1815

LIVRE III. — WATERLOO

 

CHAPITRE V. — LA BATAILLE DE WATERLOO - DE SEPT HEURES À NEUF HEURES.

 

 

I

D'un seul coup de boutoir de sa vieille garde, Napoléon a arrêté les Prussiens. Son flanc droit dégagé, il recouvre la liberté d'agir sur le front de bataille. Il est plus de sept heures[1] ; mais on a encore près de deux heures de jour, car le ciel s'est éclairci et le soleil brille au-dessus de Braine-L'Alleud. La canonnade de Grouchy augmente, se rapproche, gronde vers Limale[2]. Le maréchal, suppose-t-on, a enfin joint l'armée prussienne, la combat et, vainqueur ou vaincu, la retiendra assez longtemps pour empêcher une jonction avec les Anglais. Blücher, semble-t-il, a pu détacher le seul corps de Bülow que Lobau, Duhesme et deux bataillons de la vieille garde suffisent désormais à contenir. L'empereur braque sa lunette du côté des Anglais. Les points d'où partent les feux d'artillerie et de mousqueterie et la direction de ces feux lui servent de repères. A l'extrême droite, la division Durutte, maîtresse de Papelotte et de La Haye, gravit le plateau[3]. A la gauche, la lutte continue autour d'Hougoumont en flammes ; une brigade de Jérôme déborde la position, les tirailleurs français, soutenus par les lanciers de Piré, dépassent la route de Nivelles. Au centre, au-dessus de la Haye-Sainte, d'où l'ennemi est enfin, débusqué, les soldats de Donzelot, d'Allix et de Marcognet couronnent les crêtes et pressent vivement les Anglais le long du chemin d'Ohain. Dans le vallon, se rallient six régiments de Bachelu et de Foy ainsi que les débris de la cavalerie[4]. La ligne ennemie paraît ébranlée. L'empereur présume que Wellington a engagé toutes ses troupes. Lui a encore sa vieille garde, ses invincibles. C'est l'heure où la victoire indécise se donne au plus acharné. Il commande à Drouot de faire avancer dans la formation en carrés qu'ils ont prise précédemment neuf bataillons de la garde — des cinq autres, deux doivent rester à Plancenoit, et trois sur le plateau, comme dernière réserve —. Il se met à la tête du premier carré et descend vers la Haye-Sainte, au fond de la fournaise[5].

Au témoignage de l'ennemi[6], cette attaque aurait pu être décisive une demi-heure auparavant, quand Ney demandait du renfort. Le moment est passé. Tandis que Morand a repris Plancenoit, pendant même le temps si court où la garde s'est formée et mise en mouvement, Wellington a rassis sa position. Pour renforcer son centre chancelant et près de se rompre, il a rappelé de sa gauche la brigade Wincke, de sa droite quatre bataillons de Brunswick dont il a lui-même pris le commandement. Secondées par ces troupes fraîches, les brigades Kempt, Lambert, Pack et Best, à l'est de la route de Bruxelles, et les brigades Kruse et Halkett, à l'ouest de cette route, ont fait une vigoureuse contre-attaque et refoulé les fantassins de Donzelot, d' Allix et de Marcognet. Pendant que ces soldats se replient au bas des rampes en tiraillant, les Anglo-Allemands réoccupent les bords du plateau, et leurs batteries, délivrées de la fusillade à courte distance, éteignent le feu des pièces établies à la Haye-Sainte[7]. En même temps, la division hollando-belge de Chassé arrive de Braine-L'Alleud, et les six régiments de cavalerie de Vandeleur et de Vivian, qui, prévenus de l'arrivée imminente du corps prussien de Zieten, ont quitté leur poste de flanqueurs au-dessus de Papelotte, accourent au grand trot[8].

Les renforts prussiens, qui devenaient si nécessaires et dont l'approche eut pour premier résultat de rendre disponibles les 2,600 chevaux frais de Vivian et de Vandeleur, avaient bien failli manquer à, Wellington. Parti de Bierges à midi[9], contraint de s'arrêter plus de deux heures pour laisser défiler le corps de Pirch 1er sur les hauteurs, au nord-ouest de la Dyle, retardé ensuite dans sa marche par les sentiers escarpés des bois de Rixenxart où les hommes n'avançaient parfois qu'un à, un et devaient frayer passage aux pièces de canon[10], Zieten était arrivé à Ohain vers six heures avec son avant-garde[11]. Il fut rejoint là par le colonel Freemantle, aide de camp de Wellington, qui lui exposa la situation critique de l'armée anglaise, et demanda du renfort, ne fût-ce que 3.000 hommes, mais tout de suite. Zieten ne voulait point risquer de faire battre son corps d'armée en détail ; il répondit qu'il s'empresserait de se porter au secours des Anglais dès que le gros de ses troupes auraient serré sur l'avant-garde[12]. En attendant, il envoya un officier d'état-major vers Mont-Saint-Jean afin de voir exactement l'état des choses. Celui-ci, trompé par le grand nombre de blessés et de fuyards qui gagnaient les derrières, vint rapporter que les Anglais étaient en pleine retraite. Craignant d'être entraîné dans une déroute sans nul avantage pour l'armée alliée, Zieten fit aussitôt tête de colonne à gauche pour rallier Bülow entre Frichermont et le bois de Paris. Müffling, en observation au-dessus de Papelotte, aperçut ce mouvement. Il mit son cheval au grand galop, rejoignit Zieten, le renseigna plus exactement et le conjura de se porter à la gauche des Anglais. — La bataille est perdue, s'écrie-t-il avec véhémence, si le 1er corps ne secourt pas le duc ! Après avoir beaucoup hésité, Zieten se rendit aux raisons de Müffling et reprit sa première direction[13].

La tête de colonne de Zieten débouchait de Smohain quand la garde descendait vers la Haye-Sainte. Déjà des troupes se repliaient à la vue des Prussiens. L'empereur accourut près d'elles, les harangua ; elles se reportèrent en avant[14]. Un nouveau corps ennemi faisant irruption sur l'angle d'équerre de nos deux lignes de bataille, c'était le coup de grâce. Mais il est bien douteux que l'empereur pût alors rompre le combat[15]. En raison du désordre où se trouvaient déjà les troupes, de leur extrême dissémination et de la position avancée du corps de Bülow sur leur flanc, une retraite eût été terriblement hasardeuse. Se fût-elle même opérée sans trop de pertes ni de confusion, à l'abri d'une digue formée incontinent au sommet du plateau de la Belle-Alliance avec tous les bataillons de la garde, quels lendemains elle préparait à Napoléon ! L'armée réduite de moitié — car le corps de Grouchy laissé isolé, coupé de sa ligne de retraite, paraissait voué à une destruction totale —, la frontière ouverte, la France découragée, le patriotisme abattu, la Chambre passant de l'hostilité sourde à la guerre déclarée, partout l'intrigue, l'abandon, la trahison. Plutôt que revivre l'agonie de 1814, mieux vaut tenter un effort suprême et désespéré pour violer la Fortune rebelle.

