LA GARDE MEURT ET NE SE REND PAS

HISTOIRE D'UN MOT HISTORIQUE

 

PAR HENRY HOUSSAYE

PARIS - PERRIN – 1907.

 

 

I

Je ne veux pas raconter encore la bataille de Waterloo, mais pour juger de l'authenticité ou plutôt de la probabilité de la réponse fameuse de Cambronne, on doit connaître d'une façon précise les circonstances où il se trouva le 18 juin 1815.

Le général Cambronne était major des chasseurs à pied de la Vieille Garde, et, à ce titre, il commandait le 1er régiment, constitué à deux bataillons.

Pendant la première partie du combat, toute la garde à pied (8 bataillons de jeune garde, 7 bataillons de moyenne garde et 8 bataillons de vieille garde), resta en réserve sur les hauteurs de la Belle-Alliance qui font face au plateau de Mont-Saint-Jean qu'occupait l'armée anglaise. Vers cinq heures du soir, l'empereur, débordé sur sa droite par les Prussiens de Bülow qui s'étaient emparés de Plancenoit, donna l'ordre à la division de la jeune garde de reprendre ce village, et bientôt après il la fit soutenir par deux bataillons de la vieille garde, le 2e bataillon du 2e grenadiers et le 1er du 2e chasseurs. Deux heures plus tard, quand Napoléon voulut tenter une attaque suprême avec la garde contre le centre anglais, il lui restait donc seulement treize bataillons disponibles ou plutôt, à parler exactement, douze bataillons, car le 4e chasseurs, à cause de ses pertes à Ligny, l'avant-veille, était réduit à un seul bataillon. De ces douze bataillons, l'empereur en laissa trois, le 1er et le 2e du 1er grenadiers, et le 1er du 2e chasseurs, comme réserve sur le plateau de la Belle-Alliance. Les neuf autres s'ébranlèrent vers l'ennemi ; mais dans le creux du vallon, ils se fractionnèrent en deux groupes. L'un, formé du 2e bataillon du 1er chasseurs, du 2e bataillon du 2e chasseurs, du 1er bataillon du 2e grenadiers et du 2e bataillon du 3e grenadiers, fut arrêté au-dessous de la Haye-Sainte pour constituer la seconde colonne d'attaque que l'empereur se proposait de conduire lui-même à l'assaut. L'autre groupe, formé du 1er bataillon du 3e grenadiers, de l'unique bataillon du 4e grenadiers, des 1er et 2e bataillons du 3e chasseurs et de l'unique bataillon du 4e chasseurs, gravit au pas de charge, en cinq petites colonnes, les rampes de Mont-Saint-Jean. Le maréchal Ney et six généraux de la garde, Friant, Michel, Porret de Morvan, Harlet, Mallet, Hanrion, menaient l'attaque qui d'abord réussit. La première ligne ennemie est percée sur un point, ébranlée sur un autre, deux batteries sont prises. Mais le feu soudain, à vingt pas, de la brigade des gardes anglaises, et une attaque de liane, à la baïonnette, de la brigade Ditmer, rompent ces faibles colonnes d'assaut. Après une mêlée furieuse de quelques minutes, elles se retirent en désordre.

A cette vue, toutes les troupes décimées par sept heures de bataille, fantassins de Reille et de d'Erlon, cuirassiers de Milhaud et de Kellermann, qui s'étaient ralliées et qui marchaient pour seconder l'assaut suprême, s'arrêtent paralysées. Wellington veut achever cette armée blessée à mort. Il pousse son cheval sur le bord du plateau et y précipite le torrent de ses soldats. Quarante mille Anglais, Allemands, Belges, dévalent les pentes de Mont-Saint-Jean. Fn même temps, à notre extrême droite, les masses prussiennes de Zieten débouchent de Papelotte. Ce double flot d'ennemis victorieux submerge le champ de bataille. Les débris de l'armée française remontent en grand désarroi les versants de la Belle-Alliance.

De troupes en ordre, il reste seulement dans le vallon les trois bataillons de la vieille garde que l'empereur a réservés pour appuyer l'attaque de Ney. Quand il a vu l'écroulement subit de sa ligne de bataille, Napoléon a pensé à protéger la retraite à laide de ces trois bataillons d'invincibles. Pour cela, il les a établis en autant de carrés à cent mètres environ au-dessous de la Haye-Sainte, le carré de droite sur la route de Bruxelles.

Ces trois bataillons, le 2e du 1er chasseurs (commandé par Cambronne), le 2e du 2e chasseurs et le 1er du 2e grenadiers, repoussèrent pans peine les charges multipliées de la cavalerie, mais battus de tous côtés par la fusillade de l'infanterie anglaise et par le feu à mitraille de trois batteries qui les foudroyaient à soixante mètres, ils durent quitter cette position intenable. Ils rétrogradèrent pas à pas. Réduits à trop peu d'hommes pour rester en carrés sur trois rangs, ils se formèrent sur deux rangs, en triangles ; et, baïonnettes croisées, ils percèrent lentement à travers la foule des fuyards et des Anglais. A chaque pas, des hommes trébuchaient sur des cadavres ou tombaient sous les balles, 'fous les cinquante mètres, il fallait faire halte pour reformer les rangs éclaircis et repousser une nouvelle charge de cavalerie ou une nouvelle attaque d'infanterie.

Dans cette héroïque retraite, la garde marchait littéralement entourée d'ennemis. C'était, comme à l'hallali courant, le sanglier parmi la meute. Il y avait contact si étroit que malgré les bruits multiples du combat, on se trouvait à portée de la voix. Au milieu des coups de feu, des officiers anglais criaient Rendez-vous ! à ces vieux soldats[1].

C'est à ce moment que Cambronne, qui était à cheval dans le carré du 2e bataillon du 1er chasseurs, dit, ou aurait dit, la phrase — ou le mot— qu'on lui attribue.

 

II

Dans la semaine même de la bataille de Waterloo, le 24 juin 1815, le Journal général de France mentionna en ces termes la réponse de Cambronne :

La garde impériale a mis l'arme au bras et s'est avancée sous le feu de l'ennemi. Une décharge épouvantable dirigée contre ces braves en a mitraillé la moitié ; l'autre a continué à marcher. Les généraux anglais, pénétrés d'admiration pour la valeur de ces braves, ont député vers eux pour les engager à se rendre, protestant qu'ils les regardaient comme les premiers soldats de l'Europe. Le général Cambronne a répondu à ce message par ces mots : La garde impériale meurt et ne se rend pas. La garde impériale et le général Cambronne n'existent plus ![2]

La contemporanéité d'un fait ou d'une parole et du texte où est rapporté ce fait ou cette parole est, en général, une présomption d'authenticité. Mais un article de journal ne constitue pas un document certain. Précisément pour la question traitée ici, l'entrefilet du Journal Général n'est pas une source sure. De qui, en effet, le rédacteur de ce petit article pouvait-il tenir la phrase de Cambronne ?

Non point, apparemment, d'un des survivants du carré du 1er chasseurs, puisque nul, parmi tous les généraux, officiers et soldats de l'infanterie de la garde, qui se ralliait alors entre Laon et Soissons, n'était encore revenu à Paris. Dans le Journal Général, d'autre part, le récit des faits qui provoquèrent la réponse de Cambronne fourmille d'erreurs et d'invraisemblances. On reconnaît un tableau fait de chic, comme on dit en argot d'atelier. 1° Cambronne n'a pu prononcer la parole fameuse pendant la charge de la garde sur le plateau de Mont Saint-Jean par la raison péremptoire que, pendant cette charge, il était en réserve avec le 2e bataillon du 1er chasseurs dans le vallon, au-dessous de la Haye-Sainte. 2° Ce ne peut être au moment d'une attaque des plus vives et des plus résolues que les généraux anglais sommèrent les assaillants de se rendre. Ces sommations qu'ils multiplièrent pendant la retraite, les Anglais n'auraient eu aucun motif de les faire pendant l'assaut.

Aussi est-il très compréhensible que le Journal des Débats ait écrit trois ans plus tard, le 16 décembre 1818, quand s'ouvrit une première discussion sur l'authenticité de la phrase de Cambronne :

Nous nous faisons un devoir de déclarer que tout Paris a pu savoir de la bouche du général Cambronne lui-même qu'il avait appris cette exclamation monumentale par les gazettes, et qu'il ne se souvenait nullement d'avoir rien dit qui en approchât. Il est donc juste d'en restituer la gloire à qui elle appartient, c'est-à-dire à un rédacteur du Journal Général, qui l'a proférée à la tête des colonnes... de ce journal[3].

