1815

LIVRE I. — LA SECONDE ABDICATION

 

CHAPITRE IV. — LE DÉPART DE L'EMPEREUR POUR LA MALMAISON.

 

 

I

Carnot et Fouché comptaient l'un et l'autre sur la présidence de la Commission de gouvernement. Mais si Carnot regardait cette présidence comme une charge que son devoir lui imposait d'accepter dans l'intérêt public, Fouché la désirait ardemment pour la réussite de ses intrigues et le triomphe de ses ambitions. Convoqués d'abord par Carnot au ministère de l'intérieur, puis par Fouché aux Tuileries, les membres de la Commission se réunirent aux Tuileries le 23 juin à onze heures du matin[1]. Fouché qui n'était jamais embarrassé dit à Carnot : — Il faut élire un président, je vous donne ma voix. — Et moi, la mienne, répondit Carnot, pensant que cette parole de pure courtoisie n'influerait pas sur le vote de ses collègues. Mais le vote eut lieu par surprise. Avant même qu'on se fût assis, le général Grenier dit : — Messieurs, il faut nous constituer promptement. Je propose de nommer président M. le duc d'Otrante. Caulaincourt et Quinette inclinèrent la tête en signe d'adhésion. La majorité s'étant exprimée, Carnot crut inutile de voter. Fouché ne vota point davantage, mais sans perdre un instant il s'installa au fauteuil[2]. S'était-il concerté avec Grenier ? c'est possible. Peut-être aussi Grenier agit-il de sa propre initiative, entraîné par le sentiment général, pensant, comme à peu près tout le monde dans le parlement, que Fouché était l'homme des circonstances, l'homme nécessaire, l'homme indispensable. Dans cette première séance, on se borna à pourvoir aux vacances que l'élection de Fouché, de Carnot et de Caulaincourt comme membres du gouvernement provisoire avait faites clans le cabinet. Bignon fut nommé aux Affaires étrangères, Pelet de la Lozère à la Police, Carnot de Feulins, frère de Carnot, à l'Intérieur[3]. Fouché s'était empressé d'appuyer cette candidature afin de faire parade de bonne camaraderie envers son collègue ; Carnot, qui ne s'abusait par sur l'amitié du duc d'Otrante, fut peu sensible à l'attention[4]. Pour combattre l'élection de La Fayette à la Commission de gouvernement, Fouché avait fait entendre que l'on devait réserver à l'illustre général le commandement en chef des gardes nationales, que c'était là qu'il pourrait le mieux servir la patrie et la liberté. Mais Fouché, qui redoutait les coups de tête de La Fayette, ne voulait pas plus de lui comme chef de la garde nationale que comme membre de la Commission exécutive. Après l'avoir écarté du gouvernement, il l'évinça du commandement sous prétexte qu'il serait plus utile en qualité de plénipotentiaire. Il proposa Masséna qui usé de corps et d'esprit n'était plus qu'une relique glorieuse. Le maréchal fut nommé sans discussion[5]. Fouché, ainsi qu'il y avait compté, était dès le premier jour non pas seulement le président mais le maître de la Commission exécutive.

il n'avait pas attendu son élection à la présidence pour agir en chef du gouvernement. Dès la soirée de la veille, il avait fait mettre en liberté le baron de Vitrolles, détenu depuis la mi-avril à la prison de l'Abbaye[6]. Mme de Vitrolles, à qui il avait remis l'ordre d'élargissement, était chargée de dire à son mari que le duc d'Otrante l'attendrait le lendemain de bon matin[7]. Vitrolles n'eut garde de manquer à cet intéressant rendez-vous. Le 23 juin, dès sept heures, il était rue Cérutti. Fouché avait déjà des intelligences à Gand, mais il pensait que nul mieux que Vitrolles ne pourrait l'y servir. Il lui dit : — Vous allez trouver le roi. Vous lui direz que nous travaillons pour son service. Lors même que nous n'irions pas tout droit nous finirons par arriver à lui. Dans ce moment, il nous faut traverser Napoléon II, et, après, probablement le duc d'Orléans ; mais enfin nous irons au roi. Vitrolles objecta avec vivacité qu'il vaudrait mieux aller au roi tout de suite. Ce n'était pas l'avis de Fouché qui ne voulait faire rappeler Louis XVIII qu'au défaut du duc d'Orléans, mais il se dispensa d'ouvrir à Vitrolles le fond de sa pensée. Celui-ci, après un instant de réflexion, insinua qu'il serait plus utile à la cause royale à Paris qu'à Gand, mais qu'il ne se déterminerait à rester que sous trois conditions : la garantie de sa tété, la promesse de passeports pour tous les courriers qu'il aurait à envoyer au roi, la faculté de voir secrètement Fouché une fois par jour. — Remarquez, conclut-il, que si ma présence ici peut être utile au roi, elle le serait encore plus à vous-même. La confiance du roi s'en augmenterait, et je pourrais faire valoir auprès de Sa Majesté la franchise de vos intentions.

En offrant sa protection, Vitrolles imposait sa surveillance. Fouché le comprit, mais il n'était pas de nature à se priver d'un protecteur ni à s'inquiéter beaucoup d'un surveillant. Il approuva l'idée du royaliste. — Je vous ferai délivrer cinquante passeports, dit-il. Vous en ferez l'usage qu'il vous plaira. Ce n'est pas une fois par jour que vous pourrez me voir ; c'est deux et trois fois, en tout temps, en tout lieu. Quant à votre tête, elle sera aux mêmes crochets que la mienne qui est passablement menacée. Si je sauve l'une, je vous garantis l'autre. Ces deux hommes doués tous deux, bien qu'à des degrés différents, du génie de l'intrigue et ayant tous deux le goût de conspirer, étaient faits pour s'entendre. Ils se quittèrent bons compères[8].

