HISTOIRE DE LA GAULE

TOME II. — LA GAULE INDÉPENDANTE.

CHAPITRE IX. — LES MONNAIES[1].

 

 

I. — DE LEUR RÔLE DANS LA VIE GAULOISE.

Un des signes les plus visibles de la prospérité et de l’intelligence de la Gaule, en matière économique, était l’intensité de la circulation monétaire. La propriété foncière, immobilière et durable, se doublait de la fortune mobile que donne l’abondance de numéraire. Toutes les sources de la richesse étaient connues de ces peuples.

Les bénéfices en espèces entraient pour beaucoup dans les convoitises et les règlements des hommes. C’est à prix d’or qu’Hannibal s’assura le passage entre les Pyrénées et le Rhône[2], et qu’Hasdrubal décida les Arvernes et autres à le suivre au delà des monts[3] : ces deux chefs, aux mains largement ouvertes, puisaient dans les trésors militaires les plus abondants que l’Occident ait connus, et ils ont dû inonder le Midi de pièces d’argent ou d’or au cheval et à la tête de Cérès[4]. Marseille, plus lentement, laissait ses drachmes et ses oboles gagner de proche en proche les routes et les marchés de la Gaule[5]. Les monnaies de ses colonies de Rosas et d’Ampurias pénétraient au nord des Pyrénées par le col de Roncevaux, le Pertus et Port-Vendres[6]. Il n’était pas jusqu’à celles des nations ibériques, vasconnes et autres, qui ne descendissent en Aquitaine par les cols de l’occident[7]. A l’est, le long de la voie du Danube, montaient sans relâche, transmis de peuple à peuple, les butins monnayés ramassés dans les fructueuses expéditions de Delphes, de la Propontide et de la Bithynie[8]. Enfin, ces mercenaires gaulois que nous avons rencontrés dans les guerres méditerranéennes, Gésates en Cisalpine, soldats de Carthage, de Syracuse et de la Macédoine, ne cédaient leurs bras et leur courage que contre des pièces et surtout des statères d’or de bon aloi, payés comptant le plus possible’ : et ceux qui ne mouraient pas sur les champs de bataille revenaient jouir chez eux du pécule amassé. Par toutes ses frontières méridionales, la Gaule voyait pénétrer chez elle la monnaie des nations étrangères.

Au commencement du premier siècle, et peut-être depuis longtemps, l’usage de la monnaie est entré dans la vie de tous. Il est question de droits de douane ou de péages, de capitaux et d’intérêts annuels, d’impôts mis à ferme, de créances recouvrables dans une autre vie, d’opérations financières en un mot que rend seul possibles l’emploi normal de pièces comptées. C’est en espèces, sans doute, que les cités et les chefs soldaient leurs serviteurs ou mercenaires[9]. Une bourse pleine d’or était la récompense dont un roi arverne gratifiait son poète[10], et les puissants du jour aimaient parfois à se promener sur leur char en semant à la volée des pièces d’or et d’argent que se disputait la multitude[11]. Dès que les négociants italiens pénètreront dans la Gaule, ils y trouveront des hommes disposés à comprendre les prêts à usure, les livres de banque, toute la procédure de comptabilité commerciale oit ils étaient passés maîtres[12].

Ce qui montre plus encore l’aptitude des Gaulois à la vie monétaire, c’est que, dès le troisième siècle[13], ils se sont rendus indépendants des peuples monnayeurs du monde civilisé, et qu’ils ont tenu à frapper monnaie chez eux, et pour leur propre compte.

Voilà, entre autres choses, en quoi ils l’emportèrent sur les Barbares qui les avaient précédés et sur ceux qui entouraient encore leur contrée. Les Ligures, malgré le triple contact de Marseille, de l’Étrurie et de Rome, ne surent jamais battre monnaie ; les Germains dédaigneront pendant longtemps toute initiative de ce genre. Sans doute, l’abondance ou la rareté des métaux précieux était de nature à encourager les Celtes et à détourner les autres. Mais cette cause extérieure n’explique les choses qu’à moitié. Et il faut bien que les Gaulois aient eu vraiment l’intelligence et la passion de l’or et de l’argent monnayés, pour qu’on rencontre des pièces à leur marque partout où ils se sont établis : ils en imposaient l’usage même à l’île de Bretagne, dont les indigènes quittaient à peine leurs habitudes de sauvages, la vie dans les bois, le mépris de l’agriculture et la communauté des femmes[14].

Il s’est même trouvé que le début de la Gaule dans une vie à la façon gréco-romaine a été précisément la frappe de ses pièces d’or. Bien avant de sculpter des statues, de graver des inscriptions, d’écrire ses poèmes, elle posséda des monnaies accompagnées de figures et de légendes. Toutes les autres formes de l’art, elle ne s’y essaiera qu’au moment de sa défaite

elle eut ses monnayeurs deux siècles avant l’arrivée de César. Leurs produits sont les premiers objets à figures de l’industrie celtique ; et ils furent les seuls pendant longtemps. Ce qui est plus significatif encore, c’est que les plus vieilles monnaies datent d’une époque où les historiens ne parlent pas de la Gaule. Elles sont, presque toujours, les témoins primitifs des peuples de nom celtique. Et par suite, elles nous ont fourni quelques-uns des traits distinctifs du monde où elles ont pris naissance, de ses croyances, de ses habitudes, de ses ambitions.

On a frappé monnaie en Gaule à peu près partout, aussi bien aux extrémités de la contrée, chez les Belges[15] et en Armorique[16], que dans le voisinage des gîtes métalliques. S’il est probable que le monnayage a commencé plus tôt chez les nations du Centre, il semble qu’il se soit introduit chez toutes graduellement. Les pièces, en tout cas, ont pénétré, se sont arrêtées sur les points les plus opposés. On les ramasse dans les marais de la Flandre, les bois et les landes du Finistère, les forêts de la Combrailles, dans des régions même qui ne sont visitées aujourd’hui que par des bergers et des bûcherons, et on les trouve non pas seulement disséminées en exemplaires isolés, mais entassées en de véritables trésors, perdus jadis dans le cours d’une guerre ou d’un voyage[17]. La circulation en était à la fois générale et intense. Et peut-être, dans l’histoire monétaire de notre pays avant le seizième siècle, Rome a-t-elle été seule capable de rivaliser avec les Celtes pour répandre à travers les hommes une telle moisson d’espèces sonnantes.

