AUSONE ET SON TEMPS[1]

 

Camille Jullian.

 

 

PREMIÈRE PARTIE — LA VIE D’UN GALLO-ROMAIN À LA FIN DU IVe SIÈCLE.

Pendant longtemps, les Gallo-romains passèrent avant tout pour des hommes d’action. On les regardait comme des maîtres dans les deux arts où se manifeste le plus l’activité humaine, l’art de parler et l’art de se battre. C’étaient les premiers avocats de l’empire et les premiers guerriers du monde. De leurs talents poétiques, il est resté peu d’éloges et peu de traces. La littérature romaine des trois premiers siècles n’a pas reçu le moindre renfort important des penseurs ou des écrivains qui habitaient au delà du Rhône. Nos ancêtres fournissaient des rhéteurs à toutes les grandes écoles de l’Italie, aux tribunaux des empereurs et aux conseils d’État ; c’était sur les bords de la Loire et de la Seine que se recrutait de préférence la superbe cavalerie des corps auxiliaires : les Celtes furent, jusqu’à la dernière heure de l’empire, le plus solide rempart de cette Rome qui les avait domptés. Mais il ne vint pas de la Gaule des émules de Martial ou de Lucain ; elle n’ajouta pas un fleuron à la gloire littéraire de la civilisation latine ; pendant trois siècles, les lettres romaines n’auront que deux provinces dignes d’elles, l’Afrique et l’Espagne. En Transalpine, on est encore trop jeune, trop ardent. A ces peuples, qui ne pouvaient renoncer du premier coup aux habitudes d’une indépendance bruyante et dissipée, il fallait tous les combats, ceux des camps et ceux de la parole.

Ce fut au IVe siècle que le sens poétique s’éveilla enfin chez les Gaulois, devenus plus calmes et de tempérament plus rassis. Mais alors, comme ils ne faisaient pas les choses à demi, comme leur race était, après celle des Grecs, la plus richement pourvue de dons naturels, il naîtra chez nous désormais, chaque année, urne quantité prodigieuse de vers et de chants, et la veine ne s’appauvrira jamais. La terre française deviendra une terre fertile en poètes ; elle en aura dans les temps les plus sombres de la domination barbare. La plus tard venue dans la littérature romaine, la Gaule la représentera le plus longtemps dans l’histoire du monde latin. C’est chez elle que seront les derniers poètes du nom romain, comme c’est aussi chez elle qu’apparaîtront au XIe siècle les premiers chanteurs du monde nouveau. Ne dirait-on pas que la Fortune romaine confia en dernier lieu à la Gaule, à la veille des invasions barbares, le flambeau des lettres latines ?

Un des premiers et des plus grands noms de la littérature gallo-romaine est celui du Bordelais Ausone. Nous possédons à peu prés toutes les œuvres qu’il a voulu que la postérité conservât. Quoique vivant à l’extrémité de l’empire, ce ne fut pas un poète de clocher. La Gaule entière l’admira ; sa réputation franchit aisément les limites de notre pays. Il fut lu, goûté, estimé des grands hommes et des esprits les plus sains de l’époque. Il plut aux empereurs. Quand il publia ses écrits, ce fut sur la demande expresse d’un des bons Césars du temps, de Théodose. Le prince lui adressa un charmant billet : il avait lu autrefois des vers de lui ; il les avait oubliés et désirait les relire ; d’autres lui étaient inconnus, mais il en entendait parler si souvent, et de telle façon, qu’il voulait à tout prix en savourer la lecture. Théodose écrivant à Ausone imite Auguste écrivant à Horace ; c’est dire qu’à la cour on jugeait le Bordelais digne d’un tel hommage souverain. La prière de l’empereur détermina Ausone à lancer ces vers dans le monde. Elle fut l’origine du recueil que nous possédons aujourd’hui. Le livre a reçu comme l’empreinte du sceau impérial ; il a presque un caractère officiel.

De notre temps, Ausone a été fort méprisé ; les érudits le négligent. Dans les histoires littéraires les plus répandues, il est la victime désignée aux plus mauvais traitements ; on ne s’en occupe guère dans les histoires politiques. C’est manquer souverainement de justice à l’égard des anciens, et faire preuve de bien peu de sens historique. Les savants de la Renaissance, infiniment mieux doués que nous de l’une et de l’autre qualité, avaient, au contraire, une vive affection pour Ausone. Il a mérité d’être édité, commenté par deux des plus illustres savants du XVIe siècle, Vinet et Scaliger.

Ce n’est que tout à fait de nos jours qu’on est revenu, à l’égard d’Ausone, à de meilleurs sentiments, c’est-à-dire aux traditions de la Renaissance. Coup sur coup, il a paru de ses œuvres deux éditions, l’une excellente, dans la grande collection des Monumenta Germaniae, l’autre, plus discutable, dans le recueil des auteurs classiques publiés par la maison Teubner. Les Bordelais n’ont point voulu demeurer en arrière des érudits allemands. On a vu ces temps-ci, à Bordeaux, un spectacle qui rappelle ceux que nous trouvons dans l’histoire littéraire du XVIe siècle. Un imprimeur et un savant se sont associés pour élever à leur compatriote un monument digne de lui. M. de Laville de Mirmont a préparé, et M. Gounouilhou a imprimé une édition de l’œuvre principale du poète, la Moselle, et ce livre est un bijou typographique en même temps qu’un trésor de richesses scientifiques et un modèle de patiente critique.

Assurément, la poésie d’Ausone ne vaut ni plus ni moins que celle de ses contemporains ; elle ne mérite ni l’approbation d’un César connaisseur ni l’assentiment de vrais lettrés, mais il y a dans ses vers quelque chose que nous trouvons rarement dans l’ancienne poésie latine : un accent personnel, une expansion intime, un je ne sais quoi de confiant et de familial que nous rechercherions en vain chez Virgile ou Juvénal. Ne demandons pas aux poètes classiques de nous dire qui ils sont et comment ils ont vécu. Leur physionomie nous glisse entre les mains ; on ne les voit qu’à travers une poétique buée ou un nuage trompeur. En lisant Ausone, nous sommes tout de suite transportés prés de lui, nous vivons et nous sentons les événements et les sentiments de sa vie. C’est une autobiographie que son œuvre ; elle nous fait entrer dans sa famille, dans le cercle de ses amis, dans l’assemblée de ses collègues. Avec elle, nous connaissons le caractère d’un homme et celui d’une époque. Cette poésie, d’apparence banale et insipide, nous place dans un milieu actif, intelligent, énergique, de l’existence duquel on ne se doute guère au premier abord.

On dirait que, même en se livrant à la poésie, la race gauloise n’a pas voulu mentir à sa nature et au renom qu’on lui avait fait ; elle était trop pleine d’elle-même, trop débordante. Quand elle se mit à écrire, elle ne changea pas ; elle ne put jamais faire abstraction d’elle-même ; toutes ses œuvres portent l’empreinte de son individualité envahissante, de son moi, si je puis dire, attachant et turbulent. Hommes d’action, les Gaulois le furent même en vers. Ce qui domine chez le plus grand de leurs poètes du ive siècle, c’est la note, je ne dirai pas égoïste, mais vivante, mais personnelle, l’amour de ce qu’il est, de ce qu’il a fait, de ce qui l’entoure. Il ne rêve pas, il ne pleure pas, il ne se laisse pas aller au courant de capricieuses images ; il voit, il vit ; il est de son temps, il l’aime, il en parle. On sent, même chez ce poète, le besoin d’activité, qui est l’essence du vrai Gaulois.

Essayons, à l’aide de ses écrits, de retracer la figure d’Ausone, qui est bien la plus vivante physionomie de poète gallo-romain qu’on puisse imaginer. Cherchons aussi à la replacer dans la famille où elle s’est formée et dans le monde où elle s’est encadrée.

— I —

La famille dans laquelle il naquit était toute gauloise. Le sang en était pur d’alliage étranger. Elle renfermait des représentants des deux races qui, depuis dix siècles, vivaient côte à côte sur les bords de la Garonne, et dont l’union formait alors -la grande nation des Gaules : les Celtes et les Aquitains. Mais les traditions celtiques étaient de beaucoup les plus fortes dans la maison du poète. Il se montre u nous comme un Gaulois de vieille souche ayant encore, au beau milieu du IVe siècle, le pieux souvenir de la langue, des dieux et des traditions celtiques. Son nom d’Ausonius, qu’il tenait de son père, est regardé par les grammairiens comme gaulois.

Son père était né à Bazas, mais il vivait a Bordeaux, et il est vraisemblable que sa famille était originaire de cette cité. Il parlait assez mal le latin ; le gaulois était sans doute sa langue familière. Du côté maternel, l’origine d’Ausone était aussi nette, le sang aussi pur. Son grand-père Agricius, qu’on regardait comme une sorte de génie domestique, appartenait à une antique et noble lignée du peuple des Éduens ; c’était une descendance dont on avait le droit d’être fier. Les Éduens furent longtemps célèbres entre tous les Gaulois ; au temps de Jules César, ils passaient pour la plus grande et la plus civilisée des nations celtiques ; leur pays était un centre religieux de premier ordre, un ardent foyer de druidisme. Sous les lois de Rome, ils n’avaient rien perdu de leur importance, rien changé à leur caractère. Le grand-père d’Ausone, un des premiers citoyens de sa nation, ne mentait point à son origine ; il demeura fidèle aux coutumes de ses ancêtres. Je me le figure volontiers comme un des derniers représentants de cette noblesse sacerdotale et de cette discipline hiératique qui dominait en Gaule au moment de la conquête. Sous le règne des empereurs gallo-romains, de Victorinus et de Tetricus, Agricius se mêla beaucoup trop à la politique militante. Il fut dépouillé de ses biens, proscrit. Il dut s’exiler à l’autre extrémité de la Gaule, à Dax, où il vécut assez misérable. Sa situation devint si pénible que, pour gagner quelque argent, il dut, parait-il, mettre à profit sa science, — cette haute science religieuse qui avait jadis rendu sa nation si célèbre et que les derniers des druides prostituaient alors sournoisement dans les campagnes et les faubourgs. — Il fit comme eux ; il devint astrologue et sorcier. Beaucoup de ces nobles et de ces prêtres, qui, du vivant d’Ambiorix ou de Vercingétorix, eussent été les arbitres des nations et les ministres autorisés des dieux de la patrie, vivaient à l’ombre, et, loin des regards jaloux du gouvernement romain, travaillaient à dire la bonne aventure, à vendre d’étranges recettes et à consulter les étoiles. A la souveraineté politique avait succédé pour eux une mystérieuse popularité de carrefours.

Ausone nous apprend qu’Agricius voulut par avance écrire sur des tablettes toute la vie de son petit-fils. Puis, il avait cacheté le livre avec soin et se refusa toujours à le montrer. Craignait-il de compromettre, par un échec domestique, sa réputation de prophète ? Pas le moins du monde. S’il agit ainsi, nous dit Ausone, ce fut par pure discrétion ; mais, un beau jour, la mère du poète, — deux fois curieuse, et comme femme, et comme fille de sorcier, — déroba et lut les tablettes où étaient tracées les destinées de son enfant. Le renom d’Agricius n’eut point à souffrir, ses prophéties étaient en train de s’accomplir. Il avait prédit qu’Ausone serait consul : il le devint.

En tous cas, si les prédictions de son aïeul n’ont point décidé de l’avenir d’Ausone, je crois que l’influence d’Agricius et des traditions celtiques ont fortement contribué à façonner son âme et à former son talent. Ausone est avant tout un Gaulois, par son esprit, par sa bonne humeur, par sa franchise, par son infatigable activité, par sa curiosité sans cesse en éveil. Il tiendra aussi de ses parents une très grande vigueur corporelle. Ses ancêtres et lui-même sont morts nonagénaires, mais il tiendra d’eux, surtout, le culte des choses gauloises, le respect des souvenirs nationaux, -l’amour de la patrie municipale. Il parle, il s’habille, il pense en romain, mais ce sera toujours un Celte, le vigoureux représentant d’une race demeurée vivante, forte, laborieuse et originale, même après quatre siècles de domination latine.

Mais, hâtons-nous de le dire, cette famille avait accepté l’empire des Augustes et la civilisation du Latium avec sincérité, plaisir, enthousiasme. Accepter est même inexact. Ce monde des Ausones ne comprend pas, ne peut supposer un état de choses dont seraient exclus Rome, le règne de ses lois, le culte de son histoire et l’amour de ses poètes. Ce sont aussi bien de vrais Romains que de vrais Gaulois. Ils unissent admirablement en eux ces deux principes qui semblent hostiles et dont la conciliation fut le chef-d’œuvre du régime impérial : le patriotisme romain, l’amour-propre national. II y a des siècles qu’on n’entend plus de cris de révolte et que les derniers mécontents sont morts. Il peut se faire qu’Agricius et les siens aient été, au une siècle, les partisans actifs d’un empire gallo-romain, mais la pensée d’un démembrement leur a toujours été étrangère ou leur a paru ridicule et sacrilège. En tous cas, un siècle plus tard, la monarchie reconstituée n’aura pas de serviteurs plus dévoués et plus intelligents que les descendants du noble Éduen. Les empereurs de ce temps, hommes de bon sens et d’esprit, mettront sans cesse a profit leurs brillantes qualités de tête et de cœur.

Le père d’Ausone, qui exerçait avec succès la médecine, fut, grâce sans doute à l’appui de son fils, élevé par l’empereur Gratien à la dignité de préfet d’Illyrie. Ce n’était pas une sinécure ; il avait à gouverner la Grèce, la Macédoine, tout le pays qui s’étend des bords du Danube à ceux de la Méditerranée, et cette région se trouvait en ce moment dans une situation fort difficile, menacée de tous côtés par les barbares, inquiète, presque désorganisée. Pour mériter un poste de ce genre, le père d’Ausone avait certainement d’autres titres que la gloire et l’influence de son fils, et d’autres qualités que celles de citoyen zélé et de Gaulois dévoué à l’empire. Il avait laissé deviner qu’il saurait être, à l’occasion, un juge intègre et un vaillant gouverneur.

Ce fut du reste un caractère d’élite que ce médecin bordelais ; il était quelque chose de plus qu’un homme intelligent et actif : il était, dans toute l’acception du mot, un grand honnête homme, un vrai sage, qui rappelait à ses contemporains les stoïciens de l’ancienne Grèce et les philosophes amis de Marc-Aurèle. Son fils en parle avec une touchante admiration :

Dieu a voulu qu’il vécût deux fois onze olympiades (c’est-à-dire quatre-vingt-huit ans), après avoir eu une vieillesse honorable et paisible. Tout ce qu’il a voulu, il le vit réussir, tout ce qu’il a pu souhaiter lui est arrivé à son gré : non pas que le destin ait été trop indulgent pour lui, mais parce qu’il sut toujours être modéré dans ses désirs. Ses contemporains le comparaient aux Sept Sages, dont il mit la doctrine en pratique, car il aima mieux vivre que de discourir à la manière des philosophes. Il eut le don de prolonger les vies des hommes par les ressources de son art, et de multiplier les retards imposés au sort fatal. De la viennent le respect qui s’est attaché à son souvenir, et cette louange qu’il a méritée de son siècle. Ausone ne se modelait sur personne : personne maintenant ne peut l’imiter.

Nous avons dit qu’il était médecin. La Gaule le regardait comme le premier dans son art. A lire les œuvres des médecins de ce temps, on voit que l’héritage de Galien était tombé en des mains bien indignes. On peut affirmer qu’il n’est rien de plus misérable que la thérapeutique du IVe siècle, et on a le droit de la traiter de ridicule et d’absurde, mais le ridicule qu’elle mérite doit épargner ceux qui l’exercent. En dépit des insanités de tout genre qu’ils enseignaient, c’étaient de très honnêtes gens que les médecins bordelais, et des praticiens très sérieux, quoique fort inhabiles. Le père d’Ausone est un modèle à proposer même aux hommes de nos jours : c’était par amour du prochain qu’il travaillait. Il tenait peu à s’enrichir ; dans la médecine, il cherchait surtout l’occasion de diminuer la somme de douleurs et de misères qu’il voyait autour de lui. Voici en quels termes son fils le fait parler :

Ni riche ni pauvre, je fus économe sans être sordide ; ma manière de vivre, mes habitudes, mes mœurs, je n’ai jamais rien changé. J’ai offert gratuitement le secours de mon art à tous ceux qui me l’ont demandé, et mes soins n’allaient point sans la charité. J’ai tâché de répondre au jugement des gens de bien ; jamais je ne fus content de moi en me prenant moi-même pour juge. Les services de diverse nature que je dus rendre, je les dispensai suivant les personnes, les mérites ou les circonstances. Je me tins à l’écart des procès ; je n’accrus ni ne diminuai mon bien. Nul n’a dû sa perte ni à ma dénonciation ni à mon témoignage. Je n’eus point d’envie, de désir ni d’ambition. Jurer ou mentir, ce fut pour moi la même chose. J’ai cultivé l’amitié avec, une foi sincère. J’ai reconnu que l’homme heureux n’était pas celui qui avait ce qu’il voulait, mais celui qui ne désirait pas ce que le destin lui refusait. Je ne fus ni obséquieux ni bavard. Je regardais au-devant de moi sans pénétrer ce qui était caché par une porte ou par un voile. Je n’ai point forgé de bruit qui puisse déchirer la réputation d’un honnête homme ; même les rumeurs véridiques, je les ai cachées. J’ai banni colère, vain espoir, soucis inquiets, fausses joies des biens du monde. J’ai fui le tumulte, les amitiés menteuses des puissants. Je n’ai point pensé que ce fût un mérite de ne point faillir, et, aux lois, j’ai préféré les bonnes mœurs.

N’est-ce pas là, en quelques mots, un admirable code de morale, un précieux règlement de caractère ? L’homme qui mena une telle vie mérita bien d’être comparé par les siens, dans un jour de respectueux enthousiasme, aux sages les plus illustres du monde antique. Même, il avait quelque chose qui leur manqua souvent

il avait cette charité modeste et sereine qui vint, un peu tardivement, orner et adoucir les vertus païennes. Le père d’Ausone était païen, en effet, et, peut-être, assez attaché aux vieilles croyances. Il ne parait point que le christianisme ait été pour rien dans l’éveil de sa charité ou la formation de sa vertu ; il a tenu toutes ses qualités de la douceur native de son âme et de la pratique de la philosophie.

La vie et la conduite du vieil Ausone eurent sur son fils une grande influence. Notre poète trouvait, en la personne de l’homme qu’il aimait si tendrement, le plus sain des exemples et le plus beau des modèles. Toute sa vie, il cherchera à ne se montrer inférieur ni en bonté ni en sagesse au digne médecin de Bordeaux. Comme son père, il servit bien son pays, même au détriment de son repos ; comme lui, il évitera tout ce qui est bassesse, avarice, intérêt. S’il a été un homme de bien, un citoyen actif et loyal, un magistrat intègre, c’est à son père qu’il le doit.

