats, surtout de Labienus et de Brutus ; voyez le poème auquel pensait Cicéron sur la Bretagne. — Sur Asinius Pollion, voir plus haut, Kornemann. — Sur l’hypothèse d’écrits de C. Oppius, Thouret, Leipziger Studien, I, 1878 (De Cicéron, etc., C. Oppio).

[2] Jordanès, XI, 67 (Buruista, Boroista) ; Strabon, VII, 3, 5 et I l ; XVI, 2, 39 (Βυρεδίστας, Βυρβίστας, Βοιρεδίστας) ; Trogue-Pompée, Prologues, 32, 10 (mss. Rubobustes).

[3] Jordanès, Getica, XI, 67 (Dicineus) ; Strabon, VII, 3, 5 et I l ; XVI, 2, 39 (Δεκαίνεος, Δεκίνεος).

[4] Le rapprochement est de Mommsen (R. G., III, p. 304), qui a bien marqué la grandeur et l’étrangeté de l’Empire dace.

[5] Tout ce qui précède d’après Strabon, VII, 3, 11.

[6] Sur Arioviste, outre les ouvrages cités, les remarques de H. Baumann, Ueber das erste Buch, etc., programme du Franz-Joseph-Gymnasium de Vienne, 1885, p. 29 et suiv., et Klebs ap. Wissowa, s. v. — La date semble résulter de César, I, 36, 7. Le nom est transmis Ariovistus par les mss. de César, forme avec laquelle s’accordent les leçons des autres auteurs. Il est appelé rex Germanorum par César (I, 31, 10), Frontin (II, 1, 16), Appien (roi des Germains au delà du Rhin, Appien, Celtica, 16), etc., dux Germanorum, Tite-Live, Ép., 104, rex Suevorum (sans être nommé), par Pline, II, 170 ; il est visible qu’il commande seulement à des Suèves, mais je ne doute pas qu’il ne s’agisse seulement des Suèves émigrants, établis en Souabe et Franconie, et peut-être seulement d’une partie d’entre eux.

[7] César, I, 36, 7.

[8] César, I, 50, 4-5 ; 53, 7 ; cf. Tacite, Germanie, 10 ; Histoires, IV, 61.

[9] César, I, 31, 13 ; 33, 5 ; 34, 2 ; 36, 5-7 ; 40, 4 (furore atque amentia) ; 42, 2 et 3 ; 44, 3 ; 33, 5.

[10] Cela résulte de son attitude avec les Séquanes et les Éduens (I, 31, 10 ; 37, 2) et avec le sénat (I, 40, 2) ; cf. I, 40, 8 ; 47, 1-2 et 6.

[11] I, 42, 4 ; 47, 6.

[12] Non se barbarum neque tam imperitum esse rerum ; I, 44, 9.

[13] I, 34, 2-4 ; 36 ; 44.

[14] I, 31, 12 et 15 ; 32, 4 et 5 ; 33, 6 ; 44 ; 47, 6.

[15] C’est à Boiodurum près de Passau (Ptolémée, II, 12, 4) que commençaient les domaines des Boïens et des boriques et que finissaient ceux des Volques Tectosages.

[16] Jordanès, Getica, XI, 67 : Cujus (Décinéos) consilio Gothi [les Daces] Germanorum terras, quas nunc Franci obtinent [Alamanie et Bavière], populati sunt.

[17] César, I, 53, 4 : Uxor... Vorica, regis Voccionis soror, quam in Gallia duxerat a fratre missam.

[18] I, 31, 3 et 4 (multos annos, depuis la mort de Celtill ?) ; VI, 12, 1.

[19] I, 31, 7 ; VI, 12, 2.

[20] I, 31, 4 ; VI, 12, 2.

[21] I, 18, 5 : III, 9, 10 ; IV, 20, 1 ; II, 1, 4 ; VII, 31, 5 ; III, 23, 3-5 ; IV, 6, 3 ; VI, 2, 3 ; 8, 7 ; 9, 6 et 8 ; VIII, 7, 5 ; 10, 4.

