LES INSTITUTIONS SOCIALES ET LE DROIT CIVIL À SPARTE

 

IV — LES LOIS CIVILES DE SPARTE SUR LA PROPRIÉTÉ, LES SUCCESSIONS ET LA FAMILLE.

 

Les lois civiles de Sparte ont été étrangement défigurées par les érudits qui partaient de cette double idée, que Lycurgue avait fait de l’égalité des possessions foncières la base de sa constitution, et que naturellement il avait pris des moyens pour le maintenir. Barthélemy a résumé ses devanciers dans une page où il nous donne une législation toute d’imagination : Les lots de terre étaient inaliénables et indivisibles. L’aîné seul des enfants mâles succédait au père, et au cas où il n’y avait que des filles, l’héritage était attaché à l’aînée seulement. Quant aux cadets, il était pourvu diversement à leur sort : 1° ils partageaient également le mobilier ; 2° l’aîné payait leur quote-part aux Syssities ; 3° à leur naissance, les vieillards de leur tribu leur attribuaient des lots de terre vacants ; 4° on avait soin de faire épouser à ces cadets, des filles héritières ; 5° enfin ceux que la guerre ne moissonnait pas étaient envoyés au loin pour fonder des colonies.

Ces idées sont reproduites à peu prés dans les mêmes termes par le Dr Thirlwall ; on en retrouve même quelque chose dans O. Müller, malgré sa grande érudition, tant est forte l’influence d’une idée préconçue[1].

Pour nous, nous nous bornerons à rapprocher les textes des anciens, relatifs aux principaux objets du droit civil, et nous verrons que les lois civiles de Sparte étaient dates leurs grands traits semblables à celles d’Athènes et des autres villes de la Grèce, qui, toutes sorties de la souche hellénique, avaient les mêmes principes sur la famille, la propriété et le droit de succession[2].

Le droit civil à Sparte était essentiellement coutumier ; il avait sa source dans les idées religieuses les plus intimes de la nation, et, quand même Lycurgue est voulu le changer, il ne l’eut pas pu ! D’ailleurs, nous avons vu que rien dans sa constitution politique n’exigeait un changement radical dans le droit privé[3].

Ce caractère coutumier du droit à Sparte explique très bien le peu de précision des notions qui nous en ont été conservées, et en même temps les modifications profondes qu’il subit avec le cours des siècles, sans qu’on puisse leur assigner une date précise.

§ I. — Le droit de propriété.

Le patrimoine foncier était inaliénable. — Aristote est formel là-dessus : Le législateur a attaché de la honte à acheter ou à vendre la terre[4].

Héraclide de Pont ajoute une distinction : Il est honteux chez les Lacédémoniens de vendre la terre et il est tout à fait défendu de vendre la terre anciennement possédée[5]. C’était quelque chose de semblable à 1a distinction de notre ancienne législation française entre les propres et les acquêts. Du reste, dans un droit purement coutumier, la différence entre ce qui était seulement déshonorant et ce qui était absolument prohibé devait être peu tranchée, et c’est ce qui fait qu’Aristote n’en a pas parlé. Il ne parait pas qu’une sanction de nullité fut attachée é cette prohibition.

L’inaliénabilité du patrimoine se retrouve dans la législation de beaucoup d’autres cités, et elle parait avoir été générale dans l’antiquité helléno-pélasgique. Le foyer était, en effet, pour les anciens le siège par excellence du culte. La flamme qui y brillait était la manifestation vivante de la divinité familiale qui présidait aux destinées de la race, et cette idée mère de toute la religion privée, remonte jusqu’au temps oh les ancêtres des peuples de souche aryenne étaient réunis dans leurs demeures primitives de la Haute Asie[6].

Le développement que prit chez les Grecs et les Romains le culte des Lares et des pénates augmenta beaucoup l’importance religieuse du foyer, de la maison dont il était le centre, du champ qui l’entourait et où se trouvait généralement le tombeau des ancêtres. Les Mânes qui recevaient les oblations sacrées au foyer et qui ne pouvaient les recevoir que de leurs descendants, étaient intéressés à ces deux choses : la perpétuation de la race et la conservation de la terre. Vendre la terre paternelle et livrer à un étranger le lieu du culte domestique était donc une impiété ; c’en était presque une pareille que d’acheter cette terre et de venir y implanter un culte nouveau[7].

Un point de vue politique propre à la cité spartiate s’ajoutait à l’empire de ces idées, car un des procédés les plus fréquents des législateurs de l’antiquité frit de faire servir à leurs desseins des croyances généralement acceptées, et de revêtir par là leurs institutions d’une consécration religieuse. Ainsi, quand les anciennes oligarchies s’étaient changées en établissements aristocratiques, le maintien des propriétés dans les familles et l’inaliénabilité du patrimoine foncier étaient devenus des maximes politiques fondamentales. Aristote nous a conservé le souvenir de lois de cd genre à Corinthe, à Thèbes, à Elis, à Locres, à Leucade[8], et l’on a conjecturé non sans raison que quelque chose de semblable existait à Rome avant la loi des XII tables[9]. A Sparte, la note d’infamie attachée à la vente de la terre avait reçu une sanction très efficace, dans la disposition qui privait de leurs droits civiques ceux qui ne pouvaient payer, leur quote-part aux repas publics.

Les lots de terre étaient-ils indivisibles ? — Monso et O. Müller l’ont affirmé sur la foi d’une lecture du passage cité d’Héraclide de Pont qui était telle : πωλεϊν νενομίσταί.... τής δ'αρχαιας μοιρασ ανανεμεσθαι ουδεν εξεστι. Mais vérification faite des manuscrits, il a été constaté que le mot ανανεμάσθαι avait été ajouté par les premiers éditeurs qui étaient choqués du sens naturel de ce texte et qui l’avaient modifié, de façon à y voir un moyen employé pour maintenir l’égalité supposée des lots de terre[10].

Sans doute, la même note ou la même prohibition qui frappait la vente totale des fonds de terre atteignait-la vente partielle, mais en dehors de là, ils n’étaient pas indivisibles et ils se partageaient réellement dans les successions.

§ II. - Les lois de succession.

Principe du droit de succession. — Plutarque, Vie de Lycurgue, chap. XVI, dit qu’à la naissance de chaque enfant les anciens de la tribu lui assignaient un des 9000 lots de terre ; d’où il suivrait que l’hérédité n’existait pas à Sparte, et que là, au moins, les théories communistes avaient trouvé une application. Mais comme une foule de témoignages certains nous montrent le droit de succession parfaitement organisé à Sparte[11], il n’y a à tenir aucun compte de ce récit. Tout au plus pourrait-on en conclure que les tribus et les phratries avaient parfois la disposition des patrimoines qu’elles avaient recueilli à défaut de parents, comme cela existait à Rome au profit des gentes et des curies et probablement aussi à Athènes, dans le but d’empêcher, dans tous les cas, l’extinction des sacrifices privés.

La transmission successorale était fondée sur la loi et la parenté, nullement sur la libre volonté du propriétaire. C’était un principe commun à tous les États constitués de cette sorte. Aristote le formule en ces termes : Dans l’oligarchie, il importe que les héritages ne soient pas transmis selon la libre volonté, mais qu’ils le soient toujours d’après la naissance. Il importe également qu’un même individu ne puisse pas réunir sur sa tête deux patrimoines. De cette façon les fortunes sont moins disproportionnées, et un plus grand nombre de citoyens pauvres peuvent parvenir à la richesse[12].

Tel était du reste le droit de toutes les cités grecques à l’époque de Lycurgue. Solon le premier introduisit dans une certaine limite le droit de tester à Athènes. A la longue il se propagea dans les autres États, mais il ne pénétra à Sparte que plus tard par une loi de l’éphore Épitadès. Le legs, la donation entre vifs à d’autres qu’à des successibles et le mariage des filles héritières en dehors de la famille étaient interdits au même titre que l’institution d’héritier, avec lequel ces modes de disposition avaient un rapport intime au point de vue du droit grec.

Les fils et leurs descendants moles excluaient complètement les filles, comme à Athènes et dons toutes les autres cités grecques.

Le droit d’aînesse existait-il à Sparte ? — Tous les érudits du dernier siècle et dans celui-ci, Manso, Otf. Müller, Thirlwall, Fustel de Coulanges soutiennent l’affirmative. Ce serait un trait fort original de la constitution de Sparte, car nous savons que le partage égal entre les enfants mâles était le droit commun de toutes les cités grecques, et qu’il existait en Crète comme à Athènes, ce qui exclut sur ce point toute idée d’opposition entre les institutions des Doriens et celles des Ioniens[13].