D'après des on-dit, ce journaliste était Balison de Rougemont, auteur dramatique, romancier, poète, chansonnier et collaborateur, en 1815, du Journal Général et du Journal de Paris.

Que la garde meurt et ne se rend pas ! fût de Cambronne ou de Rougemont, la phrase n'en était pas moins bien frappée. Avec une petite variante, elle aurait pu figurer dans les Apophtegmes des Lacédémoniens. Elle fit grand effet. Le Patriote de 89, qui paraissait le soir, reproduisit l'article publié le matin par le Journal Général[4]. Le surlendemain, 26 juin, les Comités de la Fédération parisienne proposèrent d'ériger un monument aux braves de la garde impériale morts le 18 juin avec cette inscription : La garde impériale meurt, et ne se rend pas[5]. Le 28 juin enfin, la phrase, déjà fameuse, reçut sa consécration à la Chambre des représentants. On discutait le texte d'une Adresse à l'Armée. Garat dit :

L'armée a acquis de nouveaux titres de gloire dans ce champ de bataille où sont tombés tant de milliers de braves. Ces traits doivent être recueillis. Je voudrais qu'on n'eu perdit aucun, que l'on consacrât ce mot d'un soldat qui dit : L'on meurt et l'on ne se rend pas[6].

A quoi, le représentant Pénières, député de la Corrèze, ajouta aussitôt :

Le nom de l'officier qui a prononcé ces paroles ne doit pas être ignoré : c'est le brave Cambronne. On lui dit de se rendre. La garde, répond-il, meurt et ne se rend pas.

Les écrivains qui soutiennent l'authenticité de la phrase triomphent du témoignage de Pénières. Ils n'auraient des raisons valables de le finie qu'à la condition d'établir que Pénières tenait ses renseignements d'un témoin de auditu. Or, pas plus le 28 juin que le 24 juin, il n'y avait à Paris de soldats ni d'officiers de la vieille garde. Les têtes de colonnes ai rivèrent seulement dans la nuit du 28 au 29. Il est donc fort probable que Pénières, comme d'ailleurs Garat, avait été renseigné tout bonnement par l'article du Journal Général[7].

Au cours des années1815 et 1816, la phrase La garde meurt et ne se rend pas est encore citée plusieurs fois : par Regnault-Warin dans Cinq mois de l'Histoire de France, — par Giraud, dans le Précis des journées des 15, 16, 17 et 18 juin ; par Casimir Delavigne, dans sa Messénienne : La bataille de Waterloo ; — par la Biographie des hommes vivants ; — enfin par les rédacteurs des notices sur Cambronne placées en tête des deux éditions des comptes rendus de son procès devant le Conseil de guerre[8]. D'ailleurs Giraud et railleur de l'article Cambronne dans la Biographie des hommes vivants expriment des doutes sur l'authenticité de la phrase : et, chose plus importante, cette phrase ne fut point rapportée devant le Conseil de guerre. Ni le commandant Delon, dans son rapport qui était plutôt un panégyrique qu'un acte d'accusation, ni Berryer, dans son plaidoyer, ne citent l'héroïque réponse. Berryer dit seulement : Vers le soir, Cambronne, à la tête d'un seul bataillon, tomba au milieu des morts[9].

A la fin de 1818, ces deux vers du Bélisaire, de Jouy :

Un dernier cri de gloire annonce leur trépas :

Ils meurent, les Gaulois, et ne se rendent pas.

firent renaître les controverses entre la Quotidienne, le Journal des Débats, le Publiciste, le Journal du Commerce, et autres gazettes royalistes ou libérales[10]. Le général Berton intervint ; le 18 décembre, il écrivit à la Minerve :

... Le carré que commandait Cambronne était pressé et attaqué de toutes parts. On lui criait : Rendez-vous, braves grenadiers ! La réponse de leur digne chef : la Garde meurt, elle ne se rend pas, fut prononcée et elle eut son effet. Beaucoup moururent et aucun ne se rendit volontairement... Tous les hommes d'honneur, tous les Français attesteront l'héroïque exclamation de Cambronne, que ses compagnons d'armes et les ennemis ont entendue[11].

En tout cas, le général Berton, lui, n'avait pas entendu l'héroïque exclamation, puisque, le 18 juin 1815, il était à Wavre avec les dragons d'Exelmans et non à Waterloo avec la vieille garde. Berton, il est vrai, rappelait qu'il avait été prisonnier cinq mois à l'Abbaye, avec Cambronne. C'était une façon d'insinuer qu'il tenait son renseignement de Cambronne lui-même. Mais Berton se gardait de le dire positivement, et l'on verra tout à l'heure pourquoi il ne pouvait pas le dire.

Je passe le Dictionnaire des Batailles, les Fastes de la Gloire, Batailles et sièges, les Trophées des Armées Françaises, la France militaire, d'Abel Hugo, les Histoires de Napoléon, et autres ouvrages, publiés de 1818 à 1842. Là, la phrase de Cambronne n'est qu'une simple redite sans valeur documentaire.

On n'accordera guère plus d'importance aux paroles du maréchal Soult qui, attaqué à la Chambre des députés, le 2 février 1843, pour sa versatilité en 1814 et en 1815, répondit :

J'ai combattu les Anglais jusqu'à Toulouse... J'étais à Waterloo. J'étais à côté de Cambronne quand il dit : La garde meurt et ne se rend pas[12].

Sans doute, Soult était à Waterloo, mais il n'était pas à côté de Cambronne quand celui-ci prononça ou est censé avoir prononcé les paroles en question. Soult galopait alors avec l'empereur pour rejoindre près de la maison Decoster, les deux carrés du 1er grenadiers. En bonne critique, la riposte de Soult à la tribune ne peut être regardée que comme un moyen oratoire, d'ailleurs bien trouvé, et nullement comme un témoignage positif[13].

Après la mort de Cambronne (20 janvier 1842), les Nantais s'occupèrent d'ériger Une statue à leur glorieux concitoyen. Il va sans dire que le socle devait porter pour inscription : La garde meurt et ne se rend pas. Pendant les travaux, les fils du général Michel, tué à Waterloo, s'avisèrent de revendiquer pour leur père l'honneur d'avoir lancé cette mâle et fière réponse à la face des Anglais victorieux. Dans la requête qu'ils adressèrent au roi Louis-Philippe, ils citèrent plusieurs témoignages dont la plu pari, du reste, sont plutôt négatifs à l'égard de Cambronne qu'affirmatifs à l'égard de Michel. La requête se termine ainsi :

Enfin, les fils du général Michel invoquent un témoignage plus solennel et plus authentique, s'il est possible : c'est celui du confident de l'Empereur, du compagnon de son exil, de l'illustre général Bertrand, qui écrivit, sous la dictée de l'Empereur, prisonnier à Sainte-Hélène, les grandes choses que nous avons faites ensemble, suivant la parole de Napoléon. Ce témoignage spontané du Grand Maréchal du Palais parait avoir l'authenticité d'une attestation émanée de l'Empereur lui-même.

M. le général Bertrand n'a pas donné à sa déclaration la forme d'une lettre, mais il l'a consignée sur un monument que les fils du général Michel conserveront comme une inappréciable relique. Sur une pierre détachée du tombeau de l'empereur, le général Bertrand a écrit et signé de sa main cette déclaration : A la comtesse Michel, veuve du général Michel, tué à Waterloo, où il répondit aux sommations de l'ennemi par ces paroles sublimes : La garde meurt et ne se rend pas[14].

Il était sans doute difficile de joindre à la pétition l'original de ce certificat épigraphique. Aussi ne fut-il, dit-on, jamais produit. Du reste, le témoignage de Bertrand avait été contredit par Napoléon lui-même, qui, dans sa Relation de la campagne de 1815, dictée à Gourgaud, pendant sa captivité, attribue au général Cambronne la réponse fameuse[15].