Fouché, qui peu après cette entrevue avec Vitrolles s'était fait élever à la présidence du gouvernement provisoire, était content de sa matinée. Mais divers rapports lui donnaient des inquiétudes pour la journée. Napoléon était fort irrité de la façon dont la Chambre et surtout la Chambre des pairs avaient éludé la proclamation de son fils. Sans doute l'empereur n'avait ajouté cette clause à l'acte d'abdication que sur les instances de Lucien et de quelques ministres, et il n'espérait guère qu'elle fût respectée par la coalition, mais puisque nolens volens il s'y était déterminé, il regardait comme une offense la conduite du parlement. En termes très vifs, il reprocha à Regnaud de n'avoir pas su défendre les droits de son fils. Regnaud était sincèrement affligé de la tournure que prenaient les choses, car il n'avait poussé à l'abdication que dans le ferme espoir de la régence. Il protesta de son dévouement et s'offrit à rouvrir la discussion devant la Chambre. Boulay et Ginoux-Defermon s'engagèrent de même à prendre la parole pour faire reconnaître l'indivisibilité de l'abdication[9]. Fouché craignait qu'ils n'y réussissent ; et s'ils échouaient, restait le danger que sous l'impulsion de la colère, l'empereur ne déclarât nulle son abdication et ne tentât de reprendre le pouvoir[10]. Il aurait pour lui une importante minorité dans les Chambres, les troupes de la garnison et toute la population turbulente de Paris. Par les rapports de police, Fouché connaissait les manifestations bonapartistes de l'avant-veille et de la veille. Les soldats et les fédérés pouvaient passer des cris à l'action. Des officiers avaient déclaré qu'ils iraient en masse ce jour-là demander leur empereur à la Chambre et que s'ils ne l'obtenaient point ils mettraient le feu aux quatre coins de Paris[11].

Fouché vit la nécessité de calmer l'irritation de l'empereur et d'endormir les passions populaires. Pour cela il était urgent que la Chambre reconnût Napoléon II. Mais il ne fallait cependant pas qu'elle s'engageât trop, ni surtout qu'une reconnaissance du nouvel empereur sans aucune restriction entraînât, en vertu des constitutions impériales, l'établissement d'un conseil de régence qui se fût substitué à la Commission de gouvernement. La Chambre devait donc reconnaître Napoléon II par une délibération de pure forme et déclarer en même temps qu'elle entendait maintenir en fonctions la Commission exécutive. Ce plan ébauché, le duc d'Otrante l'exposa à Manuel. Le jeune député se chargea de le mûrir et d'amener la Chambre à émettre le vote souhaité par son habile protecteur[12].

 

II

Le débat s'engagea au milieu de la séance, l'occasion de la formule du serment que devaient prêter les membres du gouvernement provisoire. Dupin proposait : Je jure obéissance aux lois et fidélité à la nation. — Avons-nous, oui ou non un Empereur des Français ? demanda Ginoux-Defermon. Nous devons nous rallier aux Constitutions. Napoléon Ier a régné en vertu de ces lois. Napoléon Il est donc notre souverain... Quand on verra que nous nous prononçons en faveur du chef désigné par nos constitutions, on ne pourra plus dire que vous attendez Louis XVIII ![13] Ginoux touchait là le point vulnérable de cette assemblée qui, tout en travaillant aveuglément depuis deux jours au retour du roi, ne voulait pas des Bourbons[14]. Mêlés aux applaudissements les cris de : Vive l'empereur ! Vive Napoléon II ! s'élevèrent de presque tous les bancs et furent répétés dans les tribunes[15].

Boulay renouvela avec plus de précision l'argumentation de Ginoux-Defermon, démontrant que l'abdication était indivisible et ne pouvait être admise en partie seulement. — J'ai les yeux ouverts en dehors de cette assemblée, dit-il avec véhémence. Nous sommes entourés d'intrigants et de factieux qui voudraient faire déclarer le trône vacant afin d'y placer les Bourbons ! Interrompe par les cris : Non ! Non ! Jamais ! il reprit : — Si le trône était censé vacant, la France ne tarderait pas à subir le misérable sort de la Pologne. Les Alliés se partageraient nos provinces et ne laisseraient aux Bourbons qu'un lambeau du territoire français... Je vais mettre le doigt sur la plaie. Il existe une faction d'Orléans... On a beau m'interrompre, je parle d'après des renseignements certains. Cette faction entretient des intelligences même avec les patriotes, mais elle est purement royaliste. Au reste, il est douteux que le duc d'Orléans veuille accepter la couronne, ou, s'il l'acceptait, ce serait pour la restituer à Louis XVIII[16].

En dénonçant le parti d'Orléans, Boulay provoqua les rumeurs. Comme il le faisait entendre, la monarchie constitutionnelle avec le fils de Philippe-Egalité était dans les vœux secrets de la majorité des représentants[17]. Mais les partisans d'Orléans appréhendaient tant d'obstacles de la part des puissances, tant de colères parmi les royalistes purs, tant de réserve chez le prince lui-même[18], qu'ils ne voulaient pas se déclarer avant d'avoir sondé le terrain et aplani les voies. Ils craignaient de tout compromettre s'ils dévoilaient trop tôt leur candidat. A l'envi, ces orléanistes honteux protestèrent contre les paroles de Boulay par des murmures et des dénégations indignées.

Au milieu du bourdonnement, le général Mouton-Duvernet qui siège comme député de la Haute-Loire, crie de sa place : — L'ennemi marche sur Paris. Proclamez Napoléon II. Les armées seront à la disposition de la nation pour le service de Napoléon II.

Tous les militaires, l'empereur et vous-même êtes au service de la nation, interrompt Flaugergues.

Je me suis mal expliqué. Je reprends et je dis que la volonté de la nation, la volonté des soldats, est d'avoir un gouvernement national et non celui de l'étranger. L'armée de la nation se rappelle que sous Louis XVIII elle a été humiliée ; elle se rappelle que l'on a traité de brigandages les services qu'elle a rendus à la patrie depuis vingt-cinq ans. Voulez-vous lui rendre tout son courage et l'opposer avec succès à l'ennemi ? Proclamez Napoléon II.

Garat demande le renvoi aux bureaux. Regnaud s'écrie :

Veut-on ajourner la délibération jusqu'à ce que Wellington soit à nos portes ?

L'ordre du jour, dit Malleville. Attendons le résultat des négociations ; du reste, l'abdication de l'empereur a été acceptée purement et simplement.

Vous calomniez l'Assemblée ! crie-t-on de divers côtés[19].