 

II

L'approche du 1er corps prussien n'eut d'autre effet sur l'empereur que de lui faire précipiter son attaque. Six bataillons de la garde étaient seuls arrivés encore dans les fonds de la Haye-Sainte. L'empereur en posta un (le 2e du 3e grenadiers) sur un petit mamelon, à mi-chemin de cette ferme et d'Hougoumont ; et, apercevant Ney qui se trouvait toujours partout où il y avait la mort à affronter, il lui remit le commandement des cinq autres pour donner l'assaut au centre droit anglais[16]. En même temps, il fit tenir l'ordre aux batteries d'accélérer leur feu, à d'Erlon, à Reille et aux commandants des corps de cavalerie de seconder sur leur front respectif le mouvement de la garde. Le bruit que les Prussiens débouchaient d'Ohain pouvait se répandre. L'empereur voulut prévenir cette alarme. Il chargea La Bédoyère et ses officiers d'ordonnance de parcourir la ligne de bataille en annonçant partout l'arrivée du maréchal Grouchy[17]. Ney a dit qu'il fut indigné de ce stratagème. Comme si Napoléon avait le choix des moyens ! Ce qui est certain, c'est que, à cette fausse nouvelle, la confiance revint et l'enthousiasme se ralluma. Les troupes reformèrent leurs rangs en criant : Vive l'empereur ! Des blessés se redressaient pour acclamer au passage les colonnes en marche. Un soldat à trois chevrons, un vieux de Marengo, assis, les jambes broyées par un boulet, contre un remblai de la route, répétait d'une voix haute et ferme : — Ce n'est rien, camarades. En avant ! et vive l'empereur ![18]

Wellington, malgré la fumée qui s'épaississait de plus en plus, avait-il vu les mouvements préparatoires à cette attaque finale ? En tout cas, il en fut averti par un traître. Au moment où Drouot rassemblait la garde, un capitaine de carabiniers, traversa le vallon au grand galop, défiant les boulets et la grêle des balles, et aborda, le sabre au fourreau et la main droite en l'air, les tirailleurs avancés du 52e anglais. Conduit au major de ce régiment qui causait avec le colonel Fraser, commandant l'artillerie légère, il s'écria : — Vive le roi ! Préparez-vous ! ce b... de Napoléon sera sur vous avec la garde avant une demi-heure[19]. Le colonel Fraser rejoignit Wellington pour lui transmettre l'avis. Le duc parcourut la ligne de bataille, depuis la route de Bruxelles jusqu'à la route de Nivelles, donnant ses derniers ordres. La brigade Adam et, la brigade des gardes de Maitland, qui avaient rétrogradé dans un pli de terrain pour se mettre à l'abri des boulets, reprirent leurs positions. La brigade hanovrienne William Halkett et la brigade allemande de Duplat prolongèrent la droite d'Adam, vers Hougoumont. La division hollando-belge de Chassé vint s'établir : la brigade d'Aubremé derrière les gardes de Maitland, ayant derrière elle la cavalerie de Vivian ; la brigade Ditmer au dos des trois bataillons de Brunswick postés à la gauche de la brigade anglaise Colin Halkett. La cavalerie de Vandeleur se déploya à l'ouest de la route de Bruxelles, au soutien des bataillons décimés d'Ompteda et de Kruse et d'un autre bataillon de Brunswick. Les trois batteries laissées jusqu'alors en réserve s'avancèrent sur le front. Il fut prescrit aux canonniers de ne plus répondre à l'artillerie française et de concentrer leur feu sur les colonnes d'assaut. On devait tirer jusqu'aux dernières gargousses[20].

Il semble que Ney donna une mauvaise ordonnance et une mauvaise direction à la garde. Au lieu de former une seule colonne, assez puissante pour percer la ligne ennemie, le maréchal laissa les bataillons divisés. Au lieu de monter des fonds de la Haye-Sainte droit au plateau par la route de Bruxelles, où la colonne aurait eu à peine quatre cents mètres à parcourir et où les remblais l'auraient protégée contre les feux en écharpe de l'artillerie, il y marcha de biais, par les pentes découvertes qu'avaient gravies les cuirassiers dans leur première charge[21].

Les cinq bataillons de la moyenne garde, formés en autant de carrés, s'avancèrent par échelons, la droite en tête. Entre chaque échelon, les canonniers à cheval de la garde menaient deux pièces de 8, au total une batterie complète sous les ordres du colonel Duchand. Dans cette marche oblique, à peu près analogue au mouvement Vers la gauche, en avant en bataille, tous les échelons ne conservèrent pas leur intervalle. Le quatrième se rapprocha du troisième. Bientôt les cinq échelons n'en formèrent plus que quatre : à droite, le 1er bataillon du 3e grenadiers ; au centre, l'unique bataillon du 4e grenadiers ; plus à gauche, les 1er et 2e bataillons du 3e chasseurs ; à l'extrême gauche, le 4e chasseurs réduit à un seul bataillon[22].

Toutes les troupes avaient reçu l'ordre de seconder cette attaque. Déjà les divisions Donzelot, Allix et Marcognet gravissent le plateau ; la première, le long et sur le côté gauche de la route de Genappe, les deux autres à la droite de cette route. Mais l'infanterie de Reille et les débris de la cavalerie commencent à peine à s'ébranler[23]. Entre la Haye-Sainte et Hougoumont, les cinq bataillons de la garde s'avancent seuls contre l'armée anglaise ! Ils marchent l'arme au bras, alignés comme à mie revue des Tuileries, superbes et impassibles. Tous leurs officiers sont en tête, les premiers aux coups. Les généraux Friant et Porret de Morvan commandent le bataillon du 3e grenadiers ; le général Harlet, le bataillon du 4e grenadiers ; le général Michel, le 1er bataillon du 3e chasseurs ; le colonel Millet, un fidèle de l'île d'Elbe, le 2e bataillon ; le général Henrion, le bataillon du 4e chasseurs. Ney roule à terre avec son cheval, le cinquième tué sous lui. Il se dégage, se relève et marche à pied, l'épée à la main, à côté de Friant. L'artillerie anglaise, disposée en arc de cercle depuis la route de Bruxelles jusqu'aux hauteurs voisines d'Hougoumont, car, de convexe, le front de l'aile droite ennemie est devenu concave, tire à double charge de mitraille à partir de deux cents mètres. La garde est battue de face et d'écharpe. Chaque volée y fait brèche. Les grenadiers serrent les files, rétrécissent les carrés, et continuent à monter du même pas en criant : Vive l'empereur ![24]

Le 1er bataillon du 3e grenadiers (échelon de droite) culbute un corps de Brunswick, s'empare des batteries Cleeves et Lloyd, qu'abandonnent les canonniers ; et, par une légère conversion, il se dirige vers la gauche de la brigade Halkett. Les 30e et 73e anglais reculent en désordre. Friant, blessé d'un coup de feu, quitte le champ de bataille en croyant à la victoire. Mais le général belge Chassé, un des héros d'Arcis-sur-Aube (il servait alors dans les rangs français !), fait avancer à la droite des 30e et 73e la batterie van der Smissen, dont le feu écharpe les assaillants. Puis il porte délibérément à la gauche des deux régiments anglais la brigade Ditmer, forte de 3.000 hommes, la lance à la baïonnette contre le faible carré, le rompt, le disloque, l'écrase sous la masse et en rejette les débris au bas des rampes[25].

Le bataillon du 4e grenadiers (second échelon) s'est engagé pendant ce temps contre la droite de la brigade Halkett. Sous la mitraille des deux pièces de Duchand et la fusillade des grenadiers, les débris des 33e et 69e régiments fléchissent. Le général Halkett saisit le drapeau du 33e, s'arrête en l'agitant et, par son exemple, retient ses hommes. Voyez le général ! crie-t-on, il est entre deux feux ! il ne peut échapper ! En effet il tombe grièvement blessé. Mais les Anglais sont ralliés, ils font ferme. Un vieux soldat dit en mordant sa cartouche : — C'est à qui tuera le plus longtemps[26].

