1815

LIVRE III. — WATERLOO

 

CHAPITRE III. — LA BATAILLE DE WATERLOO - DE ONZE HEURES ET DEMIE A TROIS HEURES.

 

 

I

L'empereur, peu d'instants après avoir dicté l'ordre d'attaque, pensa à préparer l'assaut de Mont-Saint-Jean par une démonstration du côté de Hougoumont. En donnant de la jalousie à Wellington pour sa droite, on pourrait l'amener à dégarnir un peu son centre. Comprenant enfin le prix du temps, Napoléon résolut d'opérer ce mouvement sans attendre que toutes ses troupes fussent arrivées à leur place de bataille. Vers onze heures un quart, Reille reçut l'ordre de faire occuper les approches de Hougoumont[1].

Reille chargea de cette petite opération le prince Jérôme dont les quatre régiments formaient sa gauche. Pour protéger le mouvement, une batterie divisionnaire du 2e corps ouvrit le feu contre les positions ennemies. Trois batteries anglaises, établies au bord du plateau, à. l'est de la route de Nivelles, ripostèrent[2]. Au premier coup de canon, des officiers anglais avaient regardé leur montre. Il était onze heures trente-cinq minutes[3].

Pendant ce duel d'artillerie auquel se mêlèrent bientôt d'autres batteries de la droite anglaise, une partie de l'artillerie de Reille et les batteries à cheval de Kellermann (celles-ci sur l'ordre de l'empereur), la brigade Bauduin de la division Jérôme, précédée de ses tirailleurs, descendit dans la vallée en colonnes par échelons. En même temps, les lanciers de Piré dessinèrent un mouvement sur la rouie de Nivelles[4]. Le ter léger aborda le bois à la baïonnette, ayant à sa tête Jérôme et le général Bauduin, qui fut tué au début du combat. Malgré la défense acharnée du ter bataillon de Nassau et d'une compagnie de carabiniers hanovriens, on prit pied sur la lisière du bois. Il y avait encore à conquérir trois cents mètres de taillis très épais. Le 3e de ligne s'y engagea à la suite du ter léger. L'ennemi ne se retirait que pas à pas, s'embusquant derrière chaque touffe, tirant presque à bout portant, faisant sans cesse des retours offensifs. Il fallut une heure pour rejeter hors du bois les Nassaviens et les compagnies des gardes anglaises qui étaient venues les renforcer[5].

En débouchant du taillis, les Français se trouvent à trente pas des bâtiments de Hougoumont, vaste massif de pierre, et du mur du parc, haut de deux mètres. Il s'agit seulement pour Jérôme de se tenir dans le fond, derrière le bois, en entretenant en avant une bonne ligne de tirailleurs[6]. Mais, soit que l'ordre ait été mal expliqué ou mal compris, soit que le frère de l'empereur ne veuille pas se borner à ce rôle passif, soit encore que les soldats, très animés, s'élancent spontanément, on se rue à l'assaut. Mur et murailles sont percés de meurtrières d'où les Anglais commencent un feu nourri. Ils sont abrités, ils visent avec calme ; cette petite distance, tous leurs coups portent. Les fantassins de Jérôme perdent leurs balles contre un ennemi invisible. Les uns tentent d'enfoncer la grande porte à coups de crosse, mais cette porte est dans un rentrant ; ils sont fusillés de face et de flanc. D'autres s'efforcent d'escalader le mur du parc en faisant la courte échelle ; à travers les meurtrières, les Anglais les percent de leurs baïonnettes. Les cadavres s'amoncellent au pied de Hougoumont. Les assaillants rentrent à l'abri du bois[7].

Le général Guilleminot, chef d'état-major de Jérôme, conseille de s'en tenir à cette première attaque[8]. Il suffit d'occuper le bois ; il faut rompre le combat. Reille, à en croire sa relation, envoie des ordres analogues[9]. Mais Jérôme s'obstine. Il veut emporter la position. Il appelle sa seconde brigade (général Soye) pour relever dans le taillis la brigade Bauduin[10] avec les débris de laquelle il tourne Hougoumont par l'ouest. Sa colonne, qui n'est plus défilée, chemine sous le feu à 600 mètres des batteries anglaises. Elle atteint pourtant la, façade nord de Hougoumont et y donne assaut. Tandis que le colonel de Cubières est renversé, grièvement blessé, à bas de son cheval, un géant, surnommé l'enfonceur, le lieutenant Legros, du 1er léger, prend la hache d'un sapeur et brise un vantail de la porte. Une poignée de soldats se précipitent avec lui dans la cour. La masse des Anglais les entoure, les fusille, les extermine ; pas un n'échappe. A ce moment, quatre compagnies de Coldstreams, seul renfort que Wellington, qui voit de loin le combat, mais qui ne s'abuse pas sur l'importance de l'attaque de Hougoumont, a jugé nécessaire d'envoyer, assaillent la colonne française. Pris entre deux feux, les bataillons décimés de Jérôme se replient, partie dans le bois, partie vers la route de Nivelles[11].

 

II

Pendant ce combat, l'empereur préparait sa grande attaque. Il fit renforcer par les batteries de 8 du fer corps et trois batteries de la garde les vingt-quatre pièces de 12, jugées d'abord suffisantes pour canonner le centre de la position ennemie. On forma ainsi, en avant et à la droite de la Belle-Alliance, une formidable batterie de quatre-vingts bouches à feu[12]. Il était près d'une heure. Ney dépêcha un de ses aides de camp à Rossomme pour avertir l'empereur que tout était prêt et qu'il attendait l'ordre d'attaquer. Avant que la fumée de tous ces canons eût élevé un rideau entre les deux collines, Napoléon voulut jeter un dernier regard sur l'étendue du champ de bataille[13].

A environ deux lieues au nord-est, il aperçut comme un nuage sombre qui semblait sortir des bois de Chapelle-Saint-Lambert. Bien que son œil exercé ne lui permît pas le doute, il hésita d'abord à reconnaître des troupes. Il consulta son entourage. Toutes les lorgnettes de l'état-major se fixèrent sur ce point. Comme il arrive en pareille occurrence, les avis différaient. Des officiers soutenaient qu'il n'y avait pas là de troupes, que c'était un taillis ou l'ombre d'un nuage ; d'autres voyaient une colonne en marche, signalaient des uniformes français, des uniformes prussiens. Soult dit qu'il distinguait parfaitement un corps nombreux ayant formé les faisceaux[14].

On ne tarda pas à être tout à fait renseigné. Comme un détachement de cavalerie partait au galop pour reconnaître ces troupes, un sous-officier du 2e hussards de Silésie, que les hussards du colonel Marbot venaient de faire prisonnier près de Lasne[15], fut amené à l'empereur. Il était porteur d'une lettre de Bülow à Wellington, annonçant l'arrivée du IVe corps à Chapelle-Saint-Lambert. Ce hussard, qui parlait français, ne fit pas difficulté de conter tout ce qu'il savait. — Les troupes signalées, dit-il, sont l'avant-garde du général de Bülow. Toute notre armée a passé la nuit d'hier à Wavre. Nous n'avons pas vu de Français, et nous supposons qu'ils ont marché sur Plancenoit[16].