 

II. — SYSTÈMES MONÉTAIRES.

Ces pièces sont tout ensemble très voisines et très diverses les unes des autres. Elles diffèrent par la variété presque inextricable des signes qui les recouvrent. Mais elles dérivent, par leur poids et leur métal, de systèmes monétaires communs. Idées générales, tendances individuelles, la Gaule nous présentera éternellement ce contraste.

L’unité de son monnayage vient de ce qu’elle l’a emprunté à l’étranger : la Grèce lui a d’abord fourni les monnaies, et lui a ensuite laissé les systèmes.

Dans le cours du troisième siècle, les plus riches et les plus puissants des peuples gaulois, Arvernes, Bituriges, Éduens, d’autres encore, eurent la pensée de reproduire chez eux, avec le métal dont ils disposaient, ces philippes d’or ou ces statères macédoniens qui arrivaient de toutes parts dans le haut pays, par les marchands, les aventuriers, les mercenaires libérés, par la voie du Rhône et par celle du Danube. Le choix de cet étalon est une preuve de leur intelligence économique. La richesse aurifère de la Gaule rendait possible une abondante fabrication de statères. Des pièces de ce genre formaient à vrai dire la monnaie idéale : légères, brillantes, trop grosses pour se perdre aisément, trop petites pour encombrer, elles réalisaient si bien une sorte de perfection, que de nos jours le louis et la livre d’or, les pièces universelles par excellence, reproduisent’ à peu près son aspect, sa forme et son poids[18]. Aussi, peu de temps après leur apparition, les statères d’or de Philippe et d’Alexandre devinrent en fait, par tout le monde méditerranéen, une monnaie internationale, et les Barbares, pour qui l’or était le métal divin, leur firent peut-être meilleur accueil encore que les peuples de la mer.

Arvernes[19], Bituriges et autres ne pensèrent donc d’abord qu’à copier les philippes et à se fabriquer des statères ; et de proche en proche, le système macédonien gagna les nations plus barbares de l’Armorique et de la Belgique, et, par-delà la blanche, envahit l’île de Bretagne elle-même[20].

Certes, cette monnaie fut fort inégale, et suivant les peuples et suivant les temps. Dans le cours des années, le statère gaulois s’est souvent écarté du type primitif : il a perdu jusqu’à un quart de son poids normal[21]. Mais toujours, lors de ces reprises de bon aloi qui sont périodiques dans la vie monétaire des peuples riches, il y a eu effort pour revenir vers l’étalon de Macédoine[22].

D’autres systèmes firent concurrence au statère macédonien. On imita, surtout chez les peuples du Midi, la drachme et l’obole d’argent de Marseille[23] : ce qui du reste était facilité par les revenus des argentières locales et par les relations constantes avec la ville grecque[24]. Ceux des Pyrénées, les Volques notamment, copièrent la pièce d’argent des cités phocéennes de Rosas et d’Ampurias[25], qui leur fournissaient probablement à la fois le métal et le modèle. Çà et là, au gré des circonstances, on reproduisit d’autres monnaies fameuses du monde méditerranéen, par exemple celles de Tarente[26]. Plus tard enfin, quand les Romains s’approchèrent, leur denier servit de modèle, en même temps que Marseille faisait connaître ses lourdes pièces d’alliage. Et alors les systèmes classiques des monnaies d’argent et de bronze se répandirent vers le Nord[27], balançant partout la vogue du statère d’or[28]. Mais pas une seule fois, les Gaulois n’ont songé à s’affranchir des habitudes monétaires que les gens du Sud donnaient au commerce. Ils se sont bornés à suivre les courants qu’ils sentaient les plus forts.

En Grèce et en Italie, les systèmes monétaires s’étaient formés par tâtonnements. Là, on était parti de la piécette d’argent, frappée et monotype ; ici, du lourd cube de bronze coulé aux grossières empreintes. La monnaie s’était ensuite transformée chez ces peuples, au fur et à mesure des expériences. Son histoire, en Gaule, fut toute différente. Nous ne savons rien des équivalents d’échange des anciens temps : que les têtes de flaches en bronze aient pu jouer ce rôle, c’est possible, mais je n’oserais l’affirmer[29]. L’origine vraie de la monnaie gauloise, celle dont devaient dépendre ses destinées, c’est l’imitation pure et simple de la monnaie grecque. Tout de suite, répudiant une recherche d’originalité, elle est venue s’encadrer dans le système le plus parfait qu’ait produit le monnayage antique.

 

III. — DU DROIT DE BATTRE MONNAIE.

Il va de soi que le monnayage gaulois s’est bien souvent écarté de cette perfection. Les pièces d’or et d’argent en métal franc ne sont pas les plus nombreuses. On a fréquemment recouru à l’électrum, mélange des deux métaux qui plaisait fort aux monnayeurs de la Grèce primitive[30]. Les pièces de bronze, de poids extrêmement variable, devinrent de plus en plus nombreuses[31]. Il en fut même coulé de cette dernière espèce[32] : procédé expéditif auquel les Anciens répugnaient d’ordinaire, Le plomb et le cuivre pur[33], les misérables alliages glu potin (cuivre, étain et plomb), ont également servi aux émissions économiques[34]. Trop de gens ont battu monnaie dans les Gaules, le monnayage avait lieu trop souvent dans l’agitation des levées militaires, pour que la fabrication ne recourut pas souvent à d’impurs mélanges et à de grossiers moyens[35].

Bonnes ou mauvaises, les monnaies gauloises qui mus sont restées se comptent aujourd’hui par dizaines de milliers, qui, suivant leurs dessins, peuvent être classées en familles et en variétés.

