1815

LIVRE III. — LA FRANCE CRUCIFIÉE

 

CHAPITRE IV. — LE MINISTÈRE TALLEYRAND.

 

 

I

Dans la France en larmes et en feu où l'autorité royale était méconnue par l'ennemi, détestée par la majorité du peuple et de l'armée, soufferte avec peine par les ultras, les chouans et les verdets qui espéraient un Charles X, le roi n'avait la plénitude de son pouvoir que pour punir, car en punissant il remplissait les vœux des étrangers et des royalistes.

Le général de La Bédoyère fut arrêté le 2 août. A l'armée de la Loire, il s'était muni d'un passeport pour les États-Unis et d'une lettre de crédit de 55.000 francs, signée Ouvrard. Mais avant de s'expatrier, il voulut revoir une dernière fois sa jeune femme et son fils. Il prit la diligence de Riom, arriva à Paris le 2 août à dix heures du soir, et se fit conduire 5, rue du Faubourg-Poissonnière, chez Mme de Fontry, amie de la comtesse de La Bédoyère. Une heure après, des agents vinrent l'arrêter sur la dénonciation de deux misérables, des officiers, dit-on, qui avaient voyagé avec lui[1]. On mena rondement les choses. Dès le 14- août, La Bédoyère comparut devant le 1er conseil de guerre et fut en une seule séance condamné à mort à l'unanimité. Son pourvoi rejeté par le conseil de révision le 19 août, il fut fusillé le même jour[2].

Devant le conseil de guerre, le jeune général (il avait vingt-neuf ans) reconnut sans faiblesse les faits de trahison et de rébellion envers le roi dont il s'était rendu coupable à Grenoble[3], mais il chercha à les excuser par l'état de l'opinion en mars 1815. Le président l'interrompit. — Les discussions politiques, dit-il, sont étrangères à votre défense. Alors La Bédoyère se troubla. Espérant peut-être en la clémence des juges ou en la miséricorde du roi, il fit une apologie de Louis XVIII qu'il termina ainsi : Les étrangers verront encore, je l'espère, une grande nation de Français réunis autour de leur roi. Peut-être ne suis-je pas destiné à voir ce spectacle, mais j'ai versé mon sang pour ma patrie, et j'aime à me persuader que ma mort, précédée de l'abjuration de mes erreurs, pourra être de quelque utilité ; que mon souvenir ne sera pas en horreur, et que quand mon fils sera en âge de servir son pays, on ne lui reprochera pas mon nom[4].

Dans les quatre jours qui s'écoulèrent entre la condamnation et le rejet du pourvoi, Mme de La Bédoyère multiplia les démarches et les prières chez Talleyrand, chez Pasquier, chez Decazes, pour être admise à se jeter aux pieds du roi[5]. Née de Chastel-lux, petite-fille du marquis de Durfort-Civrac, elle avait confiance dans les sentiments du souverain pour sa famille qui avait montré une fidélité constante et un zèle ardent pendant toute la durée de l'émigration. Louis XVIII n'aimait pas les émotions, il refusa de recevoir la suppliante. Mais le 19 août, elle réussit à pénétrer, voilée et vêtue de deuil, dans le vestibule des Tuileries, au moment où le roi sortait pour sa promenade en voiture. Elle tomba à genoux en murmurant : — Grâce ! Sire. Grâce !Madame, répondit le roi, je connais vos sentiments et ceux de votre famille. Jamais il ne me fut plus douloureux de prononcer un refus[6]. Et il passa. Mme de La Bédoyère était tombée évanouie sur les dalles. On la transporta chez elle, rue Taranne. Elle reprit connaissance, et, guidée par un pressentiment, elle mit son fils dans ses bras, monta en voiture et se fit conduire à l'Abbaye. C'est l'heure fixée pour le départ du condamné. Les gendarmes veulent écarter la malheureuse femme, mais elle s'obstine à rester ; émus de pitié, ils la laissent libre. Une voiture s'avance, destinée à La Bédoyère. La porte de la prison s'ouvre, il parait accompagné de l'abbé Dulondel. Sa femme se jette à son cou en poussant des cris effrayants, et s'évanouit de nouveau. On en profite pour la porter dans sa voiture. Le général lui donne un dernier baiser, prend son enfant, l'embrasse, le pose doucement sur les genoux de la mère évanouie. Puis, ressaisissant toute sa fermeté, il monte dans l'autre voiture, la voiture de la mort[7].

Arrivé dans la plaine de Grenelle, lieu habituel des exécutions militaires, La Bédoyère s'entretint quelques instants avec l'abbé Dulondel, et il vint se placer debout devant le peloton de fusiliers vétérans : — On ne peut m'envier le plaisir de commander encore une fois l'exercice à de braves camarades... Mes amis, tirez et ne me manquez pas ! Les vétérans apprêtèrent leurs armes. Il commanda : — En joue... Feu ! et tomba foudroyé[8].

Ce supplice fit le meilleur effet dans le monde politique. Les journaux du lendemain louèrent le grand acte de justice qui venait de s'accomplir[9]. Quelques jours plus tard, Chateaubriand, président du collège électoral du Loiret, présenta au roi une adresse où brillaient ces phrases : Vous avez saisi ce glaive que le souverain du ciel a confié aux princes de la terre pour assurer le repos des peuples... Le moment était venu de suspendre le cours de votre inépuisable clémence... Votre sévérité paternelle est mise au premier rang de vos bienfaits[10].

On attendait d'autres actes de justice. Presque tous les officiers généraux désignés par l'article Ier de l'ordonnance de proscription avaient fui à l'étranger ou se trouvaient bien cachés en France ; mais Lavallette était à la Conciergerie depuis le 18 juillet, Drouot et Debelle s'étaient volontairement constitués prisonniers, Ney, enfin, de tous le plus haï, la bête noire, avait été arrêté le 3 août dans un château du Cantal et amené à Paris. Pendant que l'on instruisait leur procès, une double exécution, vraiment inattendue, vint réjouir le cœur de ces royalistes de bon aloi que Benjamin Constant appelait des cannibales[11].

L'incident se passa à Bordeaux. Durant les Cent Jours, les généraux en retraite César et Constantin Faucher, deux jumeaux, qui habitaient la Réole, avaient été rappelés à l'activité pour être employés à l'armée des Pyrénées-Occidentales. C'étaient des républicains convaincus. Ils avaient gagné leurs grades en combattant les Vendéens pendant la Révolution. Non compris dans l'organisation de l'armée en 1795, ils avaient occupé des fonctions civiles à l'époque du Consulat et les avaient cessées à la proclamation de l'Empire. En 1814, ils offrirent de reprendre du service, puis, lorsque les Anglais vinrent occuper la Réole, ils refusèrent d'assister aux fêtes qui furent données à cette occasion[12]. Les deux frères étaient déjà très suspects au parti royaliste quand Clausel, ayant mis la Gironde en état de siège, nomma Constantin Faucher au commandement des arrondissements de la Réole et de Bazas[13]. Celui-ci n'exerça pas longtemps ce commandement. Le 24 juillet, il reçut par une estafette de Clausel un ordre du ministre de la guerre lui enjoignant de cesser toute fonction militaire. Cet ordre concernait aussi le général César Faucher qui, élu député de la Gironde au mois de mai, était revenu après la dissolution de la Chambre rejoindre son frère à la Réole, et s'y trouvait sans emploi[14]. Constantin se démit aussitôt de son commandement qui était assez illusoire puisqu'il n'y avait pas un seul homme de troupe à la Réole. Le lendemain, toutefois, il fit passer l'ordre à la gendarmerie de Bazas de transférer à Bordeaux un officier que les royalistes menaçaient de mort[15]. Le même jour, 22 juillet, un détachement d'infanterie traversa la fléole. Furieux de voir à la mairie et à la sous-préfecture des drapeaux blancs que, conformément aux ordres de Clausel, Constantin Faucher y avait fait hisser la veille[16], ils arrachèrent ces drapeaux, les brûlèrent et parcoururent les rues de la ville en tirant des coups de fusil en l'air et en proférant des menaces contre les royalistes. Pas plus que le sous-préfet et le nouveau maire, les frères Faucher ne s'opposèrent à ces scènes de désordre, n'ayant pour cela ni autorité ni force armée[17].