Les 1er et 2e bataillons du 3e chasseurs (troisième échelon) atteignent presque la crête sans rencontrer aucune infanterie. Ils marchent vers le chemin d'Ohain, éloigné d'eux à peine d'une portée de pistolet. Soudain, à vingt pas, se dresse un mur rouge. Ce sont les 2.000 gardes de Maitland, rangés sur quadruple profondeur. Ils attendaient, couchés dans les blés. Au commandement de Wellington lui-même : — Debout, gardes, et soyez prêts ! ils se sont relevés comme mus par un ressort. Ils mettent en joue, ils tirent. Leur première décharge fauche 300 hommes, près de la moitié des deux bataillons déjà décimés par l'artillerie. Le général Michel tombe frappé à mort. Les Français s'arrêtent, leurs rangs rompus, leur marche obstruée par les cadavres. Au lieu de les lancer instantanément à la baïonnette sans s'inquiéter du désordre où ils se trouvent, les officiers s'efforcent de les former en ligne pour répondre au feu par le feu. La confusion augmente. Le déploiement s'opère mal et à grande perte de temps. Pendant dix minutes, les chasseurs restent sur place sous la fusillade des gardes de Maitland et sous la mitraille des batteries Bolton et Ramsay qui les prennent en écharpe. Wellington voit enfin la garde fléchir ; il commande de charger. — En avant ! mes garçons, crie le colonel Saltoun, c'est le moment ! Les 2.000 Anglais courent tête baissée sur cette poignée de soldats, les enfoncent et descendent confondus avec eux dans un furieux corps-à-corps jusque près du verger d'Hougoumont. Les combattants étaient si mêlés, dit un officier de la batterie Bolton, que nous dômes cesser de tirer[27].

Aux commandements précipités de leurs chefs, les Anglais font brusquement halte. Le bataillon du 4° chasseurs (échelon de gauche) s'approche pour dégager les débris du 3e chasseurs, ainsi que ceux du 4e grenadiers qui se sont également mis en retraite. Sans attendre le choc, les soldats de Maitland lâchent pied en désordre et remontent sur leurs positions aussi vite au moins qu'ils en sont descendus. Chasseurs et grenadiers les suivent de près, gravissant la côte sous les volées de mitraille. Ils franchissent le chemin d'Ohain lorsque la brigade Adam (52e, 71e et 95e régiments), qui s'est vivement portée en -potence sur leur flanc gauche, les écharpe par des feux de quatre rangs. Les gardes de Maitland font demi-tour, et tant bien que mal reformés, recommencent à tirer de concert avec la brigade Colin Halkett, tandis que les Hanovriens de William Halkett débouchent des haies d'Hougoumont et fusillent les Français par derrière. De tous côtés, les balles arrivent en grappes. Manet est grièvement blessé. Un bataillon se déploie face à Maitland ; ce qui reste des deux autres marche par la gauche contre la brigade Adam. Le colonel Colborn, que les soldats appelaient, en Espagne, le mangeur de feu (fire cater), entraîne le 52e. Toute la brigade le suit, baïonnettes au clair. Déjà très ébranlés par la formidable fusillade qu'ils ont subie, chasseurs et grenadiers fléchissent sous le nombre et se retirent en désarroi[28].

 

III

Le cri : La garde recule ! retentit comme le glas de la Grande Armée. Chacun sent que tout est fini. L'infanterie de Reille, les cuirassiers, les escadrons de la garde, qui marchent enfin pour seconder l'attaque de Ney, s'arrêtent paralysés. Les soldats de Donzelot et d'Allix, aux prises sur les crêtes, au-dessus de la Haye-Sainte, avec les brigades Kruse, Lambert, Kempt, Pack, voient la garde plier. Ils cèdent aussi le terrain conquis et redescendent au pied du coteau, entraînant dans leur retraite la division Marcognet qui a abordé sur le prolongement de leur droite les positions ennemies. Le mouvement de recul gagne toute la ligne de bataille, de la gauche à la droite[29]. En même temps, les fantassins de Durutte sont attaqués dans Papelotte et dans La Haye par les têtes de colonnes prussiennes débouchant du chemin d'Ohain. On crie : Sauve qui peut ! Nous sommes trahis ! Panique trop explicable, si l'on songe à l'état d'esprit des soldats, troublés, possédés depuis trois mois par des craintes de trahison. Tout paraît justifier leurs soupçons. Ils ont vu passer à l'ennemi un général, un colonel, des officiers de tout grade. Parmi leurs cartouches, ils en trouvent qui sont bourrées de son en place de poudre. Ils s'étonnent de tant de mouvements décousus, ils sont rebutés par tant d'assauts sans résultat. Enfin ils attendent le corps de Grouchy, dont on leur a annoncé l'approche, et c'est le corps de Zieten qui survient pour les écraser. La débandade commence, s'accroît. Les Prussiens se ruent à l'assaut, débusquent des fermes les quelques poignées de braves qui tiennent encore malgré la panique et les rejettent dans les ravins. Les débris des quatre divisions de d'Erlon refluent les uns sur les autres, se heurtent, se bousculent, se rompent mutuellement. A l'est de la grande route, dans le creux du vallon où se croisent les paquets de mitraille anglaise et les boulets prussiens, c'est la plus lamentable confusion[30].

Wellington veut achever cette armée blessée à mort. Il pousse son cheval jusque sur le bord du plateau, devant le front de bataille, se découvre et agite son chapeau en l'air. On comprend ce signal. Toutes les troupes se mettent instantanément en marche dans l'ordre où elles se trouvent. Sans prendre le temps de se rassembler, les bataillons, les batteries, les escadrons des différentes divisions s'élancent côte à côte[31], passant sur les morts, écrasant les blessés sous les pieds des chevaux et les roues des canons. Seules restent sur les positions les brigades Pack, Ompteda et Kielmansegge, et deux ou trois batteries qu'empêchent littéralement de démarrer les carcasses de chevaux et les cadavres amoncelés sur leur front. De la droite à la gauche, Anglais, Hanovriens, Belges, Brunswickois, cavaliers, fantassins, artilleurs, quarante mille hommes ! dévalent en torrents, au son des tambours, des bugles et des pibrochs, dans les premières ombres du crépuscul[32]. A cette vue, effrayante même pour des braves, les derniers échelons d'infanterie font demi-tour et remontent précipitamment, avec presque toute la cavalerie, les coteaux à l'ouest de la Belle-Alliance ; les bataillons de tête, plus immédiatement menacés d'être broyés par l'avalanche, se débandent et s'enfuient. On abandonne la Haye-Sainte, on abandonne le verger d'Hougoumont, on abandonne le bois. Les hussards de Vivian et les dragons de Vandeleur, qui font trouée devant les masses anglaises, sabrent les fuyards au cri féroce : No quarter ! No quarter ![33]

 

IV

Tandis que la moyenne garde abordait, les positions anglaises, les 2es bataillons du 2er chasseurs, du 2e grenadiers et du 2e chasseurs, avec les généraux Cambronne, Boguet et Christiani étaient arrivés près de l'empereur, au pied de la Haye-Sainte. Napoléon s'occupait à les former en colonne d'attaque, un bataillon déployé et deux sur les flancs en colonnes serrées, pour les mener lui-même sur le plateau où tout allait bien, au dire de criant, qui en revenait blessé, quand il vit l'écroulement soudain de sa ligne de bataille. Lui aussi sentit alors qu'il était irrémédiablement vaincu. Mais il conserva l'espoir d'organiser la retraite. Sans rien perdre de son sang-froid, il fit rompre la colonne de la vieille garde et établit les trois bataillons, en autant de carrés, à cent mètres environ au-dessous de la Haye-Sainte, le carré de droite sur la route de Bruxelles. Il comptait qu'à l'abri de cette digue l'armée pourrait se rallier et s'écouler[34].

Les hussards de Vivian, impuissants à mordre sur ces carrés, les tournent et continuent leurs rouges sillons dans la cohue des fuyards. Ivres de sang, ils s'acharnent au carnage. Un sous-officier du 18e dit à Vivian : — Nous vous suivrons jusqu'en enfer, si vous voulez nous y conduire. A la suite des hussards accourent d'autres cavaliers ennemis. L'empereur lance ses quatre escadrons de service contre ce nouveau flot de cavalerie qui les submerge[35].