Les variétés, à vrai dire, sont aussi nombreuses que les individus, c’est-à-dire que les pièces mêmes. Il n’y a pas, dans chaque groupe, deux ou trois monnaies absolument identiques, sorties du même modèle. La Gaule a imité en cela les procédés de la Grèce, qui furent d’ailleurs ceux de tout le monde antique. Elle se servait de coins qui s’usaient très vite[36] ; les nouveaux n’étaient jamais la copie rigoureuse des anciens ; on laissait de la marge pour la fantaisie ou la distraction du graveur. Ce qui était une très grande différence d’avec les habitudes modernes : les coins d’aujourd’hui, puissants et presque inusables, peuvent livrer un nombre immense de pièces ; la monnaie dépend d’un vaste État, ordonné et routinier ; le protocole commercial aime à fixer les poids et les types ; les soucis artistiques, l’initiative individuelle s’éloignent de plus en plus de la vie publique : tout amène la répétition constante des formes consacrées par une génération d’hommes.

L’esprit d’indépendance et de variété fut, au contraire, poussé fort loin dans le monnayage gaulois, plus encore, je crois, que dans celui des Grecs et des Romains. Il est très difficile de classer et de déterminer les familles de pièces, tellement les figures et les signes sont peu persistants dans un même groupe, flottent, passent, s’échangent d’un groupe à l’autre. Nous n’y trouvons pas cette répétition indéfinie d’un mot, d’une marque, d’un symbole, qui permet de reconnaître si vite la patrie propre d’une pièce grecque. Les cités ou les tribus gauloises, à quelques exceptions près, ont mis longtemps, si elles y sont jamais arrivées, à s’attribuer un emblème prééminent et exclusif, définissant leur personnalité monétaire, comme Marseille avait ses têtes de Diane et d’Apollon, son taureau et son lion, comme Athènes eut sa chouette et Agrigente son crabe.

L’art monétaire de la Gaule était en effet l’image de son état politique et social. Il rappelait, par la complexité et la variété de ses types, le morcellement du pays en cités, en tribus, en clientèles puissantes comme des États.

Chaque cité avait le droit de battre monnaie, de n’importe quel métal : ce droit faisait partie de ses prérogatives souveraines, au même titre que le droit de guerre et d’alliance[37]. Il est même possible que l’entente monétaire ait été une des premières conséquences du groupement en cité des tribus voisines : une monnaie commune n’était-elle pas le meilleur moyen, et le plus visible, d’amener la fusion et de leurs intérêts commerciaux et de leurs ressources de guerre ? ce qui fut la double cause qui forma les grands États régionaux.

Mais je doute que les tribus elles-mêmes aient renoncé à leur indépendance monétaire : le monnayage a pu être un droit des peuplades, sans être leur monopole. Ces tribus, qui gardaient leurs étendards, leurs chefs, leurs habitudes de résolution propre, n’ont pas dû renoncer au pouvoir de marquer des pièces à leurs symboles préférés. Peut-être leur réservait-on l’argent et le bronze[38] ; peut-être encore, à côté d’une figure principale commune à toutes les monnaies de la nation, la tribu faisait-elle graver sur ses pièces particulières quelque emblème distinctif, signe de son existence[39].

Je crois enfin que les chefs des grandes familles, patrons de vastes clientèles, détenteurs de copieux trésors, ne se sont pas interdit cette même frappe. Le droit de monnayage était l’auxiliaire indispensable de leur puissance politique ; il leur permettait des achats d’hommes, des soldes de mercenaires : car, si la monnaie aidait les négoces pacifiques, elle servait tout autant, dans la Gaule, à alimenter la vie militaire. Dumnorix, qui à lui seul tenait en échec l’État éduen, qui drainait vers ses coffres tous les impôts et vers ses serments tous les hommes, que des monnaies nous représentent tenant la trompette de guerre et l’étendard au sanglier[40], n’est-ce pas lui qui les aura frappées, et pour son usage et pour sa glorification, en vertu de l’autorité privée qui faisait de ces maîtres d’hommes les égaux des rois et des magistrats[41] ?

 

IV. — TYPES D’IMITATION ET TYPES ORIGINAUX.

Examinons de près ces figures, et cherchons le sens qui leur était attaché, le degré d’art qu’elles dénotent.

Les plus anciennes monnaies, celles qui ont été frappées à l’imitation des philippes, en reproduisent fidèlement les dessins et la légende. Du modèle, le copiste n’a oublié ni la tête d’Apollon au droit ni au revers le bige conduit par la Victoire, ni même le nom de Philippe inscrit en lettres grecques. Comme la répétition est habile et consciente, il se pourrait que ces pièces aient été fabriquées par des ouvriers de Grèce, prisonniers ou aventuriers au service des rois de la Celtique[42].

Mais l’imitation est devenue assez vite maladroite et irréfléchie. Le dessinateur du coin ne comprend pas le sens des traits qu’il a sous les yeux, et il est d’ailleurs impuissant à les reproduire : la tête d’Apollon, le bige et la Victoire se transforment graduellement en un amalgame incohérent de lignes droites, de points, de triangles, une sorte de chaos d’où a disparu tout contour précis, toute figure nette. L’ouvrier est devenu incapable d’autre chose que de traits droits et de points : sa main se refuse à suivre le tracé d’une courbe ; et les lettres grecques de la légende se réduisent à une suite désordonnée de barres et de traverses[43]. Cette fois, sans doute, ce sont des orfèvres indigènes qui ont fait cette piteuse besogne : ils n’avaient plus sous les yeux des statères originaux, les philippes cessèrent d’alimenter les trésors gaulois après la mainmise de Rome sur la Macédoine (468) et la ruine des empires qui soldaient des mercenaires[44]. On ne pouvait plus copier que des copies, et de plagiat en plagiat, sous la main routinière des Barbares, la dégénérescence des types grecs s’accentua chaque jour.

Elle fut, ce me semble, moins complète au sud de la Gaule, où l’on copiait surtout les pièces de Marseille et de ses deux colonies espagnoles. Les monnayeurs volques ou salyens arrivent plus rarement à produire ces hideux canevas que devenaient les statères éduens et bituriges. La figure initiale se reconnaît avec moins de peine. Dans cette région, en effet, les échanges étaient continus avec Marseille, et celle-ci ne ralentissait pas la frappe de ses drachmes. Les tribus voisines renouvelaient leurs provisions de types modèles ; elles étaient près des sources de l’inspiration hellénique[45].

Mais les Gaulois avaient l’intelligence souple et éveillée. Ils ne pouvaient s’attarder éternellement dans la contrefaçon difforme et stérile des produits grecs.

