HISTOIRE DE LA GAULE

TOME III. — LA CONQUÊTE ROMAINE ET LES PREMIÈRES INVASIONS GERMANIQUES.

CHAPITRE IV. — CELTILL L’ARVERNE.

 

 

I. — CELTILL RESTAURE L’EMPIRE ARVERNE.

Pendant ce temps, le reste de la Gaule s’acheminait à son tour vers sa destinée, qui était de devenir une province romaine. Tout l’entraînait à. ce sort : son impuissance à s’unir, l’abus des révolutions politiques, le progrès continu des influences italiennes, les pires dangers du côté de la Germanie. De temps à autre, des chefs ou des peuples essayaient d’enrayer le mal ; il surgissait des patriotes ou des ambitieux, qui rêvaient de donner l’empire à leur nation et de refaire l’union et la grandeur de la Gaule. Mais leur œuvre ne durait pas : querelles de partis et jalousies entre peuples étaient plus fortes que l’intérêt supérieur du nom gaulois, et de chacune de ces tentatives le pays sortait plus déchiré et plus voisin de sa perte.

Une première eut lieu après le départ des Teutons. L’exemple des Belges, qui avaient su repousser les Germains, montrait qu’il suffisait contre eux d’un peu d’entente et de courage. Beaucoup de Gaulois purent se dire qu’au temps de Luern et de Bituit les Transrhénans n’auraient pas eu raison des Celtes groupés sous la loi des Arvernes. Le moment était propice pour rétablir cette unité : Rome s’épuisait dans les guerres civiles et la conquête de l’Orient ; le plus qu’elle espérait au delà des Alpes, c’était de conserver sa province. Elle fut impuissante à empêcher la restauration de l’Empire arverne (vers 80 ?[1]).

Ce fut l’œuvre d’un chef arverne, nommé Celtill, très riche et très puissant chez son peuple[2]. Était-il le descendant des souverains nationaux, de Luern et de Bituit ? ou simplement un de ces grands que l’étendue de leurs domaines et le nombre de leurs clients faisaient les égaux des rois ? nous ne le savons. Mais il se trouva en tout cas assez puissant et assez habile pour s’imposer comme maître à tous les Arvernes, et pour imposer à toute la Gaule le principat de sa nation[3]. Il n’avait point le titre de roi[4] ; son pouvoir était plutôt de même nature que celui d’un imperator romain, commandant, au nom de sa cité, aux chefs des peuples fédérés[5].

Celtill est d’ailleurs le plus inconnu des Gaulois dont l’histoire ait parlé. De lui, elle ne nous a laissé que le nom et le vague souvenir de son autorité suprême. Comment l’a-t-il obtenue ? quelle en a été la durée ? jusqu’où s’étendait-elle ? ce sont autant de choses que les écrivains anciens, absorbés par Marius, Sylla et Mithridate, ont négligé de nous dire. L’empire de Celtill nous apparaît, dans l’histoire de la Gaule, comme un épisode imprévu d’union et de grandeur, entre les misères des invasions cimbriques et les hontes du temps de César. Mais cet épisode montre au moins que l’unité de la Gaule était encore une chose possible.

 

II. — L’EMPIRE BELGE DES SUESSIONS ET LA THALASSOCRATIE VÉNÈTE.

De fait, la génération de Celtill rendait à la Gaule quelques-unes de ses ambitions et de ses espérances.

Du côté des Ardennes et de la route de Sambre-et-Meuse, la brèche faite par les Teutons se réparait. Ils avaient installé sur la Meuse, dans la région de Namur, un corps ou une tribu de six mille hommes, les Aduatiques. On put croire qu’ils n’étaient là que pour ouvrir à toutes sortes de Germains l’accès de la Gaule. Ils se comportèrent d’abord comme en pays conquis, pillant et rançonnant leurs voisins, Éburons et autres. On essaya de les déloger : ils repoussèrent les attaques. Les Belges finirent par s’entendre avec eux, et les Éburons par consentir à un tribut[6]. En revanche, les Aduatiques entrèrent dans la ligue belge, et, oublieux de leur origine, ils feront désormais cause commune avec le nom gaulois[7]. Toutes ces bandes que les Germains avaient laissées au delà du Rhin, Trévires, Nerviens, Éburons, Aduatiques, arrivaient à prendre les habitudes de la terre, et elles ne faisaient plus que renforcer la nation gauloise par l’apport vivifiant d’un sang nouveau.

Les Belges, en ce temps-là, étaient les plus fiers et les plus entreprenants des Gaulois. Ils avaient été les seuls à repousser les Teutons[8] et à ignorer la force des légions. Ils pouvaient espérer des jours de gloire pour leur nom. Comme les terres du Sud et du Levant leur étaient fermées, ils tournèrent leurs ambitions vers l’Océan, vers cette île de Bretagne à moitié peuplée de leurs colonies. Les Vénètes, qui groupaient autour de leur flotte les tribus et cités de l’Armorique, se rendirent maîtres des routes de la Manche : nul ne put y circuler sans leur payer tribut[9]. A côté d’eux, les Suessions de l’Aisne réussirent d’abord à imposer leur patronage à leurs voisins, Bellovaques et Rèmes[10] : puis, leur roi Diviciac passa le détroit, et, par la crainte ou la persuasion, amena les Belges bretons à reconnaître son empire[11]. C’étaient deux puissants États qui grandissaient, unissant sous les mêmes lois les deux rives de la Manche, l’un, riche par ses navires et son commerce, l’autre, par ses épées et ses terres. Plus que les Celtes d’Auvergne et du Morvan, les Belges et les Armoricains étaient alors capables de rendre à la Gaule sa force et sa confiance. Les pensées, les traditions, la religion nationale, étaient plus vivaces chez eux, moins imprégnées d’influences méridionales. Leurs étranges statères d’or, à la tête-enseigne, au cheval à figure humaine, pleins de symboles et d’emblèmes, sont les plus originales des monnaies gauloises, et révèlent une sorte de passion militaire, farouche et inspirée.