Paroles en l'air que tout cela ! Le fait positif, c'est que le général Michel ne répondit rien aux sommations anglaises par la raison bien simple qu'aucune sommation ne lui fut adressée. Selon tous les témoignages, Michel fut tué au début de l'attaque, quand les 1er et 2e bataillons du 3e chasseurs atteignirent le plateau. A ce moment très critique pour les Anglais, leurs chefs ne pouvaient penser à crier aux assaillants de se rendre. Voici le récit de la mort de Michel, écrit par son aide de camp, le capitaine Berthelot :

Arrivés sur le plateau, et à demi-portée de fusil des Anglais qui nous attendaient immobiles, nous faines accueillis par une effroyable, décharge. Le général Michel tomba de cheval en s'écriant : Ah ! mon Dieu, j'ai encore le bras cassé ! Je me précipitai à terre et déboutonnai son frac pour découvrir sa blessure. Mon général était mort ; une halle reçue au-dessus du sein gauche lui avait traversé le corps, J'affirme que ces paroles : Ah ! mon Dieu, j'ai encore le bras cassé ! sont les seules qu'il eût prononcées[16].

 

III

Victor Hugo, en 1862, éleva une autre statue à Cambronne dans Les Misérables. Le grand succès de ce livre provoqua de nouveaux témoignages sur les paroles du général. Un journaliste de Lille, Charles Boulin, auteur des Contes d'un buveur de bière, connaissait un ancien grenadier de la garde, alors adjoint au maire de Vicq (Nord). Le vieux soldat, nommé Antoine Deleau, lui avait souvent conté certains épisodes de la bataille de Waterloo. Citait, comme on dit, matière à bonne copie. Après avoir de nouveau questionné Deleau, Charles Deulin publia, le 22 juin 1862, dans un journal local, l'Esprit Public, le récit suivant :

J'étais au premier rang, avantage que je devais à ma grande taille. L'artillerie anglaise nous foudroyait, et nous répondions à chaque décharge par une fusillade de moins en moins nourrie.

Entre deux décharges, le général anglais nous cria : Grenadiers, rendez-vous ! Le général Cambronne répondit (je l'ai parfaitement entendu) : La garde meurt et ne se rend pas.

Feu ! fit le général anglais.

Nous reformâmes le carré et nous ripostâmes avec nos fusils : Grenadiers, rendez-vous ! vous serez traités comme les premiers soldats du monde ! reprit d'une voix triste le général anglais.

La garde meurt et ne se rend pas, répondit Cambronne ; et sur toute la ligne, officiers et soldats répétèrent : La garde meurt et ne se rend pas. Je fis comme les autres.

Nous essuyâmes, une nouvelle décharge, et nous y répondîmes de notre mieux. Rendez-vous, grenadiers ! rendez-vous ! nous crièrent en masse les Anglais qui nous enveloppaient de toutes parts. C'est alors que, fou d'impatience et de colère, Cambronne lâcha le mot que vous savez. C'est le dernier que j'entendis, car je reçus dans mon colback un boulet qui m'étendit sans connaissance sur un tas de cadavres[17].

Selon Deleau, Cambronne aurait donc dit la phrase et le mot. C'est beaucoup !

Quoiqu'il en soit, le récit de Charles Deulin, —récit très bien fait, peut-être trop bien fait car la plume de l'écrivain professionnel s'y trahit quelque peu — fit impression sur le préfet de Lille, M. Wallon. Il s'avisa d'entendre officiellement Antoine Deleau, et pour donner plus de solennité à la déposition du vieux soldat, il convoqua le maréchal de Mac-Mahon, commandant le 2e corps d'armée, le général Maissiat, commandant la 3e division militaire, et le colonel d'état-major Bord.

Or, Deleau avait si bien lu et tantôt tant relu l'article de Charles Deulin que, à quelques variantes près, il en reproduisit littéralement tous les termes dans sa déposition[18]. Ainsi, la déclaration faite le 30 juin 1862 par le grenadier Deleau, contresignée par le préfet du Nord, par le maréchal de Mac-Mahon, par le général Maissiat et par le colonel Borel, n'est en réalité qu'un article de Charles Deulin publié le 22 juin dans un petit journal local.

En outre, et ceci ôte toute sa valeur à cette déclaration si bien authentiquée, Antoine Deleau (je l'ai vérifié aux Archives de la Guerre) appartenait au 2e bataillon du 2e grenadiers[19]. Or, le 18 juin, à la nuit tombante, lorsque Cambronne dut ou put prononcer dans le carré du 2e bataillon du 1er chasseurs les paroles fameuses, le 2e bataillon du 2e grenadiers défendait Plancenoit[20]. Le grenadier Delcau se trouvait donc, à ce moment-là, à plus de 1.500 mètres à vol d'oiseau des chasseurs de Cambronne qui se faisaient passage, baïonnettes croisées, à travers les masses ennemies sur le versant nord de la Belle-Alliance.

En 1862, nul ne pensa à opposer cette objection au témoignage de Deleau. Sa déclaration fut donc reproduite par la plupart des journaux de Paris et des départements, et réveilla les souvenirs des vieux de la vieille. Chacun voulut avoir entendu les paroles de Cambronne. C'est ainsi qu'un ancien chasseur à pied de la vieille garde, nommé Pierre Salle, adressa celte lettre à M. Roussin, qui avait épousé la fille adoptive de Cambronne :

J'ai vu dernièrement dans l'Écho de Vesoul un article concernant le général Cambronne pour des paroles prononcées au moment de la plus forte action à Waterloo, lorsque le général anglais nous somma de nous rendre. Je pouvais bien le connaître puisqu'il commandait le 2e régiment de chasseurs de la vieille garde impériale.

Avant l'engagement de la bataille, il était en face de la 3e compagnie dont je faisais partie, faisant alors fonctions de fourrier. Il se tourna vers nous et nous dit : Mes amis, dans une demi-heure, la bataille va être à nous, puisque l'ennemi commence à battre en retraite vers Bruxelles. Sa confiance fut trompée par l'arrivée du corps d'armée du général Wellington, qui établit une batterie sur un plateau en face des colonnes de la garde, sur le flanc en arrière de nos colonnes d'attaque, ce qui donna l'épouvante, sur toute la ligne de nos colonnes qui avaient déjà enlevé plusieurs positions à l'ennemi.

Le général donna l'ordre d'envoyer des tirailleurs de bonne volonté afin de se porter a la rencontre des tirailleurs ennemis. On forma de suite le carré et nous fûmes dirigés sur le village de Waterloo. C'est là où rengagement fut le plus sérieux. Et c'est à ce moment que l'on faisait signe avec le drapeau ennemi de nous rendre, même par des cris à haute voix de quelques généraux anglais. Et c'est à ce moment que le général Cambronne répondit : La garde meurt, mais elle ne se rend pas.

Si j'avais connu plus tôt ce fait historique concernant l'honneur de la famille de M. le général Cambronne, je me serais fait un devoir de vous en donner le détail duquel j'avais gardé un précieux souvenir. L'affaire étant jugée par la déclaration du sieur Antoine Deleau, je m'abstiens de plus longs détails[21].

Ce récit est inexact à peu près sur tous les points, et cependant le vieux soldat a bien rapporté ce qu'il a vu. Seulement, il a confondu les Anglais qui défendaient Mont-Saint-Jean avec les Prussiens qui, en effet, vinrent s'établir en face des colonnes de la garde, sur le liane en arrière des colonnes d'attaque. Et il a confondu aussi le village de Waterloo, où pas un coup de feu ne fut tiré, avec le village de Plancenoit où rengagement fut sinon le plus sérieux du moins aussi acharné que sur tout autre point du champ de bataille.

Cette double confusion s'explique assez facilement si l'on fait réflexion que Salle appartenait au 1er bataillon du 2e chasseurs[22], et que ce bataillon combattit les Prussiens et non les Anglais et fut engagé à Plancenoit et non vers Waterloo[23]. Selon une propension habituelle aux soldats, il croyait avoir pris part à l'action principale de la bataille. Or, comme l'armée anglaise était le principal ennemi, il disait : les Anglais pour les Prussiens, et comme la bataille du 18 juin porte le nom de Waterloo, il disait ; Waterloo pour : Plancenoit.

Il est possible aussi que, pendant les premières heures de l'action, quand toute l'infanterie de la garde était encore en réserve sur le plateau de la Belle-Alliance, Salle, bien qu'étant du 2e chasseurs, ait vu Cambronne, qui commandait le 1er chasseurs, passer devant le front de sa compagnie, et l'ai même entendu dire : La bataille va être à nous. Mais où Salle n'est plus véridique, c'est en disant que Cambronne commandait le 2e régiment quand il commandait le 1er régiment ; où Salle n'est plus aucunement digne de foi, c'est en affirmant que lui, qui, combattait à Plancenoit, avait entendu sur les rampes de la Belle-Alliance les sommations des Anglais et la réponse de Cambronne.