Pour établir l’existence du droit d’aînesse à Sparte, on n’a guères donné d’autre argument que la convenance de maintenir l’égalité des possessions foncières, ce qui est une pure pétition de principes , rien n’étant moins prouvé que cette égalité, Un passage assez obscur de Plutarque où Lycurgue est représenté comme étant d’avis qu’un seul enfant par famille est à désirer n’a aucun rapport à la question ; il ne peut avoir trait qu’aux pratiques limitatives de la population dont nous aurons à parler[14].

En regard de ces arguments tout à fait insignifiants, la preuve du partage égal ressort d’un passage très net de Plutarque, et surtout de ce fait qu’Aristote après avoir, dans le livre II de sa Politique, constate que le partage égal était le droit commun de toutes les cités grecques, traite immédiatement de la constitution de la propriété à Sparte, sans rien dire de spécial sur les lois de succession[15].

On doit cependant admettre que des coutumes particulières avaient survécu dans certaines familles de Sparte comme à Athènes, où quelques sacerdoces restèrent jusqu’à la fin l’apanage de plusieurs familles anciennes, et comme à Rome pour le principat de la gens. Dans les États de la Grèce, où le gouvernement traditionnel des Eupatrides s’était maintenu, une sorte de droit d’aînesse existait dans les familles des chefs : Aristote indique qu’il en était ainsi dans ces oligarchies qu’il appelle dynastiques, et voici ce qu’il dit à propos de quelques-uns de ces gouvernements : A Marseille, à Istros, à Héraclée et dans plusieurs autres États, ceux qui étaient exclus du gouvernement s’agitèrent jusqu’à ce qu’ils eussent obtenu la jouissance simultanée du pouvoir : d’abord pour le père et l’aîné des frères, ensuite pour tous les frères plus jeunes[16]. Il ne s’agit là que d’un droit d’aînesse politique, et ce passage même montre comment il disparut à Marseille quand la constitution d’oligarchique devint aristocratique au sens propre du mot[17]. Or c’est une révolution de ce genre que Lycurgue avait accomplie à Sparte.

Le droit d’aînesse ne pouvait donc subsister à Sparte que dans la limite très restreinte où les anciennes races (γενη) avaient retenu leur organisation propre. Les rois n’étaient rois qu’en tant que chefs des deux premières races d’Héraclides, et c’est le même droit de ces races qui régissait la succession[18]. Il devait en être de même pour quelques autres γενη qui avaient conservé une existence distincte, comme les Thaltybiades qui remplissaient héréditairement les fonctions de hérauts publics, comme les Égides et quelques autres peut-être qui ne nous sont pas connus[19]. Du reste la persistance de certains droits particuliers propres à des γενη n’est pas spéciale à Sparte. Quelque chose de semblable existait à Athènes et même à Rome[20].

En constatant l’existence du partage égal entre les enfants mâles comme droit commun pour les familles de condition ordinaire, il faut se garder de l’isoler des institutions au milieu desquelles il fonctionnait et notamment du grand principe de la co-propriété de la famille qui se traduisait par des règlements fort énergiques sur les filles héritières et par l’interdiction d’aliéner, de disposer à quelque titre que ce soit.

Au milieu de semblables institutions, le droit des fils à un partage égal avait des effets économiques tout à fait différents de ceux du partage forcé dans la législation civile française. Tout rapprochement est illusoire, et si l’on voulait absolument trouver un similaire quelconque au régime domestique des Grecs, nous le chercherions plus tôt dans nos coutumes du centre de la fiance d’origine celtique.

Des communautés entre frères. — Elles étaient très usitées dans les anciens temps, Le patrimoine ne se divisait pas. Tous- les enfants restaient groupés au même foyer. Un des frères, le plus capable et le plus souvent l’aîné à cause du privilège religieux de sa naissance ; dirigeait la communauté et portait le nom expressif d’εςτιο παμων, le conservateur du foyer. Plutarque, dans son Traité sur l’amour fraternel, indique que ces communautés jouaient un rôle très important dans l’ancien état social des peuples grecs. Elles étaient vraisemblablement le pivot de l’organisation de la famille. Le partage entre les enfants ne devait se produire qu’à titre d’exception. Avec le cours du temps, cette situation fut renversée mais alors le principe du partage forcé se trouva en contradiction avec les autres institutions qui toutes avaient pour objet la conservation du patrimoine dans la famille. De là cette incohérence du droit grec que Cicéron signalait, en la comparant au régime romain fondé sur l’institution testamentaire d’un héritier.

Nous connaissons avec certitude l’existence de semblables communautés dans la grande Grèce, en Crète et à Athènes où elles étaient encore fréquentes à l’époque des orateurs classiques, c’est-à-dire au IVe siècle[21]. A Sparte, dit Polybe d’après Timée, elles étaient très usitées, et l’on voyait même souvent tous les frères se contenter entre eux d’une seule femme. Les enfants issus de ces singuliers mariages étaient communs à tous[22]. Les membres de ces communautés payaient évidemment, les uns pour les autres, la quote-part aux syssities. — Des communautés aussi intimes n’avaient pas seulement pour effet d’empêcher la division du patrimoine paternel, mais encore de limiter la population et d’empêcher des descendants trop nombreux de perdre leurs droits de cité par l’impossibilité où ils se seraient trouvés de figurer aux repas publics.

Des Mothaces. — Dans les familles pauvres qui ne recouraient pas à ces moyens, les parents avaient la ressource de placer quelques-uns de leurs enfants auprès de personnages puissants qui les élevaient avec les leurs et plus tard les conservaient auprès d’eux à titre de clients. Mothones, mothaces, tel était le nom de cette sorte d’écuyers ou de valets. Leur condition n’avait rien de déshonorant, et quoique l’exercice de leurs droits politiques fut suspendu, ils n’en pouvaient pas moins plus tard parvenir aux plus hauts honneurs. Gylippe, Callicratès, Lysandre lui-même quoique du sang des Héraclides, avaient été mothaces dans leur jeunesse[23].

C’est par une erreur évidente que deux lexicographes anciens ont présenté les mothaces comme des esclaves. Les témoignages que nous venons de citer démontrent la fausseté de cette opinion[24].

Dispositions sur les filles héritières et sur les successions collatérales. — Ces deux ordres de successions qui pour nous sont essentiellement distincts, ne sont qu’une seule et même chose dans le droit grec ; c’est là que le principe de la copropriété de la famille s’accuse de la façon la plus originale.

Le droit hellénique n’admettait pas que les filles fussent aptes à hériter et à continuer la maison par elles-mêmes ; mais leur sort et la conservation de la famille étaient assurés par une disposition législative qui prenait sa source dans les idées religieuses les plus enracinées et qui obligeait leurs plus proches parents jusqu’à un certain degré (celui de cousin issu de germain, οι εν αγχιστεια) à les épouser ou à les doter, encore qu’elles fussent pauvres. Le parent déjà marié n’était pas dispensé de cette obligation et il était obligé de divorcer pour épouser sa parente, s’il n’aimait mieux perdre l’héritage. Réciproquement il avait le droit d’épouser la tille héritière même malgré elle et de la revendiquer en justice avec l’héritage ; le mariage qu’elle aurait contracté précédemment était en ce cas nécessairement dissous.

La fille appelée ainsi à continuer la maison s’appelait en dialecte ionien επιxληροσ, en dorien επιπαματις, littéralement qui est jointe au patrimoine : pour traduire exactement au lieu de fille héritière il faudrait dire fille héréditaire.

Le fils né de cette union, une fois arrivé à l’âge d’homme, était mis en possession des biens de son grand-père maternel auquel il était censé succéder directement, et il devenait en même temps le tuteur de sa propre mère. Quand plusieurs enfants naissaient de ce mariage, on s’arrangeait pour que l’un eût l’héritage et le nom de son grand-père paternel, l’autre l’héritage et le nom de son grand-père maternel, de façon à ce qu’autant que possible chaque famille continua à avoir une existence distincte ; on peut voir plusieurs de ces curieux arrangements de famille rapportés par Démosthène dans les discours contre Macartatus et contre Léocharès.

Ce droit existait à Sparte dans toute sa rigueur et l’on trouve notamment dans les auteurs anciens de nombreux exemples de neveux épousant leurs tantes[25].

Si le principe général du droit en cette matière ôtait lé même à Sparte qu’à Athènes, il est impossible de savoir si les applications de détail en étaient réglementées identiquement.