Cela se passait dans les années de Marius, de Sylla et de leurs tristes héritiers. Le monde romain était près de se briser en trois tronçons : la mer avec les pirates, l’Occident avec Sertorius, l’Orient avec Mithridate[12]. Celui-ci s’alliait avec les Celtes du Danube, que les proconsuls laissaient tranquilles en ce moment[13]. Celtill et les Belges fondaient leurs empires. On put croire de nouveau qu’il y aurait place sur la terre pour de grandes nations, entre la barbarie des Scythes et des Germains et la tyrannie de la cité romaine.

 

III. — RUINE DES EMPIRES DE CELTILL ET DES SUESSIONS.

Mais ces gloires de Celtill l’Arverne et de Diviciac le Suession furent aussi éphémères que celles de Sertorius et de Mithridate. La fortune du sénat romain l’emporta partout. On a vu comment Pompée le délivra de tous ses adversaires (77-63). Mithridate disparu (63), les Gaulois du Danube furent livrés sans défense aux brigandages des généraux de Rome, aux entreprises des bandes thraces et germaines[14]. Et pendant ce temps, ceux de France, Celtes et Belges, virent une fois de plus s’effondrer leurs empires.

Les Suessions perdirent l’autorité qu’ils avaient conquise sur la Bretagne : les Gaulois de l’île et ceux du continent se séparèrent, et, sans oublier leur communauté d’origine, sans rompre leurs rapports d’amitié, ils renoncèrent à former un seul État[15].

En Belgique même, les Suessions laissèrent échapper l’autorité souveraine. Ils n’y manquaient pas de rivaux parmi leurs voisins, par exemple les Bellovaques et les hèmes. Ceux-là se détachèrent les premiers des Suessions[16] ; les Rèmes leur restèrent fidèles, et consentirent encore à recevoir leurs lois et à obéir à leurs chefs ; mais ils n’attendaient qu’une occasion favorable pour dénoncer l’alliance[17].

L’empire celtique succomba, semble-t-il, par la faute des Arvernes eux-mêmes. Devenu maître en Gaule, Celtill espéra rétablir la royauté à Gergovie au profit de sa famille[18] Mais les cités tenaient moins à leur grandeur nationale qu’à leur liberté politique, ou du moins à ce qu’elles appelaient de ce nom. Les Arvernes s’inquiétèrent peu de la gloire que leur procurait le pouvoir de leur chef. Celtill fut mis à mort comme coupable d’aspirer à la tyrannie[19]. Il est probable qu’il fut la victime du sénat et des autres grands, et, parmi eux, de ses propres parents[20]. Son histoire ressemble à celle de Tarquin le Superbe, dont les pires ennemis furent des hommes de son clan. — Aussi la famille de Celtill ne fut-elle point proscrite. Il laissait un fils, fort jeune encore, Vercingétorix : on l’épargna, et il put même entrer en possession des richesses de son père[21].

La mort de Celtill entraîna la fin de l’hégémonie arverne. La plupart des nations celtiques brisèrent le lien d’obéissance, les Éduens en tête, et il ne resta de dévoués à Gergovie que les peuples de son voisinage[22].

Les deux empires, belge et celte, disparurent vers le même temps. Il est probable qu’ils s’entraînèrent dans leur chute. C’étaient les Éduens qui combattaient surtout les Arvernes, et les Suessions avaient pour rivaux les Bellovaques : or, des liens anciens de clientèle unissaient ces derniers aux chefs de Bibracte[23]. Peut-être ces deux peuples se sont-ils entendus pour entraver, au nord et au sud, les grandes ambitions nationales.

Remarquons que les Éduens demeurent toujours les amis du peuple romain ; remarquons que les Rèmes, rivaux des Suessions, livreront bientôt la Belgique à César[24], et que dès lors les routes et les marchés de la Champagne sont connus des négociants d’Italie. Et je suis tenté de croire que les intrigues de Rome ne furent pas étrangères à cette nouvelle ruine de l’unité gauloise (avant 62)[25].

 

IV. — LES TEMPS DE L’ANARCHIE.

Alors, des temps d’anarchie commencèrent. Non seulement l’unité de la Gaule fut détruite, mais celle des nations se trouva compromise. L’esprit de discorde gagna de proche en proche les tribus, les bourgades et les familles elles-mêmes.