De sa mère, il nous parle peu, bien qu’il ait longtemps vécu prés d’elle. C’était une bonne femme de ménage, veillant de près à l’éducation de ses enfants, douce, toujours occupée, peut-être un peu trop sérieuse. Ausone a du reste vécu dans une atmosphère de grave probité et de travail honnête. Dans ce milieu actif et sage, les femmes ont été à la hauteur des hommes. Parfois même je les voudrais plus enjouées, plus vives, plus souriantes. La vie de sa mère s’est passée à élever la famille et à filer la laine ; sa femme, sa sœur ont fait de même. Son aïeule (la femme du devin) était d’une rare austérité ; on dirait même qu’elle a quelquefois tyrannisé les siens de sa morale et de ses reproches. La belle-sœur d’Ausone administrait ses biens, dont un mari paresseux lui abandonnait la gestion. Quelles existences laborieuses dans toute cette bourgeoisie ! Deux de ses tantes refusèrent de se marier : l’une, pour vivre durement dans l’épargne et l’économie ; l’autre, pour étudier à la manière d’un homme. Celle-ci fit de la médecine, et avec trop d’ardeur, car elle gagna à ses connaissances la haine des plus légitimes plaisirs. Voilà des femmes qui n’avaient certes pas besoin d’être émancipées ! Il nous faut sourire de pitié quand nous entendons déblatérer sur la triste condition des femmes dans l’antiquité, et répéter, à propos de leurs misères, tant d’insipides mensonges. Qu’on lise l’œuvre d’Ausone, et on verra qu’elles ne vivaient ni en recluses ni en servantes. Quand elles cherchaient l’indépendance, ce n’était pas pour y trouver le repos et l’oisiveté.

On comprend que, dans cet air de probité qu’il a respiré dés l’enfance, Ausone ait pu devenir un homme de caractère et d’une imperturbable vertu, mais on peut se demander aussi ce qui l’a fait poète et professeur. Ce milieu sage et froid n’invitait guère à la lecture de Martial et à l’adoration de Virgile. Heureusement qu’il eut prés de lui, à côté des maîtres de sagesse, un charmant initiateur des lettres ; qu’il subit de très bonne heure, en même temps que l’influence paternelle, celle d’une nature plus ardente et plus séduisante, de son oncle, le poète et rhéteur Arborius.

Arborius fut pour Ausone, ainsi qu’il aime à le redire, un second père, ce que lui-même devait être plus tard pour saint Paulin de Nole. Il ouvrit son âme comme à une seconde existence :

J’ai rempli un devoir de piété en invoquant d’abord mon père et ma mère, mais je m’accuse de ne nommer Arborius que le troisième. Le mentionner en premier lieu, avant mon père, certes, c’eût été un crime pour moi, et, cependant, c’est aussi presque un crime que de ne point le placer le premier. Frère de ma mère, intime ami de mon père, tu as été pour moi, à la fois, un père et une mère. Mon berceau, mon enfance, ma jeunesse, mon âge mûr, tu leur as donné l’ornement de ces arts qu’il est si doux d’apprendre.

C’était sans contredit un homme de haute valeur, une intelligence richement douée que cet Arborius. A l’âge de vingt ans, on le regardait comme un des avocats les plus brillants de l’époque. Ses plaidoyers étaient autant de triomphes. De toutes parts, on recourait à son éloquence. Les villes de la Gaule du sud-ouest se l’arrachaient. On l’appelait même, pour les grandes affaires, auprès des tribunaux espagnols. Établi à Toulouse, il enseignait la rhétorique dans une chaire officielle. Ses cours ne souffraient pas de l’incroyable activité de sa vie. La savante cité de Toulouse, parfois difficile dans le choix de ses maîtres, était fière de celui-là. A ses heures perdues, il s’amusait à faire des vers. Mais Arborius n’était pas seulement un professeur de premier ordre, un avocat éloquent et passionné, c’était encore un homme fort habile et grandement ambitieux. Le talent est un don précieux : il n’est cependant pas défendu de le rehausser par un titre, de le dorer par quelque ornement extérieur. Arborius le savait à merveille il se maria richement et dans une famille de la noblesse. A Toulouse, il cultiva l’amitié des grands, et, comme il s’y trouvait alors des frères de l’empereur Constantin, il s’arrangea pour se lier avec eux. Un si beau génie, aidé par une ambition si prévoyante, devait mener Arborius très haut et très vite. Constantin appela le jeune homme à la cour et le chargea de l’éducation de son fils, un des futurs maîtres du monde. C’est exactement la carrière que suivra Ausone, mais plus lentement, avec moins d’éclat. Ce faite de gloire que son neveu n’atteignit qu’au seuil de l’extrême vieillesse, Arborius y était arrivé même avant la pleine maturité de l’âge et de l’esprit. A trente ans, il pouvait passer pour un des heureux de ce monde. Il avait les richesses, le renom, le talent, de solides amitiés, un intérieur sûr et la jeunesse, qui ajoutait un charme a toutes ces choses. Il lui était permis d’aspirer aux plus hautes charges de l’empire. Peu d’hommes de ce temps unissaient à un tel passé de telles espérances. Tout cela, gloire et bonheur, ambition et travail, fut soudainement brisé par la mort.

Or, cet Arborius fut le maître d’Ausone et son éducateur le plus dévoué. Les heureuses dispositions de son neveu le séduisirent de bonne heure ; il l’avait pris en affection dès sa plus tendre enfance. Ausone le médecin abandonna volontiers à son beau-frère l’instruction de l’enfant, qui vint rejoindre son oncle à Toulouse

Remis entre tes mains, dira plus tard le poète, dès mon premier âge, j’eus le don de te plaire ; tu disais, en m’appelant ton fils, que je te suffisais ; tu affirmais que je serai ta gloire et celle de mes parents ; tu as dicté les paroles qui devaient être inscrites dans le livre de mes destins. De tous les souvenirs de son enfance, celui d’Arborius fut pour Ausone le plus fidèle et le plus vivant. Cette carrière si brillante, à laquelle une fin prématurée était venue donner comme un nouvel éclat, avait fortement frappé sa jeune imagination. Il parle de lui avec la même émotion que de son père. Que de fois, dans les rêves d’une adolescence enthousiaste, il a dû penser en lui-même : Je serai comme Arborius ! On peut dire que l’avocat de Toulouse a mis au cœur d’Ausone l’ambition et l’amour de la gloire, de la gloire littéraire d’abord, de la gloire politique ensuite. Il a pour ainsi dire fait jaillir l’étincelle qui guidera sa vie.

Voilà, semble-t-il, de quelles influences Ausone a été entouré. Il est né dans une vieille et noble famille gauloise. Son père fut un sage à la manière antique. De toutes parts, il ne reçut que des leçons de travail. Il a été élevé par un oncle jeune, ardent, plein de talent, de renom et d’ambition. Il est d’une race forte et active, et il trouve dans son milieu, à côté de l’amour de toutes les vertus, le culte de toutes les gloires.

Voyons comment il profita de ces exemples et de ces leçons.

— II —

Ausone naquit vers l’an 310. Constantin régnait alors sur la Gaule. C’était le moment où la domination romaine inaugurait dans notre pays une ère nouvelle. Après les malheurs sans nombre qui l’avaient accablée à la fin du IIIe siècle, invasions, révoltes, incendies et carnages, la Gaule se reposait enfin. De nouveau, elle se livrait avec bonheur aux travaux de la paix, elle s’essayait à retrouver la prospérité du second siècle. Les villes secouaient leur torpeur. Une vie d’activité tranquille recommençait pour elles. Les écoles se repeuplaient. De grandes universités se fondaient, notamment celle de Bordeaux. Les persécutions ne sont plus à craindre. Le monde gaulois goûte les bienfaits de la paix religieuse en même temps que ceux de la paix politique. Pendant un siècle environ, depuis Constantin jusqu’à Théodose, l’Occident romain jouira d’une assez grande tranquillité. L’empire est réorganisé à l’aide de principes nouveaux, et son organisation est admirable de régularité et de précision. On reprend l’offensive aux frontières. Les légions retrouvent des généraux qui ne sont pas inférieurs à Trajan et à Corbulon. L’ennemi ne s’aventure guère au delà de la Marne. Les révoltes sont rares à l’intérieur. Le brigandage, sans disparaître, se ralentit. Ce n’est pas assurément l’âge d’or des Antonins, mais, enfin, c’est un siècle où il n’est point triste de vivre. Les grandes alarmes en sont bannies. Les consciences ont peu à souffrir. Les corps et les âmes respirent et ne sont plus sur ce qui-vive éternel qui exaspéra les contemporains de Dèce et de Valérien. C’est un siècle qui a vu de grandes choses, comme l’étonnante popularité de l’enseignement et des écoles, où il s’est élevé d’assez beaux monuments, comme ceux de Trèves, de Reims et de Paris, et qui a produit, même au sein du paganisme, des esprits d’élite et de vrais écrivains, comme Symmaque, Julien, Ammien Marcellin. Durant quatre générations, la civilisation romaine, si affaiblie au IIIe siècle, se réveille et montre dans son arrière-saison une étonnante vitalité.

Ausone n’est donc pas une exception dans son temps. Par sa vie, son caractère et ses œuvres, il sera bien dans le ton du siècle. C’est une âme confiante et sereine, un esprit calme, de sens rassis, amoureux de liberté et de tolérance, un homme d’ordre, de sagesse et de bon sens.

Son enfance et son adolescence furent calmes et studieuses, comme devait l’être sa vie entière. Vers l’âge de huit ans, il fut mis à l’université de Bordeaux. On sait que, dans les grandes écoles de ce temps, on enseignait tout, depuis la lecture jusqu’au droit ; on y parcourait le cycle complet des études ; on y trouvait à la fois l’école primaire, le lycée et la faculté. C’était un grand avantage pour les jeunes gens. Ils s’attachaient à cette école, où ils demeuraient près de vingt ans. Elle devenait pour eux comme une seconde famille. Certains d’entre eux ne l’ont même jamais quittée : après y avoir travaillé comme élèves, ils y ont enseigné comme maîtres. L’université leur était un nouveau foyer, une petite patrie, pleine de livres et d’amis, agréable et bien close, où leur amour-propre, doucement caressé, trouvait de paisibles habitudes et de familiales admirations. Il n’est point rare de voir ce spectacle dans quelques modestes universités d’Allemagne, qui paraissent si ennuyeuses à l’étranger, et que les maîtres ni les élèves ne savent cependant jamais quitter, tant ils en aiment la patriarcale monotonie. Si l’empereur n’était venu arracher Ausone à son école, il s’y fût acoquiné toute sa vie. Encore y passa-t-il près de quarante ans, sur les bancs des élèves ou dans la chaire du professeur.

Ce fut à l’université de Bordeaux qu’il apprit à lire et à écrire. Il se montra tout de suite excellent écolier, sauf en un point ; il fut très rebelle, dans son enfance, à l’enseignement du grec, qui tenait cependant, chez les Gaulois, une fort large place dans le cours des études. En revanche, il fit des vers de très bonne heure, il apprit la grammaire et la rhétorique des professeurs les plus célèbres de son temps, cela, sans dédaigner les sciences les plus austères. Il sait un peu de tout, il parlera un peu de tout dans ses œuvres. Pour bien commenter sa Moselle, il est bon d’être universel. Un de ses maîtres les plus chers et les plus écoutés, Staphylius, l’initia à l’histoire et aux trésors recélés dans les six cents livres de Varron.

Vers l’âge de douze ou treize ans, il fut appelé à Toulouse, auprès de cet Arborius, qui, si jeune encore, était la gloire et l’honneur de sa famille. Arborius va décider de sa vocation. Il en fait un poète, un avocat, un professeur. Il lui donne plus, le démon de l’ambition. De brillants présages commencent à faire comme une auréole autour du jeune Ausone. Son oncle déclare qu’il sera un des héros de sa race ; son grand-père l’astrologue prédit qu’il arrivera au consulat, c’est-à-dire au premier honneur du monde romain.

Voilà Ausone, à vingt-cinq ans, de retour à Bordeaux. Il est ardent, enthousiaste, ambitieux. Il a une petite célébrité de clocher ; il a déjà connu les enivrements d’un renom d’écolier. Tout lui sourit dans la vie qui commence. Son premier pas dans le monde est facile : on lui confie une chaire de grammaire dans cette université où il a été un si brillant élève et où il va devenir, dans les espérances de ses anciens maîtres, un professeur accompli. Il a la passion de la gloire et ne rêve que de continuer à marcher dans la vie comme dans une promenade triomphante.

La désillusion arriva bien vite. L’existence tarda longtemps à tenir envers Ausone les promesses qu’elle semblait lui avoir faites. Les années se succédèrent rapidement et se ressemblèrent toujours. Trente ans se passèrent sans que nulle gloire nouvelle ne vint s’ajouter aux précoces gloires de son adolescence. J’imagine que son âme ardente et active connut trop souvent la tristesse des intimes déboires et les rancunes d’une ambition comprimée. Il dut traverser de sombres heures quand il sentit arriver la fin de la jeunesse, quand, au seuil de la quarantième année, il s’aperçut que, dé tous les beaux rêves souriants d’autrefois, il lui restait à peine un lointain souvenir.

Il a sans doute accusé maintes fois son siècle et la destinée. C’était un siècle calme, régulier, presque froid et monotone que celui dans lequel il vécut. Il était bien fait pour briser les élans trop rapides ou décourager les ambitions précipitées. La société civile était aussi bien classée que la société militaire. Elle avait ses cadres, ses ordres, ses échelons. Chacun y était étiqueté. Bien peu de place y était laissée a la surprise et à l’engouement. Dans toutes les administrations, dans tous les collèges, et Dieu sait s’il y en avait alors dans ce monde de fonctionnaires, chacun montait à son tour, sans hâte et sans trouble. Les Arborius étaient des exceptions. A vingt-cinq ans, Ausone était professeur de grammaire à l’école de Bordeaux ; a cinquante-cinq ans, il y était professeur d’éloquence. Voilà le seul changement que lui avaient apporté trente années d’existence. Je n’insiste pas sur les fonctions municipales qui lui furent confiées ; il fut nommé décurion, c’est-à-dire membre du conseil de ville ; il administra même Bordeaux un instant en qualité de duumvir. C’était peu de chose pour un homme a qui les destins avaient promis le consulat. L’ambitieux rhéteur dut accepter ces honneurs comme de simples pis allers. Il était dans la position de ces professeurs de facultés qui rêvent le portefeuille de ministre et doivent, en l’attendant, se contenter d’un siège au conseil municipal. Ce qui change le moins dans l’histoire des hommes, ce sont leurs ambitions et leurs déboires.

On peut, croire que, si Ausone avait été un intrigant, un habile à la façon de son oncle Arborius, il eût percé plus vite, il eût cherché à débarrasser son ambition des entraves de l’avancement officiel. Mais rappelons-nous que, s’il avait été l’élève d’Arborius, il avait reçu et recevait encore de son père le médecin des exemples de sagesse et de modération. Il avait soif d’honneurs, mais son père, qui vivait près de lui, devait lui rappeler sans cesse le goût de la vertu.

Il se résigna donc, et, pendant trente ans, se contenta à Bordeaux d’une demi-gloire, d’un horizon limité et d’une célébrité locale. Nous ne le voyons mêlé a aucun événement politique. Il renonça même, pour se consacrer tout entier à ses élèves, aux succès bruyants du barreau. Aussi, malgré les lassitudes de sa volonté, malgré les heures d’énervement, ne cessa-t-il pas une minute de faire son devoir. Il fut un admirable professeur, plus solide que brillant, plus sensé qu’éloquent, plein d’esprit et d’enjouement, mais sûr, sans charlatanisme. A l’université de Bordeaux, il semble avoir été un instant éclipsé par son compatriote Minervius, que l’on comparait dans le monde entier à Quintilien et à Démosthène, et dont la gloire n’était pas moins grande à Rome et à Constantinople que sur les rives de la Garonne. Cependant Ausone ne témoigna pas à l’égard de ce collègue la moindre jalousie. Ce qui le montre bien, c’est que nous le connaissons surtout par ce qu’il nous dit de lui. Voilà un rare exemple de franche camaraderie. Il parle de Minervius avec une admirable sincérité et une expansion touchante. On devine qu’il s’est résigné sans peine, presque sans le savoir, à vivre à côté de lui comme un collègue inférieur, collega minor.

J’aime à le répéter : quoi qu’il ait pu penser dans ces moments de rêveries mélancoliques auxquels sont exposés tous les ambitieux, même les Gascons et les Bordelais, Ausone fit parfaitement son métier de pédagogue, pénétré de ce sentiment du devoir qui était dans les traditions de sa famille. Il l’avoue ingénument : les débuts furent difficiles et le succès ne vint pas toujours récompenser l’effort, mais il finit par se faire à cette vie et par aimer sa besogne. Dans une épître à son petit-fils, qui est une œuvre charmante, il rappelle avec une douce émotion les plaisirs de l’enseignement et le temps où il formait la jeunesse :

J’ai nourri moi-même, de mes leçons, beaucoup de tendres enfants ; je les réchauffai dans mon sein, je déliai leurs murmures : c’est moi qui arrachai leurs tendres années aux caresses des nourrices.... Puis, quand la sève de la puberté les couvrait de son duvet, je les amenais à la morale, aux arts libéraux, à l’éloquence. Cependant leur tête refusait de porter le joug, et leur bouche se détournait du mors qu’on leur présentait. Une modération bien difficile à acquérir, un rude apprentissage, un succès rare qui ne peut résulter que d’un bon usage, une douce critique pour venir à bout d’une jeunesse indocile, voilà tout ce que j’eus à supporter ; mais un jour vint où l’ennui même eut son charme, où la force d’une bonne habitude adoucit le travail.

Pendant ces trente années d’enseignement, Ausone, tout entier à sa chaire, a dû peu travailler pour lui-même. Aucune de ses œuvres importantes n’est de ce temps. Son instinct de poète s’assoupit dans cette vie régulière et monotone qui endormait toutes les ambitions.

— III —

Mais enfin tant de patience et de tels efforts de labeur trouvèrent leur récompense. Sans y penser, en travaillant, par amour du devoir, Ausone travaillait pour sa gloire. On finit par connaître dans la Gaule, à la cour même de Trèves, ce professeur accompli, si consciencieux, si savant, si délicat. Un beau jour, Ausone reçut de l’empereur Valentinien l’ordre de se rendre près de lui : il était chargé de faire l’éducation de Gratien, l’héritier de l’empire. C’était en 369. Il avait bien près de soixante ans. Il pouvait songer à la retraite. La vie semblait finie pour lui. Il avait le droit d’oublier pour toujours les audacieuses prédictions faites à sa jeunesse. Maintenant, d’une façon presque subite, commence pour lui une seconde vie, qui s’annonce pleine de renommée et d’honneurs.

Ausone consacra sept années à l’éducation du jeune Gratien. Comment il la fit, quels furent ses principes et les règles de sa conduite, nous ne le savons guère. Il n’a point tenu à nous le dire. Cet homme, qui fut assurément un excellent pédagogue et le maître de tant de gens illustres, n’a pas laissé le moindre traité d’éducation. La valeur de sa pratique lui parut suffire à sa gloire. Nous ignorons comment il s’y prit pour former son impérial élève, et, aussi, pour se faire bien voir à la cour. Toujours est-il qu’il réussit à souhait dans l’une et l’autre tâche. Pendant sept années, aucun nuage ne s’éleva entre l’empereur et le précepteur. Cela fait leur éloge à tous deux, car je ne puis croire qu’Ausone ait mis de son côté trop de complaisances ou de flagorneries. Ce Gascon spirituel et discret parait incapable d’une flatterie qui ressemble à une sottise.