[22] I, 31, 4-5 ; 32, 5 ; 44, 2 et 6 ; VI, 12, 2. Peut-être en 72.

[23] Il y eut plusieurs batailles : semel atque iterum, I, 31, 6 ; prœliis compluribus, VI, 12, 3. César signale comme chef des Éduens Eporedorix (VII, 67, 7).

[24] C’est à elles que je rapporte VI, 12, 4, et peut-être le pulsos de I, 31, 6.

[25] I, 31, 6-9 ; 44, 9 ; VI, 12, 5.

[26] VI, 12, 4.

[27] Les Éduens jurèrent de demeurer perpetuo sub illorum dicione atque imperio, I, 31, 7 ; les Séquanes Galliæ totius principatum obtinerent, VI, 12, 4, cf. 6. Remarquez que César dit (I, 31, 3) qu’avant l’arrivée d’Arioviste les chefs des deux factions sont les Arvernes et les Éduens, et qu’au moment de son arrivée à lui (VI, 12, 1), les chefs étaient les Séquanes et les Éduens.

[28] I, 31, 5.

[29] I, 31, 10.

[30] I, 31, 5, 10, 11 ; 32, 5 (oppida omnia ne doit concerner que les terres séquanes d’Alsace) ; 44, 2.

[31] C’est ce que je conclus de César, I, 44, 3 : Omnes Galliæ civitates (cf. I, 41, 6), et de Cicéron, Ad Atticum, I, 19, 2. — Il faut rejeter l’hypothèse de monnaies rappelant cette ligue (de Saulcy, Revue num., 1860, p. 409 et suiv.).

[32] I, 44, 6 ; 31, 5.

[33] I, 44, 3. Le lieu de la rencontre est appelé par César (I, 31, 12) Admagetobriga [var. -bria], où il me paraît inutile de lire ad Magetobrigam (Nipperdey, Kraner, Meusel, etc., lecture qui date du reste au moins de Marlianus, XVe s.). Le mot peut signifier castellum Admageti et faire allusion à quelque redoute de hauteur. Mais il ne serait pas impossible qu’il fallût lire -briva et songer à un pont (cf. Dottin, Rev. des Ét. anc., IX, p. 180). L’indication topographique de marécages (I, 40, 8) est trop vague pour qu’on puisse retrouver l’endroit. Je doute seulement qu’il faille le chercher hors d’Alsace, comme on le fait d’ordinaire : Arioviste dit que les Gaulois l’ont provoqué (44, 3 et 6) et qu’il se trouvait assez près de Germanie pour recevoir des secours (44, 6) ; remarquez que, même à l’arrivée de César, il est suis finibus (I, 38, 1), c’est-à-dire, je crois, hors de la Gaule. Je suppose donc Admagétobriga à l’entrée de la Haute Alsace ou du territoire séquane, entre Colmar et Schlestadt, et peut-être à Schlestadt même. — L’opinion primitive, sur Admagetobriga, la rapprochait du Rhin : près des marécages du Rhin (Marlianus), Magstadt près de Marsal, puis Bingen (Sanson), Montbéliard (de Vigenere), Porrentruy (Découverte... d’Amagétobrie, par A. [Dunod ?], Porrentruy, 1796), Mazières [?], Maëstricht, etc. — L’opinion courante, depuis le XVIIIe siècle, place Admagetobriga à Broye ou au mont Ardou, près de Pontailler : Chifflet, Vesontio, 1618, p. 139 et suiv. ; d’Anville, Notice, p. 61 ; Schœpflin, trad. fr., I, p. 216 ; Girault, Académie celtique, IV, 1809, p. 273 et suiv., etc. ; Desjardins, II, p. 355 ; Berget, Bull. arch., 1908, p. 108 et s. ; etc. Il y a là, du reste, un fort bel emplacement de camp de marécage, le lieu est un endroit stratégique de premier ordre, au carrefour de grandes routes et des territoires lingon, éduen, séquane. — On a aussi supposé, depuis, Amage près de Luxeuil (Walckenaer, I, p. 326), Gray, Dôle, Gevry (Jura), Moyeuvre en Lorraine (d’Arbois de Jubainville, Noms gaulois, p. 83), etc.