Regnaud monte à la tribune ; il insiste pour le vote immédiat : — La Commission de gouvernement ne peut et ne doit agir qu'au nom de Napoléon II ; sans cela l'armée ne sait plus à qui elle obéit ni pour qui elle verse son sang. Interrompu par des murmures et des cris, au milieu desquels on entend : L'armée verse son sang pour la nation ! il reprend sans se laisser déconcerter : — Non seulement les soldats doivent savoir au nom de qui on leur donne des ordres, mais les négociateurs eux-mêmes devront savoir au nom de qui ils parlent. Il conclut que pour sauver la patrie, il faut séance tenante proclamer Napoléon II. Bigounet objecte que les puissances opposeront à la proclamation du Prince Impérial cette raison péremptoire qu'elles se sont armées contre la violation du traité de Paris, traité qui exclut du trône Napoléon et sa famille. Dupin dit que si l'on a accepté l'abdication parce qu'on désespérait que l'empereur pût sauver la patrie, il est déraisonnable d'attendre d'un enfant ce- que l'on ne pouvait attendre d'un héros. Bien que la logique en soit un peu spécieuse, cet argument frappe l'assemblée, mais Dupin ayant ajouté : — C'est au nom de la nation qu'on se battra, c'est au nom de la nation qu'on négociera, Bory Saint-Vincent lui crie : — Que ne proposez-vous la République ? Interdit, Dupin quitte la tribune avec un geste de dénégation, murmurant le vers de Corneille :

Le pire des états est l'état populaire.

Tout l'effet de son discours était détruit[20], La Révolution avait encore des partisans dans le peuple. Dans le parlement à qui cependant la foi et l'énergie des terroristes auraient dû servir d'exemple en ces jours de péril national, les souvenirs de la Convention n'inspiraient que craintes et aversion[21].

On réclama le vote. L'assemblée semblait gagnée en grande majorité à la reconnaissance formelle de Napoléon II. Il était temps que Manuel intervint.

Jusque-là les orateurs, à quelque parti qu'ils appartinssent, avaient parlé avec franchise et netteté ; Manuel prit un autre ton. Ce ne furent plus, selon l'expression de l'empereur, que des si, des mais et des car, des circonlocutions, des réticences, des équivoques, des conséquences démentant les prémisses, une obscurité cherchée, une confusion voulue. Par un miracle d'habileté, Manuel réussit à satisfaire les bonapartistes, à flatter les royalistes, à contenter les libéraux. Il démontra la nécessité de reconnaître Napoléon II, et les dangers de cette reconnaissance. Il déclara qu'il fallait proclamer le fils de l'empereur en vertu de la Constitution, et qu'il fallait cependant porter atteinte à la Constitution pour que tel ou tel prince ne pût être appelé à la tutelle du souverain mineur et pour laisser les intérêts immédiats de la patrie aux mains des hommes éprouvés (c'est-à-dire Fouché et ses dupes) à qui ils venaient d'être confiés. Il insinua que la reconnaissance de Napoléon II, à quoi l'on ne pouvait se soustraire, n'engagerait pas la Chambre au delà de l'ouverture des négociations, car si elles étaient défavorables au jeune empereur, les représentants seraient bien forcés de sacrifier leur vœu le plus cher aux intérêts de la patrie, toujours supérieurs aux intérêts d'un homme. Il conclut en proposant cette délibération captieuse : La Chambre passe à l'ordre du jour motivé : 1° sur ce que Napoléon II est devenu empereur des Français par le fait de l'abdication de Napoléon Ier et par la force des constitutions de l'Empire ; 2° sur ce que les deux Chambres ont voulu et entendu, par leur arrêté à la date d'hier, portant nomination d'une Commission de gouvernement, assurer à la nation la garantie dont elle a besoin pour sa liberté et son repos, au moyen d'une administration qui ait toute la confiance du peuple[22].

Cet équivoque ordre du jour, qui en donnant une satisfaction apparente aux bonapartistes maintenait le pouvoir dans la main de Fouché et laissait toute espérance aux orléanistes comme aux bourbonistes, fut voté à la presque unanimité. Les bonapartistes crièrent plusieurs fois : Vive l'empereur ! comme s'ils avaient cause gagnée. Furent-ils dupes ou feignirent-ils de l'être[23] ?

Ainsi qu'il l'avait concerté avec Fouché, Manuel avait fait proclamer Napoléon II pour la forme et provisoirement. Il s'était révélé comme un virtuose de l'escamotage.

 

III

Tout s'est très bien passé, dit triomphalement Regnaud en venant annoncer à l'empereur le vote de la Chambre. Napoléon voyait trop clair dans le jeu des hommes pour se faire la moindre illusion sur cet ordre du jour. Mais la sanction donnée par les représentants à la clause de son abdication en faveur du Prince Impérial sauvait son amour-propre. C'était tout ce qu'il voulait, car, dans l'état des choses aggravé par l'état des esprits, c'était tout ce que sa souveraine raison lui permettait de vouloir. Il écouta Regnaud d'un air indifférent, et, le récit achevé, il demanda brusquement à quoi s'occupaient les représentants. — Au projet de Constitution, Sire. — Toujours le Bas-Empire, dit l'empereur. Ils délibèrent, les malheureux ! quand l'ennemi est aux portes[24].

Déjà Napoléon avait arrêté le lieu de sa retraite. Son premier dessein, auquel il trouvait une grandeur digne de lui, était de se confier à l'hospitalité du peuple anglais. Mais les prières de la princesse Hortense, les conseils de Bassano, les représentations de Flahaut, qu'il ne fallait pas croire à la foi britannique, lui avaient fait abandonner ce projet. Il était déterminé à aller vivre aux États-Unis[25]. Bertrand, Gourgaud et, au défaut de Drouot qui venait d'accepter sur son conseil le commandement des débris de la garde impériale[26], Rovigo étaient prêts à l'y accompagner, ainsi que son ancien secrétaire Méneval, ses chambellans Montholon et Las Cases et ses officiers d'ordonnance Planat, Saint-Yon, Chiappe, Résigny[27]. Il savait qu'il y avait en rade de Rochefort deux frégates, la Saale et la Méduse, en état d'appareiller. Dès le soir du 23 juin, il fit demander au ministre de la marine que ces deux bâtiments ou l'un des deux fussent mis à sa disposition pour le transporter en Amérique avec sa suite. Decrès dit qu'il allait en référer incontinent à la Commission de gouvernement et qu'aussitôt après avoir reçu l'autorisation il s'empresserait de donner les ordres nécessaires. Le lendemain l'empereur envoya Bertrand à Decrès pour renouveler sa demande. Decrès fit la même réponse[28].

Fouché, qui dominait la Commission de gouvernement, n'était point pressé de prendre un parti à l'égard de l'empereur. Il voulait, auparavant, être assuré que les puissances n'exigeraient pas que Napoléon fût confié à leur garde[29].