Deux jours plus tard, cent gardes royaux à cheval arrivèrent de Bordeaux pour rétablir l'ordre. L'ordre était parfait, et les drapeaux blancs rétablis flottaient au gré du vent sur les édifices publics et sur beaucoup de maisons particulières. Les gardes royaux n'en firent pas moins grand tapage ; ils maltraitèrent nombre d'habitants, laissèrent pour mort un métayer qui avait trop tardé à crier : Vive le roi ! et ameutèrent les royalistes contre les frères Faucher qui, prétendaient-ils, avaient incité les soldats à brûler les drapeaux blancs et à terroriser la ville. On criait : A bas les Faucher ! A mort les brigands ! Il faut tuer les Faucher. Un garde royal dit : — Je boirais bien un verre du sang des Faucher[18]. Les deux frères n'étaient pas d'un caractère à se laisser égorger. Ils se barricadèrent dans leur maison où vinrent les rejoindre quelques amis, et se préparèrent à repousser toute attaque. Ils écrivirent au général Clausel pour lui apprendre l'état des choses et leur détermination de se défendre[19]. Clausel reçut la lettre le 28 juillet, quand il allait quitter Bordeaux pour échapper à l'ordonnance de proscription. Il la remit assez étourdiment au nouveau préfet, M. de Tournon[20]. Cet homme zélé requit la gendarmerie de faire une perquisition chez les généraux Faucher qui avaient un dépôt d'armes, crime prévu par l'article 93 du Code pénal. On trouva dix fusils de chasse dont trois hors de service, un fusil de munition, deux paires de pistolets, trois sabres, sept vieilles épées et enfin huit petits canons d'enfants qu'un gendarme réunit avec une ficelle et qu'il porta au bout d'un doigt. Ces joujoux furent qualifiés pierriers par le procureur du roi Dumoulin ; en conséquence, il lança un mandat d'amener[21]. Les frères Faucher furent conduits au fort du Hâ à Bordeaux, et écroués dans le quartier des condamnés de droit commun qui leur firent subir mille avanies. On les mit ensuite au secret dans la tour réservée aux forçats. Ils demeurèrent là plus de six semaines, dévorés par la vermine, sans lumière et sans linge, ayant pour tout mobilier un matelas infect et une couverture. On leur refusa jusqu'à une chaise. Ainsi ils étaient contraints de rester constamment debout pour éviter l'air asphyxiant qu'exhalait une bouche de latrines et qui, plus épais et plus pesant, couvrait le ras du sol. — On vous a donc ordonné de nous faire souffrir ? dirent-ils au guichetier. Et cet homme répondit : — On ne m'a point donné l'ordre, mais on me l'a fait entendre[22].

La réaction dominait Bordeaux. Le conseil de guerre de la 11e division militaire venait de condamner à mort deux gendarmes accusés d'avoir poilé la cocarde tricolore après le retour du roi[23]. Il circulait une brochure dénonciatrice contenant les noms, qualités et demeures de tous les hommes dangereux qui avaient signé l'Acte additionnel on prêté serment à l'échappé de l'île d'Elbe[24]. Le Mémorial Bordelais publiait des articles qui distillaient le sang[25]. A la honte du barreau girondin, les accusés ne trouvèrent pas un défenseur. Ils avaient pour amis deux avocats de grand renom. Ceux-ci se dérobèrent ; ils se jugeaient assez compromis déjà par leurs relations avec ces criminels[26]. Le conseil de guerre déclara que le refus des défenseurs et l'impossibilité d'en trouver ne pouvaient retarder la tenue de la séance. Les deux jumeaux se défendirent eux-mêmes. Constantin plaida pour César, César plaida pour Constantin. On avait abandonné la ridicule inculpation de dépôt d'armes que démentait le procès-verbal de la gendarmerie, mais on avait trouvé trois chefs d'accusation : 1° Les généraux Faucher avaient retenu contre la volonté du gouvernement un commandement qui leur avait été retiré ; 2° Ils avaient commis un attentat dont le but était d'exciter la guerre civile en réunissant dans leur maison des gens armés ; 3° ils avaient comprimé par la force des armes l'élan de fidélité des sujets du roi. Reconnus, à l'unanimité, coupables sur les trois points, ils furent condamnés à la peine de mort[27].

Sur les prières de leur nièce, Anaïs Faucher, ils se pourvurent en révision. Là, il fallut bien désigner des défenseurs d'office. Bien qu'obéissant à un mandat, ces avocats crurent devoir s'excuser devant les juges de prêter assistance aux frères Faucher. Le bâtonnier Emérigon déclara que lui et son confrère s'abstiendraient de parler des opinions et de la conduite des généraux Faucher et même des délits qui leur étaient imputés, et qu'ils se borneraient à examiner la procédure instruite contre eux. Nous sommes donc, ici, conclut-il, les avocats de la loi plutôt que les défenseurs des accusés. Le commissaire du roi, un ordonnateur des guerres, n'eut pas une attitude moins extraordinaire. Au lieu de s'en tenir à la discussion des questions de formes, les seules soumises au conseil, il prononça un réquisitoire dans le style de Fouquier-Tinville : Les deux frères, se glorifiant d'une horrible solidarité, osaient élever audacieusement leur tète hideuse d'un demi-siècle de crimes... Que leur supplice apprenne aux conspirateurs que la persévérance dans le crime fatigue la clémence. L'arrêt de mort fut confirmé à l'unanimité. Les Faucher dormaient quand on entra dans le cachot pour leur annoncer que leur pourvoi était rejeté et que l'exécution aurait lieu le lendemain. — Parbleu ! dit César, ce n'était vrai-nient pas la peine de nous réveiller[28].

Le lendemain, 27 septembre, les deux frères qui avaient accoutumé de s'habiller l'un comme l'autre, revêtirent des polonaises et des pantalons entièrement blancs et se firent raser. Un officier les invita à se presser. — Bah ! dit Constantin, on ne partira pas sans nous ! Ils refusèrent un prêtre, et, avant de quitter la prison, ils s'embrassèrent une dernière fois, craignant qu'au moment de la mort leur sensibilité ne parût une marque de faiblesse. Du fort du Hâ à la prairie de la Chartreuse où ils devaient être fusillés, il y a plus d'une lieue. Ils firent le trajet à pied, se donnant le bras, causant, se souriant parfois, et paraissant aussi tranquilles que s'ils allaient se promener à la Réole, sur les bords familiers de la Garonne. Devant le peloton d'exécution, ils se tinrent par la main ; l'un d'eux commanda le feu. César tomba mort, Constantin qui respirait encore se souleva pour regarder tendrement son frère. Un sous-officier lui tira un coup de fusil dans l'oreille[29].

Des placards portant en grosses lettres : Jugement des frères Faucher furent affichés dans toute l'étendue de la 11e division militaire. A Bayonne, quelqu'un effaça le mot : Jugement, et, à la place, il écrivit : Assassinat[30].

 

II

Avant de décider le sort de la France, les Alliés réglèrent les derniers destins de Napoléon. Il avait dit qu'il se confiait volontairement à l'Angleterre. Mais si les paroles perfides de Maitland l'avaient affermi dans cette résolution, le gouvernement anglais n'avait pris aucun engagement envers lui ; et après avoir dépensé plus de vingt milliards de francs[31] pour le combattre, l'Angleterre ne pouvait pas ne point le mettre hors d'état de tenter un nouveau retour de File d'Elbe. Selon les paroles de lord Roseberry, il fallait paralyser une force et une intelligence qui se trouvaient trop gigantesques pour la sécurité du monde. Le que de Sussex et lord Rolland rédigèrent une protestation contre la conduite du ministère tory. Le Morning Chronicle publia une consultation de Capet Lofft où ce jurisconsulte déclarait que Bonaparte, s'étant luis sous la sauvegarde des lois anglaises, pouvait requérir du Lord Chancelier un writ d'habeas corpus. Un officier de marine eut l'idée de citer Napoléon comme témoin devant le banc du roi et obtint une assignation (sub pœna) qui fut portée à l'amiral Keith et que celui-ci esquiva eu sautant dans un canot et en s'éloignant à forces de rames[32]. Mais les quelques Anglais qui croyaient à l'hospitalité anglaise avaient contre eux l'opinion de l'Angleterre. Le Times, le Morning Post, le Courrier, tous les journaux fulminaient contre le plus infâme des criminels. Les uns demandaient que Bonaparte fût pendu, d'autres livré à Louis XVIII, d'autres emprisonné dans la citadelle de Dumbarton ou à la Tour de Londres, d'autres déporté au bout du monde, d'autres enfermé dans une cage de fer. Si nous n'avons pas le pouvoir de pendre Bonaparte, disait le Times, je ne vois quel pouvoir nous aurions de le garder prisonnier. Et le Times concluait à la pendaison. Un certain Lewis-Goldsmith adressa aux souverains alliés une lettre ouverte pour les conjurer de traduire Bonaparte devant un tribunal européen qui le condamnerait à mort[33].

En France, chez les exaltés du parti royaliste, c'était le même acharnement, la même soif de sang. La Bouisse, poète élégiaque, écrivit à Wellington : La France a besoin d'un grand exemple. Il but que les conspirateurs meurent, et surtout il faut sacrifier le chef des coupables, cet usurpateur couvert de crimes qui a fait à votre généreuse nation l'insulte d'espérer un asile parmi vous. Buonaparte n'est pas un souverain, ce n'est pas même un homme ; c'est un monstre. Il faut qu'il meure. La France ne peut être sincèrement unie à l'Angleterre qu'à ce prix[34].