Dans le courant de juillet de cette même année 1862, un autre vieux soldat, J.-B. Franquin, du 3e grenadiers, fit aussi une déclaration dont il fut dressé procès-verbal par le maire de la commune de Fetaigne (Ardennes). La voici :

Les Anglais nous mitraillaient, Nous avions formé le carré et ripostions de notre mieux au feu qui faisait de larges trouées dans nos rangs. A plusieurs reprises, un général anglais a sommé la garde de se rendre, et chaque fois j'ai entendu le général Cambronne répondre : La garde meurt et ne se rend pas. Il fut un temps où la garde tout entière, officiers et soldats, se mit à crier avec notre général : La garde meurt et ne se rend pas. J'allume moi-même l'avoir crié comme mes camarades[24].

Cambronne, je l'ai dit plusieurs fois, commandait le carré du 2e bataillon du 1er chasseurs. Il semble donc que Franquin, qui était grenadier, ne pouvait se trouver dans le carré de Cambronne, Toutefois le 2e bataillon du 3egrenadiers[25], dont il faisait partie, était à huit heures du soir dans les fonds de la Haye-Sainte, tout proche le 2e bataillon du 1er chasseurs[26]. Il n'est donc pas impossible que dans la mêlée qui s'engagea, Franquin, séparé de son carré, se soit réfugié dans celui des chasseurs. Ainsi l'objection que Franquin appartenait à une fraction de la garde et Cambronne ù une autre fraction n'est pas ici péremptoire[27]. Mais il y a d'autres arguments contre son témoignage. 1° Si l'on se reporte à la déclaration de Deleau, du 30 juin 1862, qu'a certainement lue Franquin et qui lui a, non moins certainement, donné l'idée de celle qu'il a faite le 22 juillet, on s'apercevra que le récit de Franquin n'est qu'une redite, un résumé pur et simple du récit de Deleau. 2° Comment se représenter Cambronne répétant plusieurs fois sa phrase — crescendo sans doute — et la garde toute entière, officiers et soldats reprenant la phrase en chœur ? C'est une belle scène d'opéra. J'ai peine à me la représenter sur un champ de bataille.

 

IV

D'après une tradition anglaise, Cambronne se serait rendu sans difficulté — et sans phrase — au lieutenant-colonel William Halkett, commandant une brigade hanovrienne.

Ce fait, rapporté par plusieurs auteurs étrangers[28], a pour fondement un récit oral de Halkett lui-même, récit qu'il consigna beaucoup plus tard dans cette lettre à l'historien Siborne :

... Pendant que nous marchions en avant, nous étions en contact constant avec les gardes et je leur ai souvent crié de se rendre.

J'avais les regards fixés sur un officier que je supposais être le général commandant la garde impériale, car il était en grand uniforme et s'efforçait d'animer ses hommes à rester fermes. Après avoir reçu de nous un tir très efficace, la colonne de la garde abandonna son général avec deux officiers. Alors j'ordonnai à mes bataillons de se porter en avant et je pris le galop pour atteindre le général. Quand j'allais le frapper (de mon épée), il me cria qu'il se rendait, et il marcha devant moi dans la direction du camp anglais. Mais je ne lis point beaucoup de chemin sans que mon cheval reçut un coup de feu et tombal. Je le relevai, mais je m'aperçus que mon ami Cambronne avait pris congé à l'anglaise et se dirigeait du côté d'où il était venu. Je le rejoignis vite, l'empoignai par l'aiguillette et l'amenai sans difficulté à un sergent d'un bataillon d'Onasbruck que je chargeai de le conduire nu duc de Wellington[29].

Ce récit bien circonstancié, très détaillé, imposerait créance .s'il n'était contredit par ceci, que Cambronne en atteignant les sommets de la Belle-Alliance, au milieu de sou bataillon, reçut en plein front une balle qui le renversa inanimé à bas de son cheval.

Le fait est indéniable. Tous les témoignages concordent :

Le général Petit, dans sa Relation manuscrite, si fidèle et si précise, des mouvements de la garde pendant la campagne de Belgique dît :

Le général Cambronne est blessé, renversé de son cheval. On le croit mort[30].

Cambronne écrivit d'Angleterre, le 23 juillet 1815, à son oncle, Waubert de Genlis :

Je suis prisonnier en Angleterre, à Ashburton. A la bataille de Waterloo, j'ai été blessé d'une halle à la tête, et suis tombé de cheval, sans connaissance, au pouvoir de l'ennemi[31].

Dans un interrogatoire, le 29 janvier 1816, Cambronne questionné sur ce qu'il était devenu depuis le 20 mars jusqu'au jour de sa rentrée en France répondit :

Je quittai Paris avec la garde lorsqu'elle partit pour l'armée, Blessé et laissé pour mort à la bataille du 18 juin, je fus fait prisonnier par les Anglais et conduit en Angleterre[32].

A l'audience du Conseil de guerre du 26 avril 1816, Berryer, défenseur du glorieux accusé, rappela aussi que le soir de la bataille de Waterloo, Cambronne tomba au milieu des morts[33].

Enfin, il y a si je puis dire la pièce à conviction, cette blessure attestée par le certificat du médecin anglais Loran qui avait soigné Cambronne pendant qu'il était prisonnier[34] ; par les états des services de Cambronne[35] ; et aussi par les deux portraits bien authentiques de Cambronne, peints l'un et l'autre d'après nature en 1816, et où une forte cicatrice apparaît au-dessus du sourcil gauche qui en est tout déformé[36].

Comment croire que Cambronne, grièvement blessé à la tête, tombé évanoui, laissé pour mort, se fût presque instantanément relevé et mis en marche d'un pas alerte ? Pour accorder le récit d'Halkett et le fait positif de la blessure de Cambronne, il faudrait cependant admettre cette espèce de prodige. Je dis bien espèce de prodige, car de l'avis de plusieurs chirurgiens et médecins de nies amis, un évanouissement causé par un coup de balle de gros calibre a la tête, produisant une exfoliation assez profonde pour exiger, un mois plus tard, l'enlèvement de six esquilles, ne saurait durer moins de cinq ou six heures. Or, selon Halkett, il captura Cambronne, sur qui il avait les yeux fixés depuis quelques instants, immédiatement après la dispersion du carré. En tout cas, Halkett qui a donné tant de détails circonstanciés aurait d'avoir la bonne foi d'ajouter ceux-ci, que Cambronne était blessé, que le sang ruisselait sur sa face et qu'il était, par conséquent, hors de combat.

Mais non ! Halkett ne fit pas Cambronne prisonnier. Son récit est faux ou concerne quelqu'autre général de la garde, Cambronne fut fait prisonnier soit, comme on peut l'inférer de sa lettre d'Ashburton[37], immédiatement après qu'il tomba de cheval, blessé et évanoui[38] ; soit, selon la tradition conservée dans sa famille, quelques heures plus tard, dans la nuit ou à l'aube, quand il reprit ses sens et qu'il se trouva seul au milieu des Anglais bivouaques sur le champ de bataille[39].

Si, comme j'incline à le croire, Cambronne fut pris ou-plutôt ramassé évanoui dès qu'il tomba sans connaissance à bas de son cheval, il est possible que Halkett, qui, certainement était à ce moment sur ce point du champ de bataille, ait présidé à cette capture, et l'ait contée plus tard de la façon mensongère et calomnieuse que l'on sait. Il connaissait, comme tout le monde, la phrase attribuée à Cambronne : La Garde meurt et ne se rend pas. Cet Anglais avait de l'humour. Il trouva plaisant de dire que non seulement Cambronne n'était pas mort, mais qu'il s'était rendu.

Cambronne fut fait prisonnier, mais non dans les conditions relatées par Halkett. Autre chose est de se rendre au fort du combat ou même dans une retraite, et autre chose de tomber entre les mains de l'ennemi pendant un évanouissement causé par une blessure ou au réveil de cet évanouissement.