Un siècle environ après les premières copies des statères macédoniens (après 150 ?), il se produisit en Gaule un grand changement dans l’imagerie des monnayeurs. Les peuples évitèrent de plus en plus d’imiter les figures, désormais incompréhensibles, des anciens statères ; ils cherchèrent dans leurs coutumes nationales, religieuses et militaires, des signes qui fussent de nature à former un langage monétaire propre aux hommes de nom celtique[46]. La monnaie, au lieu d’être une matière anonyme, un fétiche aveugle et muet, servit à exprimer quelques-unes des croyances et des espérances de la Gaule, à donner à ses pensées dominantes une forme visible et parlante. — Nous verrons plus tard si cette renaissance nationale coïncida avec un changement politique[47].

Non pas que les Gaulois aient à tout jamais répudié l’imitation des figures méditerranéennes. Ils les copièrent maintes fois encore, et les romaines après les grecques. Mais, d’abord, ces copies ne seront plus uniquement serviles : un détail ajouté, un autre supprimé, une ligne rectifiée, montrent chez l’artiste gaulois du premier siècle une indépendance de pensée et une sûreté de poinçon que n’avait pas son prédécesseur du temps des statères au type des philippes[48]. De plus, ces imitations ne formeront plus, je crois, la majorité des produits monétaires. La popularité est désormais acquise à ceux qui symbolisent la vie nationale.

 

V. — SYMBOLES RELIGIEUX ET MILITAIRES[49].

Nous avons vu que la religion gauloise ignora pendant longtemps le culte des idoles, et que sans doute, les prêtres publics le proscrivirent toujours. Aucune monnaie antérieure à César ne porte la figure certaine d’un dieu, pas même celle de Teutatès[50]. Si l’image la plus fréquente est celle du cheval, pas une seule fois n’apparaît celle d’Épona, sa déesse.

Absents comme figures, les dieux cependant sont toujours présents par leurs symboles. Il n’y a presque pas de pièce qui ne soit marquée d’au moins un emblème de la vie religieuse. C’est de la religion, en premier lieu et sans cesse, que parle la monnaie gauloise.

Voici d’abord les instruments du culte, presque aussi sacrés que la divinité elle-même : lyre ou harpe qui accompagne les chants de prières[51] ; peignes pour les chevelures vouées aux dieux[52] ; trépied, vase et chaudron des sacrifices[53] ; temples ou édicules qui abritent fétiches et talismans des peuples[54]. Puis, ce sont les signes et les rameaux mystérieux qui rappellent une forme céleste ou qui renferment une vertu divine : la roue solaire[55], la rosace stellaire[56], le croissant lunaire[57], la croix[58], l’S ou la courbe serpentine si chère aux Gaulois[59], le trèfle[60], le quatre-feuilles[61], la branche de gui[62], le rameau des arbres consacrés[63]. Plus loin, les attributs mêmes des puissances divines, la hache[64] ou le marteau[65]. Enfin, tout aussi nombreux, apparaissent les animaux des traditions nationales ou des légendes populaires, en qui s’incarnaient la volonté d’un dieu ou l’esprit d’une nation : le cheval libre et galopant chez les Arvernes[66], le chamois des Alpes chez les Allobroges[67], ailleurs le loup[68], le sanglier[69], l’aigle[70], le serpent[71], le renard[72], l’ours[73], et encore les animaux fantastiques, coursiers et oiseaux à têtes humaines, centaures et chimères du monde gaulois.

En gravant de telles figures, les Celtes procédaient à la façon des Grecs, qui avaient multiplié sur les monnaies les images symboliques des fleurs et des animaux. Marseille montrait sur les siennes le lion et le taureau, signes de force et de courage, et Rosas, la fleur de l’églantier, emblème de son nom. Mais les peuples de la Gaule avaient su se dégager de ces représentations banales. Ils avaient trouvé dans la flore et la faune de leur sol et de leur religion des images qui leur appartinssent en propre : tout comme les sculpteurs du Moyen Age, rompant enfin avec l’insipide monotonie des traditions romaines, avaient demandé aux arbustes du pays les ornements de leurs chapiteaux et le cadre de leurs portiques[74].

Des deux sortes d’activité humaine, la guerre et les travaux de la paix, le monnayage gaulois ne fait presque pas d’allusion à ces derniers. Ni la charrue du laboureur, ni l’outil de l’ouvrier, ni la besace du marchand ne sont représentés[75]. La bourse et le caducée, ces insignes pacifiques qu’adoptera plus tard le dieu national, ne paraissent pas encore. Les animaux figurés sont surtout des animaux de guerre ou de chasse : la brebis, le bélier, le coq, l’abeille, bêtes de ferme et de rapport, sont d’ordinaire exclues de la faune monétaire[76]. L’être vivant le plus familier aux graveurs de monnaies est le cheval, qui est aussi le plus cher aux hommes de guerre.

Mais la guerre, comme la religion, se montre rarement sous la forme concrète de chefs et de soldats. Elle est présentée par ses emblèmes, elle n’est pas racontée dans ses actions. L’épée, la trompette ou carnyx, le javelot, la lance, le collier ou torques, et surtout l’enseigne et le cheval, voilà les signes qui nous parlent d’elle : l’enseigne, c’est-à-dire le sanglier ou le fétiche qui conduit les escadrons ; le cheval, la bête vivante qui les porte[77].

C’est le galop ou la marche du coursier de guerre qui fournit les principaux motifs symboliques : tantôt, comme chez les Arvernes, il est libre, sans cavalier, galopant sur le champ ; tantôt, comme chez les peuples de l’Armorique et de son voisinage[78], il est chevauché par un être ou une chose étranges, — nain difforme, monstre velu, homme à tête cornue, femmes nues armées du bouclier, épée, oiseaux énormes, tête hideuse, hippocampe, — qui, plantés sur la croupe, semblent conduire l’animal[79] : ce sont les figures de puissances sacrées, fétiches ou serviteurs mythiques des dieux, qui mènent le cheval et le Gaulois sur le chemin du combat[80]. Et souvent enfin, ce qui complète l’aspect prodigieux de ces images, le cheval est présenté avec la tête humaine, assemblage de l’intelligence du cavalier et de la force de la bête[81]. Ces monnaies sont donc les reproductions, non de scènes réelles, mais de croyances populaires ; elles font appel aux forces monstrueuses ou divines que l’imagination militaire donnait comme auxiliaires aux combattants. La guerre qu’elles évoquent se passe dans la légende[82].