Les plénipotentiaires allaient partir. Ils avaient pour instructions écrites d'ouvrir des négociations sur ces bases : intégrité du territoire français ; renonciation des Alliés à tout projet d'imposer le gouvernement des Bourbons ; reconnaissance de Napoléon II ; sûreté et inviolabilité de Napoléon Ier dans sa retraite[30]. Resté bonapartiste, Bignon, ministre intérimaire des affaires étrangères, avait rédigé ces instructions dans le sens le plus favorable à l'empereur et au Prince Impérial ; elles répondaient d'ailleurs à la répugnance pour les Bourbons manifestée par la grande majorité de la Chambre et au texte, sinon à l'esprit, de l'ordre du jour de Manuel. Mais Fouché était sans inquiétudes. Il savait que pour beaucoup de raisons celte mission ne pourrait aboutir à la reconnaissance de Napoléon II. Et, tout d'abord, il avait pris soin de faire nommer plénipotentiaires, pour soutenir les droits de la dynastie impériale, les hommes qui y étaient le plus opposés. C'était La Fayette ; c'était d'Argenson ; c'étaient Sébastiani qui s'était prononcé avec violence pour l'abdication, Pontécoulant qui avait entraîné la Chambre des pairs contre la proposition de régence, La Forest, enfin, élu député après avoir été rayé, au retour de l'île d'Elbe, de la liste des conseillers d'État[31]. Quand ils quittèrent Paris, le 24 juin[32], ils étaient résolus, d'accord avec Fouché, à s'écarter autant qu'ils le jugeraient nécessaire des instructions du ministre Bignon[33]. Mais où ils différaient de sentiment avec le duc d'Otrante, c'était sur l'importance de leur mission. Fouché, lui, n'en attendait aucun résultat. II v avait prêté la main en exécution du vote de la Chambre et pour endormir ses collègues de la Commission de gouvernement. Mais il n'avait pas la naïveté de croire, comme La Fayette et les libéraux du parlement, à la déclaration fort équivoque des puissances que la guerre n'était faite qu'à Napoléon, et d'en conclure, comme eux, que l'ennemi repasserait la frontière au premier avis de l'abdication. Le langage qu'allaient tenir les plénipotentiaires français lui semblait vain, et même quelque peu ridicule, puisqu'ils prétendaient poser des conditions alors que les circonstances leur commandaient d'en subir. Au reste, cette mission officielle lui importait peu. Il s'en désintéressait. C'était par des menées occultes qu'il comptait arriver à un dénouement plus ou moins sortable pour le pays et, en tout cas, heureux pour lui-même[34].

Napoléon croyait rester à l'Élysée jusqu'à son départ pour Rochefort. Mais si Fouché ne voulait point que l'empereur s'embarquât prématurément, il ne voulait pas non plus le laisser à Paris. Les manifestations populaires continuaient autour de l'Élysée. La fallacieuse reconnaissance de Napoléon II n'avait trompé que ceux qui voulaient bien l'être. Jugée illusoire par la noblesse et la bourgeoisie qui attendaient les Bourbons, elle n'inspirait nulle confiance aux soldats et aux gens du peuple. Ils se défiaient du gouvernement provisoire, des ministres, des Chambres, soupçonnaient mille intrigues, sentaient partout la trahison, et voyaient déjà les Bourbons renversant le trône fragile de cet empereur de quatre ans. L'arrêt subit de tous les travaux du bâtiment, et, conséquence du découragement général, l'abandon graduel des ateliers employés aux ouvrages de défense, avaient désœuvré une multitude d'ouvriers. Ils parcouraient Paris en bandes nombreuses, portant des drapeaux tricolores et des branches vertes, et criant : Vive Napoléon II ! vive l'empereur ! Mort aux royalistes ! Des armes ! des armes ! Leurs colonnes tumultueuses que grossissaient des soldats, des fédérés en uniforme, des officiers à la demi-solde, se succédaient sans relâche aux abords de l'Élysée pour engager l'empereur, par les cris et les ovations, à reprendre le commandement. Jamais le peuple, dit un étudiant en droit, témoin de ces jours troublés, jamais le peuple qui paye et qui se bat, ne lui avait montré plus d'attachement[35].

Napoléon entendait ces acclamations avec quelques tressaillements au cœur mais sans espérance. Il ne voulait pas se servir de si dangereux auxiliaires, il ne voulait pas donner dans le sang de la guerre civile une nouvelle trempe à son épée. Une députation de fédérés ayant pénétré dans la cour de l'Elysée, l'empereur parut à une fenêtre. — Qu'on nous donne des armes ! crièrent ces hommes, nous soutiendrons notre empereur !Vous aurez des armes, dit Napoléon, mais c'est contre l'ennemi qu'il faut vous en servir. Quelques heures plus tard, comme il se promenait dans le jardin, il vit accourir à lui, se jeter à ses genoux et embrasser les pans de son uniforme un officier qui d'un bond avait franchi le saut de loup. Cet ardent jeune homme venait le supplier, au nom de tous ses camarades du régiment, de se mettre à la tête de l'armée. L'empereur le releva en lui pinçant l'oreille avec bonté. — Allez, dit-il. Rejoignez votre poste[36].

Malgré la retenue de l'empereur, Fouché ne laissait pas d'être inquiet. Dès l'après-midi du 23 juin, il avait fait distribuer de l'argent pour empêcher de crier : Vive l'empereur ! On empochait l'argent et cinq minutes après on criait de plus belle. Il avait aussi donné des instructions pour que des patrouilles de garde nationale dissipassent les rassemblements sans toutefois faire usage des armes. La foule s'éloignait en grondant, puis, le détachement passé, elle revenait dans l'avenue Marigny[37]. Ne pouvant arrêter ces manifestations, Fouché s'avisa d'en éloigner l'objet. Il n'y avait qu'à engager ou à contraindre l'empereur à partir pour la Malmaison. Le 24 juin, le représentant Duchesne, inspiré par Fouché, demanda en séance que l'ex-empereur fût invité, au nom de la patrie, à quitter la capitale où sa présence ne pouvait plus être qu'un prétexte de trouble et une occasion de danger public[38]. Aussitôt, le duc d'Otrante chargea Davout d'aller voir l'empereur pour l'engager à se retirer à la Malmaison[39].

En arrivant dans la cour de l'Elysée, Davout y vit un grand nombre d'officiers, qui faisaient, dit-il, étalage de leurs beaux sentiments et de leur inutile jactance. Il les apostropha durement, leur représentant qu'il était indigne de leur uniforme de rester là, oisifs et loin du danger[40]. Comme si ce n'était pas précisément à l'Élysée, et non au ministère de la guerre, que se trouvait l'homme qui pouvait encore mener les soldats français à l'honneur des batailles !