D’autre part, l’élève fut digne du professeur. A lire les portraits que nous avons de Gratien, à étudier sa vie et son œuvre, on s’aperçoit que sa jeunesse n’a pas eu seulement un bon maître de grammaire, mais aussi un vrai conseiller et un vertueux modérateur. Ausone a été certainement tout cela pour lui. L’excellent rhéteur a cru qu’il était dans ses attributions d’enseigner la morale et la philosophie. En songeant à son rôle et en regardant Gratien, il s’est rappelé Fronton et a désiré un Marc-Aurèle. A cette singulière époque, si curieuse par son mélange de grandeur et de petitesse, de décadence et de naïveté, les comparaisons et les copies tenaient une très grande place. L’originalité manquait partout (chez les païens du moins), même dans la pratique de la vertu et dans l’idée de la sagesse. En poésie, tout le monde copiait Virgile, et les plus sincères des sages de ce temps cherchaient parfois moins à vivre vertueux qu’à prendre l’air de Marc-Aurèle. A la fin du XVIIIe siècle, nos ancêtres fabriquaient en quelque sorte leur vie à l’aide de souvenirs d’Athènes et de réminiscences de la Rome républicaine. Au IVe siècle, on tenait à ressembler u quelque figure du glorieux passé romain. On voulait donner une jeunesse factice au monde latin ; avant tout, on avait peur d’être indigne de l’ancienne histoire, d’être inférieur aux ancêtres. Les chrétiens criaient à la décadence. Les bons patriotes se modelaient sur les choses et les hommes d’autrefois, et croyaient à l’éternelle fécondité de l’être romain. Quand ils avaient trouvé autour d’eux un fait glorieux comparable à quelque événement de jadis, ils ne se possédaient pas de joie. Ausone sera nommé préfet, consul, par son élève : vite il se rappellera que Marc-Aurèle a donné le consulat à Fronton. Quel bonheur pour lui, et de l’honneur qu’il a reçu et du rapprochement qu’il peut faire ! Quel candide enthousiasme dans ses paroles ! Le seul modèle que j’accepte, c’est Fronton ; et encore, ce maître d’un Auguste eut le consulat sans la préfecture ; et encore, quel consulat ! un simple consulat subrogé, qui ne dura que deux mois, qui tint dans une sixième partie de l’année... Mais on me dira : Vas-tu donc t’élever au niveau d’un tel orateur ? A cela, je répondrai d’un mot : Je ne me compare pas à Fronton, mais je place Gratien au-dessus de Marc-Aurèle.

Non ! c’est péché que de comparer l’élève d’Ausone à l’homme qui fut la perfection même. Gratien fut une figure douce et sympathique ; Julien mis à part, la lignée des Césars du Bas-Empire n’a pas de physionomie plus attachante. Mais ce ne fut pas, comme le sage des Pensées, un grand empereur, un héros de vertu, un incomparable honnête homme. L’éloge qu’en fait Ammien Marcellin suffit amplement à sa gloire et à celle du maître qui l’éleva : Il était plein de douceur, d’humanité et de modestie. Il mettait son mérite à faire du bien et à pardonner. Il visitait dans leurs maladies, non seulement les personnes de considération, mais même les simples soldats, leur rendait toutes sortes de bons offices, et prenait bien soin que rien ne leur manquât. Il passa d’ailleurs très vite sur le trône. Il mourut avant l’âge de trente ans, laissant derrière lui un charmant parfum de jeunesse et de charité. Il était chrétien, moins par raison que par conviction chaude et intime. A vrai dire, c’est le premier chrétien qui ait régné sur le monde romain, et c’est de son gouvernement que date le triomphe définitif du christianisme dans les Gaules. Mais, à la différence de ses successeurs, il se montra tolérant et pacifique, et, s’il porta fièrement l’étendard du christianisme, s’il ne témoigna pas toujours une respectueuse déférence envers les derniers représentants de la religion romaine, il n’alla jamais, semble-t-il, jusqu’à la persécution des personnes, jusqu’au renversement des statues et à la destruction des temples ; œuvre néfaste et sacrilège, qui sera réservée à la famille de Théodose. Faisons un mérite de cette tolérance à son professeur. Ausone a concilié si bien le christianisme officiel avec le culte ardent des choses du paganisme, qu’on se demande souvent encore (à tort selon moi) quelle a été la véritable religion de son cœur. E était bien de ce sud-ouest où Ies croyances religieuses sont toujours tempérées par un scepticisme de bon aloi et une modération de bon goût. Ce qu’il y avait de meilleur dans les habitudes de sa race, il le communiqua peut-être à son auguste élève.

Ausone était encore à la cour quand la mort de Valentinien, en 375, laissa subitement le trône à son élève. Ce fut un nouveau bonheur pour lui. Gratien lui était attaché. Il l’estimait infiniment et l’entourait d’une affection qui, quoique impériale, parait avoir été sincère et nullement banale. Le nouvel empereur eut à cœur de réaliser les rêves les plus brillants qu’avait pu former son cher maître. S’il voulait imiter Marc-Aurèle, il lui fallait d’abord combler le nouveau Fronton d’honneurs et de caresses. A soixante-cinq ans, le vieux rhéteur fut transformé, par l’amitié d’un prince, en fonctionnaire et en homme public. Il commençait bien tard cette carrière elle n’en fut que plus rapide, et la protection, dont le couvrait le souverain empêcha qu’elle ne fût dangereuse.

Ausone portait déjà le titre de comte : on le lui avait donné quand Gratien passa de l’étude de la grammaire à celle de la rhétorique. Tu m’as fait comte par tes progrès dans l’étude, dit gracieusement Ausone à l’empereur. Ce n’était du reste qu’une distinction honorifique qu’on accordait un peu à tout le monde, à des officiers, à des magistrats, à des professeurs émérites, aux médecins de la cour. Les comtes formaient une sorte de noblesse impériale, qui ne peut se comparer qu’aux ordres contemporains : on n’y avait accès que par le mérite personnel ou l’importance des fonctions remplies. Vers le temps où Gratien finit son éducation, Ausone demeura près de lui. Il fut nommé questeur. La charge ne pouvait lui déplaire : les questeurs étaient censés les secrétaires du prince, maïs ils n’avaient rien à faire ; les chefs des bureaux expédiaient toute la besogne. En somme, il n’y avait rien dans ces titres qui ne convint au professeur. Mais, en 376, Gratien étant empereur, Ausone est promu préfet du prétoire en Italie et en Afrique. En 378, il gouverna les Gaules en cette même qualité.

Cette fois, ce n’était plus un honneur de cour ou une charge de palais. C’était une fonction de premier ordre, le plus important des gouvernements civils. Elle exigeait une grande activité, une notoriété sérieuse. Sait-on ce que le préfet avait à faire ? Il était le chef des gouverneurs de provinces ; il jugeait les appels ; il avait la haute surveillance financière ; de lui dépendait l’approvisionnement des troupes, la police des routes ; c’était le surintendant des postes et des travaux publics. Il était pourvu de tous les droits et de tous les pouvoirs dans toutes les parties de l’administration civile. Pour un ancien professeur, ce n’était pas une mince besogne. L’autorité d’Ausone s’étendait, pour le moins, de la Moselle aux Pyrénées. C’était un vice empereur des Gaules.

Quel changement dans sa vie ! On a peine à comprendre comment un prince qui se respectait a pu accabler du poids d’une telle responsabilité un homme dont tout le mérite consistait à être, depuis quarante ans, un excellent professeur. On a expliqué la chose en disant qu’Ausone n’a été que préfet honoraire. Mais l’hypothèse ne tient pas. Si Ausone n’avait pas exercé sa charge, il n’eût pas écrit à ses amis qu’il ne pouvait leur consacrer ses instants, qu’ils appartenaient tout entiers au devoir du prétoire.

Il n’y a pas trop à s’étonner d’ailleurs de cette métamorphose subite. Oublions nos idées et les habitudes contemporaines ; plaçons-nous au point de vue des Romains. Qu’y avait-il d’étonnant pour eux à voir un rhéteur arriver aux plus hautes fonctions ? Rappelons-nous Sénèque, Fronton, et, plus près de lui, Eumène d’Autun. Ausone n’était pas seulement un professeur ; il avait plaidé, il était avocat. Il appartenait donc a cette classe de gens qui a de tout temps fourni au monde latin, à la république comme à l’empire, les meilleurs de ses chefs. On arrivait a tout par la rhétorique. C’était terriblement vrai au temps de Cicéron, alors qu’il y avait un rhéteur dans chaque général et dans chaque consul. Or, l’État romain n’a jamais, dans sa longue vie, renoncé à une seule de ses habitudes. Nous l’avons déjà dit, nous le dirons encore. Il n’y a rien de plus tenace qu’une tradition à Rome. Juvénal se plaignait que de son temps on devint, de rhéteur, consul. L’empire avait accepté l’héritage des mœurs républicaines. Seulement, il mit de plus en plus a l’abri des avocats les fonctions militaires. Le reste, il l’abandonna à l’ancienne mode. Au IVe siècle, le personnel des écoles supérieures de la Gaule sera pour l’État une pépinière de magistrats, de chefs de bureaux, de secrétaires et de préfets. Comme au temps de Juvénal et de Cicéron, le rhéteur est un grand personnage, un ami des grands ; il se marie presque toujours en haut lieu, il est riche, il devient comte, il fait souche d’aristocrates et de clarissimes. Le professorat mène aux honneurs et à la fortune. La famille d’Ausone sera, au début du Ve siècle, la plus considérée du sud-ouest. Les membres des grandes races ne dédaignent pas, tant s’en faut, d’être professeurs ou rhéteurs : c’est parfois par l’intermédiaire d’une chaire d’éloquence qu’ils arrivent à une préfecture ou a une présidence. Sous la république, les succès du forum et des rostres conduisaient a tout. Sous le Bas-Empire, l’école a remplacé le forum, la chaire a succédé aux rostres. Le cadre a changé, mais les tendances sont immuables.

Et puis, Ausone n’était pas le premier venu. Je ne parle pas seulement de la noblesse de sa famille maternelle et de celle de son beau-père (il avait épousé la fille d’un sénateur bordelais), mais il valait surtout par lui-même. On peut dire qu’il avait travaillé dés sa naissance. Toute sa vie avait été exempte de faiblesses et de loisirs. C’était un homme qui s’était sacrifié au devoir. Son ambition était infinie, mais il la fit toujours passer après l’amour du bien et le zèle du métier. On le regardait comme un homme de bon sens, de sagesse et de fermeté. Il connaissait bien le droit, qu’il avait enseigné comme rhéteur. Or, ce qu’on demandait surtout aux préfets du prétoire, qui étaient des juges supérieurs, c’était la science des textes juridiques. Nous ne savons comme il s’acquitta de sa tâche, mais, si les Gaulois attendaient de leur préfet de la sûreté dans les jugements, de l’intégrité dans l’administration, de la modération dans le gouvernement, ils n’eurent pas à se plaindre du choix impérial. Ce qui a dû manquer à Ausone, c’est l’expérience des affaires, mais il avait au-dessous de lui, pour suppléer à son ignorance, ces admirables bureaux, créés par le Bas-Empire, aussi puissants mais mieux outillés et plus expéditifs que ceux de nos ministères. Symmaque, qui se connaissait en hommes de valeur, lui écrivit un jour : Pour les ressources si grandes de ton génie, une si haute fortune n’est pas un fardeau ; la souveraineté judiciaire n’est pas déplacée entre tes mains.

Enfin, le premier janvier 379, Ausone reçut le titre qui couronnait sa vie, arriva à ce point culminant où l’avaient jadis entrevu les orgueilleuses espérances de sa famille. Il fut nommé consul. On devine le débordement de sa folle joie. Enfin il pouvait mourir. Qu’on lise son Action de grâces à l’empereur : il est difficile de rêver une pareille exaltation. Le bonheur éclate à chaque ligne. La flatterie la plus outrée, la reconnaissance la plus exubérante y sont franches et sincères. C’est un enivrement insensé, l’enthousiasme d’un enfant dont on vient de satisfaire le plus grand caprice

Ainsi donc, et c’est tout ce que je puis faire, je te rends grâces, mais, comme il arrive toujours en présence de Dieu, avec plus d’effusion de cœur que de paroles. Et ce n’est pas seulement dans le sanctuaire de l’oracle impérial, dans ce lieu où, saisi d’un frisson muet et d’une religieuse terreur, l’esprit et le visage demeurent rarement les mêmes ; c’est partout et toujours que je te rends grâces par mon silence ou par mon langage, dans les assemblées publiques ou seul avec moi-même, quand ma voix éclate ou quand ma pensée se recueille, en tout lieu, en toute chose, à tout propos, en tout temps.

Qu’était-ce donc que ce consulat dont le désir et la joie font pour ainsi dire l’unité de la vie d’Ausone, dont il ne cessa de parler, avant de l’avoir, surtout quand il l’eut reçu ? Qu’était-ce que cet honneur, sommet lumineux autour duquel gravitaient alors toutes les grandes ambitions ? En fait, un consul n’était rien, ne gouvernait rien, ne jugeait personne. C’était un magistrat de parade, un dignitaire de procession : mais les apparences de cette charge étaient si brillantes ! C’était un fantôme, mais aussi superbe, aussi doré que les réalités d’autrefois. Le prestige du consulat était certainement le même qu’au temps de Cicéron. Ausone et Cicéron n’en parlent pas autrement. Quand il s’agit de lui, ils expriment de la même manière l’ardeur de leurs espérances ou la béatitude de leur ambition satisfaite. Des consuls se datent toujours les années. Quand ils entrent en charge, ils président une cérémonie solennelle qui rappelle les grands triomphes de la république : c’est la fête nationale de Rome. Ce jour-là, l’empereur et l’empire s’effaçaient. Aux yeux du vulgaire, le consulat était quelque chose de très grand, de très vieux, qu’on ne pouvait mettre ni au-dessous ni à côté de la monarchie. Les deux institutions semblaient indépendantes. La preuve en est que l’empereur, quand le désir lui en venait, se nommait consul. Il ne l’était pas de droit. L’histoire du monde n’offre peut-être pas une plus grande persistance d’illusions officielles et de mensonges publics. On connaît les monnaies de la république française au nom de Napoléon, empereur : qu’on se figure cette antinomie politique durant tout son règne, durant des siècles après lui. Il y avait quatre cents ans que le consulat se continuait ainsi, à côté de l’empire, avec tous les dehors d’autrefois. Il se maintiendra longtemps encore. On le donnera, dit-on, à Clovis. Quel étrange phénomène historique que la vitalité de cette institution, dix fois centenaire, qui touche, d’une part, à la royauté sacerdotale de la cité antique, et, de l’autre, à la royauté barbare de la France moderne !

L’âme romaine était faite avant tout du passé et du culte de la tradition, Les grands mots de mores majorum, avi nostri, les mœurs des ancêtres, nos aïeux, planent sur toutes les générations, depuis celle des Appius Claudius jusqu’à celle de Majorien. Ausone parle du consulat comme s’il était un Fabius ou un Marius, un Pline ou un Cicéron, — un Cicéron surtout, car, chez cette aristocratie romaine du IVe siècle, si finement intelligente, si bien douée, le culte des gloires littéraires était la forme préférée du patriotisme. Ausone et ses amis font songer aux âmes des bienheureux dont Virgile décrit la vie dans les Champs-Élysées : elles mènent, au delà du bûcher, la même existence qu’autrefois, elles goûtent les mêmes joies, elles se livrent aux mêmes plaisirs, elles chassent, elles lisent, elles discutent ; mais toute cette vie n’est qu’un mirage, et les corps ne sont que des ombres. De même, les bons sénateurs du IVe siècle n’aperçoivent souvent le monde romain qu’a travers le voile du passé ; ils vivent avec les fantômes des ambitions de leurs ancêtres ; ils parlent, ils écrivent, ils pensent, ils désirent de la même manière et avec la même conviction que les contemporains de Cicéron, et leurs paroles ne sont que des plagiats, leurs croyances que des mensonges, leurs désirs ne touchent aucune réalité. Il est vrai que, si vermoulue qu’elle fût devenue, l’antique constitution romaine pouvait encore supporter le léger fardeau de ces puérils orgueils et de ces fragiles fantaisies.

— IV —

Ausone se trompait quand il se croyait au bout de sa carrière. Sans doute, il n’avait plus rien a demander aux honneurs : le consulat était le dernier souhait que pouvait faire une ambition légitime, mais la vie n’était point finie pour lui. Ni la gloire ni le bonheur ne lui avaient dit leur dernier mot. La divinité lui réservait une suprême joie : celle de vivre vingt ans encore, d’une vie douce et joyeuse, au milieu de ses livres et de sa famille. Elle lui fit assez de loisirs, elle lui laissa assez de jeunesse d’esprit, de tranquillité d’âme et de santé corporelle pour qu’il sût jouir des souvenirs gracieux ou glorieux de son passé. Comme dit quelque part Sainte-Beuve, il lui fut donné d’habiter la villa du sage, qu’il avait construite tout exprès et ornée à plaisir pour ses derniers ans.

Vers sa soixante-douzième année, il quitta la cour, et, après quinze ans d’absence, revint dans cette chère Aquitaine, qui, après avoir été le berceau de son enfance, allait devenir le nid de sa vieillesse, nidus senectae. Il y vécut au sein de l’opulence, sans le moindre chagrin, sans le plus petit tracas, fuyant le tumulte de la ville, heureux surtout à la campagne. Il partageait son temps entre ses villas, et elles étaient nombreuses. Il en avait en Saintonge, en Poitou, aux environs de Bordeaux. A toutes, il préférait celle de Lucaniacus, dans l’Entre-Dordogne ; il y avait accumulé le plus de richesses, dépensé le plus d’argent. Il y vivait presque royalement. Simple et bon cependant, il n’avait pas de plus grand plaisir que d’y recevoir ses amis. On faisait bonne chère chez lui, mais il s’y répandait encore plus de gaieté que de largesses. Que de causeries longues et affectueuses s’échangeaient à la table de l’ancien professeur ! On y devisait du passé, un peu de la cour, beaucoup de l’école, des lettres et de la poésie surtout. Ausone voyait autour de lui un cercle riant de femmes et d’enfants, une famille nombreuse et unie qui l’adorait. On l’entourait d’un respect amical ; ses petits-enfants admiraient le grand aïeul qui avait été consul. Lui-même n’était pas oublieux de la Providence et savourait son bonheur sans ingratitude à l’égard des destins. En lisant les dernières poésies, véritables actions de grâces, de cet ambitieux satisfait et resté homme de cœur et de sagesse, on se rappelle malgré soi le beau souhait de Joachim du Bellay :

Heureux qui, comme Ulysse, a fait un beau voyage,

Ou comme cestuy-là qui conquit la toison,

Et puis est retourné, plein d’usage et raison,

Vivre entre ses parents le reste de son âge !

Mais ne croyons pas que ces dernières années aient été oisives et infécondes. Ausone n’était point de ceux qui connaissent le repos absolu. La retraite où il vivait lui permit de se consacrer enfin tout entier a la poésie. Le métier de professeur et celui de préfet lui avaient fait jadis fort peu de loisirs pour ses chères études. Maintenant il put, au gré de sa fantaisie, aligner les dactyles et les spondées, les trochées et les ïambes. Il écrivit, travailla jusqu’à la dernière heure. La plupart de ses poésies sont de ce temps de repos. Le recueil même de ses œuvres, dans sa forma actuelle, parait de l’extrême fin de sa vie. Il versifiait aux premières approches de la mort. Souris à ma vieillesse, écrit-il à son petit-fils dans des vers qui sont parmi ses moins mauvais, elle recule devant le terme fatal, elle se prolonge sans infirmités, elle assiste à tes fêtes, elle peut contempler encore ces astres presque effacés pour elle, au moment de quitter la vie et d’entrer dans la tombe.