La présence d'un corps prussien à Chapelle-Saint-Lambert, qui eût confondu l'empereur quelques heures plus tôt, alors qu'il traitait de paroles en l'air le propos rapporté par Jérôme sur la jonction projetée des deux armées alliées, ne le surprit qu'à demi, car il avait reçu dans l'intervalle cette lettre de Grouchy, datée de Gembloux, six heures du matin : Sire, tous mes rapports et renseignements confirment que l'ennemi se retire sur Bruxelles pour s'y concentrer ou livrer bataille après s'être réuni à Wellington. Le premier et le second corps de l'armée de Blücher paraissent se diriger le premier sur Corbais et le deuxième sur Chaumont. Ils doivent être partis hier soir, à huit heures et demie, de Tourinnes et avoir marché pendant toute la nuit ; heureusement qu'elle a été si mauvaise qu'ils n'auront pu faire beaucoup de chemin. Je pars à l'instant pour Sart-à-Walhain, d'où je me porterai à Corbais et à Wavre[17]. Cette dépêche était beaucoup moins rassurante que celle de la veille. Au lieu d'une retraite de deux corps prussiens en deux colonnes, l'une sur Wavre et l'autre sur Liège[18], Grouchy annonçait que ces deux colonnes marchaient concentriquement vers Bruxelles, dans le dessein probable de se réunir à Wellington. Il ne parlait plus d'empêcher leur jonction ; et, si l'on devait cependant conjecturer qu'il allait manœuvrer à cet effet en se portant sur Wavre, il semblait mettre bien peu de hâte, puisque, à six heures du matin, il n'avait pas encore quitté Gembloux. Sans doute, l'empereur pouvait espérer que les Prussiens marcheraient droit sur Bruxelles ; mais il était très possible aussi qu'ils rejoignissent l'armée anglaise par un mouvement de flanc.

Pour parer à ce danger éventuel, l'empereur avait songé bien tard à envoyer de nouvelles instructions à Grouchy. La lettre du maréchal avait dû, à moins d'un retard possible, mais très improbable, arriver au quartier-impérial entre dix et onze heures[19]. Et c'est seulement à une heure, quelques instants avant d'apercevoir les masses prussiennes sur les hauteurs de Chapelle-Saint-Lambert, que l'empereur fit écrire à Grouchy : Votre mouvement sur Corbais et Wavre est conforme aux dispositions de Sa Majesté. Cependant l'empereur m'ordonne de vous dire que vous devez toujours manœuvrer dans notre direction et chercher à vous rapprocher de l'armée afin que vous puissiez nous joindre avant qu'aucun corps puisse se mettre entre nous. Je ne vous indique pas de direction. C'est à vous de voir le point où nous sommes pour vous régler en conséquence et pour lier nos communications, ainsi que pour être toujours en demeure de tomber sur quelques troupes ennemies qui chercheraient à. inquiéter notre droite et de les écraser[20].

Cette dépêche n'était pas encore expédiée quand apparurent au loin les colonnes prussiennes. Peu d'instants après, l'empereur, ayant interrogé le hussard prisonnier, fit ajouter ce post-scriptum : Une lettre qui vient d'être interceptée porte que le général Bülow doit attaquer notre flanc droit. Nous croyons apercevoir ce corps sur les hauteurs de Saint-Lambert. Ainsi ne perdez pas un instant pour vous rapprocher de nous et nous joindre, et pour écraser Bülow que vous prendrez en flagrant délit[21].

L'empereur ne fut donc pas autrement déconcerté[22]. Tout en jugeant que sa situation s'était gravement modifiée, il ne la regardait pas comme compromise. Le renfort survenu à Wellington ne consistait après tout qu'en un seul corps prussien, car le prisonnier n'avait point dit que toute l'armée suivît Bülow. Cette armée devait être encore à Wavre. Ou Grouchy allait L'y joindre, l'y attaquer et conséquemment la retenir loin de Bülow ; ou, renonçant à poursuivre Blücher, il marchait déjà sur Plancenoit par Mousty, comme le supposait le hussard[23], et il amenait au gros de l'armée française un renfort de 33.000 baïonnettes. L'empereur, qui se faisait facilement des illusions, et qui voulait surtout en donner aux autres, dit à Soult : — Nous avions ce matin quatre-vingt-dix chances pour nous. Nous en avons encore soixante contre quarante. Et si Grouchy répare l'horrible faute qu'il a commise en s'amusant à Gembloux et marche avec rapidité, la victoire en sera plus décisive, car le corps de Bülow sera entièrement détruit[24].

Toutefois, comme Grouchy pouvait tarder et que l'avant-garde de Bülow était en vue, l'empereur prit incontinent des mesures pour protéger le flanc de l'armée. Les divisions de cavalerie légère Domon et Subervie furent détachées sur la droite afin d'observer l'ennemi, d'occuper tous les débouchés et de se lier avec les têtes de colonnes du maréchal Grouchy dès qu'elles apparaîtraient[25]. Le comte de Lobau reçut l'ordre de porter le Ge corps derrière cette cavalerie, dans une bonne position intermédiaire où il pût contenir les Prussiens[26].

 

III

Il était environ une heure et demie[27]. L'empereur envoya à Ney l'ordre d'attaquer. La batterie de quatre-vingts pièces commença avec le fracas du tonnerre un feu précipité auquel répondit l'artillerie anglaise. Après une demi-heure de canonnade, la grande batterie suspendit un instant son tir pour laisser passer l'infanterie de d'Erlon. Les quatre divisions marchaient en échelons par la gauche, à 400 mètres d'intervalle entre chaque échelon. La division Allix formait le premier échelon, la division Donzelot le deuxième, la division Marcognet le troisième, la division Durutte le quatrième. Ney et d'Erlon conduisaient l'assaut[28].

Au lieu de ranger ces troupes en colonnes d'attaque, c'est-à-dire en colonnes de bataillons par division à demi-distance ou à distance entière, ordonnance tactique favorable aux déploiements rapides comme aux formations en carrés, on avait rangé chaque échelon par bataillon déployé et serré en masse. Les divisions Allix, Donzelot, et Marcognet — Durutte avait pris sur lui de ne pas se conformer à cette disposition — présentaient ainsi trois phalanges compactes d'un front de cent soixante à deux cents files sur une profondeur de vingt-quatre hommes[29]. Qui avait prescrit une telle formation, périlleuse en toute circonstance, et particulièrement nuisible sur ce terrain accidenté ? Ney ou plutôt d'Erlon[30], commandant le corps d'armée. En tout cas ce n'était pas l'empereur, car, dans son ordre général, de onze heures, rien de pareil n'avait été spécifié ; il n'y était même pas question d'attaque en échelons[31]. Sur le champ de bataille, Napoléon laissait, avec raison, toute initiative à ses lieutenants pour les détails d'exécution[32].