A l’intérieur des nations, la lutte devint plus intense entre les fidèles de la monarchie et l’aristocratie des chefs. Les exemples donnés en Auvergne étaient suivis de divers côtés. Ici, la royauté traditionnelle fut supprimée, par exemple chez les Sénons, les Carnutes et les Séquanes : par égard pour les familles consacrées, on laissa la vie, la liberté et la fortune aux rois déchus et à leurs héritiers, ce qui amènera plus tard de nouvelles révolutions. Là, quelques puissants seigneurs se frayaient la route vers la tyrannie, en répandant leurs largesses sur la multitude et en louant des mercenaires : ce fut le cas de Dumnorix chez les Éduens, d’Orgétorix chez les Helvètes ; et peut–être déjà, chez les Arvernes, le parti monarchique tournait-il ses espérances vers le fils de Celtill.

Chacune de ces secousses fit sentir son contrecoup hors des frontières de la cité. Un prétendant au titre royal liait partie avec les ambitieux des peuplades voisines qui voulaient l’imiter : Orgétorix l’Helvète, Dumnorix l’Éduen, Castic le Séquane, se prépareront bientôt à usurper le pouvoir dans leurs patries respectives. Et, pour faire obstacle aux complots, les grands des différentes cités échangeaient des messages ou concluaient des traités[26].

Ces luttes de partis n’avaient pas mis fin aux rivalités entre peuplades. Elles survivaient à la rupture des empires, et plus d’une fois après la mort de Celtill, les nations voisines en vinrent aux mains. Les Éduens et les Séquanes se disputaient les bords de la Saône, et le désaccord dégénéra en combats violents[27]. Les Rèmes se détachèrent des Suessions[28], les Parisiens des Sénons[29], et je doute que la chose se soit passée sans bataille.

Dans ces conflits encore, les nations belligérantes ne demeuraient point isolées : les cités ou tribus clientes prenaient parti pour elles. Contre les Éduens, les Séquanes eurent l’appui des Arvernes[30]. Et derrière ces trois peuples, il y eut leurs vassaux, leurs frères et leurs amis : Bellovaques, Bituriges et Sénons, à la suite des Éduens[31], Carnutes, Butènes, Cadurques et Gabales, à la suite des Arvernes[32]. La lutte fut alors d’un bout à. l’autre de la Gaule, et la bataille, presque à toutes les frontières de cités[33].

Ce fut, dans ces années, une inextricable confusion de querelles, de ligues et de complots. Tandis que l’ensemble des nations se partageaient en alliées des Éduens et alliées des Arvernes[34], chacune de ces nations avait ses amis du sénat et ses amis de la royauté[35]. Dans les villes, les villages et les maisons mêmes, on ne vivait plus qu’au milieu de disputes[36]. Agités, bavards, absolus dans leurs idées, passionnés pour le discours, ardents à vouloir convaincre, les Gaulois apportaient dans leurs discussions et leurs haines la même ardeur combative et comme un besoin de s’entre-déchirer.

La misère grandissait à la faveur de ces troubles. C’était le temps des proscriptions politiques et des violences privées. Après la fin de chaque querelle, la vainqueur chassait ses adversaires ou confisquait leurs biens[37]. Aucune loi ne pouvait arrêter les exactions des grands : les petits propriétaires, devenus leurs débiteurs, se laissaient dépouiller par eux[38]. Dumnorix l’Éduen ne marchait jamais sans une garde de mercenaires[39], et j’imagine qu’elle ne se privait pas de maraude et de rapines. Les routes étaient sillonnées d’exilés, de fugitifs, d’endettés et de vagabonds[40].

Mais gardons–nous, devant ce triste tableau, de parler de décadence irrémédiable, et d’annoncer la fin nécessaire de la Gaule. Ces crises d’anarchie, la terre de France les a connues presque à chaque siècle de son histoire : Barbares et Romains après Théodose, Neustriens et Austrasiens après Clotaire ou Dagobert, puis les luttes entre les fils de Charlemagne, Armagnacs et Bourguignons, huguenots et papistes, frondeurs et mazarins, il semblait chaque fois impossible qu’une pensée fraternelle survécût à ces sanglantes discordes ; et cependant, de ces temps de fureur, il est toujours sorti une nation plus robuste et plus unie.

Il pouvait donc se faire que la folie présente, celle qui divisait la Gaule entre Arvernes et Éduens, trouvât à la fin son remède, et que le nom celtique grandit à nouveau. Il conservait encore ses principes d’entente. Les druides tenaient toujours leurs assises, et les bardes chantaient toujours leurs légendes. A côté même des réunions de prêtres, de grands conseils politiques se rassemblaient de temps à autre. Car les Gaulois, après le démembrement de l’empire de Celtill, n’avaient pas répudié tous les devoirs et toutes les amitiés que leur créait leur communauté d’origine, de langue, de nom et d’histoire. Les principaux chefs des cités se réunissaient, sans doute tous les ans, pour parler des intérêts collectifs, peut-être pour fixer des temps de trêves et pour essayer d’établir la paix : il y avait toujours un conseil suprême de la Gaule, à défaut d’un empire souverain[41]. — Le jour où on le voudrait, ces assemblées, ces traditions, ce nom gaulois, pourraient servir à réveiller les énergies de la nation entière.

 

V. — PROGRÈS DE L’INFLUENCE LATINE.

L’étranger, de son côté, se rapprochait de la Gaule, et l’enserrait chaque jour davantage de son influence ou de ses desseins.