Aristote constate que l’exercice du droit des parents sur les filles héritières avait été une cause de révolution dans beaucoup de cités, et le poète de Mégare, Théognis, indique dans ses élégies que souvent les parents riches se refusaient à accomplir leur devoir envers les filles pauvres[26].

Dans le droit attique, les parents maternels, à défaut de parents paternels jusqu’au degré de cousins issus de germains, avaient le droit de succéder et par voie de conséquence de réclamer le mariage des filles héritières. En était-il de même à Sparte, ou bien les principes anciens sur la transmission du sang exclusivement par les mâles y étaient-ils demeurés en vigueur ? C’est là une question impossible à résoudre pour nous[27].

A Athènes encore, au cas où le de cujus laissait plusieurs filles sans avoir adopté le mari d’aucune d’elles, chacune était héritière pour la part et le droit de revendication et de mariage des parents s’exerçait sur chacune d’elles. Il n’y a pas de raison pour croire qu’à Sparte il en fut autrement et que la fille aînée eût un privilège que nous ne reconnaissons pas au premier né des garçons[28]. Dans le cas de filles pauvres, il suffisait aux parents d’en doter et d’en marier une seule dont la descendance continuait la famille.

Hérodote nous apprend que les causes relatives au mariage des filles héritières que leur père n’avait pas fiancées étaient du petit nombre de celles réservées à la juridiction royale[29]. Il ne faut pas entendre par là, comme Barthélemy et Thirlwall, que les rois eussent le droit de désigner un mari aux filles héritières. Ils étaient seulement juges de la revendication que le plus proche parent devait faire de l’héritage et de la fille et tranchaient les questions soit de droit soit de fait qui s’élevaient à l’occasion des rapports d’αγχιστεια. C’était une juridiction semblable à celle qu’avait à Athènes l’archonte éponyme[30].

Selon Hérodote, les rois prononçaient quand le père n’avait pas marié ou fiancé sa fille. Faut-il admettre que le père qui n’avait que des tilles est toute liberté pour leur choisir un époux ? Aristote nous dit qu’il en était ainsi, mais dans ce passage il joint cette faculté avec celle de faire des dons et des legs[31], ce qui doit nous faire admettre qu’avant la loi d’Épitadès le père de famille n’avait vraisemblablement pas cette faculté. Nous voyons qu’à Athènes le mariage de la fille héréditaire n’était pas respecté si elle n’avait pas épousé précisément un de ses Le père n’avait d’autre ressource que d’adopter son gendre. Il devait en être de même à Sparte ; seule ment l’adoption était soumise au contrôlé des parents intéressés, ce qui gênait singulièrement la liberté d’adopter.

Du reste, s’il en était à Sparte comme à Athènes, le père pouvait choisir dans l’αγχιστεια le parent qui lui convenait le mieux, et il arrivait aussi que, quand le père mourait sans avoir marié sa fille, le parent plus proche qu’il laissait pour héritier n’épousait pas lui-même la fille, mais la mariait à un parent du degré suivant ; il devait y avoir des arrangements de famille qui tempéraient la rigueur du droit[32]. Les mariages dans l’intérieur de la famille, même quand il ne s’agissait pas de filles héréditaires, étaient fort usités é Sparte. Nous en connaissons un exemple qui date du temps des Antonins ; ce fut un des traits les plus persistants des mœurs grecques[33] et qui ne disparut qu’et la longue sous l’action du Christianisme.

Les mariages entre frères et sœurs étaient autorisés par ces mœurs ; Solon avait défendu ceux entre frères et sœurs utérins pour éviter la confusion de deux patrimoines, mais il avait encouragé ceux entre frères et sœurs consanguins pour faciliter la conservation du patrimoine paternel. D’après Philon, une disposition toute contraire existait à Sparte ; le mariage entre frères et sœurs consanguins était prohibé, celui entre frères et sœurs utérins permis[34]. Était-ce par des considérations d’honnêteté ou d’hygiène, il est difficile de le savoir.

En ce qui touche la portée économique de la loi, il suffit de faire remarquer que la conservation du patrimoine dans la famille n’en souffrait pas, car de deux choses l’une, ou bien la fille qui épousait son frère utérin avait des frères consanguins, et alors elle ne prenait aucune part au patrimoine paternel, puisque la législation de Sparte à la différence de celle d’Athènes prohibait les dots ou à peu près : ou bien elle n’avait pas de frères consanguins, et alors étant fille héritière elle ne pouvait épouser son frère utérin qu’autant que ses proches parents paternels ne faisaient pas valoir leurs droits à l’épouser[35].

La tutelle des orphelins était considérée comme une charge corrélative de la vocation successorale des collatéraux et était déférée dans le même ordre.

§ III - De l’adoption et de quelques autres moyens de conserver la famille.

Chez tous les peuples de l’antiquité qui attachaient un haut intérêt religieux à la perpétuité de la famille, l’adoption a été un moyen de suppléer aux défaillances de la fécondité naturelle. Le droit de Sparte l’admettait, en exigeant seulement qu’elle eut lieu par-devant les rois[36] qui l’autorisaient ou la rejetaient, en vertu de leur haute juridiction religieuse. L’adoption dans le droit grec n’était pas, comme l’adoptio proprement dite des Romains, une simple transmission de puissance paternelle, un acte exclusivement ressortissent du droit privé ; la puissance paternelle dans le sens romain n’existait pas chez les Grecs ; l’individu adopté avait toujours un statut propre. Aussi l’adoption était chez eux un acte public et qui était soumis à des formes analogues à celles de l’arrogatio du droit romain qui avait lieu par-devant les curies et les pontifes. L’intervention du roi avait pour objet de sauvegarder l’honnêteté publique et surtout les droits des familles : ainsi l’homme qui avait des descendants mâles ne pouvait pas adopter ; celui qui avait une fille le pouvait, mais à la condition que le fils adoptif épousât sa fille, et en ce cas les proches parents dont les droits souffraient de cette union étaient admis à y faire opposition. Le roi n’aurait certainement pas permis l’adoption d’un homme, qui eut été unique héritier dans sa famille, car cela aurait amené la confusion des deux patrimoines ou l’extinction des sacrifices d’une race.

O. Müller a exprimé parfaitement les idées qui régnaient à Sparte comme dans tout le monde helléno-pélasgique sur cette matière : La conservation des maisons était ordonnée par la religion indépendamment de l’économie politique. Rien n’était plus terrible pour les Grecs de l’ancien temps que la destruction de la famille, la solitude de la maison par laquelle le mort perdait ses honneurs religieux, les dieux de la race leurs sacrifices, le foyer la flamme, les ancêtres leur nom parmi les vivants[37].

Ces croyances remontent en Grèce à la plus haute antiquité et elles ont été comme le principe générateur de toutes les coutumes qui régissaient la famille et la propriété. Chez les Romains elles sont aussi la base d’une partie très importante de leurs institutions, de celles précisément qui leur sont communes avec les Grecs. Il y a plus, ces croyances se retrouvent, et cette fois parfaitement systématisées, chez les Aryas de l’Inde. La théorie des sacrifices privés, qui joue un si grand rôle dans le droit de succession d’Athènes et de Rome, est exposée avec tous ses ; détails dans la loi de genou, le plus ancien monument du’ droit brahmanique. En présence d’une concordance aussi frappante en une matière qui est le point central des institutions civiles, on est forcé de reconnaître que ces croyances existaient déjà chez les Aryas avant leur dispersion, à l’époque on leurs, tribus étaient réunies dans l’Asie Centrale, car toute transmission postérieure est évidemment inadmissible. C’est ainsi que l’histoire comparée du droit vient apporter de nouvelles preuves à la communauté d’origine des peuples qui ont représenté à son plus haut degré le développement humain de la civilisation[38].

L’exclusion des filles par les descendants mêles, la façon à défaut de ceux-ci dont le patrimoine repose sur la tête des filles pour passer ensuite sur celle du fils qui naîtra d’elle et qui sera regardé comme le successeur immédiat et le fils de son grand-père maternel, tout cela est une conséquence du principe que les mânes (PÎTRIS) ne peuvent être valablement honorés que par les sacrifices offerts par leurs descendants, que le patrimoine doit toujours être joint au sang, enfin que le sang se transmet principalement par les mâles. Puis à côté de cela une série de procédés artificiels, de fictions religieuses, comme l’adoption pour suppléer au défaut de fécondité dams la race, car avant tout il faut prévenir l’extinction des sacrifices domestiques qui priverait les mènes de leurs honneurs divins, — toutes ces choses qui ne se retrouvent dans le droit romain et dans le droit grec que d’une façon fragmentaire, remplissent de leurs développements la loi de Manou[39].

