LES INSTITUTIONS SOCIALES ET LE DROIT CIVIL À SPARTE

 

V. TRANSFORMATION DE LA CONSTITUTION ET DES LOIS DE SPARTE.

 

§ I. - Changements dans la constitution politique. Formation de différentes classes.

Quoique le gouvernement de Sparte ait été un des plus stables de la Grèce, et que pendant six ou sept cents ans la même forme extérieure des pouvoirs politiques se soit maintenue, le temps n’en avait pas moins exercé son action et introduit dans son organisation des modifications dont les Spartiates mieux que les étrangers pouvaient se rendre raison. Le roi Agis, fils d’Archidamus, qui vivait au temps de la deuxième guerre médique, avait là-dessus un mot fort piquant : Comme un vieillard, voyant les anciennes lois tomber en désuétude et de nouvelles coutumes moins bonnes s’introduire, se récriait sur la décadence de Sparte, Agis répondit : C’est là le cours naturel des choses ; dans mon enfance, j’entendais dire à mon père que Sparte tombait en décadente ; lui-même, étant enfant, avait entendu dire la même chose à son propre père. L’étonnant serait, non pas que les choses allassent en se corrompant, mais qu’elles s’améliorassent ou, à tout le moins, demeurassent les mêmes[1].

Le plus important de ces changements fut le développement du pouvoir des Éphores. Ottfried Müller a admirablement retracé cette histoire, Institués au commencement comme de simples magistrats régionaux chargés de surveiller les marchés et de juger les contestations qui y naissaient, περι των σνμβολαιων[2], ils absorbèrent peu à peu la plus grande partie des attributions judiciaires de la gérusie et de la royauté, ne laissant aux Gérontes que les jugements du grand criminel, et aux rois que cette partie de la juridiction civile qui était liée au droit religieux. Müller fait, remarquer, avec une grande sagacité, que dans toutes les cités grecques les tribunaux populaires avaient de la même façon annihilé les anciennes juridictions. A Athènes, l’aréopage lui-même avait subi un sort pareil. Les Éphores étaient à Sparte, les représentants directs du peuple. En cette qualité, ils s’étaient arrogé dans l’État un droit de censure suprême, à laquelle les rois étaient soumis plus encore que les autres citoyens, et ils avaient fini par réunir en leurs mains à peu près tous les pouvoirs qu’avaient à Rome les tribuns du peuple, les censeurs, les préteurs ; ils étaient en réalité devenus l’autorité suprême de l’État, et si la royauté fut conservée, c’est uniquement parce qu’elle s’effaça devant eux sans résistance sérieuse. Aristote et Platon ont parfaitement apprécié cette révolution, en disant que les progrès de l’Éphorie ont changé la constitution de Sparte d’aristocratie en démagogie et en tyrannie, deux choses qui dès lors s’étaient intimement liées entre elles[3].

Cette révolution dut avoir des causes sociales qui nous échappent. Nous savons seulement qu’au IVe siècle avant J.-C. il existait parmi les citoyens spartiates différentes classes bien tranchées, qui ne se trouvaient pas dans la constitution primitive.

Xénophon racontant la conspiration de Cinadon, qui au commencement du règne d’Agésilas (395 av. J.-C.) mit le gouvernement à deux doigts de se perte, rapporte en ces termes une des scènes de la conjuration : Cinadon amenait les conjurés sur la place publique et là comptant avec eux les Spartiates, il leur montrait qu’en y comprenant les rois, les Éphores et les Gérontes, leur nombre total ne dépassait pas quarante, tandis que le reste de la foule qui n’était pas moindre de quatre mille hommes, n’était composé que de leurs .ennemis ; dans les campagnes même calcul : seuls quelques propriétaires épars devaient s’opposer à leur entreprise. Xénophon ajoute que la conspiration avait réuni les Hilotes, les Néodamodeis, les Périœques et les Upomeionès. C’est à cette dernière classe qu’appartenait Cinadon, jeune homme doué des plus grandes qualités et d’origine spartiate, mais qui était exclu complètement du gouvernement parce qu’il n’était pas du nombre des όμοιοι ou égaux. Par d’autres passages des auteurs anciens nous savons que les όμοιοι étaient les maîtres exclusifs du gouverne ment et qu’ils formaient une oligarchie très resserrée dont les Éphores étaient la partie active. Lysandre avait conçu le dessein de supprimer le privilège des familles royales et de choisir désormais les rois à l’élection parmi les όμοιοι[4].

Quelle était l’origine de cette démarcation entre les όμοιοι et les υπομειονες ? C’est ce qu’il est très difficile de savoir. D’après M. Fustel de Coulanges, les όμοιοι sont les aînés des familles, les υπομειονες les cadets et les descendants des branches cadettes ; mais cette supposition ne repose sur aucun fondement.

Ottfried Müller approche davantage de la vérité en disant que la condition des όμοιοι était une sorte de statut politique personnel, que la vertu, selon’ la terminologie grecque, mais en réalité la richesse, faisait obtenir, et que la lâcheté ou toute autre déchéance civique faisait perdre. Les υπομειονες se composaient de la masse des citoyens qui pour une raison ou pour l’autre n’avaient pas cet optimum jus civitatis[5].

Selon nous cette distinction découlait de la condition de cens à laquelle la constitution subordonnait l’exercice des droits de citoyen. Une aristocratie de naissance et de richesse avait de tout temps existé à Sparte et pendant la guerre du Péloponnèse on remarque constamment l’action prépondérante de quelques hommes puissants[6]. Quand à cela vint s’ajouter la concentration des fortunes dont nous parlerons bientôt, le nombre des citoyens qui se trouvèrent rejetés à un rang inférieur (à celui des υπομειονες) par l’impossibilité où ils étaient de payer leur quote-part aux Syssities, dut augmenter considérablement, tandis que par contre l’oligarchie restée seule en possession de la plénitude des droits de cité forma la classe des όμοιοι ou des égaux, comme qui dirait ceux qui n’ont pas dérogé[7].