Le sénat, après la défaite de Bituit, eut beau renoncer à la Gaule : il n’en dut pas moins s’y intéresser sans cesse. Depuis le val d’Aran jusqu’au lac de Genève, l’Empire romain et la Celtique indépendante se touchaient sur près de deux cents lieues d’étendue[42]. Sauf du côté des Cévennes, c’était une frontière sans obstacles naturels : on a vu, au temps des Cimbres et des Teutons, avec quelle aisance l’ennemi put la franchir. Rome avait le devoir de la surveiller de très près.

Elle le fit, pendant longtemps, avec un vif désir de la paix. Des traités d’amitié et des conventions de voisinage furent conclues avec les peuples limitrophes : le sénat s’interdit, sinon d’accueillir les émigrés ou les proscrits de la Gaule, du moins de les traiter en amis et de les recevoir comme citoyens[43] ; les Séquanes livrèrent les chefs teutons qui fuyaient par leurs terres. Il y eut des deux parts quelques efforts pour trancher à l’amiable les litiges des frontières. Si çà et là quelque grave incident se produisait, le sénat en délibérait sans se hâter de mettre les légions en branle.

Mais, si les soldats de l’Italie s’abstenaient de franchir la frontière, les marchands ne s’en faisaient point, faute. Des relations commerciales s’établirent entre les trafiquants de la Province et ceux de la Celtique, surtout pour la vente du vin[44]. Le col du Grand Saint-Bernard était ouvert aux négociants qui venaient d’Italie[45]. Lorsque les colons latins furent chassés de Tienne par les Allobroges, ils se réfugièrent chez les clients des Éduens, les Ségusiaves, et s’installèrent à Lyon. La place valait amplement celle qu’ils avaient quittée. Ils y restèrent. Avant que les armes eussent créé la Gaule romaine, le commerce en avait déjà indiqué la capitale.

De leur côté, je crois bien que les Celtes voyageaient sans déplaisir sur les terres romaines de Languedoc ou de Provence. Ce grand empire du voisinage n’a pu manquer d’exercer sur ceux, comme il le fit sur les Cimbres et les Germains, une puissante attraction, et quelques Gaulois en vinrent à désirer, comme un titre divin, ce nom de citoyen qui permettait de commander au monde : César aura dans sa cavalerie un chef d’Aquitaine, citoyen romain, et portant le nom d’une gens romaine[46]. Et il fallait bien que cet attrait de la patrie romaine fût devenu une chose inquiétante, puisque certains peuples gaulois s’en alarmèrent, et qu’ils obtinrent du sénat de ne point le favoriser.

Ces rapports continus habituaient peu à peu les Gaulois aux usages d’Italie, et leur faisaient oublier ceux qu’ils tenaient de Marseille la Grecque. Pour leurs contrats et leurs échanges, les trafiquants de Narbonne et de Vienne se servaient surtout des monnaies romaines et de l’alphabet latin. Les Celtes y recoururent à leur tour. Ce fut en lettres latines que les Arvernes, les Éduens et d’autres gravèrent en ce temps la plupart de leurs légendes monétaires[47] ; des figures empruntées aux deniers romains apparurent sur leurs pièces[48]. Ils laissaient de plus en plus les dieux nationaux frayer avec les divinités du Midi, et peut-être consentirent-ils dès lors à ce que Teutatès fût Hermès ou Mercure, Taran, Jupiter, et Bélénus, Apollon[49]. Quelques-uns connurent l’histoire et les traditions latines : et l’on vit même les Arvernes et les Éduens forger ou accepter une légende qui faisait d’eux les frères des hommes du Tibre, les fils, comme ces derniers, de quelque héros du Midi[50]. Ils imitèrent en cela les Romains eux-mêmes : lorsque ceux-ci avaient été mis en relation avec les dieux et les mythes de la Grèce, ils avaient rattaché leur passé à celui de l’Hellade, et choisi Énée pour ancêtre, dissimulant leur barbarie native sous l’adoption d’un fondateur illustré par Homère. La Gaule en agissait de même. Elle s’inclinait de bonne grâce vers ce nom romain qui s’avançait lentement vers elle.

 

VI. — APPROCHE DES DACES ET DES SUÈVES[51].

Les pires dangers, en ce moment, venaient de la Germanie et non de Rome. Des malheurs imprévus accablèrent le nom gaulois au delà du Rhin : les vieilles nations qu’il possédait sur le Mein et le Danube s’effondrèrent enfin sous les coups des Barbares. Elles avaient à peine échappé aux hordes des Cimbres, que de nouvelles bandes parurent pour consommer leur ruine.