Non loin de la route, Ney, à pied, tête nue, méconnaissable, la face noire de poudre, l'uniforme en lambeaux, une épaulette coupée d'un coup de sabre, un tronçon d'épée dans la main, crie avec rage au comte d'Erlon qu'entraîne un remous de la déroute : — D'Erlon ! si nous en réchappons, toi et moi nous serons pendus ! Le maréchal ressemble moins à un homme qu'à une bête furieuse. Ses efforts durant tout ce jour ont excédé l'énergie et les forces humaines. Jamais en aucune bataille, aucun chef, aucun soldat ne s'est tant prodigué. Ney a surpassé Ney ! Il a conduit deux fois à l'attaque l'infanterie de d'Erlon, il a chargé quatre fois sur le plateau avec les cuirassiers, il a mené l'assaut désespéré des grenadiers de la garde. Il court maintenant à la brigade Brue (division Durutte), seule troupe de ligne qui se replie en bon ordre et qui est d'ailleurs réduite à l'effectif de deux bataillons. Il arrête les soldats et les jette encore une fois contre l'ennemi, en leur criant : — Venez voir mourir un maréchal de France ! La brigade vite rompue et dispersée, Ney se cramponne à ce fatal champ de bataille. Puisqu'il n'y peut trouver la mort. il veut, du moins, ne le quitter que le dernier. Il entre dans un carré de la garde avec le chef de bataillon Rullière, qui a pris l'aigle du 95e des mains mourantes du lieutenant Puthod. Durutte, le poignet droit coupé, le front ouvert, tout sanglant, est emporté par son cheval dans une charge de cavalerie ennemie ; il galope au milieu des Anglais jusqu'à la Belle-Alliance[36].

Les trois bataillons de la garde repoussent sans peine la cavalerie. Mais leur formation en carrés, qu'ils sont cependant tenus de conserver pour résister à de nouvelles charges, les met dans un état d'infériorité tactique vis-à-vis de l'infanterie anglaise, en ligne sur quatre rangs. Son feu plus étendu et plus dense bat les carrés de front et d'écharpe. A la mousqueterie se mêle la mitraille des batteries Rogers, Whyniates et Gardiner, qui tirent à soixante mètres. Les masses ennemies foisonnent autour des grenadiers : les brigades Adam et William Halkett, qui s'acharnent surtout contre eux, et les brigades Kempt, Lambert, Kruse, Wincke, Colin Halkett. L'empereur donne l'ordre de quitter cette position intenable. Lui-même, réfléchissant, trop tard peut-être, que, pour arrêter une déroute, il faut non point rester sur le front rompu des troupes qui lâchent pied, mais se porter en arrière afin de les rallier sur une nouvelle position, gagne au galop, avec quelques chasseurs d'escorte, les hauteurs de la Belle-Alliance[37].

Les trois bataillons, — ainsi que celui du 3e grenadiers posté à leur gauche, et assailli tour à tour par les dragons anglais, les lanciers noirs de Brunswick, l'infanterie de Maitland et de Mitchel,  rétrogradèrent pas à pas. Réduits à trop peu d'hommes pour rester en carrés sur trois rangs, ils se formèrent sur deux rangs, en triangles, et, baïonnettes croisées, percèrent lentement à travers la foule des fuyards et des Anglais. A chaque pas, des hommes trébuchaient sur les cadavres ou tombaient sous les balles. Tous les cinquante mètres, il fallait faire halte pour reformer les rangs et repousser une nouvelle charge de cavalerie ou une nouvelle attaque d'infanterie[38]. Dans cette héroïque retraite, la garde marchait littéralement entourée d'ennemis, comme à l'hallali courant le sanglier parmi la meute. Il y avait contact si étroit que, malgré les bruits multiples du combat, on se trouvait à portée de la voix. Au milieu des coups de feu, des officiers anglais criaient de se rendre à ces vieux soldats[39]. Cambronne était à cheval dans le carré du 2e bataillon du 1er chasseurs. Le désespoir au cœur, étouffant de colère, exaspéré par les incessantes sommations de l'ennemi, il dit rageusement : — M.... ![40] Peu d'instants après, comme il allait atteindre avec son bataillon les sommets de la Belle-Alliance, une balle en plein visage le renversa sanglant et inanimé[41].

 

V

Pendant le dernier assaut de Mont-Saint-Jean, la moitié du corps de Pirch (divisions Tippelskirch et Kraft et cavalerie de Jürgass) avait rejoint Bülow mis en désarroi[42]. Aussitôt, Blücher ordonna une reprise d'attaque générale contre tout notre flanc droit. Dans Plancenoit même, la jeune garde de Duhesme et les deux bataillons de vieille garde de Morand et de Pelet restèrent inexpugnables. Mais sur le prolongement de ce village, l'infanterie de Lobau et la cavalerie de Domon et celle de Subervie plièrent devant les 15.000 hommes de Hacke, de Losthin et du prince Guillaume ; elles furent culbutées quand la division Steinmetz et la cavalerie de Röder, débouchant de Smohain en donnant la chasse à Durutte, les abordèrent sur leur flanc. Les masses françaises, espacées, un quart d'heure auparavant, depuis la route de Nivelles jusqu'aux ravins de Papelotte et de Plancenoit, refluèrent en même temps sur le plateau autour de la Belle-Alliance. A leur suite, sabrant, fusillant, poussant des hurrahs ! accouraient d'un côté les Anglais, de l'autre les Prussiens. Les deux mâchoires de l'étau se refermaient sur la foule éperdue et sans défense qui avait été l'armée impériale[43].

Dans cette effroyable cohue, chacun pousse et bouscule pour fuir plus vite. Des cuirassiers démontés jettent leurs cuirasses, des conducteurs coupent les traits des attelages, des hommes sont piétinés. On trébuche parmi les chevaux morts, les caissons renversés, les canons abandonnés. Les ombres de la nuit qui commencent à s'épaissir (il est près de neuf heures) ajoutent à l'épouvante et accroissent la confusion. Les 12e et 16e dragons anglais sont chargés par le 1er hussards de la Légion Germanique. La brigade Adam reçoit le feu d'une batterie prussienne. Les higlanders du 71e tournent des canons français contre les colonnes en fuite. Les quatre bataillons de la garde, qui viennent de regagner le plateau, sont les seules troupes d'infanterie encore en ordre. Anglais et Prussiens enserrent chacun de ces carrés dans un cercle de mitraille, de sabres et de baïonnettes. Chargés simultanément par la cavalerie et par l'infanterie, ils sont rompus, démolis, écrasés. Leurs débris roulent dans la débâcle[44].

A cinq cents mètres en arrière, près de la maison Decoster, attendent formés en carrés, à la gauche et à la droite de la route, les deux bataillons du 1er grenadiers, commandés par le général Petit. Ces hommes sont l'élite de l'élite. Presque tous portent au moins deux chevrons, quatre sur dix sont légionnaires. L'empereur est à cheval dans le carré du 1er bataillon. Avec ces redoutes vivantes, il espère encore couvrir la retraite. Il ordonne d'établir, sur le prolongement des carrés, la batterie de 12 qui a longtemps canonné les Prussiens par-dessus Plancenoit, et il fait battre la grenadière, pour rallier tous les détachements de la garde. Une foule de fuyards s'écoulent sur la route, des deux côtés des carrés, suivis de tout près par l'ennemi. La batterie de la garde n'a plus qu'un coup par pièce. Sa dernière décharge, à quart de portée, foudroie une colonne de cavalerie. Les artilleurs, désormais sans munitions, restent stoïquement à leurs pièces pour imposer encore aux assaillants. D'autres escadrons s'approchent au galop. — Ne tirons pas, crie un grenadier, ce sont des hussards français. Ce sont des hussards anglais ; ils fondent sur la batterie et sabrent les canonniers désarmés. Mais sur les carrés mêmes, ces charges incessantes se brisent et s'éparpillent comme sur des blocs de granit les tourbillons de sable. Devant chaque bataillon de grenadiers, s'élève un sanglant remblai de cadavres et de chevaux abattus[45].