Les Néodamodeis, ou nouveaux citoyens, cous nie leur nom l’indique, étaient, nous l’avons dit, des Hilotes affranchis : à mesure que l’état militaire de Sparte augmentait et que les citoyens d’origine diminuaient, on multipliait ces affranchissements, Dans l’armée d’Agésilas on comptait 2.000 Néodamodeis et seulement 30 citoyens d’origine[8]. Une telle disproportion de forcés créait un danger permanent dans l’État ; autant que possible on employait les Néodamodeis dans les expéditions lointaines : si l’on tient compte en outre du nombre très grand des mercenaires entretenus à la solde de l’État, l’on comprendra que Sparte sous peine de périr ne pouvait pas cesser de faire la guerre, et aussi les Lacédémoniens finirent par faire dans le monde ancien le métier de condottieri : ils étaient assez nombreux dans le fameux corps des dix mille. Après que les Thébains leur eurent imposé la paix, le roi Agésilas, accablé de vieillesse, alla avec les débris de ses armées se mettre à la solde d’un roi égyptien, tant il importait de débarrasser la patrie de ces troupes habituées à être nourries par la guerre ! Un peu plus tard Cléonyme fut envoyé en Italie dans les mêmes conditions et pour les mêmes raisons[9].

Ajoutez à toutes ces classes les nombreux bâtards des citoyens et une foule d’étrangers domiciliés et incorporés dans la cité d’une certaine façon sous le nom de τροφεμοι[10], et vous aurez un tableau complet de la hiérarchie compliquée à la tête de laquelle se trouvait le corps des ομοιοι[11].

A cette époque en effet les repas publics ne conservaient plus le caractère égalitaire qu’avait voulu leur donner l’ancien législateur. L’esprit de parti s’était emparé de la coutume qui voulait que chaque table se recrutât par le choix unanime des convives et que nul ne fût reçu s’il n’obtenait l’unanimité des suffrages. Les citoyens influents avaient fini par organiser sous le couvert des Syssities des sociétés politiques qui exerçaient une action extralégale, mais très puissante sur la marche du gouvernement. C’est ainsi qu’après la guerre du Péloponnèse on voit la table des Ephores être à la fois un lieu de réunion et une véritable association politique[12].

L’ancienne coutume selon laquelle on discutait les grands intérêts patriotiques dans les repas publics et solennels de la cité s’était ainsi peu à peu transformée en une pratique toute nouvelle de la vie politique.

Les mêmes faits du reste s’étaient produits dans toutes les cités grecques. Des sociétés de tout genre, les eranistes pour les choses de la vie privée, les hétairies pour la politique, remplissent l’histoire d’Athènes au IVe et au IIIe siècle avant notre ère. Elles avaient remplacé en fait les anciennes agrégations de famille, qui ne subsistaient plus que comme des formes surannées et vides de sens[13].

Cette transformation des mœurs politiques de la Grèce est du plus haut intérêt et pourrait prêter à bien des rapprochements.

§ II. - Diminution du nombre des citoyens et concentration des fortunes constatées au IVe et au IIIe siècles avant J.-C.

Notre sujet nous a déjà conduit plusieurs fois à indiquer ces deux faits si importants. Voici maintenant les propres paroles d’Aristote. Ce pays qui est capable de fournir quinze cents cavaliers et trente mille hoplites compte à peine un millier de combattants. Aussi l’État n’a pu supporter un revers unique et c’est la disette d’hommes qui l’a tué. Aristote écrivait cela environ un demi-siècle après la bataille de Leuctres. Un siècle plus tard, sous le roi Agis III, il ne restait plus que 700 Spartiates de naissance[14].

Celte diminution de la population n’était pas un fait nouveau. A l’époque de la seconde guerre médique, Sparte n’avait déjà plus que huit mille citoyens, tandis qu’elle en avait compté précédemment neuf mille et même dix mille[15]. De cette époque jusqu’à celle où Aristote écrivait (de 480 avant J.-C. à 330), la diminution prit des proportions très grandes, car en 150 ans la population se trouva amoindrie des 7/8e. Dans cet intervalle de temps, Sparte avait soutenu des guerres incessantes, celle du Péloponnèse, celle d’Asie, enfin la lutte avec Thèbes qui avait fini par deux désastres. A Leuctres, quatre cents Spartiates étaient restés morts sur le champ de bataille, et la Messénie avait été détachée définitivement de la Laconie. Or c’était la moitié la plus riche du territoire spartiate, et l’on comprend la profonde perturbation que cette perte causa dans l’État[16].

Il y a plus, M. Bielschowsky et, après lui, M. Caillemer dans l’article que nous avons cité, disent que le nombre des Spartiates avant la bataille de Leuctres ne dépassait pas déjà douze cents[17]. Si l’on admet cette conjecture appuyée sur de très solides raisons tirées de la composition des armées spartiates, la rapide diminution du nombre des citoyens était indépendante de en désastre matériel,

Ce phénomène n’était pas particulier à Sparte, .et déjà en parlant des règlements sur la population, nous avons signalé les causes morales qui faisaient périr les cités grecques par la disette d’hommes. Ολιγανθρωπια, c’est le mot qu’Aristote emploie à maintes reprises, et il ajoute que beaucoup d’États essayaient de la combattre en admettant dans la cité les billards ou ceux dont le père seulement était citoyen, tant le nombre des naissances était insuffisant dans les classes supérieures ![18]

A cette même époque, en Laconie les classes inférieures, Hilotes et Périœques, faisaient preuve d’une telle vitalité et fournissaient à l’État des soldats et de nouveaux citoyens en si grand nombre, qu’il y a tout lieu de croire que chez elles la population loin de diminuer allait en augmentant : l’oppression la plus dure est moins dangereuse pour un peuple que la corruption qui vient de l’abus du pouvoir et de la richesse[19].

Aristote indique comme la principale cause de cette diminution de la population civique la concentration des richesses en un petit nombre : de mains, et le remède qu’il indique ne consiste rien moins qu’en un partage des terres qui établirait l’égalité des possessions. La population, dit-il, est divisée en riches et en pauvres ; toute la richesse est eux mains de quelques individus qui ont des fortunes colossales. Déjà en 393, à l’époque de la conspiration de Cinadon, les Spartiates propriétaires formaient une infime minorité comme l’indique le récit de Xénophon. Après Aristote, cette concentration alla si loin qu’au temps d’Agis III la Laconie entière était devenue la propriété de cent personnes[20].