Quelle séduisante activité chez cet homme ! Il est bien le contemporain et l’émule des Symmaque et des Ammien Marcellin. On peut parler, à propos des écrivains de cette génération, de décadence littéraire. On ne doit pas croire à une décadence intellectuelle ou morale, encore moins à une décadence physique. Si les littérateurs païens de ce temps ont été impuissants a inspirer un soue nouveau dans la vieille langue latine, on ne peut nier qu’ils ne soient de brillantes et énergiques figures, de vrais et vigoureux caractères. A certains égards, ils sont moins décadents que les poètes ou les rhéteurs de la domination de Domitien ou de Trajan, Pline, Martial, Quintilien, physionomies un peu pâles et tempéraments un peu frêles. La forme est bien misérable au IVe siècle, mais on vit alors, chez les païens comme chez les chrétiens, une forte poussée intellectuelle, une infatigable ardeur au travail.

Et ajoutons à cela que, chez ces hommes, la vieillesse était singulièrement belle et saine, et ressemblait au reste de la vie. Nous possédons les derniers vers d’Ausone ; si je ne me trompe, ce sont les plus touchants qu’il ait écrits. Il s’adresse à son ami Paulin, le futur évêque de Nole, pour lui reprocher sa négligence :

Ainsi, Paulin, nous secouons le joug qu’un juste tempérament nous faisait aimer, ce joug si léger à subir, si facile à porter ensemble, quand nous marchions sous les rênes aimables d’une douce concorde ; ce joug que, dans la si longue suite des années écoulées, jamais un faux bruit, jamais une plainte n’ébranla, que rien n’a pu écarter de nous, ni les reproches, ni la colère, ni les méprises, ni le soupçon.... ; ce joug si paisible et si doux, que ton père et le mien ont traîné depuis leur naissance jusqu’à leur vieillesse, et qu’ils ont imposé à leurs pieux héritiers, désirant qu’il durât jusqu’au jour éloigné qui terminerait leur vie. Et il a duré tant que l’amitié nous a souri, tant que nous en avons sans peine et sans efforts observé les communs devoirs.... Nous le secouons pourtant, Paulin ! et la faute n’en est pas à nous deux, mais à toi seul, car, pour moi, ce sera toujours un bonheur d’y courber ma tête. Le compagnon de mes travaux m’abandonne, et ce qu’on porte si bien à deux pèse à un seul quand son ami lui fait faute. Ce n’est ni le cœur ni les forces qui me manquent, mais la condition n’est plus égale quand le fardeau n’est plus partagé, quand tout le labeur retombe sur celui qui reste, et qu’il subit le surcroît de la charge de l’autre.... Cependant, dût-il m’écraser, j’accepte le fardeau : je ne trahirai jamais, tant que je vivrai, la foi d’une vieille amitié, afin que cette pieuse consolation, gravée dans son souvenir, me ramène un jour le compagnon qui m’a fui.

Voilà presque de belles paroles, ce sont en tout cas de belles pensées. Il y a là une fraîcheur, une verdeur de sentiments à laquelle la vieillesse donne un nouveau charme. Peut-on mieux parler de l’amitié ? Peut-elle inspirer de plus exquises plaintes ? Par le cœur, Ausone est resté éternellement jeune. Sa vie, si heureuse et si pleine, s’est terminée par un crépuscule tiède et lumineux.

Nous ignorons quand et comment il est mort. On voudrait que ce fût comme il a vécu, sans crise du corps, sans défaillance de l’esprit, au milieu de ses amis, de ses fils, de ses élèves, de ses petits-enfants.

Telle a été la vie d’Ausone, vie d’une parfaite unité, presque admirable dans son harmonieux développement, tour à tour consacrée au travail, à l’ambition, au bonheur. Elle est si bien faite, j’ose dire, qu’il faut voir en elle moins l’effet du hasard que le produit de la sagesse de l’homme qui l’a vécue. Ausone a créé sa vie plus qu’il ne l’a reçue du destin. On peut mépriser le poète : nous demandons pour l’homme respect et sympathie. Il a fait de mauvais vers, mais son existence, vue de loin, est pleine d’une poésie infinie. Il a laissé un chef-d’œuvre, sa vie.

 

DEUXIÈME PARTIE — LA VIE DANS UNE CITÉ GALLO-ROMAINE À LA VEILLE DES INVASIONS.

Ausone est le dernier grand nom qui appartienne tout entier à Rome et à l’empire. Sa vie se confond avec la dernière période de prospérité et de repos que l’Aquitaine ait connue dans l’histoire du monde ancien. On peut même dire que l’existence du poète a reflété celle de sa patrie : tant elles se ressemblent l’une à l’autre ! tant elles paraissent également sereines et confiantes t Quand Ausone naquit, vers 310[2], Bordeaux avait fini de réparer les ruines faites par l’invasion barbare du me siècle, de recouvrir ses cendres, d’ensevelir ses décombres. Il venait de se reconstruire ; on l’avait doté d’une école qui lui donnera bientôt une gloire inattendue et un prestige nouveau. La ville, pour parler ainsi, faisait peau neuve, comme la Gaule, comme l’empire entier, qui, brusquement refait et régénéré, se sentait à l’aube d’une vie nouvelle. Quatre-vingt-cinq ans plus tard, en 395, à l’heure où le poète s’éteignait[3], l’empire romain se démembrait pour toujours. A la place de cette puissante et solennelle unité qu’avaient célébrée les contemporains d’Ausone, et que l’on comparait volontiers à l’unité de la personne divine, l’empire forme désormais deux moitiés disparates, l’Orient grec et l’Occident latin. Il y a deux empires, et, de fait, il y a deux mondes. Vers le même temps on entend de nouveau parler des barbares. Les Visigoths ont déjà franchi la frontière ; ces hordes qui, vingt ans plus tard, s’établiront sur les bords de la Garonne, parcourent les provinces romaines. Les gens bien informés savent qu’au delà du Rhin, sous une pression mystérieuse, les Germains se tassent, se groupent, s’amoncellent pour recommencer les grandes invasions du IIIe siècle. Tandis que les extrémités de l’empire sont menacées, tremblantes, peu sûres, la tête faiblit, le cœur se ralentit. Aux empereurs dignes ou intelligents, actifs ou énergiques, comme Julien, Gratien ou Théodose, succèdent les misérables épigones d’une race dégénérée, Honorius et Arcadius. Au gouvernement des sénateurs, descendants des grandes familles de Rome, se substitue le règne des officiers supérieurs, à demi barbares. Et enfin, les anciens dieux en qui s’était incarnée la patrie romaine et la civilisation antique ont à jamais cédé le pavé des temples et la direction des âmes à la religion du Christ, à ses évêques et à ses moines. Cette fois, c’est bien la fin du vieil empire qui commence. Ausone expire vers le même temps que Théodose : sa mort est contemporaine de l’événement dont on fait dater l’agonie de Rome.

L’couvre du poète nous reporte donc exactement aux derniers jours que l’empire romain a vécus dans les Gaules. Au delà sont les invasions, la lutte avec les barbares, la royauté germaine, le plein moyen âge. Ses écrits, au contraire, nous font assister aux suprêmes triomphes de l’empire, à ses derniers instants de vitalité et de force. Ils brillent des lueurs de cette douce confiance qui éclaira les plus beaux jours des règnes de Gratien et de Théodose. Il y eut, dans la vie romaine au IVe siècle, comme un arrière printemps tiède et clair, dans lequel refleurirent quelques-unes des espérances d’un lointain passé. La poésie d’Ausone s’est réchauffée à cette lumière, elle en a vécu, elle nous en conserve les rayons. Elle nous fera connaître la vieillesse de ce corps vigoureux et tenace qui fut le monde romain. Elle nous montrera comment on vivait à Bordeaux et dans l’Aquitaine sous les derniers empereurs, au temps où on ne songeait encore ni à la fragilité de l’empire ni à l’arrivée des barbares, alors que nul ne se doutait que l’avenir était fermé et l’espérance sans issue.

Par un rare bonheur, il se trouve que l’œuvre d’Ausone n’est pas froide, impersonnelle, toute objective, comme un si grand nombre d’écrits contemporains. De la poésie factice, certes, il y en a chez lui, et beaucoup trop. Il s’amusa toute sa vie à versifier des jeux de mots ; il se plut dans les tours de force métriques ; il répandit à foison les allégories mythologiques et les imitations virgiliennes. S’il s’était borné à ces ridicules efforts, son œuvre ne nous servirait pas à grand’chose pour connaître le ive siècle. Elle ne ferait que nous donner une idée déplorable d’un de ses hommes les plus illustres. Mais son âme ne s’est point desséchée, son esprit ne s’est point éteint dans ce métier fatigant. Il a su, même dans ces vers si pénibles et si apprêtés, sous cette forme si peu primesautière, avec cet habit d’arlequin qui est sa poésie, il a su être un parleur exquis, un poète familier et familial, un causeur naturel et expansif. C’est, à de certaines heures, l’homme le moins pédant du monde, l’écrivain le moins exclusif, le littérateur le moins acoquiné dans ses livres, le moins enfermé dans ses lettres qu’on puisse imaginer. Il vit au dehors, il savoure l’amour de ceux qui l’entourent ; il jouit de la société de ses parents, de ses amis, de ses maîtres et de ses élèves. Il aime son siècle, il aime Bordeaux[4], il adore les rivières et les coteaux de son pays. Avant tout, il est de son temps et de sa patrie. C’est ce dont il parle avec le plus d’abandon. Rien ne l’inspire mieux que la vie de sa famille et celle de ses compatriotes. Il n’est jamais plus a l’aise dans ses vers qu’en racontant ce qui se fait autour de lui. C’est un des rares poètes de l’antiquité latine dont l’œuvre soit la fidèle image de la société de son temps. Adressons-nous donc à lui en toute confiance pour lui demander quelle fut dans son pays la somme de bonheur et de misère, d’espérances et de craintes, d’illusions et de sagesse, de patriotisme et de religion, quelle était la situation matérielle et morale du monde aquitain et bordelais à la veille de l’invasion barbare.

Sans doute, ce n’est qu’un petit coin de la Gaule où nous pénétrons à la suite de notre poète : la ville de Bordeaux et la campagne qui l’avoisine, arrosée par la Gironde, la Garonne et la Dordogne. Mais dans ce coin vivaient en ce moment des hommes qui étaient parmi les plus illustres de la Gaule et de l’empire. Ausone, ancien précepteur de l’empereur Gratien, ancien consul, et, autour de lui, toute une famille de préfets du prétoire, de proconsuls, de présidents ; Paulin, plus tard évêque de Nole, ancien consul lui aussi, un des hommes les plus riches et les plus célèbres de l’Occident[5] ; c’est la que se trouve l’école la plus fameuse de la Gaule, cet auditorium de Bordeaux où enseignèrent tant de rhéteurs illustres, et qui fut pour le monde romain une inépuisable pépinière d’avocats, de sénateurs et de magistrats. Puis, cette campagne passe en ce moment pour la plus riche et la plus fertile de la Gaule. Il y a, sur la rivière, de Langon à Pauillac, une suite ininterrompue de somptueuses villas. Comme la Touraine aux beaux jours de la Renaissance, l’Aquitaine éveillait alors l’idée de richesse paisible et de molle douceur. Quand Ausone arriva sur les bords de la Moselle et qu’il crut voir l’image de son pays natal, c’est en ces termes qu’il le décrivit :

Tout, dans ce spectacle qui me charmait, émut mon cœur et me rappela l’aspect et la beauté de la brillante Burdigala, ma patrie ; tout : ces villas dont le faîte s’élève sur les rives qui dominent le fleuve, ces collines vertes de vignes, ces belles eaux de la Moselle qui coule à leurs pieds avec un murmure presque insensible[6].

On disait volontiers, en songeant à l’éclat du paysage et à la beauté des cultures, nitens Burdigala, le brillant Bordeaux[7]. , chante encore Ausone, là, le ciel est clément et doux ; le sol, que l’eau féconde, est large dans ses dons ; là, le printemps est long, l’hiver attiédi par le soleil nouveau[8].

On vantait l’élégance aquitanique, qui se montrait même chez les plus pauvres[9] ; on célébrait la grandeur et le luxe des cités[10]. Le farouche Salvien fait du pays un éloge dont la grâce poétique détonne un peu dans la bouche de ce sombre déclamateur :

On le sait, l’Aquitaine et la Novempopulanie sont comme la moelle de toutes les Gaules. Elles possèdent la mamelle de toute fécondité ; et, ce qu’on aime parfois mieux encore, celle du plaisir, de la beauté, de la volupté. Toute cette région est si merveilleusement entrelacée de vignes, fleurie de prés, émaillée de cultures, garnie de fruits, charmée par ses bois, rafraîchie par ses fontaines, sillonnée de fleuves ou hérissée de moissons, que les maîtres ou les détenteurs de ce sol semblent posséder moins une portion de la terre qu’une image du paradis[11].

C’est la partie la plus riche de la Gaule ; c’est aussi la plus instruite, nous dirons volontiers la plus romaine. Ses écoles en font le foyer des lettres et la patrie du beau langage. Un Gaulois du nord ou de l’ouest avait honte de parler devant des Aquitains aux oreilles habituées à toutes les finesses de la langue latine[12]. On dirait, parfois, que le génie de Rome est venu se réfugier dans cette fin de terre de l’empire pour y vivre ses derniers jours.

De ce coin vanté de tous, Ausone va nous permettre de faire la description. Mais ne l’isolons pas trop du monde avoisinant. Certes, s’il y a quelque différence entre l’Aquitaine et le reste de la Gaule, c’est qu’ici les traits sont plus forts, les contours plus nets, les couleurs plus vives. Au fond, ce que nous dirons de Bordeaux et de l’Aquitaine pourra, à peu de choses prés, s’appliquer à toute cité et à toute région de la Gaule romaine.

— I —

C’était une chose peu réjouissante que l’aspect extérieur d’une grande ville gauloise au temps de Théodose. Il y a, entre le Bordeaux de ce temps et celui des trois premiers siècles, une différence infinie. Sous les Antonins et les Sévères[13], c’était une cité vaste, épanouie, étendant librement le long de la rivière et des grandes routes la file interminable de ses maisons, de ses temples, de ses tombeaux et de ses villas. Au milieu s’élevaient, dans leur majestueuse splendeur, l’aqueduc, les arcs de triomphe, l’amphithéâtre, le temple colossal de la Déesse Tutelle, les thermes et les portiques. La ville n’avait point de limite arrêtée. Ses contours étaient irréguliers, capricieux. Elle se développait où elle voulait, à son aise, comme les grandes villes ouvertes de la France contemporaine. A son gré, elle contournait ou gravissait les collines tout autour de ce Mont Judaïque que couronnaient les marbres de ses thermes. C’était, en un mot, la cité libre et dégagée d’un temps pacifique. Rien n’y rappelait le régime militaire, ni soldats, ni forts, ni muraille. Nul n’y songeait à la nécessité d’une défense. A cet égard, la sécurité y paraissait plus grande que dans n’importe quelle ville de nos jours. Bordeaux avait l’aspect civil, l’allure indépendante, l’extérieur désarmé d’une cité bourgeoise à laquelle l’État ne permet d’autres soins que ceux de bâtir, de travailler et de s’enrichir.

Cette ville, depuis l’an 300[14], n’existe plus. A sa place, nous trouvons, s’élevant brusquement, solitairement, entre les vignes et les marécages, une forteresse colossale qui domine au loin la plaine de ses murs et de ses tours[15]. C’est ce triste rempart qu’Ausone nous invite tout d’abord à admirer : L’enceinte carrée de ses murs élève si haut ses tours altières que leurs sommets aériens percent les nues. Qui de nos jours a vu la ville d’Aigues-Mortes se dressant de toutes pièces, isolée au milieu de la campagne, encadrée et fermée par ses hauts remparts, peut aisément se faire une idée du Bordeaux du IVe siècle.

La base de cette muraille est bâtie en pierres de grand appareil, énormes, inégales, qui tiennent par leur propre masse, que leur poids suffit à assujettir, sans mortier ni ciment qui les consolide. Ces blocs sont empruntés aux édifices de l’ancienne ville, temples, basiliques ou théâtres : avec ses ruines, on a fait le soubassement du nouveau rempart. C’est un fouillis de frises, de tombeaux, de statues, de colonnes et de chapiteaux. Ce qui faisait la gloire et la splendeur de la cité d’autrefois sert à la défense de celle d’aujourd’hui. La partie moyenne et le haut de la muraille sont bâtis en pierres de petit appareil, bien régulièrement disposées, solidement fixées à l’aide de cet admirable mortier romain qui défie les injures du temps et les violences des hommes. De nos jours, quand on voulut démolir la forteresse, on dut recourir à la mine ; blocage et ciment ne formaient qu’un bloc gigantesque. Çà et là, ces rangées de petites pierres sont interrompues par des assises de grandes briques rouges, posées à plat ; elles sont là comme ornement, et c’est la seule trace de préoccupation artistique qu’offre la muraille, lourde et vilaine d’aspect[16]. Ces lignes de briques, on les remarque souvent dans les ruines romaines du Bas-Empire, remparts, châteaux, basiliques. C’était alors le genre de décoration à la mode. Il est simple, il est peu coûteux, il convient à ces époques troublées où l’on a toujours hâte, où l’architecte est pressé d’achever l’édifice commencé, comme s’il craint qu’une invasion subite n’arrête l’œuvre à ses fondements.

La muraille de Bordeaux forme un carré allongé, percé de quatorze portes, surmonté de quarante-six tours, y compris les quatre tours d’angle. Ces dernières forment les trois quarts d’un cercle ; les autres sont à demi rondes : les tours romaines qu’on voit encore à Dax et à Bayonne ont été construites sur le même type et à la même époque que celles de Bordeaux. Il n’y a, dans tout ce système de défense, que des lignes droites et circulaires, des perpendiculaires et des cercles, des carrés et des angles droits. L’art militaire du Bas-Empire ne connaît point en Gaule d’autres types de forteresses que ces rectangles et ces tours, choses également massives, faites sans art, sans goût et sans science, qui n’exigent des assiégeants aucune habileté de tactique, qui n’imposent aux ennemis aucune précaution et ne cachent aucune surprise. Nous sommes loin des combinaisons savantes et des artistiques contours que présentent certaines colonies romaines du Haut-Empire. Ces villes du Ive siècle ne se défendent que par la masse gigantesque de leurs murs ; il est vrai qu’elles n’auront plus affaire qu’à des barbares. Fermez les portes, garnissez les tours et les chemins de ronde ; on y est admirablement en sûreté, sauf le cas de trahison. Ces murs de Bordeaux serviront jusqu’au XIIe siècle ; ils livreront trois fois passage à l’ennemi[17], et chaque fois c’est par hasard qu’il y entrera. Comme les constructions pélasgiques des oppida gaulois, les remparts du Bas-Empire sont l’enfance de l’art, mais ils ont la même grossière puissance.