Pas une seule fois non plus, que je sache, nous n’assistons à un épisode de combat ou de meurtre. La victoire apparaît sous la forme de ce qui en était le butin et le symbole, la tête coupée de l’ennemi. Le type le plus fréquent sur les monnaies de l’Ouest, et peut-être le plus original de l’art monétaire gaulois, représente une tête énorme, d’aspect farouche, aux cheveux ornés de cordons de perles et tordus en spirales, aux orbites démesurées encadrant des yeux grands ouverts : elle parait ne plus appartenir à un corps humain, mais reposer sur un socle ou un support[83] : à côté voltigent souvent, attachées à des chaînes, des têtes semblables, beaucoup plus petites[84]. Je vois là, non pas la face d’un dieu[85], mais une tête monstrueuse servant d’enseigne de guerre, et flanquée des têtes des vaincus coupées en son honneur et suspendues autour d’elle[86].

C’est qu’en effet le monnayage gaulois semble fait surtout pour l’exaltation de la guerre, ou, mieux, du culte militaire. On devait émettre un plus grand nombre de pièces au début et dans le cours des campagnes ; il fallait solder des mercenaires, payer des ouvriers, soutenir le zèle des clients et l’obéissance de la plèbe : la monnaie était un instrument de combat. Aussi présentait-elle l’image des marches, des batailles et des victoires.

 

VI. — RARETÉ DE MONNAIES HISTORIQUES.

L’emblème et le symbole, dans la monnaie gauloise, priment tout. En dehors de sa valeur matérielle, elle signifie des choses permanentes. Ses figures, du moins à l’origine, ne furent jamais la traduction ou le souvenir de faits précis et de personnages réels. Tandis que le monnayage romain fut si vite envahi par l’histoire, qu’il se remplit de noms de magistrats, d’initiales de fonctions, d’allusions à des victoires[87], celui de la Gaule se tint pendant longtemps dans le domaine immuable des images mystiques, révélatrices de pensées consacrées : et en cela, il ressembla davantage à celui de la Grèce, toujours éprise de la forme idéale[88].

Il était d’ordinaire anonyme et anépigraphe. Les inscriptions y sont fort rares avant le premier siècle : et même en ce temps-là, c’est par exception tardive qu’un peuple fait graver son nom. Un grand nombre de pièces ont été frappées, je crois, pour le compte de tribus associées : si quelque chose rappelle cette union, c’est le rapprochement, dans un même dessin, des emblèmes propres à chacun des confédérés.

La personnalité des grands eux-mêmes s’est longtemps effacée derrière ces traditions de symbolisme. Entre 150 et 80, les rois ou les chefs arvernes Luern, Bituit, Celtill, seront les maîtres souverains de la Gaule entière : ils auront une richesse et une puissance comparables à celle d’un Antiochus ou d’un Ptolémée. Mais aucun d’eux n’a laissé sur les monnaies de son temps un souvenir déchiffrable, ni ses traits, ni son nom, ni ses initiales, et s’il en et qui aient été marquées à leur signe, il se dissimule sous quelque blason qui échappe encore à notre connaissance[89].

Il faut descendre jusqu’aux approches de la conquête romaine et aux contemporains de César, jusqu’à Dumnorix et Vercingétorix, pour constater sur une monnaie tout à la fois le nom et le portrait[90] d’un chef de guerre. Mais en ce temps-là, la Gaule subissait de plus en plus l’influence des pratiques monétaires, religieuses et artistiques du Midi. Elle se soustrayait à l’empire du symbole ; elle faisait descendre ses dieux sous une forme humaine ; elle livrait ses monnaies aux figures et à la vie de ses chefs.

 

VII. — PROGRÈS ARTISTIQUES[91].

L’exécution de ces monnaies ne fut jamais très bonne ; le progrès s’y marqua lentement. Périodiquement, il est interrompu par des soubresauts de barbarie. blême les figures et les symboles nationaux ont été traités par les Gaulois comme ils avaient fait pour les Victoires et les biges copiés sur les statères grecs : ils les ont déformés jusqu’au néant, si je peux dire ; et il est arrivé que la tête humaine de l’Armorique, graduellement défigurée, s’est trouvée réduite à un ovale entouré de lignes sinueuses, dernier terme de l’œil et de la chevelure[92].

Cependant, au travers de ces défaillances chroniques, l’originalité artistique des monnaies gauloises point et s’affirme peu à peu. Au premier siècle tout au moins, les graveurs indigènes (en admettant qu’on n’ait point recouru à des praticiens étrangers) se montreront capables d’un dessin net, d’expressions énergiques, d’exactitude et de sûreté dans les traits. Sur quelques pièces d’argent du Midi, les petits emblèmes habituels, besants, rosaces, haches, triquètres, sont enlevés dans une sobriété de formes et une vigueur de relief qui rappellent le style des piécettes primitives de l’Ionie[93]. Pour composer le tableau bizarre du cheval conduit par l’épée, l’artiste gaulois a su combiner les lignes d’une manière rapide et saisissante, l’épée penchée vers l’encolure, la poignée du côté de la croupe, la lame s’amincissant jusqu’à devenir un simple trait, qui s’en va, comme des rênes, s’attacher à la bouche de l’animal[94]. Sur les meilleurs statères des Arvernes, le cheval se dégage franchement, dans un galop d’allure vivante et naturelle[95]. Cette vivacité de gestes, cette passion dans le mouvement, je les retrouve sur les quelques monnaies qui figurent des cavaliers et des combattants, comme dans celles de Dumnorix ou de Litavice agitant les instruments ou les enseignes de guerre[96] : et peut-être, si rien n’avait enrayé dans la Gaule la marche normale de l’art monétaire, cette gesticulation un peu déclamatoire serait-elle devenue le caractère propre de ses figures, tandis que chez les Grecs, les artistes se complaisaient dans les attitudes puissantes et calmes.