Nous allons rencontrer bien, de traces de cette concordance dans l’examen des pratiques qui à Sparte étaient employées pour prévenir l’extinction de la famille.

Dans toute la Grèce, le célibat était flétri, et les législateurs y avaient attaché certaines peines quand la religion n’avait plus su1Tl. A Sparte le célibataire était en butte à toutes les dérisions. Les mariages tardifs ou mal assortis au point de vue de la procréation des enfants étaient frappés de peines touchant à la considération publique[40].

Si le mariage était stérile par le fait de la femme, le mari était obligé de la répudier, car en la conservant il eût commis une impiété envers les mânes. L’histoire de Carvilius Ruga nous montre que les Romains ne pensaient pas autrement que les Aryas de l’Inde sur ce point : en Grèce dans la cérémonie du mariage figurait aussi la formule παιδων επ'αροτω γνησιοιν et plusieurs histoires montrent cette obligation religieuse rigoureusement sanctionnée à Sparte[41].

Dans le cas où le mariage est stérile par l’impuissance du mari, la loi de Manou autorise les proches parents par les mâles du mari, ses sapindas (à peu près les αγχιστεισ du droit grec), à s’approcher d’elle et à lui procréer un fils, mais rien qu’un ou tout au plus un second enfant, selon les interprètes. De minutieuses précautions religieuses sont prises pour écarter toute luxure de l’accomplissement de ce devoir envers les mânes. De mène, si le mari est décédé sans enfants, les proches parents, les frères surtout, sont invités à lui susciter une postérité, sans pour cela épouser sa veuve comme dans le lévirat hébraïque[42].

A Athènes, Solon avait règlementé une pratique toute semblable, seulement il ne s’agissait que de la femme qui était une fille héréditaire parce que dans les autres cas il n’y avait pas le même intérêt à assurer une postérité au mariage[43].

Nous voyons une chose semblable à Sparte dans cette coutume rapportée par Polybe, à savoir que souvent des frères se contentaient d’une seule femme, C’est tout à fait l’esprit de lit loi de Manou qui dit que quand l’un de plusieurs frères a un fils, c’est comme si tous en avaient un et que par conséquent dans ce cas l’adoption n’est pas possible[44].

Mais il y avait à Sparte encore d’autres pratiques qui excitaient l’étonnement des écrivains classiques : Lycurgue, dit Xénophon[45], voulut que les mariages fussent assortis sous le rapport de l’âge, mais s’il était arrivé qu’un vieillard eût épousé une jeune femme, il permit à ce vieillard d’amener à sa femme un homme jeune et doué de toutes les bonnes qualités physiques et morales pour lui procréer un fils. Si d’autre part, un homme éprouvait de l’éloignement pour sa femme et cependant désirait des enfants, la loi lui permettait d’en avoir de la femme d’un autre avec le consentement de son mari. Lycurgue fit beaucoup de concessions de ce genre aux époux. Les femmes soutiennent ainsi deux maisons et leurs maris donnent à leurs enfants des frères qui sont élevés avec eux mais qui ne partagent cependant pas le patrimoine de la famille.

Les historiens classiques et à leur suite les érudits modernes n’ont vu dans ces récits qu’une singularité remarquable de mœurs, tout au plus ont-ils admiré la façon dont Lycurgue avait su étouffer la passion de la jalousie dans sa république.

Il est difficile cependant d’admettre que les relations conjugales aient été conçues à Sparte à un point de vue qui serait unique dans l’histoire des races helléniques, alors que toutes les institutions du droit privé ont une si étroite analogie avec celles d’Athènes et des autres cités grecques.

M. Bachofen a voulu rattacher ces récits à un principe général, à sa théorie du droit maternel et de la gynécocratie qui selon lui a été la première forme de la vie sociale et domestique dans l’ancien monde. Ces libertés conjugales seraient un reste de cet hétaïrisme de la femme qui aurait été le plus ancien état moral des populations grecques ; Lycurgue, représentant des traditions orphiques, l’aurait consacré dans sa législation[46]. Sans entrer ici dans l’examen du système de M. Bachofen, nous ferons remarquer que les quelques cités grecques dans les institutions desquelles on retrouve des traces de gynécocratie correspondent aux établissements des Cariens, des Léléges et autres peuples de race non aryenne qui ont les premiers occupé l’occident, tandis que les peuples de souche aryenne et notamment les Pelasges-Hellenes n’ont jamais connu ni l’hétaïrisme de la femme ni la gynécocratie[47].

Quant à ces libertés dans les rapports des sexes, si on admettait qu’elles étaient absolument sans règles et ne se rattachaient pas à un principe de droit, on aurait beaucoup de peine à comprendre comment avec cela les Spartiates avaient des idées si sévères sur la pudeur des filles et sur la loi du mariage. L’adultère passait pour à peu près inconnu chez eux[48].

Il y a beaucoup plus de vraisemblance à rattacher ces usages aux anciennes pratiques des Aryâs, qui appelaient les proches parents à suppléer à l’impuissance du mari. Nous, convenons cependant que de deux choses l’une : ou bien les historiens classiques ont méconnu la haute origine de ces pratiques, ou bien réellement elles avaient de leur temps dégénéré en une complète licence.

Xénophon indique que cette pratique avait lieu dans le cas d’un vieillard qui avait épousé une femme jeune. Or comme d’autre part nous savons qu’un pareil mariage tombait sous le coup d’un jugement public (Ίοψιγαμον διxη), il faut supposer que ce vieillard était un αχχεστευς qui avait épousé sa jeune parente pour satisfaire aux devoirs de famille. On conçoit très bien que dans ce cas la religion des Mânes ordonnât d’assurer la perpétuité de la race par l’union avec un autre parent, comme dans la loi d’Athènes. Le mariage dans l’αχχεστεια n’aurait plus eu aucun sens, si ensuite la femme avait été libre de concevoir des enfants d’un citoyen étranger à la famille.

Autre indice : — Le seul exemple de ces mœurs que nous connaissions est celui des amours de la belle Chilonis, épouse de Cléonyme, avec le jeune et vaillant Acrotatus, fils du roi Areus. Leurs relations avaient l’approbation publique, et dans une circonstance où ce jeune prince s’était distingué, les vieillards l’acclamaient en lui disant : Jouis de ta Chilonis et enfantes à Sparte de vaillants enfants ! Or Cléonyme avait épousé Chilonis dans sa vieillesse et ne pouvait pas lui donner d’enfants ; Agrotatus était le petit neveu de Cléonyme son plus proche αγχεςτευς, et c’est à lui que Chilonis devait s’unir pour perpétuer la race[49]. Ce n’étaient pas là des amours illicites.

Des Epeunactes. — L’historien Théopompe dans un fragment conservé par Athénée, raconte que pendant les guerres de Messénie les Spartiates, ayant perdu beaucoup de citoyens, affranchirent des Hilotes qui s’unirent avec les veuves des citoyens et leur suscitèrent une postérité. Les enfants issus de ces unions prirent le nom d’Epeunactes, ainsi que les Hilotes affranchis à cette occasion. O. Müller voit avec beaucoup de raison dans ce fait un exemple des pratiques auxquelles recouraient les anciens pour perpétuer les familles. Dans l’histoire des Locriens il y avait une légende fort analogue à celle-ci. Nous comprendrions beaucoup mieux le sens de ce récit si au lieu d’Hilotes employés à suppléer les maîtres de maison morts, on suppose que ce sont des esclaves domestiques. Les récits de Polybe et de Justin sur ce fait autorisent fort bien cette substitution. Dans la légende locrienne, ce sont des esclaves qui s’unissent aux filles des nobles familles ; puis, dans les idées des anciens, les esclaves faisaient jusqu’à un certain point partie de la famille dans laquelle la vieille religion leur donnait des droits, tandis qu’entre les Hilotes et les citoyens il n’y avait aucune communion du droit domestique et civil[50].

§ IV - De la filiation, du mariage et de la condition des femmes.

Filiation et paternité. — La puissance paternelle n’a jamais eue en Grèce l’étendue et la rigueur qu’elle avait a Rome, Cirez les Spartiates elle était surtout restreinte par les droits que l’État s’arrogeait sur la famille et sur l’éducation des enfants. L’État allait même jusqu’à ne pas permettre au père de conserver des enfants difformes : Le père devait avoir ce droit de malédiction solennelle qui existait chez tous les peuples grecs (απορρησις, αποxηρυξις, abdicatio liberum), mais nous n’en avons pas d’exemples pour Sparte. Il prononçait souverainement sur la légitimité de l’enfant en le présentant au foyer domestique le dixième jour après sa naissance. Ce. n’était que dans des cas où le sentiment du père ne s’était pas manifesté clairement et où d’ailleurs la succession au trône était intéressée, que l’assemblée du peuple jugeait ce que nous appelons des questions d’État[51].