La muraille de Bordeaux avait six à huit mètres d’épaisseur. Les portes en étaient petites, basses, voûtées, obscures sans doute, portant au-dessus de leur cintre cinq mètres de murailles. C’étaient, comme l’a dit un témoin oculaire, moins des portes que des poternes, des espèces de trous[18]. Le rempart s’élevait au moins à dix mètres ; les tours bien au delà, et semblaient, dit Ausone, se perdre dans les nuages. Même le long de la Garonne, le rempart se continuait, et les Bordelais se voyaient interdire la vue de leur fleuve, de cette rivière qui avait fait leur gloire et leur richesse. L’horizon était fermé de toutes parts : quelle différence d’avec la ville de jadis ! Les murs sont si élevés qu’ils cachent les coteaux voisins de Floirac, de Cenon ou de Lormont, et, ce qui accentue encore le caractère de la cité, c’est dans l’intérieur du rempart que se trouve le port[19]. Il n’y a pas de quais sur la Garonne. Le port est uniquement formé par l’estuaire d’un petit ruisseau, la Devèze, qui, régularisé, endigué et creusé profondément, peut recevoir les eaux de la marée. C’est moins un havre, en somme, qu’un canal intérieur. Il suffit à Bordeaux, puisque, nous dit Ausone, il peut recevoir des flottes[20]. Quand ces flottes voulaient pénétrer dans le port, elles passaient sous la muraille même, à travers la porte qui ménageait une issue à la Devèze ; on l’appelait la Porte aux Bateaux, Porta Navigera[21]. Le cas échéant, on fermait cette porte, et la ville tout entière se trouvait murée, isolée du monde avec ses habitants et ses vaisseaux.

Tout autour du port se pressaient les maisons, serrées et touffues comme les arbres d’une forêt. C’était bien une cité du moyen âge. Les rues, très étroites, très encombrées[22], se coupaient à angles droits et correspondaient aux portes de la muraille[23]. De n’importe quel point, de tous les carrefours et de toutes les ruelles, on aperçoit la massive et triste construction qui semble répandre son ombre sur la ville enfermée. Nous, qui vivons surtout dans des rues ouvertes et lumineuses, nous trouverions cela pittoresque et presque gai. Mais les Bordelais du IVe siècle pouvaient se rappeler l’ancienne ville, pleine de jour et d’espace, et devaient sans doute la regretter souvent.

C’était maintenant une petite ville ; elle avait, tout au plus, 2.350 mètres de circuit. L’ancien Bordeaux était trois fois plus grand. Cependant, elle faisait encore bonne figure à côté des cités voisines. Périgueux n’avait pas mille mètres. Bayonne, Dax, Saintes lui étaient de beaucoup inférieures. Aussi bien c’est dans ces limites que se bâtirent toutes les nouvelles villes fortifiées de l’an 300 ; les plus grandes avaient de 2,000 à 2,500 mètres de pourtour. Si elles pouvaient renfermer quinze à vingt mille âmes, c’est tout au plus. Elles se ressemblaient toutes, également petites, fermées et sombres. Si toutes les cités du moyen âge français ont entre elles tant de points communs, si elles paraissent bâties sur le même plan par un seul architecte, cela s’explique aisément. Elles datent des mêmes années du monde romain, et elles ont été bâties par une seule génération pour répondre aux mêmes besoins et pour écarter les mêmes dangers.

Cette cité, c’est le centre du Bordeaux moderne. Il se formera, à partir du XIIe siècle, autour de la muraille romaine. C’est, en quelque sorte, le noyau de la ville. Toutes les cités de la Gaule ont un noyau semblable, qui date des grandes constructions de l’an 300. A Dax, à Bayonne, à Périgueux, des Pyrénées jusqu’au Rhin, nous trouverons partout une vieille ville : c’est celle qu’ont bâtie les Romains du Bas-Empire ; c’est celle du IVe siècle, qui est demeurée immobile jusqu’au XIIe. A cet égard, les villes fortifiées de Maximien et de Constance sont la véritable origine de nos cités contemporaines. En les bâtissant, les princes d’alors ont fait table rase de l’œuvre des trois premiers siècles. Ils ont construit à nouveau, sur des ruines, sans tenir compte du travail des générations précédentes. Ce furent des cités neuves, faites tout d’une pièce. Au XIIe, au XIIIe siècle surtout, elles s’agrandiront par extension d’enceinte, par juxtaposition de quartiers. Mais le noyau primitif, la cité du Bas-Empire, demeurera longtemps encore, avec ses petites rues étroites et sombres, et pourtant assez régulières ; elle sera le témoin permanent du travail accompli à la dernière heure du monde romain. Avant de disparaître, l’empire a bâti aux Gaulois de nouvelles demeures, tristes et mesquines, mais solides et sûres, qui leur permettront de vivre à travers les six siècles d’invasion jusqu’au réveil de l’ère romane.

A l’intérieur de ces villes, peu ou point de grands monuments. La place manquait pour des théâtres, des arènes, des basiliques. On ne put rien sacrifier à la décoration. Le seul luxe que Bordeaux s’accorda fut une fontaine en marbre de Paros qui se trouvait au centre même de la cité ; on y captait les eaux de la Devèze, l’antique Divona, le génie protecteur des Bituriges. C’était comme un dernier hommage rendu à cette petite rivière, qui avait arrosé le berceau de Bordeaux, autour de laquelle il avait grandi, et dont l’estuaire était à cette heure le centre de son commerce et le dernier espoir de sa flotte. Bordeaux est obligé maintenant de se contenter des eaux d’un ruisselet ; nous sommes loin du temps où un large aqueduc lui amenait le tribut des sources voisines, et où de superbes châteaux d’eau, ornés de bas-reliefs et de statues, décoraient ses places publiques. Tout cela est en ruines, et l’aqueduc a disparu avec l’ancienne ville et la vie paisible d’autrefois. Il faudra s’en tenir, et cela pendant des siècles, aux eaux de la Devèze et des puits. Bordeaux ne retrouvera son aqueduc que sous les siècles pacifiés des temps modernes.

Les contemporains avaient un mot qui rendait bien l’aspect de ces petites villes. C’étaient des castra, des châteaux forts, des forteresses. Elles étaient emprisonnées par une muraille, qui les protégeait sans doute, mais aussi qui les étouffait. A la ville bourgeoise succédait la cité guerrière. Depuis Constantin, elle a une garnison. L’empire ne se défend plus seulement aux frontières ; il doit pourvoir à la défense de chaque cité de l’intérieur. La Paix Romaine n’existe plus ; la Sécurité Auguste n’est qu’une formule. Autrefois, on pouvait vivre tranquille dans la Gaule du sud-ouest. Il y avait, le long du Rhin, une longue chaîne de colonies et de légions chargées d’arrêter l’ennemi. La Gaule avait sa ceinture de soldats et de remparts ; derrière eux, les citoyens vaquaient sans crainte aux arts de la paix. Depuis l’an 300, le soin de la lutte incombe à toutes les villes. Chacune est en état de guerre. On renonce au système de défense générale du pays par de grandes armées échelonnées à la frontière ; la défense est brisée, morcelée, localisée. De provinciale, elle est devenue municipale. Le temps des luttes locales est venu. Nous sommes encore sous l’empire romain. Mais, depuis l’an 300, du jour où le pays s’est hérissé de forteresses, où les villes, repliées sur elles-mêmes, se sont murées, on peut dire que le moyen âge a commencé.

Si nous sortons de Bordeaux pour parcourir la campagne, il nous semble que les sujets de tristesse sont moins nombreux. Les coteaux des bords de la Garonne sont gais comme au temps d’Hadrien et d’Antonin. La vigne monte de la plaine aux sommets ; ses vins rendaient Bordeaux célèbre[24], et Ausone ne parle jamais sans s’attendrir de cette riante Aquitaine, lœta Aquitanica, où s’adoucissent les mœurs[25]. Le blé[26], la vigne, on a tout cela à foison. Les grands seigneurs vivent dans leurs villas, fiers de leur titre de sénateurs romains, hommes très illustres, viri clarissimi, heureux surtout de leurs immenses richesses foncières. Ils ont déserté les mornes remparts et les rues encombrées des villes : Tout ce bruit de Bordeaux, dit Ausone[27], tout ce qui peut blesser nos goûts paisibles nous force de quitter les murs des villes pour aller retrouver les doux loisirs d’une retraite champêtre, mêlés aux délassements sérieux. Ils n’aiment rien tant que leurs grands domaines, où ils se sentent libres comme des Romains et puissants comme des rois. Sans doute, ils y avaient leurs jours d’ennui, l’hiver surtout. Malgré toutes les précautions, il y faisait parfois un froid terrible. Ausone nous dit qu’il grelottait jusqu’au mois de mars dans sa campagne de Saintonge ; cela n’empêchait pas qu’il n’y demeurât jusqu’à Pâques et qu’il ne fût, comme tous les riches de son temps, l’ennemi juré de la ville et l’amoureux des champs.

C’est que maintenant les cités n’ont plus le même attrait pour l’aristocratie. Elles n’offrent plus ces lieux de plaisirs et ces luxueux édifices qui les faisaient aimer des Gallo-romains du Haut-Empire. Plus de théâtre ; les amphithéâtres tombent en ruine, les temples sont mesquins et les portiques ont disparu. Pendant les trois premiers siècles, la cité avait exercé sur les Gaulois un irrésistible attrait. C’était une chose si nouvelle en Gaule que cet assemblage distrayant de demeures et de monuments. On fut citadin passionné jusqu’au temps de l’invasion ; c’était une manière de faire sa cour à Rome et de se donner un vernis d’élégance. Au IVe siècle, les grands seigneurs commencent à reprendre les anciennes habitudes de la Gaule indépendante. Ils n’ont dans les villes qu’un pied-à-terre. Ils les abandonnent volontiers à la plèbe et aux soldats. Ils n’y viennent que pour s’instruire ou pour prier. Ils sont si heureux dans leurs domaines ! A Lucaniacus, prés de Saint-Émilion, Ausone vit dans un palais, rival de ceux de Rome[28] ; il se plaisait à l’ombre des forêts, trouvant des sites ravissants, se créant a grands frais une résidence d’une somptueuse beauté.

Étaient-ils cependant complètement heureux, ces riches possesseurs de domaines ? Leur plus grand souci était-il de se préserver du froid ? Malgré ces dehors séduisants et ces poésies d’allégresse où ils chantaient leur bonheur, même à travers l’œuvre, toujours gaie, d’Ausone, on voit çà et là se fixer quelques points noirs, s’arrêter quelques nuages. On lit des mots qui étonnent. Et on se demande peu à peu si la campagne était aussi fertile et aussi sûre que sous les règnes des premiers Antonins. Il y a une ombre sur la joyeuse Aquitaine, comme il y a sur la ville brillante de Bordeaux l’ombre de la muraille.

Aux portes mêmes de la cité nous rencontrons des monuments ruinés, vestiges d’un Bordeaux récent encore et pourtant disparu. Le temple colossal des Piliers de Tutelle, les thermes du Mont Judaïque, l’amphithéâtre sont là, isolés dans la campagne, en partie démolis, portant l’empreinte ineffaçable des invasions du IIIe siècle et le souvenir d’une splendeur perdue. Dans les campagnes, les ruines sont plus nombreuses encore. Que de villas effondrées et éventrées, qu’on ne songe pas à réparer ! Que de monuments funéraires dégradés, dépourvus de leur faîte, privés de leurs marbres, fendus et crevassés ! A chaque pas on se heurte aux témoins de la paix du rie siècle, qui sont en même temps les témoins des désastres du IIIe, et les esprits rêveurs ou sensés peuvent douter que celle-là revienne, que ceux-ci soient à jamais écartés.

Tout le monde d’ailleurs prend ses précautions à la campagne, comme on le fait dans les villes. La villa porte le nom de prœtorium, qui éveille un écho de guerre et de commandement. De fait, le maître est un gouverneur aussi bien qu’un propriétaire. La villa s’est transformée comme la cité, et ce n’est plus un simple lieu de villégiature, séjour de l’oisiveté et de la confiance. Elle a des remparts et des tours. C’est aussi un castrum, ou, tout au moins, un castellum. La plus riche des villas girondines était celle de Bourg, bâtie sur le sommet d’une plate-forme qui domine l’Entre-Deux-Mers et le confluent des deux grands fleuves. Elle fut édifiée, selon toute vraisemblance, au temps de Constantin, par Pontius Paulinus, préfet du prétoire. Elle était grande comme une petite ville ; elle avait des viviers, des thermes, des bibliothèques, des palais, tout ce que le luxe romain imagina de plus précieux et de plus délicat. Mais ici se montre une nouveauté : elle avait ce que ni Pline ni Gordien n’eussent songé à construire dans leurs villas, elle avait des tours et des remparts, remparts élevés, tours qui traversent les nues, et que ni les machines ni les béliers ne pourront jamais ébranler[29]. Elle avait aussi de vastes greniers, abondamment garnis de blé[30]. Si bien défendue et approvisionnée, la villa de Pontius pouvait attendre un ennemi et braver un siège. C’était une forteresse de premier ordre ; aussi l’avait-on appelée, d’un nom germanique qui depuis deux siècles s’était introduit dans la langue militaire de Rome, burgus, de burg, forteresse. Le lieu a conservé son nom jusqu’à nos jours ; il a conservé aussi son caractère, et la ville forte de Bourg, isolée sur sa colline, vieux débris du moyen âge, a, pour origine la villa du IVe siècle, comme le Bordeaux médiéval n’est autre que celui de l’an 300. Les demeures féodales, avec leurs murailles et leurs greniers, ne diffèrent pas sensiblement des prœtoria du Bas-Empire. En cela encore, nous sommes singulièrement loin du temps des Antonins, et les villas du Haut-Empire, libres et découvertes, ressemblaient aussi peu à celles d’Ausone ou de Paulin qu’un château de la Renaissance ou une villa de la Pompadour rappelle les manoirs du Rhin ou les donjons du Dauphiné.

A côté des villas, nous trouvons encore quelques-uns de ces villages ouverts, vici, qui se multiplièrent en Gaule au temps des Césars et des Antonins. Mais ils deviennent de plus en plus rares, et la tendance générale est à les fortifier. Nous revenons aux temps gaulois, quand le pays était hérissé de milliers d’oppida. Les plus grosses de ces bourgades ont reçu des remparts ; celles qui paraissaient avoir une importance stratégique ont été transformées en châteaux forts. Voilà un élément nouveau, — l’étude stratégique d’un pays, — dont les Romains du Haut-Empire se sont peu préoccupés dans la Gaule propre. Le plus important de ces castra fut celui de Blaye. Située à l’endroit où la grande route de Saintes et de Poitiers débouche sur la Gironde, bâtie sur un mamelon élevé, qui est le dernier avancement des collines du Fronsadais et du Bourgès, dominant la grande masse d’eau qui coule devant elle, la ville forte de Blaye fut la clé de la défense militaire du bas fleuve. On disait couramment Blavia militaris, Blaye la guerrière ; elle mérite, aujourd’hui encore, cette épithète, et les empereurs de l’an 300 lui ont donné le caractère et la physionomie qu’elle a conservés jusqu’à nos jours à travers tout le moyen âge. Elle servait à la fois contre les pirates de l’Océan (que l’on redoutait toujours depuis le IIIe siècle) et contre les ennemis qui pouvaient venir du Nord par la grande chaussée de Saintes. Le service de défense y était fait par une milice appelée les soldats de la Garonne, milites Garronenses, milice locale sans aucun doute, et capable, j’imagine, de combattre à la fois sur terre et sur mer. Elle était sous les ordres du duc d’Armorique, officier supérieur qui présidait à la défense des côtes, depuis Rouen jusqu’à Bayonne[31].

La vie devait se ressentir partout de la présence de ces soldats et de la vue de ces remparts. Ausone a beau plaisanter ; il ne semble pas toujours rassuré. Je sais bien qu’il ne parle pas des Francs ni des Saxons, et qu’il faudra attendre les écrits de Sidoine Apollinaire pour retrouver leur nom dans la littérature du sud-ouest. Mais il craint tout au moins les brigands et la famine, ce qui suppose un état de chose fort incertain et une prospérité toute de surface. Sait-on comment vivait un propriétaire du Bas Médoc au temps de Valentinien ? Quelle était sa principale distraction après la chasse au sanglier et la pêche du turbot ? Écoutons Ausone écrivant à son ami Théon, qui devait habiter aux abords de Soulac[32]. Ne fais-tu pas la chasse aux voleurs qui errent par toute la contrée, pour que, dans la crainte du dernier supplice, ils t’appellent au partage de leur butin ? Et toi (sans doute par douceur et par horreur du sang humain) tu fais grâce du crime en faveur des sesterces ; tu parles d’erreur, tu fixes une amende par chaque tête de bœuf enlevée, et de juge tu te fais complice. Il y avait donc des brigands dans le Médoc, et la justice impériale était si peu redoutée par eux que les propriétaires préféraient les pourchasser eux-mêmes ou traiter à l’amiable avec les voleurs de bestiaux ; on leur laissait les bœufs et ils payaient une amende ; c’était une véritable composition. La loi romaine ne l’interdisait pas, mais elle la blâmait quand elle avait lieu en secret, sans l’intervention du magistrat, et c’était, semble-t-il, le cas de Théon. Les propriétaires prenaient donc l’habitude de se faire justice à leur manière. Ausone rappelle à Théon qu’il peut au besoin faire acte de juge, judex, au lieu et place du gouverneur de province.

Les poésies d’Ausone renferment un autre aveu qui donne beaucoup à penser sur la situation matérielle du pays. Il décrit sa maison de campagne, et voici un avantage qui lui sourit entre mille[33] : Je conserve toujours des fruits pour deux ans. Qui ne fait pas de longues provisions sent vite la famine. Et ces précautions, il les prend à quelques milles à peiné des cités populeuses de Bordeaux et de Bazas, sur les bords de la Garonne, sillonnée sans cesse de navires et de barques. On avait donc, au milieu de ce bien-être plus apparent que réel, comme des craintes de derrière la tête. On redoutait la terrible famine. Comprenons-nous maintenant pourquoi, dans la grande ville de Bourg, les greniers tiennent tant de place, et qu’on y entassait des provisions venues d’Afrique et d’Italie ?

Ce n’étaient pas de vaines précautions. Ausone chargea un jour un de ses anciens intendants, Philon, d’approvisionner sa villa de Lucaniacus, située non loin de Libourne. Philon recueillit un peu partout toutes sortes de denrées, blé, sel, fruits, et arriva avec sa cargaison prés de Langon, où il attendit un bateau pour le conduire jusqu’à Libourne. Il avait entreposé ses marchandises dans la grande villa d’Hébromagus, qui appartenait à Paulin, l’ami et l’élève d’Ausone. Prévenu, notre poète écrivit à Paulin pour le prier de prêter à Philon un navire de transport : Si tu ne te hâtes de lui fournir quelque gabare pour sauver à temps Lucaniacus de la famine, voilà toute la maison de l’homme de lettres réduite, non pas aux blés de Cicéron, mais au régime du Charançon de Plaute[34].

Ainsi, cette crainte de la famine était sérieuse. Dans ces villas de marbre, au milieu de ces vignes et de ces champs de blé, on redoutait parfois de mourir de faim. Même en tenant compte de la tendance à l’exagération d’Ausone, poète et gascon, il devait y avoir beaucoup de misères dans ces campagnes, vivant entre les menaces des brigands et la peur de la disette, comme il y avait de la tristesse dans les villes, transformées en places de guerre et en lieux de garnison. La vie romaine, dans la Gaule du sud-ouest, n’était plus synonyme de paix et de sécurité.

— II —

En même temps que les cités et les champs, les hommes s’étaient transformés. Des éléments nouveaux avaient apparu dans la vie des peuples, de nouvelles pensées germaient dans les âmes et allaient les changer bientôt, aussi foncièrement que la construction des murailles avait changé la physionomie des villes. La ville murée du IVe siècle va devenir la ville chrétienne.