Irrités de n'avoir point combattu l'avant-veille, les soldats brûlaient d'aborder l'ennemi. Ils s'élancèrent aux cris de : Vive l'empereur ! et descendirent clans le vallon sous la voûte de fer des boulets anglais et français qui se croisaient au-dessus de leurs têtes, nos batteries rouvrant le feu à mesure que les colonnes atteignaient l'angle mort[33]. La tête de la division Allix (brigade Quiot) se porta, par une légère conversion à gauche, contre le verger de la Haye-Sainte, d'où partait une fusillade très nourrie. La brigade Bourgeois, formant seule désormais l'échelon de gauche, continua sa marche vers le plateau. Les soldats de Quiot débusquèrent vite du verger les compagnies allemandes et assaillirent la ferme. Mais, pas plus qu'à Hougoumont, on ne s'était avisé de faire brèche à ces bâtiments avec quelques boulets. Les Français tentèrent vainement plusieurs assauts contre les hautes et solides murailles, à l'abri desquelles les Allemands du major Baring faisaient un feu meurtrier. Un bataillon tourna la ferme, escalada les murs du potager, délogea les défenseurs qui rentrèrent dans les bâtiments ; mais il ne put non plus démolir les murailles à coups de crosse de fusil[34].

Wellington se tenait au pied d'un gros orme planté à l'ouest de la route de Bruxelles, à l'intersection de cette route et du chemin d'Ohain. Pendant presque toute la bataille, il demeura à cette même place avec son état-major grossi des commissaires alliés, Pozzo di Borgo qui reçut une contusion légère, le baron de Vincent qui fut blessé, Müffling, le général Hügel, le général Alava[35]. Voyant les Français entourer complètement la Haye-Sainte, Wellington prescrivit à Ompteda d'envoyer au secours de Baring un bataillon de la Légion Germanique. Les Allemands descendirent à la gauche de la grande route, reprirent le potager et, passant à l'ouest de la ferme, s'avancèrent vers le verger. A ce moment, ils furent chargés par les cuirassiers du général Travers, que l'empereur avait détachés du corps de Milhaud pour seconder l'attaque de l'infanterie. Les cuirassiers leur passèrent sur le ventre et, du même élan, vinrent sabrer au bord du plateau les tirailleurs de la brigade Kielmansegge[36].

A l'est de la route, les autres colonnes de d'Erlon avaient gravi les rampes sous le feu des batteries, les balles du 958 anglais et la fusillade de la brigade Bylandt, déployée en avant du chemin d'Ohain. La charge bat, le pas se précipite malgré les hauts seigles qui embarrassent la marche, malgré les terres détrempées et glissantes où l'on enfonce et où l'on trébuche. Les Vive l'empereur ! couvrent par instants le bruit des détonations[37]. La brigade Bourgeois (échelon de gauche) replie les tirailleurs, assaille la sablonnière, en déloge les carabiniers du 95e, le rejette sur le plateau, au-delà des haies, qu'elle atteint dans sa poursuite[38]. La division Donzelot (deuxième échelon) s'engage avec la droite de Bylandt, tandis que la division Marcognet (troisième échelon) s'avance vers la gauche de cette brigade. Les Hollando-Belges lâchent pied, repassent en désordre les haies du chemin d'Ohain et, dans leur fuite, rompent les rangs du 28e anglais[39]. De son côté, Durutte, qui commande le quatrième échelon, a débusqué de la ferme de Papelotte les compagnies légères de Nassau ; il est déjà à mi-côte, menaçant les Hanovriens de Best[40].

Dans l'état-major impérial on juge que tout va à merveille[41]. En effet, si l'ennemi conserve ses postes avancés de Hougoumont et de la Haye-Sainte, ces postes sont débordés, cernés, et le centre gauche de sa ligne de bataille se trouve très menacé. Les cuirassiers de Travers et les tirailleurs de d'Erlon semblent couronner le plateau, le gros de l'infanterie les suit de tout près. Que ces troupes fassent encore quelques pas, qu'elles se maintiennent sur ces positions pour donner le temps à la cavalerie de réserve d'asséner le coup de massue, et la victoire paraît certaine.

 

IV

La vicieuse ordonnance des colonnes de d'Erlon, qui déjà avait alourdi leur marche et doublé leurs pertes dans la montée du plateau, allait entraîner un désastre. Après que les tirailleurs eurent culbuté les Hollandais de Bylandt, la division Donzelot s'avança jusqu'à trente pas du chemin. Là, Donzelot arrêta sa colonne pour la déployer. Pendant l'escalade, les bataillons avaient encore resserré leurs intervalles. Ils ne formaient plus qu'une masse. Le déploiement ou plutôt la tentative de déploiement, car il ne semble pas que l'on ait réussi à l'exécuter, prit beaucoup de temps ; chaque commandement augmentait la confusion. L'ennemi profita de ce répit. Quand les batteries françaises avaient ouvert le feu, la division Picton (brigades Kempt et Pack) s'était reculée, sur l'ordre de Wellington, à 150 mètres du chemin. Les hommes étaient là, en ligne, mais couchés afin d'éviter les projectiles. Picton voit les Hollandais en déroute et les tirailleurs français traverser les haies et s'avancer hardiment contre une batterie. Il commande : Debout ! et porte d'un bond la brigade Kempt jusqu'au chemin. Elle replie les tirailleurs, franchit la première haie, puis, découvrant la colonne de Donzelot, occupée à se déployer, elle la salue d'un feu de file à quarante pas. Fusillés à l'improviste, surpris en pleine formation, les Français font d'instinct, involontaire ment, un léger mouvement rétrograde. Picton, saisissant la minute, crie : Chargez ! Chargez ! Hurrah ! Les Anglais s'élancent de la seconde haie et se ruent, baïonnettes en avant, contre cette masse en désordre qui résiste par sa masse même. Repoussés plusieurs fois, sans cesse ils renouvellent leurs charges. On combat de si près que les bourres restent fumantes dans le drap des habits. Durant ces corps-à-corps, un officier français est tué en prenant le drapeau du 32e régiment, et l'intrépide Picton tombe roide mort, frappé d'une balle à la tempe[42].