La vue de Davout, à qui il en voulait de l'avoir si vite et si facilement abandonné, ranima l'irritation de l'empereur. S'il ne lui fit pas, peut-être, de reproches directs, il fulmina contre les députés, les pairs, les ministres, les membres du gouvernement provisoire (les cinq empereurs, comme il les appelait), enveloppant implicitement le prince d'Eckmühl dans le même blâme et le même mépris. — Vous entendez ces cris ! dit-il. Si je voulais me mettre à la tête de ce peuple, qui a l'instinct des vraies nécessités de la patrie, j'en aurais bientôt fini avec tous ces gens qui n'ont eu du courage contre moi que quand ils m'ont vu sans défense !... On veut que je parte. Cela ne me coûtera pas plus que le reste. Ces deux hommes, si longtemps compagnons d'armes et rayonnant d'une gloire commune, sentaient l'un comme l'autre qu'ils se voyaient pour la dernière fois. Ils se quittèrent sans un serrement de main, sans une effusion de cœur, Napoléon encore vibrant de colère, Davout impassible et glacial[41].

Au moment du dîner, Napoléon dit à la princesse Hortense : — Je veux me retirer à la Malmaison. C'est à vous. Voulez-vous m'y donner l'hospitalité ? Hortense partit le soir même afin de tout disposer de son mieux pour le séjour de l'empereur[42]. Mais Fouché, paraît-il, ignorait ce départ et dans sa défiance d'homme accoutumé à biaiser, il soupçonnait Napoléon de ne point vouloir tenir l'engagement pris avec Davout. Il chercha à l'intimider. Dans la nuit du 24 au 25 juin, il fit avec grand bruit doubler les postes de l'Élysée sous prétexte d'un coup de main projeté par les royalistes. Le fourbe en fut pour ses frais d'invention. Les officiers de service à l'Élysée ne s'émurent ni de la mesure ni de l'avis ; ils n'en parlèrent même pas à l'empereur[43]. En dernière ressource, Fouché et ses collègues du gouvernement provisoire firent agir Carnot. Le 25 juin, de bon matin, celui-ci se présenta à l'Elysée. L'empereur était occupé à faire brûler les lettres, mémoires et pétitions qui pouvaient compromettre leurs auteurs. Il reçut Carnot avec amitié, et, sans discuter ni récriminer, il l'assura qu'il partirait le jour même. Au cours de l'entretien, qui se prolongea et fut très cordial, il lui demanda conseil sur le lieu de sa retraite définitive. — N'allez pas en Angleterre, dit Carnot. Vous y avez excité trop de haine ; vous seriez insulté par les boxeurs. N'hésitez pas à passer en Amérique. De là vous ferez encore trembler vos ennemis. S'il faut que la France retombe sous le joug des Bourbons, votre présence dans un pays libre soutiendra l'opinion nationale[44].

L'empereur avait donné les ordres de départ pour midi. Il y eut des indiscrétions de la livrée. Dès onze heures, la foule se massa dans la rue du faubourg Saint-Honoré, criant à pleine gorge : Vive l'empereur ! Vive l'empereur ! Ne nous abandonnez pas ! Trop ému pour affronter ces acclamations, et appréhendant qu'une chère violence ne le retint clans le palais au mépris de sa promesse à Carnot, Napoléon fit sortir son carrosse à six chevaux avec les aides de camp et l'escorte par la grande porte de l'Élysée ; lui-même gagna à pied la petite porte du jardin où stationnait la voiture de ville de Bertrand. Il y monta avec celui-ci et ne prit son carrosse que passé la barrière de Chaillot[45].

La nouvelle fut apportée à Fouché comme il présidait la Commission de gouvernement. Il resta encore en défiance. La Malmaison n'était pas, après tout, si éloignée de Paris, et l'on pouvait craindre quelque démarche de généraux, de députations d'officiers, susceptible d'entraîner l'empereur. Pour plus de sûreté, Fouché fit décider séance tenante par la Commission que le général Beker, représentant du Puy-de-Dôme, recevrait le commandement de la garde de Napoléon à la Malmaison[46]. Beker était en disgrâce depuis 1810 pour la liberté de ses opinions ; c'est pourquoi Fouché l'avait désigné. Mais ce brave soldat, peu empressé de remplir ce rôle équivoque, accourut chez Davout, le priant avec insistance d'en charger un autre officier général. Le ministre réitéra l'ordre au nom de la Commission exécutive. Beker dut partir dans la soirée pour la Malmaison. Ses instructions portaient : L'honneur de la France commande de veiller à la conservation de l'empereur Napoléon. L'intérêt de la patrie exige qu'on empêche les malveillants de se servir de son nom pour exciter des troubles[47]. Il n'était pas besoin de lire beaucoup entre les lignes pour comprendre que Fouché entendait qu'à la Malmaison Napoléon fût prisonnier. Et dans la pensée secrète du duc d'Otrante, ce prisonnier était aussi un otage.

 

 

 



[1] Procès-verbaux des séances de la Commission de gouvernement. (Arch. Nat., AF, IV, 1933.)

D'après ces procès-verbaux, il y aurait eu une première séance le 22 juin à 7 heures du soir. Malgré l'authenticité de ce document, il parait impossible que la Commission se soit réunie le 22 juin à 7 heures du soir puisque, sauf Carnot et Fouché, les membres de cette Commission n'étaient pas élus à celle heure-là. Grenier fut élu par les députés seulement à 9 heures, et Caulaincourt et Quinette, par les pairs, à minuit. (Moniteur, 23 juin.) Faut-il croire que Fouché et Carnot, de leur seule autorité (ou même Fouché seul) ayant chargé, le soir du 22, le coude Otto de se rendre à Londres pour y faire des ouvertures de paix, voulurent régulariser cette décision eu supposant après coup une séance ce soir-là. Leurs collègues, mis dès le lendemain dans la confidence, se seraient prêtés à cette supercherie. Je donne l'hypothèse pour ce qu'elle vaut. Mais ce qui est certain c'est que les pleins pouvoirs délivrés à Otto (dont je possède une copie certifiée par Otto lui-même) sont signés des cinq membres de la Commission et datés du 22 juin ; et que cependant la Commission ne put se réunir au complet le 22 juin puisque trois des membres sur cinq ne furent élus que dans la unit du 2 au 23 juin.