En apprenant la capture de Napoléon, les ministres étrangers réunis à Paris pensèrent d'abord qu'il serait emprisonné à perpétuité au fort Saint-Georges dans le nord de l'Ecosse[35]. Mais ce n'était pas l'avis du cabinet anglais. Dès le 21 juillet, Liverpool écrivit à Castlereagh : Comme la meilleure façon d'en finir avec Bonaparte, nous voudrions que le roi de France le fit pendre ou fusiller, niais si cela n'est pas pratique, et que les Alliés désirent que nous nous chargions de lui, nous ne demandons pas mieux. Cependant nous ne voulons pas l'emprisonner ici. De très gentilles questions légales pourraient survenir qui seraient embarrassantes. Il serait aussi à craindre qu'il devint l'objet de la compassion populaire. Et s'il restait en Europe, cela ferait fermenter la France. M. Garrow recommande Sainte-Hélène comme le meilleur lieu d'internement. Il y a une très belle citadelle où il pourrait demeurer. Toute intrigue y sera impossible. Et, si loin ! Bonaparte sera vite oublié[36]. A la conférence du 28 juillet, Castlereagh soumit aux plénipotentiaires d'Autriche, de Russie et de Prusse la proposition du cabinet de Saint-James. Ils l'adoptèrent presque sans discussion et demandèrent seulement que chacune des grandes puissances eût un commissaire à Sainte-Hélène de façon à pouvoir répondre aux bruits de la malveillance. Castlereagh n'ayant point fait d'objection, ils insérèrent au protocole que tout ce que le gouvernement de la Grande-Bretagne se chargerait de faire pour conduire et garder en lieu sûr Napoléon Bonaparte lui donnerait de nouveaux titres à la reconnaissance de l'Europe. Cinq jours plus tard, le 2 août, ils s'avisèrent que le roi de France était intéressé dans cette question. Ils daignèrent informer le cabinet des Tuileries de la décision prise et l'invitèrent à désigner un commissaire pour Sainte-Hélène[37]. Talleyrand choisit le marquis de Montchenu. — C'est un bavard ignorant et pédant, dit-il, l'homme le plus ennuyeux du monde. C'est la seule vengeance que je veuille tirer de Napoléon[38].

La déportation de l'empereur était un projet vieux d'un an. Dans l'automne de 1814, on avait intrigué hors séances au congrès de Vienne pour enlever Napoléon de l'île d'Elbe et le transporter dans quelque île très lointaine de l'Océan. On désignait la Trinité, Sainte-Hélène et, de préférence, Sainte-Lucy dont le climat meurtrier aurait vite délivré l'Europe de ce captif redouté[39]. Si, en 1815, on renonça à Sainte-Lucy, sans doute ce ne fut pas par humanité. Située dans un archipel et non loin du littoral américain, Sainte-Lucy offrait des facilités d'évasion. Sainte-Hélène, au contraire, petite île perdue dans l'Océan, inabordable, sauf sur un seul point, et d'où les vigies apercevaient les navires à une distance incroyable, présentait toutes les conditions de sûreté pour la garde d'un prisonnier. Sainte-Hélène, d'ailleurs, avec sa température variant entre 10 et 21 degrés Réaumur, ses pluies périodiques, ses vents alisés, ne passait point pour insalubre. Il n'est donc pas vrai de dire que la déportation de Napoléon dans cette île fut une sentence de mort dont le climat devait être l'exécuteur. L'exécuteur, ce fut Hudson Lowe[40].

La conférence de la paix s'était constituée à Paris dès le 12 juillet. Castlereagh et Wellington y représentaient l'Angleterre ; Metternich et Wessenberg, l'Autriche : Hardenberg et Guillaume de Humboldt, la Prusse ; Razoumofsky et Capo d'Istria, la Russie. Les plénipotentiaires français ne devaient être admis que lorsqu'on serait absolument d'accord entre alliés sur les conditions de paix à imposer. Comme au congrès de Vienne, les intérêts se trouvèrent aux prises mais, dominant tout, il y avait la haine de l'Europe contre la France. On parlait outre-Rhin de partager la France en pays de langue d'oc et en pays de langue d'oïl, d'exterminer l'exterminatrice. Au nom du parti militaire prussien, Gneisenau demandait que l'on arrachât à la France sa ceinture de forteresses sur le Rhin et la Moselle et sur la frontière belge. Le roi de Prusse déclarait qu'on ne pouvait faire la paix avec une nation aussi corrompue sans prendre des garanties qui devaient être l'Alsace, la Lorraine et la frontière des Flandres. La France, écrivit lord Liverpool, n'a jamais hésité à prendre des territoires. On a le droit de lui reprendre les principales conquêtes de Louis XIV, car il faut une frontière solide pour la protection des pays voisins... Les Français, quoi qu'il arrive, ne nous pardonneront pas leur humiliation et s'efforceront de prendre leur revanche. Nous devons donc profiter de notre victoire[41]. Les Prussiens, toujours grands cartographes, produisirent une carte où les territoires à détacher de la France formaient une bordure bleue au long des frontières de l'est et du nord. Cette bordure comprenait une partie de l'Isère, de l'Ain, du Jura et du Doubs, le Haut-Rhin, le Bas-Rhin et la Moselle en entier, une importante fraction de la Meuse et des Ardennes et tout le département du Nord[42].

Seule la Russie manifestait des sentiments amicaux. La Russie, il est vrai, ne pouvait prétendre, vu sa situation géographique, à une part des dépouilles de la France, et son intérêt était que cette puissance restât forte pour faire contrepoids en Europe à l'Autriche et à la Prusse. Le 28 juillet, Capo d'Istria déposa un mémorandum concluant à une contribution de guerre et à l'occupation provisoire d'une ligne militaire. En prenant les armes contre Bonaparte, disait-il avec plus de bienveillance que de justesse, les puissances n'ont pas considéré la France comme un pays ennemi. Elles ne peuvent donc y exercer le droit de conquête[43]. Les plénipotentiaires russes avaient un appui en Wellington, ami personnel et défenseur dévoué de Louis XVIII, et en Castlereagh qui redoutait que les bons offices de la seule Russie ne déterminassent dans l'avenir une alliance franco-russe ; mais les deux Anglais n'osèrent d'abord se déclarer ouvertement, car les instructions du cabinet de Saint-James leur prescrivaient de demander une cession de territoire[44]. Metternich faisait le bon apôtre. Il s'élevait hypocritement contre toute conquête, ce qui serait opposé au droit ; mais il réclamait des garanties, et il entendait par ces garanties que la France perdrait ses points offensifs, c'est-à-dire céderait aux États voisins ses forteresses de première ligne[45]. Du moins, les plénipotentiaires prussiens ne jouaient pas les Tartuffes. Jusqu'au 25 mars, disait Humboldt, l'alliance était faite pour les Bourbons contre Bonaparte ; à partir du 25 mars, la ligue était dirigée contre la France pour la propre sûreté des Alliés. Il faut donc renverser toutes les idées pour nier que la France était l'ennemie des Alliés et que la partie subjuguée devint leur conquête... Ainsi, c'est notre droit et notre devoir d'agrandir les Pays-Bas et d'augmenter l'Allemagne vers le Rhin[46]. — La générosité envers la France, déclarait Hardenberg, serait impardonnable. Et il réclamait impérieusement une indemnité pécuniaire pour les pays éloignés, et, pour les pays voisins, des territoires, à savoir l'Alsace, la Lorraine et la Flandre française[47].

Les ministres des États secondaires n'étaient point admis à la conférence des Quatre, mais ils assaillaient de leurs revendications les plénipotentiaires des grandes puissances. Parmi ces Badois, ces Hanovriens, ces Bavarois, ces Wurtembergeois, le Nassavien Gagern, plénipotentiaire du roi des Pays-Bas au congrès de Vienne, se montra le plus actif et le plus violent. Il multipliait les visites, les lettres, les mémorandums. Prétendre qu'on ne fait la guerre qu'à Bonaparte, disait-il avec trop de raison, est une des assertions les plus absurdes que jamais gens raisonnables se soient permise. Nous ne la croirons que quand on aura prouvé que lui seul mitraillait, tirait et sabrait à Waterloo !... L'honneur français, serait blessé, dit-on, de cessions territoriales. Je croyais à cet honneur français ; n'en parlons plus aujourd'hui. Le retour de Napoléon, soutenu par l'armée et l'élite de la jeunesse, est une des plus vilaines taches laites à cet honneur depuis que l'espèce humaine est civilisée. Gagern insinuait perfidement que traitée avec rigueur ou avec générosité, la France n'en garderait pas moins l'humiliation de la délaite, qu'elle vivrait dans l'idée d'une revanche et que tôt ou tard elle reprendrait les armes. Il concluait que cette guerre inévitable, il fallait la rendre la moins dangereuse possible en affaiblissant d'avance l'adversaire[48]. Au nom de la commission militaire qui délibérait en dehors de la conférence, Knesebeck donna de mêmes arguments : Si l'on prend des demi-mesures, on n'en exaspérera pas moins les Français. Ils nous feront la guerre dans peu d'années, alors que nous ne serons plus prêts. Il est donc sage de profiter de ce que nous sommes 600.000 en France pour en finir une bonne fois, au risque de provoquer une reprise immédiate de la guerre. Nous ne serons jamais en si bonnes conditions pour combattre[49].

Contre ce déchaînement des convoitises et ce torrent de haines, il n'y avait que la volonté du czar. Mais il semblait inébranlable. Un ministre prussien s'étant oublié jusqu'à dire devant lui : — Nous avons nos baïonnettes ! s'attira cette réponse : — Moi aussi, j'ai des baïonnettes[50].