La colonne de Marcognet (troisième échelon) était arrivée à peu près à la hauteur de la colonne de Donzelot, au moment de la fuite des Hollando-Belges. Marcognet, n'ayant pas cru possible de déployer sa division, avait continué sa marche et dépassé Donzelot qui faisait halte. Déjà, avec son régiment de tête, criant : Victoire ! il avait franchi la double haie et s'avançait contre une batterie hanovrienne, quand, aux sons aigus des pibrochs, s'ébranla la brigade écossaise de Pack, par bataillons en échiquier déployés sur quatre rangs. A moins de vingt mètres (vingt yards), le 92e higlanders ouvrit le feu ; peu après tirèrent les autres Ecossais. A cause de leur ordonnance massive, les Français ne pouvaient riposter que par le front d'un seul bataillon. Ils firent une décharge et s'élancèrent à la baïonnette. On s'aborda ; les premiers rangs se confondirent dans une furieuse mêlée. Je poussais un soldat en avant, raconte un officier du 45e. Je le vois tomber à mes pieds d'un coup de sabre. Je lève la tête. C'était la cavalerie anglaise qui pénétrait de toutes parts au milieu de nous et nous taillait en pièces[43].

Comme les Français allaient couronner le plateau, les cuirassiers de Travers à l'ouest de la grande route et les colonnes de d'Erlon à l'est, lord Uxbridge avait fait charger l'élite de sa cavalerie[44]. Les quatre régiments de gardes à cheval de Somerset (1er et 2e Life-Guards, Bleus et Dragons du Roi) partirent au galop, en ligne. Après quelques foulées, ils arrivèrent à portée de pistolet des cuirassiers, séparés d'eux par le chemin d'Ohain. A l'ouest de la route de Bruxelles, ce chemin courait l'espace de 400 mètres entre deux berges escarpées qui disparaissaient plus loin. La gauche de Travers et la droite de Somerset se chargèrent au galop sur la partie plane du chemin. Mais les pelotons de droite des cuirassiers rencontrèrent la tranchée. Ils en descendirent résolument le talus extérieur, et ils donnaient de l'éperon pour en franchir le bord opposé quand, à dix mètres au-dessus d'eux, étincela la rangée de sabres du 2e Life-Guards, lancé à fond de train. Afin d'éviter un véritable écrasement, car temps et espace leur manquaient pour fournir une charge, les cuirassiers enfilèrent le chemin creux en se bousculant, rejoignirent la grande route près de l'orme de Wellington et se rallièrent dans un champ proche de la sablonnière. Les Life-Guards qui les avaient poursuivis en côtoyant le bord du chemin, les chargèrent avant qu'ils ne se fussent reformés ; et, à la suite d'un corps-à-corps où, dit lord Somerset, ils frappaient sur les cuirasses comme des chaudronniers à l'ouvrage, ils en culbutèrent quelques-uns dans l'excavation de la sablonnière. Le gros de la brigade Travers fut rompu et rejeté au fond du vallon par les autres régiments de Somerset qui, de beaucoup mieux montés que les cuirassiers, avaient aussi la supériorité du nombre et l'avantage du terrain[45].

 

V

En même temps, la brigade de dragons de Ponsonby (Royaux, Inniskillings et Scots-Greys) s'était élancée contre les colonnes de d'Erlon. Les Royaux débouchent de la route de Bruxelles, bousculent la brigade Bourgeois aux prises avec le 95e embusqué derrière les haies et le repoussent jusqu'à. la sablonnière. Les Inniskillings franchissent le chemin par les ouvertures pratiquées dans la double haie pour le tir des pièces, et assaillent la colonne de Donzelot. Les Ecossais-Gris, ainsi nommés à. cause de la robe de leurs chevaux, arrivent au dos des bataillons de Pack, qui ouvrent leurs intervalles pour les laisser passer. Higlanders et Scots-Greys se saluent mutuellement du cri : Scotland for ever ! et les cavaliers fondent avec impétuosité sur la division Marcognet[46]. Fusillées de front par l'infanterie, chargées sur les deux flancs par la cavalerie, paralysées par leur presse même, les lourdes colonnes françaises ne peuvent faire qu'une pauvre résistance. Les hommes refluent les uns sur les autres, se serrent, se pelotonnent au point que l'espace leur manque pour mettre en joue et même pour frapper à l'arme blanche les cavaliers qui pénètrent dans leurs rangs confondus. Les balles sont tirées en l'air, les coups de baïonnette, mal assurés, ne portent point. C'est pitié de voir les Anglais enfoncer et traverser ces belles divisions comme de misérables troupeaux. Ivres de carnage, s'animant à tuer, ils percent et taillent joyeusement dans le tas. Les colonnes se rompent, se tronçonnent, s'éparpillent, roulent au bas des rampes sous le sabre des dragons. La brigade Bourgeois, qui s'est ralliée à la sablonnière, est mise en désordre et entraînée par les fuyards et les cavaliers pêle-mêle. La brigade Quiot abandonne l'attaque de la Haye-Sainte[47]. Au-dessus de Papelotte, la division Durutte subit sur son flanc droit les charges des dragons de Vandeleur (11e, 12e et 13e régiments), secondés par les dragons hollandais et les hussards belges de Ghigny. Bien qu'entamée d'abord, elle se replie sans grosses pertes et en assez bon ordre et repasse le ravin, toujours entourée par la cavalerie[48]. Il ne reste plus un seul Français sur les versants de Mont-Saint-Jean.

Emportés par leurs chevaux, à qui, dit-on, ils avaient reçu l'ordre d'enlever les gourmettes, excités eux-mêmes par la course, le bruit, la lutte, la victoire, les Anglais traversent le vallon à une allure furieuse et s'engagent sur le coteau opposé. En vain lord Uxbridge fait sonner la retraite, ses cavaliers n'entendent rien ou ne veulent rien entendre et gravissent au galop les positions françaises. Ils n'y peuvent mordre. Les Life-Guards et les dragons sont décimés par le feu de la division Bachelu, établie près du mamelon à l'ouest de la grande route. Les Scots-Greys rencontrent à mi-côte deux batteries divisionnaires, sabrent canonniers et conducteurs, culbutent les pièces dans un ravin, puis assaillent la grande batterie. Les lanciers du colonel Martigue les chargent de flanc et les exterminent, tandis que ceux du colonel Brô dégagent la division Durutte de l'étreinte meurtrière des dragons de Vandeleur. Jamais, dit Durutte, je ne vis si bien la supériorité de la lance sur le sabre[49]. C'est dans cette mêlée que fut tué le vaillant général Ponsonby. Désarçonné par un sous-officier du 4e lanciers, nommé Urban, il s'était rendu, quand quelques-uns de ses Scots-Greys revinrent pour le délivrer. Urban, craignant de perdre son prisonnier, eut le triste courage de lui plonger sa lance dans-la poitrine. Après quoi il fondit sur les dragons et en abattit trois[50].

La belle charge des lanciers fut bientôt appuyée par la brigade de cuirassiers du général Farine. L'empereur, apercevant les Ecossais-Gris prêts à aborder la grande batterie, avait fait porter l'ordre au général Delort, divisionnaire de Milhaud, de lancer contre eux deux régiments. Lanciers et cuirassiers balayèrent le versant de la Belle-Alliance, le vallon tout entier et poursuivirent les gardes à cheval et les dragons jusqu'aux premières rampes de Mont-Saint-Jean, au-delà de la Haye-Sainte. Les brigades de cavalerie légère Vivian et van Merlen, qui avaient suivi de loin le mouvement de lord Uxbridge, ne crurent pas bon de s'engager[51].