 

V

Une origine suspecte, des redites manifestes, des affirmations multiples mais dont aucune n'a pour auteur un irrécusable témoin auriculaire, c'est de quoi est formée la tradition de la phrase de Cambronne. Le journaliste Rougemont a parlé, les députés Garât et Pénières ont parlé, le général Berton a parlé, l'adjudant-commandant Combes-Brassard a parlé, les grenadiers Beleau et Franquin ont parlé, mais aucun d'eux n'avait autorité pour le faire. Au défaut d'un survivant du 2e bataillon du 1er chasseurs, un seul homme pouvait rendre un témoignage décisif. C'était Cambronne lui-même. Or Cambronne a constamment et obstinément nié avoir prononcé la phrase qui lui est attribuée.

A la vérité, Cambronne qui, au contraire de ses camarades de la Grande Armée, Ségur, Marbot, Lejeune, Thiébaut, n'était pas écrivain n'a jamais protesté par écrit contre les journaux, les biographies et les dictionnaires où il était glorifié pour sa phrase héroïque. Mais il n'a jamais laissé dire en sa présence qu'il l'eût prononcée — c'est pourquoi sans doute Berryer s'est abstenu delà citer dans son plaidoyer devant le Conseil de guerre[40] — et, quand on l'a questionné directement, sa réponse a toujours été négative.

En juillet 1815, vingt ou vingt-cinq jours après la bataille, Cambronne, transporté blessé à Ashburton comme prisonnier de guerre, se trouvait à table avec quelques compagnons de captivité qui venaient d'apprendre, par des journaux français sa réponse aux sommations de l'ennemi. Ces officiers le complimentèrent à l'envi sur ces mots glorieux qui immortalisaient sa mémoire et illustraient toute la garde impériale. Cambronne dit :

J'en suis bien fâché mais je n'ai pas dit ce qu'on m'attribue. J'ai répondu autre chose et non pas ce qu'on rapporte.

Le commandant Heuillet du 2e chasseurs à pied de la vieille garde, qui cite de auditu ces paroles de Cambronne à la table d'Ashburton, ajoute :

Nous le priâmes de maintenir toutefois le fait pour l'honneur de l'armée, mais il persista toujours dans sa première affirmation[41].

Quelques mois plus tard (décembre 1815), lorsque Cambronne revint d'Angleterre pour se constituer prisonnier à l'Abbaye, il dit de la façon la plus positive à l'un de ses amis intimes, nommé Dupuy, qu'il n'était pas l'auteur des paroles dont on le glorifiait[42].

Écoutons le lieutenant-colonel Magnant qui, en 1821, se trouvait en garnison à Lille où Cambronne commandait la 1re subdivision de la 16e division militaire :

Je complimentai le général Cambronne sur les sublimes paroles qu'on disait qu'il avait prononcées sur le champ de bataille de Waterloo. Il m'affirma ne pas les avoir prononcées, ni entendues. Plusieurs autres fois, dans des conversations intimes, je lui rappelai ce glorieux événement en lui disant que toutes les relations lui attribuaient cette fibre réponse, qu'elle était mente inscrite au bas de son portrait qui se vendait publiquement. J'ajoutai que ces pièces serviraient de base à l'histoire qui consacrera ces paroles. Le général Cambronne m'a toujours soutenu qu'on avait tort de les lui attribuer[43].

Même témoignage du colonel Biot qui se trouvait aussi en garnison à bille avec Cambronne :

Le général Cambronne m'a constamment répété que l'épisode raconté sur lui et sur la garde impériale était inexactement rapporté. Il ajoutait que cette noble pensée existait bien dans la volonté énergique de ses braves frères d'armes, mais qu'à sa connaissance elle n'avait été hautement exprimée ni par eux ni par lui[44].

En 1822, à Dunkerque où il était venu pour le conseil de révision, Cambronne fit les mêmes dénégations devant plusieurs personnes dont l'ingénieur en chef des Ponts et Chaussées Cordier, plus tard député du Jura[45].

Quelques années après, au témoignage d'un combattant de Waterloo, le lieutenant Martin, auteur de Souvenirs, dont j'ai mainte fois constaté la véracité[46] Cambronne dit à un vieux camarade qui l'était venu voir à Nantes :

Je n'ai pas dit cela. J'ai dit seulement ; des b... comme nous ne se rendent jamais[47].

Après la Révolution de juillet, le 19 septembre 1830, la municipalité nantaise donna un banquet aux gardes nationaux d'Angers et aux officiers de la garnison de Nantes. Cambronne, qui se trouvait à la table d'honneur, désavoua formellement les paroles célèbres qu'on lui avait attribuées.

Sommé de me rendre, dit-il, j'ai répondu quelques mots, moins brillants peut-être, mais d'une énergie plus soldatesque[48].

Devant le Préfet de la Loire-Inférieure, Maurice Duval, Cambronne nia également avoir prononcé les paroles fameuses[49].

A une époque qui n'est pas précisée, Cambronne dit très spirituellement à un Anglais, nommé E. S. Dikson, qui le questionnait : On m'a débité cette réponse-là[50].

Le maire de Nantes, Ferdinand Favre, écrivait le 24 novembre 1813 au préfet de la Loire-Inférieure :

Le général Cambronne, dont chacun connaît la simplicité antique et l'extrême modestie, s'en est toujours défendu (d'avoir prononcé ces paroles) disant que c'était le cri de l'armée tout entière[51].

Dans une lettre très confuse adressée aux fils du général Michel, en 1845, par un vieil ami de Cambronne, nommé Dalidet, celui-ci s'ingénia à démontrer l'authenticité de la phrase fameuse, mais il ne dit en aucune façon que Cambronne lui-même la lui ait confirmée[52]. C'eût été cependant le meilleur argument.

Dans les années 1893, 1894 et 1899, j'ai été en correspondance avec M. Victor Roussin, qui avait épousé en 1836, la fille adoptive de Cambronne et avait ainsi vécu longtemps dans l'intimité du général. Dans ses nombreuses lettres, M. Roussin s'est efforcé d'établir l'authenticité de la phrase la garde meurt et ne se rend pas. Mais pas une fois il n'a invoqué le témoignage de Cambronne lui-même. A ma question sur ce point capital il a répondu :

Je conviens que le général Cambronne lui-même, interrogé sur ce qu'il avait pu dire en refusant de se rendre, a toujours répondu : Je n'en sais rien, je ne me souviens de rien[53].

 

IV

J'ai dit tout ce que je sais sur la phrase. Il me faut bien arriver au mot. Comme on l'a vu précédemment, la phrase a été citée dans les journaux la semaine même de la bataille de Waterloo, Le mot a été non pas cité textuellement, mais donné à entendre pour la première fois en 1834, dans le Dictionnaire des Contemporains de Rabbe[54]. La phrase a donc sur le mot l'avantage de l'antériorité, Mais cet avantage me paraît de peu de valeur dans l'espèce, en raison : 1° de l'origine suspecte de la phrase ; 2° des démentis qu'elle a provoqués ; 3° de la fragilité des témoignages prétendus confirmatifs ; 4° des dénégations formelles et réitérées de Cambronne.

D'ailleurs, si le mot n'a été divulgué dans un imprimé qu'en 1834 seulement, on en avait parlé bien longtemps auparavant. Dès le mois de juillet 1815 (je l'ai déjà rapporté), Cambronne avait dit à ses compagnons de captivité à Ashburton : Je n'ai pas dit ce qu'on m'attribue, j'ai répondu autre chose[55]. Cette autre chose ne pourrait-elle pas s'écrire en cinq lettres ?

En 1816, après son acquittement par le Conseil de guerre, Cambronne aurait répondu, dit-on, aux questions d'un officier anglais, en prononçant tout crûment le mot. Mais ce racontage donné par l'Intermédiaire[56], sans indication de source précise, me paraît tout à fait négligeable. Je ne le cite que pour mémoire. Le témoignage du lieutenant-colonel Lemonnier-Delafosse est plus intéressant :

Un sergent de mon ancien régiment (31e léger), passé dans la garde, me dit que l'on mentait en citant ces paroles du général Cambronne ; que les véritables, entendues par lui, près de lui, étaient : M... ! Je ne me rends pas ![57]

Le général de Bréa racontait qu'il tenait de Cambronne lui-même que celui-ci, sans pouvoir préciser de quels termes il s'était servi à Waterloo, avait envoyé faire f... les Anglais par quelque expression appropriée à la circonstance[58].