On dut, à cette époque, renoncer à exclure complètement de la cité les citoyens qui ne pouvaient payer leur quote-part aux Syssities : nous les voyons dans les révolutions d’Agis et de Cléomènes relégués dans le Λημος et privés des honneurs politiques, mais conservant encore le titre de citoyen[21].

Les femmes, ajoute Aristote, sont à elles seules propriétaires des deux cinquièmes du territoire, et il accuse leurs habitudes de luxe et d’indépendance d’être une des principales causes de cette funeste situation économique[22].

Malgré tous les récits romanesques qui, dans l’antiquité, faisaient de Sparte une terre idéale où la modération, la tempérance et toutes les vertus florissaient, la cupidité y était un mal invétéré. La pythie de Delphes dans un ancien oracle les avait avertis que l’argent les perdrait, et malgré toutes les défenses de Lycurgue relatives aux métaux précieux, peut-être même en raison de ces défenses, nulle part ils n’étaient plus recherchés[23]. Tant que les Spartiates n’avaient été en lutte qu’avec des peuples aussi pauvres qu’eux, le butin de la guerre n’avait pu être une grande source de corruption, mais il en fut tout autrement quand ils eurent à piller les riches camps des Perses, et les opulentes villes de l’Asie. Sans doute le trésor de l’État en retenait une part, mais il est bien évident que les généraux et tous les chefs se faisaient aussi la leur[24]. Le résultat final fut que Sparte, la ville de la frugalité et du brouet noir, absorba et retira de la circulation du reste de la Grèce une grande quantité de métaux précieux ; le fait est parfaitement constate par Bœeck dans son ouvrage sur l’Économie politique des Athéniens[25].

Ainsi, l’on s’explique comment l’ancienne aristocratie de naissance, qui avait fait la force de l’État, se transforma en une aristocratie de richesse avec le luxe insolent et les mêmes intrigues de femmes, qui se produisirent sur un plus vaste théâtre dans les deux derniers siècles de la République romaine.

Deux hommes, Pausanias et Lysandre, contribuèrent principalement à cette révolution dont les résultats furent d’autant plus assurés qu’elle fut exempte de violence. Lysandre surtout exerça sur les destinées de sa patrie une action décisive. Doué de dons éminents dans la guerre et dans la politique, très supérieur à ses contemporains par la largeur des vues, n’ayant ni religion ni sens moral et sachant habilement se servir de la superstition publique, à la fois d’une austérité affectée et d’une corruption profonde, d’un tour d’esprit sceptique et pénétrant qui rappelle étonnamment celui de Frédéric de Prusse, il poursuivit systématiquement la destruction des antiques institutions. Il introduisit dans toutes les maisons l’or, les esclaves domestiques, les métaux précieux avec une profusion telle qu’après lui Sparte put marcher de pair avec Corinthe. Il se plaça ainsi sans effort apparent au-dessus des lois sous la vindicte desquelles Pausanias avait succombé et à sa mort il se trouva pauvre, comme par une dernière ironie pour ses concitoyens qu’il avait enrichis et corrompus[26].

§ III. - Causes de la concentration des fortunes. Nouvelles lois sur les successions.

Aristote indique nettement comme cause de la concentration des fortunes et par suite de la diminution de la population, la liberté que les citoyens avaient de disposer de leurs biens. Cette liberté de disposition comprenait la faculté : 1° de faire des donations et des legs, même d’immeubles ; 2° de doter richement les filles qui avaient des frères et de marier celles qui restaient uniques héritières à qui l’on voulait, c’est-à-dire en dehors, de la parenté (αγχιστεια)[27].

Tout cela était formellement contraire à l’ancien droit, et si l’habitude de donner aux filles de fortes dots avait pu s’introduire par la seule action des moeurs, une loi expresse avait été nécessaire pour donner contrairement à des lois très formelles la liberté de disposer de ses immeubles et de marier les filles héritières à d’autres qu’A des parents. Plutarque nous apprend en effet que cette loi avait été portée par un Éphore nommé Épitadès à une époque que nous ne connaissons pas exactement, mais certainement antérieure à Aristote d’un certain nombre d’années au moins. Cet Éphore, dit Plutarque, voulait se venger de son fils et pouvoir le déshériter. Les citoyens influents l’appuyèrent pour avoir le moyen de capter des héritages au mépris des règles sur la dévolution ab intestat qui les assuraient toujours aux parents par le sang[28]. M. Grote, frappé de ce que Plutarque est le seul auteur ancien qui parle d’Épitadès et aussi des détails romanesques de son récit, en a contesté la réalité ; mais c’est à tort ; car Plutarque a dû avoir des données exactes sur un fait qui s’était produit à une époque où les lumières abondaient ; et surtout un pareil changement de législation était trop dans la force des choses pour ne pas se produire en ce temps-là.