Au sud, ce furent les Daces de Scythie qui attaquèrent. Ce nom n’était à l’origine que celui d’une petite peuplade thrace de la Roumanie[52] : mais d’heureuses circonstances et des chefs habiles en firent, au temps de Pompée[53], la plus grande puissance barbare de l’Europe. Les Daces soumirent leurs voisins les Bastarnes[54], la colonie la plus avancée que les Galates du temps de Brennos eussent laissée dans les plaines de l’Est ; puis, ils assaillirent la cité grecque d’Olbia, l’antique souveraine du golfe du Dnieper, qui, comme Marseille dans l’Occident gaulois, perpétuait dans l’Orient des Scythes la gloire et les traditions des Hellènes. Olbia, qui avait résisté à cinq siècles d’assauts barbares, fut prise et détruite (vers 63 ?)[55], et désormais, les Daces, maîtres de la mer, des bouches des grands fleuves et des terres limoneuses de la Russie, purent prétendre à un rôle souverain. Par le Danube, ils remontèrent vers l’Europe centrale : les Gaulois Scordisques de Belgrade, abîmés par les Romains, ne furent pas un obstacle[56]. Les plaines de la Hongrie, le plateau minier de la Transylvanie, passèrent à leur empire, et ce fut au détriment des derniers héritiers du Celte Ségovèse. Enfin, entre Pesth et Vienne, en ces lieux prédestinés aux grandes batailles, ils se heurtèrent aux armées associées des Boïens de Bohême et des Noriques de Styrie. Les Gaulois furent battus dans de sanglantes rencontres[57] : tout ce que les Boïens possédaient sur le Danube leur fut enlevé, et ils se virent réduits à la Bohême[58]. Les Noriques furent aussi, je crois, rejetés dans leurs montagnes[59]. De Vienne à Odessa, l’empire des Daces étreignait les plus belles routes et les carrefours les plus populeux de l’Europe centrale, et ses terres les plus riches en métaux et en blés (60 ?[60]).

Au nord, ce furent les Suèves qui se présentèrent contre les Celtes. Ils étaient, on l’a vu, les plus nombreux et les plus unis d’entre les Germains, dont ils occupaient, en Brandebourg, les terres centrales. L’ambition leur vint alors, comme aux Daces, de fonder un vaste État, et je me demande si les uns et les autres n’étaient point entraînés par le désir d’imiter la splendeur de la chose romaine[61]. Chaque année, les peuples confédérés sous le nom suève détachaient de leurs cent tribus une partie de leur jeunesse, et l’envoyaient au loin pour dévaster ou conquérir[62]. Et à tous les points de l’horizon, les autres Barbares, Scythes, Celtes et Germains, sentirent le poids de leurs armes et la fougue de leur élan. Au nord, je crois qu’ils ne furent pas étrangers aux malheurs des Cimbres et des Teutons, et qu’ils finirent par faire de la Baltique une mer suève[63]. A l’est, dans les plaines marécageuses de la Vistule, le sol était trop mauvais pour être pris : ils se bornèrent à détruire tout ce qu’ils pouvaient, élargissant le désert devant eux, se gardant par d’immenses solitudes contre les hordes de la Scythie[64]. Sur les bonnes terres de l’ouest et du sud, ce fut une marche lente et progressive : à chaque étape, les Suèves s’arrêtaient, laissaient des colonies, créaient des peuplades ; puis, quelques années écoulées, ils poussaient plus loin leur conquête.

Des nations du Midi, les plus riches et les plus exposées étaient les Celtes de la Haute Allemagne, Helvètes en Franconie et Souabe, Volques Tectosages en Bavière, les plus vieilles colonies de Ségovèse. Elles furent attaquées les premières, et les Suèves n’eurent qu’à lancer leurs bandes par les cols de la Thuringe pour que les deux Empires fussent détruits. Les Helvètes, plus braves, habitués aux migrations depuis le temps des Cimbres, purent éviter le massacre ou la sujétion, et gagnèrent, au sud du Rhin, les terres de la Suisse, où ils vont se réorganiser en nation[65] Des Volques au contraire, tout disparut, et il ne resta plus qu’un vague souvenir[66] de cet empire sage et laborieux, qui, pendant trois siècles, avait fait respecter le nom celtique dans l’Europe centrale.

A la place des Volques et des Helvètes, des colonies de nations suèves, Marcomans, Harudes, Vangions, Némètes, Triboques, s’établirent dans les vallées du Mein, du Neckar et du haut Danube, et les acquirent pour longtemps aux influences germaniques[67]. Maintenant, les Suèves occupaient les pays de Mannheim, de Francfort et de Mayence, d’où partaient toutes les routes de l’Ouest ; ils touchaient au Rhin depuis le coude de Bâle jusqu’aux pentes du Taunus. De nouvelles terres, plus riches encore, s’ouvraient à leurs ambitions. Ils avaient le choix entre deux chemins : passer le fleuve, et se déverser en Alsace et en Gaule ; ou le descendre, et, au delà du Taunus, enlever la rive droite aux Germains du couchant. Ils étaient assez nombreux pour oser l’un et l’autre.

Ainsi, tandis qu’autour de la Méditerranée, sous la direction intelligente de Pompée, l’empire du sénat romain arrivait à son plus haut degré de force, deux autres empires se préparaient à ses frontières, comme pour essayer l’unité de l’Europe barbare. C’était le temps où l’Arverne Celtill disparaissait, et où Celtes et Belges se déchiraient en ligues rivales. Entre ces trois puissances formidables qui le bloquent de toutes parts, le monde celtique ne présente plus que des épaves prêtes à sombrer. Il faudrait, pour les sauver, des hasards inespérés et des précautions infinies.

 

 

 



[1] Celtill se place avant 62, où la Gaule nous apparaît comme fort désunie ; sa mort, au plus tôt vers 82, puisque Vercingétorix, son fils, avait au plus trente ans en 52 (cf. César, VII, 4, 1). Il n’y a aucune impossibilité à faire son empire contemporain des guerres civiles romaines de 89 à 71, par conséquent de l’œuvre de Sertorius.