Dans Plancenoit où les batteries prussiennes ont allumé l'incendie, on combat à la lueur des flammes. La jeune garde, recrutée presque entièrement parmi les engagés volontaires de Paris et de Lyon, et les 1ers bataillons du 2e chasseurs et du 2e grenadiers, luttent un contre cinq. Les attaques combinées des divisions Hiller, Byssel, Tippelskirch échouent. Gneisenau ranime ses soldats ; ils se ruent de nouveau à l'assaut, pénètrent dans le village. On se fusille à bout portant, on s'étreint corps à corps, on se tue à coups de baïonnette, à coups de crosse. Le tambour-major Stubert, dit 2e grenadiers, un géant, assomme les Prussiens avec la pomme de sa canne. Un bataillon de jeune garde se fait exterminer dans le cimetière qui sert de réduit. Les Prussiens enlèvent les maisons une à une. On s'égorge dans les chambres, dans les greniers ; et pendant ces luttes sans merci, des toits de chaume que le feu a gagnés s'écroulent sur les combattants. Il faut anéantir les Français, dit le major von Damitz, pour s'emparer de Plancenoit. A la sortie du village, les débris de ces héroïques bataillons sont chargés et vivement poursuivis jusqu'au plateau. Là, c'est la cavalerie anglaise qui les achève. Le général Pelet se trouve un instant seul au milieu de l'ennemi, avec quelques hommes et le porte-aigle des chasseurs de la vieille garde. — A moi, chasseurs ! crie-t-il d'une voix vibrante. Sauvons l'aigle ou mourons près d'elle. Tous ceux qui entendent cet appel désespéré reviennent sur leurs pas, accourent, se font jour à travers les chevaux ; ils se rallient autour du drapeau et lui forment un impénétrable rempart de baïonnettes[46].

De Plancenoit, Français et Prussiens débouchent pêle-mêle sur la route de Bruxelles, près des carrés du 1er grenadiers. Les fuyards se pressent autour pour y trouver un refuge, mais ils sont impitoyablement repoussés par le fer et par le feu. La sûreté des carrés l'exige. Le général Rogue, manque d'être tué à bout portant par un grenadier. Nous tirions, dit le général Petit, sur tout ce qui se présentait, amis et ennemis, de peur de laisser entrer les uns avec les autres. C'était un mal pour un bien. Les carrés sont débordés par la droite et par la gauche ; les masses anglaises et prussiennes deviennent de plus en plus nombreuses, de plus en plus compactes. Les grenadiers repoussent toutes les charges. Deux bataillons contre deux armées !

Enfin l'empereur ordonna de quitter la position. Les grenadiers se mirent lentement en retraite, le 1er bataillon à gauche de la route, le 2e bataillon sur la route même. A chaque instant, on faisait halte pour rectifier l'alignement des faces des carrés et pour ralentir la poursuite de l'ennemi par des feux de file toujours nourris[47].

L'empereur cheminait à quelque distance devant les carrés avec Soult, Drouot, Bertrand, Lobau et cinq ou six chasseurs à cheval de la garde. A la ferme du Caillou, il rejoignit le 1er bataillon de chasseurs à pied de la vieille garde. Ce bataillon, préposé à la sûreté du trésor et des équipages de l'empereur, avait pour chef le commandant Duuring, Hollandais d'origine. Vers sept heures du soir, deux colonnes prussiennes s'étant avancées par le bois du Chantelet dans l'intention manifeste de couper la retraite à l'armée en occupant la grande route, Duuring avait fait filer incontinent les voitures sur Genappe, d'accord avec le général Radet, grand-prévôt, qui venait de rallier deux à trois cents cavaliers démontés et fantassins en fuite. Il avait ensuite déployé son bataillon face à l'ennemi. Les Prussiens (25e régiment), reçus par une vive fusillade et bientôt chargés à la baïonnette jusqu'au milieu du bois, s'étaient repliés vers Maransart[48]. L'empereur s'arrêta quelques instants à questionner Duuring sous les derniers boulets des batteries prussiennes de Plancenoit ; il le félicita pour la fermeté et l'esprit d'initiative dont il avait fait preuve et lui ordonna de le suivre. — Je compte sur vous, dit-il. Le bataillon ayant serré en masse, l'empereur rendit la main à son cheval et marcha au pas sur le flanc de la colonne[49].

 

 

 



[1] Gourgaud, 99 : A 7 heures et demie, on entendit enfin la canonnade du maréchal Grouchy, à deux lieues et demie sur notre droite. L'empereur pensa que le moment était venu de faire une attaque décisive. — Kennedy (140) dit aussi : à 7 heures et demie.

[2] Gourgaud, 99. Napoléon, Mém., 153.

[3] Sauf van Löben, qui parle par ouï-dire et exprime des doutes, tous les témoignages s'accordent sur ce point, que Durutte, vers 7 heures un quart, s'était emparé de La Haye et de Papelotte. Müffling, Aus meinem Leben, 215. Lettre du général Vivian. (Waterloo Letters, 161.) Damitz, II, 287. Von Ollech, 244.

[4] Lettres d'officiers des brigades Grant, Kempt et Lambert. (Waterloo Letters, 128, 334, 365, 391.) Rapports de Kempt et de Lambert, Genappe, 19 juin. (Dispatches of Wellington, Suppl., X, 534, 537.) Kennedy, 124, 127. Cotton, 118-121. Siborne, II, 113-116, 121, 146, 152-153. Notes journalières de Foy. Gourgaud, 99. Napoléon, Mém., 152, 153.

[5] Gourgaud, 99. Napoléon, Mém., 159-160. Rogniat, Réponse aux notes de Napoléon, 277-278. Relation du général Petit (collection Morrisson, de Londres).

Dans la Relation de l'Ambigu, de Londres, tome LII, 434, il est dit que dans l'armée on commençait à murmurer contre l'inaction de la garde à pied.

[6] Kennedy, Hügel, Freemantle, Müffling, Cotton, Siborne.

[7] Kennedy, 127-128. Lettres d'officiers des brigades Adam, Halkett et Lambert. (Waterloo Letters, 306, 328, 342, 391.) Cotton, 119. Siborne, II, 116. Gourgaud, 100.

[8] Lettres d'officiers de la brigade Vivian. (Waterloo Letters, 149, 179, 180.) Kennedy, 127, 128. Müffling, Aus meinem Leben, 214. Siborne, II, 120.

[9] Damitz, II, 245. Von Ollech, 193.

[10] Relation du colonel von Reiche, citée par von Ollech, 193, et von Ollech, 193.

[11] Von Ollech, 194. Wagner, IV, 79.

[12] Lettres du colonel Freemantle. (Waterloo Letters, 21-22.)

[13] Müffling, Aus meinem Leben, 215. Wagner, IV, 79. Von Ollech, 243-244.

Selon von Ollech, Zieten hésitait d'autant plus que Blücher, décidé à tout sacrifier pour s'emparer de Plancenoit, lui avait envoyé l'ordre de se porter dans cette direction.

[14] Gourgaud, 100-101. Napoléon, Mém., 160.

[15] Rogniat lui-même (Réponse aux Notes critiques, 277) dit : Peut-être les bataillons de la garde eussent-ils réussi à soutenir la retraite ? — Clausewitz (Der Feldzug von 1815) et York de Wartenbourg (Napoleon as Feldher) condamnent la résolution désespérée de Napoléon, mais ils sont loin d'être affirmatifs sur la possibilité d'une retraite. — Plus justement, Ch. Mato et Arthur Chuquet ont dit : celui-là (Précis de la campagne de 1815) : Quel autre parti aurait pu prendre Napoléon ? celui-ci (Revue critique, 25 oct. 1886) : L'empereur n'avait plus d'autre parti à prendre. Il fallait, comme disent les Allemands, den grossen Trumpt ausspicten.