L’absolue immutabilité du patrimoine, se transmission perpétuelle avec le sang que commandait l’ancienne religion des mânes, devaient paraître arbitraires et insupportables, à mesure que les antiques croyances s’affaiblissaient et que les progrès du commerce et de l’industrie introduisaient dans les fortunes des éléments plus personnels, s’il est permis de parler ainsi. La prohibition d’aliéner les immeubles même à titre onéreux qui existait dans l’ancienne organisation sociale avait forcément disparu, et une fois qu’il était permis au propriétaire d’aliéner de son vivant la terre paternelle, comment en bonne logique lui refuser le droit d’en disposer après sa mort ? C’est à Athènes la ville la plus avancée de la Grèce par le commerce et l’industrie, à Athènes qui proclamait déjà ce grand principe économique, qu’aucune borne n’est posée à la richesse provenant du travail, que devait se produire tout d’abord ce besoin de disposer de ses biens, si naturel à ceux qui ont acquis leur fortune par leurs propres sueurs. Solon, dans sa législation qui fut une oeuvre de transition, s’efforça de donner satisfaction à ce besoin, tout en maintenant, dans la plupart des cas, la transmission du patrimoine au profit des parents chargés de continuer les sacrifices funèbres. Quelque fussent les limites dans lesquelles il avait renfermé la faculté de tester, un grand triomphe n’en avait pas moins été remporté au profit de la liberté civile et des saines idées économiques[29]. Avec l’ascendant politique et intellectuel d’Athènes, ses lois en cette matière se répandirent peu à peu dans toute la Grèce. Isocrate nous apprend dans son Éginétique que toutes les îles de l’Archipel les avaient adoptées : les États constitués aristocratiquement, chez lesquels le maintien d’un même état de fortune dans les familles était une des nécessités du principe de la constitution, résistèrent longtemps ; mais là encore le principe de la liberté civile triompha : il en fut ainsi à Thora, à Thèbes, à Leucade : nous avons déjà dit que dans cette dernière ville la loi qui établit la faculté de disposer librement de son bien concorda avec l’établissement de l’égalité politique. Sparte ne pouvait pas rester isolée indéfiniment : au milieu des guerres pour l’Hégémonie, ses citoyens s’étaient mêlés à ceux des autres cités et en avaient pris les idées : d’ailleurs la constitution aristocratique de Lycurgue fondée sur la vertu civique avait péri radicalement : la forme extérieure du gouvernement subsistait encore, mais l’idée n’existait plus : d’un côté un peuple de citoyens appauvris et dévorés par les passions démagogiques, de l’autre une oligarchie de richesse : voilà oit en était arrivée la cité de Lycurgue : les anciennes lois sur les successions ne répondaient évidemment plus à ce nouvel état social.

Les femmes, qui en étaient surtout victimes, avaient un intérêt majeur à les faire changer. Avec la liberté ou plutôt la licence de leurs moeurs à cette époque, avec l’influence sociale qu’elles exerçaient, il est bien sur que de jeunes et riches héritières ne se souciaient plus d’épouser un vieil oncle pour l’honneur du culte des ancêtres[30].

L’introduction de la liberté de disposer de ses biens par l’éphore Épitadès est donc à nos yeux un fait incontestable. Mais il nous est plus difficile de dire avec précision en quoi consistait cette liberté de disposition :

En l’absence de textes positifs, la connaissance des principes généraux du droit grec et de son développement historique nous fait nous arrêter aux conjectures suivantes :

La réforme d’Épitadès ne consista pas dans le droit pur et simple pour le père d’exhéréder son fils indigne. Ce droit connu sous le nous d’αποxηρυξις (abdicatio liberorum) devait exister auparavant à Sparte comme il existait dans toutes les anciennes cités grecques. — Sauf ce cas d’exhérédation solennelle, le fils restait toujours en principe héritier du patrimoine. Il nous parait impossible que les principes du droit hellénique sur la continuation de la personne aient pu être bouleversés à ce point ; mais, une très grande liberté de disposer fut donnée par Épitadès en ce sens qu’il permit : 1° au cas où le fils était héritier de le grever indéfiniment de legs[31] ; 2° de marier les filles héritières en dehors de la famille :

Quant à l’action de ces nouvelles lois de succession sur la concentration des patrimoines et la diminution du nombre des citoyens, nous n’acceptons pas sans réserves ce qu’en dit Aristote. Cet incomparable penseur a eu au plus haut degré le talent de l’analyse ; nul n’a connu mieux que lui les constitutions de son temps, mais le sens historique lui manquait et s’il n’a pas porté un jugeaient exact en cette matière c’est qu’il n’avait pas la compréhension de l’ancien état social où les idées religieuses et les traditions domestiques exerçaient un empire prépondérant. Cet état de choses avait disparu si complètement sous l’influence de la doctrine des sophistes, que les plus puissants esprits de l’époque ne le concevaient même pas.

Vu ce qui touche l’influence de la loi d’Épitadès sur la diminution de la population à Sparte, il saute aux yeux qu’on ne saurait l’en rendre responsable, puisque comme nous l’avons établi cette diminution remontait bien avant[32].

La cause véritable s’en trouvait dans la proscription du travail libre, dans les guerres continuelles qui moissonnaient sans relâche la jeunesse. On n’a qu’à lire dans Plutarque ou dans Pausanias les généalogies des maisons royales pour voir combien de familles restaient sans descendance mâle, parce que les jeunes gens périssaient à la guerre avant d’avoir eu euxm0mes des enfants. Là est l’explication du grand nombre de filles qui restaient uniques héritières, fait que signale Aristote.

Le partage égal et forcé des terres avait dû faire déchoir bien des familles et rejeter leurs membres dans la classe des citoyens inférieurs qui ne pouvaient payer leur quote-part aux Syssities. Nais la limitation de la fécondité des mariages que conseillait le législateur, pour obvier à cet effet du partage égal, affectait la population toute entière et amenait l’extinction complète de certaines familles. D’autre part, si beaucoup de familles de petits propriétaires disparaissaient par toutes ces causes réunies, le droit absolu qu’avaient les parents d’épouser les filles héritières concourait aussi à la concentration des biens dans certaines maisons. Cette concentration n’était pas la cause de la dépopulation, elle en était au contraire l’effet.

Ajoutons que les richesses considérables introduites dans Sparte, après la guerre du Péloponnèse, profitèrent plutôt aux familles influentes qu’aux familles pauvres, Ce fut dans de moindres proportions ce qui se passa à Rome après la prise de Corinthe et de Carthage.

La liberté de tester, inaugurée par Épitadès, eut pu amener quelques siècles plutôt une meilleure constitution sociale, mais alors rien ne pouvait plus remédier à ces maux : la décadence était trop avancée. A Rome, dans les siècles qui avaient suivi la loi des douze tables, le testament avait été un puissant moyen de conservation pour les petites propriétés[33] ; mais qui eût pu alors donner aux Spartiates dégénérés les vertus des anciens Romains : l’amour du travail, la continence, la fécondité du mariage ? Un simple changement de législation ne pouvait pas détourner le cours des moeurs à ce point. La liberté de disposer de ses biens ne causa pas les maux quo constate Aristote ; ce qu’il fallait accuser, c’était la profonde désorganisation de la famille. Polybe nous a raconté, dans un passage fort curieux, le triste usage qu’en faisaient les riches Thébains ; au lieu d’établir solidement leurs familles, ils dévoraient leur patrimoine dans des orgies, et ce qu’il en restait après leur mort ils le laissaient à certaines sociétés d’amis qui le consumaient en banquets commémoratifs[34].