[2] César, VII, 4, 1 : Vercingetorix, Celtilli filius, Arvernus, summæ potentiæ adolescens, cujus pater principatum Galliæ totius obtinuerat.

[3] Note 2.

[4] Note 2.

[5] Note 2.

[6] César, II, 29, 5 ; V, 27, 2 ; II, 4, 9.

[7] Note précédente.

[8] On peut se demander pourquoi ils ont laissé les Aduatiques s’installer : c’est que cette colonie de Teutons fut établie, entre Nerviens et Éburons, dans la région d’immigration germanique.

[9] César, III, 8, 1.

[10] César, II, 4, 7. Que les Rèmes dépendissent de Diviciac, cela résulte de II, 3, 5. Je doute qu’il ait pu conquérir la Bretagne sans avoir imposé son autorité aux Bellovaques, aux Atrébates et aux Morins. — Il serait possible que les monnaies portant le nom Δειουιγιεαγος appartinssent à ce Diviciac (de Saulcy, Chefs, p. 17-8 ; Blanchet, p. 115, 377-8).

[11] Note précédente. Les recherches faites par John Rhys (The Welsh People, 1900, p. 88-90) pour retrouver les vestiges de la domination de Diviciac (le dieu rème Camulus à Camulodunum, etc.) ne paraissent pas très concluantes (dans le même sens que nous, Rice Holmes, Ancient Britain, 1907, p. 299-300). Il n’est pas certain que l’empire des Suessions se soit étendu très loin.

[12] Cicéron, Pro lege Manilia, 4, 9.

[13] Mithridate s’est allié de très bonne heure avec les Gaulois du Danube, Bastarnes, Scordisques ou autres (Appien, Mithrid., 109), et c’est par un officier celte, Bituit, qu’il se fit tuer (id., 111 ; Tite-Live, Ép., 102). Cf. Th. Reinach, Mithridate, p. 74. — Trogue-Pompée parle (Justin, XXXVIII, 3, 6), à la date de 89, de relations de Mithridate avec les Cimbres : c’est bien douteux, et je doute également, malgré les leçons des mss. ; que Mithridate ait voulu parler de l’ambre de la Germanie (in Germaniæ litoribus, Pline, XXXVII, 39, où Detlefsen propose Carmaniæ). Dans un sens conservateur, pour ces deux passages, en dernier lieu Matthias, Ueber die Wohnsitze... der Kimbern, p. 19 et suiv.

[14] Il me parait certain que l’Empire dace n’a été possible que par la disparition de celui de Mithridate.

[15] Cela résulte, indirectement, de César, II, 4, 7.

[16] Cela résulte, également, de César, II, 4, 5-7, où l’importance des Suessions sous Diviciac s’oppose à celle des Bellovaques en 57 (plurimum... valere).

[17] César, II, 3, 5.

[18] César, VII, 1, 1 : Celtilli ... ob eam causam, quod regnum appetebat, a civitate erat interfectus.

[19] Note précédente.

[20] César, VII, 1, 1 ; cf. César, VII, 4, 2, où Cobannitio (Gobannitius ?), frère de Celtill, est représenté comme hostile à son neveu Vercingétorix, et défenseur de l’aristocratie.

[21] Cela résulte de VII, 4, 1 : Vercingetorix... summæ potentiæ adolescens... convocatis suis clientibus.

[22] Rutènes, Cadurques, Gabales, Vellaves : César, VII, 75, 4.

[23] César, II, 14, 2.

[24] César, II, 3.

[25] On peut ajouter les manœuvres de Pompée, et il ne serait pas impossible que son hivernage dans le Midi (74-73) et ses passages en 77 et 71 eussent été en partie employés aux affaires de la Gaule indépendante.

[26] Supposé d’après I, 30, 4-5 ; 31, 1 et suiv.

[27] Strabon, IV, 3, 2. — Il faut chercher ces terres sur la rivière, et sans doute, puisqu’il est question de διαγωγικά τέλη, à un endroit de passage, où les terres des Éduens et des Séquanes se sont touchées. Il semble, si l’on tient compte des divisions médiévales (cf. la carte de Garnier, 1815, dans les Mém. prés. par divers savants à l’Ac. des Inscr., II, II, 1849), il semble que ces deux peuples se soient rencontrés sur la Saône entre Verdun au confluent du Doubs et Pontailler à celui de l’Oignon : c’est sur cette ligne, et peut-être aux passages fréquentés de Saint-Jean-de-Losne et d’Auxonne, qu’a dû naître la querelle. — Je suppose que les Séquanes ont enlevé les terres et que César les a rendues aux Éduens.

[28] César, II, 3, 5.

[29] VI, 3, 5.

[30] César, I, 31, 4.

[31] II, 14, 2 ; VII, 5, 2 ; VI, 4, 2.

[32] Pour les Carnutes, leur alliance avec les Arvernes me parait résulter de VI, 4, 4, rapproché de VI, 12, 7 ; pour les autres, VII, 75, 2.

[33] In Gallia non solum in omnibus civitatibus atque in omnibus pagis partibusque sed pæne in singulis domibus factiones sunt ; VI, 11, 2 ; 11, 5 ; et les textes, V1, 12, 1, cf. I, 31, 3, montrent que ces deux factions sont Arvernes et Éduens.