[34] Tout ce qui précède d’après I, 40, 8-9 ; 31, 12 ; 44, 3 : il n’y eut qu’un seul grand combat, semel, uno prœlio. — La date, très hypothétique, que nous donnons avec l’opinion courante, est tirée de celle de la lettre de Cicéron, Ad Att., I, 19, 2 (ides de mars 694 = 9 mars 60, Le Verrier) : Ædui, fratres nostri, pugnant ; Sequani [?] permale [mss. pueri malam ; le texte parait corrompu] pugnarunt. Mais : 1° il n’y a pas un mot des Suèves dans cette lettre ; 2° César ne parle pas de tant de combats ; 3° j’ai peine à admettre une campagne d’hiver. Il est cependant possible de concilier César et Cicéron en supposant que celui-ci fait allusion à des rencontres entre Séquanes et Arioviste en automne 61 (pugnarunt), et à la marche des Éduens, appelés par les Séquanes contre les Suèves, au printemps (pugnant).

[35] César, I, 44, 2-3.

[36] Cela me parait résulter de I, 31, 10. — S’il faut croire Appien (Celtica, 16), Arioviste, en 60, après la bataille contre les Éduens, aurait reçu l’ordre de ne plus les combattre, aurait alors quitté leur pays (argument en faveur de Pontailler), et en échange César, en 59, lui aurait fait donner le titre d’ami : cela expliquerait bien les choses ; mais Appien est la plus misérable des sources, et il est en partie contredit par César, I, 44, 9.

[37] On les trouve dans l’armée d’Arioviste (I, 51, 2), et on ne voit pas d’autre montent où ils aient pu s’installer sur la rive gauche. On a dit (Zangemeister, C. I. L., XIII, II, p. 139) qu’ils y ont été établis par César après la défaite d’Arioviste : cela parait bien invraisemblable. Tout ce qu’on peut dire de César, c’est qu’il les y a laissés (cf. I, 43, 9).

[38] Mêmes remarques. — Les territoires occupés par ces deux peuples ont dû être enlevés aux Trévires.

[39] Mêmes remarques. — De plus, César les mentionne (IV, 10, 3 ; cf. Strabon, IV, 3, 4) sur la rive gauche du fleuve en aval des Médiomatriques. Comme le territoire des Triboques continua plus tard exactement à l’est celui des Médiomatriques, il ne serait pas impossible que le mot de Tribucorum ne soit une correction incorporée dans le texte de César (d’autant plus que le nom manque dans les mss.) ; cf. Strabon, IV, 3, 4. — L’origine germanique et récente de ces trois peuples résulte encore de Pline, IV, 106, et de Tacite, Germanie, 28.

[40] César, I, 37, 3 ; 54, 1 ; cf. IV, 1, 4. Ils songeaient sans doute à l’occupation du territoire trévire de la rive gauche, au nord de celui des Vangions, en aval de Mayence. On voit que le débordement des Germains, de Bâle à Mayence, a été progressif et continu.

[41] I, 36, 3. Les Éduens, après avoir fourni des otages aux Séquanes (I, 31, 7-8 ; 35, 3), en livrèrent aussi à Arioviste (I, 33, 2 ; 35, 3 ; 36, 5). Et, pour affaiblir encore les Éduens, Arioviste empêcha les Séquanes de leur rendre leurs otages (I, 35, 3).

[42] I, 31, 12 et 15 ; 44, 2.