Quant aux liens du sang et au désir de perpétuer la famille, on n’en avait plus nul souci. La société antique tombait en pourriture, et elle sentait bien que rien d’elle ne devait survivre c’était aux descendants de ses esclaves à régénérer le monde sous la bannière du Christianisme !

Denys d’Halicarnasse et Platon nous apprennent ce qu’était devenue la famille dans cette décadence des moeurs. L’autorité paternelle n’était plus rien : les vieillards sans autorité morale sur la jeunesse s’efforçaient d’on suivre les modes : les pères ne cherchaient plus qu’à complaire à leurs enfants : les femmes étalaient un luxe bruyant : les serviteurs s’égalaient aux maîtres : en un mot la démocratie avait envahi la famille[35].

Le même Platon qui a tracé ce tableau saisissant de la corruption des moeurs domestiques s’est élevé dans un passage célèbre contre le principe même du droit de tester. La désorganisation sociale au milieu de laquelle, il vivait suffirait ù expliquer son opinion, car jamais circonstances ne furent plus défavorables à l’exercice d’une liberté quelconque ; mais il faut bien remarquer au nom de quelle doctrine et de quels intérêts Platon attaque le droit de tester. Son but hautement avoué est de conserver les biens dans les familles : c’est à elles et non aux individus que le patrimoine appartient et les familles elles-mêmes sont faites pour l’État. Il veut que chacune des 4.500 maisons demeure immuable à perpétuité avec le même patrimoine. Un seul des fils doit succéder : les autres seront pourvus soit dans des maisons désertes soit dans des colonies ; un seul fils et une seule fille sont le nombre d’enfants auquel la lui engage à se borner. À défaut de descendants les parents collatéraux ont un droit de réserve presque aussi énergique[36]. Platon avait pour idéal ces constitutions aristocratiques qui reposaient sur la conservation légale et forcée du patrimoine. Non seulement le monde antique n’a pu réaliser la liberté civile dans ses réalités pratiques, mais encore ses penseurs les plus éminents ne sont jamais arrivés è celte idée que la société se conservait avant tout par l’action des forces morales et religieuses et qu’aucun régime de contrainte ne pouvait suppléer à ces forces quand elles avaient disparu.

§ IV. La guerre des riches et des pauvres à Sparte. Les rote démagogues Apis et Cléomènes.

La guerre civile sous sa forme la plus hideuse ; la lutte armée du pauvre et du riche, devait être le terme des révolutions successives des cités grecques et de l’effondrement de toutes les anciennes idées religieuses et sociales que les philosophes et les sophistes battaient en brèche depuis plusieurs siècles. Toute stabilité politique était devenue impossible dès l’époque où Aristote écrivait, et après lui les révolutions furent encore plus fréquentes et plus atroces. Quand les pauvres parvenaient é s’emparer du pouvoir, ils abolissaient les dettes, proscrivaient les riches et partageaient leurs biens. Puis quand ceux-ci réussissaient à reprendre le dessus, généralement avec l’aide de quelque force étrangère, c’étaient des représailles affreuses. Aristote nous apprend que dans beaucoup de villes les riches faisaient entre eux ce serment : Je jure d’être l’ennemi du peuple et de lui faire tout le mal que je pourrai[37].

A Sparte la même lutte se produisit entre le petit nombre de familles riches qui dans leur cercle étroit prétendaient encore faire fonctionner le gouvernement de Lycurgue et le très grand nombre de citoyens sans fortune et surtout d’habitants sans droit de cité qui composaient alors la majorité de la population des cités grecques. La révolution de Sparte eut seulement ceci de très particulier, que les rois furent à la tête du mouvement populaire. Plutarque nous a conservé le récit des actions des deux derniers d’entre eux, Agis et Cléomènes, qu’il compare aux Gracques : du reste depuis longtemps la royauté penchait pour le parti populaire et Aristote nous dit que les rois se faisaient démagogues pour lutter contre les Éphores[38].

Nous ne voulons pas entrer dans le détail de ces agitations. On n’a qu’à lire Plutarque. On y verra comment la révolution démagogique taise en avant par le jeune roi Agis (244 av. J.-C.) fut étouffée presque dans son germe, puis reprise avec plus de succès par Cléomènes ; abolition des dettes, partage des terres, et collation du droit de cité en masse à tous les déshérités du droit politique, tels étaient les procédés prêchés par les Sophistes et mis en œuvre par ces rois.

Comme dans toutes les révolutions, de généreuses illusions se mêlaient à des passions honteuses. Au milieu d’une foule avide de pillage, de princes qui voulaient le pouvoir à tout prix, d’oligarques ruinés qui cherchaient par la confusion générale à échapper à leurs créanciers, on voyait mêlées au mouvement des femmes ardentes séduites par les mots magiques de liberté et d’égalité et qui mettaient au service de la cause populaire le prestige de leur beauté et de leur courage[39], puis des jeunes gens imbus de la philosophie de l’époque, des doctrines stoïciennes et pythagoriciennes surtout, enfin des philosophes qui voulaient par dessus tout réaliser leurs utopies.

Nous avons déjà signalé la part prise par le stoïcien Sphœres aux dernières révolutions de Sparte : il avait été le précepteur du jeune Agis et fut le conseiller le plus actif de Cléomènes : nous avons la liste de ses nombreux ouvrages sur le gouvernement de Sparte et sur Lycurgue. Comment croire que ce fussent là des oeuvres purement historiques ? L’antiquité était pour lui une toile sur laquelle il peignait tous ses rêves d’avenir et l’illusion qu’il produisait était parfaitement possible à une époque, où l’histoire même nationale n’était connue que d’un très petit nombre d’esprits éclairés.