Je sais bien que ces bonnes œuvres sont l’exception. Mais elles suffisent à prouver que les Gaulois pouvaient créer aussi bien qu’imiter. Ils ont emprunté à la Grèce l’usage de la monnaie, les systèmes des drachmes et des statères, les images de leurs plus anciennes pièces. Mais ils ont trouvé, dans les signes de leurs croyances, une symbolique monétaire originale et complète ; ils ont su disposer et grouper ces emblèmes en tableaux parfois pittoresques. Malgré la bizarrerie de quelques-unes d’entre elles, ces figures sont souvent pleines de sève et de vie. Tout un monde nouveau d’êtres réels ou fantastiques prenaient corps, en Occident, sur ces légères et brillantes plaques de métal, dont la Grèce avait suggéré la forme, et que la Gaule animait maintenant par l’expression de ses pensées nationales.

 

 

 



[1] Lelewel, Études numismatiques, I, Types gaulois, Bruxelles, 1841 (le véritable initiateur) ; de La Saussaye, Num. de la Gaule narbonnaise, 1842 ; Lambert, Essai sur la numismatique gauloise du Nord-Ouest de la France : 1° Mémoires de la Soc. des Antiquaires de Normandie, 1842-3, IIe s., III = XIII, 1844, p. 101 et s. ; 2e ibid., IIIe s., V = XXV, 1863, p. 411 et s. ; Duchalais, Description des monnaies gauloises, 1846 ; Jeuffrain, Essai d’interprétation des types de quelques monnaies, Tours, 1846 ; Peghoux, Essai sur les monnaies des Arverni, Clermont, 1837 : Hermand, Numismatique gallo-belge, dans la Revue de la Numismatique belge, IVe s., II, 1861, III, 1865 ; de Saulcy, Aperçu général sur la numismatique gauloise, dans la Rev. arch., n. s., XIII, 1866, I, p. 400 et s. ; Fillioux, Nouvel Essai d’interprétation et de classification des monnaies de la Gaule, 2e éd., 1867 ; Hucher, L’Art gaulois, 1868-1874 ; Robert, Num... de Languedoc, 1875 (Hist. gén. de Languedoc, n. éd., II, n. 114) ; le même, Monnaies gauloises (descr. de sa collection), 1880, Annuaire de la Soc. fr. de numismatique, II, I, I, 1877 : Muret et Chabouillet, Catalogue des monnaies gauloises de la Bibliothèque nationale (les tables, de très grande utilité, par de La Tour), 1889 ; vol. de planches, Atlas, p. p. de La Tour, 1892 ; de Barthélemy, Numismatique de la France, I, 1891 : Blanchet, Traité des monnaies gauloises, 1903 ; collection, lettres et renseignements oraux de Changarnier à Beaune.

[2] Tite-Live, XXI, 24, 5 ; 26, 6 et 7.

[3] Silius Italicus, XV, 495-498.

[4] Cf. Müller, Numismatique de l’ancienne Afrique, II, 1861, surtout p. 72-3.

[5] Blanchet, p. 539 et suiv., n° 1-3 (près de Bourg), 245-7, 23-26 (Provence), 62 (près de Marsanne), 101 (Languedoc), 123-125 (Isère), 248-254 (Comtat), p. 503, 504, 513 (Suisse), etc. ; Muret et Chabouillet, p. 11-40. Par l’intermédiaire de Marseille ont pu également venir les statères d’or (Strabon, IV, 1, 5 ; Théophraste, De lapidibus, 3, 18 ; 6, 34 ; Parthénius de Nicée, 8, Erippe ; Lucien, Toxaris, 25).

[6] Muret et Chabouillet, p. 42-3, 47-8.

[7] Cf. Blanchet, l. c., n° 53 (Dordogne), 97 (Blaye), p. 552 et 562 ; Bulliot, I, p. 413 (Beuvray) ; etc. Trésor de Barcus sur la route de Mauléon à Oloron (Borda, 1879, p. 243 et suiv. ; Zobel de Zangroniz dans les Mélanges numism., III, 1882, p. 374-381) : monnaies surtout de Tarazona, Ségorbe, Oyarzun (??).

[8] Voyez par ex. les tributs payés par Byzance à Comontorios et Cavaros, 3000, 5000 à 10000 statères d’or, 80 talents (Polybe, IV, 46, 3 et 4).

[9] César, I, 18, 5 ; VII, 31, 5.

[10] Ch. XV, § 3 ; Athénée, IV, 37.

[11] Strabon, IV, 2, 3.

[12] Cicéron, Pro Fonteio, I, 1.

[13] Évidemment après Philippe II de Macédoine, dont ils ont imité les monnaies, et avant Luern, qu’on peut placer vers 150 ; sans doute entre 270 et 222, au temps des plus grandes expéditions d’Orient et d’Italie.

[14] Dès le temps de César, V, 12, 4 ; cf. 14, 2 et 16.

[15] Les Ménapes exceptés, semble-t-il, du moins jusqu’à nouvel ordre ; cf. Blanchet, ch. 15 ; contra, Muret et Chabouillet, 8743-4.

[16] Cf. Blanchet, ch. 13.

[17] Blanchet, p. 483 et suiv., p. 530 et suiv.

[18] Le poids normal du philippe d’or est de 8 gr. 60 ; celui du louis, 6 gr. 452 de la double couronne allemande (24 fr. 69), 7gr. 965 ; de la livre sterling anglaise (25 fr. 22), 7 gr. 988. De même la drachme pour l’argent.

[19] Il est possible que l’imitation ait commencé chez les Arvernes : cela deviendrait probable si les initiales AP, qui se lisent sur quelques-unes des meilleures pièces imitées, étaient celles du nom des Arvernes (supposition courante, Mure et Chabouillet, p. 79 et suiv.) ; mais la chose n’est point certaine, Blanchet, p. 211.

[20] Blanchet, p. 208 et suiv., p. 478 et suiv.

[21] Blanchet, p. 58-61.

[22] Le poids et le titre, et le style le plus souvent, sont en relation directe et constante ; Blanchet, p. 68-71.

[23] Blanchet, p. 64-68, p. 71.

[24] Chez les Arvernes, vers 150, emploi simultané des pièces d’argent et d’or.

[25] Blanchet, p. 71.