A Bordeaux, à l’angle sud-ouest du rempart, à l’endroit où est aujourd’hui la cathédrale Saint-André, se trouvaient dés lors une église et un cimetière chrétiens. Ils datent à peu près de la même époque que l’enceinte. Depuis le règne de Constance Chlore, on célèbre à cette place le culte de Jésus-Christ, et on enterre les fidèles. II n’y a pas longtemps qu’on trouva aux abords de Saint-André un tombeau chrétien du premier âge où avaient été dessinés des oiseaux voltigeant dans les branches d’un arbre, symbole imagé du paradis céleste. Comme le christianisme catholique ne peut changer ses habitudes, comme il est avant tout esclave des traditions et respectueux de son passé, l’endroit que vers l’an 300 l’évêque Orientalis choisit pour être le lieu des pieux rendez-vous et des saintes assemblées est aujourd’hui le centre officiel de l’église de Bordeaux, et son chef actuel officie sur le sol consacré il y a seize siècles par le premier de ses prédécesseurs.

Chaque année, à Pâques, Ausone se rend à Bordeaux pour célébrer dans cette église les fêtes de la Résurrection. Sa qualité d’ancien magistrat, sa situation d’homme officiel l’obligent, lui païen de cœur, d’esprit surtout, à cette publique démonstration. D’ailleurs, elle ne devait rien coûter à sa conscience d’honnête homme. Je pense que, possédant le véritable sens de la Divinité, il savait la comprendre dans les cérémonies de tous les cultes et la reconnaître à travers toutes les figures sous lesquelles les diverses religions la cachaient alors.

Depuis le commencement du siècle, il y a une suite ininterrompue d’évêques à la tête de cette église. Leur influence a grandi au sein de la plèbe urbaine ; cette classe de petites gens y a été la première initiée à la foi nouvelle ; elle est encore chère entre toutes aux représentants de ce Christ, qu’on appelait parfois le dieu adoré dans les cités. Grâce à son appui, les évêques sont maintenant des puissances avec lesquelles les gouverneurs de l’État et les magistrats municipaux ont souvent à compter. Ils tiennent des conciles[35] et font des émeutes. Ausone put, en 386, être témoin d’un fait qui a dû lui paraître inouï. Une femme, Urbica, accusée d’hérésie, fut lapidée par la populace chrétienne de Bordeaux[36]. Une sédition chrétienne dans une grande cité de la Gaule, voilà ce qui devait singulièrement chagriner un sénateur romain comme Ausone, voilà ce qui annonce déjà les erreurs du fanatisme à la fin du ive siècle, le meurtre d’Hypatia, le saccagement des temples et la destruction des statues.

On comprend de plus en plus pourquoi les riches lettrés fuyaient volontiers les villes, où le christianisme dominait par la plèbe, troublait la vie et parfois ensanglantait les rues. La grande aristocratie s’était tenue à l’écart de cette religion aimée du vulgaire. Elle préféra longtemps ses lettres, ses philosophes, ses poètes, les dieux que chantaient les uns ou la morale qu’enseignaient les autres. Comme son cher empereur Julien, elle vivait de l’hellénisme. Elle gardait pieusement l’héritage qu’elle avait reçu de la Grèce. Elle défendait ses privilèges et maintenait toutes ses noblesses, celle du sang et de l’argent, comme celle du talent et de la culture.

Mais nous sentons bien par l’œuvre d’Ausone qu’elle aussi est atteinte par la marée montante du christianisme, et qu’elle ne tardera pas à être submergée. Elle est sur le point de céder à la foi du Christ et de se renouveler. Cette conversion de la noblesse du sud-ouest, qui sera presque subite, Ausone la vit dans les dernières années de sa vie, et elle le rendit parfois triste et plaintif. Né dans le paganisme, et lui ayant dû ses joies les plus intimes, il n’aura autour de lui à ses derniers moments, dans sa famille et parmi ses amis, que des chrétiens. Il a pu dire que sa génération était la dernière que le paganisme avait élevée dans les Gaules.

Cette transformation a été, en Aquitaine, l’œuvre presque entière de la vie d’un seul homme, qui a eu sur ses contemporains et sur les destinées religieuses et morales de la Gaule une prodigieuse influence, saint Martin. Je laisse de côté bien des causes sociales et politiques, je ne parle pas de ces mystérieux courants historiques qui, à de certains moments, entraînent invinciblement toutes les âmes. Mais saint Martin s’est trouvé là, comme à l’heure précise, pour diriger le courant chrétien et aider la politique des empereurs. Toute la part qu’un homme peut avoir dans les révolutions morales d’un pays, il faut la lui faire dans l’histoire de l’Église gauloise ; tout ce que la volonté humaine peut ajouter à la marche irrésistible d’une religion, saint Martin l’a montré en Gaule, plus encore que saint Paul en Asie ou que Boniface en Germanie.

Il avait été dans sa jeunesse soldat de l’empire. Il devint garde du corps du prince, ce qui lui donnait rang d’officier. Même, il parvint au grade supérieur de tribun, grade fort recherché, et qui valait à son titulaire toutes sortes de distinctions et une certaine richesse. Après le tribunat commençait la série des hauts commandements militaires, duchés, comtés et maîtrises. Saint Martin avait le droit d’y prétendre. Beaucoup y étaient parvenus, qui étaient partis de plus bas que lui. Tout son passé, tout son avenir, il y renonça brusquement, se rendit en Gaule auprès d’Hilaire, évêque de Poitiers, et se fit dans notre pays le propagateur de la foi chrétienne. Pendant quarante ans (c’est un contemporain d’Ausone) il prêcha, il enseigna, et surtout il lutta sans relâche, s’adressant à la fois aux pauvres et aux puissants, aux paysans et aux empereurs, véritable apôtre d’une guerre pacifique. Pour se rendre compte de la puissance de cet homme, il faut songer aux grands prédicateurs du moyen âge, et notamment à saint Bernard. Il est leur véritable ancêtre, et, à tous les égards, plus grand qu’eux. Encore ces hommes avaient-ils pour eux l’appui des peuples et des grands, tandis que Martin dut être souvent à la fois chef et soldat. Mais il avait merveilleusement l’instinct de son époque ; il comprit comment il fallait parler et surtout qu’il fallait agir. Dans ces temps de décadence, de confiante langueur et d’indolence sereine, il fut violent et brutal pour les uns, il se montra doux et tendre pour les autres ; on le vit, dans ce siècle de repos, fort, actif, enthousiaste ; ce fut, à la fin d’un monde, une âme vigoureuse, un génie orageux et primitif. Il produisit, sur les populations nobles et calmes des bords de la Vienne et de la Loire, le même effet que saint Paul sur les âmes énervées de Macédoine et de Lycaonie.

Chose étrange ! cette comparaison avec saint Paul paraît s’être imposée à ceux qui connurent saint Martin. Par son âpre éloquence, par son activité, par l’austérité communicative de sa vie, il exerça le même irrésistible ascendant. Les livres sont pleins des miracles qu’il accomplit. A nos yeux, il en fit deux d’incomparables. De son vivant, il convertit les Gaules presque à lui seul. Deux siècles après sa mort, son prestige était plus grand encore qu’aux beaux jours de sa vie d’apôtre. Ni saint Paul ni saint Bernard, trop vite oubliés, n’ont joué, comme Martin, ce rôle posthume, dans lequel le souvenir agit avec la même force que la parole, le nom séduit autant que la vue. Saint Martin fit reculer devant lui l’empereur ; auprès de lui, toutes les classes se sont un instant confondues dans un même culte pour Dieu et pour un homme. Avant lui, l’Aquitaine n’avait que quelques groupes de fidèles disséminés dans les grandes villes. Après lui, l’Église y est triomphante. Il avait décidé les plus riches à y entrer, en abandonnant leurs biens ; il y avait amené les plus heureux et les plus désespérés. Il sembla aux générations de la fin du IVe siècle que les vieux dieux du paganisme, mal rajeunis par les rhéteurs de Julien, s’étaient à jamais enfuis sous leur défroque usée de métaphores et de fables devant l’éblouissante popularité de saint Martin. Heureuse la Grèce, qui a mérité d’entendre prêcher l’Apôtre ! Mais le Christ n’a pas oublié les Gaules en leur donnant d’avoir saint Martin[37].

Son influence s’est exercée surtout au centre du pays, entre Tours et Poitiers. Mais elle a rayonné de là par toute la Gaule, et elle s’est fait puissamment sentir sur les bords de la Garonne dans le dernier quart du siècle, à la fin de la vie d’Ausone. Pour avoir une idée de son renom, il faut rappeler que près de la moitié des églises du diocèse de Bordeaux, au XIIIe siècle, lui étaient consacrées, et on a tout lieu de croire qu’il en fut de même d’un bon nombre d’entre les autres, et qu’elles avaient perdu, du VIIIe au XIIe siècle, leur vocable primitif de Saint-Martin. Les basiliques construites aux abords des cités, les églises des villages, les chapelles que les grands seigneurs convertis édifiaient dans leurs villas furent placées de préférence sous l’invocation de l’apôtre ; saint Pierre, saint Étienne, les saints du christianisme primitif furent oubliés devant cette personnalité envahissante.

Bordeaux eut sa basilique de Saint-Martin. Elle s’éleva prés des ruines des thermes qui se trouvaient sur le Mont Judaïque. Elle semblait, de là, protéger la ville de Bordeaux que Martin dominait de son culte, de son sanctuaire et de ses miracles. C’est dans les églises de saint Martin que les miracles sont le plus fréquents ; il n’y eut pas de bienheureux plus actif et qui aimât davantage à se montrer. Au VIe siècle, Grégoire de Tours écrira trois livres sur les prodiges accomplis par le nom du saint. C’est le thème favori de la littérature chrétienne dans nos pays depuis l’an 400. Il faut lire à ce propos Sulpice Sévère. Quel contraste entre les poésies d’Ausone et les dialogues de Sévère ! et ce sont pourtant écrits de compatriotes, de contemporains, d’hommes appartenant au même milieu social. Ausone nous parle des plus vieilles fables du monde grec ; il vit encore avec Homère et Apollonius. Sulpice Sévère nous fait déjà vivre dans les pieuses erreurs du moyen âge et assister à la naissance des légendes chrétiennes. Citons un seul de ces miracles pour montrer quelle était l’étendue de l’action de saint Martin, et comme elle se trouvait mêlée à la vie la plus intime des hommes de ce temps. C’est Grégoire de Tours qui nous le raconte :

Dans le diocèse de Bordeaux sévissait à une époque une grave maladie de chevaux. Or, il existait près de Blaye, à Marsas, une chapelle consacrée à la mémoire de saint Martin, et célèbre par les miracles qui s’y produisaient. Quand arriva la maladie dont nous parlons, tout le monde se précipita dans la chapelle, faisant des vœux pour les chevaux, promettant une dîme à l’église s’ils échappaient. Et, pour tirer parti de la vertu du lieu, ils marquèrent leurs chevaux d’une empreinte à l’aide de la clé de fer qui fermait la porte de la chapelle. Telle fut alors la vertu du saint que tous les chevaux malades et marqués de cette manière guérirent immédiatement.

Il y eut des milliers de prodiges de ce genre. Jamais peut-être, même au temps de la prédication chrétienne en Galilée, l’imagination des hommes ne fut en proie à tant de pieux délires. Comprend-on maintenant pourquoi la basilique de Saint-Martin de Tours a été pendant quatre siècles le centre de la religion, le foyer sacré du christianisme gaulois ?

Le plus grand service que Martin rendit à la foi chrétienne, c’est d’avoir entamé la grande aristocratie foncière. Son prestige n’a pas seulement rayonné sur la plèbe urbaine, sur les déshérités auxquels il promettait le royaume du ciel. Il a été aussi grand, quoique moins explicable, sur les riches et les lettrés. Pour nous, la vraie marque de sa puissance est d’avoir gagné à l’enthousiasme religieux et à un mysticisme désintéressé ces nobles heureux et pratiques, légèrement sceptiques en tout ce qui n’était pas le culte de Rome et des lettres, et la culture des champs.

Celle des conversions qui fit le plus de bruit dans la Gaule, et peut-être dans l’empire, se trouva être celle d’un élève et ami d’Ausone, de celui qu’il appelait volontiers son fils Paulin, le futur évêque de Nole.

Vers 389, Paulin avait trente-cinq ans, Ausone étant octogénaire. Il passait alors pour un des hommes les plus riches, les plus nobles, les plus heureux du monde romain. Il avait sur les bords de la Garonne d’immenses domaines, de vrais royaumes. Il était marié à une femme qu’il aimait. Avant l’âge de trente ans, il avait été consul, gouverneur de province. On le disait un des esprits les plus fins, un des poètes les plus originaux de son temps. L’Hellénisme et les lettres n’avaient pas de plus élégant amateur et de plus digne champion. Il jouissait de tous les bonheurs terrestres et de toutes les espérances ambitieuses. On pouvait dire que les amis de l’empire avaient lés yeux tournés vers Paulin, et qu’on le regardait comme une « colonne de l’État », un des rares hommes qui, dans un moment de crise, seraient un ferme soutien ou un suprême espoir. Mais un jour, cet heureux de la terre, saisi d’on ne sait quelle subite et mystérieuse mélancolie, abandonna tout, bonheur, ambitions et fortune, pour se consacrer au Christ. La folie de la croix, que saint Martin avait eue trente ans auparavant, il la communiqua à Paulin, qu’il avait miraculeusement guéri d’une maladie d’yeux : Dès que Paulin lut dans l’Évangile les paroles où le Christ dit au jeune homme riche : Viens et suis-moi, aussitôt, ayant vendu tout ce qu’il possédait, il distribua tout l’argent aux pauvres, et, délivré de toutes les cupidités du monde, il marcha librement à la suite du maître. Lui, qui était noble comme pas un, il va se mêler, au sein de la vie chrétienne, à la tourbe des villes et à la multitude des petites gens.

La conversion de Paulin le Bordelais eut dans le monde romain un retentissement considérable[38]. Si on en juge par les écrits de ce temps, ce fut un des grands événements sociaux de la fin du IVe siècle. Les chrétiens la saluèrent comme un triomphe ; les derniers défenseurs des lettres et de l’empire (ces deux choses semblaient se confondre) se sentirent abandonnés d’un de leurs meilleurs appuis et d’une de leurs plus pures gloires. Ausone, son maître et son père, lui écrivit quatre lettres désolées, qui restèrent longtemps sans réponse. Il fut éloquent, insinuant ; il fit appel à sa tendresse, à l’amour de la gloire, à la jouissance des richesses noblement acquises, et surtout au culte des Muses et de la poésie. A la fin, Paulin répondit à Ausone pour lui annoncer qu’il était mort au monde et que sa décision était irrévocable. Les lettres que Paulin répondit à son maître sont empreintes de tant de grandeur, respirent une si touchante émotion, révèlent enfin une telle puissance dans la volonté qu’il faut voir dans sa conversion l’œuvre d’une âme convaincue au plus profond de son être de la vérité de sa religion et de l’excellence de sa conduite :

Pourquoi m’ordonner, ô père, de rendre mes soins aux Muses que j’ai répudiées ? Ils repoussent les Muses, ils sont fermés à Apollon, les cœurs voués au Christ. Soutenu autrefois, non par une égale force, mais par une égale ardeur, je fus d’accord avec toi pour évoquer Phébus. Maintenant une autre puissance, un Dieu plus grand subjugue mon âme ; il exige d’autres penchants, il réclame de l’homme ce qu’il lui a donné pour que nous vivions de la vie du Seigneur... Je bénis ces vénérables mouvements du cœur d’un père, et je m’applaudis d’une colère qui ne nuit pas à l’affection. Mais j’aimerais mieux, ô père, te voir demander mon retour à qui pourrait te l’accorder... Si tu as souci de mon retour, regarde et prie ce Christ, qui tient et meut les esprits, qui est entier dans tout et partout, qui, présent en toutes choses, gouverne tout.

Les lignes suivantes, qui sont parmi les plus belles que le christianisme ait inspirées en ce temps, montrent bien quel irrésistible sentiment a dicté la conversion de Paulin :

Ma crainte et mon tourment, c’est que le dernier jour ne me surprenne endormi dans d’épaisses ténèbres, occupé d’actes stériles, et perdant ma vie en de vagues soucis. Que deviendrais-je, en effet, si, pendant que mes yeux tardent à s’ouvrir, le Christ, se dévoilant à moi, resplendissait du haut de son palais éthéré ; et si, frappé soudain des rayons du Seigneur apparu dans les cieux ouverts, j’allais, ébloui par tant de lumière, chercher un triste refuge dans l’obscurité de la nuit ?... Oui, je crois, et je tremble, et je travaille avec zèle, avec empressement, à me détacher, si je puis, de mes fautes avant la mort[39].

On peut voir par ces lignes la haute valeur intellectuelle et morale de Paulin. Quel que soit le jugement que l’on porte sur ses doctrines et sur ses croyances, ses œuvres nous obligent à le regarder comme un des esprits les plus ouverts et une des âmes les mieux douées du ive siècle. Il vaut Ausone par la volonté, il le dépasse par l’intelligence et le génie. Il était, sans aucun doute, parmi les plus dignes de commander à son siècle, et voilà qu’il l’abandonne. Comme on comprend les plaintes d’Ausone, et qu’on est tenté de prononcer le mot auquel il a dû songer, de désertion !

S’il est permis de se représenter les dernières pensées d’un homme d’après le reste de sa vie, on se figure volontiers qu’Ausone a eu, à la fin de ses jours, des heures de patriotique tristesse. Même au milieu de sa belle famille d’enfants et d’amis qui le chérissaient, il a pu se sentir seul et incompris. Ce fut, à Bordeaux, le dernier représentant de la dernière génération païenne. Dans son enfance, dans sa jeunesse, il n’avait guère été question, autour de lui, du christianisme et de son culte. Son père et son aïeul, ses collègues et ses maîtres ont vécu dans l’amour des choses païennes et de ces lettres grecques qui étaient devenues la vraie religion des esprits d’élite et une des formes du patriotisme. Il avait conservé leur enthousiasme et leur foi. Si, à de certains jours de devoir officiel, il avait dû faire acte de christianisme, son âme appartenait tout entière à ces traditions classiques qui lui avaient valu les plus doux moments de sa vie. L’histoire d’Ausone nous indique l’heure précise à laquelle le christianisme triompha dans les Gaules. Maintenant ses maîtres, ses collègues, qui furent aussi ses coreligionnaires, sont morts. Ceux qu’il a vus grandir se sont détachés de ses croyances. Son élève impérial, Gratien, a été le premier empereur vraiment chrétien qui ait régné dans les Gaules. Son fils Hespérius, tout gagné à la religion victorieuse, l’enseigne à ses enfants et veut même consacrer l’un d’eux, Paulin de Pella, au culte du Christ. Un des plus célèbres d’entre ses collègues, Delphidius, le grand avocat des Gaules, fort peu chrétien, laissa une veuve et une fille qui se mêlèrent de polémique religieuse et qui furent impliquées dans l’affaire des Priscillianistes[40]. Enfin, son disciple bien-aimé, Paulin, fit volte-face et abandonna le service de l’empire pour celui de Dieu. C’est vers les années 380-390 que le sol manqua de toutes parts aux derniers fidèles de l’Hellénisme. Le plus riche des sénateurs aquitains a donné ses biens aux pauvres ; le petit-fils du consul Ausone est voué au Christ ; la plèbe de Bordeaux lapide un hérétique. On vit rarement, en si peu d’années, un tel changement de décor. Les grands saints du sud-ouest commencent leurs prodiges ; les grands rhéteurs ont terminé leur carrière. Romain de Blaye triomphe par ses miracles jusqu’au delà du tombeau. Seurin arrive à Bordeaux et fonde, en face de la cité, la grande nécropole sainte où le moyen âge enterra ses héros.