En 1828, dans une réunion de gens de lettres où se trouvait Charles Nodier, on vint a parler de la réponse attribuée à Cambronne, et des doutes que l'on avait sur son authenticité. L'un des assistants, nommé Genty, ancien secrétaire au Mercure de France au XIXe siècle, dit : Cambronne n'a pas répondu : La garde meurt et ne se rend pas ; il a répondu : M.... ![59] Comme on l'a déjà vu, Cambronne, aux questions qu'on lui posa à un banquet patriotique donné à Nantes, en 1830, sur l'authenticité de sa célèbre phrase, répondit : J'ai dit quelques mots moins brillants peut-être, mais d'une énergie plus soldatesque. Le mot cité par Genty est bien, en effet, d'une énergie soldatesque.

Voici maintenant un propos bien amusant et bien suggestif du général Bachelu qui commandait à Waterloo la 5e division (corps Reille) :

Ayant interrogé Cambronne quinze ans plus tard (soit vers 1830) sur sa réponse à Waterloo, il me répondit : Comment ? toi aussi ! Ah ! non, en voilà assez. Ça devient emm... ![60]

Et le général Bachelu ajoutait :

Le mot était si naturel en pareil cas, que ce jour-là Cambronne dut le dire cinq fois, six fois... comme moi d'ailleurs !

Le premier clerc du notaire de la vicomtesse Cambronne, Rogeron de la Vallée, rédigea en 1813, une Vie de Cambronne, en quelque sorte, dit M. Léon Brunschvig, sous la surveillance de la veuve de Cambronne et sur les renseignements qu'elle lui fournissait[61]. Or, voici ce que dit Rogeron de la Vallée :

Rendez-vous ! s'écriaient les Anglais. Une négation énergique fut la réponse de Cambronne, et, avec ce mot immortel que l'histoire n'ose redire, mais que tout le monde sait, il s'élança à la tête de ses intrépides grenadiers[62].

Dans l'Appendice de la Vie de Cambronne, Rogeron de la Vallée revient encore sur cette question à propos de l'inscription gravée sous la statue de Cambronne et de la protestation du général Michel :

Ni Cambronne ni le général Michel ne prononcèrent ces sublimes paroles, Cambronne se contenta de répondre : M... ! mot que l'histoire n'osa redire et qu'elle traduisit par cette phrase : La garde meurt et ne se rend pas[63].

Le lieutenant-colonel en retraite Chrétien, petit-cousin de Cambronne, a donné ce renseignement qui parait bien concorder avec l'assertion de Rogeron de la Vallée :

Lorsque Cambronne venait à Noyon, il descendait chez son oncle, l'abbé Druon de Bruneau, qui l'amenait passer quelques jours à Varesne, au château de sa tante Waubert de Coulis, née Julie Druon de Bruneau. Cambronne mettait pour condition à la visite, que sa cousine germaine, un peu taquine, ne lui parlerait pas de Waterloo, On obéissait à l'abbé, mais plus tard on l'interrogeait. Le bonhomme répondait : Mon neveu m'a dit la vérité sur ce qu'il a dit aux Anglais, mais je me suis engagé à ne pas le répéter. Ce qu'il y a de certain, cependant, c'est que dans ces moments-là, on n'a pas le temps de faire des phrases.

Ma grand'mère, ma mère et mon père tenaient pour certain que Victor Hugo, dans les Misérables, avait dit la vérité[64].

 

En résumé. Cambronne a toujours nié formellement la phrase. Il est vrai qu'il n'y a pas preuve certaine qu'il ait jamais avoué le mot. Mais alors qu'on ne s'explique pas pourquoi il aurait nié la phrase si vraiment il l'avait prononcée, on comprend beaucoup plus facilement qu'il ait été embarrassé et même confus d'avouer le mot. Devenu le mari d'une Anglaise et créé vicomte par Louis XVIII, Cambronne se piquait d'une excellente éducation. Il tenait à passer pour un homme bien élevé. Il ne voulait pas donner aux malveillants un nouveau prétexte de dire que les généraux de l'Empire étaient de grossiers soldats qui-avaient importé dans les étals-majors et jusque dans les salons les façons et le langage du corps de garde.

Mais si l'on se représente par la pensée l'épisode final de la tragique bataille du 18 juin 1815, si l'on songe à l'état d'esprit où se trouvait Cambronne, à l'exaspération que devaient produire sur lui les sommations réitérées de l'ennemi, on reconnaît que le mot était en situation. Il est psychologiquement vrai, Or, comme au témoignage de Cambronne lui-même, il répondit quelque chose — une phrase ou un mot — aux Anglais qui le sommaient de se rendre, ce quelque chose doit être cela.

 

FIN DE L'OUVRAGE

 

 

 



[1] Sur ces divers épisodes de la bataille de Waterloo, voir les réticences dans 1815. Waterloo (51e édition et suivantes), p. 330, 388-382, 394-395, 401-411, 414-419.

[2] Journal Général de France, 24 juin 1815.

[3] Journal des Débats, 16 décembre 1818.

[4] Le Patriote de 89, 24 juin 1815.

[5] L'Indépendant, 27 juin. Journal de Commerce, 28 juin 1815.

[6] Moniteur, 29 juin 1815.

[7] Il est présumable que c'est aussi dans une gazette, soit dans le Journal Général ou le Patriote, soit dans le Moniteur même, que l'adjudant commandant Combes-Brossard avait appris la phrase de Cambronne qu'il a citée dans sa Notice sur Waterloo (Montauban, 1899, in-8°). A la vérité, ce petit écrit est daté : Château de l'Échelle, près Guise, 22 juin 1815, c'est-à-dire deux jours avant que ne parût l'article du Journal Général. Mais ladite notice, dont des extraits seulement ont été publiés par M. H. de France, vice-président de l'Académie de Tarn-et-Garonne. Il été retouchée par Combes-Brossard le 1er juillet 1815. Il faudrait examiner le manuscrit original pour être certain que la phrase : L'infanterie de la garde avait soutenu seule le combat ou la gloire des armées françaises semble avoir voulu expirer avec cette sublime réponse du brave des braves, du général Cambronne : La garde meurt et ne se rend pas, n'est pas un ajouté, une interpolation. — A remarquer d'ailleurs que les grosses inexactitudes qui fourmillent dans sa notice font suspecter extrêmement la véracité de Combes-Brossard. Il dit que Pajol entra à Namur le 17 juin ; que la droite française (corps d'Erlon) ne s'engagea qu'après les charges des cuirassiers. Enfin chose plus étrange encore, il se donne comme chef d'état-major de Lobau. Or, le chef de l'état-major de Lobau était le général Durrien. Combes-Brossard et l'adjudant-commandant Janin étaient sous-chefs de l'état-major. (Arch. de la Guerre. Dossiers de Combes-Brossard et de Janin). J'ajoute que Combes-Brossard qui était à l'extrême droite avec Lobau se trouvait fort loin des carrés de la garde. Il ne put donc entendre les paroles de Cambronne. Son témoignage, même s'il était reconnu exact, n'aurait que la valeur d'un on-dit, et il prouverait non que Cambronne prononça la phrase mais seulement que le rédacteur du Journal Général ne l'a pas inventée.

[8] Procès du général Cambronne, Paris, Lhuillier 1816. Procès du maréchal de camp baron Cambronne, Paris, Plancher, 1816.

[9] Procès précités, p. 64 et 67.

[10] Quotidienne, 14 et 24 décembre 1818. Journal de Commerce, 15 décembre. Journal des Débats, 14 décembre. Journal Général de France, 17 et 24 décembre. Gazette de France, 25 décembre.

[11] Minerve Française, t. IV, p. 391-392.

[12] Moniteur, 13 février 1843. — Le maréchal Soult était alors ministre de la guerre et, nominalement, président du Conseil.

[13] Le colonel Biot, ancien aide de camp de Pajol, dit que c'est bien a tort, que Soult a rapporté ces paroles, car il tenait de Cambronne lui-même qu'elles n'avaient pas été prononcées. Campagnes et Garnisons, p. 274.

[14] Au roi, en son Conseil d'État, requête pour MM. le comte Michel et le baron Michel... Paris, s. d. (1843), in-4°.