[16] Lettre de Ney au duc d'Otrante, 26 juin. (Journal des Débats, 20 juin.) Relation du général Petit. (Collection Morrisson de Londres.) Drouot, Discours à la Chambre des Pairs. (Moniteur, 24 juin.) Gourgaud, 101. Napoléon, Mém., 160.

Le général Petit précise bien qu'il y eut seulement cinq bataillons qui marchèrent au plateau, tous appartenant à la moyenne garde : le 1er du 3e grenadiers, — le bataillon unique du 4e grenadiers, — les deux bataillons du 3e chasseurs, — le 48 chasseurs, réduit à un seul bataillon par suite des pertes subies à Ligny. Ney dit qu'il mena à l'ennemi quatre régiments. Cela n'est pas moins exact ; mais, de ces quatre régiments, deux étaient d'un seul bataillon, et un bataillon était détaché. Restaient donc cinq bataillons sous le commandement de Ney.

C'est tout à fait à tort, et dans une intention facile à comprendre, que les auteurs anglais prétendent qu'il y avait à l'attaque huit et même douze bataillons de la garde.

[17] Lettre de Ney au duc d'Otrante, 26 juin. Gourgaud, 101. Napoléon, Mém., 160. Notes de Baudus (comm. par M. de Montenon).

[18] Notes de Baudus, Souvenirs d'un ex-officier, 296. Lettre du capitaine Powel. (Waterloo Letters, 254.) Lettre de Hügel au roi de Wurtemberg, Bruxelles, 19 juin (citée par Pfister, Aus dem Lager der Verbündeten, 390). Colonel Lemonnier, Campagnes, 387-388.

[19] Frazer, Letters, 552. Lettres du général Adam, du major Blair et du colonel Colborne. (Waterloo Letters, 276, 280, 283.)

Le plus singulier, c'est que cet officier avait vaillamment chargé deux fois les Anglais. Revenu, de longues années après, visiter le champ de bataille, il y rencontra l'ex-sergent du 23e dragons, Cotton, devenu guide à Waterloo. Il lui expliqua qu'il n'avait pas déserté plus tôt, parce qu'il espérait entraîner avec lui plusieurs de ses camarades. (Cotton, A voice of Waterloo, 126.)

[20] Lettres d'officiers des brigades Vandeleur, Vivian, Maitland, Adam et du Royal Artillery. (Waterloo Letters, 104, 179, 187, 194, 228, 237, 244, 276, 277, 280, 291.) Cf. Kennedy, 126-127 ; van Löben, 285, 298, 301 ; le plan et la notice de Craan et les lettres de Chassé à lord Hill, et de lord Hill à Chassé, 5 et 11 juillet (citées dans la Relation belge de la bataille de Waterloo, 10-12).

[21] Cette remarque est du colonel Kennedy, aide de camp d'Allen, Notes on Battle of Waterloo, 130.

[22] Je suis la relation très précise et très détaillée du général Petit (collection Morrisson, de Londres), lequel assista à la formation de ces carrés, les vit s'ébranler et peut-être gravir le coteau de Mont-Saint-Jean, et recueillit ensuite des renseignements complémentaires de la bouche même des officiers survivants. Il paraît donc certain que les bataillons marchèrent en carrés. Cette formation, au moins singulière pour l'assaut d'une position, peut s'expliquer par la prévision où l'on était d'avoir à parer à des charges de cavalerie. A la vérité, selon Siborne, Cotton, Kennedy et nombre de Lettres de Waterloo, la garde était formée en colonnes serrées (Close columns) ; mais de loin, dans la fumée, il était facile de confondre des carrés et des colonnes en masse. Je crois, dit le lieutenant Sharpin (228), qu'ils étaient en colonnes serrées. — Je n'ai pu distinguer exactement, dit le colonel Gawler (292), quelle était la formation de l'ennemi, la fumée étant trop épaisse ; niais on m'a dit que c'était en colonnes. J'ajoute que dans la Relation anglaise de la bataille de Waterloo, publiée en 1815 (p. 32), il est dit que la garde attaqua en carrés.

D'après tous les historiens français, la garde aurait attaqué en une colonne ; d'après les historiens anglais, en deux colonnes. Ces deux assertions sont inexactes. Si l'attaque avait eu lieu en une seule colonne, la garde n'aurait pu aborder et les deux bataillons de Brunswick et la gauche de la brigade Halkett et la brigade Damer et la droite de Halkett et les gardes de Maitland et enfin la brigade Adam, ces troupes étant placées non en profondeur, mais sur un front en arc de cercle de plus de 1.000 mètres. Si l'attaque se fût opérée en deux colonnes, la garde aurait abordé seulement la brigade Maitland et la brigade Adam. Les bataillons de Brunswick, la brigade Halkett et la brigade Ditmer n'auraient pas été engagés contre elle. C'est ce que prétendent les historiens anglais dans un sentiment de gloriole, de même qu'ils prétendent que l'attaque fut opérée par douze bataillons ! Mais, comme je l'établis plus loin en citant uniquement les témoignages des combattants anglais eux-mêmes (lettres de lord Hill à Chassé, du lieutenant Sharpin, du colonel Gawler, du major Kelly, du capitaine Mac-Ready, etc., et The 5th Brigade at Waterloo, relation d'un ancien officier au 30e régiment, publiée dans l'United Service Gazette, octobre 1845), les cinq bataillons de la garde attaquèrent bel et bien sur quatre points différents deux bataillons brunswickois, trois brigades anglaises et une brigade belge. Hügel (lettre au roi de Wurtemberg. Bruxelles, 19 juin, citée par Pfister, 370) dit expressément que l'attaque de la garde fut repoussée par 6 à 8.000 hommes d'infanterie anglaise. — La garde était donc en cinq échelons au départ, comme le dit le général Petit, et en quatre échelons à l'attaque, par suite de la réunion du quatrième au troisième échelon, comme l'indiquent les positions des différentes brigades ennemies, et comme le confirme absolument la Relation de l'United Service Magazine : La colonne de la garde impériale se subdivisa et s'avança en quatre colonnes par échelons sur notre front.

[23] Notes journalières du général Foy. Relation de Reille. (Arch. Guerre.) Souvenirs d'un ex-officier (de la division Marcognet), 296. Kennedy, 141, 147. L'attaque de d'Erlon fut très vive ; mais Foy et Reille s'accordent à dire que, sauf à l'est d'Hougoumont où la division Jérôme fit effort, leur infanterie marcha lentement et mollement. Quant à la cavalerie, elle ne seconda la garde que par un détachement de cuirassiers qui s'empara d'une batterie ennemie tout à fait dans la dernière phase de l'assaut et qui fut repoussé par le 23e dragons. (Waterloo Letters, 91, 273. Siborne, II, 175.)

Ropes (The Campaign of Waterloo, 319) remarque, non sans raison, que si l'attaque de la garde échoua, c'est qu'elle fut mal soutenue par les autres troupes.

[24] Lettres d'officiers du Royal Artillery et des brigades Adam, Maitland et Halkett. (Waterloo Letters, 187, 194, 223, 227, 232, 237, 244, 254, 257, 292, 330, 322.) Lettre de Ney au duc d'Otrante. Relation du général Petit. Journal de Mac-Worth, de l'état-major de lord Hill. (Citée par Sidney, Life of lord Hill, 309.) W. Gomm. Letters, 361.

[25] Sur le repoussement des Brunswickois et la prise de la batterie : Lettres du colonel Taylor et du capitaine Mac-Ready. (Waterloo Letters, 172, 330, 332.) Relation du général Petit. Van Löben, 296-297. Damitz, II, 288.