Autre doute. Dans les papiers laissés par Fouché à Gaillard (dont s'est servi M. Madelin pour son important ouvrage : Fouché), se trouvent une lettre de Carnot convoquant ses collègues au ministère de l'intérieur, et une lettre de Fouché (en minute) convoquant la Commission aux Tuileries. Ces deux lettres sont l'une et l'autre datées du 22 juin. Or, le 22 juin, ni Fouché ni Carnot ne pouvaient convoquer leurs collègues par la raison qu'ils ne connaissaient pas ces collègues, lesquels n'étaient pas encore élus. On peut conjecturer que ces convocations furent faites le 22 après minuit, et que, comme il arrive souvent pour des lettres écrites dans la nuit, elles furent datées de la veille au lieu de l'être du jour même : une heure ou deux heures du matin. — Ces deux lettres, qui portent convocation de la Commission pour le 23, sont en tout cas une nouvelle preuve (mais il n'en est pas besoin !) que la Commission ne se réunit point le 22.

[2] Mémoires manuscrits de Gaillard. H. Carnot, Mém. sur Carnot, II, 537. (Cf. Louis Madelin, Fouché, II, 404.). — Selon Thibaudeau (X, 414), La Fayette (Mém., V, 462) et Berlier (Précis de ma vie politique, 128) lequel d'ailleurs n'assistait pas à la séance, car il ne fût nommé secrétaire de la Commission qu'à cette séance même, ou alla jusqu'au vote, et Carnot eut deux voix et Fouché trois, dont la sienne.

[3] Procès-verbaux de la Commission, 23 juin. (Arch. Nat., A. F. IV, 1933). C'est seulement le lendemain, 24 juin, que Boulay fut nominé à la Justice en remplacement de Cambacérès démissionnaire.

[4] H. Carnot, Mémoire sur Carnot, II, 518.

[5] Procès-verbaux de la Commission du gouvernement, 23 juin. (Arch. Nat., A. F. IV, 1933.) Cf. La Fayette, Mém., V, 463.

[6] Vitrolles, arrêté le 4 avril à Toulouse où il avait organisé la résistance des royalistes, avait été transféré au donjon de Vincennes puis à l'Abbaye. Vitrolles, Mém., II, 418-420. III, 2-24, 39-40. — C'est une erreur de l'éditeur des Mémoires de Vitrolles que de placer la première entrevue de Vitrolles avec Fouché le 24 juin. Vitrolles est très explicite : Mme de Vitrolles vient lui annoncer un matin que l'empereur a été vaincu, qu'il est rentré à Paris, qu'il a fait appeler ses ministres ; ce même jour, le colonel Oudinot vient dire à Vitrolles que les bruits d'abdication prennent de la certitude. (Ces deux visites ont donc eu lieu le 22 juin.) Le même jour (22 juin) à 11 heures du soir, Mme de Vitrolles apporte à Vitrolles l'ordre d'élargissement signé de Fouché.

[7] Vitrolles, Mémoires, III, 40.

[8] Vitrolles, Mémoires, III, 43-45. — Sur les menées orléanistes de Fouché pendant les Cent Jours et jusqu'aux 27-28 juin, voir notes de Rousselin (Collection Bégis). Stuart à Castlereagh, Grammont, 23 juin (Wellington, Supplem. Dispatches, X, 584). F. de Chaboulon, II, 301, 321, Villemain, II, 448-449. Lamarque, Souv., I, 338.)

[9] Fleury de Chaboulon, II, 228-222. Thibaudeau, X, 412. Boulay, 304. Villemain, Souvenirs, II, 375.

[10] Pasquier, III, 255-256, 261-262. F. de Chaboulon, II, 228-231. Les deux Chambres de Buonaparte, 173, note.

Montholon (I, 11-12) rapporte qu'il se tint le 23 juin un conseil privé à l'Elysée où Lucien proposa de se faire donner un pouvoir dictatorial par le peuple des faubourgs et où Carnot (Carnot déjà membre du gouvernement provisoire !) donna Davis à Napoléon de prendre la dictature pour sauver la France et la Révolution. Je mentionne cette assertion singulière à titre de simple curiosité.

[11] Rapport de Réal à Fouché, 23 juin. (Arch. Nat., F. 7, 32004.)

[12] Pasquier, III, 236-237. Thibaudeau, X, 413. Fleury de Chaboulon, II, 232. Villemain, II, 373, 383.

[13] Moniteur, 24 juin.

[14] Je parle de la très grande majorité, car comme le remarque Pasquier, (III, 258) il y avait un certain nombre de députés de sentiment ou de tendances royalistes, et ils allaient devenir plus nombreux de jour en jour sous l'action des événements, mais ils n'osaient pas se déclarer et ils ne l'osèrent pas tant qu'exista la Chambre.

[15] Moniteur, 24 juin. Villemain, II, 377.

[16] Moniteur, 24 juin. Rapports et Discours à la tribune, XXI, 266.

[17] Les régicides et Fouché et Carnot veulent le duc d'Orléans en cas que Bonaparte soit détrôné. Sir Charles Stuart à Castlereagh, Freinent, 22 juin (Wellington, Supplement Dispatches, X, 5641. — Le nom d'Orléans est dans toutes les bouches. Soult à Napoléon, Laon, 22 juin (Arch. Guerre). — Le tiers des généraux étaient pour le duc d'Orléans. (Mémoires manuscrits de Mme de X.) — C'est le duc d'Orléans que Napoléon craint le plus. Journal manuscrit de Lechat, 28 juin. — Les députés s'imaginaient que les souverains alliés se prélevaient au changement de dynastie qui ne pourrait que consolider la tranquillité de l'Europe. Mémoires manuscrits de Davout. — On parle du duc d'Orléans avec faveur. Hobhouse, Lettres (5 juillet), II, 166. — Pendant les Cent Jours, on parlait de la royauté du duc d'Orléans, qui eût donné des gages aux bonapartistes et aux républicains. Rapport du général de Vignolle sur l'esprit public, 1er octobre (Arch. Guerre). — On croit la maison d'Orléans mieux faite pour régner sur la France que les Bourbons. Supplément au mémorandum de Knesebeck (Suppl. Dispatches of Wellington, XI, 119). Le parti d'Orléans, recruté par Fouché, s'était renforcé d'un grand nombre de députés et de généraux. La Commission de gouvernement n'y avait pas de répugnance. Fleury de Chaboulon, II, 300. — Une Partie de la France voulait le due d'Orléans. Fouché à Wellington, Dresde, 1er février 1816, (Castlereagh, Letters and Dispatches, III, 234-241). Cf. Benjamin Constant, Journal, 156. Méneval, II, 335.

[18] Toute la France est orléaniste, hormis le duc d'Orléans, disait-un à la fin de juillet chez Mme du Coigny. (Comtesse Granville, Lettres, I, 70.)