Quant aux enfants nés hors mariage, ils étaient exclus complètement de la famille, de ses cérémonies religieuses et de toute succession aux biens. Aussi à Sparte comme dans tous les États grecs, quand, les gens de cette condition devenaient trop nombreux, ils créaient de sérieuses difficultés au gouvernement. C’est ce qui arriva notamment après les guerres dé Messénie où le nombre des enfants nés hors mariage s’était fort multiplié[52].

L’expression de παρθενιοι s’appliquait plus spécialement aux enfants nés d’un citoyen et d’une citoyenne hors mariage, celle de νοθοι aux enfants nés de personnes d’un statut différent, d’un citoyen et d’une périœque ou d’une hâte, avec laquelle la loi ne permettait pas de mariage. La fréquence de pareilles unions n’était pas une des moindres plaies sociales des cités antiques fondées toutes sur des privilèges étroits, contre lesquels la nature se révoltait : c’est à elles qu’il faut attribuer le grand nombre des bâtards que l’on voit mentionné au temps d’Agésilas et qui était de beaucoup supérieur à celui des citoyens[53].

Condition des femmes. - A l’époque classique les mœurs domestiques de Sparte faisaient un très grand contraste avec celles des autres cités ! Tandis qu’à Athènes la jeune fille et l’épouse étaient enfermées dans le Gynécée et que tous les prestiges de l’amour étaient réservés aux Hétaires, à Sparte, les jeunes filles jouissaient d’une très grande liberté. Une fois mariées, quoique astreintes par les mœurs à un costume plus sévère, elles ne laissaient pas d’exercer une influence très grande dans le cercle de la famille, et même de se mêler fréquemment aux affaires publiques. Plusieurs anciens croyaient que Lycurgue avait institua une discipline particulière aux femmes, mais Aristote démontrait la fausseté de cette opinion par de fort bonnes raisons[54]. Les femmes à Sparte avaient la même situation que celle que nous leur voyons dans les poèmes homériques ; à Athènes, par suite de la corruption des mœurs ; elles avaient été peu à peu réduites au genre de vie que les Asiatiques imposent aux femmes ; mais à Sparte l’esprit et les vertus antiques s’étaient plus longtemps conservés et avaient sauvegardé leur liberté jusqu’à une époque où le courant général des mœurs devait la faire dégénérer en licence[55].

Il n’y a rien de spécial dans les institutions de Sparte quant aux cérémonies de mariage ; on y retrouve là promesse du père εγγυήσις, la πομπη ou conduite dans la maison du mari, la simulation d’un enlèvement comme à Athènes[56].

Comme à Athènes encore le mari avait le droit de répudier arbitrairement sa femme[57].

Quoique, d’après le droit religieux, la femme entrât dans les sacrifices et la famille de son mari[58], nous voyons qu’à Sparte, au moins dans les derniers temps, elle rentrait après son veuvage dans sa propre famille. Loin d’être vus avec défaveur, les seconds mariages des veuves étaient encouragés par l’opinion[59], mais il faut probablement ici distinguer entre les temps[60]. Cette distinction est surtout nécessaire quand il s’agit des effets du mariage relativement aux biens.

L’ancienne législation voulait que les femmes se mariassent sans dot[61] ou au moins avec une dot très minime. Le but de cette disposition était de conserver la patrimoine des familles entre les mains des mâles ; on la retrouve dans la plus part des législations anciennes, surtout dans celles des États aristocratiques. Du reste dans les récits homériques les femmes se marient généralement sans dot : cette institution n’apparaît que dans des civilisations avancées.

A la prohibition de la dot se liaient des lois somptuaires qui avaient principalement trait aux femmes. Les lois de Marseille notamment, en même temps qu’elles fixaient un maximum aux dots, en fixaient aussi un à ce trousseau ou à ce pécule des femmes indépendant de la dot dont elles avaient l’usage propre[62]. Dans beaucoup de cités, il y avait des magistrats chargés de veiller aux mœurs des femmes et à leur luxe. A Sparte ils portaient le nom d’Αρμοσυνοι[63]. Aristote fait remarquer que ces magistratures sont propres aux États aristocratiques : que dans les oligarchies on ne peut songer à limiter le luxe des femmes de grande famille et que dans la démocratie les femmes travaillant au dehors ne peuvent être l’objet d’aucune surveillance, Cette remarque jette un grand jour sur le caractère particulier des gouvernements aristocratiques : on y voit le soin jaloux pris pour établir une certaine égalité sociale extérieure entre les membres de l’aristocratie et en même temps un exemple des mesures employées pour maintenir intact le patrimoine des familles, qui n’acquéraient aucune richesse nouvelle par le travail.

Les femmes spartiates abandonnaient les soins domestiques aux esclaves ; filer la laine était regardé par elles comme une occupation servile : avec de pareils principes il était impossible que de grandes habitudes de luxe ne s’introduisissent pas chez elles quand les richesses affluèrent à Sparte après sa brillante hégémonie. M. Grote voit avec beaucoup de sagacité dans ce fait l’explication du reproche de cupidité fait par tous les anciens aux Spartiates, alors qu’une discipline si sévère était imposée aux hommes : cette cupidité, selon lui, était sans cesse excitée par la nécessité de pourvoir au luxe de leurs femmes. Il y a plus : celles-ci qui disposaient du travail de nombreux esclaves avaient là une source de richesses nouvelles, tandis que les hommes n’en avaient aucune : ainsi s’expliquerait jusqu’à un certain point la fortune des femmes à Sparte et leur influence politique, qui à partir du IVe siècle se manifesta d’une façon marquante dans les agitations de l’État[64].

O. Müller s’appuie sur le récit de Plutarque d’après lequel les lots de terre devaient rapporter à chaque Spartiate 70 médimnes d’orge pour lui et 12 pour se femme, pour supposer qu’elles avaient sur les biens de leur mari, une assignation de douaire. Mais comme ce renseignement ne se retrouve dans aucun autre auteur ancien, il pourrait se faire qu’il ne remontât pas plus haut qu’à la légende falsifiée de Sphœros et se rapportât par conséquent seulement à l’état social du temps où vivait ce sophiste. Or à cette époque les femmes avaient de grandes richesses et les deux cinquièmes du territoire leur appartenaient[65]. Quelles étaient les limites de leur capacité civile ; n’est ce qu’il est difficile de déterminer ; mais il est évident qu’elle devait être fort large. En l’absence de toute législation écrite, l’action incessante des mœurs avait pu transformer complètement les anciennes coutumes.

§ V. - Des règlements sur la population et de la colonisation de Sparte.

Les législateurs anciens, surtout ceux des États aristocratiques où le travail était déshonorant pour la classe dominante, avaient compris toute l’importance du problème économique de la population. Ceux qui voulaient que le nombre des lots de terre et des familles demeurât toujours le même devaient évidemment redouter par dessus tout un excédant de naissances. Aussi les législateurs de Thèbes et de la Crète avaient-ils pris des mesures pour empêcher cet excédant ; c’était la réclusion des femmes, les mariages tardifs, l’avortement, les amours contre nature : Platon et Aristote, qui ont parfaitement apprécié l’importance du mouvement de la population au point de vue économique, approuvent généralement ces pratiques[66].

Mais par une juste revanche de la nature offensée, les peuples qui limitent la fécondité du mariage voient bientôt tarir les sources de la vie. Il en était déjà ainsi en Grèce au temps d’Aristote où le nombre des naissances égalait à peine celui des décès[67]. A Sparte la diminution du nombre des citoyens était déjà un péril pour l’Étal puisque des privilèges étaient accordés aux citoyens qui avaient trois ou quatre enfants et qu’on n’envoyait pas à la guerre ceux qui n’avaient pas encore de postérité[68].

Il est peu probable que ces lois remontassent à Lycurgue. Il nous est difficile de pénétrer quel avait été son sentiment dans la question de la population. La loi qui fixait l’age du mariage à 30 ans pour les hommes et à 25 ans pour les femmes était dictée par des considérations assez exactes au point de vue de l’hygiène, sinon de la morale[69]. A côté de cela on trouve à Sparte des traces incontestables de coutumes limitatives de la population.