Il y eut un arrêt dans l'action. De part et d'autre, on regagnait ses positions[52]. Les versants des collines, l'instant d'avant couverts de combattants, n'étaient plus occupés que par des cadavres et des blessés. Les morts, dit un officier anglais, étaient en maint endroit aussi serrés que des pions renversés sur un échiquier[53]. C'était l'aspect désolé d'un lendemain de bataille, et la bataille commençait seulement !

Pendant cet intervalle, un cuirassier se détacha de son régiment qui se reformait à la Belle-Alliance et, prenant le galop, descendit derechef la grande route. On le vit traverser toute cette vallée mortuaire où lui seul était vivant. Les Allemands postés à la Haye-Sainte crurent que c'était un déserteur : ils s'abstinrent de tirer. Arrivé tout contre le verger, au pied de la haie, il roidit son corps de géant droit sur les étriers, leva son sabre et cria : Vive l'empereur ! Puis, au milieu d'une gerbe de balles, il rentra dans les lignes françaises en quelques foulées de son vigoureux cheval[54].

A Hougoumont, la lutte se poursuivait de plus en plus ardente. Trois compagnies de gardes anglaises, un bataillon de Brunswick, un bataillon de la Légion allemande de Duplat, deux régiments de Foy, étaient venus successivement renforcer défenseurs et assaillants. Les Français, de nouveau maîtres du bois après l'avoir perdu, s'emparent du verger, mais les gardes anglaises ne cèdent pas le jardin en contre-haut que protège un petit mur muni d'une banquette naturelle et se maintiennent dans la ferme. Sur l'ordre de l'empereur, une batterie d'obusiers bombarde les bâtiments. Le feu s'allume dans un grenier, se propage, dévore le château, la maison du fermier, les étables, les écuries. Les Anglais se rembuchent dans la chapelle, les granges, la maison du jardinier, le chemin creux adjacent, et ils y recommencent leur fusillade. L'incendie même fait obstacle aux Français. Dans les étables en flammes, d'où les ambulances établies par l'ennemi n'ont pu être évacuées, on entend de vains appels et des hurlements de douleur[55].

 

 

 



[1] Relation de Reille. (Arch. Guerre.)

L'existence de cet ordre, verbal sans doute, qu'aucun historien n'a mentionné, n'est pas douteuse ; car, dans l'ordre général dicté à 11 heures, il n'est nullement parlé d'un mouvement sur Hougoumont, et il est dit que l'artillerie entrera en action vers 1 heure. Or Reille, placé à 1.000 ou 1.500 mètres de l'empereur, n'eût pas pris sur soi d'ouvrir le feu, sans y être provoqué, une heure et demie avant le moment fixé, s'il n'eût reçu de nouvelles instructions.

Napoléon, d'ailleurs, modifia aussi sur d'autres points son ordre primitif. Ainsi, dans cet ordre, il est dit que la grande batterie aura 24 pièces, et cette batterie fut portée à 80 pièces avant de commencer le feu. En outre, d'après l'ordre de 11 heures, le corps de Reille devait seconder le mouvement de d'Erlon sur Mont-Saint-Jean, en s'avançant à mesure pour garder la hauteur du 1er corps. Ces instructions ne furent point exécutées, soit que Napoléon les ait modifiées, soit plutôt que, préoccupé de la diversion sur Hougoumont, où cependant une seule de ses divisions était alors aux prises, Reille les ait négligées.

Quant à l'ordre de Napoléon concernant le mouvement vers Hougoumont, ou du moins, à l'esprit de cet ordre, Reille dit expressément qu'il s'agissait seulement de se tenir dans le fond, derrière le bois, en entretenant en avant une bonne ligne de tirailleurs. Il ajoute que l'ordre de ne pas outrepasser ces instructions fut, en vain, réitéré plusieurs fois. Guilleminot, chef d'état-major de Jérôme, dit aussi qu'il avait voulu rompre à Hougoumont un combat inutile. (Conversation rapportée par le général Woodford, Waterloo Letters, 261.) — Ces témoignages sont d'une grande importance. Il est démontré par là que Napoléon ne voulait point s'emparer d'Hougoumont, dont la possession lui importait fort peu pour l'attaque qu'il avait ordonnée sur le centre gauche anglais. On remarquera en effet que : 1° dans l'ordre de 11 heures, il n'est pas question d'une attaque sur Hougoumont ; 2° dans le bulletin de la bataille (Moniteur, 21 juin) le nom d'Hougoumont n'est pas même prononcé et qu'il n'est pas, par conséquent, fait mention de l'attaque de la ferme. Il est dit seulement : Le prince Jérôme, commandant une division du 2e corps, destinée à en former l'extrême gauche, se porta sur le bois dont l'ennemi occupait une partie. A une heure, le prince fut maitre de tout le bois.

[2] Relation de Reille. (Arch. Guerre.) Lettre de Jérôme à la reine Catherine, 15 juillet. (Mém. du roi Jérôme, VII, 22.) Rapport du prince d'Orange. (Suppl. Dispatches of Wellington, X, 555.) Lettres du capitaine Yalcott et du colonel Gawler. (Waterloo Letters, 192, 288, etc.) Kennedy, 102.

[3] Kennedy (102) : onze heures et demie. Waterloo Letters (288, lettre du capitaine Yalcott) : onze heures vingt ; (192, lettre du colonel Gawler) : onze heures et demie. Siborne (I, 384) : onze heures et demie.

[4] Relation de Reille. (Arch. Guerre.) Rapport du prince d'Orange. Napoléon, Mém., 136. Lettre de Jérôme à la reine Catherine. Kennedy, Notes ou Battle of Waterloo, 102-103. Cotton, A Voice of Waterloo, 54-55.

[5] Lettre de Jérôme à la reine Catherine, 15 juillet. Waterloo Letters, 249, 259. Rapport du prince d'Orange. Kennedy, 104. Cotton, 55-56. Siborne, I, 386-389.

[6] Relation de Reille. (Arch. Guerre.)

[7] Lettres de lord Saltoun, du général Woodford, etc. (Waterloo Letters, 246, 259, 261.) Cotton, 55-56. Mémoires du roi Jérôme, VII, 91. Siborne, I, 389.

[8] Lettre du général Woodford, Gibraltar, 27 janvier 1838. (Waterloo Letters, 261.) — Woodford, ancien major des Coldstreams, tenait ce renseignement de Guilleminot lui-même qu'il avait connu plus tard.

[9] Relation de Reille (Arch. Guerre) : L'ordre en fut donné plusieurs fois (de se tenir dans le fond, derrière le bois), mais d'autres attaques turent tentées inutilement.