[19] Moniteur, 24 juin. Rapports et Discours, XXI, 266-267. Les deux Chambres de Buonaparte, 167.

[20] Moniteur, 21 juin. Rapports et Discours, XXI, 267-268. Villemain, Souv., II, 381-382. Dupin, Mém., II, 18.

[21] Ni dans les articles des journaux, ni dans les discours des Chambres, on ne trouve pendant les quinze jours d'Interrègne aucune motion en faveur de la république, aucune allusion même à la possibilité d'un gouvernement républicain. Les rares hommes politiques restés républicains de sentiment redoutaient le retour de jours sanglants et pensaient que la proclamation de la république équivaudrait à une nouvelle déclaration de guerre à l'Europe monarchique. Il y a bien quelques républicains dans la Chambre, écrivait, le 29 juin, l'architecte Philippe Baron à un ami ; mais le rétablissement de la république est impossible. Celle forme de gouvernement fait peur. Elle a été chez nous le prétexte de je ne sais combien d'horreurs. (Lettres comm. par M. Vauclin de Bernay). Dans la séance du 22 Juin, la proposition de Dupin que la Chambre se déclarât Assemblée nationale et la proposition de Mourgues que la Chambre se déclarât Assemblée constituante avaient été accueillies par des murmures unanimes et les cris : l'ordre du jour ! Et cependant une Assemblée nationale ou une Constituante n'impliquaient pas l'établissement de la république, mais on pouvait appréhender ce résultat, le 28 juin, lorsque l'ex-conventionnel Gamon conjura la Chambre de voter la constitution de 1791, il fit remarquer bien expressément que cette constitution voulait un roi, et que lui-même, au nom du peuple français, demandait un roi, un roi constitutionnel, un roi juste et bon qui fit exécuter religieusement la constitution et qui donnât à l'Europe la garantie d'une longue paix. Sa proposition, que d'assez nombreux députés regardèrent comme une manifestation royaliste, fut renvoyée à la commission de constitution.

Au reste, pour piger de l'opinion en 1815 sur la république, il n'y a qu'à se reporter à ces paroles de Manuel dans son célèbre discours du 23 juin dont il va être parlé : Je ne vois rien qui donne lieu de penser que le parti républicain existe, soit dans des têtes encore dépourvues d'expérience, soit dans celles que l'expérience à mûries.

[22] Extrait du procès-verbal de la séance du 23 juin (Arch. Guerre.) Moniteur, 24 juin. Les deux Chambres de Buonaparte, 170-173. Rapports et Discours, XXI, 270-271. Villemain, Souv., II, 383-386.

[23] La Chambre était dupe. F. de Chaboulon, II, 237. — Cet ordre du jour consacrait les droits du prince. Boulay, 300. — Cette proclamation ne pouvait avoir d'effet sérieux et durable. Mémoires manuscrits de Davout.

Quant aux adversaires de l'empire, aucun ne s'abusa sur la valeur de cette proclamation. Le grand objet des frères de Bonaparte est inanimé. Ils voulaient conserver le pouvoir. On l'a mis dans les mains d'une Commission élective. La Fayette à Mme d'Hénin, 29 juin. (Mém., V, 524.) — Cet ordre du jour motivé était une fin de non recevoir. Trois mois de Napoléon, 78, — Si le parti bonapartiste avait satisfaction dans les termes, ses adversaires avaient le succès réel. Pasquier, III, 201. — La déclaration demeurait singulièrement atténuée et presque démentie par la nomination d'une Commission de gouvernement. Villemain, II, 386. — On a leurré les impériaux. Il y a un gouvernement provisoire et non pas une régence. Nous allons avoir le roi de la façon de Fouché qui a été d'une habileté admirable. Barante à A. de Barante, Paris, 24 juin. (Souv., II, 137-158.)

[24] Mémoires manuscrits de Mme de X. (Cette personne assistait à l'entretien.)

[25] Mémoires manuscrits de Mme de X. Lavallette, II, 196-197. F. de Chaboulon, II, 248-249, Rovigo, VIII, 162-163. Montholon, I, 23. Gourgaud, Journal de Sainte-Hélène, II, 553.

Dès en jour-là, 23 juin, Napoléon fit tous ses préparatifs de départ et notamment il manda Laffitte à l'Elysée et s'entendit avec lui pour le dépôt des sommes très importantes qui lui restaient et l'ouverture d'un égal crédit sur les Etats-Unis. (Montholon, II, 21-22. Cf. Rovigo, VIII, 166, et Peyrusse, Mém. et Archives, 315.)

[26] Drouot fut nommé le 23 juin, par arrêté de la Commission exécutive, commandant de la garde. Il regardait connue un devoir d'accepter ce commandement, mais avant de donner sa réponse, il alla consulter l'empereur. L'empereur, dit-il, applaudit à ma résolution... Je me suis séparé de mon bienfaiteur avec l'intention et l'espoir de le rejoindre quand la France serait sauvée. Les événements qui suivirent ont confondu mes plus chères espérances. (Notice sur le Général Drouot par lui-même, 2-3.) Le récit de Drouot est conforme aux Mémoires de Mme de X. : Drouot se décida sur l'invitation même de l'empereur à prendre le commandement de la garde.

[27] Lettre de Bertrand à Planat, Palais de l'Elysée, 23 juin. (Vie de Planat, 212.) Gourgaud, II, 553. Rovigo, VIII, 105-106. Montholon, I, 16, 23.

[28] Rovigo, VIII, 102-163. Cf. Beker à Commission de gouvernement, Malmaison, 20 juin (Beker, Relation, 28.) Planat à Constant La Malmaison, 29 juin (Vie de Planat, 217). Déclaration de Decrès à la Chambre des pairs, 20 juin (Moniteur, 30 juin.)

Selon F. de Chaboulon (II, 149), Decrès aurait répondu : Il y a un bâtiment américain en partance au Havre. Le capitaine est dans mon antichambre ; la chaise de poste est à ma porte. Je réponds de lui. Demain, si vous le voulez, vous serez hors d'atteinte de vos ennemis. L'empereur craignant un piège et jugeant d'ailleurs qu'il ne serait pas de sa dignité de quitter la France en prisonnier évadé, mirait décliné celle proposition. Qu'ai-je à craindre, aurait-il dit ; c'est à la France de me protéger.

Il est possible que celle assertion soit véridique. Toutefois, il n'y a aucune allusion à cela dans Beker, dans Rovigo, dans Planat, ni dans Montholon ; et si Decrès avait fait réellement cette proposition, comment ne pas rappelée à la Chambre des pairs, le 29 juin, quand il lui fut demandé des explications sur les retards apportés au devait de Napoléon ?