[34] I, 31, 3.

[35] II, 1, 4.

[36] In Gallia non solum in omnibus civitatibus atque in omnibus pagis partibusque sed pæne in singulis domibus factiones sunt ; VI, 11, 2 ; 11, 5 ; et les textes, V1, 12, 1, cf. I, 31, 3, montrent que ces deux factions sont Arvernes et Éduens.

[37] V, 56, 3 ; I, 20, 2-3.

[38] VI, 22, 3 (s’oppose aux Gaulois) ; cf. VI, 11, 4 ; I, 4, 2 (obæratos suos).

[39] I, 18, 3.

[40] III, 17, 4 (perditorum hominum latronumque) ; VII, 4, 3 (egentium ac perditorum) ; VIII, 30, 1 (perditis..., exsulibus omnium civitatum,... latronibus) ; V, 53, 3 (exsules damnatosque).

[41] L’existence d’un conseil des chefs de toute la Gaule n’est nulle part formellement attestée avant 58. Mais je la crois prouvée par les faits suivants : 1° on le trouve dès l’entrée de César en Gaule en 58 (I, 30, 4) ; 2° je doute que sa périodicité, printemps et automne, sous le proconsulat de César (IV, 6, 5 ? ; V, 2, 4 ; V, 24,1 ; VI, 3, 4 ; VI, 40, 6 ; VI, 44, 1), ait pu être une innovation romaine ; 3° dès que les Gaulois se sont sentis libres, en 52, ils convoquent une assemblée générale de la Gaule à Bibracte, Celtes et Belges réunis (VII, 63, 5) ; 4° enfin, l’expression de concilium totius Galliæ chez César (I, 30, 4 ; VII, 63, 5) semble bien désigner un usage connu et courant. Contra, Fustel de Coulanges, Inst. pol., I, p. 4 et suiv. — Indépendamment d’une assemblée générale à tous les Gaulois, il y a celle des Celtes (peut-être celle de 58, I, 30, 4), et celle des Belges (en 57, communi Belgarum concilio, II, 4, 4).

[42] Agrippa (Pline, III, 37) donnait à la Gaule Narbonnaise 370 milles de long, ce qui est à peu près la mesure entre le méridien du val d’Aran et celui de Monaco.

[43] Cicéron, Pro Balbo, 14, 2 : At enim quædam fœdera exstant, ut Germanorum [Cenomanorum ?], Insubrium, Helvetiorum [Venetorum ? en tout cas je ne peux croire qu’il s’agisse d’une convention conclue en 58], Japidum, nonnullorum item ex Gallia barbarorum, quorum in fœderibus exceptum est, ne quis eorum a nobis recipiatur.

[44] Gallis provinciarum propinquitas et transmarinarum rerum notitia multa ad copiam atque usus largitur, César, VI, 24, 5 ; Cicéron, Pro Fonteio, 5, 9.

[45] César, De b. G., III, 1, 2.

[46] Piso Aquitanus, petit-fils d’un roi ami du peuple romain (César, IV, 12, 4). Peut-être aussi Pompée.

[47] Il est vrai que toutes les légendes qui paraissent se rapporter à des chefs connus ne concernent que des chefs connus après 59 (sauf Diviciac) : Rex Adietuanus Sotiota, Dubnoreix, Dumnorix, Durat., Epad., Litavicos, Orcetirix, Orgétorix ?, Tasgetios, Verga., Vercingetorixs, Commios. Mais il faut remarquer que les textes nous font connaître bien peu de chefs avant cette date.

[48] Il est certain que la chose s’est faite après 58 ; reste à savoir si elle ne s’est pas produite aussi antérieurement : cela n’est pas impossible, vu que quelques-uns des deniers romains copiés par les Gaulois sont antérieurs à cette date (cf. Blanchet, p. 198 et suiv.).

[49] L’assimilation des dieux celtiques avec les dieux romains apparaît dès César (VI, 17) : mais je crois bien que Posidonius avait parlé de Cronos ou d’Hermès à propos des Gaulois. Une trace antérieure, peut-être. En Cisalpine, l’assimilation a été déjà faite par Polybe.

[50] Pour les Eduens, cf. chapitre premier. Pour les Arvernes : Lucain, Pharsale, I, 427-8 : Arvernique ausi Latio se fingere fratres sanguine ab Iliaco populo ; cf. Sidoine, Ép., VII, 7, 2 ; Carm., VII, 139. C’est à tort, je crois, qu’on a vu là une erreur du poète au lieu des Eduens (opinion de Hirschfeld, Sitzungsberichte der... Akad. de Berlin, LI, 1897, p. 1108) ; cf. Roth, Germania, I, 1856, p. 51 et suiv., et Birt, Rhein. Mus., LI, 1896, p. 523.

[51] Sur les Daces : von Gutschmid, Kleine Schriften, V, p. 324 et suiv. ; Niese, Zeitschrift für deutsches Altertum, XLII, 1898, p. 152 et suiv. (surtout sur leurs luttes avec les Boïens) ; Brandis ap. Wissowa, IV, col. 1948 et suiv. Pour les Suèves, les ouvrages cités au premier chapitre, qui sont à consulter aussi pour les Daces. En dernier lieu, sur ces évènements, Howorth, The Germans of Cæsar, dans The English Historical Review, XXIII, n° 91, juillet 1908.