[15] Campagne de mil huit cent quinze ou Relation des opérations militaires qui ont en lieu en France et en Belgique pendant les Cent Jours ; écrite à Sainte-Hélène par le général Gourgaud, Paris, 1818, in-8°, p. 105. — C'est |a première des deux relations de la campagne de 1815 dictées par Napoléon pendant la captivité. Sa seconde relation, qui a pour titre : Mémoires pour servir à l'Histoire de France en 1815, a paru sans nom d'auteur en 1820, chez le libraire Barrois.

[16] Lettre écrite en août 1862 par le capitaine Berthelot, ancien aide de camp du général Michel, citée par le comte Marquiset (La phrase et le mot de Waterloo, p. 34-35) d'après le Globe illustré du 9 août 1862.

[17] L'Esprit public, 22 juin 1862.

[18] La déposition de Deleau avant été reproduite dans la plupart des journaux de Paris et des départements, du 1er au 10 juillet 1862, et étant d'ailleurs identique à l'article de Deulin que je viens de transcrire, je ne la cite point. J'indique seulement les variantes entre la déposition et l'article : Nous reformâmes le carré, au lieu de : nous serrâmes le carré, — d'une voix affectée, au lieu : d'une voix triste ; — répétèrent avec lui, au lieu de : répétèrent ; — nous enveloppaient de tous côtés, au lieu de : nous enveloppaient de toute part ; — bonnet à poil, au lieu de : colback, qui est un terme impropre.

La seule variante importante est ceci : Dans le récit de Deulin on lit : C'est alors que fou d'impatience et de colère, Cambronne lâcha le mot que vous savez. Dans sa déposition, Deleau dit simplement : Cambronne répondit à cette dernière sommation par un geste de colère accompagné de paroles que je n'entendis plus. C'est beaucoup moins affirmatif, mais on peut cependant présumer que ces paroles se réduisirent à une seule.

[19] Matricule du 2e grenadier (Archives administratives de la Guerre).

[20] Relation du général Petit (citée dans 1815. Waterloo, p. 394).

[21] Lettre de Salles à M. Victor Roussin, Argentot (Corrèze), 14 juillet 1862 (à moi communiquée en 1893, par M. Roussin).

[22] Matricule du 2e chasseurs à pied de la garde (Archives administratives de la Guerre).

[23] Relation du général Petit, précitée.

[24] Archives de la Guerre. Armée du Nord, à la date du 18 juin 1815.

[25] Matricule du 3e régiment de grenadiers (Archives administratives de la Guerre).

[26] 1815, Waterloo, p. 401-402, 417 et les notes.

[27] Même remarque pour l'attestation du chirurgien Mellet, du 61e de ligne (Lettre du 23 janvier 1877, citée par le comte Marquiset, la Phrase et le Mot de Waterloo, p. 40) : ... J'étais là et je viens affirmer que le propos a été dit par Cambronne et répété par les restes de la vieille garde, par la jeune garde et par tous les soldats présents. Le 61e de ligne (division Bachelu) n'était pas près du bataillon de Cambronne au moment de la contre-attaque finale des Anglais, mais il n'en était pas très éloigné. Quelques soldats du 61e, dont le chirurgien Mellet, ont donc pu, pendant la déroute, se trouver confondus avec les chasseurs que commandait Cambronne, et, par conséquent, entendre les paroles que le général prononça. Mais ce qui fait fortement suspecter la véracité de Mellet, c'est qu'il dit que la jeune garde répéta la phrase. Toute la jeune garde était bien loin de là, à Plancenoit.

Autre témoignage d'un vieux soldat. Le petit-fils d'un sous-officier de la vieille garde, nommé Jean-Claude Berthaut, m'a écrit en 1902 que son aïeul assurait que la phrase avait été prononcée par le colonel Martenot. Or Martenot lui-même a déclaré en 1845 (lettre citée dans la Requête au roi pour le comte Michel, p. 6), que cette phrase a été dite par le général Michel.

[28] Walter Scott, Life of Napoleon Buonaparte. Siborne, History of the War in France and Belgium in 1815. Cotton, A voice from Waterloo. August Fournier, Napoléon, I. Cf. (Anonyme) Diaries of a lady of quality from 1797 to 1844. — Voir aussi, à ce sujet, la Revue Critique, du 5 juin 1899 (étude de M. Salomon Reinach sur 1815. Waterloo) et le recueil d'Études napoléoniennes du baron Albert Lumbroso, publié sous le titre : Napoléon a-t-il aimé une femme ?

[29] Général William Halkett à Siborn, Nienburg, 20 décembre 1837 (Waterloo Letters, p. 308). — A cette époque Halkett avait été depuis longtemps promu général.

[30] Manuscrit du général Petit (Collection Morrison, de Londres).

[31] Cambronne à Waubert de Genlis, Ashburton, 23 juillet 1815. (Cité par Brunschvig, Cambronne, p. 369-370).

[32] Procès du maréchal de camp Cambronne, p. 5.

[33] Procès du général Cambronne, p. 64.

[34] Je certifie avoir eu soin de la blessure de M. le général Cambrun (sic) reçue à Waterloo et dont j'ai retiré six esquilles. Ashburton, 13 décembre 1815, Loran. (Cité par Brunschvig, Cambronne, 166).

[35] Blessé à Waterloo d'un coup de feu au sourcil gauche. (États des services du général Cambronne. Archives administratives de la Guerre).

[36] L'un de ces portraits, un dessin, fut donné à Berryer par Cambronne le lendemain de son acquittement.

[37] Je ne vois pas d'ailleurs quel général ce pouvait être. Parmi les généraux de la garde, qui seuls portaient les aiguillettes, deux seulement furent faits prisonniers, et tous deux après avoir été blessés : Cambronne et Mallet. Ce dernier mourut de sa blessure à Bruxelles.

[38] Cambronne à son oncle, Waubert de Genlis, Ashburton, 23 juillet 1815.

[39] ... Cambronne était couché parmi les morts. Une balle lui avait ouvert le crâne au-dessus de l'œil gauche. Tout couvert de sang, il dormait évanoui dans une mare de boue, la tête appuyée sur le cadavre d'un chasseur de la garde. La fraîcheur de la nuit le rappelle à la vie. Il essaie de se relever. Vingt Anglais l'entourent, le font prisonnier et le conduisent au quartier général de Wellington. Rogeron de la Vallée, Vie de Cambronne, p. 160.

Des soldats anglais avaient relevé Cambronne et l'avaient conduit au quartier-général de Wellington... Si nous en croyons les souvenirs personnels de M. Roussin, qui épousa en 1836 la fille adoptive de Cambronne, le général laissé pour mort sur le champ de bataille n'avait pas tardé d'être complètement dépouillé par les vainqueurs qui le laissèrent, disait-il, ‘nu comme un petit saint Jean’. Tout lui avait été enlevé, ses papiers et ses valeurs qu'il avait sur lui et qui devaient être assez, considérables, puisqu'il avait couvert en diamants tout ce qu'il possédait afin que ce fût plus facile à porter. Brunschvig, Cambronne, 157.

Brunschvicg ajoute que ce fut le colonel Campbell, lequel avait connu Cambronne à l'ile d'Elbe, qui le secourut à Waterloo et l'amena à Bruxelles. Mais j'ai cherché vainement ce détail dans le seul ouvrage que je connaisse du colonel Campbell : Napoléon at Fontainebleau and at Elba (Londres, 1869, in-8°). Dans la notice (150 pages) sur la vie militaire de Campbell placée en tête de ce volume, il est bien relaie que cet officier assista aux batailles des Quatre-Bras et de Waterloo mais il n'est fait aucune mention de l'assistance donnée à Cambronne.

D'après une lettre de Wellington à lord Bathurst (Bruxelles 19 juin, sans indication horaire [de quatre à huit heures du soir] Letters and Dispatches, XII, 489), Cambronne fut amené à Bruxelles le 19 juin. Mais on ne peut préciser si ce fût le matin ou dans l'après-midi.

[40] Comptes rendus du procès de Cambronne, précités.

[41] Lettre du commandant en retraite Heuillet, du 2e chasseurs de la vieille garde, au directeur de la Sentinelle de l'Armée, 8 septembre 1844.

[42] Lettre du général Harlet à la comtesse Michel, Sézannne, 30 avril 1844 (citée dans la Requête au Roi pour la comtesse Michel, p. 6). — Le général Harlet dit tenir ce renseignement de Dupuy lui-même qui le lui donna en décembre 1815.