[43] I, 31, 10 et 12 ; 35, 3 ; 36, 3, 4 et 5 (tribut annuel imposé aux Eduens) ; 44, 4.

[44] I, 34, 3 ; 36, 1 ; 44, 2, 3 et 7.

[45] I, 31, 10 et 11 ; 33, 4 et 5.

[46] Le complot d’Orgétorix et les projets d’émigration des Helvètes paraissent contemporains du combat d’Admagétobriga ; Cicéron, Ad Att., I, 19, 2. La grosse difficulté est qu’aucun écrivain n’a indiqué le lien qui unit ces choses. Voyez, là-dessus, en dernier lieu, Rice Holmes, The Classical Quaterly, III, 1909, p. 203-215.

[47] Orgetorix, César. Il ne me paraît y avoir aucun rapport entre lui et les monnaies Orcetirix (Cab., n° 4800 et suiv.), quoi qu’on ait dit (de Saulcy, Annuaire, 1867, II, p. 6 et suiv.) ; ces monnaies, dont quelques-unes portent aussi la légende Eduis, ne peuvent être attribuées qu’aux Éduens (cf. Blanchet, p. 405 et suiv.).

[48] Cf. Ad Att., I, 19, 2, d’où il résulte que les préparatifs et les pourparlers ont été connus de tous.

[49] Casticus, I, 3, 4.

[50] Dumnorix chez César ; c’est bien, je crois, le Dubnoreix des monnaies de la série Dubnocov, Cab., n° 5026-48. Il est moins certain que ce soit le Dubnor(e)x de la série Anorbos, 4945-5023. Je doute qu’il faille le voir dans le Δουβνο d’autres pièces, n° 4883 et suiv.

[51] Totius Galliæ sese potiri posse sperant ; César, I, 2-3.

[52] César, I, 40, 7 : Eosdem (les Suèves) quibuscum sæpenumero Helvetii congressi, non solum in suis, sed etiam in illorum finibus [le pays de Bade] plerumque superarint.

[53] Je présente donc l’œuvre des Helvètes comme en hostilité directe avec Arioviste : cela me paraît résulter de César, qui fait d’eux les adversaires continus des Suèves, et du fait que les Romains, dès le début hostiles aux Helvètes (Cicéron, Ad Att., I, 19, 2), ont été si longtemps favorables aux Suèves.

[54] Remarquez que les principaux adversaires des conjurés sont Diviciac, qui sollicite l’appui de Rome, et le sénat séquane, qui a appelé les Suèves.

[55] César, I, 20, 1-4 ; 31, 3-16 ; 32, 3-5.

[56] Les mss. préfèrent, je crois, la forme Diviciacus, mais il y a assez souvent les var. Divitiacus et Dev-. Les monnaies gardent la forme Δειουιγειαγος.

[57] César, I, 20, 2.

[58] Attestée par Cicéron, De divinatione, I, 41, 90.

[59] César, I, 20, 2.

[60] César, I, 33, 2 ; 43, 6 et suiv. ; 44, 9.

[61] Cicéron, l. c.

[62] Panegyrici Latini, 8, 3, p. 182, Bahrens.

[63] Il est curieux de remarquer, en effet, que, tandis que les Helvètes sont toujours présentés comme les adversaires des Suèves, le sénat ne s’inquiète jamais que des premiers (Cicéron, Ad Att., I, 19, 2). I1 y eut donc, semble-t-il, un accord, tacite ou non, entre Arioviste, Diviciac et le sénat pour se débarrasser d’abord des Helvètes. Remarquez encore que Diviciac, après être parti pour solliciter l’appui du sénat contre Arioviste, ne l’obtient pas et y renonce (César, I, 12, 5), et qu’il ne le réclamera à nouveau, au moins publiquement, qu’après la défaite des Helvètes (César, I, 30 et s.).