A remarquer d'ailleurs que l'offre de Decrès n'aurait été en réalité qu'un conseil. Decrès ne pouvait pas plus prendre sur lui de faire partir Napoléon sur un bâtiment américain retenu an Havre par l'embargo que sur une frégate française. Tandis que l'empereur eût couru sur la route du Havre, Decrès aurait prévenu la Commission de gouvernement, et Fouché, à en piger par ce qui se passa pour les frégates, aurait sur le champ envoyé un courrier avec l'ordre de surseoir à l'appareillage.

[29] Fouché n'avait pas le dessein arrêté de livrer Napoléon sans discussion et sans résistance, mais il voulait rester libre d'agir, comme toujours, selon les circonstances.

[30] Instructions pour MM. les plénipotentiaires, Paris, 23 juin (cité par Ernouf, La Capitulation de Paris, d'après les papiers de Mignon, 170-177.) — Chose inexplicable, dans les procès-verbaux des séances de la Commission de gouvernement (Arch. nat., AF. IV, 1933) il n'est rien dit de ces instructions ni même de la nomination des plénipotentiaires qui furent cependant nommés par la Commission d'après le choix préalable de son président Fouché. Cf. les paroles de Pontécoulant à la Chambre des pairs dans la séance du 24 juin (Moniteur, 25 juin) et Pasquier, Mém., III, 263.

[31] La Fayette, Mémoires, V, 467. Esquisse sur les Cent Jours, 61-62, 67. — Quand on apprit à l'empereur l'objet de la mission et les noms des plénipotentiaires, il dit avec plies d'ironie que d'amertume. S'il est vrai que les instructions données soient dans le sens de ma dynastie, il fallait choisir d'autres hommes. Les ennemis du père ne seront jamais les amis du fils. (F. de Chaboulon, II, 246.)

[32] Les plénipotentiaires partirent le 24 juin assez tard dans la soirée. Ils étaient à Soissons le 25 juin au lever du jour. Sismondi à sa mère, Paris, dimanche [23 juin] matin (Sismondi, Lettres inédites, 90), Benjamin Constant à Mme Récamier, Soissons [25 juin, 4 heures du matin] (Lettres à Mme Récamier, 194.) — Benjamin Constant avait été adjoint aux plénipotentiaires en qualité de secrétaire.

[33] Esquisse sur les Cent Jours, 66-67. Cf. 76 ; et Benjamin Constant, Mém. sur les Cent Jours, II, 135. Mém. de Fouché, II, 352.

[34] Pasquier, Mémoires, III, 263. Villemain, Souv., II, 390, 351, 392. Cf. Thibaudeau, X, 420, et Mém. de Fouché, II, 353.

[35] Mémoires manuscrits de Mme de X. Mémoires manuscrits de Marchand. Bulletins de police, 24, 26, 27 juin (Arch. nat., AF. IV, 1934.) Planat à son beau-frère, Malmaison, 26 juin (Vie de Planat, 213). Bulletin de Paris, 274-275. Miss Helena Williams, Relation des événements, 274-275. Pasquier, Mém., III, 264-265. Montholon, I, CV. Gourgaud, Sainte-Hélène, II, 353-354, Méneval, II, 344. Las Cases, Mémorial, I, 27. Souvenirs manuscrits de Davout. Comte, Hist. de la garde nationale, 459. La Bretonnière, Souvenirs du vieux Quartier latin, 275.

[36] Bulletin de Paris, 274-275. Miss Helena Williams, Relation des événements, 172 (sources royalistes). Mémoires manuscrits de Mme de X.

[37] Récit de Réal, préfet de police, dans les Mémoires manuscrits de Mme de X. Bulletin de Paris. — Au Palais Royal, la garde nationale dissipait de même, les rassemblements des fédérés. (Bulletin de Réal, 24 juin, Arch. nat. AF. IV, 1934.)

[38] Villemain, Souvenirs, II, 394-395. Pasquier, III, 269, F. de Chaboulon, II, 238, Thibaudeau, X, 115, — Ni dans le Moniteur, ni dans les Rapports et discours à la Tribune, ni dans Deux Chambres de Buonaparte, la motion de Duchesne n'est mentionnée. Les quatre témoignages précités ne permettent pas, rependant, de douter qu'elle fut faite mais ou ne sait comment l'accueillit la Chambre.

[39] Souvenirs manuscrits de Davout (communiqué par le général duc d'Auerstedt.)

Davout raconte qu'avant d'aller entretenir l'empereur d'un sujet aussi délicat, il crut devoir le faire prévenir de l'objet de sa visite pi' le général Flahaut, et que celui-ci s'étant refusé à se charger de cette mission, il eu résulta au ministère de la guerre une scène des plus violentes entre lui et le jeune général. Davout fait confusion. Comme on le verra, c'est le 28 juin et non le 24, et dans des circonstances à peu près analogues que se produisit l'altercation entre Davout et Flahaut. Les témoignages concordants, du moins sur la date et sur le motif de cette altercation, de Flahaut (Lettre à Villemain, Constitutionnel, 4 janvier 1456, et lettre à Larabit, citée par F. Masson, le Général comte Flahaut, 33-34) ; de Mme de X. (Mémoires manuscrits précités) ; de F. de Chaboulon, II, 237-259 ; de Pasquier, III, 274-275 ; de Villemain, Souv., II, 429-426, ne laissent aucun doute à ce sujet.

[40] Souvenirs manuscrits de Davout.

[41] Souvenirs manuscrits de Davout. L'entrevue avait été froide, dit Davout, la séparation le fut davantage encore.

[42] Mémoires manuscrits de Mme de X. Cf. Mlle Cochelet, Mém., III, 129.

[43] Fleury de Chaboulon, II, 238-239. Pasquier, III, 265. Villemain, II, 395.

[44] Note de Carnot, citée par H. Carnot, Mém. sur Carnot, II, 528-529. Mémoires manuscrits de Marchand.

[45] Mémoires manuscrits de Marchand. Gourgaud, Sainte-Hélène, II, 554. Montholon, I, 24. F. de Chaboulon, II, 241.

[46] Procès-verbaux de la séance de la Commission de gouvernement, 25 juin. (Arch. nat., A. F. IV, 1933.)

[47] Beker, Relation de ma mission auprès de Napoléon, 18-21. Lettre de Davout à Beker, Paris, 25 juin, citée ibid.