[10] Mémoires du roi Jérôme, VII, 92. Cf. Relation de Reille.

[11] Kennedy, 105-106. Lettres du général Woodford, du capitaine Bull, de l'enseigne Standen, etc. (Waterloo Letters, 258, 261, 264, 265, 268. Cf. 188, 192.) Lettre de Hervey, aide de camp de Wellington. (Nineteenth Century, mars 1893.) Rapport de Pozzo di Borgo à Wolkonsky, 19 juin. (Papiers du général G.). Mém. de Jérôme, VII, 94-95. Mauduit, II, 321, note. Cotton, 57-58. Siborne, I, 395-306.

[12] Gourgaud, 92. Pontécoulant, 263. Heymès, 19. Kennedy, 107. Maréchal W. Gomm, Letters, 351.

[13] Napoléon, Mémoires, 137.

[14] Napoléon, Mémoires, 137. Cf. Gourgaud, 89 (Rogniat, Réponse aux notes critiques de Napoléon, 273), et Baudus, Etudes sur Napoléon, I, 225.

Baudus assure que ce fût Soult qui, le premier, signala cette colonne. C'est possible. Mais Baudus donne néanmoins des détails inexacts : 1° Il n'est pas vrai que Soult fût, à 1 heure, plus près de la ligne ennemie que Napoléon, puisqu'à 1 heure Soult était près de l'empereur et occupé à écrire ou à dicter une lettre à Grouchy (citée plus loin). 2° Il n'est pas vrai que ce fut l'apparition des Prussiens qui motiva l'envoi à Grouchy de ladite lettre, lui prescrivant de rejoindre le gros de l'armée, puisqu'il n'est pas question de l'approche de Bülow dans le corps de cette lettre et qu'il en est question seulement dans le post-scriptum. 3° Il n'est pas vrai que Soult fût plus préoccupé que l'empereur de l'arrivée possible des Prussiens, puisque la lettre à Grouchy, témoignant de ces préoccupations, fut écrite d'après les instructions de l'empereur. — Baudus, très royaliste et aide de camp de Soult, est jaloux ici de faire valoir son chef aux dépens de Napoléon mais il oublie qu'il a écrit, à la page 224, que Soult conseillait de rappeler une partie du corps de Grouchy, non parce qu'il craignait l'arrivée des Prussiens, mais parce qu'il eût voulu plus de monde pour attaquer l'armée anglaise ; et à la page 222, que Soult disait : Dans l'état où la défaite de Ligny avait mis l'armée prussienne, un faible corps suffirait pour la suivre et l'observer dans sa retraite.

Napoléon n'est pas non plus véridique quand il prétend que Soult lui dit que le corps prussien de Saint-Lambert était probablement un détachement de Grouchy. Soult ne pouvait supposer vraisemblablement cela, puisque Grouchy, dans la lettre écrite à 6 heures du matin et reçue entre 10 et 11 heures, annonçait qu'il était encore à Gembloux et qu'il allait suivre les Prussiens sur Wavre. De Gembloux à Chapelle-Saint-Lambert, par Wavre, Grouchy aurait eu six lieues à faire et un corps prussien à culbuter.

[15] Lettre de Marbot à Grouchy, 1830. (Citée par Grouchy, Relat. succ., App. VIII, 51, sqq.). — Marbot prétend que ce hussard fut pris près de Saint-Lambert ; mais la cavalerie française, comme je l'ai dit, ne poussa pas plus loin que Lasne.

Dans les rapports allemands il n'est point fait mention de cette lettre interceptée, mais la chose n'est pas douteuse, puisqu'il en est parlé non seulement par Napoléon, Baudus et Marbot, mais encore par Soult dans une dépêche à Grouchy (citée plus loin), datée du 18 juin, 1 heure après-midi.

Napoléon dit : un hussard noir. Je ne sais quel était l'uniforme de ce sous-officier, mais il devait appartenir au 2e hussards silésiens formant l'avant-garde prussienne, et dont plusieurs détachements battirent l'estrade en avant de Saint-Lambert à partir de 11 heures du matin. (Voir Damitz, II, 242-243, et le rapport de Bülow cité par von Ollech, 192).

[16] Napoléon, Mémoires, 139. Gourgaud, 89. Baudus, I, 226. Soult à Grouchy, en avant du Caillou, 18 juin, 1 heure. (Registre du major général.)

[17] Grouchy à Napoléon, Gembloux, 18 juin. (Arch. Guerre, Armée du Nord.) Comme je l'ai déjà fait remarquer, cette dépêche, qui, selon les copies, porte tantôt 3 heures et tantôt 6 heures du matin, fut écrite à 6 heures. J'en ai donné plusieurs raisons. Je répète ici que, si cette dépêche avait été écrite à 3 heures, elle serait arrivée au quartier-impérial avant 10 heures. Or elle n'y arriva que passé 10 heures. Autrement, Soult en aurait fait mention dans sa lettre à Grouchy (en avant du Caillou, 10 heures) et les instructions contenues dans cette lettre auraient été toutes différentes ; elles auraient été celles-là même que Soult écrivit à 1 heure dans la lettre (reproduite plus loin), et qui furent motivées, cela est évident, par la lecture de ladite dépêche de Grouchy.

[18] Voir la lettre de Grouchy à l'empereur, Gembloux, 17 juin, 10 heures du soir.

[19] Grouchy à Napoléon, Gembloux, 18 juin. (Arch. Guerre, Armée du Nord.)

[20] Soult à Grouchy, 18 juin, une heure. (Citée par Grouchy, Relation succincte, App. I, 21.)

[21] Soult à Grouchy, 18 juin, une heure. (Citée par Grouchy, Relation succincte, Appendice I, 21.) Cf. Gourgaud, Campagne de 1815, 89, et Napoléon, Mémoires pour servir à l'Histoire, 139.

Il est certain, comme je l'ai dit, que le corps de cette lettre, datée de une heure, fut écrit avant l'apparition des Prussiens, et que le post-scriptum fut écrit après l'interrogatoire du hussard prisonnier. L'intervalle dut être d'un quart d'heure à une demi-heure.

[22] Selon Gourgaud (118-119), l'empereur, tout en restant inébranlable dans sa décision de livrer bataille, balança un instant s'il ne porterait pas sa ligne d'opérations sur la route de Nivelles pour déborder la droite anglaise. Par ce moyen, il eût éloigné des Prussiens sa ligne de retraite. Il y renonça dans la crainte de hâter la jonction de Blücher avec les Anglais et parce qu'il jugea, ce qui était vrai, la droite des Anglais plus forte que leur centre gauche.

[23] Napoléon, Mémoires, 139.