Sur l'attaque contre la gauche de Halkett et la confusion des 30e et 73e : — la note des Waterloo Letters, 319, les lettres du major Luard, du colonel Gawler, du colonel Kelly et du capitaine Mac-Ready. (Waterloo Letters, 121, 291, 330-331, 341.) Après avoir parlé du fléchissement des 30e et 73e, Mac-Ready dit : Je vous prie de tenir cela secret. Mac-Ready ajoute : Les morts et les blessés qui restèrent devant nous appartenaient à la moyenne garde. (Dans la Relation précitée de l'United Service Gazette, il est dit aussi que tous les morts couchés devant le front de la brigade Halkett étaient des grenadiers de la garde.) Le major Luard dit : Je crus un instant l'infanterie repoussée. La colline me sembla au moment d'être emportée par l'ennemi.

Sur l'action de la batterie van den Smissen et la charge de la brigade Ditmer : — Lettre de Chassé à lord Hill et réponse de lord Hill, 5 et 11 juillet 1815 (citées dans la Relation belge de la bataille de Waterloo, 9, 11), la Relation précitée de l'United Service Gazette, et les lettres du colonel Taylor, du lieutenant Anderson et du capitaine Mac-Ready. (Waterloo Letters, 172, 330, 338.) Anderson dit qu'il y avait un corps étranger derrière la gauche de Halkett, et Mac-Ready que la garde impériale qui attaquait l'infanterie de Halkett disparut subitement. Le corps étranger était la brigade belge Ditmer, et si la garde disparut soudain, c'est qu'elle fut refoulée par ce corps étranger.

Les historiens anglais, qui voudraient faire croire que l'armée anglaise a gagné la bataille à elle seule, ne font aucune mention de la charge des Belges. Ils s'efforcent même d'établir une confusion entre la 26 brigade de Chassé (d'Aubremé), laquelle, bien que placée en seconde ligne, fut au moment de laurier pied (Waterloo Letters, 104, 108, 118), et sa 1re brigade (Ditmer), qui repoussa les grenadiers.

[26] The 5th Brigade of Waterloo. (United Service Gazette, octobre 1845.) Lettrés du lieutenant Gawler et du colonel Kelly. (Waterloo Letters, 291, 340.) Cotton, 123, 134, 136. Cf. la lettre, pleine de réticences, du lieutenant Anderson. (Waterloo Letters, 338.)

[27] Lettres d'officiers des brigades Maitland et Halkett et du Royal Artillery. (Waterloo Letters, 223, 225, 227, 228, 229, 237, 242, 244, 254, 257, 319.) Kennedy, 142. Relation du général Petit. Relation de l'Ambigu, de Londres, tome LII, 436. Lettre de Hügel au roi de Wurtemberg, Bruxelles, 19 juin (cit. par Pfister, Aus dem Lager der Verbünd., 370). W. Gomm, Letters, 373.

[28] Lettres d'officiers des brigades Maitland, Adam, Mitchel, Dörnberg, Vivian, et du Royal Artillery. (Waterloo Letters, 91, 100, 162, 237, 242, 245, 248, 254, 276-278, 280, 284, 286, 294, 298, 308, 309, 319.) Cf. Lettre de Hügel au roi de Wurtemberg, 19 juin.

Il ressort de ces diverses péripéties de l'attaque que chacun des cinq bataillons de la garde, sauf celui qui fut opposé à Maitland, commença par repousser l'ennemi, mais que les uns et les autres cédèrent à des forces supérieures, 3.000 à peine contre 8.000 ou 10.000 et une artillerie formidable. Il paraît donc vraisemblable, comme un officier de grenadiers prisonnier l'a fait remarquer à l'auteur de la The 5th Brigade at Waterloo, que si l'assaut avait été donné sur un seul point par ces cinq bataillons réunis, la ligne anglaise eût été certainement enfoncée. Voir à ce sujet la remarque du colonel Kennedy, Notes on Battle of Waterloo, 130.

[29] Discours de Drouot à la Chambre des Pairs. (Moniteur, 24 juin.) Bulletin de l'Armée. (Moniteur, 21 juin.) Notes journalières de Foy. Rapport du général espagnol Alava. Kennedy, 147. Cotton, 154. Lettres d'officiers des brigades Vivian, Maitland et Lambert. (Waterloo Letters, 149, 245, 273. 391, 400.)

[30] Bulletin de l'Armée. (Moniteur, 21 juin.) Rapport du colonel de Bellina à Davout, 23 juin. (Arch. Guerre.) Relation du général Delort. Pétiet, Souvenirs, 221, 222. Kennedy, 150. Wagner, IV, 80. Damitz, II, 248. Müffling, Aus meinein Leben, 215. Von Ollech, 244-245. — Sur les fausses cartouches : Soult à Napoléon et à Davout, Laon, 21 juin. (Registre du major-général.)

Dans sa lettre au duc d'Otrante, Ney dit qu'on ne cria pas : Sauve qui peut ! A la gauche où il était, soit ; mais à l'extrême droite, le fait parait certain. D'après le rapport de Mouton-Duvernet à Davout, du 28 juin (Arch. nat., AF. IV, 1938), les lettres précitées de Soult et bien d'autres documents, on ne peut douter que l'opinion générale de l'armée fût qu'on avait été trahi à Waterloo.

[31] Lettre de Hervey, aide de camp de Wellington, 3 juillet 1815. (Nineteenth Century, mars 1893.) Rapport du général Alava. Cotton, 146. Colonel Tomkinson, Diary of a cavalry officier, 314.

[32] Il était alors 8 heures un quart, dit Cotton. Le colonel Gawler (Waterloo Letters, 205) dit que le soleil était couché (le soleil se couche le 18 juin à 8 heures 3 minutes) quand eut lieu l'attaque générale, et que le crépuscule commençait sensiblement quand son régiment traversa la route de Bruxelles, ce qui indique à peu près 8 heures et demie.

Le général Byng (Waterloo Letters, 261) donne cet autre renseignement : Le mouvement général en avant ne commença que dix ou douze minutes après que l'on eut repoussé la garde impériale. Comme ce mouvement commença après le coucher du soleil, la garde était donc restée sur les positions anglaises jusque vers 8 heures.

[33] Rapport de Wellington. Waterloo, 19 juin, et note du même, octobre 1836. (Letters and Dispatches, XII, 478, et Supplementary X, 513.) Müffling, Aus meinem Leben, 216. Kennedy, 148. Lettres d'officiers des brigades Somerset, Ponsonby, Dörnberg, Vandeleur, Grant, Vivian, Royal Artillery, Maitland, Adam, C. et W. Halkett, Kempt et Lambert. (Waterloo Letters, 42, 59, 91, 100-101, 116, 122, 124, 149, 153, 185, 187, 201, 202, 238, 243, 257, 261, 267, 277, 306, 340, 356, 393.) Relation anglaise, 32. Mercer, I, 232. Mauduit, II, 462. Notes journalières de Foy. Relation de Reille. (Arch. Guerre.)

Müffling et les historiens allemands prétendent que c'est l'intervention de Zieten qui provoqua la déroute. Le capitaine Pringle et les historiens anglais proclament, au contraire, que c'est l'attaque générale de Wellington. Comme ces deux manœuvres furent à peu près simultanées, on pourra discuter longtemps. Cependant il y eut dans la retraite de l'armée française trois mouvements bien distincts, dont le premier et le troisième sont dus aux Anglais seuls. D'abord l'échec de la moyenne garde entraina le fléchissement de plus des deux tiers de la ligne française. Ensuite l'irruption des Prussiens provoqua la panique et le désordre à la droite (corps de d'Erlon). Enfin la marche en avant de Wellington précipita la déroute à la gauche (corps de Reille et débris de la cavalerie).

Il est donc faux de dire avec Müffling : Wellington ne lança ses troupes contre les Français que pour avoir l'air de gagner la bataille sans le secours des Prussiens. Si Wellington, à huit heures, fût resté sur ses positions, les Prussiens de Zieten auraient été vraisemblablement contenus. De même, si Zieten n'avait pas attaqué, l'empereur aurait pu résister aux Anglais tant à la Haye-Sainte et sur la route de Bruxelles que sur les rampes à l'ouest de la Belle-Alliance.