Plus heureux et moins scrupuleux qu’Agis, Cléomènes (238-222 av. J.-C.) put réaliser son système pendant un certain nombre d’années et partager réellement la Laconie en 15.000 portions attribuées aux Périœques et 4.500 aux citoyens. Tyran absolu à l’intérieur, Cléomènes ne se soutenait que par une guerre continuelle au dehors, guerre de propagande qui avait pour but d’établir la démagogie dans tout le Péloponnèse. Ce fut cela même qui le perdit : la ligue achéenne, dont le gouvernement était oligarchique et qui voulait à tout prix se préserver de cette contagion, appela à son aide les Macédoniens. Ceux-ci chassèrent Cléomènes, rappelèrent les riches citoyens qu’il avait proscrits et rétablirent l’ancien gouvernement, πολετεια disent Plutarque et Polybe, c’est-à-dire une certaine aristocratie de fortune assez tempérée : c’était la forme de gouvernement qui prévalait à ce moment dans les villes grecques, grâce à l’appui des rois de Macédoine et qui fut consolidée par les Romains.

Mais il ne faut pas prendre au sérieux celte restauration de l’ancienne constitution spartiate. Les éléments essentiels en avaient complètement péri. Cléomènes avait aboli l’Éphorie ; bien plus il avait assassiné lâchement le représentant de l’autre maison royale, le propre frère de l’infortuné Agis. Lui-même fut le dernier de sa race et après lui la constitution de Sparte, jadis si puissamment originale, n’offre rien désormais qui la distingue dans le fond de celle des autres villes de la Grèce.

§ V. - Sparte sous la domination romaine.

Quand les Romains vinrent remettre l’ordre dans le Péloponnèse, Sparte avait passé par la domination de quelques tyrans pires que Cléomènes, avais que la populace défendait avec acharnement, car ils lui servaient à opprimer et à dépouiller les riches[40]. Le dernier d’entre eux, Nabis, fut renversé par Quinctius Flaminius (192 av. J.-C.), qui en ravissant la liberté à la a Grèce lui rendit la paix civile. C’est une chose triste à dire pour la patrie des Miltiade et des Léonidas, les Romains étaient appelés par tout ce que le pays comptait de propriétaires et d’honnêtes gens, leurs secours étant le seul moyen d’échapper aux violences de la démagogie. A part quelques : représentants élevés mais isolés du patriotisme tels que Philopœmen, ils n’avaient pour adversaires que la lie populaire des villes et quelques tyrans méprisables. Voilà à quoi avait abouti la plus brillante forme politique qui fut jamais et toute la sagesse de tant de législateurs et de philosophes !

Mais au milieu de ces hontes une grande œuvre providentielle s’accomplissait. A peine les Romains avaient-ils foulé le sol du Péloponnèse que les Cômes des Périœques s’étaient soulevés et que les Hilotes avaient pris les armes. Leur servitude dix fois séculaire finissait enfin : les Romains en établissant à Sparte un gouvernement aristocratique tempéré consacrèrent leur liberté et les organisèrent sous le nom d’Éleuthero-Lacones en une confédération de 24 cités[41]. Les révolutions démagogiques n’avaient pas été non plus sans un heureux résultat. De nombreux esclaves avaient été affranchis : le droit de cité avait été conféré à un très grand nombre de ces métœques, de ces bâtards, de ces gens à qui le droit étroit et resserré de la société antique refusait les avantages de la vie civile[42]. Malgré les réactions qui suivirent, ces résultats demeurèrent acquis ; chaque cité ne fut plus un sanctuaire et une forteresse inaccessibles : ainsi l’égalité sociale progresse, les hommes furent moins séparés, moins hostiles les uns aux autres et le monde se trouva matériellement préparé à la grande émancipation chrétienne.

Les généraux de la République et plus tard les empereurs conservèrent son autonomie à Sparte. Elle ne fut tenue vis-à-vis d’eux qu’au service des alliés. Cicéron la recommanda une fois à la justice d’un proconsul de ses amis, et un peu plus tard elle fit partie de la clientèle de la famille Claudia[43]. Du reste, son droit civil et ses institutions politiques demeuraient debout. Au IIe siècle de notre ère, Apollonios, de Tyane, y vit encore en vigueur certaines institutions qui se rattachaient à Lycurgue, notamment l’éducation en commun de la jeunesse[44] ; mais tout cela n’était qu’une veine apparence, rien ne distinguait plus Sparte des autres villes grecques, et c’était même une des plus obscures d’entre elles. Elle battait monnaie à l’effigie des empereurs, et l’on a recueilli une série dé pièces impériales qui va d’Auguste à Gallien. Même sur ses monnaies dites autonomes, on trouve plusieurs noms de magistrats à physionomie latine, qui indiquent l’infiltration successive des éléments romains dans sa vie intérieure et la destruction graduelle de son autonomie[45].

Après les troubles de l’époque dos trente tyrans, il n’est plus fait mention de Sparte dans l’histoire. C’est vers ces temps-là d’ailleurs que le droit de cité ayant été communiqué à tous les hommes libres habitant le monde romain , les lois civiles propres aux différentes cités furent abrogées par la force des choses, au moins en’ tant que droit positif et obligatoire. Quant aux traces qu’elles laissèrent dans les moeurs et dans les coutumes, c’est un vaste sujet qu’il ne faut pas aborder ici incidemment.

 

FIN

 

 

 



[1] Apophtegmat. Laconic. Agid. Archidam., 17. Cf. Thucydide, I, 48. On regarde comme interpolé le ch. XIV du traité du Gouvernement de Lacédémone de Xénophon, où il est question de l’altération de la constitution de Lycurgue.

[2] On peut se faire une idée de l’objet de cette juridiction par la division des matières du droit que fait Platon dans le livre XI des Lois. Il comprend sous un même titre la police des marchés et des cabarets, la vente des objets mobiliers et des esclaves, le louage des choses et des services, les obligations de faire, en un mot, à peu près ce qui faisait à Rome l’objet de l’ædilitium edictum.

[3] Plutarque, Agésilas, c. IV. Xénophon, Éloge d’Agésilas, 35. Aristote, Politique, II, ch. VI, § 14. Platon, Lois, IV, p. 324. Sur l’Éphorie, V. O. Müller, Die Dorier, t. II, p. 111 à 120.