[26] Blanchet, p. 186-190.

[27] Pas avant 125, et peut-être bien après.

[28] Blanchet, p. 198 et suiv. Sur la question de savoir si les pièces d’argent gauloises, pesant de 1,80 à 2 gr., sont des demi-deniers ou des drachmes à poids très affaibli, ou, en d’autres termes, des dérivés du système grec ou du système romain, cf. id., p. 73.

[29] Cf. utuntur latis ferreis chez les Bretons (César, V, 12, 1).

[30] Voyez les analyses faites ou citées par Blanchet, p. 36 et suiv.

[31] Blanchet, p. 42-3, p. 58-37.

[32] Blanchet, p. 44.

[33] Blanchet, p. 44.

[34] Blanchet, p. 42-3.

[35] Cf. Blanchet, p. 54.

[36] Relevé des coins trouvés, chez Blanchet, p. 51-3 ; cf. de Barthélemy, Rev. arch., 1867, I, p. 346-351 ; Lenormant, La Monnaie dans L’Antiquité, 1878, p. 257.

[37] Cela résulte évidemment de l’étude des monnaies gauloises.

[38] Il est à remarquer que, malgré la présence de gisements aurifères, les Aquitains et les Volques, chez lesquels le régime de la tribu parait avoir été prépondérant, n’ont point frappé de monnaies d’or. Je ne crois pas que les relations commerciales avec l’Espagne, pays de monnaies d’argent, suffisent à expliquer cette lacune.

[39] Cf. de Saulcy, Rev. num., 1864, p. 252 ; Rev. arch., 1866, I, p. 411-2 : mais il songe plutôt à des ligues des cités qu’à des réunions de tribus en cités.

[40] N° 5026-5048.

[41] La presque totalité, et peut-être la totalité des légendes monétaires à l’époque indépendante, sont des noms d’hommes, plutôt de chefs que de monnayeurs : je ne les crois pas, du reste, antérieures à 120 av. J.-C. — Sauf à Béziers, Nîmes et dans les localités du Midi, les ethniques indiqués sur les monnaies sont en lettres latines (cf. Blanchet, p. 75 et s.). — On a retrouvé sur les monnaies les noms de quelques principaux chefs dont parle César (de Saulcy, Annuaire de la Soc. fr. de Numismatique, II, 1867, p. 1 et suiv. : il y a quelques réserves à faire ; un très grand nombre de points douteux dans le travail de Serrure, Études sur la numismatique gauloise des Commentaires de César, Le Muséon, V, 1886).

[42] Il y eut des Grecs au service des rois gaulois.

[43] N° 3614-81 ; cf. n° 9697-9717. Hucher, I, p. 5.

[44] Carthage et les royaumes helléniques.

[45] N° 2209-22, 2223-49, 2236-73, 2278-2348.

[46] De même dans les États celtiques du Danube.

[47] Cf. ch. XV, § 2-3.

[48] Cf. Blanchet, p. 202-5 ; le même, Revue numismatique, 1904, p. 29.

[49] Voyez surtout, à ce point de vue, Lelewel, où, malgré bien des hardiesses, il y a un grand sens du monnayage gaulois ; cf. Peghoux, p. 19 et s.

[50] On rencontre bien un personnage accroupi (8145-57, Rèmes ?), un autre échevelé, marchant ou courant en dansant (6721-2, Namnètes ; 8124-8141, 8143-4, Rèmes ?), un autre agenouillé et gesticulant (7233-7331, Véliocasses), un archer à grosse tête (8426, Ambiens ?), mais ce sont, je crois, non des dieux, mais des êtres de légendes ou des possédés ; de même, la figure ailée aux jambes percées d’une flèche (9018, une des plus curieuses pièces gauloises). Les figures nettement de dieux sont d’imitation ou postérieures, par ex. la belle monnaie éduenne du Musée de Lyon (Blanchet, pl. II, 12). — J’hésite encore à faire exception pour la tête-enseigne, et même pour la curieuse tête des pièces d’or attribuées aux Aulerques Éburoviques, tête où la chevelure et même la barbe sont figurées à l’aide d’emblèmes, S, svastikas à branches ondulées, triquètres, croissants ?, rameaux de gui ? (n° 7015-20 ; Blanchet, p. 323). Et il faudrait encore, au cas où il s’agirait de têtes de dieux, se demander si ces pièces ne sont pas plus récentes.

[51] Tables de De La Tour, p. 291.

[52] N° 10407 (mal décrit), pl. XXVII (trouvaille de Jersey).

[53] N° 6931, 9711 ; tables de De La Tour, p. 312, 313 ; le trépied a pu arriver par les monnaies de Marseille, et je crois moins à l’originalité de ce type.

[54] N° 6239-44, 6248-50. 6258 : Pictons ?. Je crois, vu les dimensions, plutôt à des édicules portatifs ou à des châsses, dans le genre de celle de Sarrebourg (cf. Rev. des Ét. anc., 1905, p. 246-7). — Ajoutez à cela l’objet en forme de carré traversé de deux diagonales en croix, souvent orné de franges, toujours porté suspendu et qui doit être quelque guidon ou bannière en tapisserie, sacrée et militaire (tables, p. 300 et 306, tableau quadrilatère).

[55] Extrêmement fréquente, tables de De La Tour, p. 301-2 ; sur ces symboles, cf. p. 138.

[56] Tables, p. 301.

[57] Tables, p. 276-277. Les célèbres pièces au grand œil, accompagné de figures astrales, se rapportent évidemment au culte des dieux célestes et à quelque conception particulière de la voûte du ciel ; elles sont postérieures à la conquête, propres aux Trévires (œil de profil, 8799-8833) et aux Véliocasses (œil de face, 7240-52 ; cf. 7239).

[58] Tables, p. 277-8.

[59] Très fréquente, tables, p. 302-3. Ajoutez les globules (tables, p. 284-5), olives (p. 296) et besants (p. 262), surtout chez les Volques Tectosages et les peuples du Midi.

[60] N° 4065-90 (Bituriges Cubes).

[61] N° 6902.

[62] Je ne puis cependant garantir l’interprétation, 6918-21 ; 7015-20 (Aulerques Éburoviques) ; cf. Lelewel, p. 68-69.