A côté de Paulin, son compatriote Sulpice Sévère, également riche et noble, quittait aussi le monde pour vivre dans la pauvreté et l’humilité, suivant l’exemple de ses maîtres en Christ[41]. Martin, Paulin, Sévère, voilà, à des titres divers, les trois plus fâcheuses désertions que l’empire romain ait alors subies. Tous trois ont distribué leurs biens aux misérables, ont fait vœu de sacrifices et de renoncement, et tous trois étaient pour l’État d’utiles serviteurs, à l’armée ou au tribunal. En abandonnant les Muses et le monde, ils ont abandonné la patrie romaine. En se vouant au Christ, ils privent le prince de ses meilleurs sujets au moment on il avait le plus besoin de généraux et de magistrats. Les hommes se font rares et les dangers sont plus grands. La parole que le Christ avait si souvent prononcée : Laisse là ton maître et suis-moi, est maintenant un mot d’ordre dans les plus hauts rangs de la société. L’empire est déserté par ses serviteurs. La grande contagion religieuse a gagné partout.

Nous avions raison de le dire plus haut. Le triomphe du christianisme dans l’Aquitaine est le signe des temps nouveaux, de la même manière que la crainte de la famine et la construction de forteresses. Ces symptômes divers concourent pour caractériser l’état du monde gaulois à la fin du IVe siècle. La misère augmente, le patriotisme diminue. La vie matérielle devient plus pénible, la vie active se concentre dans le christianisme. La force physique et la force morale de l’empire s’éteignent en même temps.

  III —

Toutefois, ceux des Bordelais et des Aquitains qui sont demeurés fidèles aux cultes helléniques et au patriotisme romain ne désespèrent pas encore. Ils peuvent avoir leurs heures de tristesse ; le moment de suprême découragement n’est pas encore venu. Viendra-t-il même jamais ? et pourra-t-on jamais dire que les hommes du sud-ouest aient cru un jour que l’empire allait disparaître, même au temps des nouvelles invasions, même sous la persécution d’Euric ? Laissons de côté les chrétiens qui ont déserté le poste de combat et ceux dont les sinistres prophéties sont faites de colère et de menaces plus que d’expérience et de réflexions. Ne nous occupons que de la dernière génération de païens ou des nouveaux convertis qui croient à Rome comme au Christ, et que leur foi n’empêche pas de siéger au sénat ou de s’asseoir sur les tribunaux de province. Ils n’attachent pas une trop grande importance à ces indices qui nous ont frappés ; ils ne croient pas assister à la transformation d’une société ou à l’effondrement d’un empire. Parcourons une dernière fois l’œuvre d’Ausone, et nous verrons que la société bordelaise vit encore fort joyeusement, au milieu des richesses et des plaisirs de l’esprit, et qu’elle proclame toujours l’immortalité et la divine beauté de la chose romaine.

La gaieté, voilà ce qui manque le moins à Ausone et à son entourage. Tout, dans ses vers, respire une vraie bonne humeur. Il y a un sourire au commencement de chacune de ses pièces. La qualité qu’il loue le plus volontiers chez les autres est l’enjouement. Il n’a certes pas l’allure déprimée d’un décadent. Lœtus, joca, sont des mots qui reviennent constamment dans ses éloges[42]. Il ne semble pas qu’il y ait eu autour de lui de ces amoureux de mélancolie et de ces fanfarons de tristesse qu’il est convenu de rencontrer dans les fins de siècles. C’était une aimable société, qui s’accordait comme principal mérite de cultiver les jeux et la joie, et de fuir les vaines inquiétudes. Toi qui cultives les jeux et la joie, qui condamnes la tristesse, qui joca lœtitiamque colis, qui tristia damnas, dit Ausone de son beau-frère, ce qui ne l’empêcha pas d’être un excellent gouverneur[43]. Auprès de notre poète on s’amusa presque aussi follement qu’aux beaux jours d’Hadrien et d’Antinoüs. Ni ses parents ni ses descendants ne donnèrent leurs biens aux pauvres pour joindre saint Martin à Tours ou pour suivre à Nole saint Paulin. Un de ses oncles courut le monde pour trafiquer et sut ramasser une belle fortune. Quelques femmes de son entourage administraient admirablement leurs biens. Lui-même, dont le père n’était qu’un médecin aisé, mourut fort riche, devenu l’un des grands propriétaires de son temps. Tous ses parents furent dans les honneurs. Son fils Hespérius parcourut une fort belle carrière et accrut sans cesse les biens paternels, si bien que le petit-fils d’Ausone, Paulin de Pella, a pu écrire que ses richesses étaient célèbres dans le monde entier.

Veut-on connaître comment ce dernier vivait dans sa jeunesse, à Bordeaux, vers le temps où mourut son grand-père ? Nous sommes en 392 ; le jeune clarissime vient d’accomplir sa quinzième année. C’est lui-même qui nous raconte sa vie. Il avait été malade ; on lui fit abandonner l’étude pour les exercices physiques :

Je voulus un beau cheval avec un plus riche harnais, un écuyer de haute taille, un chien agile, un bel épervier, une balle bondissante et dorée envoyée exprès de Rome pour servir à mes jeux, un vêtement plus recherché, et souvent renouvelé, et parfumé des douces senteurs de l’Arabie... J’aimais à courir, porté toujours sur un coursier rapide[44].

Quelques années plus tard, l’idéal du jeune Paulin, marié et propriétaire, avait un peu changé ; mais le luxe y tenait toujours la plus large part.

Pressant sans relâche l’accomplissement de la tâche que j’avais entreprise, je me hâtai de rendre la culture aux champs régénérés, d’apporter un prompt soulagement aux vignobles épuisés, de les renouveler parles moyens qui m’étaient connus... Je voulais une maison commode avec de larges appartements disposés en tout temps pour les diverses saisons de l’année, une table propre et bien garnie, des esclaves jeunes et nombreux, un mobilier abondant et propre à différents usages, une argenterie plus précieuse par le travail que par le poids, des artistes de différents genres, habiles à remplir promptement les commandes, des écuries pleines de chevaux bien nourris et des voitures pour la promenade, sûres et élégantes[45].

Cette vie, le petit-fils d’Ausone la mena de 397 à 407, au moment où le monde romain commençait son agonie.

La brillante existence que menaient ces grands seigneurs n’allait pas sans quelques atteintes à la morale, du moins à la morale sévère. Paulin, avant son mariage, ne fut pas un modèle de vertu. S’il avait été voué au Christ, ce ne fut assurément que dans sa tendre enfance, car la chasteté lui parut d’assez bonne heure un fardeau difficile à porter. La confession de ses fautes est d’une singulière naïveté :

Je me jetai dans les voluptés nouvelles d’une luxure juvénile, dont je pensais dans mon enfance pouvoir me garantir sans peine. Toutefois, autant qu’il fut possible, je comprimai de l’étreinte et du frein d’une sage modération les débordements de la licence pour ne pas aggraver mes fautes par des crimes. Je contins mes désirs. Je m’imposai la loi de ne pas attenter par la force à la femme ou aux droits d’un autre ; je me gardai de céder aux personnes libres qui s’offraient d’elles-mêmes, et je me contentai des plaisirs domestiques de ma maison. Je préférais être accusé d’une faute plutôt que d’un crime, et je ne voulais pas nuire à ma réputation.

Les poésies d’Ausone nous rappellent de loin en loin que le monde n’était pas alors plus parfait que jamais, et qu’on eut souvent de grands coupables à punir, des infamies à constater chez les plus riches ou les plus instruits. Les professeurs ou les avocats ses collègues ne se piquaient point tous d’une austérité antique. Dynamius dut s’exiler de Bordeaux et changer de nom sous le coup d’une accusation d’adultère, ce qui n’empêcha pas Ausone de le traiter toujours en excellent ami. Un autre de ses compatriotes, Concordius, quitta la ville en fugitif, on ne sait pour quelle faute. Une mère rigide chassa Marcellus de sa maison et de sa patrie, sans doute pour quelque peccadille de jeunesse. D’un maître primaire de l’école de Bordeaux, Crispus, Ausone dit que les fumées du vin, croyait-on, l’inspiraient autant que Virgile et que Horace. Enfin de graves accusations pesèrent un jour sur l’un des avocats les plus illustres de Bordeaux, Delphidius. On l’acquitta, et il put devenir professeur d’éloquence. D’ailleurs, il fit assez mal sa besogne : Peu assidu aux devoirs de l’enseignement, tu trompas l’attente des parents. La famille de ce Delphidius, très ancienne, et qui se rattachait à une vieille noblesse sacerdotale de la Gaule, peut-être même à une origine druidique, finit d’une façon tragique : Enlevé au milieu de ta carrière, dit Ausone[46], tu n’as pas eu la douleur de voir les erreurs de ta fille égarée et le châtiment de sa mère. Il s’agit d’Euchrotia et de Procula, que l’hérésiarque Priscillianus entraîna dans sa querelle ; le bruit courut même qu’il déshonora la seconde[47]. Enfin, nous lisons, dans les épigrammes d’Ausone, des vers adressés à ses compatriotes, qui font le plus grand tort à leur moralité ou à leur distinction.

On connaît la diatribe écrite vers l’an 450 par le prêtre Salvien, et clans laquelle il malmène si fort les Aquitains, gens repus de toutes les richesses et de tous les vices. Ce que nous venons de dire apporte-t-il la moindre preuve à l’appui des déclamations

j virulentes et banales du prêtre chrétien ? Soyons juste. Ce sont des fautes assez ordinaires dans le monde que celles dont parle Ausone, et il faut être moraliste bien sévère pour traiter autrement que de peccadilles les crimes dont s’accuse Paulin. Surtout, ne croyons pas que les mœurs des païens furent abominables aux derniers jours du IVe siècle. Paulin était chrétien, et, avant le temps où il s’émancipa, il avait été consacré à Jésus-Christ. Quant à Euchrotia et Procula, c’étaient des dévotes qui se laissèrent abuser par les allures séduisantes d’un intrigant, beau parleur et ami des femmes[48].

En face de ce groupe d’égarés, songeons à tout ce qu’il y avait de vertu dans la famille immédiate d’Ausone. On y aimait le travail et on y cultivait la charité. C’étaient des riches, mais qui savaient la douceur du bien et pour qui la bonté était un devoir. Si le monde païen a fini avec eux, on peut dire que sa dernière génération n’eut rien à envier, en fait de droiture et de noblesse, aux représentants de la religion nouvelle.

Le sérieux de leur conduite ne les empêchait pas, avons-nous vu, de savoir se distraire. Franchement, la vie que menaient Ausone et ses amis était fort agréable. On se visitait, on se recevait sans cesse, on s’envoyait de petits cadeaux, des oranges, des huîtres, des conserves, des vers surtout. On se promenait, devisant sous les belles allées touffues d’ormes et de peupliers qui bordaient la Garonne ou la Dordogne. Les agréments étaient multiples dans ces villas, qui (pour ne plus parler des œuvres de défense) font parfois songer au Tivoli d’Hadrien. Il y avait des thermes, des bibliothèques, des galeries de tableaux, peut-être des théâtres de famille, des statues en grand nombre[49]. Les femmes s’y livraient à des travaux de couture ou de broderie, et ne dédaignaient pas de faire des vers. Le plus grand souci était de remplir les greniers ou de reconstituer les vignobles. On y demeurait même l’hiver. L’été s’y passait toujours. Quand on était fatigué du séjour dans une villa, on se rendait dans une autre. Un clarissime un peu riche possédait des villas disséminées sous tous les climats. Ausone allait de Loupiac sur la Garonne à Lucaniacus prés de la Dordogne ; il avait à Saintes une propriété qui lui était chère. Nous connaissons de nom quelques-uns de ses autres domaines : celui de Rauranum dans le Poitou, un autre dans le Bazadais. Peut-être les thermes de Marojalus, dont il aimait les loisirs et le séjour accalmant, lui appartenaient. Paulin de Nole, avant sa conversion, vivait prés de Langon, dans cet Hébromagus où il semblait un souverain. Pauliacos, notre Pauillac, était une villa superbe. Nous avons souvent parlé de Bourg, qui appartenait peut-être à Paulin. La pointe extrême du Médoc n’était point dédaignée. Ceux qui aimaient la solitude y séjournaient. Là, dans la villa de Dumnotonus, vivait ce singulier Théon, qui fut un grand ami d’Ausone ; c’était une sorte de propriétaire campagnard, peut-être un peu besogneux, lettré et remuant, poète laborieux, grand chasseur et grand pêcheur devant les dieux, exploitant les paysans de l’endroit et guerroyant contre les voleurs. Tous ces propriétaires correspondaient entre eux, échangeaient des politesses ; quelquefois, ils s’empruntaient de l’argent, et il semble que les espèces sonnantes fussent alors assez rares. Les communications étaient faciles, grâce aux routes et aux rivières qui sillonnaient le pays en tout sens. Les gens de la domesticité servaient de courriers. On prenait tantôt par les vieilles chaussées du premier siècle, que les voitures parcouraient encore rapidement ; mais on préférait s’embarquer, la voie fluviale étant sans doute plus sûre. Il y avait toujours des embarcations amarrées à proximité des villas, et les campagnes renfermaient, à l’usage du maître et de ses amis, des mulets, des chevaux de selle, des cabriolets ou de véritables carrosses, gros et lourds.

L’humeur d’Ausone aura-t-elle trop déteint sur son couvre ? Je ne sais. Mais il semble que les hommes de son temps ne s’ennuyèrent pas une minute ; malgré les ombres qui traversaient parfois son horizon, la société de la fin de l’empire vivait dans une atmosphère tiède et sereine, entre de tranquilles labeurs et d’intelligents plaisirs.

Nous ne parlons, il est vrai, que des riches, car eux seuls écrivaient en ce temps-la, et ils ne nous entretiennent que d’eux-mêmes. Que valaient alors la plèbe des pagi et celle des villes ? Quel sort leur était fait par la noblesse ? Nous ne l’apprendrons jamais, et l’ignorance où nous sommes de ses destinées est l’inévitable lacune de l’histoire de la civilisation gallo-romaine au IVe siècle. Il y avait eu, au temps des invasions, chez les paysans et dans la populace, d’assez violentes séditions. Les empereurs se sont vantés d’y avoir mis fin. Peut-être trouvait-on encore des foyers latents d’incendie. Le mouvement antipriscillianiste se manifesta à Bordeaux par une émeute de la populace, ce qui suppose pour le moins une plèbe remuante et passionnée. Il y a des brigands dans le Médoc, et le brigandage est souvent la conséquence de la misère des paysans ou de l’oisiveté du bas peuple. Au début du Ve siècle, quand les barbares reviendront, la plèbe urbaine tentera parfois des révolutions. On verra des révoltes d’esclaves ; on entendra parler de sédition et de trahison civile. Paulin de Pella nous apprend, à propos du siège de Bazas par les Wisigoths, l’existence d’une faction servile, mille fois plus dangereuse que les barbares, et il ajoute que quelques jeunes gens de condition libre s’étaient mêlés aux esclaves, et armés pour égorger la noblesse. Il n’est pas exagéré de croire que, dès la fin du IVe siècle, couvait chez les classes misérables du sud-ouest la haine de la toute-puissante aristocratie.

C’est, en effet, cette toute-puissance qui est la caractéristique la plus nette de l’état social. Ces grands propriétaires fonciers avaient alors le monopole de toutes les richesses et de toutes les grandeurs. Ils représentaient les souvenirs, la gloire et le prestige de Rome. C’est en eux que se concentraient les forces vives de l’empire, la force des armes exceptée : noblesse, puissance, autorité morale, éclat littéraire, gaieté et confiance, ils avaient encore tout pour eux. Si le monde romain valait quelque chose, c’était grâce à eux. Il demandait aux barbares ses soldats et ses généraux ; mais c’était l’aristocratie qui lui fournissait ses magistrats et ses fonctionnaires. Avant l’âge de trente ans, Paulin aura été consul, gouverneur de province ; il est vrai que par sa naissance il appartient à la noblesse. Ausone ne parviendra à de hautes fonctions qu’après avoir atteint la soixantième année et mérité les titres et les richesses qui donnent accès dans la grande aristocratie. Mais aussi ses descendants s’élèveront beaucoup plus vite : son fils, son gendre furent préfets de très bonne heure. Ce que cette famille a exercé de charges supérieures est incroyable. Dans l’espace de quelques années, elle a eu une demi-douzaine de préfets du prétoire.

De ses richesses, nous avons déjà parlé. Le noyau de cette fortune, qui devait devenir colossale, a été, si nous en croyons Ausone, des plus modestes ; c’est ce petit domaine que son père et son grand-père avaient possédé sur les bords de la Garonne, herediolum, villula, parvum herediolum, répète-t-il avec une véritable complaisance. On songe vraiment aux deux arpents que possédaient les compagnons de Romulus et qui formaient le domaine patricien de la Rome primitive. Détrompons-nous. Il faut se placer au point de vue de l’aristocratie de ce temps, qui n’y regardait pas à quelques arpents près. La modestie d’Ausone nous en apprend plus que bien des textes sur les idées de ce temps en fait de richesses foncières. Ce minuscule héritage renfermait 50 arpents de pré, 100 arpents de vigne, 700 arpents de bois, 200 arpents de terres labourables, au total 1.050 arpents[50]. Il était assez grand pour contenir des provisions pour deux ans. Nous voilà bien loin de l’enclos familial auquel nous pensions d’abord. Que devait être l’étendue des domaines de la famille d’Ausone vers l’an 400, au moment culminant de ses destinées, lorsqu’elle possédait des biens immenses dans le sud-ouest, d’autres à Marseille, et jusque dans les provinces grecques de l’Épire ? Par suite des alliances qu’elle contractait par tout l’empire, les domaines de l’aristocratie étaient aussi disséminés que vastes. Le centre de la puissance de Paulin de Nole était, sur les bords de la Garonne, Hébromagus près de Langon. On disait regna Paulini. Son mariage en fit un des grands propriétaires de l’Espagne. Ces clarissimes du IVe siècle font songer aux grandes familles de l’Italie moderne, aux Torlonia, aux Borghesi, aux Pallavicini, nobles de race ou de fortune, dont les richesses sont faites de villas éparses par toute l’Italie, de palais, de banques et de galeries de tableaux.