[4] Xénophon, Helléniques, III, c. III. Aristote, Politique, VIII, ch. VI, § 2. Démosthène, in Leptinem, 107. Xénophon, Gouvernement de Lacédémone, c. X. Plutarque, Lysandre, c. XXVI.

[5] F. de Coulanges, la Cité antique, p. 481. O. Muller, Die Dorier, t. II, n° 83.

[6] Thucydide, IV, 408, V. 45. Plutarque, Lysandre, XXVI et XXX.

[7] Cf. M. Grote, Histoire de la Grèce, t. III, ch. VI (trad. française), Bielchowsky, op. cit. Les citoyens ainsi déchus devaient, dans leur pauvreté, se livrer à des métiers ou à l’agriculture : cela devenait nécessaire, car dans plusieurs cantons les Hilotes, au milieu des hasards de la guerre, avaient abandonné les fonds auxquels ils étaient attachés. Thucydide, IV, c. 41 ; V, c. 14.

[8] Plutarque, Agésilas, c. 6. Grote, 4e éd. anglaise, t. II, p. 511.

[9] Plutarque, Agésilas, c. 36 et 36. Sur les expéditions de Cléonyme en Italie Diodore de Sicile, XX. Niebuhr, Histoire romaine, trad. française, t. V, p. 371 et suiv.

[10] Xénophon, Helléniques, V, c. III, § 9.

[11] M. Bielchowsky, dans son opuscule sur les Syssities à Sparte, § 8, fait remarquer qu’à partir de cette époque la Syssitie cessa d’être la base de la division de farinée spartiate. Jusqu’à la guerre du Péloponnèse les citoyens avaient formé des corps spéciaux ; les Périœques combattaient à part. Quand les citoyens furent réduits à un petit nombre, ils mêlèrent dans leurs rangs les Périœques, les Néodamodeis et les mercenaires, de façon à former des corps plus compacts et à ne pas accuser leur infériorité.

[12] Plutarque, Quest. conv., VII, 9. Cléomenès, c. 8-9. Aristote, Politique, II, c. VI, 14, c. VIII, 2. Bielchowsky, p. 53.

[13] Platon, Lois, V, t. II, p. 334. Aristote, Morale à Nicomaque, VIII, c. IX, §§ 4 à 7. Sur les diverses associations athéniennes, voyez M. Caillemer, Étude sur le contrat de société à Athènes.

[14] Aristote, Politique, II, ch. VI, §§ 11, 12. Plutarque, Agis, c. V. D’après Macrobe (Saturnales, I, c. XI) Cléomenès III trouva à son avènement 15.000 Spartiates en état de porter les armes. Il n’en faut pas conclure que la classe des citoyens eut en partie réparé ses pertes. Les vides avaient été surtout comblés par des collations du droit de cité faites par Agis. (Plutarque, Agis, c. 8).

[15] Hérodote, VII, 234. Aristote, Politique, II, ch. VI, 12.

[16] Plutarque, Agésilas, c. 23 et 30.

[17] M. Bielschowsky, p. 52. Cf. Xénophon, Helléniques, III. c. III, § 3. Voyez encore O. Müller, t. II, p. 498. Rien n’est plus difficile que d’établir la composition des armées Spartiates. Toutes les inductions qu’on lire de ces calculs sont donc jusqu’à un certain point problématiques.

[18] Politique, III, c. III, § 5.

[19] Sur les Périœques, voyez notamment Xénophon, Helléniques, V, c. III, § 9. Au plus fort des malheurs de Sparte, le district qui environnait immédiatement la ville et qui était cultivé exclusivement par des Hilotes avait une grande richesse agricole, ce qui supposé une population nombreuse. Polybe, V, c. 19. Voyez Wallon, Histoire de l’esclavage, t. I, p. 119.

[20] Politique, II, c. VI, §§ 10-13 ; VIII, ch. VI, § 7 ; ch. X, § 6. Xénophon, Helléniques, III, c. III, § 5.

[21] Voyez Bielschowsky, de Sparianor, Syssitiis, p. 48 à 82 et M. Caillemer, op. cit.

[22] Aristote, Politique, II, ch. VI, § 9.

[23] Plutarque, Instituta Laconica, 43. Zonobius, II, 24. Théopompe, fr. 66, dans le t. I des Fragments des historiens grecs de Didot. Euripide, Andromaque, v. 466 et suiv.

[24] Hérodote, IX, 81.

[25] Trad. française de Laligant, t. I, p. 49. Voyez dans Barthélemy, une note sur les sommes d’argent introduites à Lacédémone par Lysandre.

[26] Plutarque, Instituta Laconica, 42. Vie de Lysandre, passim. Sur les richesses et le luxe des spartiates à partir de cette époque Thucydide, VIII, c. 40. Xénophon, Helléniques, VI, c. 4, § 11 ; Gouvernement de Lacédémone, V, 3. Phylarque, dans Athénée, IV, ch. VIII, p. 441. Théopompe, dans Athénée, XII, c. VIII, p. 536. Plutarque, Timoléon, XI. Cléarque, dans Athénée, XV, ch. VIII, p. 861.

[27] Politique, II, ch. VI, §§ 10, 11 ; VIII, ch. VI, § 7.

[28] Plutarque, Agis, c. V.

[29] Τά χράματα xτηματυ τών έχουτων έπόιησεν, dit Plutarque en parlant de Solon, c. 24. Cf. Πλούτου δ'ούδέν τέρμα περασμένον άνδράσι xέιται, vers de Solon cité par Aristote, Politique, III, § 9.

[30] À cette époque les femmes avaient obtenu partout le droit de tester. Voyez la fameuse inscription Théréenne. Bœck, C. J. G., n° 2248. Cf. pour Athènes : Démosthène, Pro Phormione, § 14, et Schneider, de Jure hereditario Athemiensuum, Munich, 1851, p. 35.

[31] La loi d’Athènes admettait à côté du droit pour les fils d’être héritiers, le droit pour le père de faire des legs. Mais ce dernier droit avait reçu une limitation que nous ignorons. (Caillemer, Le droit de tester à Athènes). Selon nous à Sparte, on n’avait pas posé de limites au droit pour le père de faire des legs tout en respectant la vocation du fils qui restait sous ac necessarius hœres. Nous invoquons à l’appui du notre conjecture l’analogie du droit de Thèbes indiqué dans le passage de Polybe cité plus bas.