[34] Relation du général Petit. Gourgaud, 102-103. Napoléon, Mém., 162, 160. (Il y a quelque confusion et des inexactitudes dans les récits de Sainte-Hélène.) Kennedy, 145. Waterloo Letters, 149, 274, 298. Cf. Bulletin de l'Armée. (Moniteur, 21 juin.)

[35] Gourgaud, 104. Napoléon, Mém., 162. Lettres d'officiers de la brigade Vivian. (Waterloo Letters, 181, 182, 189.)

[36] Relation de Durutte. Mauduit, II, 440-442. Souvenirs du lieutenant François-Victor B... — (Arch. de Mézières.) — L'apostrophe de Ney à d'Erlon, rapportée ailleurs en termes plus nobles, m'a été contée plusieurs fois par 10 général Schmitz, qui tenait ces paroles de Leblanc de Prébois, ancien aide de camp de d'Erlon à l'armée d'Afrique.

[37] Relation du général Petit. Gourgaud, 105-106. Mauduit, II, 427, 438, 444. Lettres d'officiers du Royal Artillery et des brigades Vivian, Adam, Kempt, Lambert. (Waterloo Letters, 149, 185, 187, 201, 239, 273, 274, 277, 279, 297, 303, 307, 308, 316, 401.) Cf. Note de Wellington, octobre 1836. (Dispatches, Suppl., X, 513.)

[38] Relation du général Petit. Mauduit, II, 444-450. Cf. Lettres d'officiers des brigades Dörnberg, Vandeleur, Grant, Maitland et Mitchel. (Waterloo Letters, 91, 122, 140, 245, 254, 274, 313.)

[39] Lettre du colonel William Halkett. (Waterloo Letters, 308.) Siborne, II,  219.

[40] J'ai réuni et confronté tous les témoignages relatifs à la réponse de Cambronne. Je les publierai quelque jour sous le titre : La garde meurt et ne se rend pas, Histoire d'un mot historique. J'en donne sommairement ici les conclusions : 1° De l'ensemble de ces témoignages, il parait certain que le général dit ou la phrase ou le mot, ou encore ceci : Des gens comme nous ne se rendent point. — 2e Cambronne a toujours nié énergiquement avoir prononcé la phrase, qui semble avoir été inventée à Paris, quelques jours après la bataille de Waterloo, par un rédacteur du Journal général. — 3e Cambronne a nié aussi, bien qu'avec plus d'embarras, il est vrai, avoir dit le mot. Mais alors qu'on ne s'explique pas pourquoi il a nié la phrase, si vraiment il l'a prononcée, on comprend facilement qu'il ait nié le mot, même s'il l'a dit. Cambronne, qui avait eu la faiblesse de se faire nommer vicomte par Louis XVIII et qui avait épousé une Anglaise, tenait à passer pour un homme bien élevé. — 4e A Nantes, où est mort Cambronne en 1843, il était de notoriété publique que, malgré ses dénégations, d'ailleurs pleines de réticences, il avait dit le mot. — 5° En se représentant par la pensée la scène du 18 juin, en songeant à l'état d'esprit où se trouvait Cambronne, à l'exaspération que devaient produire sur lui les sommations des Anglais, on arrive à juger que le mot était absolument en situation. Il est psychologiquement vrai. Or, comme Cambronne a dit quelque chose, ce quelque chose doit être cela.

[41] Je fus blessé et laissé pour mort à la bataille du 18 juin. Interrogatoire de Cambronne. (Procès de Cambronne, 5.) Le général Cambronne est blessé, renversé de son cheval, on le croit mort. (Relation du général Petit.) Petit précise bien que Cambronne tomba dans la retraite, entre les fonds de la Haye-Sainte et la Belle-Alliance. — Le colonel William Halkett (Waterloo Letters, 309) prétend qu'un général de la garde, séparé d'un carré, se rendit à lui, et que ce général était Cambronne. Je ne sais quel général Halkett fit prisonnier, mais il est évident que ce n'était pas Cambronne, puisque celui-ci était alors étendu sans connaissance.

[42] Rapport de Gneisenau. Wagner, 1V, 78, 82. Von Ollech, 193. — A 7 heures et demie, dit Gneisenau, l'issue de la bataille était encore incertaine.

[43] Rapport de Gneisenau. Wagner, 82. Damitz, II, 290-291. Von Ollech, 245. Gourgaud, 106. Colonel Janin, 39. Souvenirs d'un ex-officier (du 45e), 296-297.

[44] Relation du capitaine de Stuers, des lanciers rouges. Relation du général Petit. Lettres du colonel Freemantle, des généraux Vivian et W. Halkett et autres officiers. (Waterloo Letters, 22, 108, 117, 147, 150, 162, 176, 187, 201, 227, 274, 278, 298, 309.)

[45] Relation du général Petit. Gourgaud, 106-107. Mauduit, II, 460-492. Lettres d'officiers des brigades Grant, Vivian et Adam. (Waterloo Letters, 131, 148. 149, 183, 278.)

Napoléon (Mém., 163) dit qu'à cette dernière décharge d'artillerie le commandant en chef de la cavalerie anglaise fut grièvement blessé. C'est inexact. Lord Uxbridge eut la jambe emportée par un boulet sur le plateau de Mont-Saint-Jean, vers 8 heures un quart, au moment où il galopait pour se joindre à l'attaque générale. (Lettre du major Lautour, Waterloo Letters, 100.)

[46] Rapport du colonel von Hiller (cité par von Ollech, 248-249). Rapport de Gneisenau. Wagner, IV, 82, 83. Damitz, II, 292-293. Mauduit, II, 403, 434436. Relation du général Pelet (citée dans Victoires et Conquêtes, XXIV, 225-226). Relation du commandant Heuillet. (Sentinelle de l'Armée, 8 septembre 1845.)

[47] Relation du général Petit. (Collection Morrisson, de Londres.) Mauduit, II, 460-463. Lettres du colonel Murray et du général W. Halkett. Waterloo Letters, 183, 309.)

Gourgaud, après avoir dit que Napoléon fit former le carré et commanda le feu, ajoute (108, note) : Il paraissait ne point vouloir survivre à cette fatale journée. Il voulait mourir avec ses grenadiers et allait entrer dans le carré, lorsque le maréchal Soult lui dit : Ah ! Sire, les ennemis sont déjà assez heureux ! et il poussa le cheval de l'empereur sur la route. Il semble qu'il y ait là contradiction, car, si l'empereur commanda le feu, c'est apparemment qu'il était dans le carré. Donc Soult ne l'empêcha pas d'y entrer en lui disant cette phrase sentimentale qui ne me parait guère dans sa nature.

Du récit conforme de Petit et de Mauduit, témoins oculaires, il résulte que Napoléon ne quitta le carré du 1er bataillon du 1er grenadiers qu'après avoir donné à Petit l'ordre de rétrograder, et qu'ensuite il marcha au pas à quelque distance en avant des deux carrés qui étaient sa protection. Il prit de l'avance, comme on va le voir, près du Caillou, où il rejoignit le 1er bataillon du 1er chasseurs.

[48] Notes de Duuring (comm. par M. de Stuers). Cf. Damitz, II, 292-293 ; et le rapport de Radet à Soult, Beaumont, 19 juin. (Arch. Guerre. Armée du Nord.)

Il y a dans les papiers de la Secrétairerie d'Etat (Arch. nat., AF., IV, 1940) cette lettre de Drouot à l'empereur, 25 avril 1815 : Je demande une lettre de naturalisation pour le chef de bataillon aux chasseurs à pied, Duuring, Hollandais. En 1814, il m'avait demandé d'accompagner votre Majesté à l'île d'Elbe, mais, comme j'avais désigné Mallet, Duuring pleura très longtemps dans ma chambre. C'est un excellent officier.

[49] Notes du commandant Duuring (communiquées par M. de Stuers).