[52] Leur situation primitive résulte de leurs rapports avec les Bastarnes de Bessarabie et les Scordisques de Belgrade ; Justin, XXXII, 3, 16 ; Brandis, col. 1956.

[53] Jordanès, Getica, XI, 67, donne la date de 82 comme début de Burbista. Contra, von Gutschmid, V, p. 324. Il semble en tout cas que les progrès des Daces supposent la fin de Mithridate en 63.

[54] Cela résulte de leur conquête d’Olbia, dont ils étaient séparés par les Bastarnes (cf. Brandis, c. 1959).

[55] Dion Chrysostome, II, p. 75, Reiske. Brandis (c. 1959-60) place l’évènement après ceux du Danube.

[56] Strabon, VII, 3, 11 ; 5, 2.

[57] Il semble que vers ce temps-là le roi boïen Critasiros (Ecritusir[us] sur les monnaies ? Kubitschek, Jahreshefte des Œst. arch. Inst., 1906, p. 70 et s.) ait formé un grand empire unissant les États celtiques du Danube, Boïens d’Autriche (de Passau au lac Balaton), Noriques et peut-être aussi Boïens de Bohème. Critasiros entra en conflit avec les Daces au sujet de la Theiss (?, τοΰ Παρίσου, Strabon, VII, 5, 2), il fut battu, l’empire se disloqua ; VII, 5, 2 ; 3, 11. C’est alors sans doute que disparut l’État celtique de Transylvanie.

[58] Il resta de leur empire sur le Danube le nom de deserta Boiorum. La destruction de l’Empire boïen résulte de l’émigration des Boïens en 59-58 (César, I, 5, 4). — Il semble qu’il y ait eu, après la défaite, discorde entre Boïens et Noriques, Noréia ayant été assiégée par les premiers vers 60 (César, I, 5, 4), avant leur départ pour la Gaule.

[59] Cela résulte des textes cités dans les deux notes précédentes.

[60] Sans doute avant la migration des Boïens en 59-58.

[61] Le rêve d’un Empire suève parait bien chez Arioviste, I, 44.

[62] Centum pagi ; César, I, 37, 3 ; IV, 1, 4 ; Tacite, Germanie, 39, où Tacite parait appliquer aux Semnons, centre de la confédération suève, les centum pagi qui se rapportent à celle-ci. L’expression, fait justement remarquer Fustel de Coulanges (Recherches, p. 260, n. 1), doit être un terme de convention.

[63] Tacite, Germanie, 40, cf. 41, 43.

[64] Una ex parte [l’Orient] a Suebis circiter millia passuum sexcenta [sic α, les mss. β ont .c.] agri vacare dicuntur ; César, 1V, 3, 2. On a supposé qu’il s’agit de la Bavière ; on a supposé aussi la Bohème : mais elle appartenait encore, je crois, aux Boïens. L’énormité du chiffre énoncé me fait penser de préférence aux terres lointaines et mauvaises : il y a trop de terres fertiles en Bavière pour y avoir fait un pareil désert.

[65] Cette expulsion des Helvètes et leur migration en Suisse, l’établissement des Suèves dans les vallées du Mein et du Neckar, résultent des faits suivants : 1° Tacite, Germanie, 28 : Inter Hercyniam silvam Rhenamque et Mœnum amnes Helvetii... tenuere ; 2° il est visible, par César, que toute la rive droite du Rhin, depuis le lac de Constance jusqu’à Mayence, dépend des Suèves et d’Arioviste (I, 40, 7 ; I, 37, 3 ; IV, 19 ; VI, 9, 8) ; 3° la résidence principale d’Arioviste (cf. I, 38, 1) parait avoir été près de Mannheim, à Lopodunum, Ladenburg, civitas Sueborum (cf. C. I. L.,XIII, II, p. 230-231, et, en dernier lieu, Schumacher, Bericht über den achten Verbandstag der west- und süddeutschen Vereine, etc., Berlin, 1908, p. 51-2).

[66] L’établissement des Suèves en Bavière résulte, d’abord de la disparition complète du nom des Volques Tectosages, fait que César semble faire contemporain (ad hoc tempus) des victoires d’Arioviste (VI, 24, 3), et, ensuite, de leur contact avec les Daces, qui ont vaincu les Boïens sur le Danube. — Il me semble cependant difficile que le fameux désert dont parle César soit à chercher dans la Bavière et se continue, au delà de l’Inn, avec « les déserts des Boïens (Strabon, VII, 1, 5 ; 5, 2 ; Pline, III, 146 ; Dimensuratio, 18, p. 12, Riese), qu’on place d’ordinaire autour du lac Balaton. — Il est du reste probable que la domination suève a été moins forte en Bavière qu’en Souabe et Franconie, et que les Vindéliques et les Rètes des montagnes ont évincé peu à peu les Germains (cf. Strabon, VII, 1, 5 ; IV, 6, 8).

[67] Ce sont les peuplades que nous trouvons autour d’Arioviste (I, 31, 10 ; 37, 2 ; 51, 2). Il faut ajouter les Sedusii (I, 51, 2), sur lesquels il est impossible de rien dire.