L'attitude résolue de la Russie détermina l'Angleterre. Lord Liverpool, tenu presque chaque jour au courant des choses par des dépêches de Wellington et de Castlereagh, finit par céder à leurs représentations. Le 28 août, il écrivit à Castlereagh qu'il lui donnait carte blanche[51]. Aussitôt, celui-ci communiqua au grand bureau des Alliés un contre-projet qui, semble-t-il, avait été rédigé dès le commencement d'août[52] et qui différait peu du mémorandum russe. Il déclarait que l'esprit du traité du 25 mars donnait à Louis XVIII le caractère d'allié ; il concluait à une indemnité et a une occupation temporaire[53]. Pour se conformer aux instructions antérieures de Liverpool, Castlereagh ajouta orale nient que l'Angleterre ne s'opposerait pas à une petite rectification de frontière vers les Pays-Bas. L'Autriche restait hésitante. Elle souhaitait ardemment que l'on affaiblît la France en lui prenant de grands territoires, mais à qui seraient-ils attribués ? L'Alsace à la Bavière ou au prince héritier de Wurtemberg, beau-frère du Czar ? la Lorraine à la Prusse ? la Flandre aux Pays-Bas ? Ce n'était point l'intérêt de l'Autriche. Elle convoitait l'Alsace et la Lorraine pour l'archiduc Charles, mais la Prusse s'opposerait à cette prétention. Dans la crainte de redoutables complications au partage des dépouilles de la France, Metternich se rallia au projet anglo-russe[54]. Désormais, c'était la. Prusse qui dans la conférence se trouvait seule contre trois. Elle n'en demeura pas moins intraitable pendant quelques jours ; finalement elle céda, mais en proposant que la contribution de guerre fût fixée à douze cents millions, pour que le roi Frédéric-Guillaume pût soulager ses sujets ruinés par les Français. La Prusse continuait à mendier les armes à la main, selon l'expression de Vitrolles. Cette somme jugée exorbitante, les plénipotentiaires prussiens exigèrent, en compensation, la cession de Sarrelouis ; ils en faisaient une condition sine qua non[55].

On se mit d'accord. Le 17 septembre, les plénipotentiaires des quatre cours rédigèrent un projet de traité sur les bases suivantes : 1° Cession des villes et territoires de Philippeville, Marienbourg, Givet, Chartemont, Condé, Sarrelouis et Landau, du fort de Joux et du département du Mont-Blanc ; 2° démolition des fortifications de Huningue ; 3° contribution de guerre de six cents millions et indemnité de deux cents millions pour l'établissement de forteresses vers la frontière française ; occupation, pour trois ans au moins et sept ans au plus, de douze places-frontières par 150.000 soldats des armées alliées, ces troupes devant être entretenues aux frais de la France[56]. Une note fut envoyée au prince de Talleyrand pour le prévenir que les ministres des cabinets réunis étaient prêts à entrer en communication avec le gouvernement français sur les arrangements définitifs[57].

 

III

Les élections générales avaient eu lieu dans la dernière quinzaine d'août. Le ministère comptait sur une majorité constitutionnelle[58]. Il s'y prit mal pour l'obtenir. Afin de s'assurer contre la réélection des jacobins et des bonapartistes élus pendant les Cent Jours comme aussi des libéraux gênants qui avaient fait partie de la Chambre de 1814, on crut habile de retirer l'électorat direct aux collèges d'arrondissement. En vertu de l'ordonnance royale du 13 juillet, ces collèges, recrutés presque sans condition de cens, n'eurent plus que le droit de désigner les candidats au choix des collèges des départements qui se composaient des citoyens les plus imposés[59]. Les préfets furent autorisés, en outre, à adjoindre aux collèges incomplets (ils l'étaient tous) jusqu'à vingt nouveaux électeurs qu'ils devraient désigner parmi les royalistes modérés. Les préfets qui sentaient le vent désignèrent des royalistes ultras[60]. Enfin, dans plusieurs villes du Midi, des électeurs libéraux, redoutant les menaces des miquelets et des verdets toujours altérés de sang, s'abstinrent de prendre part au scrutin[61]. Pour toutes ces raisons, et pour celle-ci encore que dans les temps de troubles on va aux extrêmes, les électeurs donnèrent une Chambre terriblement réactionnaire, cette assemblée fameuse qui représentait quinze mille électeurs directs[62] — à peu près 2 pour 1.000 des citoyens — et qu'on allait surnommer la Chambre introuvable.

Les élections sont bonnes, dirent les ministres en apprenant les premiers résultats[63]. Ils virent bientôt qu'elles étaient trop bonnes. Fouché surtout. Avant même la réunion des collèges électoraux, le duc d'Otrante avait prévu l'orage. Son triomphe suprême, sa nomination de ministre du roi, risquait d'être cruellement éphémère. La proscription du 24 juillet dont il s'était fait le pourvoyeur avait retourné contre lui tout son ancien parti. Où veux-tu que j'aille, traître ? lui avait écrit Carnot ; à quoi il avait répondu, au bas du même billet : Où tu voudras, imbécile ![64] Mais si Fouché se moquait bien alors des jacobins, de leur indignation et de leurs reproches, il lui fallait l'appui des royalistes. Or les royalistes, qui avaient à l'envi poussé Louis XVIII à l'admettre dans son conseil quand ils attendaient de lui l'ouverture des portes de Paris, s'apercevaient que c'était un régicide maintenant que la restauration était accomplie[65]. Lorsqu'il entrait chez le roi, il voyait les courtisans s'écarter de son passage et les entendait murmurer. Un jour, particulièrement irrité de ces susurrations, il poursuivit jusque dans l'embrasure d'une croisée le duc de X... qui avait servi la police impériale pendant l'émigration et lui dit d'un ton moqueur : — Monsieur le duc, je ne suis donc plus de vos amis ! Il est vrai que nous vivons dans des temps meilleurs. Il n'est plus nécessaire au ministre de la police de payer les gens pour savoir cc que fait le roi à Hartwell. Dans les salons, dans les lieux publics, dans les assemblées électorales, les royalistes rectilignes s'indignaient contre la présence au ministère de Talleyrand, de Pasquier et surtout de Fouché. Au jardin des Tuileries, on criait : Vive le roi ! A bas les ministres ! Une société secrète, dite des Francs régénérés, s'organisa, pour surveiller les actes du traître Fouché. Cette association avait la protection occulte de Decazes qui brûlait de remplacer le duc d'Otrante. Dans le cabinet male, les collègues de Fouché lui étaient sourdement ennemis; ils cherchaient à se délivrer de ce compromettant associé, de cette pierre au cou[66].

Pour se défendre, Fouché attaqua ; il chercha un regain de popularité qui, en imposant à ses obligés de la veille, le maintînt au ministère. Le 5 août[67], pendant la séance du conseil, il tira lentement de sa poche un volumineux rapport, et, de l'air indifférent qui lui était devenu naturel, il en donna lecture. C'était un acte d'accusation contre les Alliés. Fouché dénonçait leur manquement à des promesses solennelles, disait leurs exactions et leurs violences et concluait par cette menace : Le moment approche où l'on ne prendra plus conseil que du désespoir... Une fureur aveugle succédera à la résignation. Chaque pas des soldats étrangers sera ensanglanté... Un peuple de trente millions d'habitants pourra disparaître de la terre. Mais dans cette guerre d'homme à homme plus d'un tombeau renfermera, à côté les uns des autres, et les opprimés et les oppresseurs[68].

Les ministres qui, sauf peut-être Talleyrand, n'étaient prévenus de rien écoutèrent ce rapport avec stupeur. Le roi avait toujours de l'à-propos ; il dit judicieusement : — Ce tableau est bien sombre, mais du moment où les choses paraissent ainsi au duc d'Otrante, il a bien fait de me les représenter telles qu'il les voit. Cette sincérité ne saurait d'ailleurs avoir d'inconvénient, car rien de ce qui se dit ici sous le sceau du secret ne saurait transpirer au dehors[69]. Ce rapport répondait aux sentiments de toutes les provinces occupées, mais sa divulgation pouvait avoir des conséquences graves pour l'issue des négociations. Il importait qu'il restât secret. Cela traversait les plans de Fouché qui en se faisant le porte-parole des Français opprimés avait espéré créer à son profit un irrésistible courant d'opinion[70]. Il n'insista pas, cependant, pour que son rapport fût imprimé au Moniteur. Il avait son idée. Quelques jours plus tard, après avoir lu au conseil un second rapport où cette fois, et avec non moins de certitude d'exprimer les sentiments de presque toute la France, il dénonçait la contre-révolution menaçante, les prises d'armes de l'Ouest et les tueries du Midi[71], il fit répandre secrètement d'innombrables copies de ces deux rapports[72].