[24] Napoléon, Mémoires, 142. — Une lettre de Marbot écrite à Laon, le 26 juin 1815 (Mém. de Marbot, III, 403), témoigne que l'empereur, dans l'après-midi du 18, espérait voir déboucher Grouchy sur le flanc de Bülow. J'étais flanqueur de droite pendant la bataille, dit Marbot. On m'assurait que le maréchal Grouchy devait arriver sur ce point. Au lieu du maréchal, c'est le corps de Blücher qui a débouché.

[25] Gourgaud, 90. Napoléon, Mém., 137-138, 140.

Napoléon dit que la cavalerie se porta à 3.000 toises (soit 5.580 mètres). Elle aurait donc poussé jusqu'à Lasne. C'est inexact, car le gros de ces divisions ne dépassa pas la lisière sud-est du bois de Paris. (Cf. le rapport de Bülow, cité par von Ollech. 192, et Damitz, II, 257-260.) Seule une patrouille de Marbot vint, comme on l'a vu, au-delà du bois de Paris, mais ce fut vers midi, et elle n'y resta pas longtemps.

[26] Napoléon, Mém., 140-141 ; Gourgaud, 90. Cf. 94.

Sur l'exécution de ce mouvement, les deux relations de Sainte-Hélène ne concordent pas. Dans l'une, il est dit que Lobau changea de position peu après la cavalerie de Domon. Dans l'autre, on lit que Lobau alla seulement reconnaître alors sa future position de bataille et qu'il ne s'y établit que vers quatre heures et demie. En cette circonstance, comme en tant d'autres durant cette campagne, les ordres de l'empereur ne furent-ils point ponctuellement exécutés ?

[27] Kennedy, aide de camp du général Alten, dit (Notes on Battle of Waterloo, 166) : Le second acte commença à une heure et demie. Cf. Lettre du lieutenant Shelton (Waterloo Letters, 349), et Siborne, II, 3.

[28] Rapport de Kempt, Genappe, 19 juin. (Wellington, Supplementary, X, 524.) Souvenirs d'un vieux soldat belge, 84. Souvenirs d'un ex-officier, 285-286. Mauduit, II, 293-295. Janin, Camp. de Waterloo, 33. Kennedy, 107-108. Siborne, II, 3-5. Cotton, 62. Cf. Gourgaud, 92. Napoléon, Mém., 143. Damitz, II, 260-261.

[29] Souvenirs d'un ex-officier, 285-286. Mauduit, Derniers jours de la Grande Armée, II, 293. Note du général Schmitz, brigadier de Donzelot (comm. par le commandant Schmitz). Relation de Durutte. (Sentinelle de l'Armée, mars 1838.) Notes de Durutte (comm. par le commandant Durutte, de l'armée belge).

[30] Durutte, dans une note (comm. par le commandant Durutte), dit expressément que l'ordre était de d'Erlon. Peut-être l'aide de camp fit-il confusion, en transmettant l'ordre, entre la colonne de division (c'est-à-dire par bataillon serré en masse) et la colonne par division (c'est-à-dire par compagnies accolées, marchant à demi-distance ou à distance entière) ?

[31] Ordre de l'empereur, en avant du Caillou, 18 juin, 11 heures. (Arch. Guerre.)

[32] Voir à ce sujet Jomini, Précis de la Campagne de 1815, 229.

[33] Siborne, History of the War, II, 3, 5. Cotton, A Voice of Waterloo, 63.

[34] Waterloo Letters, 404. Siborne, II, 3, 16. Kennedy, 107-108. Jomini, 204, 206. Cotton, 63, 73-74.

[35] Hügel au roi de Wurtemberg, 19 juin. (Cité par Pfister, Aus dem Lager der Verbündeten, 69.) Rapport de Wellington, Waterloo, 19 juin. (Dispatches, XII, 478.)

D'après le plan de Craan, cet arbre était planté près du bord méridional du chemin creux. Wellington devait donc se tenir dans le chemin même où il était abrité contre les boulets et la fusillade.

L'orme fut acheté 200 francs par un Anglais avisé qui le débita à Londres sous forme de cannes, de tabatières et de ronds de serviettes aux idolâtres de Wellington.

[36] Kennedy, 107-108. Siborne, II, 16, 19. Cotton, 73-74. Cf. Waterloo Letters, 38.

[37] Souvenirs d'un ex-officier, 287. Siborne, II, 5, 10.

[38] Lettres d'officier de la brigade Kempt. (Waterloo Letters, 345, 363-364, 367.) Les Français s'approchèrent à moins de deux mètres de la haie, dit sir Andrew Barnard, colonel du 95e.

[39] Rapport de Kempt, Genappe, 19 juin. (Dispatches of Wellington Suppl., X, 534.) Lettres d'officiers des brigades Pack et Kempt. (Waterloo Letters, 349, 361, 382, etc.) Cf. Kennedy, 109 ; Siborne, II, 5-7. Général Eenens, les Troupes des Pays-Bas en 1815, 29-30.

Les auteurs étrangers confondent entre elles les colonnes françaises et les placent mal à propos dans cet ordre de la gauche à la droite : Donzelot, Allix, Marcognet, Durutte. Van Löben seul (267) cite exactement : Allix, Donzelot, Marcognet, Durutte.

[40] Kennedy, 109, 111. Siborne, II, 4. Cf. Van Löben, 267, et Durutte (Sentinelle de l'Armée, 1838) qui dit qu'il arriva sur la hauteur.

Il est présumable que, pendant qu'un ou deux bataillons assaillaient Papelotte, le reste de la division Durutte, masquée par cette attaque de sa droite, continua de monter au plateau.

[41] Lettre de Jérôme à la reine Catherine. Paris, 15 juillet. (Mém. du roi Jérôme, VII, 22-23.)

Un peu après 2 heures, l'empereur avait envoyé l'ordre à Jérôme de le venir rejoindre : — Il est impossible de mieux se battre, lui dit-il. Maintenant qu'il ne vous reste plus que deux bataillons, demeurez pour vous porter partout où il y aura du danger. Napoléon voulut-il ménager la vie de son frère qui avait été blessé l'avant-veille et qui venait de rester deux heures et demie au plus fort du feu, ou, mécontent qu'il eût intempestivement engagé toute sa division dans l'assaut inutile de Hougoumont, le rappela-t-il pour laisser le commandement à Guilleminot, général moins ardent et plus circonspect ?

[42] Rapport de Kempt, Genappe, 19 juin. (Wellington, Dispatches Suppl., X, 534.) Fraser, Letters, 554. Lettres d'officiers de la division Picton et de la brigade Ponsonby. (Waterloo Letters, 70, 85, 89, 345, 349, 350, 350, 361, 363.) Kennedy, 109. W. Gomm, Letters, 352. Siborne, II, 11-14.

Siborne, entraîné par son patriotisme, dit que l'officier français fut tué en essayant de reprendre le drapeau du 32e français. Le 32e n'était pas à l'armée du Nord, tandis que le 32e anglais faisait bel et bien partie de la brigade Kempt.