[64] Cornélius Nepos rapportait (Pline, II, 170 ; Mela, III, 5, 45) le fait extraordinaire qu’un roi des Suèves (il ne peut s’agir que d’Arioviste ; Mela dit a rege Botorum) envoya à Q. Metellus Celer, proconsul de Gaule (le proconsulat de Metellus en Transalpine de 59 ?, plutôt que son proconsulat en Cisalpine de 62), des Indiens (Indos, des Africains ?), que la tempête avait rejetés en Germanie : cela est bien extraordinaire. Le fait est antérieur à mars 59, date probable de la mort de Metellus.

[65] Il y eut, en 61-60, des incursions d’Helvètes sur le territoire romain (Cicéron, Ad Att., I, 19, 2).

[66] Cicéron, Ad Att., I, 19, 2.

[67] Cicéron, Ad Att., I, 20, 5.

[68] César, I, 35, 4 : M. Messala M. Pisone consulibus senatus censuisset uti, quicumque Galliam provinciam obtineret, quod commodo reipublicæ facere posset, Æduos celerosque amicos populi Romani defenderet. Le décret parait avoir été promulgué après la défaite des Éduens par les Séquanes, mais avant la rupture de ces derniers avec Arioviste.

[69] Et il y eut, en janvier-mars 60, des levées pour ce but (Cicéron, Ad Att., I, 19, 2).

[70] Cicéron, Ad Att., I, 19, 2. Cicéron nomme les trois legati : un consulaire, un prétorien, un troisième de moindre rang ?, Q. Metellus Creticus, L. (Valerius) Flaccus, (Cn. Cornelius) Lentulus Clodiani filius (cf. Willems, II, p. 470).

[71] Les pourparlers d’Arioviste avec le sénat ont dû commencer des 61 ou 60, dès le temps du décret (en tout cas avant mars 59). Ils aboutirent, en 59, César consul, à ce qu’Arioviste rex atque amicas a senatu appellatus est (I, 35, 2 ; 43, 4 ; 44, 5 ; Dion, XXXVIII, 34, 3 ; Plutarque, César, 19 ; Appien, Celt., 16 et 17), et à l’envoi de présents au roi (César, I, 43, 4).

[72] Il luttait contre eux (César, I, 40, 7).

[73] Cf. César, I, 4, 1, qui ne nous dit pas d’où vint la dénonciation, indicium.

[74] César, I, 4.

[75] Cicéron, Ad Att., I, 19, 2 : Senatus decrevit, ut consules duas Gallias sortirentur : il est probable que Metellus (Q. Cæcilius Metellus Celer) eut la Transalpine et qu’il la garda, sans y aller, en 60-59 (Pline, II, 170 ; Mela, III, 45). Il n’est pas certain que la Cisalpine fut donnée et laissée à son collègue L. Afranius : Metellus a pu garder les deux Gaules, les troubles s’étant apaisés. Cette question est une des plus obscures de l’histoire de ce temps (cf. Zumpt, p. 63-65).

[76] Cicéron, Ad Att., I, 20, 5 : Metellus... otium e Gallia nuntiari non magno opere gaudet : cupit, credo, triumphare ; II, 1, 11 : In Gallia speramus otium.

[77] César, I, 9, 2 et 3 ; 17,3 ; 18, 7 et 9.

[78] I, 5, 1 ; il n’est pas impossible que César place dans la bouche de Lisc, au cours de la campagne contre les Helvètes, un exposé qu’il connaissait depuis longtemps.