. C’est ici le cas de rappeler ce fragment de Plutarque où Lycurgue est mis au nombre des législateurs qui ont pensé qu’il était meilleur de ne laisser qu’un enfant pour héritier. C’est bien à ce but que tendait cette coutume rapportée par Timée et Polybe ; de frères vivant ensemble et n’ayant qu’une femme pour eux tous. Quelques lignes plus bas, Polybe ajoute que ceux qui ont assez d’enfants prêtent leurs femmes à des amis. La loi qui subordonnait l’exercice des droits civiques au paiement d’une quote-part dans les Syssities, poussait inévitablement les citoyens à restreindre leur postérité pour éviter la déchéance de la famille[70].

Remarquez bien qu’il n’y a rien de contradictoire entre ces mesures limitatives de la fécondité et celles prises pour obliger les citoyens à se marier et à avoir des enfants : assurer la perpétuité de chaque maison et en même temps empêcher le démembrement du patrimoine, tel était l’équilibre que cherchaient à atteindre les législateurs des cités grecques.

Mais il faut tout dire : les vices contre nature étaient pratiqués à Sparte peut-être plus que partout ailleurs. Quoique aient dit là-dessus Xénophon et Plutarque, nous nous en tenons au jugement de Cicéron sur la moralité des amitiés spartiates[71] ; que le législateur eût spéculé sur les effets de ces désordres, comme à Thèbes et en Crète, ou que la corruption eût dépassé ses prévisions, le résultat n’en était pas moins une rapide diminution de la population.

De la colonisation de Sparte. — Quant aux moyens véritablement efficaces et moraux de prévenir les excédants de population, à savoir : le développement de l’industrie, l’accroissement de la fertilité des terres par l’augmentation du capital, et enfin la colonisation, les législateurs grecs n’en ont jamais tenu compte. La plupart flétrissaient le travail comme une occupation servile. Quant aux colonies, sauf certaines villes commerçantes, telles que Phocée, Smyrne, Milet, Marseille, dont les institutions ne nous sont malheureusement pas connues dans le détail et qui paraissent avoir eu un système suivi de colonisation, les autres cités grecques n’ont jamais considéré les colonies comme un moyen naturel et normal d’établir les citoyens devenus trop nombreux.

Aristote, dans son admirable Traité de la Politique, n’a aucune vue d’ensemble sur la colonisation et ne lui donne point de place dans son système de gouvernement ; il se borne à remarquer en passant qu’à Carthage l’aristocratie prévient les mouvements de la plèbe, en envoyant dans les colonies les citoyens pauvres[72].

M. Laurent, l’auteur de l’Histoire du droit des gens, a, selon nous, formulé un jugement très exact sur la colonisation grecque dans ces quelques lignes : A entendre Montesquieu, si les Grecs firent sans cesse des colonies, c’est qu’avec un petit territoire et une grande félicité le nombre des citoyens augmentait et devenait à charge aux républiques. L’histoire est loin de confirmer ce tableau idéal : ce ne fut pas un excès de bonheur qui poussa les Grecs à chercher une nouvelle patrie sur une terre étrangère, mais les malheurs de la conquête et des dissensions intestines[73].

Les historiens modernes énumèrent un certain nombre de colonies sorties de Sparte ; mois nous devons d’abord éliminer toutes celles antérieures au VIIIe siècle, notamment celles de la Crète et de l’île de Théra, qui se rattachent aux déplacements violents des populations causés par la conquête du Péloponnèse : ce sont des émigrations (αποινιαι) et non pas des colonisations[74].

Parmi les colonies proprement dites nous n’avons de données que sur celle de Tarente, fondée par les Parthéniens qui, après la guerre de Messénie, se trouvèrent sans patrimoine et sans position honorable dans la cité ; sur celle fondée par Dorieus, fils cadet du roi Anaxandrides, dont l’ambition suscitait des périls à l’État et à qui l’on persuada d’aller régner au loin ; enfin sur un établissement militaire fondé, au milieu de la guerre du Péloponnèse, à Trachinie en Thrace, et qui n’eut qu’une existence éphémère[75].

Dans toutes ces circonstances, l’envoi d’une colonie était la suite de commotions politiques qui obligeaient le parti vaincu à s’expatrier. En lisant les passages des anciens qui se rapportent à ces colonies, nous avons été frappé de voir combien était petit le nombre des citoyens spartiates qui en faisaient partie. Le chef de la colonie était toujours un Héraclide, et même tes autres peuples doriens qui voulaient fonder une colonie s’adressaient généralement à Sparte pour avoir un descendant d’Hercule qui reliât le culte de la nouvelle cité à la religion de la mère-patrie[76] ; mais la masse des colons étaient des Périœques, des Hilotes et même des Péloponnésiens de toute cité, ce qui nous confirme dans notre pensée que, dans toute l’antiquité grecque, la population s’est surtout accrue dans les classes inférieures, tandis que les races privilégiées allaient toujours en diminuant.

Les mêmes faits durent se produire dans la fondation de Selge, de Sagalonos et de Magnésie, colonies lacédémoniennes sur lesquelles nous n’avons que des mentions isolées.

 

 

 



[1] Voyage du jeune Anarcharsis, ch. 48, histoire des origines de la Grèce, ch. VIII, p. 232 de la traduction française. Parmi les ouvrages antérieurs nous citons, à titre de curiosité bibliographique, Crogius, De republica Lacedœmoniorum, lib. IV. Heidelberg, 1693, in-4°, Emmius Ubo, Lacædemona antiqua, Meursius, Miscellanea Laconica dans le Thesaurus antiquitatum græcarum.

[2] C’est la pensée de Ganz ; quand il présente le droit antique comme le type du droit grec, Das Erbrecht in weltgeschichtlicher enwickelung, Berlin, 4824, t. I, p. 284.

Les différences qui existaient dans les législations des cités grecques ne portaient guères que sur les formalités des contrats et sur les matières politiques. Cf. Dareste, notice sur le Traité des lois de Théophraste.

[3] Lycurgue, Apophtegmat. Laconica Lycurg. 8. Pausanias, 1. Aristote, qui n’avait pas des idées justes sur la valeur du droit traditionnel et coutumier, dit qu’à Sparte les magistrats jugeaient arbitrairement. Politique, II, c. VI, § 16, c. VII, § 6.

[4] Politique, II, c. VI, § 40, Cf. Plutarque, Laconic. Inst., 22. Ælien, Hist. var., XIV, 44.

[5] Héraclide de Pont dans le t. II des Fragments des historiens grecs de Didot, II, 7.

[6] V. Pictet, Les origines indo-européennes, Paris, 1883, t. II, p. 678.

[7] Ælien, XIV, 44. On comprend par là combien de temps il fallut aux anciens pour admettre la saisie du patrimoine pour dettes : la réduction en servitude du débiteur était à leurs yeux une chose bien moins grave. Sur ce fondement religieux du droit de propriété dans l’antiquité, v. M. Giraud, Recherches sur le droit de propriété chez les Romains, p. 69 et suiv. Fustel de Coulanges, la Cité antique, III, ch. VI.

[8] Aristote, Politique, II, ch. IV, § 4, VII, ch. II, § 5

[9] V. Niebuhr, Histoire romaine, trad. de Golbery, III, p. 373.

[10] V. l’édition de Schneidewin, publiée en 1847, et les Fragments des historiens grecs de Didot, t. II, p. 214, note 7.

[11] V. entre autres Xénophon, Gouvernement de Lacédémone, ch. I, in fine.

[12] Politique, VIII, ch. VII, § 12.

[13] Hésiode, Les travaux et les jours, v. 27-39, éd. Didot. Aristote, Politique, II, ch. III, § 6 ; VIII, ch. III, § 2. Homère, Odyssée, XIV, v. 200. Strabon, X, ch. IV, § 20.

[14] Plutarque, fr. XX, ex Commentar. in Hésiod., éd. Didot.

[15] Plutarque, ch. VIII, in fine. Aristote, Politique, II, ch. III, § 6.

[16] Aristote, Politique, VIII, ch. V, § 2.

[17] Strabon, IV, c. I, § 5, nous donne un tableau complet des institutions politiques de Marseille telles qu’elles existaient depuis cette révolution, il les qualifie justement d’αριστοxρατια, Aristote en donne à peu prés la même idée par le mot de πολιτέια (l. cit.).

[18] Ce caractère des rois de Sparte est très bien présenté par O. Müller, Die Dorier, II, p. 79 et 101.

[19] Sur les Thaltybiades, Hérodote VI, 80, VII, 134-137, Hesychius, v° θεοxηρυxεσ. O. Militer, Die Dorier, II, p. 30. Sur les Égides, Hérodote, IV, 149. Pindare, 5e pythique.