[43] Lettres d'officiers des brigades Kempt, Pack et Ponsonby. (Waterloo Letters, 64, 69, 355, 356, 371, 374, 382, 383, etc.) Cotton, 67-68. Souvenirs d'un ex-officier (du 45e), 287, 288.

Les historiens anglais ne veulent point avouer (et pourquoi, puisque l'armée de Wellington fut victorieuse ?) que dans cette première attaque les Français atteignirent les crêtes de Mont-Saint-Jean. Or les Lettres de Waterloo, provenant toutes d'officiers qui prirent part à la bataille, témoignent que : 1° à la droite anglaise les cuirassiers de Travers arrivèrent exactement au bord du chemin d'Ohain ; — 2° à la gauche, la brigade Bourgeois parvint aussi au chemin après avoir délogé les défenseurs de la sablonnière ; 3° la colonne de Donzelot s'arrêta pour se déployer à 40 mètres du chemin, et ses tirailleurs dépassèrent les haies ; — 4° au moins les bataillons de tête de la colonne Marcognet franchirent le chemin, s'avancèrent jusque sur les canons hanovriens et s'engagèrent sur le plateau même contre les Ecossais de Pack. Dans son rapport à Wellington du 19 juin (Suppl. Dispatches, X, 534), Kempt dit expressément que la charge de Picton eut lieu quand les Français emportaient la crête de la position, et que, même quelques instants après, quand Picton fut tué, la situation était très critique. Dans une lettre du 23 juin à Hervey, aide de camp de Wellington (Suppl. Dispatches of Wellington, X, 568), le colonel Clifton, qui remplaçait le général Ponsonby, tué, dit de son côté : L'ennemi, jusque-là vainqueur (previously successful), fut mis en déroute par notre cavalerie.

[44] Kennedy, 110. Siborne, II, 19. Colonel Tomkinson, the Diary, 300.

[45] Rapport de Somerset à Wellington, La Forêt, 24 juin. (Suppl. Dispatches of Wellington, X, 577.) Lettre de Hervey, aide de camp de Wellington. W. Gomm, Letters, 352. Lettres d'officiers des brigades Somerset et Kempt et du lieutenant Greme, de la Légion Germanique. (Waterloo Letters, 41-56, 361, 406.) Siborne, II, 19-24. Cotton, 74. Kennedy, 110.

C'est vraisemblablement la bousculade des cuirassiers entre les berges du chemin d'Ohain, suivie de la chute de quelques-uns d'entre eux dans la sablonnière, qui a créé la légende de l'écrasement dans le chemin creux et inspiré à Victor Hugo les pages épiques des Misérables.

[46] Lettres d'officiers des brigades Ponsonby, Kempt et Pack. (Waterloo Letters, 63, 64, 70, 78, 349, 363, 383.) Kennedy, 110. Rapport de Kempt, 19 juin. (Dispatches of Wellington, Suppl., X, 534.)

[47] Rapport de Somerset. Colonel Clifton à Hervey, Croix, 23 juin. (Suppl. Dispatches of Wellington, X, 568, 577.) Lettres d'officiers des brigades Ponsonby, Kempt et Pack. (Waterloo Letters, 58, 61, 63, 65, 70, 72, 78, 86, 345, 367, 374, 376, 384, 404. Kennedy, 118. Souvenirs d'un ex-officier, 288, 200.

Dans la déroute, les Anglais ramassèrent de 2.000 à 3.000 prisonniers. Les dragons de Ponsonby prirent l'aigle du 45e (division Marcognet) et celle du 105e (brigade Bourgeois). Un autre drapeau, pris par les gardes à cheval de Somerset, fut repris dans la mêlée.

[48] Lettres d'officiers de la brigade Vandeleur. (Waterloo Letters, 103, 104, 112, 114-115.) Relation de Durutte. Van Löben, 2, 9. Cf. Siborne, II, 38-39.

Durutte, dont la relation contient d'ailleurs plus d'une autre inexactitude, prétend qu'il repoussa les charges de la brigade Vandeleur. Il fait volontairement ou inconsciemment confusion entre les premières charges de cette cavalerie, qui le contraignirent à se replier en désarroi, et une autre charge de Vandeleur contre le 85e, laissé en réserve sur la position primitive, charge qui fut, en effet, repoussée avec grandes pertes. Voir, à ce sujet, la relation du capitaine Chapuy. (Journal des Sciences militaires, juillet 1863.)

[49] Rapports précités de Somerset et de Clifton. Lettres d'officiers des brigades Somerset, Ponsonby et Vandeleur. (Waterloo Letters, 38, 62, 64-65, 79, 86, 114-115.) Relations précitées de Durutte et du capitaine Chapuy (du 85e). Kennedy, 110. Siborne, II, 36-39. Cotton, 71-72.

Durutte prétend que les cavaliers anglais étaient ivres. Il est bien osé de porter une pareille accusation contre de si vaillants soldats.

[50] Mauduit, II, 300. Cf. Lettres des colonels Evans et Straton (Waterloo Letters, 64, 85), et Rapport précité de Clifton. Un parent du général Ponsonby, le lieutenant-colonel Ed. Ponsonby (de la brigade Vandeleur), fut grièvement blessé dans la même mêlée et resta sur le champ de bataille jusqu'au lendemain matin. Il a fait le récit des seize ou dix-huit mortelles heures qu'il passa là. (Cotton, Appendice VI.) Le soir, un tirailleur français se coucha derrière le corps du colonel Ponsonby, s'en servant comme d'une sorte de remblai, et commença à tirailler contre l'ennemi. Tout en tirant, il causait gaiement avec l'officier anglais. Quand il eut épuisé sa giberne, il s'en alla en disant : — Vous serez bien aise d'apprendre que nous f... le camp. Bonsoir ! mon ami.

[51] Rapports de Somerset et de Clifton. (Suppl. Dispatches of Wellington, X, 568, 577.) Lettre précitée de Hervey. Lettres de Somerset, Kennedy, etc. (Waterloo Letters, 38, 42, 69, 77.) Kennedy, 110-111. Siborne, II, 35-43. Cotton, 71-72. Van Löben, 279. Relation du général Delort. (Papiers du général G.) Gourgaud, 93. Napoléon, Mém., 144.

[52] Kennedy, 111, 114. Waterloo Letters, 346, 383. Siborne, II, 43, 46.

[53] Waterloo Letters, 406.

[54] Lettre du lieutenant Graëme, de la Légion hanovrienne. (Waterloo Letters, 407.)

[55] Lettres d'officiers du 1er régiment des gardes et des Coldstreams. (Waterloo Letters, 246, 249, 259, 261, 264, 266.) Kennedy, 166. Notes journalières de Foy, et lettre du même à Guilleminot. (Registre de corresp., comm. par le comte Foy.) Van Löben, 272-273. Cotton, 85-86.