[79] La durée de cinq ans n’est indiquée spécialement que pour la Cisalpine : il est probable, soit qu’elle fut également consentie pour la Transalpine, soit que celle-ci fut alors donnée sine die, jusqu’à la fin des opérations militaires (cf. Cicéron, De prov. cons., 15, 36 et 37). Comme il parait certain que ce quinquennium prenait fin le 1er mars 54 (Cicéron, De prov. cons., 15, 37), il en résulte que les Gaules ont dû être attribuées à César dès le 1er mars 59, c’est-à-dire qu’il les a gouvernées pendant dix mois comme consul comme, du reste, Metellus et d’autres l’avaient fait avant lui. Le choix de cette date de mars s’expliquerait très simplement, si Metellus avait été chargé des deux Gaules : car c’est vers ce temps qu’il mourut (cf. Cicéron, Pro Cælio, 24, 59, à Dion, XXXVIII, 7, 1), et on se hâta de les confier à César. — Voyez, sur cette question si discutée, en dernier lieu, Hirschfeld, Der Endtermin der Gallischen Statthalterschaft Cæsars, dans Beiträge zur alten Geschichte, IV, 1904, p. 76 et suiv., V, 1905, p. 236 et suiv. (dont j’approuve à peu près toutes les solutions) ; en outre : Hofmann, De origine belli civilis Cæsariani, Berlin, 1857 ; Drumann, 2e éd., par Grœbe, III, 1906. p. 219-220, 720 et suiv. ; Mommsen, Die Rechtsfrage zwischen Cæsar und dem Senat, Breslau, 1857 = Gesammelte Schriften, IV, p. 92 et suiv. ; Zumpt, Studia Romana, 1859, p. 65 et suiv., p. 156 et suiv. ; Napoléon III, Histoire de Jules César, II, 1866, p. 471 et suiv. ; Godt, Quomodo provinciæ romanum per decennium bello civili Cæsariano antecedens administratæ sint, Kiel, 1876 ; Guiraud, Le Différend entre César et le sénat, 1878 ; Fustel de Coulanges, Questions historiques, p. 453 et suiv. (= Journal des Savants, 1879) ; Nissen, Historische Zeitschrift, XLVI, 1881, p. 48 et suiv. : Holzapfel, Beiträge zur alten Geschichte, 1903 ; le même, V, 1905, p. 107 et suiv.

[80] Suétone, César, 22 ; Dion. XXXVIII, 8, 5 (cf. 41, 4) ; Plutarque, César, 14 ; Pompée, 48 ; Caton, 33 ; Appien, Civilia, II, 13, 49.

[81] Né sans doute en 102 = 652 (Mommsen, III, p. 16-7). La tradition ancienne le fait naître en 654 = 100.

[82] Dion Cassius, XXXVIII, 1 et suiv. Cf. Mommsen, III, p. 211 et suiv.

[83] Dion, XXXVII, 52 et 33 ; Plutarque, César, 12.

[84] Suétone, César, 11 ; Plutarque, César, 1, 5, 6.

[85] Suétone, 9, 17 ; Plutarque, 7-10.

[86] Suétone, 19.

[87] Suétone, César, 3, 9, 11, 12.

[88] Suétone, 13, 18 ; Plutarque, 11.

[89] Suétone, César, 2, 49.

[90] Suétone, 55 et 56 ; Plutarque, 3 : Cicéron, Brutus, 71, 248 et suiv.

[91] Dion Cassius, XXXVII, 52, 1-2.

[92] Plutarque, César, 11.

[93] Suétone, César, 7 (place cet épisode en 68) ; Dion, XXXVII, 52, 2 (en 61) ; Plutarque, César, 11.

[94] Nescia vinas stare loco... quo spes quoque ira vocasset ferre manum... successus urguere suos ; Lucain, I, 144-150.

[95] Plutarque, César, 58 ; Suétone, César, 44.

[96] Il est certain que, sauf en ce qui concerne Sabinus, il a toujours été fort bien servi par ses lieutenants, et qu’ils ont eu plus souvent, en Gaule, à réparer ses fautes, qu’il n’a eu à réparer les leurs.

[97] Plutarque, César, 62 et suiv.

[98] Plutarque, César, 61.

[99] Autres erreurs de César sur les hommes, erreurs qui proviennent autant d’une psychologie trop courte que d’un mauvais service de renseignements : sur les Gaulois après la campagne de Belgique, après son retour de Bretagne, et en particulier sur Ambiorix, sur la possibilité de faire accepter des rois à la Gaule, sur Contra, sur les chefs éduens.