[20] Sur l’existence des droits coutumiers de certains γενη pour Athènes. V. Démosthène, in Neœnam, c. 104, décret de naturalisation des Platéens, Isée, de Appolodori hered., §§ 15, 16, de Ciron heredit., § 19. Grote, Histoire de la Grèce, t. IV, ch. III (trad. française), Pour Rome ; Cicéron, Lois, II, c. 22 ; Tite-Live, VI, c. 20 ; Jhering, Geist des Romischen Rechts, § 14, die Gens, St Jérôme, Epistola, 47, ad Furiam.

[21] V. Pollux, Onomasticon, X, segm. 20, éd. d’Amsterdam, 1706, et I, segm. 75. Hesychius, v° παεοται. V. sur ces deux lexicographes les notes de tous les commentateurs. Pour la Crète et la Grande Grèce, Aristote, Politique, I, ch. I, § 6. Pour Athènes, Harpocration, v° Κοινωνιxοι, et le texte d’Isée qu’il rapporte, Démosthène, In Euvergum et Mnesibut., c. 34. Adver. Leocharem, c. 10, in Stephanum, § 70 — Cf. Plutarque, de Fraterno. amor., I et VIII.

[22] Polybe, XII, De timœo historico, c. VI, § 8, édit. Didot.

[23] Ælien, Hist. variées, XII, c. 43. Phylarq. dans Athénée, VI, c. 20. Plutarque, Cléomène, c. VIII ; Lysandre, c. II. Grote, Histoire de la Grèce (t. III, c. VI, trad. française). Cet auteur avance que parfois des citoyens pauvres étaient établis comme Périœques dans des municipes conquis. Il est évident que ces Spartiates auraient alors perdu leurs droits de citoyens, mais il n’y a aucun texte qui mentionne de pareils établissements.

[24] Hiesychius, Suidas et Etymol. magn., v° μοθωνες. Cf. O. Müller, t. II, p. 45.

[25] Hérodote, VI, 71, VII, 204-205. Plutarque, Agis, 11 et 17, et Lysandre, 80. V. O. Müller, Die Dorier, II, p. 196 à 200.

[26] Aristote, Politique, VIII, c. III, § 3 et suiv. v. V, § 10. Théognis, v. 180 à 195 et 1112. Cf. Hérodote, V, 92.

[27] Diodore de Sicile, XII, c. 14, à propos des lois de Charondas à Thurium, indique très nettement que dans le droit commun de la Grèce, les parents par la mère étalent absolument exclus de la succession. Ganz a, en passant, émis l’idée que le droit qui leur est reconnu par la législation athénienne est une innovation. (Das Erbrecht, t. I, p. 376). Parmi les exemples de succession collatérale à Sparte, nous n’en connaissons aucun au profit des parents par les femmes. En dehors de là, il y a dans la vie d’Agésilas un fait qui indique la place que ces parents avaient dans la famille (Plutarque, Agésilas, 3).

[28] Isée, Hérédité d’Appolodore, § 20, et Hérédité de Philoctemon, § 46. M. Bachofen, Das Mutterrecht, eine untersuchung ueber die gynaicokratie der alten welt (4 vol. in-4°, Stuttgart, 1861), insinue que la fille πρωτογονοσ avait un privilège à Sparte, p. 397. — Les divers passages qu’il invoque p. 194, 355, 397, ne nous paraissent pas établir l’existence de ce droit dans l’antiquité. Un autre témoignage qu’il ne cite pas et qui est plus direct (Valère Maxime, t. II, c. VI, § 8), ne nous paraît pas non plus concluant.

[29] Hérodote, VI, c. 57. Cf. Plutarque, Lysandre, 30.

[30] Démosthène, In Maeartatum, c. 78. V. O. Müller, l. cit.

[31] Politique, II, c. VII, §§ 10 et 1.

[32] C’est ce qui nous parait résulter des passages d’Aristote et d’Hérodote (VI. 57), It. Démosthène, in Stephanum 2e, § 18. Cf. Schœmann, Griechische Alterthümer, 2e édit., t. I, p. 369.

[33] Exemples de ces mariages de famille en dehors des cas de filles héréditaires, Hérodote, V, 39. Polybe, IV, c. 35. Plutarque, Agis, c. 6 ; Pyrrhus, c. 26. Corp. inscript. grœcar de Bœck, n° 4488. On a remarqué que tous les édits des empereurs chrétiens sur les noces incestueuses sont adressés à l’Orient.

[34] Philon, De specialib. legibus, II, p. 779, Lutetia, 1640.

[35] Montesquieu (Esprit des lois, V, c. 5), a commis à l’occasion de cette loi les plus étranges erreurs. Barthélemy qui l’a en partie rectifié dans une note au chapitre 46, sur le partage des terres fait par Lycurgue, continue à donner une très fausse interprétation d’un passage de Strabon sur les lois de Crète qui est tel : φρενη δ'εστιν αν αδελφοι ωσι το ημισυ του αδελφου μεριδος, ce qui veut dire que quand il y a des frères, les filles n’ont pour dot que la moitié de la part d’un frère. (Strabon, X, c. IV, § 20, éd. Didot, O. Müller, Die Dorier, t. II, p. 201 et le traducteur de l’édit. Didot.)

[36] Hérodote, VI, c. 57.

[37] Die Dorier, t. II, p. 498. Sur le culte des mânes à Sparte, Hérodote, VI, 86, IX, 79. Dans le liv. VI, c. 68, nous voyons l’influence du culte de Jupiter Hercæen qui était intimement lié à la religion des Manès et du loyer. V. M. Giraud, Recherches sur le droit de propriété, l. cit. Cf. Justin, III, ch. V. Les soldats spartiates inscrivent leurs noms sur leurs boucliers pour pouvoir être enterrés dans le tombeau de famille.

[38] L’origine commune des Pélasges, des Hellènes, des Latins, des Celtes, des Germains, des Lithuanos-Slaves avec la race Indienne et la race Zende, déjà admise depuis longtemps, a été récemment mise en pleine lumière par le grand ouvrage de M. A. Pictet, Les Origines indo-européennes, 2 vol. in-4°, Paris-Genève, 1859-1863.

[39] Sur les sacrifices aux Pîtris comme base du droit de famille, V. Bagavad-Gita, I, 40, cite par M. E. Burnouf, Essai sur le Véda, in. 8°, 1863, p. 206. Loi de Manou, IV, 257, VI, 35-37 et tout le livre III. Sur la propagation de la parenté par les mâles, IX, 33, 485 et suiv., V, 60, III, 5. On retrouve parmi les parents une distinction tout à fait semblable à celle du droit attique entre les άγχιστέις et les ουγγενεις. Sur l’impureté des proches parents après la mort, V, 60, 64. — Dispositions relatives à la fille héréditaire, IX, 127 à 140. — Sur l’adoption, IX, 141, 142, 480 et suiv., etc., etc. Nous espérons poursuivre dans un travail spécial la comparaison, des Institutions juridiques des anciens Indiens avec celles des Grecs et des Romains. Un seul mot sur la valeur historique de la loi de Manou. M. Weber, dans son Histoire de la littérature indienne, place sa rédaction actuelle à l’époque où le bouddhisme commença sa propagande dans l’Inde ; mais la majorité des orientalistes fait remonter ce code, au moins dans sa rédaction primitive, au IXe siècle avant l’ère chrétienne, ce qui est de beaucoup plus vraisemblable (V. la préface de M. Loiseleur Deslongchamps et Lenormant, Histoire ancienne de l’Orient, t. III, p. 848-80). D’ailleurs, en ce qui touche les usages religieux et domestiques, les dispositions du Manâva-Darina-Sastra avaient été précédées par celles des Grihyasutrâs Vediques, ce qui en recule encore l’antiquité (V. Weber, Hist. de la littérature Indienne, trad. française, p. 72 et 400).

[40] Athénée, XIII, c. 4, p. 556. Plutarque, Lycurgue, c. XV. Pollux. III, fr. 48. Cf. Denys d’Halicarnasse, IX, 22. Loi de Manou, VI, sl. 35, 36, sur les trois dettes du Dwidjà.

[41] Aulu-Gelle, IV, c. 3. Jusjurandi religionem animo atque amori prœvertisse. Ménandre, fr. 185. Hérodote, V, 39, VI, 64. Cf. Loi de Manou, IX, sl. 81. Platon, Lois, IV, p. 330, t. II, édit. Didot.

[42] Loi de Manou, IX, sl. 87 à 70, 143-147.