[32] Nous ne parlons ici que de la diminution de la population totale ; nous laissons de calé la diminution du nombre des citoyens actifs, sur laquelle des causes politiques qui nous échappent ont dû influer. En comparant le chiffre de 1.000 hommes en état de porter les armes donné par Aristote et celui de 700 donné par. Plutarque, on trouve en un siècle une diminution de 300 hommes, soit 3/10e. Ces chiffres se rapportent à la population totale, tandis que la diminution autrement forte constatée entre l’époque de la seconde guerre médique et celle d’Aristote qui est des 7/10e, parait ne se rapporter qu’aux citoyens actifs jouissant de l’optimum jus civitatis.

[33] Niebuhr, Histoire romaine, trad. de Golbéry, t. VI, p. 49.

[34] Polybe, I. XX, c. V1. La république des Béotiens tomba dans une telle décadence que pendant vingt-cinq ans aucune justice ne fut rendue ni dans les procès privés, ni dans les accusations publiques. Quelques-uns des magistrats se mirent à distribuer à la populace l’argent du trésor. Celle-ci naturellement les soutint, leur confia toutes les charges, enchantée de n’avoir plus à payer ses dettes et de prendre part au pillage de la chose publique..... Une autre pratique funeste se généralise en même temps. Ceux qui n’avaient pas d’enfants, au lieu de laisser leurs biens à leurs agnats (τοίς xατά γένος έπιγενόμενος), comme c’était l’ancien usage, les léguaient sous la condition d’être employés en banquets par leurs amis qu’ils en faisaient propriétaires en commun. Bien plus, beaucoup de ceux qui avaient des enfants laissaient la majeure partie de leurs biens à des sodalités de ce genre. (Sur ces sociétés à Athènes, voyez M. Caillemer, op. cit. p. 42). Dans ce passage, Polybe indique nettement la différence entre les institutions d’héritier et les legs. Il est certain qu’à Athènes celui qui avait des fils ne pouvait instituer d’héritier, et cependant il pouvait faire des legs dans une certaine mesure. (V. Bunsen, de Jure heredit. Athen. p. 89, 90, et surtout Schneider, de Jure heredit. Athen. p. 36). Une semblable disposition avait dû être transportée dans le droit de Thèbes et dons celui de Sparte. Quand Plutarque nous dit qu’Épitadès voulut déshériter son fils, il ne faut pas entendre cela d’une exhérédation semblable à celle du droit romain, mais de la faculté indéfinie de léguer au détriment de l’héritier. Au cas où l’on n’avait pas d’enfants milles, liberté absolue d’instituer un étranger et de lui faire épouser sa fille.

[35] Denis d’Halicarnasse, Antiquités romaines, II, c. 26. Platon, la République, VIII, p. 456 et suiv., t. II, édit, Didot.

[36] Platon, Lois, XI, t. II, p. 467 et suiv.

[37] Politique, VIII, ch. VII, 19. Voyez sur l’histoire de ces révolutions intérieures M. Fustel de Coulanges, la Cité antique, IV, ch. 12 et 13. Riches et pauvres. - Les Révolutions de Sparte.

[38] Aristote, Politique, II, ch. VI, § 44. Cf. II, ch. VIII, § 2, et Thucydide, I, c. 132. Sur le roi Agis, voyez Cicéron, de Officiis, II, c. 23.

[39] M. Bachofen a jeté un grand jour sur la part prise par les femmes dans le mouvement philosophique de la Grèce, et dans la propagation des cultes orientaux qui commence avec Pythagore. Il signale aussi l’influence qu’elles exercèrent dans le sens de la diffusion des droits civils (Das Mutterrecht, pp. 151, 301, 381, 386). A notre sens, c’est une des parties de son grand ouvrage dont les résultats offrent le plus de certitude. Naturellement il met en grand relief le rôle joué par les femmes dans la révolution conduite par Agis et par Cléomènes (n° 353).

[40] Polybe, II, c. 40 à 70 ; IV, c. 81.

[41] Strabon, VIII, c. V, §§ 4 et 5. Pausanias, III, c. XXI, §§ 6 et 7. Polybe, XX, c. 42.

[42] Plutarque, Agis, c. 8. Aristote, Politique, III, c. III, § 5. Polybe, XIII, c. 6, XVI, c. 13. Tite-Live, XXXVIII, c. 34.

[43] Strabon, VIII, c. V, § 5. Cicéron, Lettres, n° 505, éd. Nisard. Suétone, Tibère, VI.

[44] Plutarque, Lycurgue, c. 48. Agésilas, c. 35. Cpr. Instituta Laconica, 42. Philostrate, Vita Apollon., IV, c. 34-33, VI, c. 20.

[45] Les principaux textes relatifs à l’histoire de Sparte sous la domination romaine ont été rassemblés par Chateaubriand dans l’Introduction de l’itinéraire de Paris à Jérusalem. Il faut voir surtout Bœck, Corpus inscript. Græcar., t. I, part. IV, sect. III, inscriptions de la Laconie et de la Messénie : la 1ère date de l’époque de Quinctius Flaminius, les dernières sont du temps des gordiens : on y remarque la mention des nomophylaques, magistrats dont l’institution remonte à Cléomènes.

Sur la numismatique de Sparte, v. Eckel, Doctrina vet. num., t. II, p. 278 à 286 ; Mionnet, Médailles grecques, t. II, p. 222 et supplément, t. IV, p. 287 ; Cadalvène, Recueil de médailles grecques inédites, p. 486. Parmi les médailles dites autonomes, un très petit nombre datent de l’indépendance de Sparte. La seule qui ait une attribution bien certaine est du roi Areus qui a régné de 309 av. J.-C. à 275, et l’on n’en a probablement point de plus anciennes. Un autre groupe de monnaies porte le monogramme de la ligue Achéenne. Enfin le plus grand nombre paraissent doter de l’époque où les Romains dominaient déjà en Grèce : elles doivent être rapprochées des monnaies de quelques villes de Laconie (Eleuthero-Laconès) qui nous sont aussi parvenues, v. Eckel, l. c.