Colère des Alliés, fureur des royalistes, indignation aux Tuileries. Le gallophobe Stein fulmina une réponse où les Prussiens étaient exaltés comme les vengeurs de l'Europe, et les régicides traités de misérables, d'assassins et de voleurs[73]. La publicité donnée aux rapports, écrivit Liverpool à Castlereagh, est une trahison envers les puissances[74]. Justus Grüner, chef de la police des Alliés, somma Fouché de désavouer le factum. Celui-ci répondit, sans nier l'authenticité des rapports, qu'on en avait altéré le texte[75]. Le calme se rétablit chez les diplomates où d'ailleurs Wellington continuait de soutenir Fouché, mais dans le parti royaliste on attaqua avec une violence croissante l'infâme régicide, un des restes les plus dégoûtants de la Révolution[76]. Decazes insinua à Louis XVIII que Fouché conspirait, que tout était à redouter de lui, même l'enlèvement ou l'assassinat de la personne royale[77]. Sans aller si loin, Pasquier, Talleyrand, les autres ministres, et aussi M. de Vitrolles représentèrent au roi que Fouché ne pouvait décidément point dépouiller sa peau de traître. Sa déloyauté était flagrante. Il fallait saisir l'occasion pour se délivrer de lui. Louis XVIII, très irrité que malgré sa recommandation expresse le duc d'Otrante eût violé les secrets du conseil, se laissa persuader avec plaisir. Il fut convenu que le lendemain Pasquier lui ferait signer une ordonnance nommant Anglès ministre de la police en remplacement du duc d'Otrante. La duchesse d'Angoulême allait arriver à Paris. — Dieu soit loué ! dit gaîment le roi, la pauvre duchesse ne sera pas exposée à rencontrer cette odieuse figure[78].

Mais Fouché qui n'était pas ministre de la police pour rien sut à temps cette petite conspiration de palais. Il pria Wellington d'intervenir. Celui-ci se rendit chez le roi. — Le renvoi du duc d'Otrante, dit-il, serait une grosse faute. Il est le seul lien qui existe entre vous et une partie de votre peuple. Le roi subit encore une fois la volonté de Wellington[79]. Fouché l'emporta, et sûr désormais que sa démission ne serait pas acceptée, il parla de la donner. Mais il ne s'abusait pas ; il pensait lui-même que ce n'était qu'une accalmie dans la tempête[80]. Les députés arrivaient à Paris animés des sentiments les plus hostiles contre lui. Lainé, qui paraissait devoir être élu président de la Chambre dans la prochaine session, déclara nettement à Pasquier que le ministère ne pouvait pas se présenter devant le parlement avec un régicide. Ce garde-à-vous ! produisit un effet immédiat. Il ne suffit plus que Fouché quitte le ministère, dit Talleyrand, il faut qu'il sorte de France[81]. Le 15 septembre, le duc d'Otrante fut nommé ministre à Dresde[82].

Pour ce grand agitateur, Dresde était comme Vile d'Elbe pour Napoléon. Il accepta cependant cette modeste retraite et déclara qu'il ne siégerait pas à la Chambre où venaient de l'élire les départements de la Seine, de la Corrèze et de Seine-et-Marne. Ce renoncement était-il sincère ? Toujours est-il que Fouché restait à Paris. Soudain, obéissant à quelque menace ou effrayé par la réaction déchaînée, il partit sous un déguisement et rejoignit son poste[83]. Il n'allait pas l'occuper longtemps. Trois mois plus tard, il était révoqué, frappé par la loi contre les régicides, banni à jamais de la France. Juif errant de l'exil, chassé de ville en ville comme si l'on craignait sa contagion, partout honni, suspect, espionné, en état de tolérance, il traîna tristement l'ombre de sa vie à Dresde, à Prague, à Linz, à Trieste. Il mourut en 1820[84]. Napoléon avait dit, la veille de son départ pour Rochefort : — J'aurais dû faire pendre Fouché. Je laisse ce soin aux Bourbons[85]. Le supplice fut moins infamant mais il dura plus longtemps.

 

IV

La retraite de Fouché ne sauva pas le ministère. Talleyrand triompha vingt-quatre heures. — Cette fois, dit-il, je lui ai tordu le cou. Mais le cadavre tirait à lui le moribond. Les nouveaux députés se réunissaient chaque jour à la bibliothèque de la Chambre. Lorsque l'on y apprit le renvoi de Fouché, quelqu'un dit : — Le roi a bien fait, mais quand renverra-t-il l'autre ?[86]L'autre, c'était Talleyrand. Les royalistes purs sentaient la même répulsion pour ces deux anciens serviteurs de Napoléon : le régicide et l'apostat. Si le comte d'Artois, influencé par son parti, était devenu plus ou moins hostile à Fouché, c'était sans rancune personnelle tandis qu'il en voulait extrêmement à Talleyrand qui avait frustré les princes de l'accès au conseil des ministres. Le czar enfin, on ne l'ignorait pas à la cour, avait une véritable animosité contre Talleyrand depuis la divulgation du traité secret conclu à Vienne. Or, dans les circonstances du moment, il était habile, il était même nécessaire d'affermir les bonnes dispositions de la Russie en chargeant des négociations suprêmes un ministre en qui elle ne vit point un ennemi[87].

Talleyrand reconnut vite qu'il était perdu. Avant même que la démission de Fouché ; ne fût officiellement annoncée, il provoqua sous prétexte d'un dîner chez le comte de Jaucourt une réunion secrète de ses collègues pour leur exposer l'état des choses. — L'esprit des Chambres, dit-il en substance, est tel qu'il y aurait de grands périls à se présenter devant elles. Mais les exigences folles que les Alliés, j'ai tout lieu de le croire, vont émettre placeront le ministère sur un excellent terrain. Je leur ferai des réponses qui prouveront à la France que nous ne voulions pas prêter les mains à l'indigne traité qu'on veut imposer. Quand nous serons partis pour une telle cause, l'opinion publique nous suivra dans notre retraite. Si nos successeurs consentent à accepter ce que nous avons refusé, ils sont immanquablement perdus. S'ils veulent résister, ils ne seront pas de force. Il faudra qu'on ait recours aux expériences et aux talents éprouvés. Les gens qui nous sont aujourd'hui le plus hostiles se verront obligés de redemander notre secours, et nous reparaîtrons à la tête des affaires avec une autorité incontestée[88].

Talleyrand continuait Machiavel, niais il avait conçu son plan sous l'empire d'illusions que Machiavel n'aurait pas eues. Si tous les ministres, sans doute, ne les partagèrent point, ils n'en tombèrent pas moins d'accord qu'il valait mieux s'en aller de son propre gré que de se faire mettre dehors. Dès le lendemain, 17 septembre, Pasquier fit entendre au roi que le cabinet était disposé à se retirer, ce qui ne parut causer à Louis XVIII aucune surprise désagréable. Puis le 18 ou le 19 septembre, Talleyrand lui-même instruisit officiellement le roi de la résolution prise par les ministres. Louis XVIII ne fit aucune objection. — Je prendrai mi autre ministre, dit-il tranquillement. Et, en congédiant Talleyrand, il l'invita à tenir cette démission secrète pendant quelques jours, afin d'avoir le temps de réfléchir sur la composition du nouveau cabinet[89]. Pendant ces quelques jours, Talleyrand eut à répondre à l'ultimatum des Alliés et à une demande impérative de Castlereagh concernant la restitution des tableaux, marbres et bronzes conquis par les armées françaises.

Le 3 juillet, déjà, cette réclamation avait été l'objet d'un vif débat entre les généraux alliés et les plénipotentiaires du gouvernement provisoire. La question posée niais non résolue, Blücher la trancha à la hussarde en ce qui l'y intéressait comme Prussien. Le surlendemain de son entrée à Paris, il fit sommer Denon, directeur des musées, de livrer les objets d'art ayant appartenu à la Prusse sous peine d'être arrêté sous vingt-quatre heures pour être conduit dans la forteresse de Grandentz. Denon épouvanté, car Müffling avait déjà envoyé au Louvre un piquet de vingt-cinq hommes, s'adressa, à Talleyrand qui lui conseilla de céder. Une vingtaine de tableaux et de bustes furent aussitôt emballés et expédiés en Prusse[90].

Blücher, satisfait, laissa en repos les Vierges et les Vénus. Mais le roi des Pays-Bas et les petits souverains d'Allemagne et d'Italie réclamèrent auprès du gouvernement anglais. Le Saint-Siège lui-même fit ses revendications bien que la possession des chefs-d'œuvre de Rome transportés en France eut été régularisée par les traités[91]. Canova vint tout exprès à Paris pour prendre livraison de la Transfiguration et de l'Apollon du Belvédère. Il se donnait comme ambassadeur. — Emballeur ! voulez-vous dire, lui répliqua Talleyrand[92].