[43] Plutarque, Solon, c. 20. Nous ne savons pour quelles raisons le dernier historien du droit attique, M. Van den Es, De jure familiar. ap. Athenienses, p. 13 (Lugdun. Batavor, 1864, in-8°), conteste la valeur historique de ce récit. Il est admis sans réserves par M. Grote, Hist. de la Grèce, 4e éd. anglaise, t. II, p. 836, note 1, et par M. Bachoten, Das Mutterrecht. On ne trouve aucun fait se rapportant à cette pratique dans les orateurs classiques ; ces usages remontaient tout à fait aux coutumes primitives de la race et avaient dû disparaître avec les progrès de la civilisation athénienne.

[44] Loi de Manou, IX, sl. 182.

[45] Gouvernement de Lacédémone, c. 4, Au témoignage de Xénophon s’ajoutent ceux de Polybe, VI, c. XII ; de Plutarque, Lycurgue, c. XV ; Nicolas de Damas, De moribus gentium. Lacedemonii, dans les Fragments des historiens grecs de Didot, t. III, p. 468.

[46] Das mutterrecht, pp. 48, 26, 31, 77, 78, 198, 334, 382.

[47] C’est ce que reconnaît à plusieurs reprises M. Giraud-Teulon fils dans un opuscule destiné à vulgariser les idées de M. Bachofen. (La Mère chez certains peuples de l’antiquité, par Giraud-Teulon fils, Paris, in-8°, 1867).

[48] Plutarqu. Apoptehgm. Laconic. Lycurg., 20. L’expulsion du trône comme bâtard de Leotychides, issu des relations de Timée avec Alcibiade (Plutarque, Alcibiade, 93), est inconciliable avec l’interprétation littérale du passage de Nicolas de Damas : ταις δε αυτων γυσαιξι παραxελενονται εx των ευειδεςτατων xυισθαι xαι αστων xαι ξενων.

[49] Plutarque, Pyrrhus, 26 et 28 ; Agis, 3. Pausanias, III, ch. IV.

[50] Théopompe, dans Athénée, VI, c. 20, p. 271. (Ce passage a pu être altéré quelques lignes plus bas, là où l’historien compare les Prospélates aux Hilotes ; il y a une erreur évidente.) Polybe, XII, c. V, VI et suiv. Justin, III, ch. V. (Polybe, à propos des Spartiates, emploie l’expression d’οιxεται, Justin celle de servi). Cf. Diodore de Sicile, VIII, c. 24. Hesychius, v° ενευναxται et παρθενιοι, la légende des Parthénions pourrait bien avoir une origine commune avec celle des Epeunactes. (V. infra.) Sur la place que le droit religieux faisait à l’esclave dans la famille, V. Fustel de Coulanges, la Cité antique, p. 138, 439 et suiv. epr. les dispositions du droit romain sur l’esclave héritier nécessaire comme le suus ou enfant non émancipé.

[51] Hérodote, VI, c. 63. Plutarque, Alcibiade, 23, et Agésilas, 3. Sur l’initiation de l’enfant au foyer par le père, etc. — V. Fustel de Coulanges, la Cité antique, p. 68. Loi de Manou, II, sl. 26-30.

[52] Justin, III, ch. IV. Suidas, v° παρθενιοι. Aristote, Politique, VIII, ch. VI, § I. Strabon, VI, ch. III, §§ 2 et 3.

[53] Xénophon, Helléniques, V, c. III, § 9.

[54] Aristote, Politique, II, c. VI, § 5 et suiv. Hérodote, V, 64, VII, 239, et Lysandre, c. 30.

[55] V. M. Gide, Étude sur la condition privée de la femme dans le droit ancien et moderne, p. 79.

[56] Pollux, III, fr. 38. Plutarque, Lycurgue, 9, 16, et Lysandre, c. 30. Athénée, XIV, c. 14, p. 686. Nous n’attachons pas grande d’importance à un récit d’Hermippus (Athénée, XIII, c. I, p. 555), d’après lequel on aurait enfermé dans un lieu obscur jeunes gens et jeunes filles, laissant au hasard le soin de former les couples destinés à s’unir.

[57] Hérodote, VI, c. 62.

[58] Stéphane de Byzance, v° πατρα. Isée, discours sur l’hérédité de Pyrrhus, §§ 78, 79. Hérédité du Ciron, § 18, etc.

[59] Plutarque, Apophtegm. Laconic. Léonidas, 2. Les vies d’Agis et de Cléomenès offrent un tableau complet des mœurs de Sparte à la fin du IIIe siècle. On est frappé des fréquents mariages de veuves qui y sont mentionnés.

[60] Cf. pour le droit attique, Van den Es, de Jure familiar. apud Athenienses, p. 56. Après la mort de son mari, tantôt la femme restait dans la famille de celui-ci, tantôt elle rentrait dans la sienne propre.

[61] Justin, III, ch. III. Plutarque, Apoph. Lac. Lyc., 15. Hermippus, dans Athénée, XIII, c. I, p. 585. Ælien, VI, c. VI, Q. Hesychius, v° αγρετηματα. Δωτινη était chez les Doriens l’expression qui désignait la dot. V. Dyonis. Byzant., de bospor Thrac., p. 17, éd. d’Oxford.

[62] Strabon, IV, c. I, § 5. Cf. Héraclide de Pont, πολιτειαι Κορυθεων, lois de Periander à Corinthe. Plutarque, Solon, c. XX. V. Grote, t. III, p. 40, édit anglaise.

[63] Hésychius, Αρμοσυνες. Aristote, Politique, VI, c. XII, § 9 ; VII, c. V, § 13. Cicéron, de Republica, IV, c. VI, fr. 16.

[64] Grote, History of Grece, 4e éd. anglaise, t. II, p. 522.

[65] Aristote, Politique, II, ch. VI, § 11. Cf. Plutarque, Agis, c. 9 ; Agésilas, c. 20. Athénée, XIII, c. 2, p. 1166. Déjà la sœur d’Agésilas, Cynisce, avait fait courir aux Jeux Olympiques ; Pausanias, III, ch. XIII, § 1.

[66] Aristote, Politique, II, ch. III, § 6 ; ch. IV, § 3 ; ch. VII, § 6 ; ch. IX, 17. IV, ch. XIV, §§ 6, 10-12. Platon, République, V, p. 89, 90, t. II, éd. Didot. Cf. Lois, V, p. 343, et XI, p. 474. Solon permettait les amours contre nature aux hommes libres, parce qu’ils servaient à maintenir la population civique dans un état stationnaire. Il les défendait aux esclaves, parce qu’ils nuisaient au croit de ce bétail humain.

[67] Aristote, Politique, II, ch. III, § 6, Ce grand observateur des faits sociaux indique avec une remarquable sagacité la liaison de ce phénomène avec la loi du partage égal et forcé des successions.

[68] Aristote, Politique, II, ch. VI, § 13. Ælien, VI, c. VI. Hérodote, VII, 205. Cf. Plutarque, de Malignitate Herodoli, 32, et la note d’O. Müller, t. II, p.82.

[69] Plutarque, Lycurgue et Numa comparaison, IV.

[70] Plutarque, comm. in Hesiod., fr. XX. Polybe, l. c.

[71] Xénophon, Gouvernement de Lacédémone, c. II, Plutarque, Lycurgue, c. XV et XVIII, in fine. Cicéron, de Republica, IV, c. 4.

[72] Politique, VII, ch. III, § V. Platon cependant, dans le Traité des lois, fait une certaine place à la colonisation.

[73] Histoire du droit des gens, t. II, p. 299, Gand, 1850.

[74] Sur les colonies de Sparte. V. Cragius, Libri tres de Republica Lacedœmonior, p, 124, et surtout O. Müller, Die Dorier, t. I, p. 123 à 126.

[75] Sur Tarente, v. Justin, III, c. 3. Diodore de Sicile, VIII, 21. — Sur les établissements de Doriens, Hérodote, V, 42 et suiv. — Sur Héraclée-Trachine, Thucydide, III, c. 92. Diodore de Sicile, XII, c. 59, et XIV, c. 38.

[76] Thucydide, I, 24. Schol. vet. Horatii corm., II, 6, 12. Ovide, Métamorphoses, XV, 15. Les Spartiates d’origine formaient dans ces colonies le corps aristocratique : les Périœques et autres gens d’origine grecque, sans droit de cité, qui s’étaient adjoints à la colonie constituaient le δημος ; enfin les indigènes du pays étaient réduits à la condition de serfs. V. Aristote, Politique, VIII, ch. II, §8. O. Müller, Die Dorier, t. II, p. 61.