Mais, ce qui nous fait aimer cette aristocratie, ce qui nous la fait préférer à la noblesse italienne d’aujourd’hui, c’est le lustre incomparable de haute culture intellectuelle et de goût artistique dont elle s’est plu à se parer. Elle voulut briller plus par l’esprit que par l’or ; l’apanage de l’instruction fut à ses yeux son bien le plus précieux. Imitant les nobles des derniers temps de la république, comme les Scipion, les Sylla ou les César, elle vit dans l’amour des lettres un signe de noblesse. On sait de quel universel renom jouissait l’école de Bordeaux au IVe siècle. C’était la plus prospère de la Gaule ; ses maîtres, les Minervius, les Patéra, étaient demandés même à Rome et à Constantinople ; elle fournissait des précepteurs à la famille impériale. Deux mille sénateurs y suivirent les cours de Minervius. L’Aquitaine se trouva, aux derniers jours de l’empire, le refuge suprême des lettres latines et grecques, comme elle était la moelle de la Gaule, l’asile du bien-être et de la gaieté. Cette étonnante prospérité de l’école de Bordeaux est due, je crois, à la puissance de l’aristocratie et au goût de ses membres pour les travaux de l’esprit. Les fils des consuls, des préfets étaient mis à l’école ou livrés à des maîtres de fort bonne heure, presque surmenés. Écoutons encore Paulin de Pella. S’il s’amusa trop dans sa jeunesse, ce fut peut-être pour avoir trop travaillé :

La durée de mon premier lustre est à peine écoulée qu’on me force d’apprendre la doctrine de Socrate, les récits guerriers d’Homère, et de m’instruire, par la lecture, des voyages d’Ulysse. Bientôt aussi on m’ordonne de passer aux livres de Virgile. Appliqué à l’étude des lettres, j’aimais volontiers déjà à voir, à sentir, à opérer en moi, au gré de mes vœux, quelques progrès dans le travail qui m’était imposé, sous les efforts combinés de mon maître de latin et de mon maître de grec[51].

C’était comme une nécessité sociale pour les nobles de savoir bien écrire en grec ou en latin. Ils font des vers, comme les nobles de la monarchie française faisaient des armes. C’était une manière de tenir son rang. Théon le Médoquin, ce gentilhomme campagnard dont nous avons parlé, en faisait, de détestables sans doute, mais enfin il en faisait. Les lettres qu’on s’écrivait étaient arrangées, travaillées, à la manière de celles de Pline. Ces hommes étaient tous des stylistes fort adroits, un peu ridicules. Il serait assez difficile de trouver alors, dans la Gaule du sud-ouest, des poètes parasites, des écrivains gagés. Tout ce que le IVe siècle a laissé ici de bon en fait de prose ou de poésie est un produit de l’aristocratie. Aucune noblesse au monde n’a été plus civile et plus civilisée. On lui a interdit ou elle évite le métier des armes ; elle donne aux lettres les loisirs qu’on lui a faits. Il paraît bien, à voir le zèle que ces grands seigneurs déploient pour maintenir leur supériorité intellectuelle et conserver le culte des lettres grecques et latines, qu’ils considéraient cela comme un devoir de romain, comme une obligation patriotique.

Patriotes, ils l’étaient en effet du fond de l’âme, et jamais, je pense, le nom de Rome n’a été plus glorifié, plus aimé, plus vénéré, et par raison et par sentiment. Il semble qu’on s’attachait d’autant plus à la patrie romaine qu’elle s’affaiblissait davantage. L’amour qu’inspire une mère se ravive, et devient plus exquis et plus pénétrant quand arrivent les dernières années et qu’on pressent déjà, sans y croire, l’irrémédiable séparation.

Ce qui frappe surtout dans le patriotisme de cette génération, c’est qu’il est tout à la fois municipal et romain, c’est qu’il concilie admirablement le culte de la grande capitale et l’affection de la petite ville, l’amour pour la Ville Éternelle qui a courbé le genre humain sous un même joug en lui donnant un centre et un foyer, et la tendre piété pour les murailles du sol natal. Peut-être même, au moins en Gaule, le IVe siècle a-t-il vu un réveil du patriotisme municipal. Je ne sais s’il se manifestait encore, comme dans les deux premiers siècles, par des dons d’argent, des fondations pieuses, des constructions de monuments. La chose était fréquente autrefois, et Bordeaux dut à des générosités de concitoyens son aqueduc, ses portiques et ses thermes. Ausone a-t-il imité les ancêtres et s’est-il inspiré de Pline le jeune, léguant à sa ville natale plus d’un million de sesterces pour fonder des bibliothèques, élever des thermes, nourrir des enfants pauvres ? La chose n’est pas invraisemblable, quoique nous ne puissions rien affirmer. En tout cas, aucun poète romain n’a parlé de sa ville natale avec un abandon plus touchant. Il n’y a pas, à vrai dire, de poète plus municipal qu’Ausone. Il a chanté Bordeaux dans une pièce émue, qui, aujourd’hui encore, est célèbre dans sa patrie. Je ne sais pas si, dans toute la littérature romaine, on trouverait un autre morceau si franchement local et provincial, aussi uniquement inspiré par l’amour du clocher. Et que de fois Ausone rappelle encore sa tendresse pour le pays natal, pour ce coin joyeux de l’Aquitaine, qui sera le nid de sa vieillesse !

Sans doute on parle volontiers, aujourd’hui encore, de la décadence de l’esprit municipal dans l’empire, et on se représente les cités désertées par tous ceux qui avaient un devoir à y remplir, un rang à y tenir, les sénats abandonnés par leurs membres, les curiales fuyant les misères attachées à leurs titres. Il faudra peut-être encore réviser le procès qu’on a fait à ce régime municipal. A Bordeaux du moins, on ne trouve rien de pareil. Si les sénateurs de son pays avaient été si malheureux, si accablés, Ausone aurait évité sans doute de nous parler si souvent, et en termes si pompeux, de la curie bordelaise. Tout ce qu’il nous en dit fait supposer qu’elle était nombreuse, et formée de gens riches et considérés. Il en était lui-même et y fut consul, c’est-à-dire, sans doute, duumvir ou défenseur. Son père en fit également partie ; il est vrai qu’en sa qualité de médecin il était exempt de toutes les charges qui incombaient d’ordinaire aux décurions municipaux. Peut-être qu’Ausone, comme professeur, a-t-il joui également de cette exemption, ainsi que tous ceux de ses collègues de l’école, qui avaient place dans l’assemblée. La législation du IVe siècle donnait le droit aux médecins et aux professeurs, à tous ceux qui exerçaient une profession libérale, d’entrer dans le sénat sans partager les lourdes responsabilités des membres ordinaires. Cela nous montre au moins que les curies étaient formées d’une façon fort intelligente, et que l’accès n’en était pas seulement réservé, comme autrefois, à la richesse et à la naissance. Il est certain que l’assemblée municipale de Bordeaux, au IVe siècle, était quelque chose de fort imposant et de très considéré. Ausone regarde comme un honneur d’en faire partie. Elle était célèbre dans l’empire, grâce à la noblesse et au renom de ses membres : procerum senatus, dit par deux fois le poète. Il y avait peut-être encore dans ce sénat des luttes et des rivalités. On n’en dédaignait pas la préséance, si nous en jugeons par un passage assez énigmatique : Tu étais, dit-il à son beau-frère Maximus, tu étais le premier de la curie de Bordeaux ; elle avait vigueur sous toi. Toi mort, elle tombe aux mains d’un Valentinus[52].

Ce sénat nommait lui-même les maîtres de l’école. Assurément, l’État n’aurait pas confié ce droit à des corps déchus et méprisés. Rien à Bordeaux ne rappelle en ce moment les curies appauvries de certaines villes d’Orient. Il y avait encore l’intelligence du patriotisme, du moins si nous écoutons Ausone : Toi, célèbre par tes vins, tes fleuves, tes grands hommes, les mœurs et l’esprit de tes citoyens, la noblesse de ton sénat, je ne t’ai pas chantée la première ! ... Bordeaux est ma patrie, bien que Rome passe au-dessus de toutes les patries. C’est de l’amour que j’ai pour Bordeaux, du culte que m’inspire Rome. Ici je suis citoyen ; j’ai été consul dans les deux. Ici est mon berceau, là-bas ma chaise curule[53].

Comme on le voit, le patriotisme municipal se conciliait fort bien avec le patriotisme romain chez Ausone et les hommes de sa génération. C’est la note dominante dans les écrits de ce temps. Le recueil des Villes Célèbres d’Ausone commence par Rome et finit par Bordeaux, et son vers fameux : Diligo Burdigalam, Romam colo est comme la formule du patriotisme gallo-romain. Depuis que Rome n’est plus la seule capitale de l’empire, la vie politique est devenue plus intense dans les provinces et dans les villes. A vrai dire, il n’y a plus maintenant dans le monde un centre unique de civilisation romaine. Chaque province a d’ardents foyers de culture latine, où le travail intellectuel est au moins aussi actif qu’a Rome même. On se figure l’État romain aboutissant à l’excès de la centralisation politique. C’est possible. Mais il a aussi fini par la décentralisation morale et littéraire la plus complète. On doit ajouter la plus heureuse, car c’est grâce à cela que la civilisation romaine a pu continuer à pénétrer les âmes bien après la chute de l’empire, et que l’influence morale de Rome agit longtemps encore après la fin de son action politique.

Mais cela n’a en rien diminué le prestige ou affaibli l’auréole de la Ville Éternelle. On dirait même que sa puissance morale, sa sainteté se sont accrues de tout ce qu’a perdu son autorité politique. On la voit de plus loin, comme dans un mirage historique. Aux yeux des provinciaux, sa figure s’est ennoblie et éclairée ; elle devient une sorte de divinité, une idole mystique et vénérée. On ne sacrifie plus à la déesse Rome, comme au temps de Drusus et de Sévère ; mais jamais la religion de Rome n’a eu plus d’adorateurs, et plus sincères, et n’a plus profondément troublé les âmes.

C’est qu’en effet, même en l’an 400, même à la veille de l’arrivée des barbares, la génération qu’Ausone a vue grandir a conservé une inaltérable confiance dans la solidité de l’édifice impérial. Elle ne veut pas voir qu’il commence à chanceler, avec la misère qui s’étend dans les campagnes, avec l’abandon de l’État par quelques-uns de ses meilleurs serviteurs. On a continué à croire jusqu’à la dernière heure que le monde latin était protégé par la main de Dieu. Au moment précis de l’effondrement, on célébrait sa majesté avec la même sincérité d’enthousiasme. La première entre les villes, dit Ausone, est Rome, la ville dorée et le séjour des dieux. Il y a plus. Les hommes de ce temps se sont merveilleusement rendu compte des bienfaits que Rome avait donnés au monde. Jamais, depuis cinq siècles, on n’avait eu mieux la conscience de l’admirable unité qui avait été son œuvre, on n’avait trouvé des expressions plus nettes et plus fortes pour louer cette grande patrie créée au-dessus des cités primitives. Le vers célèbre :

Fecisti patriam diversis gentibus unam,

de nations diverses tu n’as fait qu’une patrie, et qui semble avoir été pensé par un contemporain d’Auguste ou de Marc-Aurèle, a été écrit en 418 par un homme qui voyait les Wisigoths s’établir dans l’empire et commencer le morcellement, par l’aquitain Rutilius Namatianus. Il importe d’ailleurs de citer tout au long sa poésie, le plus glorieux chant de triomphe qu’un provincial ait jamais entonné en l’honneur de Rome, singulièrement plus vrai et plus franc que les poésies commandées par Auguste ou les apothéoses intéressées des Géorgiques :

Écoute, reine superbe du monde, Rome mise au rang des déesses, écoute, mère des hommes, nous sommes prés du ciel quand nous sommes dans tes temples. Tes bienfaits vont aussi loin que les rayons du soleil. Tu embrasses le monde de tes triomphes, tu es la déesse par excellence, et sous ton joug pacifique les nations vivent dans la liberté. Jamais les astres n’ont eu un empire aussi beau. Ta domination est une fédération des hommes, et offrant aux vaincus le partage de tes droits, tu as fait de la terre une seule ville[54].

Il y a là, chez un Aquitain de la dernière génération romaine, un cri d’admiration d’une poignante sincérité. Les barbares sont prés de lui, il semble ne point les voir. Tous ces hommes aiment tellement Rome qu’ils ne la sentent point mourir.

Ce grand corps est rongé par la misère, ruiné par les défections. L’ample cité de Bordeaux n’est plus qu’une forteresse. La campagne est exposée à la famine ou aux brigands. Les meilleurs et les plus riches désertent la fortune de Rome pour suivre celle du Christ. Cependant les fidèles de l’empire, Ausone, ses amis et ses enfants ne s’émeuvent pas. Ils vivent joyeux et confiants ; et, au moment même où l’horizon se ferme, ils regardent encore dans l’avenir avec une juvénile espérance.

Ainsi, les indices d’un monde nouveau se montrent de toutes parts. Les villes, jadis ouvertes, sont autant de forteresses ; les villas, de châteaux forts. On craint la disette. La vie religieuse devient plus intense. L’Église absorbe peu à peu les forces vives de la nation. La grande puissance, à côté d’elle, est l’aristocratie foncière, toute civile encore, intelligente et lettrée, bien différente de la noblesse militaire qui naîtra d’elle ; mais il y a déjà des remparts sur ses domaines. L’amour du foyer a grandi en face du culte de Rome, qui se perd dans un lointain religieux. Voilà le moyen âge qui est né. Toutefois, les riches et les poètes se croient toujours, dans leur pieux entêtement, aux temps de la grande paix romaine, avec leurs écoles remplies d’élèves, leur passion pour l’Hellénisme, leur éclatante vie de grands seigneurs, leurs rêves à la Fronton, leur enthousiasme délirant pour l’unité impériale. A l’autre bout de l’histoire de l’empire, les vers virgiliens sur la beauté de la chose romaine ont un écho vibrant chez les poètes aquitains. Quant aux barbares qui vont revenir, et s’établir pour toujours, on n’y pense pas, on n’en parle pas. Dans ce coin de la Gaule latine, le crépuscule du monde romain était plein de calme et d’espérance, comme le fut l’aurore où les bergers de Mantoue chantaient leurs premiers loisirs.

 

Camille JULLIAN.

 

 

 



[1] Ausonii opera, édition Schenkl (Monumenta Germaniæ, 1885) ; édition Peiper (collection Teubner, 1886); la Moselle d'Ausone, éditée, traduite et commentée par H. de Laville de Mirmont (Bordeaux, impr. Gounouilhou, 1889).

[2] Ausone, édition Schenkl, p. VII.

[3] Ses derniers vers sont de 393 (Ausone, p. XIII). On ne sait la date exacte de sa mort.

[4] Diligo Burdigalam, Romam colo (Ordo urbium, vers 167).

[5] Toto laudatum orbe Paulinum, dit Sulpice Sévère, Dialogues, 2 (3), 17. Halm, dans son édition de Sulpice, p. 269, confond l’évêque de Nole avec son homonyme, évêque de Trèves.

[6] Mosella, vers 18 et suiv., trad. de La Ville de Mirmont (Bordeaux, 1889).

[7] Mosella, vers 18 ; Paulin de Note, lettres à Ausone, 1, vers 340.

[8] Ordo erbium nobilium, vers 135 et suiv. (Schenkl).

[9] Ammien Marcellin, 15, 12, 2 : Nec in tractibus illis maximeque apud Aquitanos poterit aliquis videri vel femina licet perquam pauper ut alibi frustis squalere pannorum.

[10] Ammien, 15, 11, 13 : Aquitanica, amplitudine civitatium admodum culta.

[11] De gubernatione Dei, 7, 2 (éd. Halm). Cf. plus loin : Spectalia Dei munera possidebant, 7, 12 : Opes Aquitanorum luxuriantium.

[12] Sulpice Sévère, Dialogues, 1, 27 : Dum cogito me hominem Gallum inter Aquitanos verba facturum, vereor ne offendat vestras nimium urbanas aures sermo rusticior.

[13] Voyez mes Inscriptions romaines de Bordeaux, t. II, p. 554 et suiv.

[14] Inscriptions romaines de Bordeaux, t. II, p. 298, où j’ai essayé d’établir cette date pour la construction de toutes les murailles des cités de la Gaule propre.

[15] Ordo urbium nobilium, vers 140 : Quadrua murorum species. Voyez Inscriptions de Bordeaux, t. II, pl. IX.

[16] Inscriptions romaines de Bordeaux, t. II, pl. VIII, et p. 284 et suiv.

[17] Les Wisigoths, les Arabes et les Normands.

[18] Devienne, Histoire de Bordeaux, réimpression, t. I, p. XXII. Cf. Inscriptions romaines de Bordeaux, t. II, p. 631, la vue d’une de ces portes.

[19] Ausone, vers 145 : Per mediumque urbis.

[20] Vers 147 : Adlabi tolum spectabis classibus aequor.

[21] Paulin de Pella, Eucharisticos, vers 46 : Navigeram per portam, quae portum spatiosum... includit in orbe.

[22] Ausone, Epistulae, 10, ad Paulum : Cernimus augustas fervere vias.

[23] Ausone, Ordo, vers 141 : Respondentes directa in compita portas.

[24] Cf. Mosella, vers 18 et suiv.

[25] Ordo urbium, vers 129.

[26] Mosella, vers 442.

[27] Salvien, 7, 2.

[28] Epistulae, 10, ad Paulum.

[29] Sidoine Apollinaire, Carmin, 22, vers 118 et suiv.

[30] Sidoine Apollinaire, Carmin, 22, vers 171 et suiv.

[31] Notifia Dignitatum, Occidentis, 37, éd. Seeck.

[32] Epistulae, 4.

[33] Villula, in fine.

[34] Episiulae, 22, ad Paulinum.

[35] Concile de Bordeaux en 385 ; Sulpice Sévère, Chronica, 2, 47.

[36] Prosper d’Aquitaine, éd. Migne, LI, col. 586.

[37] Sulpice Sévère, Dialogus, 2 (3), 17, éd. Halm.

[38] Praestantissimum præsentium temporum exemplum, Sulpice Sévère, Vita Martini, 25.

[39] Traduction Corpet, à la suite des Œuvres d’Ausone, t. II.

[40] Professores, 6, 38 ; Sulpice Sévère, Chronica, 2, 48 et 51.

[41] Gennadius, p. XIII, dans l’éd. Halm.

[42] Parentalia, 7, 9, 19, etc.

[43] Parentalia, 19 (20).

[44] Eucharisticos, vers 141 et suiv.

[45] Eucharisticos, vers 199 et suiv.

[46] Professores, Aitius Dedphidius.

[47] Sulpice Sévère, Chronica, 2, 48.

[48] Sulpice Sévère, II, 46.

[49] Sidoine Apollinaire, Carmina, 22 ; Epistulae, 8, 4.

[50] Pièce sur la villula.

[51] Eucharisticos, vers 72 et suiv., vers 114 et suiv.

[52] Ausone, Parentalia, 17 (éd. Schenkl) :

Non dormis hoc tantum sensit tua, sensit acerbum

Saucia pro casum curia Burdigalæ,

Te primore vigens, te deficiente relabens

Inque Valentinum te moriente cadens.

On doit rapprocher ce texte de ceux du Code Théodosien, où il est question du primus curiae : Quieunque decursis perfunetis officiis, primum obtinuerit, comitivae tertii ordinis habeas dignitatem, 12, 1, 127 (loi de 392) ; ... tanquam primus constituto tempore curiam rexerit, 12, 1, 171 (loi de 409 ; cette dernière loi est adressée au préfet des Gaules) ; la loi de 436, relative au sénat d’Alexandrie, définit le primus curiae : Qui in muneribus universis expletis ad primum perveneril gradum (id., 189). Le mot primor, chez Ausone, ne peut être que l’équivalent du primus officiel. Maximus a donc, après avoir rempli toutes les charges municipales, été le chef du sénat de Bordeaux, et, après sa mort, la place est revenue à Valentinus, classé second sur la liste des sénateurs (cf. 12, 1, 171 : Qui usque ad secundum evectus gradum). Ce Valentinus devait être peu aimé de la famille d’Ausone.

[53] Ordo urbium, Burdigala.

[54] Rutilius Namatianus, I, vers 49 et suiv.