[100] Cf. Suétone, 59 : Ne religione quidem ulla a quoquam incepto absterritus unquam vel retardatus est. Il ne parle, je crois, que deux fois des dieux de Rome dans le récit de ses campagnes, et c’est dans des harangues aux soldats ou à l’ennemi.

[101] Il était capable, dit Julien (Conv., p. 396, S.), de disputer l’empire à Jupiter.

[102] Tout ce qu’on a dit sur ses attaques d’épilepsie se réduit à peu de chose : valetudine prospera, Suétone, 45 ; laboris ultra fidem patiens, 57.

[103] Suétone, 57-64.

[104] Suétone, 82.

[105] Suétone, 58-64.

[106] Cf. Suétone, 40 et suiv.

[107] Il faut cependant signaler des traces d’imprévoyance ou de négligence : dans la marche vers la Sambre ; dans l’affaire du premier et du second camp de Tongres ; dans les marches après Bourges ; dans sa retraite sur Dijon ; dans le blocus d’Alésia ; et il semble résulter d’après cela que son service de renseignements laissait à désirer. Voyez les fines remarques, à propos de ces négligences et d’autres, de Pecis, Les Campagnes de César dans les Gaules, I, Milan, 1760, et de Davon.

[108] J’excepte l’admirable campagne du retour, hiver de 52. — La pratique militaire de César, à l’endroit des Gaulois et des Germains. est assez régulière : arriver le plus vite possible à une journée des ennemis, établir son camp assez près d’eux, dans une situation inexpugnable, et qui le rende maître des routes, les étudier et les observer ; puis, toujours à portée de son camp comme point d’appui ou de retraite, leur offrir le combat, mais de façon à les amener ou les tenir en plaine, en contrebas des positions romaines ; s’ils refusent, tenter de bloquer leur campement en établissant un nouveau camp ; mais jamais ne les forcer ; du reste, il le dit lui-même à propos du camp de Vercingétorix : il songe sive elicere sive obsidione premere (VII, 32, 2). — Les autres opérations sont des sièges.

[109] Ce sont bien ses deux facultés souveraines pendant la guerre des Gaules, et César semble bien s’en rendre compte lui-même. Celeritas : II, 12, 5 ; III, 29, 2 ; IV, 14, 2 ; V, 48, 1 ; VII, 8, 2 ; 9, 3 et 5 ; VII, 40-41 ; VIII, 3 ; etc. ; Plutarque, César, 17. Constantia : VII, 17 ; VII, 74.

[110] Voyez le livre de Davon : c’est un pamphlet, mais souvent très juste.

[111] Cicéron, Philippiques, II, 27, 68.

[112] Suétone, 72 et 50-2.

[113] Cf. les vers de Lucain, I, 146 et suiv.

[114] Voyez sa cruauté après Thapsus, Plutarque, César, 53.

[115] On objectera que César était de bon temps, et que l’Antiquité n’a jamais compris que l’on pût, à l’endroit du vaincu, faire autre chose que tuer ou réduire en esclavage : mais, autour de César, il ne manquait pas d’hommes comprenant dès lors les droits de l’humanité, même à l’endroit des Barbares ; cf. Crassus le jeune, et Pompée même.

[116] Dion, XXXVIII, II, 6 ; Ambiorix et les Éburons ; Vercingétorix ; Gutuatr ; les Vénètes ; les gens d’Issolu.

[117] Dion, XXXVIII, 11, 4.

[118] Voyez l’opposition à la guerre de Crassus en 55, Dion, XXXIX, 39.

[119] Cf. Dion, XXXIX, 12 et suiv.

[120] Plutarque, César, 19.

[121] Plutarque, César, 28 ; Dion, XXXVIII, 31, 1 ; Julien, Convivium, p. 324, S.

[122] Cf. César, II, 24, 2.