[63] Tables, p. 300.

[64] N° 3052-3563 : surtout dans les célèbres pièces d’argent à la croix des peuples du Midi ; cf. Muret et Chabouillet, p. 78. La hache est peut-être l’emblème des Volques.

[65] N° 6929-31.

[66] N° 3608-3883, 3936-47.

[67] N° 2878-2900 ; chamois, bouquetin, daim ? ; cf. Blanchet, p. 168, 269-271.

[68] Notamment chez les Bituriges, 4220-95 ; réserves de Blanchet, p. 414.

[69] A peu près partout ; chez les Pétrocores, 4305 4332 ; associé au cheval chez les Ambiens, 8459-68.

[70] Peut-être tardivement, chez les Éduens, et d’inspiration romaine.

[71] Tables, p. 305.

[72] Arvernes ?, en tout cas trouvées surtout à Corent, 3963-89. Rien ne permet de considérer ce renard (si l’interprétation est exacte) comme l’emblème du nom de Luern : les pièces, en bronze, paraissent postérieures au second siècle.

[73] Tables, p. 296.

[74] Viollet-le-Duc, art. Flore, dans son Dictionnaire, V, 1868, p. 485 et s.

[75] Exception pour l’épi, mais : 1° parfois il est simplement un type de copie (6391) ; 2° parfois, évidemment, c’est un emblème religieux (6932, -3, -7, 10284) : mais il accompagne le cheval et des signes militaires ; 3° et cela est presque toujours son cas (tables de De La Tour, p. 281) ; si bien qu’on ne peut lui attribuer un sens nettement pacifique ; cf. Blanchet, p. 218.

[76] Les exceptions sont très rares : pour l’abeille, 10232-5, 10274 ; pour le coq, 7221-8 (Viromandues), 9310-1. Il n’est certes pas impossible que l’idée de ces figures, par exemple pour le coq, n’ait été fournie par l’étranger (Blanchet, p. 190-4) : cependant, à bien examiner les pièces attribuées aux Viromandues, il me semble bien que le coq y soit un type original, et non pas de copie. En tout cas, s’il a servi de type monétaire pour ces peuples et d’autres, il n’a jamais pu symboliser la Gaule entière (de La Tour, Antiquaires de France, vol. du Centenaire, 1904, p. 442). Voyez en outre, sur cette question du coq gaulois, Hucher, II, p. 42-44 ; Ducrocq, Le Coq prétendu gaulois, Rev. gén. du Droit, XXIV, 1900, p. 339 et s.

[77] Tables de De La Tour, à chacun de ces mots.

[78] Mais ce genre de représentations peut se retrouver ailleurs, 4065-91 (Bituriges).

[79] Unelles, Baïocasses, etc., 6953-4, 8395-400 ; 6932-3 ; 6934 ; 6756-64 (Redon) ; 6922 ; 6050-2, 6421 a = pl. XXVII ; 6304-35 = planche XXI ; 10262, pl. XXIV : la tête coupée sur la croupe d’un cheval, Rev. num., 1893, p. 314. A ce groupe, essentiellement indigène, des figures de chevaucheurs sacrés, il faut rattacher les auriges difformes ou les simples cavaliers tenant des clés (?, 6947-9), des navires (6926-9), une branche (6021, 6982, etc.), etc. ; et encore le cavalier montrant au cheval un objet rattaché à l’homme par un cordon (6586-0920), par exemple un peigne (?, 6827, pl. XXIII), etc. Fibules conduisant ?, Mém. des Antiquaires, 1906, p. 15.

[80] Monstres conducteurs, disait Hucher (II, p. 4), qui a très bien vu le caractère de ces figures monétaires de la Gaule.

[81] Chevaux androcéphales, tables de De La Tour, p. 272-3.

[82] Cf. Lelewel, p. 55, disant du cheval : Il ne représente pas un cheval vivant, mais bien un cheval fictif.

[83] N° 4416-4471 (Pictons) ; 4581-85 (Lémoviques) ; 6504-76 (Armoricains ; voyez aussi le trésor de Tronoën en Finistère, du Chatellier et Le Pontois, Bull. de la Soc. arch. du Finistère, 1904) ; cf. la table, au mot Ogmius.

[84] N° 6504-06, 6518, 6525-28, 6532-5, 6530-50, 6555-75, 6577-84 (Osismiens ?) ; 6726-32, 6744-54, 6765-8.

[85] Jusqu’à plus ample informé. L’application à l’Ogmios de Lucien (Héraklès) ne repose sur aucun fondement.

[86] Lelewel, p. 81, me parait avoir le premier vu qu’il s’agit d’une tête-enseigne.

[87] Fr. Lenormant, Monnaies et Médailles, p. 124 et 135.

[88] Id., ibid., p. 121.

[89] C’est pour cela que je crois la plupart des monnaies à légendes postérieures à 120 ; de même, Blanchet, p. 75.

[90] Monnaies au casque, de Vercingétorix (de ce type, deux exemplaires seulement sont connus : 1° Cab. des Méd., 3775 ; 2° collection Changarnier à Beaune : Caix de Saint-Aymour, Le Musée archéologique, 1877, p. 15) ; mais celle-là seulement peuvent être considérées comme des portraits : pour Dumnorix, cf. plus haut : autres, supposés, chez Babelon, Vercingétorix, 1902 (Rev. num.), p. 31-2. Encore, pour toutes ces pièces, la preuve n’est point faite qu’il s’agisse de portraits.

[91] Cf. Lelewel, p. 193-8.

[92] Atlas, pl. XXV-XXVII.

[93] Pl. X.

[94] N° 6922, pl. XX.

[95] Pl. XIII : avec souvent, bien entendu, de la grossièreté dans l’exécution. Dans le même sens, voyez les excellentes remarques de De La Tour sur la manière dont est dessiné le coq (cf. p. 349, n. 4), Antiquaires de France, vol. du Centenaire, 1904, p. 442 : Sur les monnaies grecques et romaines, le coq apparaît toujours debout, immobile. Sur les monnaies gauloises..., on le voit, dans le paroxysme du mouvement, dressé sur ses ergots, le cou tendu, battant des ailes et chantant.

[96] N° 5026, 5044, 5072, 5075, pl. XV.