[43] Lettre du lieutenant-colonel Magnant (en retraite à Vernon), au général Harlet, Vernon, 26 avril 1844. Citée dans la Requête au roi, pour le comte Michel, p. 3.

[44] Colonel Biot, Campagnes et Garnisons, p. 294.

[45] Requête au roi, pour le comte Michel, p. 2.

[46] Ce Martin, qui était genevois, quitta l'armée le 29 septembre 1815 et mourut pasteur à Genève, vers la fin du second empire. Il a écrit les Souvenirs d'un ex-officier et le Voyage d'un ex-officier.

[47] Voyage d'un ex-officier, p. 17. — Le texte porte : des mâtins comme nous ; mais Martin ajoute en note : C'est la traduction d'un mot plus énergique employé par le général.

Cette réponse, avec les variantes : des gens comme nous, des hommes comme nous, a été citée plusieurs fois, notamment par H. Lucas, un Breton, dans un article du Siècle du 29 mai 1862, à propos des Misérables, et par l'Intermédiaire, XXXI, 313.

[48] Levot, Biographie bretonne, 1852, I, p. 241.

Selon Brunschvig (Cambronne, 146), aucun journal local n'a mentionné la présence de Cambronne à ce banquet. Mais le comte Marquiset (La phrase et le mot de Waterloo, 23), cite ce passage du journal le Breton 21 septembre 1830 : Au haut de la salle, on aperçoit le buste du roi entouré du drapeau tricolore surmontant une table où sont assis l'illustre général de cette vieille garde, de cette légion immortelle dont nos enfants raconteront les faits sans oser y croire, etc. Cambronne est désigné là le plus clairement du monde.

[49] Lettre de Raoul Duval, 10 mars 1845, citée dans la Requête au roi, pour le comte Michel, p. 2.

Dans ses Mémoires, en général fort peu véridiques, le comte Horace de Viel-Castel conte que le général Mellinet, qui avait connu Cambronne et l'avait questionné sur le mot et la phrase, lui rapporta que celui-ci n'avait dit ni l'un ni l'autre. ... Ce qui est vrai, aurait répondu Cambronne à Mellinet, c'est que chaque fois que la proposition de me lire bas les armes nous fut faite, je m'avançai en tête de mes soldats, et levant mon sabre, je criai de ma voix la plus vibrante : Grenadiers, en avant !

En tout cas, Cambronne qui s'adressait à des chasseurs aurait dit : Chasseurs, en avant ! Mais on doit tenir pour nul le racontage de Viel-Castel, puisque le général Mellinet, questionné par M. Brunschvig, en 1892, lui a déclaré que M. de Viel-Castel avait également mal interprété ses paroles et sa pensée. Brunschvig, p. 154.

[50] Lettre de E. S. Dikson, citée par Cotton, A voice from Waterloo, 144, note. — Il n'est pas surprenant que Cambronne qui, en mai 1820, avait épousé une Anglaise, Mme veuve John Sword, se soit trouvé plus tard en relations avec des compatriotes de sa femme.

[51] Lettre de F. Favre, maire de Nantes, citée dans la Requête au roi, pour le comte Michel, p. 3.

M. Brunschvig (Cambronne, 125-126), a fait remarquer justement que les fils du général Michel se sont abstenus de citer la fin de cette lettre qui se termine ainsi : Pour tous ceux qui ont entendu le général Cambronne, il résultait de son embarras et de la manière un peu gauche dont sa franchise habituelle niait la chose que la voix publique avait eu raison de lui en attribuer l'honneur. Le passage omis était intéressant à rétablir. Mais de l'embarras de Cambronne, je ne tirerais pas la même conclusion que le maire de Nantes. Il me semble que Cambronne était embarrassé et gauche non parce que sa modestie extrême l'empêchait de reconnaitre pour vraie une phrase de lui, mais parce qu'il n'avait pas prononcé cette phrase et parce qu'il avait scrupule à répéter le mot qu'il avait dit. Cette extrême modestie de Cambronne qu'invoque le maire de Nantes n'est pas une bonne explication. La modestie consiste à ne pas rappeler un acte ou une parole qui vous honore, elle ne commande point de nier cet acte ou cette parole quand on est questionné sur cela.

[52] Lettre de Dalidet, 7 mars 1845, conservée aux Archives municipales de Nantes.

[53] Lettre de M. Roussin à Henry Houssaye, château de Kéraval, 30 août 1893.

[54] Cambronne, sommé de se rendre, répondit d'une manière très énergique, mais ne prononça pas les mots qu'on lui attribue généralement : la garde meurt et ne se rend pas. — Le Dictionnaire des morts et des vivants disait un an après : Cambronne, sommé de se rendre, répondit en termes énergiques que nous ne pouvons transcrire ici.

[55] Lettre du commandant Heuillet, du 2e chasseurs de la vieille garde, précitée.

[56] L'Intermédiaire, III, 287 : Un certain E. G. P. conte ce récit d'un ancien enseigne de vaisseau en 1816 (amiral depuis). En 1816, un général anglais ayant complimenté Cambronne sur son mot héroïque, celui-ci répondit : Rengaine ! Je n'ai rien dit de pareil. — Qu'avez-vous donc dit ?J'ai dit : M....., et il lui tourna le dos en grommelant : Sont-ils embêtants ces goddams ! Qu'il prenne cela pour lui, s'il veut.

[57] Lieutenant-colonel Lemonnier-Delafosse, Campagnes de 1810 à 1815, p. 388-390, Le Havre, 1850.

[58] Paroles rapportées par M. Paul Chauvet qui les tenait de son père, lequel les avait entendu dire par le général de Bréa (citées par Brunswicg, Cambronne, 155).

[59] Lettre de Pierre Frunckaert, l'Ami des Livres, juillet 1862 (citée par Albert Lumbroso, dans le recueil d'Études napoléonniennes qui a pour titre : Napoléon a-t-il aimé une femme ? Modène, 1901, in-4°, p. 50-53.

Dans cette lettre, Pierre Franckaert assure qu'il se trouvait à cette réunion qui se tint au café des Variétés. Il déclare avec indignation que le mot est une polissonnerie inventée ce jour-là même par Genty. Mais il ne donne aucune preuve à l'appui de son opinion. Du contexte de son très long récit, il ne ressort nullement que Genty ait donné le mot comme de soi-même. Raconter une chose ou citer un mot n'implique pas que l'on invente cette chose ou ce mot. Très vraisemblablement, le mot, authentique ou non, cité par Genty, était connu d'anciens compagnons d'armes de Cambronne bien avant que Genty ne l'eût dit à ses amis du café des Variétés.

[60] Cité dans A travers ma vie, 1707-1847, par Armand Marquiset, p. 246.

On peut rapprocher de la citation, du général Bachelu la lettre de M. Gustave Bord, publiée dans l'Intermédiaire du 20 août 1904. ... Je possède des lettres de Cambronne qui prouvent que dans son langage habituel (il employait) N. de d. ! M..... ! Ce que nous pouvons attester c'est que ce général ne mâchait pas ses mots. Je dois dire d'ailleurs que M. Bord a bien voulu me montrer les curieuses lettres de Cambronne et que je n'y ai point trouvé le juron ni l'exclamation grossière. Mais ces lettres qui sont adressées à des femmes, sont écrites dans le ton le plus libre, ce qui motive bien l'opinion de M. Gustave Bord, que Cambronne ne mâchait pas ses mots.

[61] Cambronne, p. 155. — Dans les pièces annexes de son livre (p. 344), M. Brunswicg dit encore : ... C'est dire que Rogeron de la Vallée se trouvait en rapports constants avec Mme Cambronne et qu'elle dut relire les épreuves du livre avant le bon à tirer pour vérifier l'exactitude du récit.

[62] Rogeron de la Vallée, Vie de Cambronne, Nantes, 1853 p. 237.

[63] Rogeron de la Vallée, Vie de Cambronne, p. 237.

[64] Lettre du lieutenant-colonel Chrétien, citée par Brunswicg, Cambronne, Annexes, 368-369.

L'opinion que Cambronne avait dit le mot était à peu près générale à Nantes, il y a une trentaine d'années, au temps où vivaient encore nombre de personnes ayant connu l'illustre soldat. Je tiens ce renseignement d'Évariste Mangin, ancien rédacteur au Phare de la Loire, mort quasi octogénaire il y a deux ou trois ans.