Wellington et Castlereagh se montrèrent d'abord opposés à ces répétitions, Talleyrand ne voulait pas en entendre parler. L'affaire traîna. Enfin, le 11 septembre, Castlereagh, sur l'ordre du Prince Régent, soumit à la conférence une note concluant aux restitutions demandées. Cette note, qui contenait les expressions peu diplomatiques de masse de pillage, odieux monopole des arts, source impure, fut communiquée à Talleyrand. Il y répondit le 19 septembre par un refus motivé, en termes de la plus forte et de la plus blessante ironie, sur les droits de la France à conserver ces objets d'art et sur l'impossibilité morale où le roi se trouvait de les céder[93]. Ce n'était qu'une protestation purement théorique. Déjà Talleyrand avait dit à Wellington que le roi ne donnerait aucun ordre mais que les Anglais pouvaient s'entendre avec le directeur des musées. Denon déclara qu'il ne livrerait pas un tableau sans l'emploi de la force. La force était là, représentée par un détachement prussien qui depuis deux mois occupait le Louvre. Le 19 septembre, à six heures du matin, les commissaires hollandais entrèrent au musée sous la conduite du colonel Freemantle, aide de camp de Wellington. Denon ne parut point, non plus qu'aucun gardien du Louvre. Les grandes échelles avaient été cachées ; dans tout le quartier, on ne trouva ni un portefaix ni un ouvrier qui consentît à descendre et à emballer les tableaux. Des soldats anglais furent commandés de corvée et l'on emprunta de force les échelles d'un baladin qui faisait travailler des singes savants sur la place de Marengo[94]. L'opération dura jusqu'à la fin de septembre car, les Hollandais nantis, les Allemands et les Italiens se présentèrent. Les Autrichiens, mis en goût, eurent l'idée de rapporter à Venise le Lion ailé de Saint-Marc qui ornait une fontaine du jardin des Invalides, et les chevaux de bronze, faussement attribués à Lysippe, qui étaient attelés au char de la Victoire sur l'arc de triomphe du Carrousel. Les Parisiens tenaient à leurs tableaux et à leurs monuments plus peut-être qu'à quelques parcelles de territoire français. Les colères qu'avait allumées dans Paris la dévastation du Louvre s'exaspérèrent aux premiers préparatifs pour l'enlèvement des chevaux antiques. Le gouverneur prussien Mailing redoutait que le peuple ameuté ne s'y opposât par la force. Au jour fixé, la moitié de la garde nationale fut commandée afin de protéger les travailleurs, et cinq bataillons et quatre escadrons prussiens se massèrent aux abords du Carrousel. Grâce à ce grand déploiement de troupes, l'opération se fit paisiblement, et un officier anglais put se donner le ridicule plaisir de se hisser sur le char et d'y prendre les poses d'un capitan de théâtre forain[95].

Les Alliés s'occupaient d'une exécution plus douloureuse que l'enlèvement des chevaux de Venise. Le 20 septembre, ils avaient communiqué le projet de traité aux plénipotentiaires français. En réponse à cet ultimatum, Talleyrand leur adressa, le surlendemain, une longue note où après avoir invoqué le principe que l'on ne peut conquérir sur un allié, il s'efforçait de démontrer que le roi de France était devenu l'allié des puissances belligérantes par l'accession au traité du 25 mars[96], et qu'il avait même aidé à leurs succès militaires en contraignant Bonaparte à diviser l'armée pour combattre les royalistes du Midi et de l'Ouest. Comme conclusion, Talleyrand admettait au nom de son souverain le retour aux frontières de 1790, le paiement d'une indemnité modérée et d'une courte occupation, mais il repoussait toute cession de l'ancien territoire français. Il terminait en déclarant que si ces bases M'étaient point acceptées il ne se trouverait pas autorisé à en entendre ni à en proposer d'autres[97]. Ce fut le dernier acte de Talleyrand. Le 21 septembre, le duc de Richelieu, émigré de la première émigration, ancien gouverneur d'Odessa et ami personnel du czar, fut nommé président du Conseil avec Clarke à la guerre, Vaublanc à l'intérieur et Decazes, qui remplaçait Blacas dans la faveur de Louis XVIII, à la police générale[98]. C'était un cabinet de réaction homogène. — Voilà un excellent choix, dit Talleyrand. M. le duc de Richelieu est certainement l'homme de France qui connaît le mieux la Crimée[99].

 

 

 



[1] Journal général, 3 et 4 août. Lavallette, Mém., II, 205-206. Pasquier, Mém., 402. Procès du colonel de La Bédoyère, 20-22. — Louis XVIII n'ayant pas reconnu les grades non plus que les décorations donnés pendant les Cent Jours, La Bédoyère fut jugé comme colonel.

[2] Procès de La Bédoyère, 65, 67.

[3] Voir le premier volume de 1815.

[4] Procès de La Bédoyère, 31-35.

[5] Pasquier, Mém., III, 402-403. Cf. Benjamin Constant, Journal, 159.

[6] Journal des Débats, 21 août. Journal de Paris, 21 août. Journal manuscrit de Lechat.

[7] Journal manuscrit de Lechat. Cf. Lettre de Mme de La Bédoyère à Mme de Souza, 28 août (citée par Mlle Cochelet, Mém., III, 290-292.)

[8] Journal des Débats, 21 août. Journal manuscrit de Lechat. E. Géraud, Journal intime, 246. — D'après un récit du Procès de La Bédoyère, le général avant de commander le feu aurait crié : Vive le roi ! Ni le rédacteur des Débats, ni Lechat, ni Géraud ne font mention de cela.

[9] Journal des Débats, Gazette de France, Quotidienne, 20 et 21 août. Cf. Mennechet, Lettres, 369.

[10] Moniteur, 5 septembre. — Je crains de reconnaître dans cette adresse meurtrière le style même de Châteaubriand.

D'autres adresses de collèges électoraux n'étaient pas moins odieuses : Du Var : Pourquoi faut-il que la Provence ait la douleur de compter au nombre de ses enfants quelques hommes sur qui doit tomber peut-être le glaive de la loi ? — De la Lozère : Le supplice de quelques grands coupables épargnera le sang d'une multitude d'individus. — De la Haute-Garonne : Serait-il possible de souffrir les auteurs de cet énorme attentat dans le sein de la patrie dont ils ont déchiré les entrailles ? Serait-il juste même de s'abstenir de toute indemnité sur les richesses criminelles qui furent le salaire de leur infamie ?

[11] Benjamin Constant, Journal, 159.

[12] Dossier des généraux Faucher (Arch. Guerre). Procès des frères Faucher, 173-198 (dans la Bibliothèque historique, année 1819). — Si bons républicains qu'ils fussent, les frères Faucher avaient été condamnés à mort en 1794 par le tribunal révolutionnaire de Rochefort, dans l'accusation absurde de conspirations royalistes. Ils allaient monter sur l'échafaud lorsque le représentant Léquinio ordonna de surseoir à l'exécution. Leur jugement fut révisé, et ils furent mis en liberté et engagés, peu après, à l'armée de Rhin-et-Moselle.

[13] Dossier des généraux Faucher (Arch. Guerre). Procès des frères Faucher, 186. Cf. Rapport de police, s. d. (Arch. nat., F. 7, 3344a.)

[14] Gouvion Saint-Cyr à Clausel, Paris, 16 juillet. (Arch. Guerre.) Procès des frères Faucher, 201.

[15] Journal des frères Faucher. (Procès, 108.) — Cet officier, nommé Duluc, avait été condamné à la déportation en 1814 pour avoir porté un drapeau tricolore dans les rues de Langon.

[16] Constantin Faucher à Clausel, 27 juillet. (Procès, 430.)

[17] Procès des frères Faucher, 186, 273, 410, 411.

[18] Procès des frères Faucher, 187, 202-202, 224, 426.

[19] Constantin Faucher à Clausel, 27 juillet. (Procès, 430-432.)

[20] Procès des frères Faucher, 240.

[21] Arrêté du préfet de la Gironde, 20 juillet. Procès-verbal du capitaine de gendarmerie, La Réole, 31 juillet. Réquisition de Dumoulin, La Réole, 31 juillet. (Procès, 434-438.)

[22] Lettres des frères Faucher au procureur général, 4 et 9 août. Journal des frères Faucher. (Procès, 212, 215, 260-262.)

[23] Journal général, 24 septembre. — Ce jugement fut, il est vrai, annulé par le conseil de révision, qui renvoya les accusés devant un autre conseil de guerre ; mais cette condamnation extraordinaire n'en avait pas moins été prononcée.

[24] Esprit de 93, Bordeaux, septembre de 20 pages.

[25] Chose incroyable, un des numéros fut envoyé aux frères Faucher par l'abbé Rousseau, aumônier des prisons, afin de les désennuyer. (Lettre de l'abbé Rousseau, Procès, 442.)

[26] Lettres des frères Faucher à l'avocat Ravez, 10 nov. 1813, 30 août, 13 sept., 20 sept. 1815 ; à l'avocat Gergevès, 30 sept. 1815. (Procès, 268 à 277.)

[27] Procès des frères Faucher, 289-291.

[28] Procès des frères Faucher, 394-400. Edmond Géraud, Journal intime, 298.

[29] Edmond Géraud, Journal intime, 208 (source royaliste). Procès des frères Faucher, 402-403. — La dernière lettre écrite le matin même de l'exécution par les frères Faucher, témoigne le calme de leur âme : Dans une heure, nous ne serons plus. Nous allons être fusillés par une de ces erreurs, que justifient les exaltations populaires. (A Davout, fort du Hâ, 27 septembre. Dossier des frères Faucher. Arch. Guerre.)

[30] Analyse de la correspondance des Préfets, 20 octobre. (Arch. nat., F. 7, 3774.)

[31] Roseberry, Napoléon, 72.

[32] Lewis Goldsmith, Procès de Buonaparte, 91-93. 116-117, 150-151. Mailland, Relation, 184-192. Roseberry, Napoléon, 74. Cf. Lord Holland, Souvenirs, 147-148.

[33] Articles des journaux anglais cités dans l'Itinéraire de Buonaparte à Sainte-Hélène (par Mayeur), 16-24, 37-39. Lewis-Goldsmith, Procès de Buonaparte, 40-41, 67.

[34] A Wellington, Narbonne, 31 juillet, (cité par La Bouisse, Seconde Lettre aux Français, 12). — Le Retour de Buonaparte en France, 28 : Buonaparte est le Messie de tous les scélérats. Il n'y aura jamais de véritable sûreté pour le genre humain que dans la mort de cet homme. — Barruel-Bauvert, Lettres, III, 287-288 : Il n'y a que les morts qui ne reviennent pas ; et cependant ce cruel et féroce tyran ne sera ni roué, ni écartelé, ni brûlé !

[35] Metternich à Marie-Louise, Paris, 18 juillet. (Mémoires, II, 525-526.) — Dans un rapport confidentiel du 19 juillet (Supplementary Dispatches of Wellington), il est dit que le czar et le roi de Prusse opinaient pour que Napoléon fût mis à mort, mais qu'ils cédèrent à l'empereur d'Autriche qui proposa une détention perpétuelle. Je doute que le czar fût si implacable.

[36] Liverpool à Castlereagh, 21 juillet (Supplementary Dispatches of Wellington, XI, 47.)

[37] Protocoles des conférences des 28 juillet et 2 août. (Arch. Aff. étrang., 1803.)

[38] Rochechouart, Souvenirs, 404-403.

[39] Cf. premier volume de 1815.

[40] Le général Hudson Lowe commandait en Provence le corps de débarquement anglo-sicilien. Au commencement d'août, il reçut de lord Bathurst qui, semble-t-il, s'y connaissait en geôliers tortionnaires, sa nomination de gouverneur de Sainte-Hélène, aux appointements de 175.000 francs.

[41] Gneisenau à Boyen, 22 juin. Frédéric-Guillaume à Gneisenau [juillet,] (cités par Ffüster, Aus dem Lager der Verbündeten, 389-390). Liverpool à Castlereagh, 15 et 28 juillet (Supplementary Dispatches of Wellington, XI, 32, 77). Werner, Projet d'un démembrement de la France, 17, 22. Pertz, Aus Stein's Leben, IV, 284.

[42] Mémorandum de Hardenberg. (Arch. Aff. étrangères, 672.)

[43] Mémorandum de Capo d'Istria, 28 juillet. (Arch. Aff. étrangères, 672.)

[44] Liverpool à Castlereagh, 15 juillet et 28 juillet. Cf. Mémorandum de Liverpool, 30 juin, et Bathurst à Wellington, 29 juin. (Supplemenlary Dispatches of Wellington, XI, 32 et 77, et X, 630 et 625.)

[45] Mémorandum de Metternich, août. (Arch. Aff. étrangères, 672.)

[46] Mémorandum de Humboldt [juillet ou août]. Arch. Aff. étrangères, 672.

[47] Mémorandum de Hardenberg, août. (Arch. Aff. étrangères, 672.) Rapport confidentiel, Paris, 7 août. (Supplementary Dispatches of Wellington, XI, 108.) Cf. Vitrolles, III, 134, 139.

[48] Mémorandum de Gagern, août. (Arch. Aff. étrangères. 672.) Cf. Roi des Pays-Bas à Wellington, 19 juillet, Castlereagh à Liverpool, 21 juillet. (Supplementary Dispatches of Wellington, XI, 40, 122). Wellington au roi des Pays-Bas, 1er août. (Dispatches, XII, 580.) Propos d'officiers hollandais et bavarois, rapportés dans des lettres à Gouvion Saint-Cyr. (Arch. Guerre, 26, 27, 26 août) : La France sera réduite à un petit cercle. — Le département du Nord sera attribué aux Pays-Bas.

[49] Supplément au mémoire Knesebeck, Paris, 13 août. (Supplementary Dispatches of Wellington, XI, 117-119.)

[50] Rapport confidentiel, 7 août (Supplementary Dispatches of Wellington, XI, 108.)

[51] Castlereagh à Liverpool, 3 août, 12 août, 24 août. Liverpool à Castlereagh, 28 août. (Supplementary Dispatches of Wellington, XI, 123, 125, 137, 138, 146.)

[52] Wellington à Castlereagh, 11 août. (Dispatches, XII, 596.)

[53] Mémorandum de Castlereagh, 31 août. (Supplementary Dispatches of Wellington, XI, 118-119.) Cf. Liverpool à Castlereagh, 18 août. (Ibid., XI, 130.)

[54] Schaumann, Geschichte des Zweiten Pariser Friedens für Deutschland, 81. Gervinus, Histoire du XIXe siècle, I, 224.

[55] Schaumann, Appendice, WIII. Hardenberg au Prince Régent, Paris, 18 sept. (Supplementary Dispatches of Wellington, XI, 162.)

[56] Hardenberg au Prince Régent, Paris, 18 sept. (Supplementary Dispatches of Wellington, XI, 102.) Ultimatum sous forme de projet de traité, présenté le 20 septembre. (Arch. Aff. étrangères, 672.)

[57] Les ministres alliés à Talleyrand, 19 sept. (Arch. Aff. étrangères, 672.)

[58] Boni de Castellane, Journal, 190. Barante, Mém., II, 195-196. Pasquier, Mém., III, 111. Vitrolles, Mém., III, 220. Guisot, Mém., I, 105. Cf. Fiévée, Session de 1815, 137-138.

[59] Lettres et rapports du 13 juillet au 30 juillet. (Arch. nat., F1c II, 47.) Moniteur, 15 juillet.

[60] Barante, II, 196. Pasquier, III, 411-412. Cf. Talleyrand, Mém., III, 247.  Hobhouse, Lettres, II, 254.

[61] Rapport du commandant de gendarmerie de Toulouse, 18 août. (Arch. Guerre.) — En dehors du Midi même, on avait pris des mesures contre l'élection de mal-pensants, témoin ce rapport de Bar-le-Duc, du 20 août (Arch. Guerre) : Toutes les mesures sont prises pour que les hommes soupçonnés de n'être pas agréables au gouvernement du roi ne soient pas nommés.

[62] Les votants dans les 88 collèges électoraux de départements s'élevèrent en moyenne à 170 par collège, et les 396 députés furent élus en moyenne par 150 suffrages. (Voir le recensement des votes, Moniteur, 22 septembre.)

[63] Vitrolles, III, 220.

[64] Rapport confidentiel à lord Wellington, 7 août (Supplemenlary Dispatches, XI, 105). Rochechouart, Souvenirs, 106 (d'après le récit du maréchal Gouvion Saint-Cyr).

[65] Wellington à Dumouriez, Paris, 20 sept. (Dispatches, XII, 627.) Rapport sur l'état de la France (par d'Hauterive ?). (Arch. Aff. étrangères, 647.)

[66] Wellington à Dumouriez, 26 sept. (Dispatches, XII, 627.) Géraud, Journal intime, 285. Fouché à Decazes, juillet. (Papiers de Gaillard, cités par Madelin, Fouché, II, 474). Pasquier, IV, 105. — Vitrolles, III, 191, 197-202. — Mémoires manuscrits de Gaillard (comm. par Mme Martineau). Cf. Guizot,           Mém., I, 103.

[67] Pasquier, Mém., III, 385. Cf. Fouché à Mme de Custine, 6 août (cité par Bardoux, Mme de Custine, 255).

[68] Rapport du duc d'Otrante sur la situation de la France (copie classée par erreur eu juillet (Arch. Guerre.) — Selon Pasquier ce rapport fut rédigé par Huet, ancien député des Cent Jours. D'alaires contemporains l'attribuent à Manuel. J'y reconnais la rhétorique de Manuel, mais avec plus de clarté, de précision et de force.

[69] Pasquier, III, 386. Cf. Vitrolles, III, 188. Talleyrand, III, 255.

[70] Guizot, Mém., I, 101. Pasquier, III, 390. — Selon les notes manuscrites de Rousselin, Fouché aurait écrit ce rapport et le suivant à l'instigation de Talleyrand qui voulait le perdre. Je n'en sais rien, mais il serait juste que ce maitre fourbe eût été une fois dupe.

[71] Second rapport au roi, copie classée par erreur en juillet. (Arch. Guerre). On dirait que la France renferme deux nations aux prises l'une avec l'autre, et il ne faudrait qu'un degré de plus de fureur pour dissoudre le lien social... L'Ouest offre un spectacle effrayant... Dans le midi, le royalisme s'exhale en attentats ; les assassinats, les pillages se multiplient. — Dans ses Mémoires (III, 255), Talleyrand reconnaît que les deux rapports de Fouché étaient à peu près vrais. Mais pour mieux témoigner encore leur véracité, il y a le lamentable rapport du ministre de l'intérieur sur la situation rte la France par départements, à la fin de juillet. (Cité dans le Supplementary Dispatches of Wellington, XI, 109-110.)

[72] Notes de Rousselin (collection Bégis). Talleyrand, III, Pasquier, III, 387-390.

[73] Réponse de Stein au Rapport de Fouché (copie classée par erreur au 8 juillet. Arch. Guerre).

[74] Liverpool à Castlereagh, 15 septembre. (Supplementary Dispatches of Wellington, XI, 153.)

[75] Lettres de Grüner et de Fouché, 31 août et 2 septembre (citées par Madelin, Fouché, II, 479, d'après les papiers de Gaillard).

[76] L. de Massacré, Du Ministère. Saint-Victor, Des Révolutionnaires et du Ministère. — D'autres brochures, non moins insultantes, furent publiées en réfutation des scandaleux rapports. Mais quelques-unes, invention de Fouché ou simple spéculation de librairie, n'étaient que la reproduction des rapports avec un feuillet liminaire et quelques notes de réfutation tout à fait puérile. De cette façon, les rapports prohibés étaient librement vendus.

[77] Vitrolles, III, 192. Cf. Géraud, Journal intime, 287.

[78] Pasquier, III, 390-392. Talleyrand, III, 251. Notes manuscrites de Rousselin. (Collection Bégis).

[79] Pasquier, III, 39-2-793. Géraud, Journal intime, 81. Cf. Castlereagh à Liverpool, 14 sept. : Si les ministres étaient soutenus par la Cour, ça irait lien, mais la Cour excitera les royalistes pour sacrifier Fouché, et ensuite le ministère tout entier. (Supplementary Dispatches of Wellington, XI, 157.)

[80] Me voila encore sur les flots et au milieu des tempêtes. Fouché à Mme de Custine, 7 septembre (citée par Bardoux, Mme de Custine, 264.)

[81] Vitrolles, III, 221. Pasquier, III, 419. Hyde de Neuville, II, 139. Cf. Talleyrand, III, 255. Wellington à Dumouriez, 20 sept. (Dispatches, XII, 627.)

[82] Fouché à Louis XVIII, 15 sept. ; aux ministres, 15 sept. (Lettres citées par Madelin, d'après les papiers de Gaillard.)

[83] Guizot, Mém., I, 105. Cf. la lettre de Fouché à Wellington, Dresde, 1er février. (Citée dans les Letters and Dispatches, de Castlereagh, III, 213-241.) — Dans le courant d'octobre, on distribua dans Paris une Lettre aux- Ministres, attribuée à Fouché, laquelle attaquait avec une extrême violence le parti royaliste. Bulletin de police du 18 octobre. (Arch. nat., F. 7, 3775.)

[84] Sur les dernières années de Fouché, lire les belles pages de Louis Madelin, Fouché, II, 490-535.

[85] Méneval, Souvenirs, II, 254.

[86] Notes manuscrites de Rousselin (collection Bégis). Vitrolles, III, 223.

[87] Cf. Rapport à Wellington, 7 août. (Suppl. Dispatches, XI, 107.) Pasquier, III, 419. Talleyrand, Mém., III, 270. Rochechouart, Souvenirs, 411.

[88] Pasquier, III, 423-424. Cf. Villèle à son père, Paris, 4 octobre. (Mém., I, 332) et Vitrolles (III, 224) qui dit que des conciliabules eurent lieu entre les ministres, ses collègues, sans qu'il eût été invité à y prendre part. — C'est par Dalberg, qui avait fait causer des membres de la conférence, que Talleyrand fut instruit indirectement des prétentions des Alliés. (Vitrolles, III, 139.) Ou connaissait aussi le rôle modérateur du czar dans les discussions. C'est ainsi que Gouvion Saint-Cyr écrivit le 31 août au général Hugo : Entretenez de bonnes relations avec les Russes qui sont de fidèles alliés du roi. (Arch. Guerre.) Le 10 septembre, Louis XVIII conféra le Saint-Esprit à Alexandre.

[89] Pasquier, III, 425-426, Beugnot, II, 339, Vitrolles, III, 225-229. — Vitrolles donne des détails un peu différents. A l'en croire, Talleyrand pensait que sa démission ne serait pas acceptée, et il fut stupéfait quand Louis XVIII le prit au mot. Il est très possible en effet que dans les quarante ou soixante heures qui s'écoulèrent entre le diner chez Jaucourt et l'offre formelle de sa démission, Talleyrand se soit repris à espérer que le roi le retiendrait et lui garantirait un entier appui devant lois Chambres.

Dans ses Mémoires (III, 296-298), Talleyrand conte le plus tranquillement du Inonde qu'il donna sa démission le soir du 22 septembre parce qu'il était déterminé à ne jamais mettre sa signature au bas d'aucun acte contenant la cession d'aucune portion de territoire. Les révélations de Pasquier et aussi les récits de Vitrolles et de Beugnot infirment cette assertion, et il y a des preuves de leur véracité :

1° Pasquier dit (III, 126) qu'aussitôt après avoir annoncé au roi le projet de démission des ministres, soit le 17 septembre, il s'occupa de faire publier l'ordonnance sur la réorganisation de la Cour royale de Paris. Or cette ordonnance, datée du 10 septembre, parut le 19 septembre dans la Gazette officielle.

2° Du récit de Vitrolles (III, 231-234), il résulte que Louis XVIII mit cinq jours à former le nouveau ministère. Beugnot (II, 339-340) et Barante (II, 200) parlent aussi de négociations laborieuses. Rochechouart (Souv., 412, 414) dit que Richelieu mit trois jours à se décider et qu'il lui fallut encore du temps pour déterminer ses futurs collègues. Or, la liste des ministres arrêtée le 24 septembre parut le 25 dans la Gazette officielle.

3° A la réception de la note de Talleyrand, du 30 septembre, dont il sera parlé plus loin, les Alliés avaient rédigé une réponse, mais apprenant, le 22 septembre, que les ministres étaient démissionnaires, ils s'abstinrent de l'envoyer. Ils ne la communiquèrent à Richelieu, à titre seulement de déclaration de principes, que le 27 octobre, longtemps après la signature des préliminaires. (Les Ministres alliés à Richelieu, 27 octobre et note [de Richelieu ?] s. d. [28 ou 29 octobre]. (Arch. Aff. étrangères, 692.) Talleyrand a donc commis une... inexactitude volontaire en disant qu'il reçut officiellement cette lettre du 22 septembre et qu'elle détermina sa démission.

En résumé, il n'est pas douteux que la démission du cabinet Talleyrand, décidée le 16 ou le 17 septembre, fut acceptée le 19 ou au plus tard le 20, et que si Talleyrand se retira, ce fut, non pour ne point souscrire à un traité humiliant, mais la crainte renversé d'être par la Chambre.

[90] Lettres de Denon, de Ribbentropp, intendant général des Armées prussiennes, de Talleyrand et de Bignon, 9, 10 et 11 juillet. (Arch. Aff. étrangères, 690 et 691.)

[91] Il en était de même pour le plus grand nombre des tableaux et statues. Un tiers peut-être avait été réquisitionné, mais le reste avait été cédé par des traités de paix ou transportés à Paris par mesure administrative à l'époque où les pays à qui ils appartenaient faisaient partie de l'Empire français.

[92] Géraud, Journal intime, 292.

[93] Note de Castlereagh, 11 sept. Réponse de Talleyrand, 19 sept. Lettre de Castlereagh à Wellington, 19 sept. (Arch. Aff. étrangères, 691.)

[94] Wellington à Fagel, 15 sept., à Talleyrand, 16 sept., au roi de Hollande, 20 sept., à Castlereagh, 23 sept. (Dispatches, XII, 634, 635, 639, 641-645.) Gagern à son gouvernement, Paris, 18, 21 et 22 septembre (cités par Gagern, Mein Antheil and der Politik, V, 362-365). Helena Williams, Relation des évènements, 297-298.

[95] Müffling à Dessolles, 29 sept. Dessolles à Müffling, 29 sept. (Arch. Aff. étrangères, 617.) Castellane, Journal, I, 304. La Martinière, Souvenirs, 294. Miss Helena Williams, Relation des événements, 283-291. Pasquier, Mém., III, 499, et la note de Talleyrand, du 19 septembre : La cession des objets d'art ne serait pas moins ressentie qu'une cession de l'ancien territoire. (Arch. Aff. étrangères, 691.) — La seconde Messénienne, de Casimir Delavigne, a pour sous-titre : La Dévastation du Musée.

Des tableaux furent enlevés par les Prussiens à Notre-Dame, par les Autrichiens au Musée de Dijon ; on prit des cartes à la Bibliothèque de l'Arsenal, des manuscrits à la Bibliothèque royale.

[96] Cet argument était fort discutable, car l'ambassadeur de Louis XVIII n'avait pas été admis d'une façon formelle à adhérer au traité. Voir le premier volume de 1815.

[97] Note des plénipotentiaires français, 22 sept. (Arch. Aff. étrangères, 692.) Cette note, longue et confuse, avait été, dit-on, rédigée par La Besnardière.

[98] Gazette officielle, 25 septembre. — Corvetto, un spécialiste sans couleur politique accusée, et Barbé-Marbois, un modéré qui n'eut aucune influence dans le Conseil, furent nommés deux jours plus tard aux finances et à la justice.

[99] Rochechouart, Souvenirs, 414. Cf. Géraud, Journal intime, 338, qui cite tout de travers ce joli mot.